Dictionnaire des proverbes (Quitard)/marmot

marmot.Croquer le marmot.

Attendre longtemps. — L’origine de cette expression est fort controversée. Les uns la font venir d’une fable d’Ésope imitée par La Fontaine, dans laquelle une fermière, pour faire cesser les pleurs de son petit garçon, le menace de le donner au loup, qui ayant entendu cela, en passant, vient se planter sur la porte de la maison, dans l’espoir de croquer le marmot, et, après une vaine attente, finit par être assommé. Les autres la rapportent à l’habitude qu’ont les compagnons peintres de croquer un marmot (de tracer le croquis d’un marmot) sur un mur, pour se désennuyer, lorsqu’ils sont obligés d’attendre. — Je crois qu’elle fait allusion à l’usage féodal d’après lequel le vassal qui allait rendre hommage à son seigneur devait, en l’absence de celui-ci, réciter à sa porte, comme il l’eût fait en sa présence, les formules de l’hommage, et baiser à plusieurs reprises le verrou, la serrure ou le heurtoir appelé marmot, à cause de la figure grotesque qui y était ordinairement représentée. En marmottant ces formules, il semblait murmurer de dépit entre ses dents, et en baisant ce marmot, il avait l’air de vouloir le croquer, le dévorer. Ainsi, il fut très naturel de dire figurément croquer le marmot, pour exprimer la contrariété ou l’impatience qu’une longue attente doit faire éprouver. Cette explication est confirmée d’ailleurs par l’expression italienne mangiare i catenacci, manger les cadenas ou les verrous, qui s’emploie dans le même sens que la nôtre.

Égayons cet article par une anecdote que racontait le duc de Biron, un jour qu’il voulait prouver la difficulté qu’ont les étrangers à comprendre les locutions figurées de la langue française : — Milady B***, disait-il, avait eu la bonté de me donner un rendez-vous au bois de Boulogne et l’inhumanité d’y manquer. Au bout de deux heures, je m’ennuyai de l’attendre, et, de retour chez moi, je lui écrivis pour me plaindre de son inexactitude. Par malheur il y avait dans mon billet qu’il était bien mal à elle de m’avoir ainsi fait croquer le marmot. Milady savait assez mal le français. Elle prend son dictionnaire, et, trouvant que croquer signifie manger et que marmot veut dire enfant, la voilà qui conclut que, dans ma fureur, j’avais mangé ou voulu manger un enfant. Aussi dit-elle à une de ses amies qui entrait en ce moment chez elle : C’est un monstre que ce duc de Biron ; je ne veux le voir de ma vie. Lisez ce qu’il m’écrit.