Dictionnaire universel de Furetière/1re éd., 1690/Tome 1a

DICTIONAIRE
UNIVERSEL,
Contenant generalement tous les
MOTS FRANÇOIS.
tant vieux que modernes, & les
Termes de toutes les
SCIENCES ET DES ARTS :
Divisé en trois Tomes.
TOME PREMIER.
A - E.
DICTIONAIRE
UNIVERSEL,
Contenant généralement tous les
MOTS FRANÇOIS
tant vieux que modernes, & les termes de toutes les
SCIENCES ET DES ARTS
sçavoir
La Philosophie, Logique & Physique ; la Medecine ou Anatomie ; Pathologie ; Terapeutique,
Chirurgie, Pharmacopée, Chymie, Botanique ; ou l’Hiſtoire naturelle des Plantes,
& celle des Animaux, Mineraux, Metaux & Pierreries, & les
noms des Drogues artificielles.
La juriſprudence Civile Canonique, Feodale & Municipale & ſurtout celle
des Ordonnances ;
Les Mathematiques, la Geometrie, l’Arithmetique, & l’Algebre ; La Trigonometrie, Geodeſie,
ou l’Arpentage, les Sections coniques ; L’Aſtronomie, l’Aſtrologie, la Gnomonique, la Geographie ;
La Muſique, tant en theorie qu’en pratique, les Inſtrumens à vent & à cordes ; L’Optique,
Catoptrique, Dioptrique, & Perſpective ; L’Architecture civile & militaire,
la Pyrotechnie, Tactique, & Statique ;
Les Arts, la Rhetorique, la Poësie la Grammaire, la Peinture, Sculpture, &c. La Marine,
le Manége, l’Art de faire des armes, le Blason, la Venerie, Fauconnerie, la Pesche,
l’Agriculture, ou Maiſon Ruſtique, & la plus-part des Arts mechaniques ;
Pluſieurs termes de Relations d’Orient & d’Occident, la qualité des Poids, mesures & monnoyes ;
Les Etymologies des mots, l’invention des choſes, & l’Origine de pluſieurs Proverbes,
& leur relation à ceux des autres Langues ;
Et enfin les noms des Auteurs qui ont traité des matieres qui regardent les mots, expliquez
avec quelques Histoires, Curioſitez naturelles, & Sentences morales qui seront
rapportées pour donnez des exemples de phraſes & de constructions.
Le tout extrait des plus excellens Auteurs anciens & modernes.
Recueilli et compilé par feu


Messire ANTOINE FURETIERE,


Abbé de Chalivoy, de l’Academie Françoiſe.


TOME PREMIER.


PREFACE.


L n'y a jamais eu peut-être de livre qui ait pû se passer plus aisément de Preface que celuy-cy. Car les traverses qu'il a essuyées avant que de voir le jour, ont donné lieu à plusieurs escrits qui l'ont fait connoître dans le monde avec assez d'éclat, & par des traits assez bien circonstanciez, pour n'avoir plus besoin que de se produire luy-même sans aucune sorte d'Avant-propos. Cependant, comme l'on est asseuré que si l'Auteur avoit vécu jusques à cette heure, il auroit mis une Preface à la tête de son Dictionaire, l'on s'est crû obligé à se conformer à son dessein, encore qu'on se voye destitué de tout son projet, & de toutes les remarques qui auroient produit infailliblement entre ses mains un discours tout-à-fait curieux & instructif. Cette privation n'a pû nous reduire à ne pas donner quelque chose à l'intention de l'Auteur, & à la coûtume. Voicy donc une Preface.

Mais que le Lecteur ne s'attende pas à nous voir pousser des lieux communs sur l'utilité des Dictionaires. Le public est assez convaincu qu'il n'y a point de livres qui rendent de plus grands services, ni plus promptement, ni à plus de gens que ceux-là : & si jamais on a pû s'appercevoir de cette favorable disposition du public par les frequentes reimpressions, ou par la multiplicité de cette sorte d'Ouvrages, c'est sur tout en ces dernieres années ; car à peine pourroit-on compter tous les Dictionaires ou reimprimez, ou composez depuis quinze ou vingt ans, dont la plus-part ont été, & sont encore d'un debit extraordinaire. Rien donc ne pourroit être plus superflu, que d'entreprendre icy la preuve si souvent donnée par d'autres de l'utilité de cette sorte de Compilations. Mais cela même nous montre qu'on ne sauroit publier le Dictionaire de Mr. Furetiere sous de plus favorables auspices, puis qu'on le fait pendant que le monde est encore dans le fort de sa passion pour cette espece de livres.

Ce n'est pas qu'on fasse difficulté de declarer, qu'en quelque autre temps qu'il eût pû paroître, on auroit dû se flatter de l'esperance d'un tres-bon accueil. Car c'est un Ouvrage distingué avantageusement par tant d'endroits, qu'il n'y a point de depravation de goût, ou de contre-temps bizarres, contre lesquels il ne semble qu'il pourroit tenir. Comme le public en a pû juger par l'Essay que l'Auteur en distribua à Paris, & qui fut tout aussitôt reimprimé en Hollande, on se croit moins obligé de faire connoître icy au Lecteur l'importance de ce Dictionaire. On suppose avec raison sur le grand cours qu'ont eu ces fragmens & ces pieces detachées, que l'Ouvrage est dêjà si connu & si estimé, qu'il n'a plus besoin de ces favorables preventions, que les Ecrivains ou les Libraires tâchent d'inspirer dans une Preface par des denombremens artificieux, & par certains details qu'ils choisissent, & qu'ils exposent le plus avantageusement qu'il leur est possible.

On ne fera donc pas remarquer au Lecteur, que Mr. L'Abbé Furetiere ayant travaillé long-temps à composer & à polir son Ouvrage, a pû profiter des bonnes & des mauvaises qualitez d'un tres-grand nombre d'Auteurs qui l'ont precedé en ce genre de travail ; & qu'il en a pû profiter d'autant plus considerablement, que lors qu'il avoit le plus à cœur son Dictionaire, il en paroissoit souvent d'autres reveus, corrigez & augmentez : ce qui ne pouvoit manquer de le conduire aux plus justes idées de la perfection d'un tel Ouvrage, tant parce qu'il remarquoit comment on avoit remedié aux defauts des premieres Editions, que parce qu'il apprenoit des Lecteurs les plus éclairez, si on y avoit bien ou mal remedié.

On ne fera point non plus ressouvenir le public, que Mr. Furetiere a inseré dans son I. Factum une Critique sur le Dictionnaire de l'Academie, par laquelle on peut s'appercevoir clairement, qu'il découvroit jusqu'aux plus petits defauts d'exactitude. Or c'est beaucoup, qu'un Auteur se fasse des regles si severes, & en comprenne si vivement toute l'étenduë selon la plus scrupuleuse precision : car si ce n'est pas une marque convaincante qu'il les consulte aussi exactement lors qu'il compose, que lors qu'il censure le travail d'autruy, c'est du moins un prejugé en sa faveur.

On n'avertira point non plus le public, que la secheresse qui accompagne ordinairement les Dictionaires n'est pas à craindre dans celuy-ci. Car outre que la vaste étenduë, & la carriere immense que l'Auteur a choisie pour son dessein, fournit dans chaque page beaucoup de diversité, & ne permet pas que le Lecteur fasse beaucoup de chemin sans apprendre quelque chose qui en vaut la peine ; outre cela, dis-je, on a soin de donner du relief aux definitions par des exemples, par des applications, par des traits d'Histoire ; on indique les sources, on marque souvent les origines & les progrez ; on refute, on prouve, on ramasse cent belles curiositez de l'Histoire naturelle, de la Physique experimentale, & de la pratique des Arts. Ce ne sont pas de simples mots qu'on nous enseigne, mais une infinité de choses, mais les principes, les regles & les fondements des Arts & des Sciences : de sorte qu'au lieu d'amplifier l'idée de son Ouvrage, l’Auteur l’a retressie, quand il a dit en dediant ses essais au Roy, qu’il avoit entrepris l’Encyclopedie de la langue Françoise.

À quoy serviroit de dire, que la vivacité qui a paru dans ses factums, ne doit pas faire soupçonner qu’il ait manqué de la patience & de l’application phlegmatique que son entreprise demandoit ? Car la Republique des Lettres ignore-t-elle, que les François, qui semblent, à n’en juger qu’à veuë de pays, beaucoup plus propres à des études promptement expediées, qu’à celles qui demandent une longue & infatigable application, s’acquitent aussi-bien que, que ce soit du métier de compiler, quand ils s’en mêlent ? C’est ce qu’il seroit aisé de prouver par des exemples de toute nature, si c’en étoit icy le lieu. Mais sans sortir de l’espece dont il est question presentement, d’où sont venus, je vous prie, les Dictionaires de la plus penible recherche, & portez du premier coup le plus prés de la perfection, que d’un Robert Estienne, & de son fils Henry ? Où est le savant parmi les nations les plus fameuses pour l’assiduité au travail, & pour la patience necessaire à copier, & à faire des extraits, qui n’admire là-dessus les talens de Mr. Du Cange, & qui ne l’oppose à tout ce qui peut être venu d’ailleurs en ce genre-là ? Si quelqu’un ne se rend pas à cette consideration generale, on n’a qu’à le renvoyer ad pœnam libri : qu’il feuillete ce Dictionaire & il trouvera, pour peu qu’il soit connoisseur, qu’on n’a pû le composer sans être un des plus laborieux, & des plus patiens hommes du monde.

On ne nie point que l’Auteur n’ait eu des avantages qui ont manqué à ceux qui ont fait les Dictionaires des langues mortes. Car avec moins de travail il a pû savoir au juste toutes les differentes notions des mots, & les proprietez de leurs combinaisons. Chacun se peut convaincre par sa propre experience, qu’il est plus facile d’entendre à demi-mot les diverses significations des paroles en sa langue maternelle, qu’avec beaucoup de meditation le sens que l’on doit donner en mille rencontres aux expressions des Auteurs Latins.

Mais le seul avantage des Dictionaires des langues vivantes par dessus les Dictionaires des langues mortes, n’est pas que dans les premiers on donne plus aisément & plus seurement que dans les autres, la veritable signification des termes, selon toutes leurs combinaisons ; & selon la diversité des matieres où on les employe : voicy encore un avantage tres-important, c’est que les Dictionaires d’une langue morte ne la representent qu’en partie, parce que ceux qui les compilent, ne sauroient où prendre une infinité de mots qui ont aussi proprement appartenu à cette langue, que les mots qui nous en sont encore connus. Car, par exemple, combien y a-t-il de mots Grecs & Latins qui n’ont jamais passé dans les livres ? Combien y en a-t-il qui n’ayant pas été confinez au seul commerce de vive voix, mais ayant eu place dans les escrits de quelque Auteur, n’en sont pas moins perdus pour cela, à cause de la perte totale qu’on a faite de ces escrits ? Il y a tel mot & telle phrase dans les Dictionaires les plus amples, qu’on ne peut justifier que par un seul Auteur, encore se faut-il contenter quelquefois d’un passage unique : d’où il s’ensuit que si nous avions tous les Auteurs, ou tous les escrits de ceux dont il nous reste beaucoup de Traitez, nous y trouverions dequoy amplifier les Dictionaires. Nous voyons tous les jours qu’à mesure qu’on publie des Manuscrits de la basse Latinité, on découvre de nouveaux termes à inserer dans le Glossaire de Mr. Du Cange, lesquels bien souvent n’avoient échappé à ses infatigables recherches, que parce qu’ils n’avoient été employez par aucun Ecrivain connu.

Outre ces raisons l’on peut dire encore, que les mots qui ne sont que tres-peu de fois dans les livres, sont fort sujets à demeurer exclus d’un Dictionaire. Et c’est la raison pourquoy le savant Borrichius a pû ramasser plus de 400. mots de la lettre C, qui avoient échappé aux Compilateurs du Forum Romanum, gens neanmoins qui étoient venus plus d’une fois au secours les uns des autres, marchant successivement sur les mêmes voyes. Le même Borrichius observe judicieusement, que ce qui fait que le Thresor de Henry Estienne, qu’il regarde d’ailleurs comme le meilleur Ouvrage que l’on ait fait en ce genre-là, manque d’une infinité de mots, c’est que l’Auteur n’avoit pas assez feuilleté Aristote, Platon, Xenophon, Demosthene, Thucydide, Euripide, Plutarque, Galien, etc. & qu’il n’avoit pû consulter plusieurs autres livres qui n’ont été publiez que depuis sa mort. Puis donc qu’il est extrement difficile d’assembler tous les mots qui nous restent des langues mortes, & impossible d’ailleurs de retrouver ceux que l’on en a perdus, qui peut-être sont en plus grand nombre que ceux que l’on a encore dans les livres ; il est évident que ces langues-là ne sont representées qu’à demi dans les Dictionaires, & qu’elles y perdent necessairement une infinité d’expressions qui n’étoient bonnes que pour l’entretien familier, & qui appartenoient en propre à certains Arts, ou à certaines fonctions de la vie, sur quoy il ne nous reste aucun Traité particulier. Mais ces obstacles ne regardant point les langues vi vivantes, il s'ensuit que quand on s'en veut donner la peine avec les talens requis pour cela, on peut faire des Dictionaires qui les representent dans toute leur étenduë.

On ne dit rien d'un grand defaut qui regne pour l'ordinaire dans les Lexicons des langues savantes, & sur tout dans les Dictionaires polyglottes : c'est qu'on y voit bien les rapports d'un mot à un autre mot, mais non pas aussi souvent qu'il le faudroit la definition des choses signifiées par les mots. C'est neanmoins ce qu'il y a de plus necessaire à savoir. Car, que me sert de pouvoir nommer en plusieurs façons une même chose, si je ne suis capable d'en donner une bonne definition ? Que m'importe, par exemple, qu'un niveau ait un tel nom en Latin, en Grec, en Alleman, en cent autres langues differentes, si je ne sais ce que c'est au fond qu'un niveau ? Or voilà principalement à quoy l'on remedie le plus dans les Dictionaires des langues vivantes, & en quoy celuy de Mr. Furetiere sera d'un usage continuel & universel au delà de tout ce qu'on a veu jusques icy. Quiconque voudra profiter de ses travaux, pourra desormais representer chaque sujet par ses veritables caracteres, & selon les termes des plus experts en chaque profession. On ne sera plus reduit, comme le sont tant de gens dans les matieres même les plus communes, à recourir au mot vague de chose, de piece, & à faire des postures de mains & de pieds, (manieres qui passent avec raison pour rustiques) afin d'exprimer la figure, la situation, & l'étenduë de ce dont on parle. Cet Auteur apprend à tout le monde, non seulement la nature des choses par leur matiere, leurs usages, leurs especes, leurs figures, & leurs autres proprietez, mais aussi les termes propres dont il se faut servir pour les décrire. Et en cela il est descendu dans un detail qui surprendra tous ceux qui l'examineront attentivement.

Il seroit à souhaitter qu'un Aristarque ou un Didyme, un Varron ou un Ciceron eussent fait un pareil travail en l'honneur de la langue Grecque & de la langue Latine, en faveur de leur siecle & de toute la posterité. Quels thresors n'y trouveroit-on pas, & quelles sources inepuisables d'éclaircissemens ! Mais il semble que la bonne fortune de la langue Françoise luy ait ménagé cette glorieuse prerogative, d'être la premiere qui ait paru reünie en un corps si vaste & si étendu. Il ne faut pas douter que les autres nations n'imitent un si bel exemple : ce qui fera que par toute l'Europe on accoûtumera les personnes les moins lettrées à parler de tout avec connoissance de cause & avec justesse. Or il est certain que l'utilité d'une semblable coûtume va plus loin que l'on ne pense, & qu'on ne se doit pas borner en mettant ces sortes de Dictionaires entre les mains de tout le monde, à instruire chaque personne dans l'art de definir exactement. C'est un mal peu reel pour la societé civile, que d'ignorer la proprieté de plusieurs termes : mais il n'est point de profession où la justesse d'esprit ne soit d'un usage merveilleux ; & c'est une grande preparation pour l'acquerir, que de s'accoûtumer de bonne heure à parler des choses de son ressort selon les notions qu'un bon Dictionaire en fournit.

