Discours à la nation française, 17 juillet 1934

Denoël et Steele (p. 63-84).



Mes chers Concitoyens,


Je suis resté assez longtemps sans m’entretenir avec vous. C’est parce que j’ai eu fort à faire pour mener à bien, avant la clôture de la session ordinaire, le programme immédiat que je m’étais assigné et qui me paraissait répondre aux besoins les plus urgents.

Certes, j’ai été sollicité à maintes reprises de réaliser de nombreuses et importantes réformes en toutes matières. Mais j’ai dû aller au plus pressé. J’ai trouvé, en arrivant, beaucoup de services publics, soit assez mal organisés, soit en assez grand désarroi.

Il n’en pouvait être autrement puisque, depuis le début de la législature, un très grand nombre de gouvernements s’étaient succédés au pouvoir avec une déconcertante et inquiétante rapidité. Ils n’avaient pas de bases solides. Pour durer et pour agir utilement, un gouvernement a besoin d’une majorité cohérente, disciplinée, dont tous les éléments consentent à accepter les responsabilités du pouvoir, surtout quand celles-ci sont lourdes.

Dans le régime parlementaire, quand ces conditions ne sont pas remplies, les gouvernements ont la solidité de châteaux de cartes que le moindre souffle renverse. L’autorité gouvernementale, si nécessaire, s’affaiblit alors jusqu’à être menacée de disparaître complètement.

Je n’ai pas besoin de vous dire ce qui arrive dans ce cas. Le désordre règne ; les grands intérêts généraux du pays souffrent et sont gravement compromis ; la paix intérieure et la paix extérieure sont dangereusement menacées. Je ne pousse pas le tableau au noir. Mais j’ai toujours très présent à l’esprit le souvenir des événements qui m’ont amené à accepter, malgré mon âge, les fort lourdes responsabilités du pouvoir.

Je voudrais bien que tout le monde ait gardé le souvenir de ces événements, surtout ceux qui, plus que moi-même, ne devraient pas les avoir oubliés. Ceci, toutefois, est une autre affaire. Je tiens seulement à vous rappeler que, brusquement, il y a à peine plus de cinq mois, je me suis trouvé en face d’une très grande et très difficile tâche à remplir, pour l’accomplissement de laquelle je n’étais nullement préparé. Je l’ai acceptée uniquement pour remplir un devoir que je mets au-dessus de tous les autres : le devoir envers ma Patrie et envers la République.

Ce devoir exige, pour être bien rempli, le détachement absolu de tout esprit de parti. J’étais certain d’être entièrement détaché de cet esprit. Les moyens dont je pouvais disposer étaient peu nombreux. J’ai puisé ma force et les raisons de mon optimisme, mes chers concitoyens, dans la pensée — je peux même dire dans la conviction — que la grande majorité d’entre vous me ferait confiance.

Il me semble que si vous pouviez vous prononcer sur ce point, vous ne me donneriez pas un démenti.

C’est la conviction dont je vous parle qui, depuis le premier jour, m’a soutenu dans l’accomplissement de ma tâche. En quoi consistait donc cette tâche ? Par où fallait-il commencer ? Depuis déjà assez longtemps, je me rendais compte que, dans le domaine financier, le danger était on ne peut plus grand. La situation économique générale me paraissait, en outre, fort mauvaise et je la voyais s’aggraver de jour en jour. Une grave crise agricole sévissait : elle était causée par la mévente des produits de la terre. Cette mévente n’empêchait pas, au reste, les prix de ces produits, quand ils étaient vendus au détail, d’être très élevés et d’accroître la cherté de la vie. Le chômage s’étendait, plongeant dans la misère des milliers de braves gens et de bons travailleurs.

Par ailleurs, la situation extérieure sollicitait l’attention la plus vigilante. La France avait donc l’impérieux et pressant devoir de mettre au service de la paix du monde et, au besoin, de sa sécurité personnelle, toutes les ressources de son esprit généreux, toutes les ardeurs de son patriotisme averti et clairvoyant, toute l’autorité qu’elle tenait de son grand passé, de ses épreuves, de ses victoires, de son profond attachement à la liberté, au droit, au bien de l’humanité.

