Dictionnaire des proverbes (Quitard)/abbé

abbé. — Attendre quelqu’un comme les moines l’abbé.

C’est ne pas l’attendre. — Cette façon de parler s’emploie particulièrement lorsqu’une personne invitée à dîner n’arrive point à l’heure indiquée, et que les autres convives se mettent à table. Elle est fondée sur l’ancienne coutume des couvents où les moines étaient dispensés d’attendre leur supérieur, dès l’instant que le son de la cloche des repas, sonus epulantis, les avait appelés au réfectoire. Leur devise était ce refrain d’une prose gastronomique qu’ils chantaient sans doute avec plus de plaisir qu’aucune hymne de leur bréviaire.

               O beata viscera,
               Nulla sit vobis mora !
Loin de vous tout retard, entrailles bienheureuses !

Les Allemands disent : Mit der linken Hand auf einem warten. Attendre quelqu’un avec la main gauche, c’est-à-dire, pendant que la droite est occupée à porter les morceaux à la bouche.

Il n’y a point de plus sage abbé que celui qui a été moine.

L’homme qui a pratiqué les devoirs de l’obéissance est celui qui pratique le mieux les devoirs du commandement. (Voyez le proverbe : Il faut apprendre à obéir pour savoir commander.)

Le moine répond comme l’abbé chante.

Les inférieurs se montrent d’ordinaire du même sentiment et tiennent le même langage que les supérieurs. — Un sénateur romain disait à Tibère : Si primo loco censueris Cæsar, habebo quod sequar. César, si vous émettez le premier une opinion, je ne pourrai que la suivre.

      Regis ad exemplar totus componitur orbis.

(Horace.)

Le bedeau de la paroisse est toujours de l’avis de monsieur le curé.

Pour un moine on ne laisse pas de faire un abbé.

L’absence ou l’opposition d’un individu n’empêche point une compagnie de délibérer ou de conclure une affaire.

 
       Être comme l’abbé Rognonet
Qui de sa soutane ne put faire un bonnet.

Comparaison proverbiale qu’on applique à une personne qui ne sait tirer aucun parti d’une position avantageuse, et qui gâte la meilleure affaire par sa sotte maladresse. On dit aussi, dans le même sens : Tailler sa besogne sur le patron de l’abbé Rognonet.

L’abbé Rognonet est un être imaginaire, qui a tiré son nom, suivant les uns, du verbe rogner, dont l’action devait lui être familière, et, suivant les autres, du verbe rognoner, par allusion à la mauvaise humeur à laquelle il se laissait emporter toutes les fois que, voyant son opération manquée, il était obligé de la recommencer pour la manquer encore. L’histoire de ce malencontreux personnage a été probablement suggérée par un passage de Rabelais (livre iv, ch. 52), où Carpalim, valet de Panurge, parlant du tailleur Groingnet, ainsi nommé sans doute du vieux verbe groingner (grogner), fait le détail suivant des infortunes survenues à ce tailleur dans l’exercice de son métier, parce qu’il avait employé en patrons et en mesures un parchemin sur lequel était écrite une vieille clémentine ou décrétale du pape Clément V : « Ô cas estrange ! touts habillements taillez sus tels patrons, et pourtraicts sus telles mesures, feurent guastez et perdus, robbes, cappes, manteaulx, sayons, juppes, cazacquins, collets, pourpoincts, cottes, gonnelles, verdugualles. Groingnet, cuidant tailler une cappe, tailloit la forme d’une braguette ; en lieu d’ung sayon tailloit ung chappeau à prunes succées ; sus la forme d’ung cazacquin tailfoit une aumusse ; sus le patron d’ung pourpoinct tailloit la guise d’une paelle. Ses varlets l’avoir cousue la deschiquetoient par le fond et sembloit d’une paelle à fricasser chastaignes. Pour ung collet faisoit ung brodequin. Sus le patron d’une verdugualle faisoit ung tabourin de souisse. Tellement que le paovre homme par justice fut condamné à payer les estoffes de touts ses chalands et de présent en est au saphran. (Voyez le mot Safran.) Punition dist homenaz et vengeance divine ! »