Quoy qu'il en soit, il y a quelque sorte de justice dans ce privilege de la langue Françoise, puis qu'on ne sauroit raisonnablement luy contester certaines perfections tres-avantageuses qui ne se trouvent point dans les autres langues. On pourroit peut-être s'exprimer plus fortement ; mais on aime mieux témoigner sa reconnoissance de l'honneur qui luy est fait dans les pays étrangers, que de faire trop de mention de sa beauté. On l'entend ou on la parle dans toutes les Cours de l'Europe ; & il n'est point rare d'y trouver des gens qui parlent François, & qui écrivent en François aussi purement que les François mêmes. Combien y a-t-il de villes, d'ailleurs tres-souvent en guerre avec la France, dans lesquelles non seulment tout ce qu'il y a de distingué dans l'un & dans l'autre sexe parle François, mais aussi plusieurs personnes parmy le peuple ? Veut-on qu'un libelle coure bien le monde ? aussi-tôt on le traduit en François, lors même que l'original en est Latin : tant il est vray que le Latin n'est pas si commun en Europe aujourd'huy que la langue Françoise. Ce sera un grand moyen à ce livre-cy de répandre sur plus de nations les lumieres qu'il contient, & d'acquitter cette langue auprés de ceux qui luy rendent tant d'honneur.

Au reste, c'est depuis long-temps qu'elle reçoit des honneurs particuliers. La Capitale de l'Empire Romain, & de l'Eglise Latine, où toutes les autres langues devroient se taire, quand le Latin parle ; Rome, dis-je, observe pourtant cette coûtume dans la publication du Jubilé, que deux Prêtres en lisent la Bulle, l'un en Latin, l'autre en François sur deux chaires differentes dans l'Eglise de S. Pierre du Vatican. Dans le siecle passé Charles-Quint d'ailleurs ennemy mortel de la France, aimoit si fort la langue Françoise, qu'il s'en servit pour haranguer les Estats du Pays-Bas le jour qu'il fit son abdication, & pour écrire les Memoires de sa vie. Ceux qui nous parlent de ses lectures, font principalement mention de Thucydide traduit en François, & de Philippe de Commines. Aprés cela il ne doit pas être surprenant, qu'Henry VIII. Roy d'Angleterre seût si bien le François, qu'il écrivoit or dinairement en cette langue à sa maîtresse Anne de Boulen. On peut bien inserer icy cette particularité concernant ces billets de galanterie, puis que la Bibliotheque du Vatican leur fait l'honneur de les garder parmy ses autres Manuscrits.

On ne croit pas se tromper, si l'on s'imagine que le Lecteur attend icy avec quelque sorte d'impatience, qu'on luy dise un mot touchant le Dictionaire de l'Academie Françoise. On va donc dire, qu'on ne pretend point faire de tort à l'Ouvrage de ce Corps Illustre, en publiant celuy-cy. Ce sont deux Dictionaires de different ordre. Celuy de l'Academie est destiné aux mêmes fins que l'Academie même. Or il est certain que ceux qui l'ont établie n'ont jamais eu d'autre but que de travailler à polir la langue Françoise, & principalement par rapport à des ouvrages d'esprit, tant en vers qu'en prose, à des pieces d'Eloquence, à l'Histoire, etc. & il n'y eut que des ennemis outrez du Cardinal de Richelieu, ou des gens tout-à-fait ridicules, qui s'imaginerent qu'il vouloit se preparer des pretextes pour imposer des taxes sur ceux qui n'observeroient pas les regles du beau langage, à la ruine infaillible des Procureurs, des Notaires, & autres suppôts de la Justice. Sur ce pied-là quel est le but du Dictionaire de l'Academie ? Quel est son caractere essentiel ? C'est de fixer les beaux esprits qui ont un Panegyrique à faire, une piece de Theatre, une Ode, une Traduction, une Histoire, un Traité de Morale, ou tels autres beaux livres ; c'est, dis-je, de les fixer, lors qu'ils ne savent pas bien si un mot est du bel usage, s'il est assez noble dans une telle circonstance, ou si une certaine expression n'a rien de defectueux. Pour se mieux convaincre de cette verité, il suffit de considerer, que ni les Remarques de Vaugelas puisées dans les Conferences de l'Academie, ni celles qui ont paru depuis la mort de Vaugelas sur le même plan, ne regardent que le beau stile, & nullement celuy qu'on appelle du Palais, ou celuy qu'on employe en parlant de Navigation, de Finance, de Commerce, d'Arts liberaux, ou mechaniques, & de telles autres choses. Et en effet, cette Illustre Compagnie peut bien enseigner à ceux qui veulent écrire sur ces matieres, comment il faut debarrasser une periode, & donner à son discours la netteté & la majesté convenables ; mais pour ce qui est des termes propres à chaque Art, pour ce qui est des phrases consacrées dans chaque matiere, c'est à l'Academie, c'est aux Parlemens, c'est même au Conseil d'Etat à les apprendre des Maîtres en chaque profession.

Voilà quelle est la difference specifique du Dictionaire de l'Aca demie. Tout ce qui ne se rapporte pas à ce but, n'y doit être consideré que comme un accessoire, dont les Lecteurs equitables ne laisseront pas de savoir bon gré; car c'est toûjours un avantage, que de rencontrer en son chemin plus de biens qu'on n'en cherchoit. Mais pour Mr. Furetiere, il ne s'est pas proposé les termes du beau langage, ou du stile à la mode, plus que les autres. Il ne les a fait entrer dans sa Compilation que comme des parties du tout qu'il avoit enfermé dans son dessein. De sorte que le langage commun n'est icy qu'en qualité d'accessoire. C'est dans les termes affectez aux Arts, aux Sciences, & aux professions, que consiste le principal. Outre cela, l'Auteur a declaré publiquement, qu'il ne pretendoit rien à la fonction speciale & essentielle de Messieurs de l'Academie; Qu'il ne donnoit son Dictionaire que comme provisionnel, & le precurseur de celuy qui viendroit de leur part juger en souverain dans une entiere pureté tous les mots vieux & nouveaux, & interposer son autorité pour les faire valoir; qu'il leur laissoit leur jurisdiction toute entiere, & qu'il ne pretendoit rien decider sur la langue.

Il est donc certain que l'Ouvrage de ces Messieurs est aussi necessaire que jamais, afin que sur le jugement d'un Corps muni de toute l'autorité qu'on peut raisonnablement souhaitter dans une telle cause, on ait lieu de croire qu'on parle & qu'on écrit bien. Nous faisons des voeux ardens pour l'heureuse naissance de cet Ouvrage, & nous luy souhaittons une meilleure destinée qu'au fameux Dictionaire de l'Academie della Crusca: c'est à dire, que s'il s'élevoit un nouveau Paul Beni qui eût la temerité de luitter tout seul contre l'Academie Françoise, nous souhaittons que le public le châtiât de son audace, & fist tellement éclater son indignation, que personne n'osast faire comme le Tomasini, qui attribuë l'honneur du triomphe à Paul Beni dans ce combat si inégal. Et quant à ceux qui ne cessent de faire des plaintes malignes sur la lenteur, on les renvoye à la réponse de Zeuxis, ce Peintre si renommé & si admirable. Je suis long-temps à faire un tableau, répondit-il à un autre qui se vantoit de sa promptitude, parce que je peins pour l'éternité.

La remarque qu'on a faite sur ce qui distingue le Dictionaire de l'Academie d'avec celuy-cy, fait juger que cette celebre Compagnie pouvant mieux examiner les choses aprés l'impression de ce livre, & aprés la mort de l'Auteur, aura l'equité de faire cesser ses poursuites contre un Ouvrage qui fait tant d'honneur à la langue Françoise, & où l'on peut apprendre si aisément tant de choses. Et bien loin qu'elle doive perseverer dans le premier esprit, sous pretexte que ses richesses auroient été répanduës dans le Dictionaire Universel, ce devroit être plûtôt une raison d'aimer ce livre : car plus il contiendroit de cette sorte de thresors, plus on s'aimeroit soy-même en l'aimant. D'ailleurs, il faut avoir assez de bonne opinion du public, pour attendre qu'il jugera que l'honneur qu'a eu Mr. Furetiere d'être long-temps membre de l'Academie, luy a fait acquerir les lumieres dont il a eu besoin dans sa vaste Compilation : & ainsi la gloire n'en reviendra-t-elle pas à l'Academie comme à la cause originale ? N'a t-on pas lieu de dire qu'elle est la cause ou immediate, ou mediate de toute la politesse du François, & qu'elle a rempli les esperances de son Fondateur le grand Cardinal de Richelieu, qui representa au Roy son Maître, que pour reparer la negligence de ceux qui auroient pû rendre la langue Françoise la plus parfaite des modernes, & pour la rendre en effet non seulement elegante, mais capable de traiter tous les Arts & toutes les Sciences, il n'étoit besoin que d'établir cette Academie ?

On ne disconvient pas, que l'Auteur en protestant qu'il respectoit l'Academie Françoise autant qu'il étoit possible, n'ait écrit contre quelques membres de ce Corps avec trop d'emportement, & que le chagrin de se voir frustré du fruit de tant de veilles, n'ait donné un trop grand essor à ces imperieuses passions, que la malheureuse qualité d'Auteur a coûtume de produire, dans les ames mêmes qui connoissent le mieux l'esprit de moderation à quoy l'étude des belles Lettres & la Religion nous engagent. Il a poussé, on l'avoue, l'esprit de satyre au delà de ses justes bornes, ultra moderamen inculpatae tutelae, contre des Academiciens recommendables par un merite distingué. Mais enfin, puis qu'il est mort avec les regrets convenables, ne faut-il pas que ces Messieurs en demeurent là ; & voudroient-ils venger sur un livre les injures de son Auteur enterré ? Voicy deux mots pour cet Auteur, en attendant que quelqu'un de ses amis luy dresse un Eloge Historique dans les formes.

Messire Antoine Furetiere naquit à Paris l'année 1620. Il fit ses études avec succez, & se rendit habile en Droit Civil & en Droit Canon. Aprés avoir été reçû Advocat au Parlement, il fut pourveu de la charge de Procureur Fiscal de la Justice de l'Abbaye de St. Germain des Prez. Il passa en suite dans l'Estat Ecclesiastique, & fut gratifié de l'Abbaye de Chalivoy au Diocese de Bourges, & du Prieuré de Chuines. Il fu reçû à l'Academie Françoise le 15. May 1662. La Nouvelle Allegorique qu'il fit imprimer en 1658. sur l'Eloquence du temps, est toute pleine de railleries ingenieuses & savantes. Il a publié divers autres Ouvrages tant en vers qu'en prose, où il a montré qu'il avoit beaucoup de talens pour cette espece de Morale qui cherche à nous guerir du vice en le tournant en ridicule. C'est dans cet esprit qu'il composa le Roman Bourgeois, imprimé à Paris en 1666. où il se mocque de plusieurs defauts qui ne sont que trop communs dans le monde ; & en particulier il y raille d'une maniere fort plaisante les Auteurs d'Epîtres Dedicatoires. Le Voyage de Mercure, & un Recueil de Poësies diverses qu'il avoit dêjà publiez, parmy lesquelles il y a quelques Satyres & quelques Epîtres, sont à peu prés de ce même caractere, & ces pieces eurent beaucoup de debit dans leur nouveauté. Il n'en fut pas de même des Fables en vers, qu'il publia quelque temps aprés que celles d'Esope traduites par Mr. de la Fontaine eurent paru : & c'est peut-être ce qui a commencé la mesintelligence de ces deux Auteurs. Mais il est aisé de connoître par l'importance de ce Dictionaire Universel, que Mr. Furetiere ne regardoit ces autres Ouvrages que comme des amusements de jeunesse, ou de simples delassements d'esprit, & qu'il reservoit toutes ses forces pour celuy-cy. Il n'a pas eu la satisfaction de le voir imprimé, étant mort le 14. May 1688. Grand exemple de la vanité des occupations des Savans. Ceux qui travaillent aux escrits les plus durables, qui d'un côté demandent une plus longue application, & produisent de l'autre une plus glorieuse immortalité, meurent le plus souvent, sans que personne les ait pû ou remercier, ou loüer de leur peine ; & puis les voilà dans l'état dont parle le saint homme Job : Ses enfants seront avancez, & il n'en saura rien. Vanitas vanitum, & omnia vanitas.

Pour conclusion on avertit le public, qu'on est bien éloigné de croire qu'il ne manque rien à cet Ouvrage. Un Dictionaire est un de ces livres qui peuvent être ameliorez à l'inifini ; & quoy qu'on ne les gâte que trop souvent dans les dernieres Editions, il faut pourtant convenir, qu'en general la premiere n'est qu'une ébauche en comparaison de celles qui la suivent, comme il est aisé de s'en convaincre en comparant le Catholicon de Joannes de Janua fagoté des reccueils de Papias & de ceux d'Ugotion, avec celuy d'Ascensius Badius ; & en comparant la Cornucopia de Nicolas Perottus, avec le Calepin d'aujourd'huy, quelque defectueux qu'il soit encore. En disant cela, on ne veut pas dire qu'un coup d'essay tel que celuy-cy fait dans un siecle si savant, & limé plusieurs années, ne surpasse les dernieres Editions de plusieurs autres Dictionaires. On veut seulement avoüer, qu'il peut devenir meilleur : & c'est pourquoy le Sieur Reinier Leers, à qui le public est redevable de l'impression de ce livre, prie ceux qui y trouveront quelque chose ou à corriger, ou à ajoûter, de le luy faire tenir, afin que si le debit des Exemplaires le fait songer à une nouvelle Edition, elle puisse être plus parfaite, que par le soin que prendront des personnes intelligentes de mettre chaque chose à sa place, & de luy fournir leurs observations particulieres : de quoy ils luy ont dêjà donné leur parole. Ceux qui souhaitteront qu'on leur fasse honneur des Avis & des Memoires qu'on tiendra d'eux, seront servis selon leur envie.

On a lieu d'esperer que cette priere ayant son effet à l'égard de quantité de Lecteurs habiles, & affectionnez au bien public, & à l'honneur de leur langue, l'on pourra avec le temps faire porter à ce Dictionaire le titre d'Universel en toute rigueur. Il faudroit pour cela y enfermer tous les mots qui étoient en usage du temps de Ville-Hardoüin, de Froissard, de Montrelet, du Sire de JoinVille, & de nos vieux Romanciers. Mais peut-être seroit-il plus à propos d'en faire un Volume à part, que l'on intituleroit l'Archeologue, ou le Glossaire de la langue Françoise. Un pareil Volume, s'il étoit entrepris par des gens aussi doctes que Mr. Du Cange, pourroit devenir un Ouvrage tres-curieux, & tres-fecond en mille sortes d'éclaircissemens. On y pourroit inserer l'Histoire des mots, c'est à dire, le temps de leur regne, & celuy de leur decadence, avec les changements de leur signification. Il faudroit observer à l'égard de ces vieux termes ce qu'on pratique dans les Dictionaires des langues mortes, c'est de cotter les passages de quelque Auteur qui les auroit employez, On ne feroit pas mal non plus de se répandre sur les Ouvrages des anciens Poëtes Provençaux ; & rien ne serviroit plus à perfectionner la science etymologique, qu'une recherche exacte des mots particuliers aux diverses Provinces du Royaume ; car on connoîtroit par là l'infinie diversité de terminaisons & d'alterations de syllabes, que souffrent les mots tirez de la même source ; ce qui donneroit une nouvelle confirmation, & plus d'extension aux principes de cet art, & justifieroit plusieurs conjectures qui ont servi de sujet de raillerie à quelques mauvais plaisans. Ceux qui auront lû les Antiquitez Gauloises & Françoises du Sieur Pierre Borel Medecin de Castres, imprimées à Paris l'an 1655. & citées quelquefois par Mr. Furetiere, conviendront de ce que l'on vient de dire. Car cet Auteur s'est servi utilement plus d'une fois de la langue de son pays, pour expliquer le sens & l'origine des vieux termes. Mais combien de choses a-t-il laissé à faire à ceux qui voudront marcher aprés luy ? C'est donc un fort beau dessein que celuy d'un Archeologue ou d'un Glossaire de nôtre langue.

PRIVILEGIE.




