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BEFFROI, s. m. Baffraiz. On désigne par ce mot un ouvrage de charpente destiné à contenir et à permettre de faire mouvoir des cloches ; prenant le contenant pour le contenu, on a donné le nom de beffroi aux tours renfermant les cloches de la commune. Les tours roulantes en bois destinées à l’attaque des places fortes pendant le moyen âge, et jusqu’à l’emploi de l’artillerie à feu, sont aussi nommées beffrois ou bretèche (voy. ce mot).

Beffrois de charpente.


Les clochers des églises sont toujours disposés pour contenir des beffrois en charpente, au milieu desquels manœuvrent les cloches. Ces beffrois sont posés sur une retraite ou sur des corbeaux ménagés dans la construction des tours, et s’élèvent en se rétrécissant vers leur sommet, afin de ne pas coucher les parois intérieures de la maçonnerie lorsque le mouvement imprimé aux cloches les fait osciller, et aussi pour présenter une plus grande résistance à l’action de va-et-vient de ces cloches mises en branle. Dès que l’usage des cloches d’un poids considérable fut adopté, on dut les suspendre dans des beffrois de charpente indépendants de la construction en maçonnerie. En France, en Belgique, en Allemagne, on construisait déjà, au Xe siècle, des clochers d’un diamètre tel, qu’il fait supposer l’emploi de fortes et nombreuses cloches, la construction de beffrois intérieurs de charpente très-importants. Il ne nous reste pas une seule de ces charpentes antérieures au XVIe siècle. Nous ne pourrions donc donner un exemple appuyé sur un monument existant.

Avant 1836, le clocher vieux de la cathédrale de Chartres contenait un beffroi considérable du XIVe siècle ; malheureusement, cette curieuse charpente fut brûlée à cette époque, et nous n’en possédons qu’un dessin donnant l’enrayure basse (1) avec le premier étage. Deux gros poinçons divisaient ce beffroi en deux travées dans toute la hauteur, et les cloches étaient suspendues dans chacune de ces deux travées ; les tourillons de leurs moutons posaient sur les deux pans de bois latéraux et sur les chapeaux assemblés dans ces poinçons portés par les liens courbes inférieurs et soulagés par des arbalétriers à chaque étage, ainsi que l’indique la fig. 2. Un escalier en bois posé dans un des angles desservait tous les étages du beffroi et était destiné aux sonneurs.

Avant le XVe siècle, les charpentiers paraissent s’être préoccupés, dans la construction des beffrois, de maintenir le pan de bois central (car les anciennes charpentes de beffrois sont toujours divisées en deux travées) par des arbalétriers ou pièces inclinées reportant la charge centrale sur les pans de bois latéraux. Mais on dut reconnaître que des fermes taillées conformément à la fig. 2, posées les unes sur les autres, étaient insuffisantes pour résister à la charge et surtout aux oscillations causées par le mouvement des cloches ; que les assemblages devaient se fatiguer, étant successivement refoulés ou arrachés par le balancement des cloches dont tout le poids se porte brusquement d’un côté à l’autre.

À la fin du XVe siècle, les pans de bois des beffrois furent composés d’une succession de croix de Saint-André, dont l’assemblage à mi-bois les rendait beaucoup plus rigides, et arrêtait les effets de l’oscillation sur les tenons et mortaises. En effet, lorsque les étages des pans de bois des beffrois se composaient seulement du poinçon central E, des deux poteaux corniers F et des deux arbalétriers A B, la cloche étant en branle et dans la position indiquée par la fig. 3, l’assemblage D était refoulé et l’assemblage C arraché ; il en résultait que le chapeau K faisait bientôt un mouvement de va-et-vient fort dangereux de L en M.

L’adjonction des deux pièces G H arrêta ce mouvement en reportant toujours le poids de la cloche, quelle que fût sa position, sur la verticale E. Partant de ce principe, les charpentiers composèrent les pans de bois des beffrois de grillages en lozange d’une grande résistance (4), moisés en X par des moises doubles avec clefs pour éviter la poussée des pièces P P sur les poteaux corniers.


