Dictionnaire universel de Furetière/2e éd., 1701/Tome 1a

Texte établi par Henri Basnage de BauvalArnoud et Regnier Leers (1ap. -i).
DICTIONNAIRE

UNIVERSEL,

Contenant generalement tous les

MOTS FRANÇOIS.

tant vieux que modernes, & les

Termes des

SCIENCES ET DES ARTS :

Divisé en trois Tomes.

TOME PREMIER.

A—D
DICTIONNAIRE

UNIVERSEL,

Contenant généralement tous les

MOTS FRANÇOIS

tant vieux que modernes, & les Termes des

SCIENCES ET DES ARTS,

SAVOIR

La Philosophie, Logique & Physiques la Médecine, ou Anatomie, Pathologie, Terapeutique,

Chirurgie, Pharmacopée, Chymie, Botanique, ou l’Histoire naturelle des Plantes,

& celle des Animaux, Minéraux, Métaux & Pierreries, & les

noms des Drogues artificielles :

La Jurisprudence Civile & Canonique, Féodale & Municipale, & sur tout celle

des Ordonnances :

Les Mathématiques, la Géométrie, l’Arithmétique à- l’Algèbre, la Trigonométrie, Géodésie ou,

l’Arpentage ,& les Sections coniques, l’Astronomie, l’Astrologie, la Gnomonique, la Geographie,

la Musique, tant en théorie qu’en pratique, les Inftrumens à vent & à cordes, l’Optìque,

Catoptrique, Dioptrique & Perspective, l’Architecture civile & militaire,

la Pyrotechnie, Tactique & Statique :

Les Arts, la Rhétorique, la Poésie, la Grammaire, la Peinture, Sculpture, &c. la Marine,

le Manège, l’Art de faire des armes, le Blason, la Vénerie, Fauconnerie, la Pêche,

l’Agriculture, ou Maison Rustique, & la plupart des Arts mechaniques :

Plusieurs termes de Relations d’Orient & d’Occident, la qualité des Poids, Mesures & Monnoyes,

les Etymologies des mots, l’invention des choses, & l’Origine de plusieurs Proverbes,

& leur relation à ceux des autres Langues :

Et enfin les noms des Auteurs qui ont traitté des matières qui regardent les mots, expliquez

avec quelques Histoires, Curiositez naturelles, & Sentences morales, qui seront

rapportées pour donner des exemples de phrases 8c de constructions.

Le tout extrait desplus excel/ens Auteurs anciens & modernes.

Recueilli & compilé par feu

Messire ANTOINE FURETIERE,

Abbé de Chalivoi, de l’Academie Françoise.

SECONDE EDITION,

Revuë, corrigée & augmentée par

Monsieur BASNAGE DE BAUVAL.

TOME PREMIER.
A la Haye et a Rotterdam,

Chez ARNOUD ET REINIER LEERS, 1701.

AVEC PRIVILEGE

PREFACE.


Ette seconde Edition n’a pas besoin d’une longue Préface. Il seroit superflu de discourir sur l'utilité d’un Dictionnaire en general, & en particulier sur la nécessité d’un Dictionnaire pour la langue Françoise, qui dans le point de perfection ou elle semble être parvenue, doit désormais être fixe, & ne plus dépendre des bizarreries, & de l’inconstance de l’usage. Le sujet est épuisé par la Préface qui a été mise *[1] à la tête de la première Edition , & par celle dont Mrs. de l’Academie Françoise ont orné leur Dictionnaire ; Il faut donc s’arrêter uniquement à rendre compte des changemens qu’on a apportez à cette nouvelle Impression.

Je dirai d’abord qu’on ne s’est pas borné à quelques fautes, ou à suppléer quelques termes qui étoient échappez à la diligence de Mr. l’Abbé Furetiere. On a retouché, ou refondu presque tous les articles. Il y en a peu qui soient demeurez entiers ; ensorte que si le fond est de lui, à peine pourroit-il reclamer la moitié de tout l’Ouvrage. L’augmentation la plus considérable regarde la politesse, & l’exactitude du langage. Mr. l’Abbé Furetiere, pour ne se trouver point en concurrence avec Mrs. de l’Academie Françoise, n’avoit pas entrepris de décider du bon ou du mauvais Usage des mots, ni de la pureté de la Langue. Ce n’étoit pas là son but principal. Il s’étoit spécialement attaché aux termes des Arts : le reste n’étoit qu’accessoire, & n’étoit pas enfermé dans son plan. Mais cette différence specifique ne subsiste plus. On a cru que pour bien remplir le titre de Dictionnaire universel, il faloit qu’on y pût apprendre à parler poliment, aussi bien, qu’à parler juste, & dans les termes propres à chaque Art.

L’entreprise sans doute eût été téméraire, si l’on n’avoit pas eu l’Academie Françoise pour guide, & pour garent ; & il est vrai aussi que je ne m’ingere point de décider de mon chef sur le choix, & la préférence des mots. C’est une autorité que je n’avois garde de m’arroger. Au contraire on verra que des qu’il y a sujet de douter, j’ai rapporté les opinions de ceux qui ont fait des remarques sur la langue Françoise, ou pour admettre, ou pour rejetter un terme contesté ; & dans le partage de sentimens, l’Academie Françoise est l’autorité suprême à laquelle j’ai toujours déféré. Je présente seulement aux Lecteurs les raisons de balancer de part & d’autre, & c’est à eux à prononcer. Pour moi, si je préfère un terme à l’autre qui est en concurrence, c’est plutôt par la nécessité de choisir, que pour me donner le droit de décider. Mrs. de l’Academie Françoise étoient dispensez de descendre à tous ces détails, parce que leur propre sentiment vaut d’autorité. Mais peut-être aussi que l’on ne sera point fâché de revoir les raisons de douter ; ces sortes de contestations forment, & rafinent le bon goût : ce n’est pas peu de chose que de sçavoir douter par raison. On ne sera pas fâché non plus d’apprendre la naissance des mots, leur destinée, & les révolutions par lesquelles ils ont passé : ce sont des bagatelles, il est vrai, mais Ce sont des bagatelles curieuses, & qu’on est bien aile de trouver chemin faisant. On pourroit traiter de même avec quelque dédain les scrupules, & les raffinemens sur l’élegance, & la beauté du langage. On sçait bien qu’il ne faut pas être trop pointilleux, & qu’on énerve, ou qu’on dessèche le discours à force de le limer, & de le polir. Une régularité trop grammaticale a quelque chose de pedantesque : mais aussi le mauvais choix, ou même la trop grande négligence des expressions, est un défaut beaucoup moins supportable. Il n’y a pas grand honneur à bien sçavoir sa langue, & il y a de la honte à ne la sçavoir pas. Ensorte que si les observations, ou si l’on veut, les minuties de Grammaire dont ce Dictionnaire est rempli, ne sont pas fort essentielles pour parler, quand on ne parle que pour se faire entendre, elles ne sont pas tout-à-fait méprisables pour ceux qui se piquent de parler exactement, poliment, & noblement.

