Dictionnaire des proverbes (Quitard)/fagot

fagot. — Sentir le fagot.

C’est être soupçonné d’hérésie, d’impiété. — Cette façon de parler fait évidemment allusion au supplice du feu qu’on infligeait autrefois aux hérétiques ; mais on a eu tort de prétendre qu’elle a été introduite sous le règne de François II, qui institua les chambres ardentes chargées de prononcer un pareil supplice contre les luthériens et les calvinistes. Elle existait déjà sous le règne de François Ier. Il est probable qu’elle remonte au temps des Albigeois, que Simon de Montfort, vicaire du pape Innocent III, livrait aux flammes par centaines ; témoin l’exécution qu’il fit faire, en 1210, à Minerbe, où cent cinquante furent consumés sur un horrible bûcher allumé par le fanatisme. On peut même croire qu’elle a une origine plus ancienne encore, en raison de l’analogie qu’elle présente avec la dénomination de sarmentitii, usitée chez les Romains, à ce que nous apprend Tertullien, pour désigner les chrétiens qu’ils faisaient brûler avec des fagots de sarment.

Il y a fagots et fagots.

Ce proverbe, qu’on emploie fréquemment pour signifier qu’il y a de la différence entre des choses de même sorte, ou entre des personnes de même état, a été inventé ou du moins mis en vogue par Molière, qui fait dire à Sganarelle (Médecin malgré lui, act. 1, sc. 6) ; « Il y a fagots et fagots, mais pour ceux que je fais… »

Conter des fagots.

C’est conter des bagatelles, des choses frivoles ou fausses et sans vraisemblance. — On prétend que la plus ancienne de nos feuilles périodiques, la Gazette de France[1], donna lieu à cette phrase proverbiale presque aussitôt qu’elle parut. Comme elle ne se publiait pas alors par abonnement, des colporteurs étaient chargés de la crier dans les rues : or, il arriva qu’un de ces colporteurs rencontra un jour sur son chemin un marchand de fagots qui s’obstina à marcher à côté de lui ; l’un et l’autre se piquèrent d’une risible émulation ; ce fut à qui saurait le mieux enfler sa voix pour avertir les acheteurs, et comme leurs cris alternatifs Gazette ! Fagots ! firent événement pour tout le quartier, on s’égaya sur la réunion fortuite ou calculée de ces deux mots, et l’on prit l’habitude de les employer dans une acception synonymique.

Cette explication peut s’appeler un fagot, car elle repose sur un fait moins ancien que la locution, laquelle est venue tout simplement d’un allusion à la mauvaise foi des marchands de bois, qui comptent les fagots qu’ils vendent de manière à tromper sur la quantité ou sur la qualité. Une phrase de la vieille farce intitulée : La querelle de Gaultier Garguille et de Périne sa femme, ne laisse aucun doute sur ce sujet. « Tu me renvoies de Caïphe à Pilate ; tu me contes des fagots pour des cotterets. » Conter est mis ici pour compter ; la différence que l’œil remarque entre ces deux homonymes ne fait rien à la chose ; dérivés l’un et l’autre, suivant Nicot, du verbe latin computare, ils étaient autrefois confondus sous le rapport de l’orthographe. Les livres imprimés avant la fin du dix-septième siècle en offrent des preuves multipliées. Le docte M. de Walckenaer cite une édition de Boileau où l’on trouve :

Parmi les Pelletiers on conte les Corneilles.

Il ajoute que dans la rédaction officielle de l’Entrée du roi et de la reine, le 26 août 1660, on lit en gros caractères : Chambre des Contes.

J’indiquerai, à mon tour, une pièce de Ronsard où conter pour compter revient à chaque couplet :

Si tu peux me conter les fleurs
Du printemps, etc.

Un fait que je garantis, c’est que conter, dans le sens de calculer, énumérer, a été employé plus souvent que compter par les auteurs du seizième siècle et du dix-septième siècle.

Madame de Forgeville demandait un jour à d’Alembert : Quel bien avaient fait à l’humanité les encyclopédistes. — Quel bien ? répondit le philosophe ; ils ont abattu la forêt des préjugés qui la séparait du chemin de la vérité. — En ce cas, répliqua-t-elle en riant, je ne suis plus surprise s’ils nous ont débité tant de fagots.

  1. On croit que les gazettes ont été inventées en Chine, où l’on imprime tous les jours, depuis un temps immémorial, par ordre de la cour, une relation circonstanciée de ce qui se passe dans l’empire. Un savant rédacteur du Journal des Débats, M. Jos.-Vict. Leclerc, nous a appris que les gazettes ont existé aussi chez les Romains, ce dont personne ne s’était douté avant lui. Mais si la chose est ancienne, le mot ne l’est pas ; il vient de l’italien gazetta, petite pièce de monnaie qu’on payait pour la lecture d’un cahier de nouvelles manuscrites qui se publiaient, chaque semaine, à Venise, au commencement du seizième siècle, à l’époque où cette ville était l’asile de la liberté et l’Italie le centre des négociations de l’Europe. Le médecin Théophraste Renaudot eut le premier, en France, l’idée de faire une semblable publication pour récréer ses malades, et il fonda à Paris, un 1631, la Gazette de France, pour laquelle il obtint un privilège du roi l’année suivante.