Enfin, la France assoiffée d’honnêteté, me paraissait fortement troublée par certains événements et agissements qui avaient profondément révolté sa probe conscience. Elle voulait que ces agissements délictueux ou criminels fussent sévèrement punis.

Instruite par les leçons de l’histoire, mise en éveil par le spectacle d’événements d’ordre politique survenus en maints pays, dans le monde, depuis la fin de la grande guerre, la France éprouvait, en outre, le besoin de voir l’autorité gouvernementale sérieusement restaurée. Il lui semblait que celle-ci était en train de s’effilocher et de disparaître par suite de la grande instabilité des gouvernements, de leur succession rapide au pouvoir, de la prépondérance accordée aux intérêts particuliers égoïstes sur les grands intérêts nationaux. L’autorité se trouvait de moins en moins à l’endroit où elle devait être.

Il nous suffit d’ouvrir les yeux pour apprendre ce qui arrive dans tous les pays où l’autorité gouvernementale est menacée de disparaître et pour savoir quels sont, d’une façon générale, les véritables fourriers des dictatures.

Je viens de vous dire, mes chers amis, la tâche urgente qui m’a paru devoir être rapidement accomplie. Les membres du gouvernement l’ont envisagée dans le même esprit que moi et nous nous sommes tous mis à l’œuvre en plein accord. Nous ne pouvions pas accomplir rapidement cette tâche en usant des procédures parlementaires ordinaires. Il fallait, tout en procédant avec beaucoup de méthode et suivant un ordre rationnel, aller très vite.

Si nous avions suivi les procédures et les errements habituels, je ne sais pas si le budget de 1934 serait voté à l’heure qu’il est. Nous avons donc demandé au Parlement et obtenu de lui des pouvoirs spéciaux, mais qui ne l’ont pas dépouillé de ses droits de contrôle. Nos projets ont, grâce à eux, pu être rapidement adoptés par des majorités massives que nous sommes reconnaissants aux Chambres de nous avoir accordées.

Comment avons-nous usé des pouvoirs et de la confiance qui nous ont été accordés ? Je voudrais vous le dire brièvement. Dans le domaine financier, nous avons largement atténué le déficit du budget. Dès lors, la Trésorerie n’a plus été à court d’argent. Une très importante réforme fiscale a été ensuite réalisée.

Quels ont été les résultats de tout cela? Le marché monétaire s’est fort amélioré : le taux de l’argent a baissé. Depuis le début de mars, 5 milliards 500 millions de métal-or sont entrés en France. Les fonds d’Etat ont bénéficié d’une hausse importante.

La réforme fiscale a substitué à un régime archaïque, compliqué, lourd et, par conséquent, peu favorable au développement économique du pays, un régime infiniment meilleur.

La simplification et l’allégement des charges sont ses caractéristiques. Les impôts directs, dont la lourdeur provoquait la thésaurisation et la faillite de nombreuses entreprises, ont été réduits. Nous avons veillé surtout à ce que le nouveau régime soit favorable aux classes laborieuses et puisse contribuer à améliorer leur sort.

En agissant ainsi, nous avons évité la dépréciation de la monnaie et écarté les dangers d’une fermeture des caisses publiques qui aurait eu des conséquences incalculables.

Les mesures prises dans le domaine financier doivent contribuer au redressement de notre situation économique. Sur cette situation, le désordre et le désarroi qui règnent dans le monde au point de vue économique exercent une influence malheureuse. Il ne dépend pas de notre seule bonne volonté de la modifier favorablement.

L’instabilité des monnaies ne permet que du provisoire et des ententes de peu de durée.