DE STATEN
van Holland ende West-Vriesland doen te weten : Alzoo Ons vertoont is bij Arnous Leers, Boekverkooper in den Hage, ende Reinier Leers, Boekverkooper tot Rotterdam, dat zij Suppliant en met zeer groote kosten gedrukt hebben, Le Dictionnaire Universel, contenant généralement tous les mots François tant vieux que modernes, & les Termes des Sciences & des Arts, recueilli & compilé par Messire Antoine Furetiere, Abbé de Chalivoi, de l’Academie Françoise, in drie volumen, in folio, ’t welk zij beducht waren dat lichtelijk hier te Lande, tot hare groote schade en nadeel, zoude werden nagedrukt : zoo keerden zij Supplianten haar in alle respect tot Ons, biddende dat het Ons geliefde, haar Supplianten te begunfligen met een speciaal Octroi ofte Privilegie, by’t welke aan haar Supplianten, hare Erven ofte actie verkrijgendé, met seclusie van allen anderen, wierde vergunt om’t voornoemde Dictionnaire Universel, geduurende den tijd van vijstien eerstkomende jaren, te mogen drukken, doen drukken ende verkoopen, in zoodanigen grootte en formaat, ende met zoodanigen letter ais zij Supplianten, hare Erven oste actie verkrijgende, zouden goedvinden ; ende dat niemant’t zelve Boek, in V geheel ofte ten deele, in ’t groot ofte klein, ofte in eenigerhande manière binnen Onzen Lande van Ho 11and en WefîVriestand zoude mogen nadrukken, doen nadrukken ofte verkoopen, ofte elders nagedrukt zijnde bimien den zelven Onzen Lande te brengen, te verkoopen ofte verreuilen, op zekere groote pane daar tegens te statueeren : ZOO IS’T, Dat Wij de zake ende’t verzoek voorfz. overgemerkt hebbende, ende genegen wezende ter bede van de Supplianten, uit Onze rechte Wetenschap, Souveraine Macht ende Authoriteit, den Supplianten geconfinteert, geaccordeert endegeoBroyeert hebben, confinseeren, accordeeren endeoBroyeeren mit s dezen, dat zij, hare Erven ofte actie verkrijgendé, geduurende den tijd van vijftien eerstkomende jaren, het voorfi. Boek binnen den voorfz. Onzen Lande alleenzullen mogen drukken, doen drukken ende verkoopen, in zoodanigen grootte en formaat, en metzoodanigen lesterais zij Supplianten, hare Erven ofte aBie verkrijgendé zullen goedvinden. Verbiedende daarom alleu ende een ijgelijken het zelve Boek, in’t geheel ofte ten deele, in’t groot ofte klein, ofte in eenigerhande manière na te drukken, doen nadrukken ofte verkoopen, ofteelders nagedrukt zijnde, binnen den zelven Onzen Lande te brengen, te verkoopen ofteverreuilen, opverbeurtevanalledenagedrukte, ingebragte ofte verkochte Exemplaren, ende een boete van drie honderd guldens daar en boven te verbeuren, te appliceeren een derde part voorden Officier die de calangedoen zal, een derde part voorden Armen der plaatfè daar het cafius voorvalien zal, ende het refleerende derde part voor de Supplianten. Ailes met dien verftande, dat Wij de Supplianten met dezen Onzen OBroye al/een willende gratificeeren, tot verhoedinge van hare fihade daar het nadrukken van’t voorfz. Boek, daar door in geenigen deele verflaan den inhoude van dien te authoriseeren ofte te advoúeeren, ende veel min het zelve onder Onze protectie ende beschermìnge eenig meerder crédit, aanzien ofte reputatietegeven, nemaar de Supplianten, in cas daar in iets onbehoorlijks quame te influeeren, alle’t zelve tot haren laste zullen gehouden wezen te verantwoorden. Tot dien einde welexpreffe/ijk begeerende, datbyaldien zy dezen Onzen OBroye voor het zelve Boek zullen willen stellen, daar van geene geabbrevieerde ofte gecontraheerde menue zullen mogen maken, nemaar gehouden zullen wezen, het zelve OBroy in’t geheel ende zonder eenige omissìe daar voor te drukken ofte te doen drukken ; ende dat zy gehottden zullen ziju een Exemplaar van het voorfz. Bock, gebonden ende wel geconditioneert, te brengen in de Bibliotheek van Onze Universiteit tot Leiden, ende daar vau bchoorlijk te doen blijken, ailes op pane vau het effect vau dien te verliezeu. Ende ten einde de Supplianten dezen Onzen Consente ende OBroye mogen genieten aisnabehooren, lastenWijallen ende een ijgelijken die’t aangaanmag, dat zy de Supplianten van den inhoudvan dezen doen ende laten, gedoogeu, rustelijk, vredclijk, ende volkomentlijk genieten endegebruiken, cesteerende aile belet ter contrarie. Gedaanin den Hage, onder Onzen grooten Zegelehier aan doen hangen, den acbtentivintigflcn October, in ’t jaar onzes Heeren ende Zaligmakers duizend zes honderd negenentachtig.

Was onderteelcend,
ANTH. HEINSIUS, vt.
Ter Ordonnantie van de Staten,
SIMON VAN BEAUMONT.
DICTIONNAIRE
UNIVERSEL
Contenant generalement tous les
MOTS FRANÇOIS
tant vieux que modernes, & les
Termes de toutes les
SCIENCES ET DES ARTS

A.


A Premiere lettre de l’Alphabet François, & de toutes les autres Langues. Chez les Occidentaux cette lettre prend son nom de l’expression du son qu’elle fait. Chez les Grecs on la nomme Alpha ; chez les Hebreux Aleph ; chez les Arabes Aliph ; & chez les Indiens Alephu. C’est aussi le premier son articulé que la Nature pousse, & celuy qui forme le premier cri & le begayement des enfans. D’où vient que Jeremie répondant à Dieu qui le destinoit pour son Prophete, luy dit : A, a, a, Seigneur, je ne sçay pas parler, parce que je suis un enfant. Hierem. cap. I.

C’est aussi ce qui exprime presque tous les mouvemens de nôtre ame ; & pour rendre l’expression plus forte, on y ajoûte une h devant ou aprés, comme dans l’admiration : Ha le beau tableau ! Dans la joye : Ha quel plaisir ! Dans la colere : Ha méchant. Dans la douleur : Ha la teste. Dans la pasmoison : Ha je me meurs. Dans le mouvement : Ha levrier. Et generalement ce mot exprime toutes les palpitations de coeur, comme il paroist en ceux qui ont la courte haleine. Ciceron appelle l'A, lettre salutaire, parce que c’estoit la marque d’absolution.

Quand cette lettre forme toute seule une syllabe, les enfans disent en épellant, A de par soy A.

Cette lettre forme souvent un mot entier, & est quelquefois article du datif pour decliner les noms propres seulement. Ce livre est à Pierre, à Agnés. Quand il sert à decliner des noms ordinaires, s’ils commencent par des consones, on dit au, comme, Au soleil : si c’est par une voyelle, on y ajoûte une l, au masculin, ou, la, au feminin : A l’homme, A la femme ; & au pluriel on dit en tous cas, aux, comme : Aux Alexandres, Aux Muses, Aux Animaux.

A est quelquefois preposition, mais rarement. Il est à la ville, aux champs. Cela est à la mode.

A est le plus souvent adverbe, non seulement de temps & de lieu, comme, Cela vient à tard. cela est à terre : mais encore il se joint à presque tous les mots de la Langue pour faire des phrases adverbiales qui tiennent de leurs significations & de leurs manieres. Estre à couvert. vivre à discretion, &c. Car si on y prend garde de


prés, la plus-part des exemples qu’on donne de son usage pour marquer la preposition, se reduisent à l’article du datif.

A se joint aussi aux infinitifs des verbes pour faire des phrases adverbiales. Donner à boire & à manger. un maistre à écrire. on fait à sçavoir. au pis aller. au rebours, &c.

A se dit quelquefois dans les temps des verbes auxiliaires. Il a gagné cent escus. il a fait. il a dit. il a le temps & l’argent.

A est souvent une particule indeclinable qui sert à la composition de plusieurs mots, & qui augmente, diminuë ou change leur signification. Quand elle s’y joint, elle fait doubler ordinairement la consone qu’ils ont à la teste, comme, Accorder, Addonner, Affaire, Assujettir, Attrouper, &c.

On dit proverbialement, qu’un homme ne sçait ni A, ni B, pour dire, qu’il ne sçait pas lire ; qu’il ne sçauroit faire une panse d’A, pour dire, qu’il ne sçait pas écrire ; & qu’il apprend l’A, B, C, pour dire, qu’il commence à connoître ses lettres.

Cette lettre A étoit aussi chez les Anciens une lettre numerale qui signifioit 500. comme on voit dans Valerius Probus. Il y a des vers anciens rapportez par Baronius & autres, qui marquent les lettres significatives des nombres, dont le premier est tel :

Possidet A numeros quingentos ordine recto.

Quand on mettoit un titre ou une ligne droite au dessus de l’A, il signifioit cinq mille.

A. A. A. Les Chymistes se servent de ce signe pour signifier, Amalgamer, Amalgamation, & Amalgame. Voyez Amalgamer.

ABA

ABADIR. Terme de Mythologie. C’est le nom d’une pierre que Saturne devora au lieu de Jupiter. Car comme il sçavoit que la destinée vouloit qu’il fust detrôné par un de ses enfans, il les mangeoit tous, jusqu’à ce qu’Ops sa femme le trompa, en luy faisant avaler cette pierre au lieu de Jupiter qu’elle voulut sauver : Priscien. Isidore en fait aussi mention dans ses Gloses, & Papias témoigne que ce mot a autrefois signifié Dieu.

ABAISSEMENT. subst. masc. Diminution, retranchement de hauteur. L’abaissement de ce mur qui ôtoit la veüe à cette maison l’a bien égayée.

ABAISSEMENT, se dit figurément en choses morales. L’abaissement devant Dieu est une action digne d’un Chrêtien. l’abaissement de courage est mal-seant à un Philosophe.

ABAISSER. verb. act. Mettre en un lieu plus bas, ou rendre plus bas, moins haut. Abaissez la lampe. abaissez ce mur. abaissez ce lut d’un ton, d’un demy-ton. Selon Nicod ce mot vient du Grec basis, comme qui diroit, mettre à la base.

Abaisser, signifie aussi, Diminuer le prix, retrancher quelque quantité. Le bon ordre de la police a fait abaisser le prix du bled, c’est à dire, qu’il est diminué. la riviere s’abaisse, c’est à dire, elle décroist & diminuë.

Abaisser, sign. aussi en Morale, Ravaler l’orgueil de quelqu’un. Les Romains se vantoient d’abaisser l’orgueil des superbes, & de pardonner aux humbles.

En termes de Fauconnerie on dit, Abaisser l’oiseau, lors qu’étant trop en bon point, on luy ôte quelque chose de son past ordinaire pour le mettre en état de bien voler.

Abaisser, en termes de jardinage, signifie Couper une branche prés du tronc.

Abaisser, se dit aussi avec le pronom personnel, & signifie alors, s’Humilier, se soûmettre. Il faut s’abaisser devant la Divine Majesté. On dit aussi que les montagnes s’abaissent, lors qu’aprés en avoir passé de bien hautes, on en trouve de moindres. On dit aussi alors, que le pays s’abaisse.

Abaissé, ée part. pass. & adj.

Abaissé, en termes de Blason, se dit du vol des aigles, & du vol en general des oiseaux, dont la representation ordinaire est d’être ouvert & étendu, en sorte que le bout de leurs aîles tende vers les angles ou le chef de l’Escu. Mais lors que ce bout est en bas, ou que les aîles sont pliées, on l’appelle Vol abaissé.

On dit aussi, Un chevron, un pal abaissé, une bande abaissée, quand la pointe finit au cœur de l’Escu, ou au dessous, & ne monte pas plus haut. On dit aussi, qu’une piece est abaissée, lors qu’elle est au dessous de sa situation ordinaire, comme le chef, la fasce, &c. Et ainsi les Commandeurs de Malte qui ont des chefs dans leurs Armoiries, sont obligez de les abaisser sous celuy de la Religion.

ABAISSEUR. adj. est une épithete que les Medecins donnent au second muscle des yeux, qui les fait mouvoir en bas par modestie & humilité.

ABALOURDIR. Vieux mot, & hors d’usage qui signifioit autrefois, Abrutir, rendre stupide, estourdir. Il se trouve dans plusieurs Coustumes.

ABANDON. subst. masc. Mépris, delaissement de quelque chose. Cet homme a quitté le monde, & a fait un abandon general de ses biens, pour se donner tout à Dieu. ce debiteur a fait en justice l’abandon de tout son bien à ses creanciers.

Abandon, se dit d’ordinaire adverbialement. Il a laissé sa maison à l’abandon, au pillage. On a dégarny la frontiere, on l’a laissée à l’abandon. Du Cange derive ce mot de abandum & abandonum, qui se trouvent en plusieurs endroits de la basse Latinité, disant que bandum se prenoit souvent pour arbitrium, pro re derelictâ ad arbitrium primi occupantis.

Abandon, signifie aussi, Desbauche, licence qu’on se donne de tout faire. Cet homme a vêcu toute sa vie dans un abandon à toutes sortes de vices. les femmes qui se prostituent mettent leurs corps à l’abandon.

ABANDONNEMENT. s. m. Delaissement, cession de biens, de terres, &c. Il est plus en usage qu’abandon.

Il signifie aussi, Desbauche, prostitution. Cette personne


est dans un grand abandonnement. ce pecheur endurcy est dans un grand abandonnement.

ABANDONNER. v. act. Laisser à l’abandon. Dieu n’abandonne jamais les siens au besoin. on a abandonné cette ville au pillage. cet homme s’abandonne à ses passions, à la colere, à l’amour, à la desbauche. il a abandonné le soin de son honneur. Ce mot vient de donner, ou mettre à ban quelque chose, la laisser au premier qui en voudra, à la discretion du public. Pasquier.

Abandonner au bras seculier, c’est Renvoyer pardevant des Juges laïques un Ecclesiastique pour donner une sentence de condamnation à peine afflictive sur un cas privilegié. Ce qui se dit aussi vulgairement de ce qu’on méprise, & de ce qu’on laisse & qu’on abandonne aux valets & autres gens de dissipation.

Abandonner, signifie aussi, Renoncer à quelque profession, ou à quelque personne, quitter quelque exercice. Ce marchand a abandonné le commerce. ce Magistrat a abandonné les affaires pour vivre en retraite. cet écolier a abandonné l’étude pour suivre les armes. ce jaloux a abandonné sa femme, il a fait divorce avec elle.

On dit en termes de Fauconnerie, Abandonner l’oiseau, pour dire, le mettre libre en campagne, ou le congedier tout-à-fait.

Abandonné. ée. part. pass. & adj. Biens abandonnez, ou vacans. Fille abandonnée ou prostituée.

On dit aussi absolument au substantif, C’est un abandonné, pour dire, un homme perdu & desbauché, qui ne donne point d’esperance de conversion.

On dit aussi, Abandonné des Medecins, pour dire, que la guerison de quelqu’un est desesperée. Abandonné de Dieu & des hommes, qui n’a aucun secours. Abandonné à son sens reprouvé. On dit aussi, qu’une cause est abandonnée, pour dire, qu’elle est deplorable & insoûtenable.

ABAQUE. s. m. Terme d’Architecture. C’est le plus haut membre du chapiteau de la colomne, & particulierement de la Corinthienne. Il sert comme de couvercle au panier de fleurs qu’elle represente. On l’appelle autrement tailloir, & il s’en met en plusieurs sortes d’endroits. Ce mot vient du Grec abax, qui signifie buffet, & credence, ou table.

ABASSI. Terme de Relations. C’est une monnoye qui a cours en Perse & en Orient, qui vaut environ deux reales d’Espagne.

ABASTARDIR. v. act. Alterer, gaster quelque chose, la faire descheoir de son premier état. La misere & l’esclavage ont abastardy le courage des Grecs.

Il ne se dit gueres qu’avec le pronom personnel. Toutes les bonnes choses s’abastardissent avec le temps. les plantes d’Orient qu’on apporte en Europe s’abastardissent & perdent beaucoup de leur bonté. cette maison s’est abastardie dans l’oisiveté, elle ne produit plus de grands hommes.

Abastardy, ie, part. pass. & adj.

ABASTARDISSEMENT. s. m. Diminution de valeur, de merite, de bonnes qualitez. Les delices d’un pays causent l’abastardissement du courage des peuples.

