Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Gambison
GAMBISON, s. m. (gambeson, gambison, gamboison, gambais, gambaison), vêtement que les hommes d’armes portaient le plus souvent sous le haubert de mailles pendant les xiie, xiiie et xive siècle. Le gambison était fait de peau ou d’étoffe épaisse de soie ; il était rembourré de filasse ou de coton et piqué. Il y avait des gambisons qui n’étaient que des justaucorps à manches, d’autres qui descendaient jusqu’aux genoux. Les auteurs commencent à parler du gambison au xiie siècle. Ce vêtement devait nécessairement être adopté avec le haubert de mailles. Villehardouin fait mention du gambison : « … Mais ainz que li estorz[1] parlinast, vint uns chevaliers de la masnie Henri, le frère le conte Baudoin de Flandres et de Hennaut, qui ot nom Eustaices dou Marchois ; et ne fu armez que d’un gambaison et d’un chapel de fer, son escu à son col ; et le fist mult bien à l’enz metre, si que grant pris l’en dona l’on[2]. » Le gambison était-il placé par-dessus le haubert ou dessous ? Du Cange et tous les écrivains, qui n’ont fait que suivre cet incomparable auteur, prétendent que le gambison est un vêtement de dessous. M. Paulin Paris est d’un avis opposé, et veut que le gambison soit posé sur le haubert, et, pour donner plus de poids à son opinion, il cite un passage de la chanson de geste de Gaydon :
« Gautiers s’arma, li vavassors gentiz ;
Vest .I. hauberc qui fut fors et treslis,
De sor vesti .I. gambison faitis. »
Mais ce texte seul ne saurait être une preuve suffisante. Les monuments sont là qui montrent, non pas une fois, mais toujours, sauf de rares exceptions, le gambison sous le haubert de mailles. Les textes eux-mêmes indiquent ailleurs le gambison comme vêtement de dessous[3], facile à endosser promptement, parce qu’il était ouvert par devant, comme une longue veste : « Sire, or sus ! or sus ! que vez-ci les Sarrazins qui sont venu à pié et à cheval ; et ont desconfit les serjans le roy qui gardoient les engins, et les ont mis dedans les cordes de nos paveillons. — Je me levai et jetai un gamboison en mon dos et un chapel de fer en ma teste[4]. »
Ce n’est pas à dire que le gambison ne pût être posé sur la maille ou que l’on ne donnât pas parfois le nom de gambison à la cotte d’armes passée sur le haubert, et qui, à la fin du xiiie siècle, était souvent rembourrée aux épaules et sur la poitrine ; mais il fallait nécessairement un vêtement entre le haubert de mailles et la chemise, autrement la maille n’eût pas préservé le corps et eût été insupportable. Ce vêtement était le gambison. Les monuments figurés des xiiie et xive siècle le montrent toujours sous la maille. Le gambison était aussi porté sans le haubert par les gens de pied :
« Li traitor viennent à grant eslais,
« Et li borjois, armé de lor gambais ;
« Lances ont tortes et espiés moult mauvais[5]. »
« A ces paroles, li vavasors s’arma
« D’un gambison viez, enfummé, qu’il a[6]. »
Le roi des ribauts, au siège de Jérusalem, est vêtu d’un gambison :
« Chapel ot en son chief d’un cuir qui fu bolis
« Et d’un gambeson ert estroitement vestis[7]. »
C’était donc, au xiiie siècle, un vêtement commun, sans valeur, et certainement les hommes d’armes n’auraient pas porté cette grossière vesture sur les hauberts de mailles. D’ailleurs, ainsi que nous venons de le dire, les monuments figurés, peintures, vignettes, statues, sont là en nombre pour démontrer que sur le haubert, pendant les xiie et xiiie et le commencement du xive, on ne portait parfois que la cotte d’armes d’étoffe souple, formant des plis (voy. Cotte).