C’est la grande amélioration de nos finances publiques qui nous a permis de mettre à la disposition de l’agriculture les crédits importants qui pourront aider, nous l’espérons bien, les producteurs de céréales à vendre aisément et avec profit leurs récoltes prochaines. Ces crédits les empêcheront d’être écrasés par les reports de blé des récoltes dernières, non encore vendues.

Mais notre préoccupation constante, au cours de l’accomplissement de notre œuvre, a été de supprimer le chômage dans la plus large mesure possible, car le chômage est dangereux à de multiples points de vue.

Supprimer ou tout au moins réduire grandement le chômage, donner du travail aux travailleurs si nombreux qui en cherchent vainement depuis tant de mois, alléger ainsi les budgets communaux, départementaux et celui de l’Etat, des très lourdes charges qu’ils supportent pour secours de chômage, était une nécessité urgente.

C’est cette nécessité qui nous a conduits à soumettre au Parlement un ensemble de travaux fort utiles et de toute nature, intéressant à la fois les campagnes et les villes. Ces travaux vont réveiller et développer un grand nombre d’activités françaises qui souffraient de plus en plus de la crise économique et auxquelles il importait de donner sans retard l’espoir et la vie.

L’opération financière qui doit procurer les crédits destinés à l’exécution des travaux en un petit nombre d’années, nous a permis également de donner aux assurés sociaux la certitude que leurs versements capitalisés, qui doivent contribuer au paiement de leurs retraites, seront mis à l’abri des risques qu’ils auraient pu courir dans d’autres placements.

Voilà ce que le gouvernement a pu faire en fort peu de temps dans le domaine financier, dans le domaine économique et pour la réduction du chômage. Mais il n’a pas cessé un instant, pendant qu’il accomplissait cette partie importante de son œuvre, de s’occuper activement de la sécurité de la France et de la mise en état de défense de ses frontières, afin que ceux qui seraient tentés de les violer n’y réussissent pas. Je dis « défense », mes chers amis, car personne en France ne songe à chercher querelle à qui que ce soit et encore moins à prendre, sous un prétexte quelconque, l’initiative d’une agression.

Nous sommes passionnément attachés à la paix. Nous ne troublerons jamais la paix d’autrui, mais nous ne voulons pas que l’insuffisance de nos moyens de défense et de notre force de résistance à l’agression puisse donner, un jour ou l’autre, à un moins pacifique que nous, l’intention de forcer violemment notre porte et d’envahir notre territoire. C’est le maintien de la paix dans le monde que la France poursuivra inlassablement.

Si j’ai tenu, comme je vous l’ai dit, à faire adopter à notre pays, sur le terrain de la politique extérieure, une attitude répondant à son passé, à ses épreuves, à sa gloire, à son amour de l’humanité, c’est pour qu’il puisse contribuer aussi efficacement que possible au maintien de cette paix et obtenir du même coup la pleine sécurité dont il a besoin.

C’est l’expression de ce besoin, en même temps que celle de notre ferme volonté de collaborer sincèrement et cordialement à toute mesure, à toute entente, à tout accord capable de donner aux autres, comme à nous-mêmes, l’assurance de pouvoir vivre, travailler et progresser en paix, que M. le Ministre des Affaires Etrangères est allé apporter, en notre nom, aux nations amies auxquelles il a commencé de rendre visite.

L’accueil qu’il a partout reçu prouve que nous avions été bien compris. Un ferme espoir de succès nous encourage donc à persévérer dans la voie où nous nous sommes engagés.

Il me reste, mes chers amis, à vous dire un mot de l’œuvre de justice que nous poursuivons et voulons mener à bien, pour donner satisfaction à ce sentiment d’honnêteté qui est si profondément ancré en vous. Cette œuvre n’est pas encore complètement réalisée. Beaucoup d’inculpés sont cependant déjà sous les verrous. Les procédures pour les amener tous, où qu’ils se trouvent, devant les tribunaux, se poursuivent aussi rapidement que le permettent les prescriptions de nos lois.