ABATEMENT. s. m. Foiblesse, manque de forces. Ce malade est dans un grand abatement, les forces luy manquent.

Abatement se dit figurément en Morale. Cet homme est dans un grand abatement d’esprit depuis le renversement de sa fortune.

ABATEIS. Vieux mot qui signifioit autrefois Forest. Il est hors d’usage.

ABATEUR. s. m. Qui abat, qui fait choir. Cet homme est un grand abateur de bois, de quilles : ce qui se dit proverbialement au figuré de celuy qui se vante de faire beaucoup de choses au dessus de ses forces.

ABATIS. s. m. Demolition, renversement, ruine. Il y a eu un grand abatis de maisons à Raguse dans le dernier tremblement de terre. il y a plusieurs abatis de pierre dans cette carriere. il fut fait un grand abatis de bois en cette forest par la tempeste.

Abatis, se dit aussi d'une grande tuerie de bestes. Ce chasseur a fait un grand abatis de gibier. ce boucher fait un grand abatis de bestiaux tous les ans. On dit aussi en cuisine, Faire des potages d’abatis d'agneau, d’abatis de poulet d'Inde, &c. pour dire, qu'on les fait avec des bouts d'aîles, foyes, & autres menües parties, & issües, ou petites oyes de ces volailles.

ABATRE. v. act. Renverser, demolir, faire tomber, coucher par terre. Il a fait abatre sa maison pour la rebâtir. il y a bien des chablis que le vent a abatus dans cette forest. on abat les noix avec la gaule. ce luitteur a abatu son homme sous luy. ce cheval est sujet à s’abatre, c'est à dire, à broncher, à tomber. On dit aussi, que le tabac abat les fumées du vin, les vapeurs. Cette maladie, ce voyage l'a bien abatu. Nicod derive ce mot de à bas, adverbe local composé de a & de bas.

{sc|Abatre}}, en termes de Marine, sign. Descheoir, deriver, s'écarter de la vraye route : ce qui se fait par la force des courans, ou des marées, ou par les erreurs du pointage ou du mauvais gouvernement du timonnier. On dit aussi, qu'un Pilote abat son vaisseau d'un quart de Rumb ou d'un autre aire de vent, quand il vire ou change sa course & gouverne sur un autre Rumb de celuy de sa route. On dit aussi, Abatre un navire, pour dire, le faire obeïr au vent lors qu'il est sur les voiles. On dit aussi, Abatre un vaisseau sur le costé, lors qu'on veut travailler à la carene, ou en quelque endroit des œuvres vives.

En termes de Fauconnerie on dit, Abatre l'oiseau, pour dire, le tenir & serrer entre deux mains pour le garnir de gets, le poivrer ou luy donner quelque medicament par force.

Abatre, se dit figurément en Morale, des troubles & des afflictions de l'ame & du corps. Ce changement de fortune luy a abatu l'esprit & le courage. il s'est laissé vaincre & abatre à la douleur.

On dit proverbialement, Petite pluye abat grand vent. On dit d'un homme qui fait bien de la besogne, & d'un Juge qui expedie plusieurs procés, qu'ils abatent bien du bois.

Abatu, üe. part. pass. & adj. Maison abatüe, courage abatu.

ABATURES. subst. fem. plur. Terme de Venerie. Foulures, menu bois, brossailles, fougere, que le cerf abat du bas de son ventre en passant. On connoist le cerf par ses abatures.

ABAT-JOUR. s. m. Petite fenestre qui prend le jour d'enhaut, dont l'embraseure est de haut en bas, comme celle des Offices sous terre, des souspiraux des caves, ou certaines fenestres de marchands qui mesnagent un faux jour pour donner du lustre à leurs étoffes.

ABAT-VENT. s. m. est la charpente qui se met dans les ouvertures des clochers, qui est ordinairement couverte d'ardoise, qui sert à abatre le vent, & qui n'empêche pas que le son de la cloche n'agite l'air de dehors, & ne se fasse entendre au loin. Tous ces mots viennent du Grec bathys, qui sign. qui est profond, qui est bas.

ABB.

ABBÉ. s. m. ABBESSE. s. f. Superieur ou Superieure d'une ABBAYE d'hommes ou de filles. Il y a trois sortes d'Abbez : Regulier, Seculier, Commendataire. L'Abbé differe du Prieur, en ce qu'il est mis au rang des Prelats, & officie pontificalement & avec des marques de dignité qui luy ont été accordées par les Papes au temps de la fondation du Monastere, ou par quelque privilege particulier, comme la mitre, la crosse. Ce mot vient de ce que les premiers Moines appelle-


rent leur Superieur Ab-bot, qui en Langue Syriaque signifie Pere. Ainsi ces mots de Abba Pater, qu'on trouve dans les Epistres aux Romains & aux Galates, & ailleurs, qui semblent dire la même chose, ne font pas pourtant un pleonasme, comme dit St. Augustin, veu que l'un est un nom de nature, & l'autre de dignité. D'autres disent qu'il vient du mot Hebreu Aba, qui signifie aimer, vouloir du bien. Covarruvias. Dans la primitive Eglise on appelloit Cænobiarcha le Superieur d'un Monastere où les Religieux vivoient en commun ; & Archimandrita, celuy qui estoit reconnu pour Chef par des Hermites qui vivoient dans les deserts & dans les cavernes, à cause que le mot de mandra en Grec signifie caverne : tels estoient les premiers Peres de la Thebaïde.

Chez les Ecrivains Grecs & Latins on appelloit Abbez, ceux que nous appellons maintenant Peres, qui étoient venerables par leur âge & par leur sainteté. On a aussi compris sous ce nom generalement tous les Moines. Ainsi il est dit dans la Regle de St. Colomban, qu'il y avoit mille Abbez sous un Chef : & St. Epiphane fait mention d'un Monastere où il y avoit mille Abbez & mille cellules. On a appellé aussi Abbé second, le Prieur d'un Monastere, qui est le Lieutenant de l’Abbé. On a appellé aussi en Sicile des Evêques Abbez ; & tres-souvent les Curez primitifs de France. On a appellé aussi, Abbé du Palais, le Maistre de la Chapelle du Roy. Voyez Du Cange. Les Abbez mitrez sont ceux qui ont droit de porter les ornemens Episcopaux, comme la mitre, les sandales, les gants, l'anneau & la crosse : & pour les distinguer des Evêques, Clement IV. ordonna que les Abbez exempts porteroient des mitres brodées, mais sans pierreries & sans lames d'or & d'argent ; & les non-exempts des mitres blanches & toutes unies.

Abbé, s'est dit aussi de quelques Magistrats ou personnes laïques & seculieres. Chez les Gennois il y avoit un principal Magistrat qu'on appelloit Abbé du Peuple. En France il y a eu plusieurs Seigneurs, sur tout du temps de Charlemagne, à qui on donnoit le soin & la garde des Abbayes, qu'on appelloit Abbacomites.

Dans les anciens titres on trouve que les Ducs & les Comtes ont été appellez Abbez, & les Duchez & Comtez Abbayes. Et plusieurs Seigneurs & Gentilshommes qui n'étoient aucunement Religieux ont aussi pris ce nom, comme remarque Menage aprés Fauchet, & autres.

On appelle aussi Abbé, celuy qu'on élit en certaines Confrairies & Communautez, particulierement entre les Ecoliers & les Garçons Chirurgiens, pour commander aux autres pendant un certain temps. A Milan dans toutes les Communautez de marchands & d'artisans, il y en a de preposez qu'on appelle Abbez. Et c'est de là apparemment qu'est venu le jeu de l’Abbé, dont la regle est, que quand le premier a fait quelque chose, il faut que tous ceux qui le suivent fassent le semblable.

Abbé, se dit proverbialement en ces phrases. On vous attendra comme les Moines font l’Abbé, c'est à dire, en travaillant toûjours, en commençant toûjours à disner. On dit encore, Pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé, pour dire, que l'opposition d'un particulier n'empêche pas la deliberation d'une Compagnie, ou la conclusion d'une affaire. On dit en proverbe Espagnol, Como canta el {{sc[Abad}} responde el Monazillo, pour dire, que les inferieurs tiennent le même langage, ou sont de même avis que les superieurs. On appelle aussi, Abbez de Ste. Esperance, ceux qui prennent la qualité d’Abbez sans avoir d'Abbaye, & quelquefois même de Benefice.

Abbatial, ale. adj. Qui appartient à l'Abbé. Logis abbatial. Dignité abbatiale. Mense abbatiale. Messes abbatiales : ce sont celles que les Abbez doivent celebrer. Abbaye, se prend quelquefois pour un composé des Religieux & de l’Abbé. Voilà une Abbaye bien reglée, où l’Abbé vit comme un simple Moine.

Abbaye. s. f. Monastere, ou Maison de Religieux ou de Religieuses, regie par un Abbé ou Abbesse. Les Abbayes sont d’ancienne fondation, comme les Abbayes de Cluny, de St. Denis, de Ste. Geneviefve, &c. Il y a des Abbayes en commende ; d’autres Abbayes Regulieres ou en Regle ; d’autres qui sont secularisées, possedées par des Chanoines seculiers. Les Abbayes sont des Benefices consistoriaux ; il n’y a que le Roy qui y nomme.

Abbaye, se prend quelquefois simplement pour la Maison & le Couvent. Voilà une Abbaye bien bastie, une Abbaye qui tombe en ruine.

Abbaye, se prend aussi pour le seul revenu dont jouïssent les Abbez. Il a obtenu pour son fils une Abbaye de dix mille livres de rente.

On dit proverbialement, Pour un Moine l’Abbaye ne faut pas, pour dire, que faute d’une personne on ne laisse pas dans une assemblée de travailler ou de se resjouïr.

ABBECHER. v. act. Donner la bechée à un oiseau qui n’a pas encore l’adresse de la prendre de luy-même. Ce mot vient de a & de bec, c’est à dire, mettre au bec. Nicod.

En Fauconnerie on dit Abbecher l’oiseau, pour dire, luy donner une partie du past ordinaire pour le tenir en appetit, dans le dessein de le faire voler un peu aprés.

ABBE’E. s. f. Ouverture par où on laisse couler l’eau d’un ruisseau, ou d’une riviere pour faire moudre un moulin, & qui se peut fermer avec des palles ou lançoirs. Il en est fait mention dans la Coûtume de Loris, chap. 10. Ce mot peut venir de baye ou ouverture.

ABBOY. s. m. On disoit autrefois abay. Le cri, ou le japper d’un chien. Ce mot est factice, & formé sur le son des chiens, qui crient, ou abboyent. L’abboy des chiens fait connoistre le lieu où est le gibier. L’abboy des mastins est leur cri, quand ils sentent le loup, ou quelque chose d’estrange autour de la maison.

Abboy, se dit aussi de l’extremité où est reduit le cerf sur ses fins : car alors on dit qu’il est aux abboys, qu’il ne peut plus courir, qu’il manque de force & de courage.

Abboys, se dit figurément de l’homme, & signifie l’agonie. Il est reduit aux abboys de la mort, ou simplement, aux abboys : c’est à dire, il se meurt. On dit aussi, qu’un procés est aux abboys, quand il est presque jugé, ou perdu ; qu’une pudeur est aux abboys, qu’une fidelité est aux abboys, lors qu’elle est presque vaincuë, qu’elle ne se peut plus deffendre. On dit aussi, Tenir quelqu’un en abboy, pour dire, l’amuser de vaines esperances & promesses.

Abboyer, ou abbayer. v. n. qui se dit pour exprimer le cri des chiens. Les chiens abboyent quand ils sentent des larrons. Ce mot vient du Latin adbaubare, Menage : ou de boare Latin, qui vient de boan Grec : ou est un mot factice qui imite le son que fait le chien en abboyant. Nicod.

Abboyer, se dit figurément des hommes, lors qu’ils s’attendent à quelque chose, qu’ils la desirent & poursuivent avec avidité. Cet homme abboye aprés cette succession, cette charge. ce chicaneur abboye toûjours aprés le bien d’autruy.

On le dit encore de ceux qui font crier aprés eux. Cet homme est si méchant, si endebté, que tout le monde abboye aprés luy. Un Satyrique abboye, crie aprés les vices.

Je tiens qu’originairement abboyer & abbayer sont deux mots differents, & qu’abboyer s’est dit seulement au propre du cri des chiens, ou de ce qui luy ressemble ; & qu’abbayer s’est dit au second sens figuré, & est composé de bayer, ou beer qui signifie regarder attentivement,


ou attendre impatiemment, ce qu’on fait ordinairement avec une bouche beante ; mais que par abus l’affinité de ces mots les a fait confondre, & prendre l’un pour l’autre.

On dit proverbialement, Abboyer à la lune, pour dire, Crier & pester inutilement contre un plus puissant que soy. On dit aussi, Tout chien qui abboye ne mord pas, pour dire, que ceux qui menacent, souvent ne font pas grand mal.

ABBOYEUR. s. m. Qui abboye. Un chien qui est grand abboyeur est fort importun. On appelle abboyeurs, une sorte de chiens pour le sanglier qui abboyent devant luy sans l’approcher.

ABBREVIATEUR. s. m. Celuy qui abrege un livre. Mr. de Sponde Evêque de Pamiers est l’abbreviateur de Baronius. Mr. Bernier a rendu un grand service au public pour avoir été abbreviateur de Gassendi. Les abbreviateurs sont cause qu’on se peut passer des originaux.

Abbreviateur est aussi un terme de banque. C’est un Officier du second banc de la Chancellerie Romaine, qui dresse la minute des Bulles, & des signatures qui s’écrivent avec plusieurs mots abregez.

Abbreviation. s. f. Ecriture en abregé, qui se fait avec plusieurs titres & caracteres qui suppleent les lettres qu’on obmet, & qu’il faut deviner, quand on veut écrire plusieurs choses en peu d’espace, ou avec diligence. Les signatures de Cour de Rome sont pleines d’abbreviations. l’écriture Gothique étoit incommode à cause de ses abbreviations. Tous ces mots viennent du Latin brevis, qui vient de brachys Grec.

ABBREUVER. v. act. Donner à boire aux chevaux, & au bestail. On abbreuve les chevaux deux fois par jour.

Abbreuver, sign. aussi, Humecter, & imbiber d’eau. Il faut abbreuver ces tonneaux, cette cuve, avant que d’y mettre la vendange. Ce drap est abbreuvé d’eau. la terre est abbreuvée par les pluyes. Abbreuver les prez, c’est les arroser, y faire venir de l’eau par le moyen des saignées.

Abbreuver, signifie figurément, Persuader quelqu’un de quelque chose. Il l’a abbreuvé de cette opinion. J’en suis abbreuvé dés ma jeunesse.

Abbreuvoir. s. m. Lieu où on abbreuve les chevaux. Mener les chevaux à l’abbreuvoir. Du Cange l’appelle en Latin beuratorium.

ABBREUVOIR, en termes de maçonnerie, se dit des intervalles que les maçons laissent entre les joints des pierres pour y faire entrer du mortier.

On dit proverbialement d’une playe qui seigne beaucoup, que c’est un abbreuvoir à mouches, un abbreuvoir à taons. On dit aussi, qu’un bon cheval va bien tout seul à l’abbreuvoir, quand on se leve de table pour aller prendre soy-même à boire au buffet.

ABC.

ABÉCÉ. s. m. Alphabet, croix de par Dieu. Petit livre qui sert à apprendre à lire aux enfans. Cet enfant est encore à l’abécé.

Abécé, signifie aussi, le commencement d’une science, d’une affaire. Il croyoit faire juger son procés, mais on luy a donné un arrest qui le renvoye à l’abécé. quand on pense avoir penetré les secrets de la Nature, on se trouve encore à l’abécé. Ce mot est composé des trois premieres lettres de l’Alphabet François, comme le Grec qui luy répond des deux premieres Alpha & Bèta. Les Espagnols l’appellent Cartilla, & les Italiens Abaco, qui vient du Grec Abacos.

ABECEDAIRE. s. m. Qui est encore à l’abécé. On se moque d’un vieillard abecedaire, qui est encore à l’abécé, qui ne sçait rien. On a donné le titre ' d’Abecedaire à un livre de Pierre d’Alva sur la Conception de la Vierge en 21. volumes, dont la premiere lettre A contient trois gros volumes in fol. imprimez à Madrit en 1648.