L’oscillation des beffrois fut très-réduite par cette combinaison. Mais le mouvement des grosses cloches est tellement puissant que ces pans de bois rendus rigides, entraînés tout d’une pièce, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, avaient pour effet, à la longue, de faire pivoter l’ensemble de la charpente de façon à placer l’enrayure basse et l’enrayure haute sur deux plans non parallèles, ainsi que l’indique la fig. 5. Les quatre pans de bois latéraux et le pan de bois central gauchissaient, et la dernière enrayure du sommet arrivait à battre les parois de maçonnerie des tours en A ; les cloches manœuvraient mal entre ces surfaces gauches, et leurs battants, prenant un léger mouvement de rotation, frappaient les bords du bronze à faux et brisaient les cloches. Pour parer à cet inconvénient, on établit des goussets R aux angles de chaque enrayure à tous les étages (6) ; dès lors les pans de bois furent maintenus dans leurs plans.
Ces perfectionnements apportés successivement par les charpentiers habiles du XVe siècle furent oubliés un siècle plus tard, et les beffrois, en grand nombre, qui datent du XVIIe siècle, sont, malgré l’équarrissage démesuré du bois, de pauvres charpentes fort mal combinées, mal exécutées, et qui s’affaissent sous leur propre poids.

Les incendies, le défaut d’entretien, de maladroites réparations ont détruit ou altéré les beffrois que les XIIIe, XIVe et XVe siècles avaient élevés ; ce que nous donnons ici ne peut être que le résultat de quelques observations faites sur des débris informes aujourd’hui. Toutefois ces observations nous ont permis de reconstituer un énorme beffroi d’après ces données, celui de la tour sud de la cathédrale de Paris ; et, à défaut d’une ancienne, charpente complète, nous croyons pouvoir représenter celle-ci, dans laquelle nous avons cherché à profiter de l’expérience des charpentiers du moyen âge, et qui résume les principales règles posées ci-dessus[1].

La fig. 7 présente le plan de l’enrayure basse de ce beffroi, qui repose sur une saillie de la maçonnerie ménagée à cet effet. Au lieu d’un seul pan de bois intermédiaire, ici il y en a deux, se coupant à angle droit, à cause de l’énorme hauteur de cette charpente et pour donner plus de fixité au poinçon central. L’un de ces deux pans de bois ne s’élève que jusqu’au second étage ; les deux derniers étages restants ne conservent plus qu’un seul pan de bois de refend pour permettre le jeu des grosses cloches. La fig. 8 donne le plan de l’enrayure supérieure de ce beffroi, au sommet duquel est posé un chemin de service et une galerie vitrée recouverte de plomb. La fig. 9 donne l’un des quatre pans de bois latéraux, la fig. 10 le pan de bois de refend s’élevant jusqu’au faîte de la charpente.
Le second pan de bois de refend, à angle droit, est en tout semblable à celui-ci, si ce n’est qu’il n’existe que jusqu’au point A. L’ensemble de l’ouvrage est garni tout autour d’abat-sons recouverts de plomb, et ces abat-sons tenant seulement à la charpente, suivent ses mouvements sans que les oscillations puissent agir sur les piliers en pierre de la tour. C’est donc là, conformément à la méthode ancienne, un ouvrage complètement indépendant de la maçonnerie, garni de ses accessoires et garanti des intempéries par les ouïes qui sont destinées à rabattre le son des cloches. La pluie qui s’introduit par les longues baies de la tour, fouettée par le vent, rencontre une construction isolée bien couverte, s’égoutte d’un abat-son sur l’autre jusqu’au point B où un trottoir libre, isolé de la maçonnerie et recouvert également de plomb, la renvoie sur les galeries en pierre extérieures. Lorsque le bourdon suspendu en C est en branle, à grande volée, l’oscillation de ce beffroi à son sommet est de cinq centimètres environ, à peine sensible au niveau B des galeries, et inappréciable au-dessus de l’enrayure basse[2].

