Discours de François II Valesque lors de son départ de Poussan
Enfin mes très chers freres, il faut prendre
congé de vous, je vous avoue que j’ay balancé
long tems a faire cette derniere demarche ; je
voulois m’épargner cette peine, j’ose dire que je
voulois vous l’epargner avous memes, car quelque-peu
de merite qu’ait un pasteur, je sçais qu’il en
coute tousiours au troupeau de le perdre ; il se forme
avec le tems entre le troupeau et le pasteur des liens
qu’il est tousiours douloureux de rompre ; on souffre
plus patiemment l’eloignement des ouvriers evangeliques
qui n’instruisent que pour un tems ; mais on regarde
comme une perte plus importante celle d’un paster
qui conduit long tems un même troupeau qui luy
appartient et pour lequel par consequent il a
une plus forte attachement, l’esperance memes de
trouver un bon pasteu pour le remplacer, n’ôte
pas entierement le deplaisir que cause la perte
de celuy qu’on possede pour peu qu’il convienne
Je sçais neantmoins mes très chers freres, que l’union qui se forme entre le pasteur et le troupeau
n’est pas egalement forte de part et d’autre quoy qu’elle
soit mutuelle, et comme les enfans n’ont pas
ordinairement autant d’amour pour leurs peres, que
les peres en ont pour leurs enfans ; les fideles qui
sont les enfans spirituels des pasteurs, n’ont pas le
même pour amour pour leurs pasteurs, que les
pasteurs en ont pour les fideles. ainsi mes très
chers freres, si mon depart est capable de vous
affliger, ne doutés pas qu’il ne m’afflige encore
davantage. Cette resolution pour la prendre
m’a couté des peines infinies, je voulois et après
je ne voulois plus, vostre confiance que j’ai gagnée
je ne sçay comment, vos empresséments a me retenir ;
la lacheté que ie me reprochois quelques fois
de finir le travail et la peine, la crainte
surtout que j’avois de ne pas vous donnér un
pasteur selon le cœur de dieu, tout cela ebranloit
ma resolution, et tenoit mon esprit flottant et
indeterminé. mais aussi il me sembloit dailleurs
que ma retraitte estoit avantageuse pour vous et pour moy, et qu’il etoit deia tems de me dechangér
d’un fardeau accblant et au dessus de mes forces,
et de choisir une retraitte ou sans abandonner
entierement les soins des ames, ie pusse m’occuper
plus aloisir du soin de la mienne. I’ai rappellé
pour fortifier cette resolution, les qualités que dois
avoir un bon pasteur et l’en ay été troublé, I’ay
reconnu dans cette recherche qu’un pasteur doit
être eclairé capable d’enseigner la vérité et de la
defendre, iirreprehensible exempt non de peché, mais
de crime, plein de zele mais d’un zele selon la
science, qu’il oit être ferme sans être opiniatre,
exact sans être severe, doux sans etre lâche, laborieux
sans être dissipé, recueilli sans être sauvage, appliqué
au salut de son troupeau, sans negliger le sien propre,
devoue au service de ses brebis sans estre leur esclave.
I’ay vû qu’il doit prendre differentes formes selon
les differens besoins des ames qu’il conduit, l’egaier avec
les enfans, parlér un langage parfait avec ceux qui
tendent a la perfection, tantôt les nourrir de laiet, et
tantôt d’une viande plus solide, et qu’en un mot
il doit se faire tout a tous pour les gagnes tous
a l’exemple de l’apôtre, ce qui demande une prudence consommée qui n’est pas tant l’ouvrage
de l’esprit humain, que celuy de l’esprit de dieu ;
toutes ces grandes qualités m’ont effrayé avec raison
et m’ont confirmé dans ma resolution de me
retirer.