ABDICATION. s. f. Renonciation volontaire à une charge, à une magistrature. Il faut remarquer que l’abdication differe de la resignation, en ce que l’abdication se fait purement & simplement, au lieu que la resignation se fait en faveur d’une tierce personne.

On dit aussi, L’abdication d’un fils rebelle & desobeïssant. On dit aussi au Palais, Faire une abdication de biens, quand on en fait un abandonnement entier.

ABDIQUER. v. act. Renoncer à une magistrature, à une charge, s’en deffaire, l’abandonner. Il y a eu bien des Empereurs & des Rois qui ont abdiqué l’Empire, le Royaume. Ce mot vient du Latin abdicare, qui sign. la même chose.

On dit aussi en Droit, Abdiquer un fils, pour dire, l’abandonner, le chasser de sa maison, ne le vouloir plus reconnoître pour fils.

Abdiqué, ée. part. pass. & adj.

ABDOMEN. s. m. Terme de Medecine, qui sign. cette partie anterieure du bas ventre qui est depuis les cuisses en remontant jusqu’au diaphragme. Ce mot est Latin, & vient de abdo, parce qu’il cache les intestins. Les Grecs l’appellent epigastre, & les Arabes mirach.

ABDUCTEUR. adj. m. C’est une épithete que les Medecins donnent au quatriéme muscle des yeux qui les fait mouvoir en dehors, & regarder de côté pour marque de mespris & de desdain : c’est pourquoy on l’appelle aussi orgueilleux. On le dit aussi des muscles du pouce, & d’autres parties du corps qui se peuvent mouvoir en dehors. Ce mot vient du Latin abduco, qui signifie, Emmener, tirer en arriere.

ABE.

ABEILLE. subst. fem. Insecte volant, grosse mouche qui a un aiguillon fort picquant, & qui fait le miel & la cire. Swammerdam en fait la description, aussi bien que des bourdons appellez fuci, qui sont les masles. A l’égard des abeilles qui font le miel, qu’il appelle, apes operariae, il dit qu’on ne peut decouvrir si elles sont masles ou femelles : mais dans le Roy & les bourdons les parties qui servent à la generation sont tres perceptibles. Jean de Hoorn fameux Anatomiste a fait voir les œufs des abeilles dans la femelle, que l’on nomme ordinairement le Roy. Elles ont un tissu dont elles sont envelopées, qui est ourdy de même que celuy des vers à soye. Swammerdam montre aussi des rayons de miel où l’on voit les appartemens du Roy, de la Reine, & des autres abeilles : & l’aiguillon de celuy qu’on nomme Roy a trois doubles ; & il fait voir ses testicules avec sa verge. On y decouvre sensiblement les poulmons composez de deux petites vessies. Leur gouvernement ne consiste que dans un amour mutuel, sans qu’elles ayent la moindre superiorité les unes sur les autres. Les abeilles servent d’aliment aux hyrondelles, qui ont l’adresse de les prendre en volant. C’est pourquoy lors qu’il va pleuvoir, & qu’il y a peu de ces petits animaux dans l’air, elles descendent vers la terre pour y chercher leur aliment : d’où est venu l’erreur de croire qu’elles predisent la pluye. Il y a aussi des mouches d’eau qui portent les aiguillons dans la bouche, aussi bien que tous les autres insectes aquatiques. Aldrovandus les décrit sous le nom d’abeilles amphybies ; & Jonston les appelle abeilles sauvages. Il y a une espece d’abeilles sauvages qu’on trouve dans les jardins & dans les bois. Swammerdam en fait


voir de six sortes. Il y en a qui ont des cornes fort longues ; d’autres dont le corps est velu. Mouffet les appelle abeilles solitaires, dont le nid est fait de gravis de sable & d’argille. Il fait voir aussi sept sortes de guespes. Il y en a aussi de bastardes, qu’on appelle pseudosphecae. Hoeffnagel en a depeint de 24. sortes, entre lesquelles il y a une mouche à trois queües, en Latin vespa. Il y en a une que Goedart appelle gloutonne & devorante, que quelques-uns nomment muscalupus, parce qu’elle devore sa proye avec les dents.

Le Roy des abeilles est femelle, & jette environ six mille œufs par an. Il est deux fois plus gros que les autres abeilles. Il a les aîles courtes, ses jambes droites, & marche plus bravement que les autres. Il a une marque au front qui luy sert de diademe & de couronne. Quand les abeilles piquent, elles laissent l’aiguillon dans la playe, & se rompent les intestins ; ce qui cause leur mort. C’est le seul insecte né pour l’utilité de l’homme, à ce que dit Pline, liv. 11. En quoy il se trompe, car il devoit du moins ajoûter le vers à soye. Il raconte plusieurs merveilles des abeilles, aussi bien que Mathiole, touchant leur oeconomie, qui sont telles, que le Philosophe Aristomache employa 60. ans en leur contemplation. Quelques-uns croyent qu’on peut faire des abeilles par art. Lors qu’on tuë un bœuf en esté, & qu’on l’enferme dans une chambre basse bien close pour le laisser pourrir dans son cuir, ils prétendent qu’au bout de 45. jours il en sort une infinité d’abeilles. Ce mot vient du Latin apes ou apicula, parce qu’elle naist sans pieds, Nicod : ou de apicula, comme avette de apesta. Les principaux des Anciens qui ont parlé des abeilles, sont Aristote, Hyginus, Virgile, Celse, Marc Varron, &c.

Aboillage. s. f. Certain droit que des Seigneurs Chastelains ont de prendre les abeilles qui sont dans les forests dependantes de leurs Chastelenies. Ce mot vient de ce qu’on disoit autrefois aboille, pour abeille.

ABESTIR. v. act. Rendre un homme stupide & semblable à une beste à force de mauvais traittemens. Il a abesti son valet. son fils est tout abesti. Nabucodonosor fut abesti par un juste jugement de Dieu. les yvrognes s’abestissent par l’excez du vin. les afflictions, la solitude abestissent les gens.

Abesti, ie. part. & adject. Ce mot vient du Latin bestia.

ABH.

ABHORRER. v. act. Avoir en horreur, detester. Un tyran est un monstre que tout le monde abhorre, tout animal abhorre la mort. un Chrêtien doit abhorrer le blaspheme, & les autres vices. Ce mot vient d’horrere Latin, qui sign. Avoir le poil herissé de peur, être saisi & transi de froid.

ABJ.

ABJECTION. s. f. Condition servile qui fait tomber une personne dans le mépris. La fortune a reduit ce Gentilhomme dans une grande abjection, à se mettre dans des conditions serviles. Quelques-uns ont écrit abjection d’esprit, pour dire, Abattement d’esprit. Le merite des premiers Chrêtiens, des premiers Religieux, a esté de vivre dans l’abjection, dans l’humilité, dans le mépris des gens du monde. Ce mot vieillit.

Abjet, ette. adj. Méprisable, dont on ne tient point de conte. Il se dit sur tout de la naissance & de la profession. Une naissance abjette, un mestier abjet. un homme abjet. On le dit aussi de l’esprit, du courage. C’est un esprit vil & abjet, une ame basse & abjette, qui n’a aucune élevation, qui ne pense à rien de grand. Ce mot vient d’abjicio, qui signifie, Jetter par mépris, abandonner une chose comme inutile.

ABINTESTAT. Terme de Jurisprudence, qui se dit de celuy qui herite d’un homme qui n’a point fait de testament. Ce fils est heritier de son pere abintestat. Il y a eu un temps où l’on privoit de sepulture ceux qui étoient decedez abintestat : ce qui donna lieu à un Arrest du 19. Mars 1409. portant deffenses à l’Evêque d’Amiens d’empêcher comme il faisoit la sepulture des decedez abintestat.

ABJURATION. s. f. Renonciation solemnelle à une erreur, à une heresie. Ce Ministre a fait abjuration entre les mains de l’Evêque.

Abjurer. v. act. Renoncer solemnellement à quelque mauvaise doctrine, à des maximes erronées. Cet homme a abjuré les erreurs de Calvin ; ou simplement, a abjuré, pour dire, il a changé de Religion, il s’est converty. On a dit autrefois, Abjurer sa patrie, pour dire, Quitter la province pour n’y plus retourner, comme font les bannis & les proscrits.

Abjuré, ée. part. pass. & adj.

Tous ces mots viennent d’abjurare, qui signifie la même chose.

ABL.

ABLAIS. s. m. Terme de Palais. Despouille de bleds. La Coûtume d’Amiens deffend d’enlever les fruits, & ablais, quand ils sont saisis, sans donner caution au Seigneur de ses droits.

ABLATIF. s. m. Terme de Grammaire. Sixiéme cas de la declinaison du nom & du participe. On dit aussi Ablatif absolu, quand il est sans regime. On l’a nommé autrefois Ablatif égaré. Le mot d’ablatif Latin a été fait ab auferendo. Priscien l’appelle aussi Comparatif, parce qu’il ne sert pas moins à comparer qu’à ôter parmy les Latins.

ABLE, ou ABLETTE. Petit poisson blanc qui se trouve dans les rivieres. En Latin alburnus. Il semble que ce mot vient d’albus, & qu’on dit able, pour albe, à cause de sa blancheur, par une simple transposition de lettres assez ordinaire dans les Langues.

Ableret. Terme de pesche. C’est une espece de filet carré attaché au bout d’une perche avec lequel on pesche les ables, ou autres petits poissons blancs : ce qui est permis par plusieurs Coûtumes. On l’appelle en quelque pays trable étiquette, ou simplement, carré.

ABLOQUIEZ. adject. plur. Terme de Coûtume. Celle d’Amiens deffend aux tenanciers de démolir aucuns édifices abloquiez, & solivez dans l’heritage qu’ils tiennent en roture, sans le consentement de leur Seigneur. Ces mots viennent apparemment de amovere à loco & à solo.

ABLUTION. s. f. Qui n’est en usage en François que pour signifier cette goutte de vin qu’on prend aprés la Communion pour consommer plus facilement la Sainte Hostie, ou ce qui sert à laver les doigts du Prêtre qui a consacré, ou dans quelque autre ceremonie ecclesiastique.

Ablution, se dit aussi chez les Religieux qui portent des habits blancs, de l’action avec laquelle on les blanchit & on les nettoye. Il y a des écriteaux qu’on met dans les Cloistres pour marquer les jours d’ablution. Ce mot vient du Latin ablutio, qui signifie l’action de purifier, de nettoyer.

ABN.

ABNEGATION. s. f. Terme de devotion. Renonciation à ses passions, à ses plaisirs, à ses interests. L’abnegation de soy-même est un des Conseils Evange-


liques, & est necessaire pour la perfection Chrêtienne. Ce terme vient du Latin abnegare, qui signifie, Desavoüer, ne vouloir point reconnoistre une chose comme sienne.

ABO.

ABOLIR. v. act. Mettre quelque chose hors d’usage, l’effacer, la mettre à neant. Le Magistrat a aboli cette méchante coûtume. le Roy a aboli une telle loy, une telle procedure ; il a entierement aboli les duels. Le temps a aboli les plus beaux monumens de l’antiquité. il n’y a que le Roy qui puisse abolir un crime. Ce mot vient du Latin abolere, ita extinguere & delere, ut ne oleat quidem.

Abolir, se dit aussi avec le pronom personnel. Les Mandats Apostoliques se sont abolis par un non-usage. il ne faut pas souffrir que les bonnes coûtumes s’abolissent.

Aboli, ie. part. pass. & adj. Loy abolie. crime aboli.

ABOLISSEMENT. s. m. Abrogation. L’abolissement, ou l’abrogation des loix se fait par l’establissement des nouvelles. l’abolissement des coûtumes arrive par la succession de temps, par le non-usage.

ABOLITION. s. f. Terme de Chancellerie. Lettres du Prince par lesquelles il abolit entierement un crime quel qu’il soit, sans même qu’on soit tenu d’en expliquer les circonstances, & de les rendre conformes aux informations, ainsi qu’il est requis aux lettres de grace, qui ne s’accordent que pour les cas remissibles. Les lettres d’abolition doivent contenir cette clause : En quelque sorte & maniere que le cas puisse être arrivé. l’amnistie est une abolition generale de tout ce qui s’est commis durant la guerre civile. un vray acte de contrition emporte l’abolition de tous les pechez.

Abolition, signifie aussi, la destruction d’une loy, d’une coûtume. L’abolition des ceremonies Judaïques s’est faite par la Loy de grace. on a eu bien de la peine à faire une entiere abolition des superstitions Payennes.

ABOMINABLE. adj. masc. & fem. Horrible, detestable en son genre, execrable. Le repas d’Atrée & de Thyeste fut un repas abominable. Neron estoit un monstre abominable. l’heresie d’Arrius étoit abominable. le parricide est un crime abominable. une phrase abominable, qui est fort méchante.

Abominablement. adv. Execrablement, horriblement. Il en a usé avec luy abominablement : il luy estoit obligé de la vie, & il l’a voulu assassiner.

Abomination. s. f. Horreur, execration. L’Eglise a cette opinion en abomination. il se commet dans le Sabbath de grandes abominations.

Abominer. v. act. Vieux mot qui n’est plus en usage, Avoir en horreur. Il vient de ab & ominari, c’est à dire, malè ominari. Covarruvias.

Ces mots viennent d’abominari, comme qui diroit, rejicere tanquam malum omen, Rejetter une chose comme si elle estoit de mauvais augure.

ABONDAMMENT. adv. En abondance. Cette source donne de l’eau abondamment. cet homme est fort à son aise, il a abondamment dequoy vivre.

Abondance. s. f. Foison, affluence de plusieurs choses en un même lieu. La commodité des rivieres ameine l’abondance à Paris. la cherté est souvent cause de l’abondance. il a abondance de bien, ou des biens en abondance. On dit aussi, abondance de droit. Dieu verse sur nous ses graces en abondance. On appelle la corne d’Amalthée, la corne d’Abondance. On dit proverbialement, De l’abondance du cœur la bouche parle, pour dire, qu’on est contraint de declarer les sentimens des choses qui nous pressent.

ABONDANT, ANTE. adj. Qui a abondance. Un jardin abondant en fruits. la Langue Grecque est fort abondante en mots & en phrases. cette maison est abondante en biens. les hableurs sont abondants en paroles.

D’abondant. adv. En outre. Il luy a dit cela d’abondant. Ce mot vieillit, & ne se dit gueres qu’au Palais.

Abonder. v. neut. Avoir beaucoup de quelque chose. Ce pays abonde en froment, en vins, en fourrages. cet homme abonde en richesses, en esprit. l’eau abonde en cet estang. cette famille abonde en honnestes gens.

On dit figurément, qu’un homme abonde en son sens, pour dire, qu’il est trop bien persuadé de ses opinions, & qu’il ne veut jamais s’en rapporter au sentiment des autres. Il abonde en malice, en mauvais raisonnements. l’Ecriture dit que la grace abondera où le peché a abondé. On dit proverbialement au Palais, Ce qui abonde ne vitie pas.

Ces mots viennent du Latin abundare, qui vient de unda, & qui se dit en premier lieu des rivieres quand elles sont grosses ; & ensuite par rapport de toutes les choses qui sont en grande quantité.

ABONNEMENT, ou Abournement ; Abonnage, ou Abournage. s. m. Traité ou convention, par lequel on abonne, ou on fixe à un prix certain une redevance incertaine. Ce mot vient de ce qu’on met certaines bornes & limites aux droits incertains qu’on pourroit pretendre. Pasquier. On disoit même autrefois bonnes pour bornes ou limites. Menage.

Abonner, ou Abourner. v. act. Terme du Palais. Estimer & reduire à une certaine somme d’argent un droit qu’on payoit en especes, & dont le prix estoit incertain. Il est abonné à tant par an pour tous droits Seigneuriaux. ce marchand est abonné à cent escus par an avec le Doüanier pour les droits d’entrée de toutes ses marchandises. par plusieurs Coûtumes les roucins de service sont abonnez à un escu.

Abonner, signifie aussi, Aliener, changer : c’est quand un vassal aliene ses rentes, ou change son hommage à quelque autre devoir. Voyez les Coûtumes d’Anjou & du Maine. L’ancienne Coûtume de Tours portoit aliener, au lieu d’abonner, qui est en la nouvelle.

