Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME II. Prolégomènes : sources et normes de la croyance

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1118-1124).

II. Prolégomènes : sources et normes de la croyance.

Zwingli se soustrait au magistère et se réclame de l’Écriture (i). Mais le jugement privé prend chez lui les dimensions d’un principe propre, concurrent de l’Écriture, le Geislprinzip, qui fonde son spiritualisme. Pour cette raison, on ne saurait voir dans le sola Scriplura le principe formel du zwinglianisme. Il y a lieu de le chercher ailleurs et d’examiner de plus près l’attitude de Zwingli à l’égard de la Révélation ou Parole de Dieu (il) et simultanément de l’Esprit et de l’Écriture (m). Le rejet de tout exlrinsécisme et de toute médiation, non seulement donc magistère officiel, mais parole du prédicateur ou lettre même inspirée, est, dans ce domaine de théologie fondamentale, la caractéristique du zwinglianisme.

I. ZXVINOLI ET LE MAGISTÈRE ECCLÉSIASTIQUE.

L’écriture source unique de foi. —

1° Critique du magistère et de l’autorité des conciles et des Pères.

1. Les premiers écrits réformateurs de Zwingli sont dirigés contre le magistère ecclésiastique, représenté notamment par l’évêque de Constance. C’est à l’adresse de celui-ci qu’il écrivit dans le courant de l’été 1522 Y Apologeticus Architeles (22-23 août 1522) (C. R., i, 249 sq.), où il combat les prétentions de la hiérarchie et des conciles « à statuer sur la Parole de Dieu. Un mois plus tard, il développe le même thème de façon plus positive dans Von Klarheit und Gewissheil des Wortes Gottes (6 septembre 1522) (C. R., i, 328 sq.), transcription d’un sermon dont le titre original eût dû être : De vi et usu Scripluræ sacrse (cf. C. R., i, 254 et 312, 8). Mais c’est surtout à l’occasion de la première dispute tenue à Zurich (29 janvier 1523) qu’il prit officiellement position contre le magistère catholique (cf. C. R., i, 536 sq.). Zwingli en appela ici (cf. C. R., i, 558, 3), comme dans la suite et lors des diverses controverses (cf. C. R., i, 324, 31 ; il, 323, 8 ; 449, 1 ; iii, 310, 27 ; 379, 25), à l’Écriture seule ; elle devait décider seule de la vérité. Cependant on ne pouvait se passer d’arbitres, et Zwingli eut toujours soin de s’entourer d’arbitres de son choix. Après avoir récusé la juridiction de l’évêque de Constance, il admit l’arbitrage du conseil municipal de Zurich (cf. C. R., i, 470, 21 sq.), dont il savait les principaux membres acquis à ses idées.

En tête des thèses qu’il défendit à Zurich en 1523 figure celle-ci : « Ceux qui disent que l’Évangile n’est rien sans l’approbation de l’Église se trompent et se moquent de Dieu (C. R., i, 458, 11 ; II, 21). C’est la base de théologie fondamentale sur laquelle s’élève l’édifice imposant des 67 thèses (voir aussi les références au même sujet dans l’exposition des thèses 5, 15, 16, 17). Elle fut l’objet des critiques de Valentin Compar, d’Url : l’écrit de celui-ci nous valut une réponse de Zwingli, qui acheva de s’expliquer sur la question de l’autorité en matière de foi. Il le fit en commentant et en réfutant la formule de saint Augustin (détournée, disait-il, de son vrai sens par les « papistes » ) qu’on lui opposait : Evangelto non crederem, nisi me commoveret Ecclesise auctoritas (cf. Bine Antwort Valentin Compar gegeben [27 avril 1525], C. R., iv, 63 sq.).

2. L’ensemble de cette littérature a un caractère polémique très marqué. Zwingli ne considère pas le sujet d’une façon sereine. C’est la cause de 1’ « Évangile » qui est ici en jeu et qu’il s’agit de faire triompher contre une hiérarchie que, pour toutes sortes de raisons, dogmatiques ou non, on a résolu d’éliminer. Si parfois il laisse parler l’adversaire et définir un peu plus exactement le rôle assigné au magistère (C. R., ii, 109, 24 ; iv, 63, 11), il nous met le plus souvent devant le dilemme : ou l’Écriture (l’Évangile, la Parole de Dieu), ou l’Église hiérarchique, c’est-à-dire, dans sa pensée : ou Dieu, ou l’homme (C. R., i, 314, 27). Faire confiance au magistère, c’est « se reposer sur l’homme » (C. R., ii, 27, 11), ce qui est le péché par excellence. L’Écriture participe à la transcendance de Dieu, c’est pourquoi nul ne saurait s’ériger en juge de l’Écriture — il s’agit plutôt de juger du sens de l’Écriture que de l’Écriture elle-même, mais enfin Zwingli, pour des raisons polémiques, brouille le jeu. En revanche, il ne voit guère dans la hiérarchie que l’élément humain ; il se plaît à dénoncer dans le pape et les conciles des intentions malignes, égoïstes, intéressées, qui vicient leurs décisions même doctrinales (C. R., i, 309, 23 sq. ; ii, 26, 1 ; 1 10, 8 ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 245). Et encore qu’il leur reconnaisse une infaillibilité très limitée et qui ne leur est pas propre (C. R., ii, 25, 16 ; 110, 26), il les enferme tous sous la condamnation qui frappe tout homme, « car l’homme est menteur » (C. R., ii, 76, 4). Comment puis-je attendre la vérité divine d’un homme ? Nous sommes sans cesse ramenés à cette prétention paradoxale (C. R., i, 382, 3 ; ii, 23, 30 ; 27, 8 ; 76, 1). À l’inverse, la Parole de Dieu est claire en elle-même ; c’est l’intrusion de l’amour-propre qui offusque la Parole et fait que les hommes se divisent à son sujet. D’elle-même, comme l’Esprit qui est à sa source, elle est facteur d’unité et d’harmonie (thèse du Von Klarheit und Gewissheil des Wortes Gottes ; voir aussi C. R., i, 322, 22).

