Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Catéchisme du Curé

Cramer (Tome 1p. 128-133).

CATÉCHISME DU CURÉ.


Ariston.

Eh bien, mon cher Téotime, vous allez donc être curé de campagne ?

Téotime.

Oui ; on me donne une petite paroisse, & je l’aime mieux qu’une grande. Je n’ai qu’une portion limitée d’intelligence & d’activité ; je ne pourrais certainement pas diriger soixante & dix mille ames, attendu que je n’en ai qu’une ; & j’ai toûjours admiré la confiance de ceux qui se sont chargés de ces districts immenses. Je ne me sens pas capable d’une telle administration ; un grand troupeau m’effraye, mais je pourrai faire quelque bien à un petit. J’ai étudié assez de jurisprudence pour empêcher, autant que je le pourrai, mes pauvres paroissiens de se ruiner en procès. Je sais assez de médecine pour leur indiquer les remèdes simples quand ils seront malades. J’ai assez de connaissance de l’agriculture pour leur donner quelquefois des conseils utiles. Le seigneur du lieu & sa femme sont d’honnêtes gens qui ne sont point dévots, & qui m’aideront à faire du bien. Je me flatte que je vivrai assez heureux, & qu’on ne sera pas malheureux avec moi.

Ariston.

N’êtes-vous pas fâché de n’avoir point de femme ? ce serait une grande consolation ; il serait doux après avoir prôné, chanté, confessé, communié, baptisé, enterré, de trouver dans son logis une femme douce, agréable & honnête, qui aurait soin de votre linge & de votre personne, qui vous égaierait dans la santé, qui vous soignerait dans la maladie, qui vous ferait de jolis enfans, dont la bonne éducation serait utile à l’État. Je vous plains vous qui servez les hommes, d’être privé d’une consolation si nécessaire aux hommes.

Téotime.

L’Église Grecque a grand soin d’encourager les curés au mariage ; l’Église anglicane & les protestants ont la même sagesse ; l’Église latine a une sagesse contraire ; il faut m’y soumettre. Peut-être aujourd’hui que l’esprit philosophique a fait tant de progrès, un concile ferait des loix plus favorables à l’humanité que le concile de Trente ; mais en attendant, je dois me conformer aux loix présentes ; il en coûte beaucoup, je le sais, mais tant de gens qui valaient mieux que moi s’y sont soumis, que je ne dois pas murmurer.

Ariston.

Vous êtes savant, & vous avez une éloquence sage ; comment comptez-vous prêcher devant des gens de campagne ?

Téotime.

Comme je prêcherais devant les Rois ; je parlerai toûjours de morale, & jamais de controverse ; Dieu me préserve d’approfondir la grace concomitante, la grace efficace, à laquelle on résiste, la suffisante qui ne suffit pas ; d’examiner si les anges qui mangèrent avec Abraham & avec Loth avaient un corps, ou s’ils firent semblant de manger ; il y a mille choses que mon auditoire n’entendrait pas, ni moi non plus. Je tâcherai de faire des gens de bien, & de l’être, mais je ne ferai point de théologiens, & je le serai le moins que je pourrai.

Ariston.

Ô le bon curé ! Je veux acheter une maison de campagne dans votre paroisse. Dites-moi, je vous prie, comment vous en userez dans la confession ?

Téotime.

La confession est une chose excellente, un frein aux crimes, inventé dans l’antiquité la plus reculée ; on se confessait dans la célébration de tous les anciens mystères ; nous avons imité & sanctifié cette sage pratique ; elle est très bonne pour engager les cœurs ulcérés de haine à pardonner, & pour faire rendre par les petits voleurs ce qu’ils peuvent avoir dérobé à leur prochain. Elle a quelques inconvénients. Il y a beaucoup de confesseurs indiscrets, surtout parmi les moines, qui apprennent quelquefois plus de sottises aux filles que tous les garçons d’un village ne pourraient leur en faire. Point de détails dans la confession ; ce n’est point un interrogatoire juridique, c’est l’aveu de ses fautes qu’un pécheur fait à l’Être suprême entre les mains d’un autre pécheur qui va s’accuser à son tour. Cet aveu salutaire n’est point fait pour contenter la curiosité d’un homme.

Ariston.

Et des excommunications, en userez-vous ?

Téotime.

Non ; il y a des rituels où l’on excommunie les sauterelles, les sorciers & les comédiens. Je n’interdirai point l’entrée de l’église aux sauterelles, attendu qu’elles n’y vont jamais. Je n’excommunierai point les sorciers, parce qu’il n’y a point de sorciers : & à l’égard des comédiens, comme ils sont pensionnés par le roi, & autorisés par le magistrat, je me garderai bien de les diffamer. Je vous avouerai même comme à mon ami, que j’ai du gout pour la comédie, quand elle ne choque point les mœurs. J’aime passionnément le Misanthrope, Athalie & d’autres pièces, qui me paraissent des écoles de vertu & de bienséance. Le seigneur de mon village fait jouer dans son château quelques-unes de ces pièces, par de jeunes personnes qui ont du talent : ces représentations inspirent la vertu par l’attrait du plaisir ; elles forment le goût, elles apprennent à bien parler & à bien prononcer. Je ne vois rien là que de très innocent, & même de très utile ; je compte bien assister à ces spectacles pour mon instruction, mais dans une loge grillée, pour ne point scandaliser les faibles.

Ariston.

Plus vous me découvrez vos sentimens, & plus j’ai envie de devenir votre paroissien. Il y a un point bien important qui m’embarrasse. Comment ferez-vous pour empêcher les paysans de s’enivrer les jours de fêtes ? c’est là leur grande manière de les célébrer. Vous voyez les uns accablés d’un poison liquide, la tête penchée vers les genoux, les mains pendantes, ne voyant point, n’entendant rien, réduits à un état fort au-dessous de celui des brutes, reconduits chez eux en chancelant par leurs femmes éplorées, incapables de travail le lendemain, souvent malades & abrutis pour le reste de leur vie. Vous en voyez d’autres devenus furieux par le vin, exciter des querelles sanglantes, frapper & être frappés, & quelquefois finir par le meurtre ces scènes affreuses, qui sont la honte de l’espèce humaine ; il le faut avouer, l’État perd plus de sujets par les fêtes que par les batailles ; comment pourrez-vous diminuer dans votre paroisse un abus si exécrable ?

Téotime.

Mon parti est pris ; je leur permettrai, je les presserai même de cultiver leurs champs les jours de fêtes après le service divin que je ferai de très bonne heure. C’est l’oisiveté de la férie qui les conduit au cabaret. Les jours ouvrables ne sont point les jours de la débauche & du meurtre. Le travail modéré contribue à la santé du corps & à celle de l’ame : de plus, ce travail est nécessaire à l’État. Supposons cinq millions d’hommes qui font par jour pour dix sous d’ouvrage l’un portant l’autre, & ce compte est bien modéré ; vous rendez ces cinq millions d’hommes inutiles trente jours de l’année. C’est donc trente fois cinq millions de pièces de dix sous que l’État perd en main d’œuvre. Or certainement, Dieu n’a jamais ordonné, ni cette perte, ni l’ivrognerie.

Ariston.

Ainsi vous concilierez la prière & le travail ; Dieu ordonne l’un & l’autre. Vous servirez Dieu & le prochain ; mais dans les disputes ecclésiastiques, quel parti prendrez-vous ?

Téotime.

Aucun. On ne dispute jamais sur la vertu, parce qu’elle vient de Dieu : on se querelle sur des opinions qui viennent des hommes.

Ariston.

Oh le bon curé ! le bon curé !