Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/Section complète - E

E.

ÉCLAIRER : expression figurée & incendiaire, insérée dans une lettre écrite à un représentant de la nation, & lue dans l’assemblée ; il étoit dit dans cette missive qu’on n’auroit pas dû lire, il étoit dit, si je m’en rappelle bien : prévenez vos nobles que leurs châteaux seront éclairés. Les nobles ont haussé les épaules & ont oublié le malheureux calembourg, dont je ne fais mentions, que parce que quelques journaux l’ont trouvé délicieux, sur-tout les journaux qu’on proclame. Voyez le mot Journal.

ÉGALITÉ : selon le nouveau régime, état respectif des Citoyens d’une nation libre, ordre qui les nivelle tous.

Égalité : (en matière d’impôt) répartition projettée par les représentans de la nation, que mille obstacles semblent vouloir écarter ou rendre chimérique. Si cependant, malgré les menées des Castes privilégiées, ce projet a lieu, la France sera la contrée la plus heureuse de l’Europe ; elle n’enviera point aux Espagnols ces mines qui cesseront bientôt d’être mines ; aux Italiens leurs indulgences qui n’en sont plus. Elle dira aux Allemands : nous rions de vos altesses : au Polonois : nous plaignons vos serfs, & vous, illustre Catherine, nous nous étonnons que vous en ayez encore !

ÉLECTEUR : ce ne sont pas des électeurs Germaniques dont il est question ici, mais de M. Josse, brave pere de famille, qui va à son district, & qui, par la voie du scrutin est nommé électeur ; c’est-à-dire, choisi pour aller à la ville y élire un député ou représentant, qui est pris dans les électeurs, & qui par conséquent peut être M. Josse.

Au moment de la révolution on entendoit par électeurs, de braves citoyens, qui, au péril de leur vie, n’ont point désemparé l’hôtel-de-ville, & ont été les chevilles ouvrieres de la révolution ; nous devrons tout sans doute à ces chevilles immortelles que d’autres chevilles ont voulu chasser, parce que nous avons un proverbe qui dit : qu’un clou chasse l’autre : mais en fait de municipalité il n’y a pas de proverbe qui tienne, & les anciens électeurs n’ont cédé la place que quand ils ont connu que la république n’étoit plus en danger.

ÉLIGIBLE : voyez Citoyen.

ÉLIRE : ce mot étoit à peine connu avant la révolution ; le peuple même l’estropioit dans les premieres élections qu’il a faites, & il étoit très-commun d’entendre d’honorables membres dire : on a éli M. tel pour président : il n’en est plus de même : ce mot est aussi bien prononcé que compris ; & nos citoyens sont perpétuellement en élection ; car, à l’exception de quelques heures indues, il n’en est point dans le jour où l’on n’élise dans quelque coin de district.

ÉMIGRANTS : depuis le mois de juillet ce mot a reçu une nouvelle acception ; il signifioit avant, un pere de famille qui sortoit de son pays, pour aller s’établir en terre étrangere. Aujourd’hui nous appelons émigrants, les citoyens probes qui, voulant ne rien avoir à démêler avec le nouveau régime, ont fui en pays étranger, où ils sont désignés sous le nom de François fugitifs ; l’Allemagne, la Suisse ont été remplies de François fugitifs. À Turin ils égalent les indigenes ; à Londres on n’en sait que faire, & l’on assure qu’on les chasse de Madrid ; on écrit de Rome où sont les P…ac & les L…sc, qui ont si bien purgé la France, avant leur départ & par leur départ ; on écrit, dit-on, que depuis le dernier décret de l’assemblée nationale, concernant les pensions des émigrants, qui tous étoient pensionnés, le luxe de ces bandits n’est plus si insolent[1].

Parmi les émigrants il y a certainement des gens très-coupables, mais il y en a d’autres qui n’ont été que pusillanimes ; nous reverrons ces derniers avec indulgence, mais nous conjurons les autres comme les prêtres parmi nos ayeux conjuroient les sauterelles.