3. Dans les écrits de cette période, Zwingli est manifestement sous l’influence de Luther : ainsi s’explique pour une part son pessimisme radical. N’y a-t-il donc rien à attendre des hommes que la présomption et l’erreur, et l’humanisme avait-il entièrement tort ? Non pas. Seulement Zwingli se refuse maintenant à s’arrêter à l’homme lui-même, il passe outre et nous conduit jusqu’à Dieu, source de toute vérité. L’homme découvre la pensée de Dieu, écrit-il dans VAusIegung des 15. Artikels, et se repose dans cette certitude, mais il fait plus : « Il éprouve tout ce qui vient des hommes et se donne pour véridique : le trouve-t-il dans son Évangile, c’est-à-dire dans l’enseignement qui vient de l’Esprit divin et de la grâce divine, il le reçoit, bien entendu, mais il ne le fait pas de prime abord, car il est déjà auparavant si bien instruit et éclairé qu’il ne reçoit que ce dont Dieu l’instruit par le Christ. Et quand l’homme énonce (une vérité) qui est de Dieu, il ne soumet pas la Parole de Dieu au jugement d’une parole humaine, mais il dit : Ceci doit être cru, parce que c’est la Parole de Dieu (C. R., Il, 75, 26). Ainsi en est-il de l’autorité des Docteurs et des conciles. Elle ne leur est pas propre, car : « Un Docteur m’a-t-il instruit selon son propre caprice, il m’a trompé ; s’est-il réglé dans son enseignement sur la Parole de Dieu et l’Esprit de Dieu, ceci est à attribuer à Dieu, et c’est à Dieu qu’il faut rendre grâces et non au Docteur » (C. R., iv, 78, 23 ; cf. ibid., 39 ; 77, 15 sq.). De même pour les conciles :. Ce que les conciles définissent. confronté avec la doctrine du Christ, lui est-il semblable : pourquoi lui donner un nom humain ? I huit le en contraire, pourquoi le faire passer sous le patronage de Dieu ? »

(C. / ?., ii, 26, 14.) Sur l’autorité des conciles, cf. C. R., i, 234, 5 ; 302. 26 ; 321, 12 ; 512, 17 ; 536. 8 ; ii, 447, 8 ; 682, 37 ; 765, 11 ; iii, 77, 18 ; 78, 1 ; 872, 7 ; iv, 73, 11 ; 74, 6, etc. Toujours la même alternative : ou Dieu, ou l’homme. Dieu est source de toute vérité : entendez non seulement une plénitude et un absolu de vérité, mais toute la vérité, en sorte qu’il n’y en a point en dehors de lui (C. R., ii, 475, 19 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 82). Le rôle de l’Esprit est précisément de nous admettre au partage de cette vérité, mais alors nous passons dans la sphère divine, et déjà l’Esprit nous saisit par ce qu’il y a de divin en nous, l’esprit qui lui est semblable (mens).

2° Le recours à l’Écriture. La Bible de Zurich. Méthode exégétique de Zwingli. — 1. Délaissant le magistère et la Tradition, Zwingli préconise le retour aux sources de la doctrine chrétienne, ce qui s’entend proprement de l’Écriture. L’Écriture est à la fois source et norme de foi pour qui la lit en esprit de simplicité et avec l’assistance de l’Esprit (C. R., i, 361, 31 ; 365, 24 ; 379, 25 sq. ; 381, 25 ; 561, 18). Cet appel à l’Écriture coïncide avec la diffusion du texte sacré. « Aujourd’hui, écrit Zwingli avec emphase, alors que la Sainte Écriture a trouvé par l’impression, spécialement à Bâle, accès au monde et à la lumière, il est loisible à tout chrétien pieux, pour peu qu’il sache le latin, de se laisser instruire et d’y puiser la connaissance de la volonté de Dieu » (C. R., i, 562, 5 ; cf. ii, 448, 22). Zwingli remarque qu’un prêtre zélé peut acquérir aujourd’hui en deux ou trois ans une science de l’Écriture qui lui eût demandé auparavant dix ou quinze ans (C. R., i, 562, 10). Mais « la connaissance de l’Écriture n’est plus désormais le privilège du prêtre, elle est devenue le bien commun de l’ensemble des fidèles » (ibid., 262, 32). Un mouvement de renouveau biblique se dessine alors en Suisse, auquel le réformateur lui-même participe. Rappelons quelques dates : 1521, les épîtres de saint Paul d’après les Paraphrases d’Érasme sont traduites en allemand par Léon Jud et imprimées à Zurich chez Froschauer ; 1522, impression à Bâle de la traduction du Nouveau Testament de Luther (à Zurich en 1524) ; de 1522 à 1527, on ne compte pas moins de douze éditions ou impressions du Nouveau Testament en allemand (cf. J.-J. Mezger, Geschichte der deutschen Bibel-Uebersetzung in der schweizerischen-reformierten Kirche…, Bâle, 1876). Zwingli conseille de lire les livres de la Bible dans l’ordre suivant : l’évangile de saint Matthieu, les autres évangélistes, les Actes, les épîtres de saint Paul, en commençant par Gal., les épîtres de saint Pierre, après quoi l’Ancien Testament, Prophètes et autres livres, « qui doivent être bientôt imprimés en latin et en allemand » (C. R., i, 563, 1-10 ; cf. C. R., i, 133, 2 ; 285, 2).