Au reste ce n’est pas un des moindres embarras que j’ai rencontrez, que de marquer précisément la diverse signification des mêmes mots. Elle est quelquefois si délicate, & si fine, qu’on la sent mieux qu’on ne la peut exprimer. C’est en ce cas que j’ai souvent éprouvé ce que St. Augustin a dit de la conscience, Je sçai bien ce que c’est quand on ne me le demande pas, & je ne sçai plus ce que c’est quand on me le demande. En raisonnant trop avec soi-même sur les mots, & en cherchant à en fixer la signification avec trop de justesse, l’esprit se fatigue, le goût s’émousse, & la difficulté s’évanouit. C’est pourquoi l’on ne doit pas exiger là-dessus une derniere précision. D’ailleurs j’ai cité sur les mots communs de la Langue des exemples choisis, & tirez de nos meilleurs Auteurs, ou pour en confirmer l’uíâgc, ou pour en faire mieux sentir le sens> & les différentes expressions. Ce ne font point des exemples vagues, & où le mot en question soit seulement employé pour faire une phrase. Chaque *[2] article est enrichi de pensées fines, de traits délicats, ou de réflexions sensées & judicieuses : ensorte qu’on y trouvera quelquefois l’agreable mêlé à futile, & au sérieux. C’est une richesse qui manquoit au Dictionnaire de Mr. l’Abbé Furetiere, & dont Mrs. de l’Academie Françoise n’ont pas cru avoir besoin. II faut encore ajouter qu’on a pris soin de faire entrer ici les règles de la poésie ou fur les rimes, ou fur la quantité des syllabes. Par exemple les Poëtes ne conviennent pas universellement sur lesrimesener, en ier, en ois &c. On pourra consolter les articles qui concernent ces terminaisons, pour ne pas risquer une rime, ou une mesure suspecte, ou vicieuse.

A l’égard des termes des Arts, & des sciences, on les a ou reformez, ou confrontez, ou ajoutez fur les Auteurs qui en ont traitté ; & du reste l’on a suivi, & amplifié le plan de Mr. l’Abbé Furetiere. On ne s’est pas contenté d’une définition toute seche : car en expliquant les mots, on fait l’histoire des choses qu’ils signifient. S’il s’agit d’une charge, l’on explique quelle en est l’origine, ce qu’elle est aujourd’hui, & quels sont les droits qui y sont attachez : si c’est un terme de Jurisprudence (Civile, ou Canonique) l’on en expose exactement l’usage dans la pratique, & les maximes générales qui s’observent encore, ou qui s’observoient autrefois. On a fait de même pour toutes les sciences ; la Póësie, la Philosophie, la Théologie &c. Chacun peut en choisir des échantillons à son gré, & par rapport à sa curiosité. Je ne mets pourtant pas sur mon compte les articles d’Algèbre. Cette science m’est inconnue. Je ne m’approprie point non plus ce qui regarde la Médecine, l' Anatomie, la Pharmacie, la Chirurgie, & la Botanique. Je n’ai point voulu me fier à moi-même là-dessus. Un habile † homme s’en est chargé. On a presque tout effacé ce que Mr. l’Abbé Furetiere avoit dit sur ces Arts, qui n’étoient point de sa compétence. Enfin mon livre (si j’ai quelque droit de l’appeller ainsi) est beaucoup plus sçavant que moi.

Après tout j’avoue que le Dictionnaire est encore fort éloigné du degré de perfection où il scroit à souhaitter que l’on pût porter un Ouvrage de cette nature. On y trouvera bien des choses à censurer. Il est impossible que l’attention étant partagée sur tant de choses différentes, l’on puisse être toujours exact, & appliqué sur chaque article. Tout n’est pas également travaillé : il y a des articles trop chargez, & d’autres trop stériles. De plus dans le cours de l’impression l’on a quelquefois mal placé, ou transposé les exemples. En inférant de nouvelles observations dans le texte, l’on n’a pas toujours assez pris garde à ce qui precede, & à ce qui suit : on reconnoît la cicatrice, & le discours qui a été rompu est quelquefois mal réuni, & mal rejoint. En un mot les Imprimeurs se sont trompez en bien des endroits à cause du nombre infini d’additions, & de corrections qui les a embarrassez. Je pourrois me deffendre sur la[3] précipitation avec laquelle j’ai été obligé de travailler ; mais cette précipitation n’est tout au plus qu’une excuse, &non pas une raison pour justifier mes fautes. Ainsi bien loin de m’offenser quand on me les fera remarquer, je les corrigerai sans chagrin, & je ferai mon premier censeur à moi-même. J’aurois bien voulu qu’il y eût plus d’uniformité, & que les remarques fussent partagées avec plus d’égalité. Mais comme je n’avois jamais eu en vue de reformer le Dictionnaire de Mr. l’Abbé Furetiere, j’y avois seulement jetté au hazard quelques observations pour mon usage particulier ; & quand je me suis trouvé engagé quasi malgré moi à y mettre la main, j’ai laissé ces morceaux détachez tels qu’ils étoient, parce que je n’ai pas eu le loisir de les distribuer autrement. Je le repete donc encore, je ne pretens point faire mon apologie fur bien dés choses, & je sens par avance que je devrai beaucoup à ceux qui voudront bien m’épargner. C’est proprement de ces sortes d’Ouvrages qu’on peut dire, que les moins défectueux sont les meilleurs, & qu’on doit regarder avec indulgence ce qu’il y a de mauvais, en faveur de ce qu’il y a de bon. On auroit trouvé encor beaucoup plus de desordre, & de confusion, si je n’avois pas été secouru dans une discussion si seche, & si ennuyeuse, & dans un travail si stérile, & si rebutant. J’y ai associé une[4] personne qui a bien étudié la langue, & qui la sçait, non comme on la sçait d’ordinaire, par l’usage seulement ; mais par règle, & par principe. Ses avis m’ont souvent déterminé dans les difficultez, & dans l’embarras du choix, & de l’arrangement.

Je n’ai plus que deux choses à remarquer : l’une regarde l’orthographe. J’ai suivi celle de Mr. l’Abbé Furetiere, qui est aussi celle de Mrs. de l’Academie Françoise. J’ai donc laissé les mots dans le même ordre, & la même disposition. Je me suis contenté d’indiquer qu’on peut préférer une autre orthographe, & supprimer par exemple Ys en beaucoup de mots où elle ne se prononce point, & où elle ne sert qu’à embarrasser les étrangers. J’ai pourtant gardé assez religieusement l’orthographe qui designe, ou qui exprime qu’un mot est dérivé du Grec, ou du Latin. On peut écrire Filosofie au lieu de Philosophie, tans au lieu de temps ; & quelques-uns le font : mais outre que cette orthographe moderne défigure, ou déguise un peu les mots ; & qu’en voulant les accommoder aux oreilles, on les change trop aux yeux ; il me semble qu’on ne doit pas effacer absolument la marque de leur naissance, & de leur origine qu’ils portent avec eux. Je n’ignore pas que bien des gens voudroient qu’on reduisît l’orthographe à la prononciation ; c’est-à-dire qu’on n’écrivît rien qu’on ne prononçât, & qu’on ne prononçât rien qui ne fut écrit : mais ou la raison, ou l’usage s’y opposent encore ; & de plus Mrs. de l’Academie n’ont point autorisé ce changement : Summorum in éloquentiâ virorum judicium pro ratione, & vel error honestus magnos duces sequentibus[5].

La seconde chose que je voulois ajouter, regarde les personnes. Je n’ai loué, & encore moins blâmé aucun Auteur. Je les cite tous également. On dira que c’est assez en louer quelques-uns, que de les mettre indistinctement dans le même rang avec les autres : j’en conviens. Mais je ne puis empêcher qu’on ne fasse valoir ce qu’on voudra cette espèce de louange indirecte. Il suffit que s’agissant d’un Ouvrage qui doit être pour tout le monde, je n’ai aussi eu intention de chagriner personne. J’ai même gardé toutes les mesures d’honnêteté fur les matières de Religion, en donnant à chaque parti les noms honorables qu’il se donne à lui-même ; il n’étoit point question de disputer. C’est pourquoi j’ai retranché tous les termes injurieux dont Mr. l’Abbé Furetiere s’étoit servi, en parlant des Communions qui ne reconnoissent point le Pape pour Chef. Ce zèle fulminant & insultant ne choque pas moins les loix du Christianisme, que celles de la bienséance. On sçait bien que les plus forts peuvent s’emparer des noms & des titres ; mais cela ne donne point raison au fond : Adhuc sub Judice lis est. Je me suis cependant apperçu qu’il en est demeuré quelques-uns. C’est un oubli, & je les désavoue.