Abonné, ée. part. pass. & adj. Champart abonné, ou abourné. Les Coûtumes font aussi souvent mention d’hommes & de femmes serfs abonnez, de queste abonnée, d’aydes abonnées, c’est à dire, fixées.

On dit aussi des meusniers abonnez au Seigneur pour avoir permission de chasser & de chercher les mounées dans sa Seigneurie.

On dit aussi, Taille abonnée en la Coûtume de Nevers, & abournée en la Coûtume de Troyes.

ABONNIR. v. act. Rendre meilleur. Les cabaretiers trouvent moyen d’abonnir leur vin par les drogues qu’ils y meslent. On le dit aussi avec le pronom personnel. Cet homme s’abonnit tous les jours depuis qu’il hante les gens de bien. Les affaires criminelles s’abonnissent, quand on les fait tirer en longueur. les fruits s’abonnissent en meurissant. Ce mot se tire du Latin bonus, bon.

ABORD. s. m. Lieu d’où on peut approcher, où on peut arriver aisément. Toutes les côtes d’Angleterre & de Hollande sont de difficile abord. on fait grande estime des havres d’entrée qui sont de facile abord. Ce mot est composé de a, & de bord, signifiant rivage.

Abord, se dit aussi de l’affluence des personnes, ou des marchandises qui arrivent en un même lieu. Constantinople est une ville de grand abord. il y a un grand abord de pelerins à Rome pendant l’année du Jubilé. il y a un grand abord de joüeurs, de beau monde dans une telle maison. l’abord des marchands étrangers se fait en la maison des Consuls établie dans les eschelles d’Orient.

Abord, se dit aussi d’une attaque d’ennemis, soit par mer, soit par terre. L’abord des François est à crain-


dre, on ne peut soûtenir leur premier abord. l’abord fut rude quand on eut accroché le vaisseau.

Abord, se dit aussi de l’accés qu’on donne aux personnes qui ont à faire à nous. Ce Prince a l’abord doux & gracieux. ce Juge est rebarbatif, il a l’abord brusque & desagreable. ce parent fut receu à son abord avec grande joye.

D’abord, tout d’abord, de prime abord, sont des phrases adverbiales. Du commencement, de la premiere veüe. Aux tables de Perse on sert d’abord le fruit & les confitures. quoy que je n’eusse point vû cet homme il y a long-temps, je le reconnus tout d’abord. cette nouvelle me surprit tout d’abord, de prime abord.

ABORDABLE. adj. masc. & fem. Accessible, accostable. Cette côte n’est pas abordable à cause des écueils. cet homme est si glorieux, qu’il est abordable à peu de personnes.

ABORDAGE. s. m. Terme de marine, qui se dit lors que deux vaisseaux se heurtent, ou s’accrochent pour se combattre. Faire l’abordage en belle, ou debout au corps, c’est à dire, l’esperon dans le flanc. L’abordage de franc étable est celuy qui se fait par le devant.

Abordage, se dit aussi du choc de deux vaisseaux du même party, soit lors qu’ils vont en flotte, soit lors qu’ils sont en même mouillage ; ce qui arrive par la violence des flots ou des vents qui les portent les uns sur les autres.

ABORDER. v. act. & neut. Arriver en quelque lieu. La flotte des Indes est abordée en Espagne. il vient d’aborder un regiment en une telle ville. les marchands abordent de tous côtez à la foire de Beaucaire le 21. Juillet. on ne pouvoit aborder jusqu’à l’autel à cause de la foule du peuple.

Aborder, signifie aussi, Venir à bord d’un vaisseau. On a contraint ce vaisseau ennemy de mettre pavillon bas, & d’aborder. On dit Aborder au port sur les rivieres ; mais en termes de marine, quand on veut dire gagner le rivage, on ne dit pas aborder, mais mouiller, toucher, rendre le bord.

Aborder, signifie encore, Attaquer l’ennemy hardiment, tant par mer, que par terre. Les vaisseaux dans les batailles tâchent toûjours d’empêcher qu’on ne les aborde. ce bataillon aborda les ennemis avec une contenance ferme.

Aborder, signifie aussi, Approcher quelqu’un pour luy parler. Ce Ministre est si courtois, qu’on l’aborde facilement. il l’aborda avec ce compliment.

On dit aussi, qu’on n’oseroit aborder d’un tel lieu à cause des voleurs, des bêtes farouches qui s’y rencontrent. Quand ce dogue est lâché, on n’oseroit aborder dans la basse-cour, on n’oseroit l’aborder.

Aborder la remise. Terme de Fauconnerie, qui se dit lors que la perdrix poussée par l’oiseau a gagné quelque buisson : alors on aborde la remise sous le vent, afin que les chiens sentent mieux la perdrix clusée dans la haye ou le buisson.

Abordé, ée. part. & adj.

ABORTIF, ive. adj. Qui est venu avant terme, ou qui ne peut pas acquerir la perfection, la maturité. Il ne se dit gueres que des plantes qui ont des fruits abortifs. On le dit pourtant d’un enfant en cette phrase de l’Ecriture, Il vaudroit mieux être abortif. Et on s’en sert aussi fort souvent en Medecine. Ce mot vient du Latin aboriri, qui signifie, Venir avant le temps.

ABOUCHEMENT. s. m. Entretien de bouche, de vive voix, conference. L’abouchement des grands Princes a été souvent nuisible à leurs États. on a plûtost terminé une affaire par un abouchement d’une demie heure, qu’en trois mois de negociation par Lettres.

ABOUCHER. v. act. Aborder quelqu'un de prés, conferer avec luy bouche à bouche. On ne peut aboucher cet homme-là, tant il a d'affaires. On le dit plus volontiers avec le pronom personnel. Il faut que ces chefs de party s'abouchent ensemble. les Rois de France & d'Espagne se sont abouchés pour conclure la paix des Pirenées en 1659.

Aboucher, se dit aussi dans les Arts, des tuyaux qui entrent l'un dans l'autre, qui se touchent, qui se communiquent. On le dit particulierement en Medecine des veines & des arteres, & autres vaisseaux qui ont de la communication, dont les orifices se touchent. Ce mot se tire du Latin bucca, comme qui diroit, adbuccare, abbuccare, ad buccam loqui.

ABOUGRI, ou Rabougri. Terme dont on se sert dans les forests pour signifier des bois de mauvaise venuë, dont le tronc est court, raboteux, plein de noeuds, & qui ne pousse gueres de branches. Le bois abougri est de nulle valeur pour les ouvrages, & est sujet au recepage.

ABOUQUEMENT. s. m. En fait de salines, c'est une addition de nouveau sel sur un meulon, ou monceau de vieux sel, qu'on appelle vache. L'ordonnance deffend l'abouquement, si ce n'est en presence des Officiers Royaux.

ABOUQUER. v. act. Faire un abouquement de nouveau sel sur du vieux sel.

ABOUEMENT. s. m. Terme de menuiserie. C'est une espece d'assemblage dont usent les charpentiers & les menuisiers.

ABOUT. s. m. Terme de charpenterie, qui se dit des extremitez de toutes les pieces de charpenterie & de menuiserie mises en oeuvre. Les couvreurs disent aussi, un remanie about.

Abouté. adj. Terme de Blason, qui se dit de quatre hermines dont les bouts se respondent & se joignent en croix.

Aboutir. v. neut. Se rendre, se terminer à un certain endroit, en toucher quelque bout. Cette maison aboutit au grand chemin. tous les rayons d'un cercle aboutissent à son centre. cette pyramide aboutit en pointe.

Aboutir, se dit figurément en Morale. Ce procés a abouti enfin à une transaction. on ne sçait où aboutiront tous ces grands desseins. cette grande recherche n'aboutira à rien. ce long compliment n'a abouti qu'à demander de l'argent en prest.

Aboutir, se dit aussi en Medecine, d'une playe qui vient à suppuration. On met des emplastres, des cataplasmes pour faire aboutir des bubons, des abscés, des froncles, des tumeurs.

Aboutissant, ante. adj. Qui touche par un bout. Cette piece de pré est aboutissante à la riviere par un bout, & par l'autre à la varenne.

On dit au substantif, Ce champ a la forest & deux grands chemins pour ses tenans & aboutissans.

On dit au Palais, Donner une Declaration d'heritages par tenans & aboutissans, quand on en designe les bornes & les limites de tous les côtez : ce qu'on appelle autrement les bouts & jouxtes. Une saisie reelle de biens roturiers doit contenir tous les tenants & aboutissans.

On dit figurément, Sçavoir tous les tenants & aboutissans d'une affaire, d'une entreprise, pour dire, en connoître parfaitement le secret, en sçavoir le fort & le foible.

Aboutissement. s. m. Terme de couture. C'est une piece d'étoffe que l'on coud avec une autre qui n'est pas assez longue pour aller jusqu'où on desire. Cette piece est trop courte, il y faut mettre un aboutissement.

Tous ces mots viennent de bout.


ABR.

ABRACADABRA. Terme barbare qui se trouve dans les Lettres de Voiture. C'étoit une inscription qui servoit de caractere pour guerir plusieurs maladies, & chasser les Demons, dont l'Auteur étoit un Heretique qui vivoit sous l'Empereur Adrien, qui reconnoissoit pour Dieu Souverain Abracax, duquel dependoient plusieurs autres Dieux, & sept Anges qui presidoient aux sept cieux. Il leur attribuoit 365. vertus, autant que de jours en l'an, & autres choses superstitieuses. On trouve chez les curieux plusieurs pierreries de ce nom Abracax. C'étoient les Gnostiques, les Basilidiens, & les Carpocratiens qui faisoient graver ces pierres, qui avoient des figures fort singulieres, & qui representoient quelquefois des Anubis, des têtes de lions, de dragons, &c. sur quoy Macarius & Chiflet ont fait des Traitez. Baronius, Gassendi, & Du Cange en font aussi mention.

ABREGÉ. s. m. Sommaire, épitome. Abregé de l'Histoire Romaine. Mezeray a fait l'abregé de sa grande Histoire en trois Volumes in quarto.

On dit aussi, Un abregé des merveilles du monde, quand on veut bien loüer une chose, ou une personne qui a toutes sortes de perfections, & où on trouve tout ce qu'on peut voir de beau ailleurs. Paris est un abregé de merveilles. l'homme est appellé microcosme, pour dire, un abregé de l'Univers.

Abregé, en termes d'Organistes, se dit d'une certaine reduction des touches du clavier de l'orgue, qui a été inventée, afin que chaque touche qui n'a que deux pieds de long se rapporte à chaque sous-pape des sommiers, qui sont longs de 4. 5. ou 6. pieds ; ce qui se fait par plusieurs barreaux, pointes & chevilles : d'où vient qu'une marche du clavier fait souvent parler un tuyau fort éloigné. En examinant une orgue, on connoist que les abregez sont bien faits, lors que le clavier n'est point tardif à donner le vent aux tuyaux, lors qu'il se ferme aisément, & qu'il n'est pas besoin d'enfoncer beaucoup les touches.

ABREGER. v. act. Reduire en moindre discours ou espace, raccourcir. Abreger son discours, dire succinctement. On a abregé le temps de son exil. cette traverse abrege le chemin. les jours de l'homme ont été abregez & réduits à 120. ans depuis le Deluge. on abrege sa vie par les excés. Ce mot vient de abbreviare. Nicod.

Pour abreger. Façon de parler adverbiale, pour dire, Enfin, pour conclusion. On dit aussi, Abregez, quand un superieur est ennuyé d'un discours trop prolixe qu'on luy fait. On le dit aussi en un calcul de jettons, quand il y a trop de jettons sur une même ligne.

ABRENONCIO. Mot Latin qui signifie Renoncer, dont on se sert en François, lors qu'un homme desnie de mauvaise foy quelque debte, ou autre chose qu'on luy demande. Un tel avoit promis de payer cent escus, mais quand on les luy a demandés, il est allé à abrenoncio. Ce mot est tiré des exorcismes qui se font en baptisant, ou en faisant l'eau beniste, où l'on dit souvent, Abrenuncio.

ABRI. s. m. Lieu à couvert du soleil, du vent & du froid, où l'air est agreablement temperé. Ces espaliers sont à l'abri du mauvais vent. ce lieu est à l'abri du soleil. on se met à l'abri quand il pleut. Ce mot vient de apricus, quoy que de signification contraire. Menage veut qu'il vienne de arbor ou albor.

On le dit fort souvent en termes de marine. Cette rade est à l'abri des vents du Nort. ces montagnes mettent ce port, ce mouillage à l'abri. c'est un bon abri.

Abri, se dit figurément en Morale. La solitude est un bon abri contre les coups de la fortune. il est entré au service de ce Ministre, c’est un bon abri contre ses ennemis.

On dit aussi adverbialement, Se mettre à l’abri de l’orage. Ce criminel ayant eu advis qu’on le vouloit prendre, s’est mis à l’abri, s’est sauvé en quelque asyle. On dit aussi d’un prisonnier, qu’on l’a mis à l’abri, qu’on s’en est asseuré.

Abrier. v. act. Vieux mot qui signifioit, Proteger, deffendre. Mezeray l’a employé.

ABRICOT. s. m. Fruit participant de la pesche & de la prune. Il est doux & agreable au goust. Il est un peu rouge & jaune en meurissant, & pour cela on l’a appellé à Rome chrysomele, comme qui diroit, pomme d’or. Il meurit en Juin avant les autres fruits, & pour cela on a appellé chez les Medecins ces fruits, mala præcoqua, c’est à dire, hastifs. On l’appelle aussi en Latin, malum armenium, prunum armenium. Menage fait deriver ce mot de mala præcoqua, ou præcoccia ; d’autres du Grec abron, qui signifie Mol & delicat, ou du Latin aperitium, parce qu’il s’ouvre facilement. Mais Mathiole dit que les abricots retiennent le nom que les Grecs leur ont donné, qui les appellent Bericoccia. On dit que les abricots en Perse sont un poison, & même qu’ils sont si dangereux en Piedmont, qu’un seul a quelquefois donné la fievre : & neantmoins La Framboisiere soûtient qu’ils valent mieux que les pesches, car ils ne se corrompent ni ne s’aigrissent dans le ventricule ou l’estomac. Il y a une espece d’abricot qui est tout blanc dehors & dedans, qui s’ouvre net, & de bon goust. Il y en a un autre qui est jaune, & plus rouge que les autres, lequel est le masle, dont le noyau tient à la chair, dont le goust est exquis, musqué & extraordinaire, & son amande est douce comme celle de l’amandier.

Abricotier. s. m. Arbre qui porte des abricots. Ses feuilles sont semblables à celles du tremble, un peu pointuës par le bout, dentelées en leur circonference, & sortent quatre à quatre, ou cinq à cinq. Il jette des fleurs blanches comme le cerisier, d’où sort le fruit en forme de pesche, ayant au dedans un os dans lequel il y a un noyau tantost doux, & tantost amer. En Latin malus armeniaca.

Abricoté. s. m. Dragée faite d’un petit morceau du fruit de l’abricot entouré de sucre.

ABROGATION. s. f. Action par laquelle on destruit, ou on change une loy, une coûtume. L’abrogation de la Pragmatique Sanction s’est faite par le Concordat.

ABROGER. v. act. Casser, annuller, mettre hors d’usage. Il ne se dit gueres que des loix & coûtumes. Les anciennes Ordonnances sont abrogées par les nouvelles. les coûtumes s’abrogent par un usage contraire pendant un long espace de temps.

Abrogé, ée. part. pass. & adj. Les loix abrogées n’ont plus de force. Ce mot vient du Latin abrogare, Revoquer, destruire une Coûtume.

ABRUTIR. v. act. Rendre beste, stupide. Le vin l’a tellement abruti, qu’il est insupportable. On le dit aussi avec le pronom personnel. Les esprits foibles s’abrutissent dans la solitude.

Abrutissement. s. m. Estat de celuy qui vit en beste. Quand un vieux pecheur est tombé dans l’abrutissement, il ne s’en peut retirer sans une grande grace de Dieu. Ces mots viennent du Latin brutus.

ABS

ABSCONSER. v. neut. Se cacher. Absconsare. Vieux mot qui n’est plus en usage. On dit encore en Picardie, Esconsement du soleil, Occasus solis. Nicod.


ABSENCE. s. f. Retraitte, éloignement de la presence des autres. Les amans se plaignent fort de l’absence de leur maistresse. on travaillera à cette affaire tant en presence, qu’absence.

