Dictionnaire des proverbes (Quitard)/manche

manche. — C’est une autre paire de manches.

C’est une autre affaire ; c’est bien différent. — On lit dans une note du livre iv, chapitre 58, de Tristan-le-Voyageur, par Marchangy : « C’était la mode, sous le règne de Charles V, de porter une espèce de tunique serrée par la taille, et nommée cotte-hardie, laquelle montait jusqu’au cou, descendait jusqu’aux pieds et avait la queue traînante ; mais pour les personnes de distinction seulement[1], outre les manches étroites de cette robe, on y avait adapté une autre paire de manches à la bombarde, qui étaient fendues pour laisser passer tout l’avant-bras, et qui flottaient à vide jusqu’à terre. Ces secondes manches coûtaient beaucoup plus cher que les véritables, peut-être parce qu’elles ne servaient à rien. On leur doit le proverbe : C’est une autre paire de manches. »

Cette explication ne me paraît pas tout à fait juste. En voici une autre que je crois meilleure. Les manches étaient autrefois des livrées d’amour que les fiancés et les amants se donnaient réciproquement, et qu’ils promettaient de porter en témoignage de leur tendre engagement, ainsi qu’on le voit dans une nouvelle du troubadour Vidal de Besaudun, où il est question de deux amants qui se jurèrent de porter manches et anneaux l’un de l’autre. Ces livrées adoptées pour être le signe de la fidélité, devinrent en même temps celui de l’infidélité. Quand on changeait d’amour, on changeait aussi de manches ; souvent même il arrivait que celles qu’on avait prises la veille étaient mises au rebut le lendemain, et il y eut tant d’occasions de dire c’est une autre paire de manches, que cette expression fut proverbiale en naissant.

Il y a un vieux dicton populaire qui confirme cette explication ; le voici : On se fait l’amour, et quand l’amour est fait, c’est une autre paire de manches.

L’expression tenir quelqu’un dans sa manche, pour dire en être assuré, l’avoir à sa disposition, est peut-être dérivée du même usage : peut-être aussi a-t-elle dû son origine à l’ancienne coutume de porter la bourse dans la manche, sous l’aisselle gauche. En ce cas, elle serait une variante et un équivalent de cette autre expression autrefois usitée, tenir quelqu’un dans sa bourse. Henri II, roi d’Angleterre, après avoir obtenu des lettres pontificales qui lui donnaient gain de cause contre Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, se vantait, en montrant ces lettres publiquement, de tenir le pape et tous les cardinaux dans sa bourse. Quia nunc D. papam et omnes cardinales habet in bursà sud. (Apud scrip. fr. xvi, 593.)

L’emploi de manche pour bourse se trouve encore dans la phrase proverbiale, aimer plus la manche que le bras, c’est-à-dire aimer mieux son argent que sa personne, comme font les avares. Rabelais (liv. iii, ch. 3) s’est servi de cette phrase, dont ses commentateurs n’ont pas donné la raison.

  1. Christine de Pisan rapporte, comme une chose extraordinaire, qu’une simple dame de Catinois eut osé porter cette cotte-hardie à queue traînante.