Je ne dois pas oublier qu’on a mis à quartier tous les noms propres de personnes, de Royaumes, de Province, de ville, & de secte. Ces articles appartiennent au Dictionnaire Historique de Moreri. Si l’on en rencontre quelques-uns, ils sont d’ordinaire très-négligez, & ils n’y sont que parce qu’ils y étoient dejà.

PREFACE

de la première Edition.

L n'y a jamais eu peut-être de livre qui ait pû se passer plus aisément de Preface que celuy-cy. Car les traverses qu'il a essuyées avant que de voir le jour, ont donné lieu à plusieurs escrits qui l'ont fait connoître dans le monde avec assez d'éclat, & par des traits assez bien circonstanciez, pour n'avoir plus besoin que de se produire luy-même sans aucune sorte d'Avant-propos. Cependant, comme l'on est asseuré que si l'Auteur avoit vécu jusques à cette heure, il auroit mis une Preface à la tête de son Dictionaire, l'on s'est crû obligé à se conformer à son dessein, encore qu'on se voye destitué de tout son projet, & de toutes les remarques qui auroient produit infailliblement entre ses mains un discours tout-à-fait curieux & instructif. Cette privation n'a pû nous reduire à ne pas donner quelque chose à l'intention de l'Auteur, & à la coûtume. Voicy donc une Preface.

Mais que le Lecteur ne s'attende pas à nous voir pousser des lieux communs sur l'utilité des Dictionaires. Le public est assez convaincu qu'il n'y a point de livres qui rendent de plus grands services, ni plus promptement, ni à plus de gens que ceux-là : & si jamais on a pû s'appercevoir de cette favorable disposition du public par les frequentes reimpressions, ou par la multiplicité de cette sorte d'Ouvrages, c'est sur tout en ces dernieres années ; car à peine pourroit-on compter tous les Dictionaires ou reimprimez, ou composez depuis quinze ou vingt ans, dont la plus-part ont été, & sont encore d'un debit extraordinaire. Rien donc ne pourroit être plus superflu, que d'entreprendre icy la preuve si souvent donnée par d'autres de l'utilité de cette sorte de Compilations. Mais cela même nous montre qu'on ne sauroit publier le Dictionaire de Mr. Furetiere sos de plus favorables auspices, puis qu'on le fait pendant que le monde est encore dans le fort de sa passion pour cette espece de livres.

Ce n'est pas qu'on fasse difficulté de declarer, qu'en quelque autre temps qu'il eût pû paroître, on auroit dû se flatter de l'esperance d'un tres-bon accueil. Car c'est un Ouvrage distingué avantageusement par tant d'endroits, qu'il n'y a point de depravation de goût, ou de contre-temps bizarres, contre lesquels il ne semble qu'il pourroit tenir. Comme le public en a pû juger par l'Essay que l'Auteur en distribua à Paris, & qui fut tout aussitôt reimprimé en Hollande, on se croit moins obligé de faire connoître icy au Lecteur l'importance de ce Dictionaire. On suppose avec raison sur le grand cours qu'ont eu ces fragmens & ces pieces detachées, que l'Ouvrage est dêjà si connu & si estimé, qu'il n'a plus besoin de ces favorables preventions, que les Ecrivains ou les Libraires tâchent d'inspirer dans une Preface par des denombremens artificieux, & par certains details qu'ils choisissent, & qu'ils exposent le plus avantageusement qu'il leur est possible.

On ne fera donc pas remarquer au Lecteur, que Mr. L'Abbé Furetiere ayant travaillé long-temps à composer & à polir son Ouvrage, a pû profiter des bonnes & des mauvaises qualitez d'un tres-grand nombre d'Auteurs qui l'ont precedé en ce genre de travail ; & qu'il en a pû profiter d'autant plus considerablement, que lors qu'il avoit le plus à cœur son Dictionaire, il en paroissoit souvent d'autres reveus, corrigez & augmentez : ce qui ne pouvoit manquer de le conduire aux plus justes idées de la perfection d'un tel Ouvrage, tant parce qu’il remarquoit comment on avoit remedié aux defauts des premieres Editions, que parce qu’il apprenoit des Lecteurs les plus éclairez, si on y avoit bien ou mal remedié.

On ne fera point non plus ressouvenir le public, que Mr. Furetiere a inseré dans son I. Factum une Critique sur le Dictionnaire de l’Academie, par laquelle on peut s’appercevoir clairement, qu’il découvroit jusqu’aux plus petits defauts d’exactitude. Or c’est beaucoup, qu’un Auteur se fasse des regles si severes, & en comprenne si vivement toute l’étenduë selon la plus scrupuleuse precision : car si ce n’est pas une marque convaincante qu’il les consulte aussi exactement lors qu’il compose, que lors qu’il censure le travail d’autruy, c’est du moins un prejugé en sa faveur.

On n’avertira point non plus le public, que la secheresse qui accompagne ordinairement les Dictionaires n’est pas à craindre dans celuy-ci. Car outre que la vaste étenduë, & la carriere immense que l’Auteur a choisie pour son dessein, fournit dans chaque page beaucoup de diversité, & ne permet pas que le Lecteur fasse beaucoup de chemin sans apprendre quelque chose qui en vaut la peine ; outre cela, dis-je, on a soin de donner du relief aux definitions par des exemples, par des applications, par des traits d’Histoire ; on indique les sources, on marque souvent les origines & les progrez ; on refute, on prouve, on ramasse cent belles curiositez de l’Histoire naturelle, de la Physique experimentale, & de la pratique des Arts. Ce ne sont pas de simples mots qu’on nous enseigne, mais une infinité de choses, mais les principes, les regles & les fondements des Arts & des Sciences : de sorte qu’au lieu d’amplifier l’idée de son Ouvrage, l’Auteur l’a retressie, quand il a dit en dediant ses essais au Roy, qu’il avoit entrepris l’Encyclopedie de la langue Françoise.

A quoy serviroit de dire, que la vivacité qui a paru dans ses factums, ne doit pas faire soupçonner qu’il ait manqué de la patience & de l’application phlegmatique que son entreprise demandoit ? Car la Republique des Lettres ignore-t-elle, que les François, qui semblent, à n’en juger qu’à veuë de pays, beaucoup plus propres à des études promptement expediées, qu’à celles qui demandent une longue & infatigable application, s’acquitent aussi-bien que, que ce soit du métier de compiler, quand ils s’en mêlent ? C’est ce qu’il seroit aisé de prouver par des exemples de toute nature, si c’en étoit icy le lieu. Mais sans sortir de l’espece dont il est question presentement, d’où sont venus, je vous prie, les Dictionaires de la plus penible recherche, & portez du premier coup le plus prés de la perfection, que d’un Robert Estienne, & de son fils Henry ? Où est le savant parmi les nations les plus fameuses pour l’assiduité au travail, & pour la patience necessaire à copier, & à faire des extraits, qui n’admire là-dessus les talens de Mr. Du Cange, & qui ne l’oppose à tout ce qui peut être venu d’ailleurs en ce genre-là ? Si quelqu’un ne se rend pas à cette consideration generale, on n’a qu’à le renvoyer ad pœnam libri : qu’il feuillete ce Dictionaire & il trouvera, pour peu qu’il soit connoisseur, qu’on n’a pû le composer sans être un des plus laborieux, & des plus patiens hommes du monde.

On ne nie point que l’Auteur n’ait eu des avantages qui ont manqué à ceux qui ont fait les Dictionaires des langues mortes. Car avec moins de travail il a pû savoir au juste toutes les differentes notions des mots, & les proprietez de leurs combinaisons. Chacun se peut convaincre par sa propre experience, qu’il est plus facile d’entendre à demi-mot les diverses significations des paroles en sa langue maternelle, qu’avec beaucoup de meditation le sens que l’on doit donner en mille rencontres aux expressions des Auteurs Latins.