Nous montrerons tout à l’heure de ces gambisons portés par les piétons, ou accidentellement par les hommes d’armes, soit qu’ils n’eussent pas pris le temps d’endosser le haubert, soit qu’ils ne voulussent pas se surcharger de cet habillement de mailles d’acier, extrêmement lourd. Les plus anciens gambisons sur la forme desquels on peut avoir des renseignements à peu près certains, sont courts de jupe, à manches, fendus par derrière et laces, ou par devant et agrafés, composés de peau en double, avec filasse ou coton interposé, piqués transversalement (fig. 1[8]). Le long haubert de mailles de la fin du xiie siècle couvrait entièrement ce vêtement, puisqu’il descendait aux chevilles et qu’il était muni d’un capuchon doublé, sur lequel reposait le heaume, dont le bord inférieur touchait l’encolure du gambison. Ainsi l’homme d’armes était-il complètement préservé. La tunique de lin ou de soie, vêtue sous le gambison, était plus ou moins longue, et habituellement descendait alors jusqu'au bas du haubert. Pendant le cours du xiiie siècle, la l’orme et la façon des gambisons se modifient peu ; ils sont généralement alors ouverts par devant, ce qui permettait d’endosser ce vêtement très-rapidement. Vers la fin du xiiie siècle, le gambison est souvent fortement rembourré aux épaules (fig. 2), taillé en rond au-dessous du ventre, bouclé par devant. Les manches sont serrées, piquées en long et boutonnées du coude au poignet. Bientôt on renonce à ces sortes d’épaulettes prises dans le gambison même, pour adopter les ailettes de fer (voy. Ailette). Alors le gambison prend la coupe que donne la figure 3[9]. Il est fait de peau ou de forte étoffe de soie en double, piquée en long très-délicatement, avec garniture de coton ou de filasse entre-deux. Les manches sont justes et lacées du coude au poignet (fig. 4). Il n’est pas besoin de dire que ces gambisons sont invariablement posés sous le haubert de mailles (voyez Armure, fig. 29).Mais à la fin du xiiie siècle, le haubert de mailles était fort passé de mode, parce qu’il préservait mal les hommes d’armes des coups de masse et de hache ; on le remplaçait par la broigne (voyez Broigne), qui n’était qu’un assemblage en un seul vêtement du gambison et du haubert, ou par le gambison seul, avec quelques plates, cubitières, ailettes, avant et arrière-bras.
Pendant le cours du xive siècle, le gambison ne fut plus qu’une sorte de justaucorps assez semblable, comme coupe, à celui que donne la figure 2, sauf qu’il n’était plus aussi fortement rembourré aux épaules, mais bien sur la poitrine, de manière à opposer aux coups un plastronnage très-épais. Ce gambison était bien encore
porté sous le haubert, qui n’était plus composé de mailles, mais était fait de peau ou d’étoffe, rembourré, armé de plaques d’acier interposées. C’est sous le règne du roi Jean que ce vêtement militaire paraît adopté par la gendarmerie française (voy. Armure, fig. 30), et il persiste jusque sous le règne de Charles V. Un manuscrit de la Bibliothèque nationale[10] ne laisse pas le moindre doute sur la forme aussi bien que la place de ce vêtement. Une des vignettes de ce beau manuscrit montre un chevalier déshabillé ; autour de lui sont toutes les pièces de son habillement : la chemise A, le gambison B (fig. 5), le haubert ou corset C, les gantelets D, la salade E, le heaume F, et l’écu G. On voit que le gambison est fortement plastronné sur la poitrine et boutonné par devant. Il n’est donc pas possible d’admettre que le gambison ne fut pas, même au milieu du xive siècle, un vêtement de dessous. Vers la fin du xive siècle, on n’avait pas encore adopté l’armure complète de plates. C’était une époque de transition, pendant laquelle les hommes d’armes essayaient un peu de tout : haubert avec gambison sous-jacent, pansière et dossière, brigantine avec ou sans plates, et enfin gambisons très-solides avec armure de bras et d’épaules. La figure 6 donne un de ces gambisons de la fin du xive siècle[11]. Ce personnage est vêtu d’un épais gambison d’étoffe rouge piquée en long du cou au bas-ventre, et en travers du bas-ventre au milieu des cuisses. Cet habillement est posé sur une tunique blanche, dont la jupe descend au-dessous des genoux. Les bras sont préservés par la même étoffe blanche, rembourrée et piquée, avec trois bracelets de cordelettes. Les coudes sont armés de cubitières et les épaules de rondelles d’acier. Les gantelets sont de peau. Sous le gambison apparaît un colletin d’acier, qui laisse passer à la naissance du cou un vêtement piqué. Une barbute avec jugulaires couvre la tête. Les jambes sont armées de fer. On observera les solerets composés de plaques de fer placées en manière d’écaillés sur le cou-de-pied et à recouvrements sur les doigts. C’était là un bon vêtement de guerre, qui était lacé sur les côtés et qui préservait efficacement le torse et le haut des cuisses. Il était souple, relativement léger, et ne coûtait pas cher. Non-seulement les gens de pied portaient ce vêtement, mais aussi, dans bien des cas, les hommes d’armes. La figure 7 donne un autre gambison de la même époque[12], qui couvre tout le corps et descend aux genoux ; il est piqué en travers et est lacé du haut en bas par devant. Ce gambison est de même couvert d’une étoffe rouge. L’homme d’armes a l’armure complète de bras et de jambes, avec rondelles sur les épaules ; il est coiffé d’une barbute avec bavière. Sous le gambison est une tunique verte de même longueur. Il ne faut pas omettre les gambisons treslis, adoptes en même temps, et composés de bandes de cuir treillissées sur un fond de même étoffe et couvrant la poitrine et le dos , avec jupe piquée longitudinalement (fig. 8[13]). Ces gambisons étaient portés par les hommes d’armes, avec spallières, armures de bras et de jambes. Le vêtement de ce personnage mérite d’être décrit en détail. Un bacinet avec large colletin couvre la tête. La ventaille de ce bacinet se compose de deux volets s’ouvrant latéralement au moyen de deux charnières chacun. Ces volets sont retenus fermés par un bouton tourniquet rivé sur le frontal. Le colletin est retenu au gambison, par devant et par derrière, par deux aiguillettes. Les spallières consistent en deux cônes d'acier montés sur lambrequins de cuir peint et doré. La partie supérieure du gambison est blanche, la jupe verte. L’armure de jambes présente des genouillères à pointes d’acier montées sur une rondelle de peau festonnée sur les bords, et surmontées de cuissots également de cuir. Les grèves sont fabriquées de même et sont prises sous les souliers. Ces cuissots, genouillères et grèves sont maintenus par des courroies sur des chausses de peau. Ces cuiries des jambes sont, comme les lambrequins de spallières, peintes et dorées. Le corsage du gambison était lacé latéralement.Ce curieux vêtement de guerre fait assez voir comme à la fin du xive siècle on essayait d’expédients divers avant d’adopter définitivement l’armure de plates.