2. Il s’agit ici de la traduction élaborée par Zwingli et ses amis, comme suite à l’explication de l’Écriture donnée par le cadre de la Prophezei. Cette institution, ainsi nommée d’après I Cor., xiv, pour rappeler le caractère libre, inspiré et non magistral des réunions, est du 19 juin 1525 (cf. C. R., iv, 361 sq. ; 542, 5). La Bible traduite en langue vulgaire parut à Zurich en 1529 ; elle comprend l’ensemble des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Si elle doit beaucoup à la traduction de Luther pour les premiers (sur le cas que Zwingli en faisait, cf. C. R., v, 268, 18 sq.), elle est, du moins pour les livres prophétiques, une œuvre originale. Notons d’ailleurs que Luther travaillait sur la Vulgate ; il a eu trop tard entre les mains Ylnstrumentum d’Érasme ; Zwingli, en revanche, se flattait de ne lire l’Écriture que dans le texte original : ainsi à Marburg, devant Luther lui-même. La connaissance de l’hébreu, qu’il se mit à étudier à la veille même de l’introduction de la Réforme à Zurich (1522), eut sur

son exégèse et le développement même de son œuvre réformatrice une influence considérable. On ne l’a peut-être pas assez relevé (cf. cependant Emil Egli, Zwingli als Hcbrâer, dans Zwingliana. i, 153 sq. ; E. Nagei, Zwinglis Stellung zur Schrift, 1896, p. 37 sq. ; R. Stæhelin, Huldrych Zwingli, ii, 1897, p. 109 ; O. Rûckert, Von Zwinglis Ideen zur Erziehunq und Bildung, 1910, p. 82). Sur l’attitude de Zwingli à l’égard du Canon et des différents livres de l’Écriture : cf. Spôrri, Zwingli’s Lehre von der Hl. Schrift, dans Zeitschrift fur wissenschaftl. Théologie. 8. Jahrg., 1865, p. 19 sq. Sur l’inerrance de l’Écriture, voir C. R., iv, 83, 30 ; cf. ibid., 84. 2.

3. Dans son exégèse, Zwingli utilise de préférence la méthode allégorique. Au lieu de superposer le sens spirituel au sens littéral ou moral, comme Luther, il tend à laisser ce dernier pour faire fond uniquement sur le sens métaphorique. Divers facteurs ont agi dans ce sens : la lecture d’Origène, certaine remarque d’Érasme sur le caractère imagé des langues orientales, l’exemple de l’antiquité (Cicéron, Quintilien et Plutarque ; cf. C. R., v, 739, 1 sq.), enfin son spiritualisme même. Mais, en ce domaine de critériologie du Révélé comme à propos des différents dogmes, la polémique avec Luther a contribué à renforcer chez Zwingli une inclination qui s’ébauchait seulement. Prenant le contre-pied de la position du Wittenbergeois, il souligne que l’Écriture abonde en tropes (densilatem troporum), le Nouveau Testament et saint Paul lui-même, et il emploie pour les expliquer toutes les ressources de la grammaire et de la rhétorique (cf. C. R., iv, 575, 6 ; v, 481, 25 ; 641, 3 ; 782. 26 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 103, c. med.) : certains (P.e. Luther) échouent dans l’interprétation de l’Écriture sola ignoratione rhetorices. Sur les différents tropes, cf. C. R., v, 685 ; 703, avec les notes ; 735, 24 ; 776, 2 ; E. Nagel, op. cit., p. 97-102 ; Spôrri, art. cit., p. 33. Si certains traits indiquent encore la fidélité à la méthode érasmienne : importance du contexte, de la situation que l’écrivain sacré a en vue (C. R., v, 638, 14 ; iv, 564, 8), il faut reconnaître que le recours de plus en plus fréquent à l’allégorie devient chez Zwingli un procédé commode pour tourner la lettre de l’Écriture et tirer argument d’un texte en faveur d’une thèse préconçue.

4. La Bible de Zurich a joué au bénéfice de la Réforme en Suisse un rôle comparable à celui de la version allemande de Luther en Allemagne. En 1524, Zwingli pouvait écrire : « Les fidèles n’interrogent plus leurs curés et les gardiens de vaches et d’oies en savent plus long que les théologiens romains ; la maison de chaque paysan est une école, où on peut lire l’Ancien et le Nouveau Testament, l’art suprême (die hôchsten kunsl) » (C. R., iii, 463, 3). Cependant, un an plus tard, il constatait avec désenchantement : « Beaucoup de ceux qui lisent l’Écriture sont simplement instruits et éloquents au lieu d’être pieux et craignant Dieu (C. R., iv, 419, 1). Entre les mains des anabaptistes, qui sont visés ici, l’Écriture devint un instrument dangereux ; Zwingli fut contraint de rétablir une sorte de magistère (cf. infra. col. 3859). Cependant il ne se départit pas du culte de la vérité biblique et évangé^ lique : aux ministres de l’Église, il demande de prêcher l’Évangile d’après les quatre évangélistes et les apôtres, t afin que le peuple en devienne plus enclin et capable de vivre une vie chrétienne paisible » (C. R., i, 563, 13 ; cf. iv, 433, 1). Cette œuvre de pédagogie populaire et de vulgarisation biblique se continua après lui (cf. J.-C. Gasser, Vierhundert Jahre Zwingli-Bibel, Denkschrift zum 400jdhrigen Bestand der Zûrcher Bibel-Uebersetzung, Zurich, 1924). Cherchons donc à préciser l’attitude de Zwingli à l’égard de l’Écriture et, d’abord, de la Révélation en général.