Mais le seul avantage des Dictionaires des langues vivantes par dessus les Dictionaires des langues mortes, n’est pas que dans les premiers on donne plus aisément & plus seurement que dans les autres, la veritable signification des termes, selon toutes leurs combinaisons ; & selon la diversité des matieres où on les employe : voicy encore un avantage tres-important, c’est que les Dictionaires d’une langue morte ne la representent qu’en partie, parce que ceux qui les compilent, ne sauroient où prendre une infinité de mots qui ont aussi proprement appartenu à cette langue, que les mots qui nous en sont encore connus. Car, par exemple, combien y a-t-il de mots Grecs & Latins qui n’ont jamais passé dans les livres ? Combien y en a-t-il qui n’ayant pas été confinez au seul commerce de vive voix, mais ayant eu place dans les escrits de quelque Auteur, n’en sont pas moins perdus pour cela, à cause de la perte totale qu’on a faite de ces escrits ? Il y a tel mot & telle phrase dans les Dictionaires les plus amples, qu’on ne peut justifier que par un seul Auteur, encore se faut-il contenter quelquefois d’un passage unique : d’où il s’ensuit que si nous avions tous les Auteurs, ou tous les escrits de ceux dont il nous reste beaucoup de Traitez, nous y trouverions dequoy amplifier les Dictionaires. Nous voyons tous les jours qu’à mesure qu’on publie des Manuscrits de la basse Latinité, on découvre de nouveaux termes à inserer dans le Glossaire de Mr. Du Cange, lesquels bien souvent n’avoient échappé à ses infatigables recherches, que parce qu’ils n’avoient été employez par aucun Ecrivain connu.

Outre ces raisons l’on peut dire encore, que les mots qui ne sont que tres-peu de fois dans les livres, sont fort sujets à demeurer exclus d’un Dictionaire. Et c’est la raison pourquoy le savant Borrichius a pû ramasser plus de 400. mots de la lettre C, qui avoient échappé aux Compilateurs du Forum Romanum, gens neanmoins qui étoient venus plus d’une fois au secours les uns des autres, marchant successivement sur les mêmes voyes. Le même Borrichius observe judicieusement, que ce qui fait que le Thresor de Henry Estienne, qu’il regarde d’ailleurs comme le meilleur Ouvrage que l’on ait fait en ce genre-là, manque d’une infinité de mots, c’est que l’Auteur n’avoit pas assez feuilleté Aristote, Platon, Xenophon, Demosthene, Thucydide, Euripide, Plutarque, Galien, etc. & qu’il n’avoit pû consulter plusieurs autres livres qui n’ont été publiez que depuis sa mort. Puis donc qu’il est extrement difficile d’assembler tous les mots qui nous restent des langues mortes, & impossible d’ailleurs de retrouver ceux que l’on en a perdus, qui peut-être sont en plus grand nombre que ceux que l’on a encore dans les livres ; il est évident que ces langues-là ne sont representées qu’à demi dans les Dictionaires, & qu’elles y perdent necessairement une infinité d’expressions qui n’étoient bonnes que pour l’entretien familier, & qui appartenoient en propre à certains Arts, ou à certaines fonctions de la vie, sur quoy il ne nous reste aucun Traité particulier. Mais ces obstacles ne regardant point les langues vivantes, il s’ensuit que quand on s’en veut donner la peine avec les talens requis pour cela, on peut faire des Dictionaires qui les representent dans toute leur étenduë.

On ne dit rien d’un grand defaut qui regne pour l’ordinaire dans les Lexicons des langues savantes, & sur tout dans les Dictionaires polyglottes : c’est qu’on y voit bien les rapports d’un mot à un autre mot, mais non pas aussi souvent qu’il le faudroit la definition des choses signifiées par les mots. C'est neanmoins ce qu'il y a de plus necessaire à savoir. Car, que me sert de pouvoir nommer en plusieurs façons une même chose, si je ne suis capable d'en donner une bonne definition ? Que m'importe, par exemple, qu'un niveau ait un tel nom en Latin, en Grec, en Alleman, en cent autres langues differentes, si je ne sais ce que c'est au fond qu'un niveau ? Or voilà principalement à quoy l'on remedie le plus dans les Dictionaires des langues vivantes, & en quoy celuy de Mr. Furetiere sera d'un usage continuel & universel au delà de tout ce qu'on a veu jusques icy. Quiconque voudra profiter de ses travaux, pourra desormais representer chaque sujet par ses veritables caracteres, & selon les termes des plus experts en chaque profession. On ne sera plus reduit, comme le sont tant de gens dans les matieres même les plus communes, à recourir au mot vague de chose, de piece, & à faire des postures de mains & de pieds, (manieres qui passent avec raison pour rustiques) afin d'exprimer la figure, la situation, & l'étenduë de ce dont on parle. Cet Auteur apprend à tout le monde, non seulement la nature des choses par leur matiere, leurs usages, leurs especes, leurs figures, & leurs autres proprietez, mais aussi les termes propres dont il se faut servir pour les décrire. Et en cela il est descendu dans un detail qui surprendra tous ceux qui l'examineront attentivement.

Il seroit à souhaitter qu'un Aristarque ou un Didyme, un Varron ou un Ciceron eussent fait un pareil travail en l'honneur de la langue Grecque & de la langue Latine, en faveur de leur siecle & de toute la posterité. Quels thresors n'y trouveroit-on pas, & quelles sources inepuisables d'éclaircissemens ! Mais il semble que la bonne fortune de la langue Françoise luy ait ménagé cette glorieuse prerogative, d'être la premiere qui ait paru reünie en un corps si vaste & si étendu. Il ne faut pas douter que les autres nations n'imitent un si bel exemple : ce qui fera que par toute l'Europe on accoûtumera les personnes les moins lettrées à parler de tout avec connoissance de cause & avec justesse. Or il est certain que l'utilité d'une semblable coûtume va plus loin que l'on ne pense, & qu'on ne se doit pas borner en mettant ces sortes de Dictionaires entre les mains de tout le monde, à instruire chaque personne dans l'art de definir exactement. C'est un mal peu reel pour la societé civile, que d'ignorer la proprieté de plusieurs termes : mais il n'est point de profession où la justesse d'esprit ne soit d'un usage merveilleux ; & c'est une grande preparation pour l'acquerir, que de s'accoûtumer de bonne heure à parler des choses de son ressort selon les notions qu'un bon Dictionaire en fournit.

Quoy qu'il en soit, il y a quelque sorte de justice dans ce privilege de la langue Françoise, puis qu'on ne sauroit raisonnablement luy contester certaines perfections tres-avantageuses qui ne se trouvent point dans les autres langues. On pourroit peut-être s'exprimer plus fortement ; mais on aime mieux témoigner sa reconnoissance de l'honneur qui luy est fait dans les pays étrangers, que de faire trop de mention de sa beauté. On l'entend ou on la parle dans toutes les Cours de l'Europe ; & il n'est point rare d'y trouver des gens qui parlent François, & qui écrivent en François aussi purement que les François mêmes. Combien y a-t-il de villes, d'ailleurs tres-souvent en guerre avec la France, dans lesquelles non seulment tout ce qu'il y a de distingué dans l'un & dans l'autre sexe parle François, mais aussi plusieurs personnes parmy le peuple ? Veut-on qu'un libelle coure bien le monde ? aussi-tôt on le traduit en François, lors même que l'original en est Latin : tant il est vray que le Latin n'est pas si commun en Europe au- aujourd'huy que la langue Françoise. Ce sera un grand moyen à ce livre-cy de répandre sur plus de nations les lumieres qu'il contient, & d'acquitter cette langue auprés de ceux qui luy rendent tant d'honneur.