Dans le nord, il était d’usage souvent d’établir des beffrois dans les charpentes mêmes des flèches en bois recouvrant des tours d’une dimension médiocre ; ce système fatiguait beaucoup les murs en maçonnerie, et on dut renoncer à l’employer lorsque les cloches étaient d’un poids considérable. Les flèches des cathédrales de Reims, de Paris, de Beauvais, de Rouen, de la Sainte-Chapelle du Palais, etc., contenaient un grand nombre de cloches, mais d’une petite dimension. La cathédrale d’Amiens, qui a conservé sa flèche du commencement du XVIe siècle, contient un petit beffroi indépendant de la charpente dans sa basse lanterne. Dans ce cas, les beffrois n’étaient pas munis d’abat-sons ; leurs bois étaient simplement garnis de plomb et posaient sur un terrasson recevant les eaux de pluie chassées par le vent au milieu de ces charpentes à l’air libre.

Beffroi de commune.

Lorsqu’au XIe siècle s’établirent les premières communes, elles s’assemblaient au son des cloches, et presque toujours alors c’était des tours des églises que partait le signal des réunions. Le clergé régulier et séculier était généralement opposé à ces conquêtes de la bourgeoisie, à ces conjurations qui tendaient à secouer le joug féodal[3]. Les laïques, les abbés interdisaient les clochers des églises aux nouveaux citoyens, et ne permettaient pas de sonner les cloches pour un autre motif que celui des offices.

Souvent cette opposition était la cause de scènes de violence que déploraient les chefs des villes affranchies. Plutôt que de provoquer des luttes continuelles, les bourgeois installèrent des cloches au-dessus des portes des villes, sur des tours destinées à tout autre usage qu’à celui de clocher, et ce ne fut qu’à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe que certaines communes purent songer à élever les tours uniquement réservées aux cloches de la ville. Ces tours prirent le nom de beffrois. Elles furent d’abord isolées ; elles étaient comme le signe visible de la franchise de la commune. Plus tard, elles furent réunies à la maison de ville ; c’était le donjon municipal.

Il ne nous reste plus en France qu’un bien petit nombre de ces monuments, témoins des premiers et des plus légitimes efforts des populations urbaines pour conquérir la liberté civile, et encore ces rares exemples que nous possédons ne remontent pas au delà du XIVe siècle.

Les premiers beffrois isolés se composaient d’une grosse tour carrée, le plus souvent surmontée d’un comble en charpente recouvert d’ardoises ou de plomb, dans lequel étaient suspendues plusieurs cloches. Une galerie ou étage percé de fenêtres sur les quatre faces servait de poste pour les guetteurs qui, le jour et la nuit, avertissaient les citadins de l’approche des ennemis, découvraient les incendies, réveillaient les habitants au son des cloches ou des trompes. C’était du haut du beffroi que sonnaient les heures du travail ou du repos pour les ouvriers, le lever du soleil, le couvre-feu, que l’on annonçait au bruit des fanfares les principales fêtes de l’année. La tour contenait ordinairement des prisons, une salle de réunion pour les échevins et quelques dépendances telles que dépôt d’archives, magasin des armes que l’on distribuait aux bourgeois dans les temps de trouble, ou lorsqu’il fallait défendre la cité.

Pendant le XIVe siècle, lorsque les grandes horloges furent devenues communes, les beffrois reçurent des cadrans marquant les heures. Le beffroi est longtemps la seule maison de ville, le monument municipal par excellence. Lorsque le pouvoir féodal est le plus fort, son premier acte d’autorité est la démolition du beffroi. En 1322, l’évêque et le chapitre de Laon obtiennent de Charles IV une ordonnance dans laquelle il est dit : « Qu’à l’avenir, en la ville, cité et faubourg de Laon, il ne pourra y avoir, commune, corps, université, échevinage, maire, jurés, coffre commun, beffroi, cloche, sceau ni autre chose appartenant à l’état de la commune.[4] » Et plus tard, en 1331, Philippe VI rend une seconde ordonnance confirmative de la première, se terminant par cette clause : « Il n’y aura plus à Laon de tour du beffroi ; et les deux cloches qui y étaient en seront ôtées et confisquées au roi. Les deux autres cloches qui sont en la tour de la Porte-Martel y resteront, dont la grande servira à sonner le couvre-feu au soir, le point du jour au matin, et le tocsin ; et la petite pour faire assembler le guet[5]. » Noyon, Laon, Reims, Amiens possédaient des beffrois. Cette dernière ville a conservé le sien jusqu’à nos jours ; mais reconstruit à plusieurs reprises et dénaturé pendant le dernier siècle, la base seule de la tour carrée présente encore quelques traces de constructions élevées pendant les XIIIe et XVe siècles[6]. Les autres grandes cités que nous venons de nommer ont laissé détruire complètement les leurs. Ce n’est plus, en France, que dans quelques villes de second ordre qu’on trouve encore des beffrois.

