Dictionnaire français de Pierre Richelet/1re éd., 1680/Avertissement

AVERTISSEMENT·



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’AI fait un Dictionnaire François afin de rendre quelque service aux honnêtes gens qui aiment notre Langue. Pour cela j’ai lu nos plus excellens Auteurs, & tous ceux qui ont écrit des Arts avec réputation. J’ai composé mon livre de leurs mots les plus-reçus, aussi-bien que de leurs expressions les plus-belles. Je marque les diferens endroits d’où je prens ces mots, & ces expressions à moins que les termes & les manieres de parler que j’emploie ne soient si fort en usage qu’on n’en doute point.

En faveur des Etrangers, on a ajouté aux mots, & aux phrases des bons Ecrivains le genre de chaque nom avec la terminaison féminine des adjectifs, & l’on en a donné des exemples. On a expliqué les diverses significations d’un même mot, découvert le sens des dictions dificiles, ou équivoques, mis le régime des verbes, & des adjectifs, & même quand les verbes sont irreguliers, ou mal-aisez à conjuguer, on en a marqué la prémiere personne du présent, du preterit, du futur, & de l’imperatif.

Pour rendre l’ouvrage encore plus-utile, on y fait entrer les termes ordinaires des Arts, & presque toutes les remarques qui jusques ici ont été faites sur la Langue. On montre le diférent usage des mots, leur aplication dans les divers stiles, & la maniere dont on les doit prononcer lorsqu’ils ne se prononcent pas comme ils s’écrivent.

A l’égard de chaque mot, on a observé cét ordre. On a commencé par le sens propre avec les façons de parler qui se raportent à ce sens. On y a joint le figuré avec ses phrases. On a accompagné cela de quelques proverbes, au cas que sur le mot il y en ait eu de raisonnables, & on a marqué si le mot est un terme d’art, s’il est vrai qu’il en soit un.

Touchant l’Ortographe, on a gardé un milieu entre l’ancienne, & celle qui est tout à fait moderne, & qui défigure la Langue. On a seulement retranché de plusieurs mots les lettres qui ne rendent pas les mots méconnoissables quand elles en sont otées, & qui ne se prononçant point, embarassent les Etrangers, & la plu-part des Provinciaux. On a écrit avocat, batistere, batême, colére, mélancolie, plu, reçu, revuë, tisanne, tresor, & non pas advocat, baptistere, baptême, cholere, melancholie, pleu, reccu, reveue, ptisane, thresor.

Dans la même vuë on retranche l’s qui se trouve apres un e clair ; & qui ne se prononce point, & on met un accent aigu sur l’e clair qui accompagnoit cette s : si bien que présentement on écrit dédain, détruire, répondre, & non pas desdain, destruire, respondre.

On retranche aussi l’s qui fait la silabe longue, & qui ne se prononce point, soit que cette s, se rencontre avec un e ouvert, ou avec quelque autre lettre, & on marque cet e ou cette autre lettre d’un circonflexe qui montre que la silabe est longue. On écrit Apôtre, jeûne, tempête, & non pas Apostre, jeusne, tempeste. Cette derniere façon d’ortographier est contestée. Neanmoins, parce qu’elle empêche qu’on ne se trompe à la prononciation, & qu’elle est autorisée par d’habiles gens, j’ai trouvé à propos de la suivre si ce n’est à l’égard de certains mots qui sont si nuds lorsqu’on en a oté quelque lettre qu’on ne les reconnoit pas.

A l’imitation de l’illustre Monsieur d’Ablancourt, Preface de Tucidide, Apophtegmes des Anciens, Marmol, &c. & de quelques Auteurs celébres, on change presque toujours l’y grec en i simple. On retranche la plu-part des lettres doubles & inutiles qui ne défigurent pas les mots, lorsqu’elles en sont retranchées. On écrit afaire, ataquer, ateindre, dificulté, & non pas affaire attaquer, difficulté, &c.

Chacun se conduira là dessus comme il le trouvera à propos. Je ne prétens prescrire de loix à personne. Je raporte seulement ce que j’ai vû pratiquer par d’habiles gens, & ce que j’ai appris de feu Monsieur d’Ablancourt l’un des plus excellens Esprits & des meilleurs Ecrivains de son siécle. Comme il me faisoit l’honneur de m’aimer avec tendresse, il m’a découvert une partie des misteres de nôtre Langue, & dans la créance où il étoit que j’avois profité des heureux momens de son entretien, il me confirma à sa mort son affection par l’ordre qu’il me donna de revoir ses derniers ouvrages. J’ai aussi tiré pour mon travail beaucoup de lumieres du judicieux Monsieur Patru qui sait à fonds ce que nôtre Langue a de plus fin, & de plus délicat, & qui dans l’éloquence du Barreau a trouvé une route nouvelle & pleine de charmes. Il m’a éclairci mes doutes avec une bonté singuliere, & c’est par ses avis que j’ai rendu mon travail plus suportable. Mais parce que dans un ouvrage lassant & long, l’esprit s’abat & s’endort quelquefois, il est presque impossible qu’il ne s’y soit glissé des fautes.

Un homme seul ne sauroit tout voir. Un Dictionnaire est l’Ouvrage de tout le Monde. Il ne se peut mêmes faire que peu à peu, & qu’avec bien du tems. Des personnes illustres dans les lettres travaillent depuis prés de 43 ans à un Ouvrage de cette nature, & toutefois ils n’en sont pas encore venus à bout. En attendant que leur travail paroisse, & vienne heureusement remplir les voeux du public, on met en lumiere ce Dictionnaire qui est une espece d’aventurier qu’on rendra plus digne de voir le jour si les honnêtes gens qui sont éclairez nous font la grace de marquer les choses en quoi on leur aura pû éplaire. On corrigera, on retranchera, on ajoûtera ce qu’ils trouveront à propos. Le public leur sera obligé, & on les remerciera des bontés qu’ils auront euës.

Au reste, si dans le corps du Dictionnaire, il se rencontre quelque chose dont on ne soit pas satisfait, on n’aura qu’à consulter les Remarques qui sont à la fin de chaque partie de l’Ouvrage. On y trouvera peut être ce qu’on cherche. J’y ay ajoûté quelques mots qu’on ne pouvoit raisonnablement oublier, & j’ai retouché quelques endroits qui ne m’ont pas semblé assez exacts, ni assez étendus. Trop heureux si la peine qu’on a prise peut être utile & agreable aux honnêtes gens.