CRÉDENCE, s. f. Petit buffet sur lequel on déposait les vases destinés à faire l’essai. La crédence, dans l’église, est une tablette sur laquelle on plaçait les burettes, les linges et tous les menus objets nécessaires aux cérémonies du culte. Jusqu’au XVIe siècle, une crédence est disposée près de chaque autel et souvent dans la niche destinée aux piscines.

« Les principaux autels d’aujourd’hui », dit Thiers dans sa Dissertation sur les principaux autels des églises, « ne sont pas toujours accompagnés de ce que nous appellons crédences. La plus-part de ceux des cathédrales n’en ont point du tout. Ceux des autres églises en ont, les uns deux, l’une à droit, l’autre à gauche ; les autres n’en ont qu’une à droit ou du côté de l’épître. Mais il n’y a que celle qui est du côté de l’épître qui serve à mettre le calice, les burettes, le livre des épîtres et des évangiles, etc. Celle qui est à gauche ne sert de rien pour l’ordinaire, si ce n’est pour faire la simétrie, ou tout au plus pour placer quelques chandeliers et quelques violiers… » Cette idée de symétrie n’existait pas avant le XVIe siècle, et il n’y avait du côté de l’épître qu’une crédence. « Les rubriques du Missel romain n’en veulent qu’une tout au plus du côté de l’épître, encore insinuent-elles que l’on s’en pourroit passer s’il y avoit une petite fenêtre proche l’autel, où l’on pût mettre la clochette, les burettes, le bassin et l’essuie-main qui servent à la messe… Le cérémonial des évêques n’en veut qu’une aussi, dont on ne doit se servir qu’aux messes solemnelles. » Mais jusqu’au qu’au XVIe siècle, il n’y avait guère de crédence, c’est-à-dire de tables découvertes près des autels, mais bien des armoires, soit prises dans la muraille, soit meubles, dans lesquelles on déposait le calice, la patène, le voile, le corporal, le pain et le vin. Dans les églises de l’ordre de Cluny et de l’ordre de Cîteaux, c’était dans des armoires (meubles) placées vis-à-vis ou au côté droit de l’autel qu’on déposait tout ce qui était nécessaire pour la consécration, pour la communion des religieux.

Ces crédences sont immeubles ; nous n’avons pas à nous en occuper ici[1]. Quelquefois, sur le côté de l’autel, est réservée une tablette saillante ou un petit réduit servant de crédence[2].

Près des tables à manger, lorsque le couvert était mis[3], on plaçait un meuble qui servait à faire l’essai ; ce meuble se composait d’une petite armoire fermée à clef, dont le dessus, recouvert d’une nappe, était destiné, au moment du festin, à recevoir les vases que renfermait l’armoire. Avant le XIIIe siècle, ces petits meubles (autant qu’on en peut juger par l’examen des vignettes des manuscrits ou les sculptures) sont circulaires et rappellent assez la forme d’un guéridon, d’une table ronde entre les pieds de laquelle seraient disposées des tablettes. Un des chapiteaux du porche de Vézelay[4] nous présente une crédence assez riche et garnie de ses vases. Cette sculpture (fig. 1) appartient au XIIe siècle ; elle représente probablement un des traits de la vie de saint Antoine[5]. Sous la tablette circulaire supérieure s’ouvre une petite armoire plein cintre, dans laquelle on voit deux coupes ; en avant, sur un escabeau, reposent deux vases à col allongé. Dans les vignettes des manuscrits des XIIIe et XIVe siècles, les vases contenant les liquides soumis à l’essai étaient parfois posés simplement à terre, et recouverts d’une petite nappe (fig. 2)[6].

Les reproductions de crédences deviennent fréquentes dans les manuscrits du XVe siècle, et prennent alors, dans le mobilier, une assez grande importance. D’abord fort simples de forme (voy. fig. 3)[7] comme tous les meubles privés, décorées seulement par les étoffes dont elles étaient couvertes et par leur construction propre, les crédences s’enrichissent bientôt de sculptures, de délicates ferrures ; puis elles sont munies de dossiers, ainsi que l’indique la figure 4, copiée sur im des bas-reliefs de bois des stalles de la cathédrale d’Amiens[8]. Ces dossiers sont même parfois surmontés de dais sculptés avec luxe (voy. fig. 5)[9]. Les deux dernières crédences que nous donnons ici indiquent parfaitement l’usage auquel on les destinait pendant les repas.

Chez les souverains, les grands seigneurs, les crédences étaient souvent garnies d’orfèvrerie, de plats d’argent ou de vermeil ; on les plaçait d’ordinaire derrière le maître, auquel on présentait la première coupe de liqueur après avoir fait l’essai. Les dossiers des crédences ou les panneaux des vantaux de la petite armoire portent quelquefois l’écusson aux armes du maître du logis.

Le meuble qu’on désignait, dans le siècle dernier et au commencement de celui-ci, sous le nom de servante, rappelait encore la crédence ; il a presque totalement disparu de nos maisons, et n’était plus destiné au même usage que la crédence, puisqu’il était fait pour permettre à un petit nombre de convives de se servir eux-mêmes sans le concours des domestiques et sans être obligés de se lever de table. La servante, toutefois, était un meuble commode : c’était la crédence mise sur quatre roulettes, devenue légère, et privée de l’écuyer ou du familier chargé de faire l’essai. C’est à la fin du règne de Louis XIV, lorsqu’il s’éleva contre l’étiquette majestueuse du grand règne une réaction générale, que la crédence devint servante. Le gentilhomme qui avait dans son hôtel une nuée de familiers trouva insupportable de manger devant deux ou trois gaillards chargés de lui donner une assiette ou de lui verser du vin ; il fit approcher la crédence de la table à manger, ferma la porte sur le dos des laquais, et put causer à son aise avec les deux, trois ou quatre convives invités à sa table ; on mit dès lors des roulettes aux pieds de la crédence, et elle prit un nom indiquant son usage. Aujourd’hui, le plus petit bourgeois qui tient un valet à gages se croirait déshonoré s’il se servait lui-même ; s’il invite un ami, quitte à rendre le repas ennuyeux comme un dîner de table d’hôte, il prétend que le laquais soit là. Le bourgeois a repoussé la servante de son père avec dédain ; nous en avons vu bon nombre dans les greniers.

Nos buffets de salle à manger et nos caves à liqueur fermées à clef sont encore une dernière tradition de la crédence du moyen âge.

  1. Voyez le Dictionn. de l’architecture franç., au mot Piscine.
  2. Ibidem, au mol Autel.
  3. Il était d’usage, chez les grands, de servir les mets couverts jusqu’à l’arrivée des convives ; d’où est resté l’habitude de dire mettre le couvert. (Voy. Gloss. et Répert. de M. le comte L. de Laborde.)
  4. C’est celui qui est placé sur la colonne engagée à la droite de la porte centrale.
  5. Saint Pierre, dit une légende, apparut à saint Antoine dans le désert, et partagea un pain avec lui. Ce même sujet se retrouve sur un des chapiteaux du XIe siècle de la nef de la même église.
  6. D’un manuscrit de la fin du XIIIe siècle, de l’Apocalypse, appartenant à M. B. Delessert.
  7. Manuscr. de la Biblioth. nat., no 6984.
  8. Exécutées au commencement du XVIe siècle, ces stalles reproduisent, dans leurs sculptures, des meubles qui appartiennent plutôt au XVe siècle.
  9. Ce dessin provient des mêmes sculptures.