Dictionnaire des proverbes (Quitard)/vache

V

vache. — Sentir la vache à Colas.

C’est être soupçonné d’hérésie. — Le protestantisme est appelé la religion de la vache à Colas. Ces expressions sont venues, dit-on, de ce qu’un paysan des Cévennes, nommé Colas, qui avait embrassé le protestantisme, fit tuer une vache dans le saint temps du carême, et en distribua la viande à ses co-religionnaires, qui la mangèrent avec affectation pour narguer les catholiques.

On donna, dans la suite, le nom de Vache à Colas, à une chanson très injurieuse pour le clergé, laquelle fut faite par des religionnaires au commencement du xviie siècle et fut brûlée publiquement par le bourreau, avec défense expresse d’en faire aucune mention.

Parler français comme une vache espagnole.

On a altéré le texte de cette comparaison proverbiale en y substituant vache à Vace, ancien nom par lequel on désignait un habitant de la Biscaye, soit française, soit espagnole ; et la substitution s’est faite d’autant plus aisément que les deux mots étaient presque homonymes dans le vieux langage, où vache se disait vacce. Ainsi, parler français comme une vache espagnole, c’est proprement parler français comme un Vace, ou Basque, espagnol ; ce Basque-là étant jugé le plus inhabile à s’exprimer en français. Cette explication me semble bien préférable à celle qu’on pourrait donner encore, en conjecturant qu’on a dû écrire originairement parler français comme une vache espagnol, c’est-à-dire comme une vache parle espagnol, car de cette manière on fausserait le sens de la locution à laquelle on ferait dire ne point parler du tout le français, tandis qu’elle veut dire le parler très mal ; et d’ailleurs pourquoi aurait-on signalé l’impossibilité pour une vache de parler l’espagnol plutôt que tout autre idiome ? Il y a là une difficulté bien réelle ; il n’y en a point, au contraire, si l’on admet Vace ou Basque, à la place de vacce ou vache. Rien n’est plus naturel que le reproche fait aux Basques d’écorcher le français, puisque la langue escuara n’a aucun point de connexion avec la nôtre, ni même avec aucune de celles que l’on connaît. Scaliger disait plaisamment des Basques : On prétend qu’ils s’entendent, mais je n’en crois rien.

Il est sorcier comme une vache.

Il ne sait rien prévoir ni deviner. C’est comme si l’on disait : On ne peut pas faire plus de fond sur ses prédictions qu’on n’en fesait sur l’inspection des entrailles d’une vache immolée.

Manger de la vache enragée.

Feydel explique ainsi cette locution : «  Enragé est un ancien adjectif dont la signification était bien différente de celle de l’adjectif actuel. Cet ancien mot signifiait positivement retenu dans un fossé. Quand un bœuf, ou une vache, est retenu ainsi par une chute qui lui a démis l’épaule ou la hanche, le laboureur, pour ne pas perdre tout le prix de l’animal, mande le boucher qui fait son métier sur le champ, et la marchandise est débitée à bas prix, en pleine campagne. Ainsi le dicton signifie à la lettre, manger de très mauvaise viande, et encore n’en manger que par cas fortuit. »

Il y a une meilleure explication que voici : Dans tous les temps, l’usage et le débit de la chair des animaux domestiques atteints d’épizootie, ou mordus par un chien enragé, ont été prohibés par les lois de police qui ordonnaient autrefois de jeter ces animaux dans une fosse, comme on le voit dans les instructions données sur ce sujet, en 751, par le pape Zacharie à saint Boniface. Mais il y a toujours eu de pauvres gens qui, pressés par la faim, et sur la foi du proverbe morte la bête, mort le venin, n’ont pas craint d’éluder les ordonnances, en se nourrissant de la viande défendue, en mangeant de la vache enragée. Et cette expression, dans quelque sens qu’on la prenne, a été employée très naturellement pour peindre l’état de besoin, de privation et de misère.

La vache a bon pied.

Cela se dit par corruption de la vache a bon pis, quand on plaide contre quelqu’un qui a de quoi payer les frais.

Voir vaches noires en bois brûlé.

C’est se forger d’agréables chimères, poursuivre de douces illusions, comme font les vachers, lorsque, placés devant leur feu, ils rêvent au bonheur d’avoir de bonnes vaches noires, réputées meilleures laitières que les autres, et croient les voir apparaître dans les figures fantastiques qu’offrent à leurs yeux les tisons en se consumant. Les vaches noires en bois brûlé sont les châteaux en Espagne des vachers.

On disait autrefois chercher vache noire en bois brûlé, pour chercher une chose impossible ou très difficile à trouver. Scarron a employé cette expression dans les vers suivants d’une de ses lettres à Sarrazin :

Mais espérer qu’un Sarrazin normand
De ses amis garde quelque mémoire,
En bois brûlé c’est chercher vache noire.

Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.

Ce dicton s’emploie, en général, pour dire que toutes choses vont bien lorsque chacun ne se mêle que de ce qu’il doit faire ; mais on s’en sert en particulier à propos de tel ou de tel homme sur le mérite duquel on ne veut pas s’expliquer longuement, pour signifier que si chacun se renfermait dans ce qui convient à sa vocation naturelle, il y aurait peut-être plus de vachers que de vaches.