Nous donnons ici (11) celui de la ville de Béthune (Pas-de-Calais) qui est assez bien conservé et peut donner une idée de ces constructions municipales au XIVe siècle. L’étage inférieur, masqué derrière des maisons particulières, contenait les services mentionnés ci-dessus. Une grande salle percée de huit baies renfermait les grosses cloches ; au-dessus était une salle percée de meurtrières et de petites ouvertures. Un escalier à vis posé sur l’un des angles monte à la galerie supérieure, flanquée aux angles d’échauguettes crénelées. Un comble recouvert d’ardoise et de plomb contient un carillon et une lanterne supérieure avec galerie pour le guetteur. Suivant l’usage, une girouette couronne la flèche. Les villes d’Auxerre, de Beaune ont encore leurs beffrois.
Voici (12) celui d’Évreux, construit au XVe siècle et qui est complet. Nous en donnons les plans, avec la vue perspective, aux trois étages ABC. Les municipalités déployaient un certain luxe dans ces constructions urbaines ; elles tenaient à ce que leurs couronnements élevés, souvent ornés de clochetons, d’aiguilles, de grandes lucarnes, fussent aperçus de loin, et témoignassent de la richesse de la cité.

Nous avons dit, en commençant, que les cloches de la commune étaient suspendues, dans certains cas, au-dessus d’anciennes portes de villes. Peut-être est-ce en souvenir de cette disposition provisoire que beaucoup de beffrois isolés furent construits à dessein sous forme de porte surmontée d’une ou deux tours. Nous citerons parmi les beffrois servant de porte, bâtis à cheval sur une rue, les tours de beffroi de Saint-Antonin, de Troyes (démolie aujourd’hui), d’Avallon, de Bordeaux. Ce dernier beffroi est fort remarquable ; il se compose de deux grosses tours entre lesquelles s’ouvre un arc laissant un passage public. Au-dessus, un second arc couronné par un crénelage et un comble couvre la sonnerie (voy. Porte).

Dans quelques villes, l’une des tours de l’église principale servit et sert encore de beffroi. À Metz, à Soissons, à Saint-Quentin, une des tours de la cathédrale est restée destinée à cet usage. Quant aux beffrois tenant aux hôtels de ville, nous renvoyons nos lecteurs au mot Hôtel-de-Ville.

Beffroi, machine de guerre.

Pendant les sièges du moyen âge, on se servait de tours de bois mobiles pour jeter, sur les murailles attaquées, des troupes de soldats qui livraient ainsi l’assaut de plain pied (voy. Architecture Militaire). Ces tours prenaient le nom de beffrois. Cet engin de guerre était en usage dans l’antiquité. César, dans ses Mémoires, indique souvent leur emploi. Après avoir élevé des terrassements qui permettaient d’approcher de grosses machines des murailles attaquées, comblé les fossés et établi des mantelets qui couvraient les travailleurs, l’armée de César, au siège d’une place forte défendue par les Nerviens, construit une tour de bois hors de la portée des traits des assiégés.

« Lorsqu’ils nous virent dresser la tour, dit César[7], après avoir posé des mantelets et élevé la terrasse, les Nerviens se mirent à rire du haut de leurs murailles, et demandèrent à grands cris ce que nous voulions faire, à une si grande distance, d’une si énorme machine ; avec quelles mains et quels efforts des hommes d’une si petite taille pourraient la remuer (car les Gaulois, à cause de leur haute stature, méprisent notre petite taille) ; prétendions-nous approcher cette masse de leurs murs ? Mais lorsqu’ils la virent s’ébranler et s’avancer vers leurs défenses, étonnés d’un spectacle si nouveau, ils envoyèrent à César des députés pour traiter de la paix… »