II. LA PAROLE EXTÉRIEURE ET LA PAROLE IN TÉ.

rievre. — 1° Zwingli rencontre ici une théorie de la Parole, défendue par Luther et plus encore par Joh. Brenz et les syngrammatistes, qui lui paraît inconciliable avec son spiritualisme. D’autant que, pour ces réformateurs, la parole est chargée de vertu physique autant que de sens mystique. Sans doute, à la parole créée correspond la Parole éternelle (verbum œternum), mais ils conçoivent la première comme un trait d’union entre Dieu et l’homme, voire comme le véhicule de la res œterna (ou objet de foi) et, dans le sacrement, du Corps glorifié du Christ (qui est intégré à la res œterna). En outre, ils distinguent entre parole extérieure ou prédication de la foi (cui credimus) et parole intérieure ou assentiment de foi (quo credimus) (cf. la critique de Zwingli, C. iî, iv, 912, 6 ; v, 520-21 1 ; 553 ; 590, 1 ; 792, 3).

Cette terminologie de résonance augustinienne est dérivée de la scolastique, et spécialement du scotisme. Zwingli ne l’accepte que pour la forme, mais il rompt les diverses corrélations établies, notamment entre parole extérieure et parole intérieure. Celle-ci, en effet, équivaut à admettre que la foi suit nécessairement la prédication — ce à quoi l’expérience donne un démenti maintes fois relevé ici — donc que la foi dépend d’un élément extérieur à elle. Or, pour Zwingli, la foi est une réalité purement intérieure : elle a quelque chose d’absolu et d’inconditionné ; elle possède même une priorité à l’égard de la doctrine ou parole entendue (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 333). La prédication, c’est-à-dire l’homme ou la lettre, n’engendre pas la foi, mais Dieu seul, l’Esprit divin, illumine l’esprit et tourne le cœur vers lui, par une action immédiate et toute gracieuse (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 702 : Sic verbum per nos prædicatum non facit credentes, sed Christus inlusdocens ; cf. C. R., 1, 411, 15 ; ii, 111, 10 ; m, 260, 1 sq. ; 263, 10 sq. ; 681, 10 ; v, 591, 3 sq. ; Sch.-Sch. , vol. iv, p. 10 ; vol. vi, t. i, p. 261).

Loin même que la foi ou parole Intérieure soit tributaire de la parole extérieure, c’est le contraire qui est vrai. Zwingli retourne la relation : la parole intérieure, sise dans l’esprit (mens) du fidèle, juge de la parole extérieure, et elle n’est elle-même jugée par personne (cf. C. R., iii, 263, 20) : Sed intérim verbum fidei, quod in mentibus fidclium sedet, a nemine iudicatur, sed ab ipso iudicatur exterius verbum. C’est là le fondement de l’individualisme zwinglien en matière de fol et le motif foncier pour lequel il rejette le magistère catholique (C. R., iv, 77, 8). Par ailleurs, non seulement il décline toute Instrumentante de la parole humaine par rapport au Verbe, mais il refuse même d’admettre qu’il y ait concomitance ou parallélisme entre l’action extérieure de la parole (ou des symboles ) sur l’esprit et l’impression immédiate de l’Esprit de Dieu dans l’âme. Il entend par là mettre en relief la souveraineté et la liberté inconditionnée de l’Esprit, qui n’est lié à aucune instrumentante ou concours créé (Sch.-Sch., vol. iv, p. 10 : Dux autem vel vehiculum Spiritui non est necessarium ; ipse enim est virtus et latio qua cuncta jeruntur, non qui ferri debeat) : — affirmer aussi l’hétérogénéité du monde spirituel, selon lequel l’Esprit de Dieu et l’esprit humain (mens) communiquent, par rapport à tout le terrestre : parole humaine, lettre même inspirée, bref tout ce que l’Apôtre appelle les éléments du monde » (C. H., iv. 012, 20 ; rf. ii, 73, 6 ; iii, 872, 31). L’Esprit les transcende et leur reste en quelque manière étranger.