Au reste, c'est depuis long-temps qu'elle reçoit des honneurs particuliers. La Capitale de l'Empire Romain, & de l'Eglise Latine, où toutes les autres langues devroient se taire, quand le Latin parle ; Rome, dis-je, observe pourtant cette coûtume dans la publication du Jubilé, que deux Prêtres en lisent la Bulle, l'un en Latin, l'autre en François sur deux chaires differentes dans l'Eglise de S. Pierre du Vatican. Dans le siecle passé Charles-Quint d'ailleurs ennemy mortel de la France, aimoit si fort la langue Françoise, qu'il s'en servit pour haranguer les Estats du Pays-Bas le jour qu'il fit son abdication, & pour écrire les Memoires de sa vie. Ceux qui nous parlent de ses lectures, font principalement mention de Thucydide traduit en François, & de Philippe de Commines. Aprés cela il ne doit pas être surprenant, qu'Henry VIII. Roy d'Angleterre seût si bien le François, qu'il écrivoit ordinairement en cette langue à sa maîtresse Anne de Boulen. On peut bien inserer icy cette particularité concernant ces billets de galanterie, puis que la Bibliotheque du Vatican leur fait l'honneur de les garder parmy ses autres Manuscrits.

On ne croit pas se tromper, si l'on s'imagine que le Lecteur attend icy avec quelque sorte d'impatience, qu'on luy dise un mot touchant le Dictionaire de l'Academie Françoise. On va donc dire, qu'on ne pretend point faire de tort à l'Ouvrage de ce Corps Illustre, en publiant celuy-cy. Ce sont deux Dictionaires de different ordre. Celuy de l'Academie est destiné aux mêmes fins que l'Academie même. Or il est certain que ceux qui l'ont établie n'ont jamais eu d'autre but que de travailler à polir la langue Françoise, & principalement par rapport à des ouvrages d'esprit, tant en vers qu'en prose, à des pieces d'Eloquence, à l'Histoire, etc. & il n'y eut que des ennemis outrez du Cardinal de Richelieu, ou des gens tout-à-fait ridicules, qui s'imaginerent qu'il vouloit se preparer des pretextes pour imposer des taxes sur ceux qui n'observeroient pas les regles du beau langage, à la ruine infaillible des Procureurs, des Notaires, & autres suppôts de la Justice. Sur ce pied-là quel est le but du Dictionaire de l'Academie ? Quel est son caractere essentiel ? C'est de fixer les beaux esprits qui ont un Panegyrique à faire, une piece de Theatre, une Ode, une Traduction, une Histoire, un Traité de Morale, ou tels autres beaux livres ; c'est, dis-je, de les fixer, lors qu'ils ne savent pas bien si un mot est du bel usage, s'il est assez noble dans une telle circonstance, ou si une certaine expression n'a rien de defectueux. Pour se mieux convaincre de cette verité, il suffit de considerer, que ni les Remarques de Vaugelas puisées dans les Conferences de l'Academie, ni celles qui ont paru depuis la mort de Vaugelas sur le même plan, ne regardent que le beau stile, & nullement celuy qu'on appelle du Palais, ou celuy qu'on employe en parlant de Navigation, de Finance, de Commerce, d'Arts liberaux, ou mechaniques, & de telles autres choses. Et en effet, cette Illustre Compagnie peut bien enseigner à ceux qui veulent écrire sur ces matieres, comment il faut debarrasser une periode, & donner à son discours la netteté & la majesté convenables ; mais pour ce qui est des termes propres à chaque Art, pour ce qui est des phrases consacrées dans chaque matiere, c'est à l'Academie, c'est aux Parlemens, c'est même au Conseil d'Etat à les apprendre des Maîtres en chaque profession.

Voilà quelle est la difference specifique du Dictionaire de l'Academie. Tout ce qui ne se rapporte pas à ce but, n'y doit être consideré que comme un accessoire, dont les Lecteurs equitables ne laisseront pas de savoir bon gré; car c'est toûjours un avantage, que de rencontrer en son chemin plus de biens qu'on n'en cherchoit. Mais pour Mr. Furetiere, il ne s'est pas proposé les termes du beau langage, ou du stile à la mode, plus que les autres. Il ne les a fait entrer dans sa Compilation que comme des parties du tout qu'il avoit enfermé dans son dessein. De sorte que le langage commun n'est icy qu'en qualité d'accessoire. C'est dans les termes affectez aux Arts, aux Sciences, & aux professions, que consiste le principal. Outre cela, l'Auteur a declaré publiquement, qu'il ne pretendoit rien à la fonction speciale & essentielle de Messieurs de l'Academie ; Qu'il ne donnoit son Dictionaire que comme provisionnel, & le precurseur de celuy qui viendroit de leur part juger en souverain dans une entiere pureté tous les mots vieux & nouveaux, & interposer son autorité pour les faire valoir ; qu'il leur laissoit leur jurisdiction toute entiere, & qu'il ne pretendoit rien decider sur la langue.

Il est donc certain que l'Ouvrage de ces Messieurs est aussi necessaire que jamais, afin que sur le jugement d'un Corps muni de toute l'autorité qu'on peut raisonnablement souhaitter dans une telle cause, on ait lieu de croire qu'on parle & qu'on écrit bien. Nous faisons des voeux ardens pour l'heureuse naissance de cet Ouvrage, & nous luy souhaittons une meilleure destinée qu'au fameux Dictionaire de l'Academie della Crusca: c'est à dire, que s'il s'élevoit un nouveau Paul Beni qui eût la temerité de luitter tout seul contre l'Academie Françoise, nous souhaittons que le public le châtiât de son audace, & fist tellement éclater son indignation, que personne n'osast faire comme le Tomasini, qui attribuë l'honneur du triomphe à Paul Beni dans ce combat si inégal. Et quant à ceux qui ne cessent de faire des plaintes malignes sur la lenteur, on les renvoye à la réponse de Zeuxis, ce Peintre si renommé & si admirable. Je suis long-temps à faire un tableau, répondit-il à un autre qui se vantoit de sa promptitude, parce que je peins pour l'éternité.

La remarque qu'on a faite sur ce qui distingue le Dictionaire de l'Academie d'avec celuy-cy, fait juger que cette celebre Compagnie pouvant mieux examiner les choses aprés l'impression de ce livre, & aprés la mort de l'Auteur, aura l'equité de faire cesser ses poursuites contre un Ouvrage qui fait tant d'honneur à la langue Françoise, & où l'on peut apprendre si aisément tant de choses. Et bien loin qu'elle doive perseverer dans le premier esprit, sous pretexte que ses richesses auroient été répanduës dans le Dictionaire Universel, ce devroit être plûtôt une raison d'aimer ce livre : car plus il contiendroit de cette sorte de thresors, plus on s'aimeroit soy-même en l'aimant. D'ailleurs, il faut avoir assez de bonne opinion du public, pour attendre qu'il jugera que l'honneur qu'a eu Mr. Furetiere d'être long-temps membre de l'Academie, luy a fait acquerir les lumieres dont il a eu besoin dans sa vaste Compilation : & ainsi la gloire n'en reviendra-t-elle pas à l'Academie comme à la cause originale ? N'a t-on pas lieu de dire qu'elle est la cause ou immediate, ou mediate de toute la politesse du François, & qu'elle a rempli les esperances de son Fondateur le grand Cardinal de Richelieu, qui representa au Roy son Maître, que pour reparer la negligence de ceux qui auroient pû rendre la langue Françoise la plus parfaite des modernes, & pour la rendre en effet non seulement elegante, mais capable de traiter tous les Arts & toutes les Sciences, il n'étoit besoin que d'établir cette Academie ?