Voici encore (fig. 9) un gambison de la même date[14], dont le corsage et la jupe de peau sont piqués longitudinalement. Des spallières déchiquetées à barbes d’écrevisse tiennent au vêtement et recouvrent les arrière-bras de fer. Sur le gambison est posé un large camail également de peau piquée, et par-dessus un camail de mailles tenant à une barbute d’acier.
Les gantelets sont de peau. Sous la jupe du gambison apparaît une jaquette de mailles. Les jambes sont entièrement armées de fer. Le fourreau de l’épée passe dans la jupe du gambison, sans baudrier, du côté droit. Au xv" siècle, avec l’armure complète de plaies, le gambison est beaucoup plus rare. Cependant on en voit encore portés par les bommes de pied et par la gendarmerie en certains cas.

La figure 10[15] montre un fantassin vêtu d’un gambison de peau sur lequel est posé un plastron de fer, et un tablier de mailles. La figure 11 présente ce même piéton par derrière. Le plastron portait deux flancs latéraux à charnières, qui étaient maintenus par derrière au moyen de courroies posées en sautoir et horizontalement. Les flancs n’étant pas retenus par une courroie transversale à leur extrémité supérieure, les mouvements des bras pouvaient les faire fléchir ; les courroies en sautoir ramenaient chacun de ces flancs dans sa position normale. Ce piéton est armé d’un fauchart.

La figure 12 donne un gambison posé sur l’armure. Il est fait de peau piquée et en forme de veste sans manches ; boutonné par devant[16].
Ces gambisons, vêtements de dessus, portés à la fin du xive siècle et au commencement du xive sont habituellement colorés. Il fallait, en effet, que la peau reçût un apprêt, pour que le vêtement ne se déformât pas en séchant après avoir été mouillé.
On portait au xve siècle sous l’armure complète de plates, un vêtement de peau ou de toile en double, ou même de soie, avec garniture aux épaules, sur la poitrine et les hanches, qui remplaçait l’ancien gambison du xiiie siècle. Ce vêtement se composait de chausses, avec haut-de-chausses, et d’un justaucorps long à manches, lacé par devant ou sur les côtés. Le justaucorps était en outre renforcé, aux aisselles et aux manches, de mailles destinées à couvrir les défauts de l’armure sous les épaules et à la saignée. Sous ce vêtement, l’homme d’armes n’avait que sa chemise. Sur la veste était une ceinture à laquelle on attachait les cuissots au moyen d’attelles.
Le justaucorps de buffle qui fut porté par les fantassins à la fin du xvie siècle est une dernière tradition du gambison.
- ↑ « Le combat. »
- ↑ « Et fit si bien, en les repoussant, qu’il en remporta grand honneur. » (La Conquête de Constantinople, Villehardouin, publ. par M. N. de Wailly, p. 94)
- ↑ Voyez, dans le Pèlerinage de la vie humaine, l’habillement d’un chevalier. Manuscr. Biblioth. nation., français, n° 1645 (fin du xiiie siècle), et l’article Armure, fig. 23, 24 et 25.
- ↑ Hist. de saint Louis, par le S. de Joinville, publ. par M. N. de Wailly, p. 91.
- ↑ Gaydon, vers 4426 et suiv. (xiiie siècle).
- ↑ Ibid., vers 2385 et suiv.
- ↑ La Conquête de Jérusalem, chant IV, vers 2779 et suiv. (xiiie siècle), publ. par M. Hippeau.
- ↑ Pierres et statues tombales de 1200 environ.
- ↑ Statues tombales de l’abbaye de Saint-Denis : Charles, comte de Valois ; Louis, comte d’Évreux ; le comte d’Étampes (premières années du xive siècle).
- ↑ Lancelot du Lac, français, n° 343.
- ↑ Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français (1395 environ).
- ↑ Même manuscrit.
- ↑ Même manuscrit.
- ↑ Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français (1395 environ).
- ↑ Manuscr. Biblioth. nation., le Livre de Guyron le Courtois, français (1400).
- ↑ Manuscr. Biblioth. nation., Destruction de la ville de Troyes (sic), français (1430 environ).