Que penser alors du fldrs ex audilu ? C’est là une figure de langage : On attribue à la cause la plus proche et la plus connue de nous ce qui est le fait de l’Esprit seul (Sch.-Sch.. vol. iv, p. 125). Est-ce à dire cependant que la prédication n’ait pat sa raison

d’être ? Zwingli, pour la justifier, recourt au bon plaisir divin, selon la notion de Dieu familière au volontarisme scotiste. La prédication correspond à une ordination positive de Dieu, alors même qu’elle est dénuée de toute efficacité intrinsèque. Les textes s’échelonnent ici de 1523 (cf. Auslegung des 18. Artikels, C. R., ii, 111, 9 : Ob man gluchwol den predgenden haben muss, etc.) et 1524 (Adversus Emserum, ibid., iii, 263, 22 : Quod et ipsum deus in médium adferri ordinavit) à 1530 (De Providentia, Sch.-Sch., vol. iv, p. 125 : Necesse est, quantum scriptur «  exemplis constet, ut prædicetur verbum). Il est normal que la prédication « le l’Évangile précède la genèse de la foi, mais ce serait se faire illusion que de croire qu’il existe entre ces deux phénomènes un lien causal. Ce serait minimiser la transcendance de l’action de l’Esprit de Dieu et de la foi elle-même, réalité que Dieu plante » immédiatement dans l’âme : Quo deinde (se. verbo), qui incrementum dat deus, velut instrumenta fidem plantet, sed sua viciniore ac propria manu (ibid.) ; l’instrumentante attribuée ici à la parole n’est donc pas à prendre au sens propre, ou elle est facultative (cf. la réponse à Eck, postérieure d’un an au texte précédent [1531] : Nunc citra instrumentum trahit, nunc cum instrumenta ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 36).

2° Dans cette question, comme dans la question sacramentaire qui lui est connexe. loin d’aller à la rencontre de Luther, Zwingli s’en éloigne toujours davantage. Aussi bien, si le premier, en mettant l’accent sur la vertu charismatique de la Parole, semble suivre le courant de la Tradition ou renouer avec elle, le second marche à contre-courant ; seuls les excès des anabaptistes l’empêcheront de tomber dans l’illuminisme. Au début. Luther insistait sur la certitude de la fol causée directement par l’Esprit, supérieure à toute autorité et indépendante de toute médiation humaine (cf. Joh. Gottschick, dans Zeitschr. /ù> Kirchengesch., viii. 1886. p. 588). Il lia ensuite parole et sacrement, et le surcroît d’efficacité qui était attribué à la formule eucharistique rejaillit sur la condition de la parole évangélique elle-même. Nul doute que dans la controverse Zwingli ait été conduit à durcir ses positions. Dans le Von Klarheit und Gewissheit des Worles Gottes (1522), où il est sous l’influence du réformateur allemand, il a une section intitulée : « De la certitude et puissance (Kraft) de la Parole » : « La Parole de Dieu est si vivante, si puissante et si forte que toutes choses doivent lui obéir » (C. R., i, 356, 28 ; cf. l’interprétation tendancieuse que Peter Barth a donnée de la doctrine zwinglicnne, en se fondant sur cet opuscule : Zwinglis Beilrag zum Verstândnis der biblischen Botschaft, dans Reformierte Kirchrnzcitung, 1931, 81. Jahrg.. ]>. 220 sq., 260 sq., 298 sq.). — D’après le contexte, il s’agit plutôt de la vertu des promesses de Dieu qui leur est inhérente et appelle leur accomplissement (cf. C. U., i, 353, 8 sq.). Ailleurs Zwingli se plaît à relever l’essor pris par l’Evangile en son temps (C. R., iii, 263, 14) ; Il exalte en maints passages la vertu de la Parole qui est île nature à réformer le monde (cf. G. R.. I. 356. 28 ; n. 419, 16 ; 494, 23 ; 495, 9 ; 515, 2 ; iv, 210, 14 ; 641, 21 ; viii, 200, 10, etc.). L’optimisme de l’humaniste, pour qui la vérité a des droits imprescriptibles et doit finalement triompher, s’allie ici à la fol du réformât rur, qui voit iUM l’Evangile, avec S. Paul, la force de Dieu » (Nom., i, 19. cité C. R.. n. S7, 19). De même, Zwingli réclame des autorités civiles la libre prédication de l’Evangile (C. R., m. 73. 20 ; 493, 27 ; 494, 10, et infra, col. 3804 sq.) ; c’est donc quc rellc-cl n’est pas Indifférente. Par ailleurs, il a admis dans ses Eglises un ministerium verbl (Von drm Predigtamt. 30 juin 1523), et II renvoie

les fidèles aux docteurs pour se faire Instruire de la foi (C. R., v, 758, 13). Si une ordination divine est à l’origine de la prédication de l'Évangile, le ministère se recommande d’une institution positive du Christ (cf. infra, col. 3857).

A toutes ces instances qui semblent arguer en faveur de la Parole et de sa vertu intrinsèque — encore que dans l’esprit de Zwingli la Parole ne soit jamais seule, mais s’entende avec l’Esprit (cf. C. R., ii, 111, 11 : Der Geist und Wort Golles thund das) — on peut en opposer autant d’autres. Ainsi, dans la conception de Marie, exemple souvent cité par ses adversaires, ce n’est pas la vertu miraculeuse de la parole de l’ange qui est en cause, mais bien la ToutePuissance de Dieu (Goltes Kraft) (C. R., v, 791, 23). Dans l’Adversus Emserum, Zwingli ne reconnaît d’autre magistère que la conscience religieuse collective, qui juge de toute parole extérieure, donc de la prédication de l'Évangile (C. R., iii, 260, 263), et, dans la lettre à Ambr. Blaurer (1528), il écrit : (Ecclesia) exlerno et interno vcrbo docla censet (l’accent est mis sur le second terme) (C. R., ix, 460, 10). Les temps apostoliques eux-mêmes ne font pas exception : Non enim crevit fides apostolorum prædicatione, sed spiritus inlus trahentis et illustrantis vi (C.R., xx, 454 ; cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 96, c. fin.). Zwingli minimise la part du facteur humain et social dans la conversion et la valeur de l’apologétique. Il lui arrive, il est vrai, dans le Commentaire sur Matth., d'évoquer le merveilleux effet de l'éloquence antique : c’est l’humaniste qui parle en lui ; mais tout aussitôt il se ravise : s’agit-il de la prédication de l'Évangile, on ne saurait lui refuser pareille vertu, mais avec ce correctif toutefois : At non fit hoc loquentis virtute, sed spiritus trahentis et vivificanlis (Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 333). Finalement, dans l’Arnica Exegesis (1527), œuvre de polémique antiluthérienne, la critique se fait encore plus radicale : elle s’attaque à la parole intérieure elle-même, qui est quelque chose de créé. Il ne reste plus que l’action divine, à laquelle rien ne semble correspondre dans le sujet qu’une pure puissance d’obéissance : À trahenie ergo Pâtre est ut Christo fidamus, non a verbo etiam interno (C. R., v, 583, 16).