Je ne vous dirai pourtant pas mes très chers freres
pour iustifier ma retraitte que je n’ay pas toutes les
qualites de ce bon paster dont ie viens de vous faire
le portrait, que ie n’en ay ni les lumierers ni le zele ;
prevenus que vous estes en ma faveur, peut-estre
n’en conviendries vous pas tout à fait, et ie dois vous
laissér dans cette pieuse pensée pour vostre
edification ; je vous dirai donc seulement ce que
vous sçaves tous, que ma santé est trop foible
pour remplir les fonctions de mon ministere dans
toute leur etendue sur tout dans ce tems ou les
ministres de Jesus-Christ sont si rares, et que
j’ay succombé souvent sous le pois des occupations
dont un autre plus robuste se serait ??? si ie
puis parler ainsi, et que ie sens memesprevois que ma
santé s’affoiblitssant tous les iours avec l’age, ie me
reduiroistrouverois bientôt redui et a ne vous etre d’aucun usage que ne souffrisrirois-ie donc pas dans ce triste êtat, mes chers freres, et que
ne souffriries vous pas vous mesmes. Il est donc
avantageux pour vous et pour moy que ie m’en
aille, et vous devés dautant plus estimér cet avantage
que ie vous laisse en ma place un pasteur plus
eclairé, plus vigilant et plus zelé que ie ne l’ay
ête et qui vous dedommagera avantageusement
de la perte que vous croyés de faire.
Cependant je puis vous dire avec verité que j’ay
eu du zele pour votre salut, que ie me suis touiours
reioui quand je vous ay vû marchér dans la voye
de la iustice et de la verité, et que vostre pieté qui
faisait toute ma gloire, faisait en mesme tems
tout mon plaisir. dailleurs les scandales de la paroisse
m’ont percé le cœur de douleur, j’aurais voulu les
prevenir tous, je n’ay souhaitté d’avoir l’authorité en
main que pour l’employer a cet usage, j’ay elevé ma
voix contre ces desordres, j’en ay gemi devant dieu,
et j’ay interessé les personnes de pieté de gemir avec moy
et d’en demander la fin dans leurs prieres, mais si
j’ay eu de l’horreur pour ces desordres, j’ay touiours
eu un amour veritable pour ceux qui les commetoient. Vous Sçaves mes très chers freres qu’il n’est entré aucun
fiel dans mon zele, et que ie vous ay instruicts avec
douleur en public dans cette eglise et en particulier selon
les occasions sans toutefois affoiblir les verites de l’evangile ;
et quelles exhortations ne vous ay ie pas faites dans le
tribunal de la penitence avant de vous appliquer le
sang de Jesus christ, je vous y ay exhortes a detester
vos peches moins par la crainte de la peine, que
pour l’amour de la iustice, et a prendre des precautions
pour n’en plus commettre, je ne me suis iamais lassé
de vous dire avec les peres qu’une penitence sans
aucun amandement, est un fausse penitence. j’ay
evité dailleurs de vous donnér des mauvais exemples,
j’ay eu soin mesmes de m’interdire certaines choses
que j’aurais pût me permettre, pour ne pas scandaliser
les foibles, je n’ay point desiré ni l’or ni l’argent
d’aucun de vous vous le sçaves et j’ay cherché vos ames
et non pas vos biens, je vous declare donc que ie suis
net du sang de vous tous. mais ie viens ie icy faire
mon apologie, puis ie m’appliquer ces paroles du
grand apostre sans le merité, et n’ay ie donc point ses fautes a me reprochér. a dieu ne plaise mes chers freres, que j’aye de moy une idée si avantageuse, ma conscience qui me reproche bien des fauteschoses, me condamnerait la premiere, et quand elle ne me reprocherait rien, s’ensuivrait-t-il que j’eusse bien rempli nom ministère. Combien des fautes que ie ne decouvre point, et qui ne sçaraient echapér aux yeux penetrans du Seigneur, m’ont rendu coupable a ses yeux, pleuss a dieu que ie pûsse les effacer toutes par mes larmes et pal les prieres ardentes que ie fairai