ÉTATS GÉNÉRAUX : ils se sont tenus sous plusieurs rois de France ; ils prenoient le nom d’états généraux, parce qu’ils étoient composés des députés des trois ordres, qui existoient encore en France le 23 juin 1789 : ces députés étoient aux états en nombre égal, d’où il résultoit que le tiers-état, qui n’a jamais eu que des intérêts opposés aux clergé & à la noblesse, étoit éconduit par ces deux ordres. Mais les ci-devant éconduits ont enfin pris leur revanche, & de passifs qu’ils étoient, ils sont devenus actifs ; graces en soient rendues à notre bon roi Louis XVI. Sire, lui a dit un ministre impartial, la France a 24 millions d’habitans, sur lesquels le clergé & la noblesse forment à peine un vingt-quatrieme ; il est juste que les députés soient en proportion ; le prince a accueilli la réflexion, & cette proportion, qui auroit dû être comme vingt-trois à un, n’a été cependant que comme un est à deux : toute incommensurable qu’elle soit, elle a eu son effet, & nous n’avons plus d’ordre. Voyez Assemblée nationale.

Nota. Nous devons aussi des remerciemens aux parlemens, car ce sont eux qui ont jetté les hauts cris pour avoir des états-généraux ; ces peres conscripts en sentoient la nécessité, ils connoissoient mieux que personne les abus énormes qui désoloient la France ; ils savoient de certaine science que les seuls états généraux pouvoient y remédier ; la conduite & le systême adopté par les états généraux, prouvent que les peres conscripts ne se sont point trompés.

ÉPAULETTES : elles désignoient le rang parmi les anciens militaires : dans les premiers mois de notre révolution tous les jeunes gens prirent l’épaulette ; & à force de distinguer elle ne distingua plus ; elle n’a aujourd’hui de valeur que dans le service.

Il faut avouer, cependant, qu’une superbe épaulette d’or alloit beaucoup mieux à un beau jeune homme qu’à l’épaule ronde d’un épais portier, que dans l’ancien régime on appelloit suisse.

ÉPREUVE : épreuve pas assis & levé ; après qu’une question a été suffisamment discutée dans l’assemblée nationale ou dans les districts, où l’on discute aussi, on va aux opinions pour l’admettre ou la rejetter ; le président pose cette question & dit : que ceux qui sont d’avis que telle chose ait lieu se levent ; alors, ceux qui sont pour l’affirmative se levent, & le parti contraire reste assis ; si tout le monde se leve, la question est dite admise à la pluralité, & cette premiere épreuve suffit. Si la plus grande partie s’est levée, la question a la majorité, mais elle n’est admise qu’après la seconde épreuve, à laquelle le président procede par cette formule : que ceux qui sont d’avis contraire se levent ; si la majorité a été évidente, il n’est rien de plus comique alors que de voir la maniere dont se leve la minorité (c’est ainsi qu’on appelle le partie le moins nombreux) ; elle leve d’abord le dos, puis les reins, puis la partie assise, mais la tête reste inclinée. Dans les districts, où il ne regne pas autant de gravité que dans l’assemblée nationale, la minorité est ordinairement huée. Quelquefois la majorité est douteuse ou crue telle ; on recommence l’épreuve qui, si elle ne réussit pas, nécessite l’appel nominal à l’assemblée nationale, & la voie du scrutin dans les districts. Voyez Scrutin.

Dans l’appel nominal chaque député appellé répond oui ou non ; & lorsque par équivoque (ce qui est arrivé quelquefois) il répond l’un & l’autre, la gaieté françoise ne prend point ses droits.

Dans les districts, où l’on ne procede au scrutin que quand il s’agit de matiere très-importante, telle que la nomination d’un président ou vice-président, il arrive que, dans l’épreuve par assis ou levé, il y a des gens qui la rendent douteuse, parce qu’ils ont la mal-adresse de se lever pour & contre ; elle vient cette mal-adresse de ce que les jeunes gens se levent trop vite, & qu’il est quelques bons citoyens qui ayant l’ouie dure & la compréhension lente, ne se levent que parce que leur voisin à droite s’est levé, & se levent encore parce que leur voison à gauche se leve aussi.

  1. Bandits est un mot que l’auteur, qui est un peu néologue, a emprunté de l’italien où il signifie banis. Note de l’éditeur.