Les Gaulois imitateurs, d’après le dire de César lui-même, ne tardèrent pas à adopter, eux aussi, les tours de bois mobiles. Lorsque le camp des Romains est assiégé par les Nerviens révoltés[8], « le septième jour du siège, un grand vent s’étant élevé, les ennemis lancèrent dans le camp des dards enflammés, et avec la fronde des balles d’argile rougies au feu. Les baraques de nos soldats, couvertes en paille à la manière gauloise, eurent bientôt pris feu, et en un instant le vent porta la flamme sur tout le camp. Alors, poussant de grands cris comme si déjà la victoire eût été pour eux, ils firent avancer leurs tours et leurs tortues, et commencèrent à escalader les retranchements. Mais tels furent le courage et la solidité de nos troupes, que, de toutes parts environnées de flammes, accablées d’une grêle de traits, sachant que l’incendie dévorait leur bagage et leur fortune, aucun soldat ne quitta son poste et ne songea même à regarder en arrière, tous combattirent avec acharnement. Cette journée fut rude pour nous ; cependant beaucoup d’ennemis y furent tués ou blessés ; entassés au pied du rempart, les derniers venus empêchaient les autres de se retirer. Quand l’incendie fut un peu apaisé, les assaillants ayant roulé une de leurs tours près du retranchement, les centurions de la troisième cohorte postés sur ce point s’éloignèrent, emmenèrent tout leur monde, et, appelant les ennemis du geste et de la voix, les invitèrent à entrer s’ils voulaient ; aucun n’osa se porter en avant. On les dispersa par une grêle de pierres, et on brûla leur tour… »

Depuis lors, et jusqu’à l’emploi de l’artillerie à feu, on ne cessa, dans les Gaules, d’employer ce moyen d’attaque pendant les sièges. Il n’est pas besoin de dire qu’il ne nous reste aucun renseignement pratique sur ces énormes machines. Nous devons nous en tenir aux descriptions assez vagues qui nous sont restées, à quelques vignettes de manuscrits exécutées de façon qu’il est impossible de constater les moyens employés pour les faire mouvoir. Pendant le moyen âge, ces tours mobiles étaient assez vastes pour contenir une troupe nombreuse ; elles étaient divisées par des planchers formant plusieurs étages percés de meurtrières, et leur sommet crénelé, dont la hauteur était calculée de manière à dominer la crête des tours ou murailles attaquées, recevait un pont s’abattant sur les parapets des assiégés, lorsque le beffroi était amené le long des murs. On garnissait extérieurement ces grandes charpentes de peaux fraîches, de grosses étoffes de laine mouillées pour les préserver des projectiles incendiaires (voy. Architecture Militaire, fig. 15 et 16).

C’est au siège du château de Breteuil par le roi Jean (1356), qu’il est fait mention une des dernières fois d’un beffroi mobile, et la description que Froissart donne de ce siège mérite d’être transcrite, car l’artillerie à feu commence à jouer un rôle important en détruisant les anciens engins d’assaut, si formidables jusqu’alors.