touiours pour votre sanctification ; car ne croyés pas mes Tres chers freres, qu’en vous quitant, ie perde rien du zele que j’ay eu pour votre salut, quoyque je suis absent de corps, je serai touiours parmi vous en esprit, ie vous porterai souventtousiour dans mon mon cœur, et il n’est plus possible que l’eloignement ni le tems eteigne les sentimens de tendresse que j’ay conceus pour vous ; non jamais pere n’a plus aimé ses enfans que je vous ay aimés en Jesus christ, et j’ay bien senti que les liens de la charité estoient encore plus forts que ceux de la nature, vous avés pû decouvrir en moy cette charité des le commencement, mais sur la fin elle se manifeste encore davantage par le soin que j’ay eu de vous chercher un bon pasteur que vous recevés moins de ma main que de celle de la providence qui a presidé a ce choix. ecoutés donc la voix de ce pasteur fidele, tenés vous dans le bercail ou la providence vous a places, un autre n’aurait pas pour vous conduire ni les mesmes lumieres ni le mesme zele quelque merite qu’il eust dailleurs, donnes luy donc tout vostre confiance, decouvres luy les maladies de vos ames, proposez luy vos doutes, exposés luy vos peines, en un mot ouvres luy vos cœurs avec une entiere liberté, et respectés surtout en sa personne l’autorité donc le souverain pasteur l’a revestu en l’etablissant son lieutenant et son vicaire. obeissés a vos conducteurs disait st paul aux hebreux, et soyés leur soumis afin qu’ainsi qu’ils veillent pour le bien de vos ames comme en devant rendre comte, ils l’aquittent de devoir avec urge et non en gemissant ce qui ne vous seroit pas avantageux, aimes donc encore votre pasteur de cet amour qui ne finit point avec le temps mais qui demeure dans les siecles des siecles, et vous vous aimeres les uns les autres, car les membres ne sçauroient estre unis au chef sans l’estre entre eux, ne comptés pas sur votre vertu, si elle n’est animée par la charité, aimes vous donc d’un amour mutuel les uns les autres mes chers enfans car vous l’eztes encore pour un peu de temps, ie n’ay pas tout a fait quitté cette qualité de pere, et je sens mesmes que j’en aurai touiours la tendresse, aimés vous d’un amour mutuel filioli diligite alterutrum ; c’est la derniere leçon que St Jean donna a ses disciples, avant mourir, et c’est aussi la derniere leçon que ie vous donne a la veille de mon départ qui est pour moy une un espece de mort. heureux si ie pouvois graver cette sentence dans vos cœurs, et si mes dernieres paroles faisoient sur vous la mesme impression qu’ont coutume de faire sur´ les cœurs des enfans les dernieres paroles d’un pere mourant. Souvenes vous donc mes chers enfans car ce nom de tendresse ne peut sortir de ma bouche, souvenes vous de cet excelente parole de st Aug, que c’est la charite seule qui fait le caractere des enfans de dieu, et qui les distingue des enfans du demon, hoc solum c qd divides inter libris regni atterni et perduruis eterna. J’aurois bien encore beaucoup de choses a vous dire car les paroles ne manquent point quand a bouche parle de l’abondance du cœur, mais ie ne saurois soutenir plus longtems soutenir ce discours, il en couteroit trop a ma tendresse, ie finis donc en vous demandant le secours de vos prieres, voies meles doués par reconnoissance, et puisque dieu permet que nous nous separions dans ce monde, de ma pierons le tous qu’il nous unisse dans l’eternité ; c’est la grace que vostre nouveau pasteur va demandér pour vous et pour moy avec dans le st sacrifice de la messe, nous l’obtiendrons de par la ferveur de ses prieres, et plus encore par les merites infinis de la victime saincte qu’il va offrir dont les cris sont touiours écoutés du pere celeste. amen.