3° A Marburg, Zwingli est catégorique : Verba nihil aliud posse quam significare (W. Kôhler, Das Marburger Religionsgesprâch 1529. Versuch einer Rekonstruklion, dans Schriften des Vereins fur Reformationsgeschichte, n. 148, Leipzig, 1929, p. 40). Dans le colloque préliminaire avec Mélanchton, voici comment il définit la Parole (ce texte si précieux a été publié pour la première fois en 1929 par W. Kôhler) : Verbum capitur pro ipsa sententia et mente Dei, quæ mens est et voluntas Dei, amicta tamen humanis verbis, quam sententiam divinse voluntatis tune capit humanum pectus, quum trahitur a Pâtre (ibid., p. 42). La Parole prend un sens profond, métaphysique : elle se confond avec la pensée et la volonté de Dieu même ; la parole humaine n’en est que le vêtement, élément adventice. Ce n’est pas elle qui est objet de compréhension de la part du sujet, mais bien la parole de Dieu au sens premier et seul réel (toujours, sousjacente, la dialectique des apparences et de la réalité), soit donc la pensée intime ou la volonté de Dieu. Encore faut-il que Dieu daigne attirer directement le croyant. Dans cette opération essentielle, de laquelle dépend la foi, la parole extérieure, comme toute médiation humaine, ne peut jouer qu’un rôle accessoire.

Le 8e article de Marburg rend un son complètement différent : Quod Spiritus sanctus, de via ordinaria loquendo, nemini hanc fidem et donum suum largiatur, nisi præcedente concione, seu verbo vocali, seu Evangelio Christi, sed per et cum verbo vocali operatur et

efflcit fidem, ubi et in quibus ipso visum est (Sch.Sch., vol. iv, p. 181). Si Zwingli y a souscrit, ce ne put être qu’avec une réserve mentale, qu’on trouve exprimée dans ses « Annotations : Ipse fidem dat, non externum verbum (ibid., p. 183). Cette clause annule la concession précédente.

Finalement, alors que Luther charge la parole de signification et de vertu : Prolatum verbum vuli Lutherus afjerre aliquid, Zwingli retourne le rapport : parole-foi ; il se place d’emblée au centre de la conscience du croyant, il y découvre une étincelle divine : l’homme est fait pour s’entretenir avec Dieu, pour écouter et comprendre la parole que Dieu lui adresse directement — c’est le sens de l’imago dans Von Klarheit… (C. R., i, 345, 14, et infra, col. 3788) ; la foi germe quand Dieu le veut, et la parole extérieure, loin d’y conduire ou d’y ajouter, n’a de sens que par la foi : Also, ut verba prolata intelliguntur et sciantur in fXde mea. — Ego credo verba crédita (Zwingli à Marburg ; W. Kôhler, op. cit., p. 71). Ce que W. Kôhler commente ainsi : « Chez Luther, la Parole et seulement la Parole ; chez Zwingli, la force de la Parole liée à ma foi ; là, Dieu seul ; ici, Dieu et moi ; et le pont trouvé (dans le colloque) par Mélanchton, que le Je est attiré par le Père, s’avérait sans consistance, car le Je demeurait à côté de Dieu » (Das Religionsgesprâch zu Marburg 1529, Mohr, 1929, p. 34).

/II. vécritvre et L’Esprit. — L'Écriture est parole de Dieu, d’où son autorité unique. Cependant, il faut distinguer forme et contenu de l'Écriture, la lettre et l’Esprit. On retrouve ici un dualisme semblable à celui que nous venons d’analyser. La dialectique de l’extérieur et de l’intérieur se continue. Marquons les positions successives de Zwingli. Elles nous éclairent en même temps sur ses méthodes exégétiques.