Absence d’esprit, signifie Distraction, quand on songe à une autre chose qu’à celle dont on parle.

ABSENT, ENTE. adj. Qui s’est éloigné du lieu de sa residence ordinaire. Les absens pour la République sont reputez presens. à la Cour on ne se souvient gueres des absens.

On dit proverbialement, que les os sont pour les absens, lors qu’on disne sans eux, lors qu’on ne leur laisse que les restes des autres.

ABSENTER. v. neut. qui ne se dit qu’avec le pronom personnel, Se retirer, s’éloigner de la presence des autres. Ce Prince s’est absenté de la Cour. il est allé voyager, il s’est absenté pour long-temps. il s’absente de ses amis avec peine.

S’absenter, signifie encore, S’enfuir, se cacher, se mettre à couvert, de peur de quelque accusation ou recherche. Il s’est absenté de la ville, à cause qu’on avoit decreté contre luy. ce marchand s’est absenté, a fait banqueroute.

Ces mots viennent du participe Latin absens.

ABSÉS. s. m. Tumeur contre nature qui tend à corruption, & se forme au dedans du corps, que le peuple appelle apostume, en Latin absessus, en Grec aposthema. Cet homme est mort d’un absés qu’il avoit dans le ventre. un absés qui perce, ou suppure en dehors est capable de guerison. Voyez Tumeur, & Apostheme.

ABSIDES. s. m. Terme d’Astronomie. Ce sont deux points de l’orbite d’une planete, dont le plus haut est nomme apogée, & le plus bas perigée, ou le plus prés de la terre. Le diametre qui les joint s’appelle la ligne des absides, qui passe par le centre de l’orbite de la planete, & par le centre du monde. L’excentricité se prend dans la ligne des absides.

Ce mot vient du Grec apsis, qui signifie une arcade, une voute, & quelquefois un cercle & un hemisphere. Dans les vieux titres on a appellé absides, la partie interieure de l’Eglise où est le maistre autel, qui avoit ordinairement une voute particuliere & separée.

ABSOLUMENT. adv. Souverainement. Il commande absolument en telle Province. il faut faire cela absolument, de necessité absoluë. Ce mot vient du Latin absolvere, entant qu’il signifie, Achever. Celuy qui commande absolument veut que la chose se fasse sans replique.

Absolument parlant, se dit quand on parle d’une chose sans relation à une autre. On dit aussi en Grammaire, qu’un mot se dit absolument, quand il est sans regime.

ABSOLUTION. s. f. Action par laquelle on absoud. Il a obtenu un arrest d’absolution en matiere criminelle. On dit aussi, Absolution d’une demande civile, quand on en est deschargé ; absolution sacramentale en matiere de confession. L’absolution des censures est la troisiéme partie d’une signature de Cour de Rome, qui porte absolution des censures qui pourroient empêcher l’effet de la grace accordée. On appelle aussi en Chancellerie Apostolique une absolution à sævis, une grace accordée par une signature particuliere à celuy qui a assisté à quelque jugement de mort, ou qui a commis quelque cas qui le rend irregulier, & incapable de posseder aucuns Benefices.

Absolution, en termes de Breviaire, est une courte priere que dit celuy qui officie à chaque nocturne des Matines auparavant les benedictions & les leçons. On appelle absolutions, les encensemens & aspersions d’eau benite qu’on fait sur le corps des Princes & des Prelats qu’on enterre avec grande ceremonie.

ABSOLU, uë. adj. Sans condition, sans reserve. Prince absolu. commandement absolu. il a obtenu cela d’authorité absolue. ablatif absolu. un verbe absolu, qui n’a aucun regime. On appelle aussi, Jeudy absolu, le Jeudy saint, & dans les vieux titres, Absolutionis dies. Un Plenipotentiaire a un pouvoir absolu, & sans reserve. cet homme est absolu, il commande avec hauteur, & veut qu’on luy obeïsse sans raisonner.

Absolutoire. adj. Qui porte absolution. Il a eu une sentence absolutoire.

Tous ces mots viennent du Latin absolvere, Absoudre, delivrer, delier.

ABSORBER. v. act. Engloutir, emporter en tout, ou en partie. Il est peu en usage au propre, si ce n’est en parlant des animaux voraces : mais il se dit au figuré. Les frais qu’il a fallu faire pour l’exploitation de cette ferme, en ont absorbé tout le profit. les frais d’un scellé absorbent les plus clairs deniers de cette succession. ce goinfre a absorbé tout son patrimoine. Ce mot vient du Latin absorbeo, signifiant le même.

ABSOUDRE. v. act. Descharger d’une accusation, de la peine d’un crime. Absoudre un penitent en Confession, un accusé en Justice. on l’a absous à pur & à plein. On dit aussi en parlant d’un Roy deffunct, que Dieu absolve.

Absous, oute. adj. Affranchy ou delivré de crime.

Absous, se dit aussi en matiere civile. Un deffendeur conclut toûjours à être renvoyé quitte & absous de la demande qu’on luy a faite.

ABSOUTE. s. f. Ceremonie & benediction que font les Evêques la Semaine Sainte pour donner absolution des pechez, supposant la Confession Sacramentale. Il s’en fait aussi par les Curez dans les Paroisses le jour de Pasques.

ABSTENIR. v. neut. qui ne se dit qu’avec le pronom personnel, Se deffendre l’usage de quelque chose, se priver de quelque plaisir. Il faut s’abstenir du vin pendant la fievre. les Juifs étoient obligez de s’abstenir de leurs femmes pendant leurs purgations. il ne se peut abstenir de joüer, de parler. il faut s’abstenir de manger des choses deffenduës par la Loy, de faire des actions qu’elle condamne.

Abstenir, se dit aussi en matiere de recusation de Juges : & quand la Cour la trouve bien fondée, elle dit pour adoucir l’expression, que le Juge s’abstiendra, c’est à dire, de rapporter le procés, ou d’y opiner.

ABSTINENCE. s. f. Vertu morale par laquelle on s’abstient des choses deffenduës par la Loy, soit que ce soit un precepte essentiel, soit une ceremonie. C’est une espece de la temperance. Le grand jeusne, dit St. Augustin, est l’abstinence des vices. l’Eglise juge convenable aux Ecclesiastiques l’abstinence des femmes : elle a marqué aussi certains jours de jeusne, & d’abstinence. on fait des abstinences par un pur regime de vivre, comme de vin, de salines, &c.

Abstinence, signifie quelquefois une simple deffense de manger de la chair. L’Eglise ordonne simplement l’abstinence le jour de St. Marc, & non pas le jeusne. les mercredis sont des jours d’abstinence chez plusieurs Religieux. les devots font aussi des abstinences & des macerations volontaires.

ABSTINENT, ente. adj. Temperant à l’égard du boire & du manger. Les peuples du Midy sont plus abstinents que ceux du Septentrion.

Ces mots viennent du Latin abstinere, comme se tenere ab aliquâ re, Se priver de la jouïssance de quelque chose.

ABSTERGER. v. act. Terme de Medecine & de Chirurgie. Purger, nettoyer une playe.

Abstersif, ive. adj. Qui purge & nettoye. Medicament, purgation abstersive.

Ces mots viennent du Latin abstergo, qui signifie le même.


ABSTRACT, abstracte. Terme de Philosophie. Ce qu’on detache par la pensée de toute autre chose, afin d’en avoir une connoissance simple, & par luy-même. La quantité est un terme abstract, quand on la considere en elle-même, & sans être attachée à aucun corps, quoy qu’elle ne puisse subsister naturellement sans luy, ni luy sans elle. La blancheur est un terme abstract, quand on la considere detachée d’un sujet. de la connoissance des abstracts on parvient à celle des concrets, qui est le terme opposé.

Abstraction. s. f. Detachement qui se fait par la pensée de tous les accidens ou circonstances qui peuvent accompagner un être, pour le considerer mieux en luy-même. Pour bien juger d’un homme, il faut faire abstraction de tout ce qui nous peut preoccuper ou pour, ou contre luy.

Abstraire. v. act. Faire une abstraction, un detachement de toutes les qualitez d’une chose, pour ne considerer que son essence. Quand on raisonne en Algebre, on abstrait la quantité, le nombre de toutes sortes de matieres & de sujets.

Abstrait, aite. part. & adj. se dit figurément en Morale, d’un homme qui detache ses regards de tous les objets qui l’environnent, pour ne vaquer qu’à la contemplation de celuy qu’il a dans la pensée. Les Saints qui sont en extase sont des gens abstraits qui vaquent seulement à la contemplation des grandeurs & des beautez divines. On dit aussi, qu’un homme est abstrait, quand il ne répond pas à celuy qui luy parle, parce qu’il songe à autre chose.

Ces mots viennent du Latin abstrahere, comme trahere ab.

ABSTRUS, use. adj. Qui est caché & inconnu au commun du monde. L’Algebre, les Sections Coniques, sont des sciences, des matieres fort abstruses, où peu de personnes peuvent penetrer. Ce mot vient d’abstrudere, Cacher, enfoncer.

ABSURDE. adj. masc. & fem. Terme de Philosophie. Ce qui choque le sens commun, qui est impertinent, incroyable, impossible. Proposition absurde. quand on suppose une chose absurde, on en tire mille consequences absurdes. il prouve une chose absurde par une chose plus absurde.

Absurdement. adv. D’une maniere absurde. C’est conclure absurdement, que de dire, &c.

Absurdité. s. f. Qui contient quelque chose d’absurde. Il s’ensuivroit de grandes absurditez d’une telle supposition. la plus grande des absurditez est la contradiction.

Ce mot vient du Latin surdus. On voudroit estre sourd pour ne pas entendre les choses ridicules. En Grec, Ridicule se dit asymphonos, comme deplaisant à l’oreille.

ABSYNTHE. subst. masc. & fem. selon Malherbe ; & selon Vaugelas, toûjours masculin. Plante medicinale. L’absynthe commune a une tige fort branchuë, des feuilles blanches, & fort decouppées, comme l’artemisia, ses fleurs dorées & petites. Sa graine est ronde, & disposée comme une grappe de raisin. Sa racine est fort esparpillée. Plusieurs croyent que c’est la barbotine, qu’on appelle semen sanctum. Mais Mathiole dit que c’est une plante bien differente. Quelques-uns pretendent que l’absynthe est l’auronne femelle. Il y a une espece d’absynthe qu’on appelle petite aluyne, qui est semblable à la petite auronne, estant toute entassée de petite graine fort amere, qu’on appelle en Latin absynthium marinum, ou seriphium. L’absynthe santonique est sa troisiéme espece, qui est semblable à l’aluyne, mais qui est moins chargé de graine que l’autre. On fait du vin d’absynthe, & de l’eau d’absynthe.

Ce mot vient d’a particule privative en Grec, & pinthion, de pino, bibo, plante si amere, qu’on a de la peine à boire une liqueur dans laquelle elle aura trempé.

ABU.

ABUNA. subst. masc. Terme de Relations. C’est un nom de dignité que donnent les Abyssins à leur Patriarche, qui leur est envoyé par celuy d’Alexandrie.

ABUS. s. m. Dereglement, ce qui est fait contre la raison & le bon ordre. Il y avoit des abus dans tous les ordres de l’Estat, qui ont esté reformez par Louïs le Grand. les Conciles, les Ordonnances sont faites pour reformer les abus contre la Discipline & la Police. ce Ministre a reformé les abus des Finances ; ce President les abus de la Justice. Ce mot vient du Latin abusus.

Abus, signifie aussi, Mauvais usage d’une chose. On commet bien de l’abus en la distribution des aumosnes.

Abus, signifie aussi, Erreur, tromperie. Si vous croyez que cela soit, c’est un abus. les Mahometans vivent dans l’abus, suivent l’abus de leur faux Prophete. en Arithmetique, quand la preuve ne se trouve pas bonne, on connoist qu’il y a de l’abus dans le calcul.

Appel comme d’abus, c’est un appel qu’on interjette des sentences des Juges Ecclesiastiques, quand ils entreprennent sur les Puissances seculieres, quand ils jugent des choses qui ne sont point de leur jurisdiction, quand ils jugent contre les Saints Canons & la Discipline de l’Eglise. L’abus ne se couvre point par quelque sentence, par quelque possession, ou prescription que ce soit. quand un Official juge du possessoire des dixmes infeodées, du possessoire des Benefices, il y a abus. on appelle comme d’abus, des unions des Benefices, des Rescrits de Cour de Rome, des fulminations des Bulles, excommunications, quand elles sont contre les loix de l’Eglise receües en France. L’Appel comme d’abus a commencé d’être en usage du temps de Philippe de Valois, lors que Pierre de Cugnieres son Advocat General se plaignit des entreprises que faisoient les Ecclesiastiques sur les personnes & la justice seculieres : mais il n’a été en vigueur que sous le regne de Louïs XII. Les Chanoines de Nostre Dame firent mettre au côté du Chœur un petit marmot, que par derision ils appellerent Pierre du Cognet, qui y est encore. Feuvret Advocat de Dijon a fait un fort beau volume de l’Appel comme d’abus.

ABUSER. v. act. Faire un mauvais usage de quelque chose. Il ne faut pas abuser des Sacremens, abuser de la bonté de Dieu. les Heretiques abusent de l’Ecriture, ils en corrompent le sens. il ne faut pas abuser de la patience des Juges, plaider trop long-temps, dire des choses inutiles. ce Magistrat abuse de sa charge, de son pouvoir, de son authorité, quand il l’employe pour servir à ses interests particuliers.

Abuser, signifie aussi, Tromper, seduire. Les faux Prophetes, les Charlatans abusent les peuples, abusent de leur credulité. les meilleurs Arithmeticiens s’abusent quelquefois en leur calcul. nostre amour propre nous abuse, nous fait suivre nos passions, qui nous abusent, qui nous trompent. j’ay pris cet Autheur pour un autre, je me suis abusé en le citant. il a abusé de ma facilité.

Abuser, signifie plus particulierement, Suborner une femme, une fille. Il faut être bien malhonneste homme pour abuser de la femme de son amy, pour abuser la fille de son hoste. il a abusé long-temps cette fille de l’esperance de l’espouser, & puis il en a pris une autre.

Abusé, ée, part. & adj.

ABUSEUR. s. m. Qui abuse, qui seduit, qui trompe. Mahomet a été un grand abuseur de peuples. il y a des galants qui font vanité d’être abuseurs de filles.

ABUSIF, ive. adj. Où il y a de l’abus. Une union de Benefice sans cause veritable & importante est abusive. un jugement


d’Official contre un laïque, & pour cause prophane, est abusif.

Abusivement. adv. D’une maniere abusive. La Cour en infirmant les sentences des Juges de l’Eglise, prononce, Mal, nullement, & abusivement jugé. il y a plusieurs mots de la Langue qu’on prend quelquefois abusivement, qu’on dit improprement.

Ces mots viennent du Latin abuti.


ABY

ABYSME. s. m. Gouffre profond où on se perd, d’où on ne peut sortir. Il y a de profonds abysmes dans ces montagnes, dans ces rochers, dans ces mers, dans ces rivieres. cette ville est fonduë en abysme.

Selon quelques-uns, ce mot vient du Grec bathos, qui signifie la mer profonde : d’où est venu aussi le mot de bas, & abaisser. Mais il y a plus d’apparence qu’il vient d’abyssus Latin, ou du Grec abyssos, qui signifie la même chose.

Abysme, se dit figurément en Morale des choses où la connoissance humaine se perd quand elle raisonne. La Physique est un abysme, on ne peut penetrer dans les secrets de la Nature. les jugements de Dieu, les mysteres sont des abysmes, dont on ne peut sonder la profondeur.

Abysme, se dit absolument des enfers. La rebellion des Anges les fit precipiter dans l’abysme. qui pourra mesurer la profondeur de l’abysme ? On dit aussi, C’est un abysme de maux, de souffrances, de malheurs.

Abysme, se dit aussi de ces depenses excessives dont on ne peut juger avec certitude. On ne peut certainement regler la depense de la Marine, c’est un abysme. la depense de cette maison est excessive, c’est un abysme. On dit en proverbe, qu’un abysme attire l’autre, quand d’un mal on tombe en un plus grand.

