Discours de Bordeaux du 9 octobre 1852
DISCOURS PRONONCÉ
PAR LE PRINCE LOUIS-NAPOLÉON
À BORDEAUX, LE 9 OCTOBRE 1852.
» L’invitation de la Chambre et du Tribunal de commerce de Bordeaux, que j’ai acceptée avec empressement, me fournit l’occasion de remercier votre grande cité de son accueil si cordial, de son hospitalité si pleine de magnificence, et je suis bien aise aussi, vers la fin de mon voyage, de vous faire part des impressions qu’il m’a laissées.
» Le but de ce voyage, vous le savez, était de connaître par moi-même nos belles provinces du Midi, d’approfondir leurs besoins. Il a, toutefois, donné lieu à un résultat beaucoup plus important.
» En effet, je le dis avec une franchise aussi éloignée de l’orgueil que d’une fausse modestie, jamais peuple n’a témoigné d’une manière plus directe, plus spontanée, plus unanime, la volonté de s’affranchir des préoccupations de l’avenir, en consolidant dans la même main un pouvoir qui lui est sympathique. C’est qu’il connaît, à cette heure, et les trompeuses espérances dont on le berçait, et les dangers dont il était menacé. Il sait qu’en 1852 la société courait à sa perte, parce que chaque parti se consolait d’avance du naufrage général par l’espoir de planter son drapeau sur les débris qui pourraient surnager. Il me sait gré d’avoir sauvé le vaisseau en arborant seulement le drapeau de la France.
» Désabusé d’absurdes théories, le peuple a acquis la conviction que les réformateurs prétendus n’étaient que des rêveurs, car il y avait toujours inconséquence, disproportion entre leurs moyens et les résultats promis.
» Aujourd’hui la France m’entoure de ses sympathies, parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. Pour faire le bien du pays, il n’est pas besoin d’appliquer de nouveaux systèmes ; mais de donner, avant tout, confiance dans le présent, sécurité dans l’avenir. Voilà pourquoi la France semble vouloir revenir à l’Empire.
» Il est néanmoins une crainte à laquelle je dois répondre. Par esprit de défiance, certaines personnes se disent : L’Empire, c’est la guerre. Moi je dis : « L’Empire, c’est la paix ».
» C’est la paix, car la France le désire, et lorsque la France est satisfaite, le monde est tranquille. La gloire se lègue bien à titre d’héritage, mais non la guerre. Est-ce les princes qui s’honoraient justement d’être les petits-fils de Louis XIV ont recommencé ses luttes ? La guerre ne se fait pas par plaisir, elle se fait par nécessité ; et à ces époques de transition où partout, à côté de tant d’éléments de prospérité, germent tant de causes de mort, on peut dire avec vérité : Malheur à celui qui, le premier, donnerait en Europe le signal d’une collision, dont les conséquences seraient incalculables !
» J’en conviens, cependant, j’ai, comme l’Empereur, bien des conquêtes à faire. Je veux, comme lui, conquérir à la conciliation les partis dissidents et ramener dans le courant du grand fleuve populaire les dérivations hostiles qui vont se perdre sans profit pour personne.
» Je veux conquérir à la religion, à la morale, à l’aisance, cette partie encore si nombreuse de la population qui, au milieu d’un pays de foi et de croyance, connaît à peine les préceptes du Christ ; qui, au sein de la terre la plus fertile du monde, peut à peine jouir de ses produits de première nécessité.
» Nous avons d’immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemin de fer à compléter. Nous avons, en face de Marseille, un vaste royaume à assimiler à la France. Nous avons tous nos grands ports de l’ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore. Nous avons partout enfin des ruines à relever, de faux dieux à abattre, des vérités à faire triompher.
» Voilà comment je comprendrais l’empire, si l’Empire doit se rétablir. Telles sont les conquêtes que je médite, et vous tous qui m’entourez, qui voulez, comme moi, le bien de notre patrie, vous êtes mes soldats. »