Ces prescriptions, il importe de les observer strictement, pour éviter des cassations de jugements qui permettraient à ceux qui auront été reconnus coupables, soit de retarder l’heure des sanctions méritées, soit même d’échapper à celles-ci.

Nous avons pu récemment obtenir, avant la séparation des Chambres, le vote de dispositions qui permettront, je l’espère, de rendre plus rapide la marche des très nombreuses instructions en cours et d’amener, dans un avenir prochain, tous les inculpés devant les tribunaux de répression.

Une question se pose maintenant à mon esprit comme peut-être au vôtre :

Ai-je réussi dans la tâche entreprise ?

Suis-je arrivé à réaliser, avec le concours de mes dévoués collaborateurs, les parties, au moins essentielles, du programme que je m’étais tracé et dont je vous avais indiqué les grandes lignes dans mes premières allocutions ?

La situation est-elle, d’une façon générale, meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était le 8 février, quand j’ai répondu à l’appel du chef de l’Etat ?

Dieu me garde de m’enorgueillir. Rien n’est pire que l’orgueil : il étouffe la raison et s’oppose à la claire vision des choses.

Mais, sans tirer aucun orgueil de l’œuvre que, mes collaborateurs et moi nous avons accomplie en moins de six mois, il me semble que bien des choses sont, tout de même, en meilleur état qu’elles ne l’étaient au moment où j’ai accepté le pouvoir.

Certes, il reste fort à faire : mais c’est parce que tout ce qu’il y avait à faire dépassait nos possibilités d’action au cours de la brève période pendant laquelle nous avons dû agir.

Certes, dans l’œuvre accomplie, il y a des parties imparfaites et même quelques erreurs. Je m’en suis aperçu et je les ai signalées tout de suite, en prenant l’engagement de revenir sur les malfaçons, au cours des vacances, et de réparer les erreurs commises de bonne foi, notamment en ce qui concerne les retraites. Ces promesses seront tenues.

C’est à peu près tout ce que j’avais à vous dire aujourd’hui, mes chers concitoyens et amis. Mais j’aurai l’occasion de vous parler encore au cours de ces vacances, car je tiens à rester en contact étroit et confiant avec vous.

Me permettez-vous de vous dire encore qu’il me semble vous voir pendant que je vous parle devant le micro, et que j’ai l’impression qu’une communication directe s’établit entre vous et moi ?

Je sais bien que ces conversations déplaisent à quelques-uns. Je sais aussi que la critique et que l’esprit de parti ne perdent pas leurs droits et que ces droits s’exercent parfois amèrement contre moi.

C’est naturel, et je ne songe pas à m’en plaindre, car je ne suis pas un dictateur. J’aime la liberté. Mais je sais aussi que la plupart d’entre vous, se souvenant que je suis un simple citoyen comme eux, et un citoyen dénué de toute ambition et de toute arrière-pensée politique, sont convaincus que je leur dis les choses dans leur intérêt et non dans le mien, telles que je les vois, telles que je les sens, telles que je les comprends.

Je sais enfin que vous êtes convaincus que la passion de la vérité et du bien public m’anime seule au poste où je me suis trouvé placé, pour un temps, par suite d’un concours d’événements et de circonstances que rien ne pouvait me faire prévoir quand j’ai renoncé, volontairement et sans regrets, à la vie politique. C’est pour cela que je crois avoir votre confiance.

De mon côté, j’ai, moi aussi, une pleine confiance en vous, en votre sagesse, en votre raison, en votre amour de la France plus fort que votre amour pour un parti. Vous êtes le pays, le grand pays de France, si sain dans son ensemble, si généreux, si uni quand l’intérêt de la patrie l’exige, et il l’exige en ce moment. Conservez donc votre union. Fortifiez-la même en considérant tout le grand bien qu’elle a pu produire chaque fois qu’elle a existé.

C’est la prière que je vous adresse en terminant. Exaucez-la, mes chers amis, dans votre intérêt plus que dans le mien.