Dictionnaire des proverbes (Quitard)/bâton

bâton. — Être réduit au bâton blanc.

On prétend que cette expression est une allusion à l’ancien usage d’après lequel les soldats d’une garnison qui avait capitulé sortaient de la place avec un bâton à la main, c’est-à-dire avec un bois de lance dégarni de fer. Mais on se trompe certainement ; car l’usage dont on parle ne fut introduit que parce que le bâton dépouillé de son écorce était un symbole de dénûment et de sujétion affecté particulièrement aux suppliants et aux prisonniers. On sait qu’aux termes de la loi salique, le meurtrier, obligé de quitter le pays lorsqu’il ne pouvait payer la composition, sortait de sa maison, en chemise, déceint, déchaux et bâton en main, palo in manu. Une disposition analogue se trouve dans cette formule des archives de Bade : Partir avec petit bâton et du bien faire l’abandon (Grimm., 133), On voit dans les Antiquités d’Anvers, par Gramaye, que les confrères de l’arc de la ville de Welda se présentèrent devant les statues des saints avec des baguettes blanches dans leurs mains en signe de dépendance. « Je ne plains pas les garçons, dit Luther : un garçon vit partout, pourvu qu’il sache travailler ; mais le pauvre petit peuple des filles doit chercher sa vie avec un bâton blanc à la main. » (Mém. de Luther, par M. Michelet, ii, p. 160.) C’est une coutume en Hollande, que les servantes qui sont sans place courent les rues en portant des bâtons blancs.

Le tour du bâton.

On appelle ainsi les profits casuels et souvent illicites d’un emploi.

Cette expression vient, suivant Borel, des deux mots bas et ton, parce que lorsqu’on veut faire un gain injuste on ne le dit qu’à voix basse (d’un bas ton) à l’oreille des personnes qu’on met dans ses intérêts. Lamonnoye la tire du petit bâton avec lequel les joueurs de gobelets exécutent leurs tours de passe-passe. Moisant de Brieux pense qu’elle fait allusion au bâton des maîtres d’hôtel. Elle peut tout aussi bien faire allusion au bâton des huissiers, ou mieux encore au bâton des juges suppléants qui, toutes les fois qu’ils étaient appelés à remplacer les titulaires, dans le temps de la féodalité, grevaient les plaideurs de quelque dépense surérogatoire. Les seigneurs les y autorisaient pour se dispenser de les payer, et partageaient même avec eux. C’est ce qui rendait la justice seigneuriale beaucoup plus chère que la justice royale, et fesait dire que Justice coute moult souvent plus que ne vaut.

Faire sauter à quelqu’un le bâton.

L’obliger à faire quelque chose contre son gré.

Allusion à un amusement des bergers qui, faisant sortir le troupeau de la bergerie ou l’y faisant rentrer, se placent sur la porte avec un bâton élevé à une certaine hauteur, pour se donner le plaisir de le faire sauter à leurs bêtes. — On dit aussi Sauter le bâton dans le même sens que Franchir le pas, franchir l’obstacle.

Faire une chose à bâtons rompus.

On a regardé cette façon de parler comme une allusion aux exercices du tournoi où les chevaliers, dans les joûtes de plaisir, se servaient de lances mornées qui se nommaient bâtons rompus[1], tandis que dans les joûtes sérieuses, ils fesaient usage de lances acérées, deux manières de combattre qui différaient entre elles, comme l’escrime et le duel. Mais une telle explication fausserait l’idée qu’on attache à l’expression Faire une chose à bâtons rompus, qui ne signifie point faire une chose peu sérieusement et par manière de jeu, comme on l’imagine, mais bien, faire une chose après de fréquentes interruptions et à diverses reprises. Cette expression est une métaphore prise d’une batterie de tambour, qui consiste à faire jouer les bâtons ou baguettes alternativement et par intervalle, ce qui s’appelle rompre les bâtons. Elle est proprement le contraire de aller rondement, autre métaphore prise aussi d’une batterie de tambour qu’on nomme le roulement.

  1. C’est-à-dire dont le fer est rompu ou ôté. Ces lances étaient encore appelées lances courtoises ou lances innocentes. Les Romains avaient aussi de semblables armes, dites arma lusoria.