ABYSME. Terme de Blason. C’est le cœur, ou le milieu de l’Escu, ensorte que la piece qu’on y met ne touche & ne charge aucune autre piece telle qu’elle soit. Ainsi on dit d’un petit Escu qui est au milieu d’un grand, qu’il est mis en abysme. Et tout autant de fois qu’on commence à blasonner par toute autre figure que par celle du milieu, on dit que celle qui est au milieu est en abysme, comme si on vouloit dire, que les autres grandes pieces étant élevées, celle-là paroît petite, comme cachée, & abysmée. Il porte trois besans d’or avec une fleur de lys en abysme.

Abysme, est aussi un vaisseau fait en prisme triangulaire renversé, qui sert aux Chandeliers à fondre leur suif, & à faire leur chandelle, en y trempant plusieurs fois leur méche.

ABYSMER. v. act. Jetter dans un abysme, y tomber, se perdre, se noyer. Les Ouragans abysment les vaisseaux. ce terrain s’est abysmé, il y avoit dessous une carriere.

Abysmer, se dit figurément en Morale. Les gros interests ont abysmé ce marchand. ce chicaneur a abysmé sa partie, il l’a ruinée de fond en comble. il a abysmé cet homme-là. Il se dit plus ordinairement avec le pronom personnel, & plus au figuré qu’au propre. Il est abysmé dans la douleur. cet homme a si mal fait ses affaires, qu’il s’est abysmé. cette famille est abysmée, elle ne se relevera jamais. c’est un contemplatif qui s’abysme dans ses pensées, qui extravague.

Abysmé, ée. part. Il y a eu plusieurs villes abysmées par les tremblemens de terre. un joüeur abysmé, est celuy qui a perdu tout son fonds.

ACABIT. subst. masc. Bonne ou mauvaise qualité d’un fruit. On le dit particulierement des poires selon qu’elles sont de bonne nature, de bon plan, & de bon terroir. Quelques-uns le disent aussi des viandes & des étoffes. Menage dit que le peuple a dit, d’un bon acabit, pour dire, d’un bon achat.

ACACIA. s. m. Arbre de haute fustaye qui porte de grands bouquets de fleurs blanches au printemps, qui a la feuille menuë & oblongue, dont on fait depuis quelque temps en France de belles allées. L’Acacia est l’arbre qui croist, & qui pousse le plus de bois, & en moins de temps. On l’appelle Acacia Robini, parce qu’un nommé Robin, qui étoit Garde du Jardin du Roy, est le premier qui l’a mis en vogue en France il y a environ 40. ans.

ACACIA VERA, en termes de Pharmacie, est le suc épaissi d’un grand arbre par tout espineux, excepté par son tronc, qui croist en Égypte & en Arabie, dont la fleur est blanche & purgative. Son fruit & sa graine sont contenus dans des gousses semblables aux lupins. Ce suc est haut en couleur, & d’un rouge assez beau, d’une substance compacte, mais qu’on peut casser aisément étant desseiché. On l’apporte en boules, & il doit être net & luisant au dedans lors qu’il est cassé. Il a le goust piquant, mais agreable. Dés le temps de Pline on faisoit des trochisques de cette graine, qu’on appelloit du nom de l’arbre. Mais maintenant il n’y en a point de legitime : car les Apothicaires font ces trochisques de jus de prunelles sauvages qu’ils ont fait seicher au soleil. Quant à l’arbre, il a le bois fort dur, & assez haut, parce qu’on en fait des pieces de douze coudées de long ; mais ses branches ne montent point en haut. L’Acacia noir est dur, & ne se pourrit point. Il y en a de blanc qui est plus tendre, & qui se pourrit. Il est de couleur d’alisier quand il est couppé. Ses feuilles sont rondes, & grandes comme celles du poirier, de couleur de suye par dessous, & par dessus verdes tirant sur le blanc. Elles sont attachées à une queuë noirastre. Sa graine meure rend son jus noir ; & estant verde, elle le rend verd & roussastre. Sur les lieux on use de son fruit au lieu de gale pour tanner le cuir. Il jette une gomme qui restreint & rafraîchit, que Serapion appelle Gomme Arabique, à cause que de son temps on l’apportoit d’Arabie : mais elle est fort differente de celle des Apothicaires. Mathiole.

ACADEMICIEN. s. m. Qui est receu dans une Academie d’Arts, ou de Sciences.

ACADEMIE. subst. fem. Assemblée de gens de lettres où l’on cultive les Sciences & les beaux Arts. En France il y a toutes sortes d’Academies établies par lettres patentes : l’Academie des Sciences, pour cultiver la Physique, la Chymie, & les Mathematiques : l’Academie Françoise, pour la pureté de la Langue : l’Academie d’Architecture, pour les bastimens. L’Academie de Peinture est une belle école de Peintres & de Sculpteurs. Et l’Academie de Musique est établie pour les Opera. Il y en a même d’établies dans les villes particulieres, comme à Arles, à Soissons, à Nismes, &c. Il y en a aussi dans la plus-part des villes d’Italie, dont les noms sont curieux à cause de leur bisarrerie. A Siene on appelle les Academiciens, Intronati : à Florence, Della Crusca : à Rome, Humoristi, Lyncei, Fantastici : à Boulogne, Otiosi : à Gennes, Addormentati : à Padouë, Ricovrati, & Orditi : à Vincenze, Olympici : à Parme, Innominati : à Milan, Nascosti : à Naples, Ardenti : à Mantouë, Invaghiti : à Pavie, Affidati : à Cesene, Offuscati : à Fabriano, Disuniti : à Fayence, Filoponi : à Ancone, Caliginosi : à Rimini, Adagiati :


à Cita del Castello, Assorditi : à Peruse, Insensati : à Ferme, Raffrontati : à Macerata, Catenati : à Viterbe, Ostinati : à Alexandrie, Immobili : à Bresse, Occulti : à Trevise, Perseveranti : à Verone, Filarmonici : à Cortone, Humorosi : à Luques, Oscuri. Mr. Pelisson en a donné ce catalogue dans son Histoire de l’Academie.

Il y a encore à Florence une Academie de Physique nommée d’Acimento, où l’on fait plusieurs experiences physiques & astronomiques. Elle a été établie par Laurens de Medicis, & est souvent citée par Francisco Redi Medecin. On a depuis peu établi à Venise une Academie de Sçavans ; une autre à Dublin, une autre à Oxfort, qui travaillent à l’avancement des Sciences. Il y a eu une Academie en Allemagne établie sous le titre d’Academie des Curieux des secrets de la Nature. Dans le St. Empire Romain l’Empereur luy donna sa protection en 1670. Elle fut établie dés 1652. par le Sieur Bauch Medecin. Mais la plus fameuse de toutes les Academies est celle qui est établie à Londres sous le nom de Societé Royale d’Angleterre, qui est composée de plusieurs Sçavans de qualité qui nous ont fait voir plusieurs beaux ouvrages, & dont on a veu aussi d’excellens Journaux.

Quelques-uns derivent ce mot de Cadmus Phenicien, parce qu’il fut le premier instaurateur des Lettres. Mais sa vraye origine vient d’Academus, nom propre d’un bourgeois d’Athenes, dont la maison servit à enseigner la Philosophie en cette ville-là. C’est dans cette maison où nasquit Platon, & où plusieurs Philosophes enseignerent depuis, qui furent nommés Academiques.

Academie, se dit aussi des maisons des Escuyers où la Noblesse apprend à monter à cheval, & les autres exercices qui luy conviennent. Au sortir du College on a mis ce Gentilhomme à l’Academie. Guy Allard dit que Pluvinel est le premier qui a étably en France des Academies pour apprendre à monter à cheval. Il étoit du Dauphiné.

Academie, se dit abusivement du berlan, ou des lieux publics où l’on reçoit toutes sortes de personnes à joüer aux dez & aux cartes, ou à d’autres jeux deffendus. Les Juges de Police sont obligés de veiller à ce qu’on ne tienne point des Academies de jeu.

ACADEMIQUE. adj. masc. & fem. Qui appartient à l’Academie des Arts & des Sciences. Les Questions Academiques de Ciceron. les exercices Academiques continuënt en une telle ville.

Academiquement. adv. D’une maniere Academique. Cette question a été traitée Academiquement, pour dire, suivant la methode des Academiciens.

ACADEMISTE. s. m. Escolier qui apprend ses exercices chez un Escuyer, à monter à cheval, à faire des armes, à danser, &c.

ACANTHE. s. f. Plante fameuse qu’on appelle autrement Branche Ursine, ou Branque Ursine, à cause que sur la figure de son feuillage on a formé les ornemens du chapiteau Corinthien. Ses feuilles sont plus larges & plus longues que celles des laittuës. Elles sont noirastres, grasses, lissées, & chiquetées comme celles de la roquette. Sa tige a deux coudées de haut, est lissée, & de la grosseur d’un doigt, ayant par intervalles auprés de la cime de petites feuilles longuettes & piquantes en façon de coquille, ou escaille, d’où sort une fleur blanche. Sa graine est longue & jaune. Sa teste ou chapiteau est comme une houppe, ou un bouquet. Ses racines sont longues, baveuses, rouges, & gluantes. Quelques-uns confondent cette plante avec la pæderos. On l’appelle en Latin acanthus, acantha, paederota, branca ursina, & marmoraria, à cause qu’on en represente la figure dans les chapiteaux des colomnes de marbre, & dans les festons.

ACARIASTRE. adj. masc. & fem. Qui est d’une humeur farouche, difficile, & qu’on ne peut gouverner. Je ne puis traitter avec cet homme-là, c’est un humeur acariastre. c’est une femme acariastre, qui crie jour & nuit son mari, ses domestiques. Il a aussi autrefois signifié Fol.

Sylvius derive ce mot de St. Acaire, parce qu’il guerit les acariastres. Menage veut qu’il vienne du mot Latin acariaster, & Nicod du mot Grec cari signifiant caput, comme si on disoit acaris d’un homme sans teste & écervelé : d’autres du Grec achariastros, qui signifie Opiniastre, ennemy de complaisance, dont les mœurs & les paroles sont desagreables, & tirent sur la folie. Borel le derive de cara, vieux mot François venu d’Espagne qui signifioit un visage renfrogné.

A C C.

ACCABLEMENT. s. m. Charge excessive sous laquelle on succombe. Pendant ce tremblement de terre il y eut un accablement general dont personne ne se pust sauver.

Il est plus en usage au figuré. Les peuples de cette province sont dans un grand accablement à cause des charges. il est dans un grand accablement d’esprit & de douleurs, &c. il est dans un grand accablement d’affaires.

ACCABLER. v. act. Faire tomber une chose pesante sur une autre, qui l’oblige à succomber sous un poids excessif. Il a été accablé sous la ruine de cette maison. les ennemis l’accablerent par leur nombre.

Camden derive ce mot de l’Anglois cablu, qui signifie Opprimer.

Accabler, signifie aussi, Perir de quelque façon que ce soit dans quelque renversement general de l’Etat. Il y eut à Rome bien des gens accablés sous les ruines de la Republique.

Accabler, se dit figurément en Morale des gens trop chargés d’affaires, de debtes, d’imposts, ou de malheurs. Il est accablé de chagrin, de gens qui l’importunent. accablé de vieillesse. accablé de sommeil. on accable la nature en la surchargeant d’alimens, ou de remedes.

On le dit même en bonne part. Accabler de presens, de bienfaits, de complimens.

Accablé, ée. part. pass. & adj.

S’ACCAGNARDER. verbe neut. qui ne se dit qu’avec le pronom personnel, S’accoquiner, mener une vie faineante, libertine, ou débauchée, soit en s’attachant au jeu, au vin, aux femmes ; soit en demeurant au coin de son feu, au lieu de prendre un honneste employ.

Nicod derive ce mot de cagnard, qui est un lieu à l’abri du vent, ou exposé au soleil, où les gueux s’assemblent pour faineanter, qu’on appellé pour cela cagnardins, & cagnardiers.

Accagnardé, ée. part. & adj.

ACCASTILLAGE. s. m. Terme de Marine qui se dit en parlant des chasteaux qui sont sur l’avant & sur l’arriere d’un vaisseau. Et on appelle un vaisseau accastillé, quand il est accompagné de ces deux chasteaux.

ACCELERATION. s. f. Action par laquelle on advance une affaire. Il a obmis plusieurs demandes qu’il avoit à faire pour l’acceleration du jugement de son procés.

ACCELERER. v. act. Diligenter, presser une affaire, une entreprise. La succession eschuë à ce jeune homme fera accelerer son mariage. les corps graves en tombant accelerent leur mouvement en certaine proportion qu’on fait voir dans la Statique.

Ces mots viennent du Latin accelerare, Haster, depescher.

ACCENT. s. m. Prononciation qu’on a contractée


naturellement dans la province où l’on est né. Il est bien difficile de se défaire de l’accent Gascon, ou Normand. on connoist le pays d’un homme à son accent.

Accent, signifie aussi un certain ton de voix qui est souvent une marque de ce qu’on veut dire, qui en fait faire une bonne ou une mauvaise interpretation. On injurie souvent avec un terme de loüange, mais l’accent fait tout.

Accent, signifie en Grammaire certaine marque qu’on met sur les syllabes pour les faire prononcer d’un ton plus fort, ou plus foible. Les Grecs estoient plus curieux observateurs des accens que les François. Le Cardinal du Perron dit que les Hebreux appelloient les accens, gustus, dautant que c’est comme le goust & la sauce de la prononciation.

Il y a trois sortes d’accens, l’aigu, le grave, & le circonflexe. Les Hebreux ont l’accent de Grammaire, de Rhetorique, & de Musique. L’accent en Musique est une inflexion ou modification de la voix, ou de la parole, pour exprimer les passions & les affections, soit naturellement, soit par artifice.

Le Sr. Christian Hennin Hollandois a fait une Dissertation, pour monstrer que la Langue Grecque ne se doit point prononcer suivant les accens, où il dit qu’ils n’ont été inventés que pour faire quelque distinction des mots, qu’on écrivoit autrefois tout de suite ; qu’on ne voit point d’accens dans les manuscrits qui passent huit siecles ; qu’on n’en voit aucuns dans les Pandectes de Florence, qui ont été escrites environ le temps de Justinien ; qu’on n’a commencé à en user communément que vers le dixiéme siecle, ou au temps de la barbarie, où on les a pris pour la regle de la prononciation ; qu’on ne voit point l’usage des accens dans la plus-part des nations, ni en Caldeen, ni en Syriaque, ni parmy les Esclavons, les Moscovites & les Bulgares, ni parmy les anciens Danois, Allemands & Belges ; & qu’ils ont esté inconnus en toute l’Antiquité. Il croit que c’est une invention des Arabes, qui fut perfectionnée par Alchalil vers le temps de la mort de Mahomet. Il adjoûte que les Massoretes de Tiberiade au milieu du sixiéme siecle adopterent cette invention, & l’introduisirent dans la Bible avec les voyelles du temps de Justinien ; & que celuy qui perfectionna les accens fut le Rabin Juda Ben-David Chiug natif de Fez dans l’onziéme siecle ; & qu’on n’a commencé à en faire chez les Grecs qu’en faveur des estrangers, & pour faciliter la prononciation des vers. Ce mot d’accent vient d’accentus Latin d’accino. L’accent regle le ton de la parole.

Les Poëtes & les Amoureux se servent quelquefois du mot d’accent au plur. pour signifier la voix. Les accens plaintifs. les derniers accens. il expliqua sa passion par ces tristes accens.

ACCENTUER. v. act. Marquer les syllabes avec des accens, pour advertir comment il les faut prononcer. Cet e est accentué, il le faut prononcer plus fortement.

ACCEPTABLE. adj. masc. & fem. Ce qu’on ne peut raisonnablement refuser. Ces offres, ces propositions sont acceptables, & ne doivent point être refusées.

ACCEPTANT, ANTE. adj. Celuy qui accepte, qui agrée ce qu’on fait en sa faveur. Dans tous les contracts on dit qu’un acquereur ou donataire est present & acceptant dans les cessions à un absent. le Notaire prend qualité d’acceptant pour le cessionaire.

ACCEPTATION. s. f. Consentement de celuy qui consent, qui reçoit, qui agrée. L’acceptation d’une donation est necessaire pour sa validité.

ACCEPTER. v. act. Recevoir avec agréement le don qu’on nous fait, ou la charge qu’on nous impose.