« Et sachez que les François qui étoient devant Breteuil ne séjournoient mie de imaginer et subtiller plusieurs assauts pour plus gréver ceux de la garnison. Aussi les chevaliers et écuyers qui dedans étoient, subtilloient nuit et jour pour eux porter dommage ; et avoient ceux de l’ost fait lever et dresser grands engins qui jetoient nuit et jour sur les combles des tours, et ce moult les travailloit. Et fit le roi de France faire par grand’foison de charpentiers un grand beffroy à trois étages que on menoit à roues quelle part que on vouloit. En chacun étage pouvoit bien entrer deux cents hommes et tous eux aider ; et étoit breteskié et cuiré pour le trait trop malement fort ; et l’appeloient les plusieurs un cas, et les autres un atournement d’assaut. Si ne fut mie si tôt fait, charpenté ni ouvré. Entrementes que on le charpenta et appareilla, on fit par les vilains du pays, amener, apporter et acharger grand’foison de bois et tout renverser en ses fossés, et estrain et trefs (paille et pièces de bois) sus pour amener ledit engin sur les quatre roues jusques aux murs pour combattre à ceux de dedans. Si mit-on bien un mois à remplir les fossés à l’endroit où on vouloit assaillir et à faire le char (le charroi). Quand tout fut prêt, en ce beffroy entrèrent grand’foison de bons chevaliers et écuyers qui se désiroient à avancer. Si fut ce beffroy sur ces quatre roues abouté et amené jusques aux murs. Ceux de la garnison avoient bien vu faire ledit beffroy, et savaient bien l’ordonnance en partie comment on les devoit assaillir. Si étoient pourvus selon ce de canons jetant feu et grands gros carreaux pour tout dérompre. Si se mirent tantôt en ordonnance pour assaillir ce beffroy et eux défendre de grand’volonté. Et de commencement, ainçois que ils fesissent traire leurs canons, ils s’en vinrent combattre à ceux du beffroy franchement, main à main. Là eut fait plusieurs grands appertises d’armes. Quand ils se furent plenté ébattus, ils commencèrent à traire de leurs canons et à jeter feu sur ce beffroy et dedans, et avec ce feu traire épaissement grands carreaux et gros qui en blessèrent et occirent grand’foison, et tellement les enfoncèrent que ils ne savoient auquel entendre. Le feu, qui étoit grégeois, se prit au toit de ce beffroy, et convint ceux qui dedans étoient issir de force, autrement ils eussent été tout ars et perdus. Quand les compagnons de Breteuil virent ce, si eut entre eux grand’huerie, et s’écrièrent haut : « Saint-George ! Loyauté et Navarre ! Loyauté ! » Et puis dirent : « Seigneurs françois, par Dieu, vous ne nous aurez point ainsi que vous cuidez. » Si demeura la greigneure partie de ce beffroy en ces fossés, ni onques depuis nul n’y entra…[9] »

Lorsqu’à la fin du XVe siècle, les auteurs de l’antiquité furent en honneur, on fit de nombreuses traductions de Végèce, de Vitruve, et leurs traducteurs ou commentateurs s’ingénièrent à trouver dans ces auteurs des applications à l’art militaire de leur temps. Ces travaux, utiles peut-être quant à la tactique, ne pouvaient s’appliquer à l’art des sièges en face de l’artillerie à feu, et les combinaisons plus ou moins ingénieuses de machines de guerre que quelques savants s’amusaient à mettre sur le papier, restèrent dans les livres ; ils ne pouvaient avoir et n’eurent aucun résultat pratique ; nous n’en parlerons donc pas[10].

  1. Notre Dictionnaire tendant avant tout vers un but pratique, on ne nous saura pas mauvais gré, nous l’espérons, de donner un exemple d’une construction neuve, élevée d’après les règles et des principes que les anciens exemples ne sauraient nous fournir d’une manière complète. Le beffroi neuf de Notre-Dame de Paris fonctionne bien depuis cinq ans, et sans qu’il soit possible de remarquer la plus légère altération dans tout le système.
  2. Cette charpente, qui a remplacé un beffroi du XVIIe siècle, a été exécutée en beau bois de chêne par M. Bellu, entrepreneur.
  3. Voy. Architecture Civile.
  4. A. Thierry. Lettres sur l’histoire de France, lett. XVIII.
  5. Ibid. — Les cloches étaient placées « inter insignia de natura consulatus existentia. » (Les Olim, ordonnance XI, 68, art. IX.) Retirer à une ville ses cloches, c’était retirer au corps municipal de cette ville, non-seulement le moyen, mais le droit de s’assembler. Pendant toute la durée de l’interdiction, les affaires restaient suspendues, ou étaient dévolues à la décision des officiers royaux. Un tel état de choses ne durait pas longtemps, et la ville pouvait d’ordinaire abréger sa durée en rachetant le droit des cloches. (Les Olim, I, p. 836 du texte, note 126.)
  6. Voy. la Description du beffroi de la ville d’Amiens, par M. H. Dusevel. Amiens, 1847.
  7. Livre II, De Bello gallico.
  8. Livre V. De Bello gallico.
  9. Chron. de Froissart, liv. I, part. II, chap. XXI. Édit. Buchon.
  10. Voy. entre autres Roberti Valturii de re militari, lib. XII ; 1493. Édit. de 1534 ; Paris, pet. in-fo latin, avec de nombreuses planches en bois, donnant les plus étranges inventions de machines pour attaquer et prendre les places fortes.