1° Écrits anticatholiques (Actes des Disputes de Zurich, 1523 ; Auslegung der Schlussreden ; Apologeticus Architeles ; Réponse à Valentin Compar ; Dispute de Eaden). — 1. Contre le magistère ecclésiastique, Zwingli en appelle, nous l’avons vii, à l'Écriture : c’est elle qui doit trancher le débat (C. R., i, 484, 25 ; 487, 1 ; 488, 20 ; 558, 2 ; 559, 20 sq., etc.). Zwingli ne s’est jamais départi du principe énoncé dans Y Architeles : Scripturam sacram ducem ac magistram esse oportet (C. R., i, 262, 29 ; cf. ibid., 306, 2), quitte à l’interpréter à sa manière (cf. C. R., ii, 323, 8 ; iii, 310, 27 ; v, 773, 20). Par Écriture, il faut entendre « non pas la lettre qui tue, mais l’Esprit qui vivifie » (C. R., i, 306, 7). Il est pour Zwingli hors de conteste que l'Écriture n’est passible que d’un seul sens comme elle a l’unique Esprit pour auteur (C. R., i, 561, 18 ; ii, 477, 9-10 ; 494, 16 ; 504, 19 ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 359, c. med.). En cas d’obscurité, il n’est que de comparer entre eux les différents passages, d’apporter au passage obscur la lumière empruntée ailleurs. Point n’est besoin, pour tirer l'Écriture au clair, d’avoir recours à un maître humain. C’est la réponse qu’il fait à Jean Eck (C. R., iii, 309, 4 sq. ; 310, 1 sq. ; cf. ii, 449, 1-10).

2. Quel est le contenu de l'Écriture ? Zwingli est porté alors (sous l’influence de Luther) à le réduire à l'Évangile, et même à ce qu’il appelle l’essence de l'Évangile (das wàsenlich evangelium ; C. R., iv, 71, 4). Il définit l'Évangile : « Tout ce que Dieu révèle aux hommes et exige d’eux » (C. R., ii, 79, 12). Ailleurs il écrit : » Apprends donc à voir l'Évangile là où Dieu daigne illuminer gratuitement l’homme, l’attirer à soi, le consoler dans sa société et lui rendre la paix en l’aiîranchissant de tout péché « (C. R., i, 294, 28 ; cf. ii, 380, 23 sq.). S’il en est ainsi, ce que Dieu nous a révélé dans l'Écriture s’identifie avec ce que l’Esprit révèle immédiatement au cœur du

croyant. Il faut partir de cette notion pour comprendre la diatribe de Zwingli contre Valentin Compar et la manière dont il entend réfuter l’adage augustinien qu’on lui oppose : Evangelio non crederem, etc. : la foi conçue comme expérience religieuse se passe de magistère (cf. C. R., iv, 64, 18 sq.). Selon une analogie pleine de sens pour ses compatriotes, Zwingli compare l’attitude du croyant devant l’Écriture à celle d’un vieux paysan d’Uri devant le droit écrit de son canton. Ce droit est inscrit dans sa mémoire : mieux que les jeunes qui apportent des livres, il est capable de discerner quel est le vrai droit du pays (ibid., 71, 10). Ailleurs Zwingli explique de la même manière la formation du Canon. Aujourd’hui comme à l’origine, qu’il s’agisse de discerner les Écritures ou de les conserver dans leur intégrité, la conscience religieuse sufFit (cf. C. R., i, 293, 6 sq.).

Il est clair que la lettre de l’Écriture a ici valeur subsidiaire. Zwingli cependant y tient : dans la dispute de Zurich, il ne sépare pas l’Esprit de la lettre (C. R., i, 558, 4 : Den geisl goiles, uss der geschryfft redend ; cf. ii, 111, 11 : Der geisl und wort gottes lliund das). Apprend-il que Faber a proposé au Tagsatzung de Baden (25 juin 1526) de brûler le Nouveau Testament (dans la version nouvelle), il écrit une défense des Livres saints et insiste sur la nécessité d’avoir en mains le texte sacré (cf. Eine kurze Schrifl an die Christen, vor dem unchristlichen Vorhaben Fabers warnend [30 juin 1526] ; C. R., v, 256 sq.).

3. Durant cette période initiale, et en face de ces adversaires, Zwingli ne cherche pas à préciser davantage le lien qui unit Écriture et Esprit ; il se contente d’affirmer les deux termes. D’une part, il reproche aux catholiques de ne pas fouiller assez la lettre de l’Écriture (C. R., ii, 323, 6) ; d’ignorer les langues anciennes (cf. C. R., v, 653, 21 : ils sont tombés dans l’erreur linguarum idiomatumquc Hebraicorum ignoratione). Lui-même délaisse maintenant les commentateurs pour s’appliquer directement à la lecture du texte sacré (C. R., iv, 81, 6 sq.). D’autre part, contre la hiérarchie catholique qui revendique le privilège de l’interprétation de l’Écriture, il fait appel au Geislprinzip du Nouveau Testament (Joa., v, 3941 ; vi, 44 ; x, 16 ; xiv, 26 ; comp. Jer., xxxi, 33), et fait confiance au laïcat : la bonne compréhension de l’Écriture est le fait de tout chrétien droit et sincère qui se laisse guider par l’Esprit (C. R., i, 321, 36 ; 279, 14 sq. [n. 10 et 11] ; 561, 20).

2° Ecrits dirigés contre les anabaptistes (Taufschrift ; In calabaptislarum slrophas elenchus). — Sur tous ces points, Zwingli est contraint, par suite de l’apparition de l’hérésie anabaptiste vers 1525, de reviser ses positions. Les Tûufer, ignorants de la lettre de l’Écriture, se targuent d’avoir pour eux l’Esprit (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 359 : Quolies enim cumque manifestis Scripturæ locis hue adiguntur, ut dicendum essel : cedo, protinus Spirilum iactant et Scripturam negant. Quasi vero cœlestis Spiritus Scripturæ sensum, quæ eo solo inspirante scripla est, nesciat, nul sibi ipsi sit alicubi contrarius ; cf. C. R., iii, 871, 21). Le véritable Esprit est aussi celui qui parle dans l’Écriture, il ne se contredit pas lui-même. Voici quelques-uns des procédés tactiques employés par Zwingli pour combattre les anabaptistes sur le terrain où ils lui demandent, en vertu des principes édictés contre les catholiques, de le suivre :

1. Culte indUptiuable de In lettre.

En ce qui le concerne, Zwingli est cnrlin à faire droit au primat de l’Esprit. Mais il a affairc à des esprits inquiets et disputeurs (die zenggUchen) qui l’obligent à chercher un point d’appui solide dans l ; i lettre lue flans le texte original (uss den qrùndllirhm tpraaohm) (C. R, , i.