On ne disconvient pas, que l'Auteur en protestant qu'il respectoit l'Academie Françoise autant qu'il étoit possible, n'ait écrit contre quelques membres de ce Corps avec trop d'emportement, & que le chagrin de se voir frustré du fruit de tant de veilles, n'ait donné un trop grand essor à ces imperieuses passions, que la malheureuse qualité d'Auteur a coûtume de produire, dans les ames mêmes qui connoissent le mieux l'esprit de moderation à quoy l'étude des belles Lettres & la Religion nous engagent. Il a poussé, on l'avoue, l'esprit de satyre au delà de ses justes bornes, ultra moderamen inculpatae tutelae, contre des Academiciens recommendables par un merite distingué. Mais enfin, puis qu'il est mort avec les regrets convenables, ne faut-il pas que ces Messieurs en demeurent là ; & voudroient-ils venger sur un livre les injures de son Auteur enterré ? Voicy deux mots pour cet Auteur, en attendant que quelqu'un de ses amis luy dresse un Eloge Historique dans les formes.

Messire Antoine Furetiere naquit à Paris l'année 1620. Il fit ses études avec succez, & se rendit habile en Droit Civil & en Droit Canon. Aprés avoir été reçû Advocat au Parlement, il fut pourveu de la charge de Procureur Fiscal de la Justice de l'Abbaye de St. Germain des Prez. Il passa en suite dans l'Estat Ecclesiastique, & fut gratifié de l'Abbaye de Chalivoy au Diocese de Bourges, & du Prieuré de Chuines. Il fu reçû à l'Academie Françoise le 15. May 1662. La Nouvelle Allegorique qu'il fit imprimer en 1658. sur l'Eloquence du temps, est toute pleine de railleries ingenieuses & savantes. Il a publié divers autres Ouvrages tant en vers qu'en prose, où il a montré qu'il avoit beaucoup de talens pour cette espece de Morale qui cherche à nous guerir du vice en le tournant en ridicule. C'est dans cet esprit qu'il composa le Roman Bourgeois, imprimé à Paris en 1666. où il se mocque de plusieurs defauts qui ne sont que trop communs dans le monde ; & en particulier il y raille d'une maniere fort plaisante les Auteurs d'Epîtres Dedicatoires. Le Voyage de Mercure, & un Recueil de Poësies diverses qu'il avoit dêjà publiez, parmy lesquelles il y a quelques Satyres & quelques Epîtres, sont à peu prés de ce même caractere, & ces pieces eurent beaucoup de debit dans leur nouveauté. Il n'en fut pas de même des Fables en vers, qu'il publia quelque temps aprés que celles d'Esope traduites par Mr. de la Fontaine eurent paru : & c'est peut-être ce qui a commencé la mesintelligence de ces deux Auteurs. Mais il est aisé de connoître par l'importance de ce Dictionaire Universel, que Mr. Furetiere ne regardoit ces autres Ouvrages que comme des amusements de jeunesse, ou de simples delassements d'esprit, & qu'il reservoit toutes ses forces pour celuy-cy. Il n'a pas eu la satisfaction de le voir imprimé, étant mort le 14. May 1688. Grand exemple de la vanité des occupations des Savans. Ceux qui travaillent aux escrits les plus durables, qui d'un côté demandent une plus longue application, & produisent de l'autre une plus glorieuse immortalité, meurent le plus souvent, sans que personne les ait pû ou remercier, ou loüer de leur peine ; & puis les voilà dans l'état dont parle le saint homme Job : Ses enfants seront avancez, & il n'en saura rien. Vanitas vanitum, & omnia vanitas.

Pour conclusion on avertit le public, qu'on est bien éloigné de croire qu'il ne manque rien à cet Ouvrage. Un Dictionaire est un de ces livres qui peuvent être ameliorez à l'inifini ; & quoy qu'on ne les gâte que trop souvent dans les dernieres Editions, il faut pourtant convenir, qu'en general la premiere n'est qu'une ébauche en comparaison de celles qui la suivent, comme il est aisé de s'en convaincre en comparant le Catholicon de Joannes de Janua fagoté des reccueils de Papias & de ceux d'Ugotion, avec celuy d'Ascensius Badius ; & en comparant la Cornucopia de Nicolas Perottus, avec le Calepin d'aujourd'huy, quelque defectueux qu'il soit encore. En disant cela, on ne veut pas dire qu'un coup d'essay tel que celuy-cy fait dans un siecle si savant, & limé plusieurs années, ne surpasse les dernieres Editions de plusieurs autres Dictionaires. On veut seulement avoüer, qu'il peut devenir meilleur : & c'est pourquoy le Sieur Reinier Leers, à qui le public est redevable de l'impression de ce livre, prie ceux qui y trouveront quelque chose ou à corriger, ou à ajoûter, de le luy faire tenir, afin que si le debit des Exemplaires le fait songer à une nouvelle Edition, elle puisse être plus parfaite, que par le soin que prendront des personnes intelligentes de mettre chaque chose à sa place, & de luy fournir leurs observations particulieres : de quoy ils luy ont dêjà donné leur parole. Ceux qui souhaitteront qu'on leur fasse honneur des Avis & des Memoires qu'on tiendra d'eux, seront servis selon leur envie.

On a lieu d'esperer que cette priere ayant son effet à l'égard de quantité de Lecteurs habiles, & affectionnez au bien public, & à l'honneur de leur langue, l'on pourra avec le temps faire porter à ce Dictionaire le titre d'Universel en toute rigueur. Il faudroit pour cela y enfermer tous les mots qui étoient en usage du temps de Ville-Hardoüin, de Froissard, de Montrelet, du Sire de JoinVille, & de nos vieux Romanciers. Mais peut-être seroit-il plus à propos d'en faire un Volume à part, que l'on intituleroit l'Archeologue, ou le Glossaire de la langue Françoise. Un pareil Volume, s'il étoit entrepris par des gens aussi doctes que Mr. Du Cange, pourroit devenir un Ouvrage tres-curieux, & tres-fecond en mille sortes d'éclaircissemens. On y pourroit inserer l'Histoire des mots, c'est à dire, le temps de leur regne, & celuy de leur decadence, avec les changements de leur signification. Il faudroit observer à l'égard de ces vieux termes ce qu'on pratique dans les Dictionaires des langues mortes, c'est de cotter les passages de quelque Auteur qui les auroit employez, On ne feroit pas mal non plus de se répandre sur les Ouvrages des anciens Poëtes Provençaux ; & rien ne serviroit plus à perfectionner la science etymologique, qu'une recherche exacte des mots particuliers aux diverses Provinces du Royaume ; car on connoîtroit par là l'infinie diversité de terminaisons & d'alterations de syllabes, que souffrent les mots tirez de la même source ; ce qui donneroit une nouvelle confirmation, & plus d'extension aux principes de cet art, & justifieroit plusieurs conjectures qui ont servi de sujet de raillerie à quelques mauvais plaisans. Ceux qui auront lû les Antiquitez Gauloises & Françoises du Sieur Pierre Borel Medecin de Castres, imprimées à Paris l'an 1655. & citées quelquefois par Mr. Furetiere, conviendront de ce que l'on vient de dire. Car cet Auteur s'est servi utilement plus d'une fois de la langue de son pays, pour expliquer le sens & l'origine des vieux termes. Mais combien de choses a-t-il laissé à faire à ceux qui voudront marcher aprés luy ? C'est donc un fort beau dessein que celuy d'un Archeologue ou d'un Glossaire de nôtre langue.

TABLE ALPHABETIQUE

des noms des Auteurs citez par abréviation.


