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VOIRIE, s. f. Sous le régime féodal, les routes et chemins appartenaient au seigneur sur la terre duquel s’ouvraient ces voies publiques. Le seigneur avait donc le droit de changer la direction de ces voies et de percevoir les péages destinés à leur entretien. Dans les villes, la voirie dépendait, soit de la municipalité, soit du suzerain, soit du seigneur possesseur de droits féodaux.

À Paris, avant le XIIIe siècle, la voirie ne dépendait que du roi et de l’évêque dans la circonscription de sa juridiction. Ce n’est qu’à dater du règne de Philippe-Auguste que la législation de la voirie passe entre les mains du prévôt.

Dans la plupart des villes du Languedoc qui avaient conservé presque intactes leurs formes municipales romaines, le droit de voirie appartenait aux consuls qui, dès lors, exerçaient la police des rues et places. Souvent la police de la voirie appartenait en commun à deux pouvoirs dans une même ville. Cette police consistait à empêcher qu’on ne fît des caves sous les rues, qu’on n’établit des perrons pouvant gêner la circulation, des saillies d’auvents préjudiciables aux passants ou aux voisinages, qu’on y déposât des ordures. Les voyers veillaient à l’entretien du pavage et à l’écoulement des eaux, à la réparation des puits banals et des fontaines, à la conservation des chaînes. On comprendra comment les droits de voirie, souvent partagés dans une même localité entre plusieurs seigneurs, furent l’occasion de nombreux conflits. Les Olim contiennent en effet bon nombre d’arrêts intervenus à propos de ces discussions. Nous donnons ici un de ces arrêts datant de 1312, qui explique clairement la nature de ces conflits et comment ils étaient tranchés par la cour du roi. « Item de l’article ou quel li dit religieux disoient que li habitant de ladite ville (de Saint-Riquier) ne povoient edefier, faire, refaire, rapparelier (réparer), ni empeschier (encombrer) les fros (terrains publics, places, voies) de ladite ville en faisant, edefiant, refaissant ou rappareillant issues, saillies, huisseries, huvrelas (auvents), appentiz, estaures (baies) ou manoueles à puys, ne autres manières de ouvrages ou edefices, viez ou noviaus, es fros desus diz ne sur yceaus, ne es lieus marchissans (aboutissant) as diz fros senz prendre congie au froquier (voyer) de ladite eglise (du monastère de Saint-Riquier) ; les diz maieur, jurez et commune proposanz au contraire : Oyes les raisons proposees d’une partie et d’autre, veu et considere la vertu de leurs privileges, termine est, et par droit, que li habitant de la dite ville ne povent ne ne pourront des ore en avant faire edefier, refaire, ne rapparelier tels manieres de edefices ne de ouvrages comme desus est dit, senz requerre le congie dou dit froquier ; et se li requis, il n’en woloit donner congie, il le pourront faire, mais il l’en doivent premierement requerre, excepte que se il avenoit par aucune aventure que les manoueles des puis, seans es fros de la dite ville, cheoient ou brisoient, et touz li autres edefices de celluy puis demourast en son estat, et se aucune des parois des maisons de la dite ville, tenanz es fros desus diz, estoient percee ou crevee par faute de closture de verge, de late ou de mortier, le sueil, les potiaus, et toute l’autre charpenterie et mazçonnerie de ladite paroy demoranz en leur estat ; termine est et esclarci que li habitant de la dite ville pourront refaire, rapparelier, mettre et remettre les dites manoueles des puis, et refaire les pertuis des parois et edefices desus diz en la maniere que il est desus devise, et faire huis et fenestres, senz requerre le congie dou dit froquier, sauf ce que se toute la charpenterie et mazçonnerie demouroient en leur estat, et les parois entre deuz cheoient jusques en la terre, li habitant de la dite ville ne le povent faire ne refaire sans requerre congie ou dit froquier, en la manière desus ditez. Et n’est mie oblier que se li mur et les portes dont la dite ville est fermee, joignanz as fros, depezçoient en aucune partie ou cheoient dou tout jusques au reys de terre, li habitant desus dit les porront faire et refaire senz requerre le congie dou dit froquier, pour ce que la fermete de la dite ville est nostre[1]. »

Il résulte de la teneur de cet arrêt que, malgré les prétentions de l’abbé de Saint-Riquier possédant sur la ville des droits féodaux, les habitants peuvent réparer les maisons donnant sur les voies et places de ladite ville, en prévenant le voyer de l’abbaye, à moins d’un cas de force majeure, tel que la ruine d’un mur, d’une maison, d’une manivelle de puits, auxquels cas les habitants peuvent immédiatement procéder à la réédification sans avertissement préalable. En tout état, l’avis donné au voyer est inutile lorsqu’il s’agit de réparer les défenses de la ville. C’est ainsi que le pouvoir royal, sans détruire au fond les droits de voirie des seigneurs féodaux, les annulait de fait en bornant ces droits à une simple déclaration faite au voyer féodal, déclaration qui d’ailleurs ne pouvait être suivie d’une opposition aux réparations déclarées. Quant aux murs de ville, considérés par le suzerain comme lui appartenant, s’il y avait lieu de les réparer, il n’était même pas nécessaire de prévenir le voyer du seigneur ayant des droits féodaux sur les terrains de la cité. Ce n’était que peu à peu que le pouvoir royal parvenait ainsi à prendre possession de la voirie des routes et des cités, et les ordonnances des rois de France à dater du XIIIe siècle sont remplies de décisions qui tendent à centraliser entre les mains du suzerain les questions de viabilité. Avant cette époque, les charges de voyers sont créées dans les villes érigées en communes par le seigneur qui octroie la charte. À Auxerre, par exemple, en 1194, la charte du comte de Nevers qui institue la commune, crée une charge de voyer et fixe la juridiction de cette charge[2]. Toutes les contestations déférées à la cour du roi provoquaient généralement un arrêt qui pouvait être considéré comme un empiétement du suzerain sur les droits féodaux ou des communes.

  1. Les Olim, publiés par le comte Beugnot, t. II, p. 562, Collection des documents inédits sur l’histoire de France, 1re série.
  2. Baluze, Miscell., VII, 326.