A. A.
Ab. ou Aba. Mr. Abadie.
Abl. Mr. d’Ablancourt.
L’Ac. ou Mrs. de l’Ac. Messrs. de l’Academie Françoise.
Amel. Mr. Amelot de la Houssaye.
De l’Am. Traité de l’Amitié.
Arn. Mr. Arnaud.
Art de P. Art de Prêcher.
B. B.
Bal. Mr. de Balzac.
C. Bauh. C. Bauhin.
Bay. Mr. Bayle.
Bell. Mr. de Bellegarde.
Ben. Mr. Benoist.
Bens Mr. de Benserade.
Bern. Mr. Bernier.
Bert. Bertaud.
Bi. Mr. Bizot.
Le Bl. Mr. le Blanc.
Bl. Mr. Blondel.
Boi. Mr. Boileau des Préaux
Bois-R. Mr. de Bois-Robert.
Bor. Borelli.
Le P. le B. Le Pere le Bossu.
Bou. Le P. Bouhours.
Bourd. Le P. Bourdalouë.
Breb. Mr. de Brebeuf.
La Br. Mr. de la Bruyère.
B. Rab. Mr. de Bussì-Rabutin.
C. C.
Cail. Mr. de Cailleres.
Cap. Mr. Capistron.
Cer. Cerify Habert.
Ch. Mr. de la Chapelle.
Charl. Mr. de Charleval.
Charp. Mr. Charpentier.
Cl. Mr. Claude.
Le Cl. Mr. lc Clerc.
La P. de Cl. La Princesse de Cleves.
Con. Mr. Conrard.
Corn. Mrs. Corneille.
Cos. Mr. Costar.
Cour; Mr. Courtin.


D. D.
Dac. Mr. Dacier.
Dan. Mr. l’Abbé Danet.
Le P. Dan. Le P. Daniel.
Disc. d’El. Disoours d’Eloquence.
Div. cur. Diversitez Curieuses.
E. E.
M. Esp. Mr. Esprit.
F. F.
Fel. Mr. Felibien.
Fen. Mr. de Fenelón Arch. de Cambrai.
Fev. Fevret.
Fl. Mr. Flechier. Evêque de Nîmes.
La Fon. Mr. de la Fontaine.
Font. Mr. de Fontenelle.
G. G.
Le P. Gail. Le Père Gaillard.
Gill. Mr. Gillet.
God. Mr. de Godeau Evêque de Vence.
Gom. Gomberville.
Gon. Gonbaut.
Gram. rai. Grammaire raisonnée.
Gro. Grotius.
Guill. Mr. de la Guilletiere.
H. H.
Le Ch. d’H. Lettres du Chevalier d’Her ...
H. S . de M. Henriete Silvie de Moliere.
Des-H. Me. Des-Houlieres.
Huy. Mr. Huygens.
I. I.
Jaq. Mr. Jaquelot.
Hist. de l’Inq. Histoire de l’inquisition.
Le P. J. Le Pere Joubert.
Ju. Mr. Jurieu.

L. L.

De Lar. Mr. de Larrey.

L. d’Ab. Lettre d’Abelard.

Let. P. Lettres Portugaises.

Log. La Logique.

Long. Mr. de Longepierre.

Loy. Loyseau.

M. M.

Le Mai. Mr. le Maître.

Mai. Mainard.

Maleb. Le Père Malebranche.

Malh. Malherbe.

Mar. Marot.

Mauc. Mr. de Maucroix.

M. de M. Mr. l’Evêq. de Meaux.

Men. Mr. Ménage.

Mez. Mezerai.

Mol. Molière.

Ab. de M. Abbé de Montmorel.

Mont. Montagne.

N. N.

Nic. Mr. Nicole.

O. O.

Oe. M. Oeuvres mêlées.

Le P. d’Or. Le Pere d’Orléans.

Oz. Ozanam.

P. P.

Pasc. Mr. Pascal.

Pasq. Pasquier.

Pa. Mr. Patru.

Pel. Mr. Pelisson.

Per. Mr. Perrault.

M.de P. Morale de Mr. Pitet.

P. Com. Pieces Comiques.

La Pl. Mr. la Placette.

Port-R. Mrs. de Port-Royal.

Q. Q.

Quin. Quinaut.


R. R.

Rac. Mr. Racine.

Le P.R. Le Pere Rapin.

Refl. Réflexions sur la langue Françoise.

Ab. Reg. L’Abbé Régnier.

Regn. Régnier.

De la Roch. Mr. de la Rochefoucaut.

Roh. Rohault.

Ron. Ronsard.

S. S.

Sa. Mr. de Sacy.

La Sabl. Mr. de la Sablière.

Saln. Salnove.

Sar. Mr. Sarasin.

Scar. Scarron.

M. Sc. Mlle, de Scuderi.

M.de S. Me. de Sevigni.

S. Di. Mr. de Saint Didier.

St. Ev. Mr. de St. Evremont.

S, Ge. St. Gelais.

Seg. Mr. de Segrais.

T. T.

M.L.T. L’Abbé Tallement.

Theoph. Théophile.

Till. Mr. de Tillemont.

Tour. Mr. de Tourreil.

V. V.

Val. Mr. de Vallemont.

Var. Mr. Varillas.

Vau. Mr. de Vaugelas.

La M. le V. Mr. de la Mothe le Vayer.

Ab. de V. L’Abbé de Vertot.

Vill. Me. de Villedieu.

De Vill. L’Abbé de Villiers.

Voi. Mr. de Voiture.

W. W.

Wicq. Mr. de Wicquefort.

PRIVILEGIE



DE STATEN van Holland ende West-Vriesland doen te weten : Alzoo Ons vertoont is bij Arnous Leers, Boekverkooper in den Hage, ende Reinier Leers, Boekverkooper tot Rotterdam, dat zij Suppliant en met zeer groote kosten gedrukt hebben, Le Dictionnaire Universel, contenant généralement tous les mots François tant vieux que modernes, & les Termes des Sciences & des Arts, recueilli & compilé par Messire Antoine Furetiere, Abbé de Chalivoi, de l’Academie Françoise, in drie volumen, in folio, ’t welk zij beducht waren dat lichtelijk hier te Lande, tot hare groote schade en nadeel, zoude werden nagedrukt : zoo keerden zij Supplianten haar in alle respect tot Ons, biddende dat het Ons geliefde, haar Supplianten te begunfligen met een speciaal Octroi ofte Privilegie, by’t welke aan haar Supplianten, hare Erven ofte actie verkrijgendé, met seclusie van allen anderen, wierde vergunt om’t voornoemde Dictionnaire Universel, geduurende den tijd van vijstien eerstkomende jaren, te mogen drukken, doen drukken ende verkoopen, in zoodanigen grootte en formaat, ende met zoodanigen letter ais zij Supplianten, hare Erven oste actie verkrijgende, zouden goedvinden ; ende dat niemant’t zelve Boek, in V geheel ofte ten deele, in ’t groot ofte klein, ofte in eenigerhande manière binnen Onzen Lande van Ho 11and en WefîVriestand zoude mogen nadrukken, doen nadrukken ofte verkoopen, ofte elders nagedrukt zijnde bimien den zelven Onzen Lande te brengen, te verkoopen ofte verreuilen, op zekere groote pane daar tegens te statueeren : ZOO IS’T, Dat Wij de zake ende’t verzoek voorfz. overgemerkt hebbende, ende genegen wezende ter bede van de Supplianten, uit Onze rechte Wetenschap, Souveraine Macht ende Authoriteit, den Supplianten geconfinteert, geaccordeert endegeoBroyeert hebben, confinseeren, accordeeren endeoBroyeeren mit s dezen, dat zij, hare Erven ofte actie verkrijgendé, geduurende den tijd van vijftien eerstkomende jaren, het voorfi. Boek binnen den voorfz. Onzen Lande alleenzullen mogen drukken, doen drukken ende verkoopen, in zoodanigen grootte en formaat, en metzoodanigen lesterais zij Supplianten, hare Erven ofte aBie verkrijgendé zullen goedvinden. Verbiedende daarom alleu ende een ijgelijken het zelve Boek, in’t geheel ofte ten deele, in’t groot ofte klein, ofte in eenigerhande manière na te drukken, doen nadrukken ofte verkoopen, ofteelders nagedrukt zijnde, binnen den zelven Onzen Lande te brengen, te verkoopen ofteverreuilen, opverbeurtevanalledenagedrukte, ingebragte ofte verkochte Exemplaren, ende een boete van drie honderd guldens daar en boven te verbeuren, te appliceeren een derde part voorden Officier die de calangedoen zal, een derde part voorden Armen der plaatfè daar het cafius voorvalien zal, ende het refleerende derde part voor de Supplianten. Ailes met dien verftande, dat Wij de Supplianten met dezen Onzen OBroye al/een willende gratificeeren, tot verhoedinge van hare fihade daar het nadrukken van’t voorfz. Boek, daar door in geenigen deele verflaan den inhoude van dien te authoriseeren ofte te advoúeeren, ende veel min het zelve onder Onze protectie ende beschermìnge eenig meerder crédit, aanzien ofte reputatietegeven, nemaar de Supplianten, in cas daar in iets onbehoorlijks quame te influeeren, alle’t zelve tot haren laste zullen gehouden wezen te verantwoorden. Tot dien einde welexpreffe/ijk begeerende, datbyaldien zy dezen Onzen OBroye voor het zelve Boek zullen willen stellen, daar van geene geabbrevieerde ofte gecontraheerde menue zullen mogen maken, nemaar gehouden zullen wezen, het zelve OBroy in’t geheel ende zonder eenige omissìe daar voor te drukken ofte te doen drukken ; ende dat zy gehottden zullen ziju een Exemplaar van het voorfz. Bock, gebonden ende wel geconditioneert, te brengen in de Bibliotheek van Onze Universiteit tot Leiden, ende daar vau bchoorlijk te doen blijken, ailes op pane vau het effect vau dien te verliezeu. Ende ten einde de Supplianten dezen Onzen Consente ende OBroye mogen genieten aisnabehooren, lastenWijallen ende een ijgelijken die’t aangaanmag, dat zy de Supplianten van den inhoudvan dezen doen ende laten, gedoogeu, rustelijk, vredelijk, ende volkomentlijk genieten endegebruiken, cesteerende aile belet ter contrarie. Gedaanin den Hage, onder Onzen grooten Zegelehier aan doen hangen, den acbtentivintigflcn October, in ’t jaar onzes Heeren ende Zaligmakers duizend zes honderd negenentachtig.

Was onderteelcend,
ANTH. HEINSIUS, vt.
Ter Ordonnantie van de Staten,
SIMON VAN BEAUMONT.

DICTIONNAIRE

UNIVERSEL.

Contenant généralement tous les

MOTS FRANÇOIS

tant vieux que modernes, & les

Termes des

SCIENCES ET DES ARTS.

A.


A. Premiere lettre de l’Alphabet François, & de toutes les autres Langues. Elle tient le même rang dans toutes les langues connües, excepté la langue Ethyopique. Dans les langues orientales elle n’est point une voyelle. C’est une consonne muette. Chez les Occidentaux cette lettre prend son nom de l’expression du son qu’elle qu’elle forme en la prononçant. Chez les Grecs on la nomme Alpha ; chez les Hebreux Aleph ; chez les Arabes Aliph ; & chez les Indiens Alephu. C’est la plus ouverte de toutes les voyelles; la plus sìmple , & la plus facile à prononcer. C’est aussi le premier son articulé que la Nature pousse ; le premier cri & le begayement des enfans. Il se prononce quelquefois long, & quelquefois bref. Il y a des règles pour cela ; mais sans s’embarrasser de ces regles, on jugera qu’il est long, quand il sera marqué d’un circonflexe, & bref quand il n’aura pas cet accent ; car ceux qui écrivent exactement, ne manquent jamais d’observer cette différence.

Cette lettre A étoit aussi chez les Anciens une lettre numérale qui signifioit 500, comme on voit dans Valerius Probus. Il y a des vers anciens rapportez par Baronius, qui marquent les lettres significatives des nombres, dont le premier est :

Possidet A numéros quingentos ordine recto.

Quand on mettoit un titre ou une ligne droite au dessus de l'A , il signifioit cinq mille. Les Romains l'appelloient lettre salutaire, parcequ’on s’en servoit pour déclarer l’accusé innocent. A vouloit dire absolvo, je l’absous.

Cette lettre a diverses significations. Cependant il en faut éviter la rencontre trop fréquente dans une meme période. Quelquefois cette répétition rend le discours rude & moins agréable.

C’est quelquefois un substantif masculin. Cet A est mal formé. On dit par une façon de parler proverbiale, Il n’a pas fait une panse d’a, pour dire, il n’a rien fait du tout. On dit aussi dans la conversation familière, Il ne sçait ni A ni B, pour exprimer un ignorant.

Ci-dessous gît Mr. l'Abbé,
Qui ne sçavoit ni A ni B. Men.

C’est aussi la troisieme personne du verbe auxiliaire avoir. Il


a fait de l’éclat mal à-propos. L’imagination du Poëte n'a pu vous peindre si belle que vous êtes. Vos. La vérité qui a des bornes, a dit pour vous tout ce que le mensonge qui n’en connoît point, a inventé pour les autres. Oe. M. Dans cette signification l’on n’y met point d’accent ; ni quand il est precedé de la particule y ; car alors il a la force du verbe substantif être. Il y a un Dieu. Par tout ailleurs on le marque d’un accent grave.

Cette lettre exprime presque tous les mouvemens de l’ame ; & pour rendre i’expression plus forte, on y ajoute une h devant ou après, comme dans l’admiration : Ha le beau tableau ! Dans la joye : Ha quel plaisir ! Dans l’indignation : Ha le scélérat ! Dans la douleur : Ha la tête ! Quand on se sent affoiblir : Ha je me meurs ! Dans la contestation : Ah ! Monsieur, pour ce vers je vous demande grâce. Bos. Dans l'étonnement : Ah perfide !

A est souvent un article pour décliner les noms propres seulement, & pour en marquer le datif. Ce livre est à Pierre ; cet éventail est à Agnès. Quand il sert à décliner des noms ordinaires qui commencent par une consonne, on dit au pour les masculins, à la pour les féminins : Au soleil, à la lune. Mais s’ils commencent par des voyelles, on dit à l' par contraction, de quelque genre que soient ces noms : A l’époux, à l’épouse ; au lieu de à le époux, à la épouse, parce que la langue Françoise ne peut souffrir cette rencontre de voyelles. Pour les datifs pluriels, on dit aux en tout genre, par quelque lettre que les noms commencent. Aux époux, Aux Césars.

A sert à marquer 1. la situation : A droit, à gauche : être bien à cheval. 2. La posture & le geste : A genoux, À bras ouverts. j. La distance : A vingt lieuës de là. 4. La qualité : De l’or à tant de carats. 5. Le prix : A dix écus. 6 . La quantité : L’eau est à la hauteur d’une toise. 7. La manière : Il est habillé à l’Espagnole. Il faut dire à coups de trait, à coups de canon : & non pas à coups de traits , & à coups de canons. Men. 8. La fin : Les fraudes à bonne intention ne manquent point d’approbateurs parmi les dévots, Port-R.

A signifie successivement : Pas à pas. Il se sent mourir peu à peu. Il signifie avec : Je l’abandonne à regret. Les douleurs à grand bruit sont d’ordinaire suspectes

  1. Après la mort de Mr. l'abbé Furetiere.
  2. Ou la plupart.
  3. On imprimait à mesure qu’on composoit.
  4. Mr. Huët, Min. Ref.
  5. Quintillien.