602, 1 ; cf. iv, 419, 3). À rencontre de ses adversaires qui ne reçoivent pas l’Ancien Testament (cf. C. R., ix, 463, 28), Zwingli argue du caractère organique de la Bible (Sch.-Sch., vol. iii, p. 422). Tant par esprit antithétique qu’à raison du caractère « prophétique » de celui-ci, Zwingli voue un culte spécial à l’Ancien Testament, quitte à méconnaître l’origij nalité du Nouveau. Son exégèse de certains passages

du Nouveau Testament, notamment en matière

i sacramentelle (baptême = circoncision ; Cène = ! Pâque juive), s’en ressent.

2. Tout en maintenant la liberté de l’inspiration j individuelle, avec certaines restrictions (d’après I , Cor., xiv), Zwingli tend à enlever le jugement sur j l’Écriture à l’individu pour le remettre à l’Église,

c.-à-d. concrètement aux communautés (cf. C. R.,

! iv, 255, 2 : Denn das urteil der gschri/Jl isl nil min, nit

j din, sondern der kilchen…, dann dero sind die schliissel).

! De même, plutôt qu’au commun des fidèles, il fait

! confiance aux maîtres compétents et qualifiés (cf.

j Von dem Predigtamt (30 juin 1425], C. R., iv, 369 sq. ;

voir infra, col. 3859 ; — cf. la finale de l’Arnica

Exegesis, C. R., v, 758, 12 : Al si quis istuc nondum

compertum habeat, doctum adeat scribam, qui evangelii

rationem exponat, etc.).

3. Zwingli — ce point est capital — resserre le rapport lettre-Esprit, c’est dire qu’au principe de la

! liberté de l’Esprit il apporte des tempéraments.

, L’Esprit, du moins dans le sujet qui le reçoit, a

besoin d’être maintenu dans de certaines limites,

cancellis quibusdam : c’est le rôle de la lettre, qui

sert de frein, de régulateur : Régula et funis est iuxla

i quam omnia dirigenda sunt (Sch.-Sch., vol. vi, t. i,

! p. 205, 679-680 ; cf. C. R., v, 734, 8 sq. ; 773, 20 sq.).

j Zwingli se sert de diverses comparaisons qui inculquent

! toutes la même vérité : entre lettre et Esprit il y a un

j lien de dépendance réciproque (cf. C. R., v, 773, 25 :

i Dann die gschri/Jl muss allein durch den glouben

! verslanden werden und der gloub allein bewært werden,

I ob er gerecht sye, mit und an der gschriffl, die durch

| den glouben rechl verstanden wird). Ces derniers

textes appartiennent à des écrits antiluthériens, mais

ils sont directement motivés par la controverse

anabaptiste (cf. C. R., v, 733, 34 : Qui spiritum

constantissime iaclent).

4. Se croyant lui-même inspiré par l’Esprit, Zwingli ne peut manquer de mettre en doute la légitimité

j de l’inspiration de ses adversaires et d’incriminer leurs intentions. Qu’est-ce qui les fait parler et trou j bler la paix, sinon l’esprit de désordre, Satan ?

I (Cf. C. R., iii, 785, 8 ; 885, 2 ; 899, 12 sq., 26.) Il ne s’agit pas là seulement d’une diatribe personnelle : l’illuminisme nouveau pose une question délicate : celle du discernement des esprits.

A quel critère reconnaître que l’Esprit-Saint parle par ma bouche et que mon interprétation de l’Écriture est la vraie ? Il ne suffît pas d’en appeler à l’Écriture elle-même (cf. C. R., v, 734, 7 : Est ergo …indubilatum, spiritus nostri Lydium esse lapidem Scripturam), car tous arguent de l’Écriture. Dans les ouvrages de cette époque (1524-1525), Zwingli énumère divers critères (cf. C. R., iii, 59, 8 sq. ; 898, 8 sq.). Il faut être attentif aux fruits, c.-à-d. aux œuvres et à la moralité du sujet, comme aussi aux effets sociaux de la doctrine. Le critère général auquel il se plaît à revenir (C. H., iii, 113, 10 ; v, 482, 4) est celui-ci : quiconque se propose de servir l’honneur de Dieu, la vérité, le talul des âmes, est inspiré par l’Esprit de Dieu. En revanche, là où l’on rencontre égoïsme. cupidité, amour des richesses et de la vaine gloire, désir de soustraire au Créateur l’honneur qui lui est du pour l’attribuer aux créatures, nu est en présenee d’un faux culte ou d’une fausse inspiration. Dans

cette condamnation, Zwingli enferme aussi bien catholiques qu’anabaptistes. Il ajoute cependant cette réserve : c’est à l’Église et non à l’individu qu’il appartient de juger (cf. C. R., iii, 898, 26 : Quamuis hac ratione, ut solus apud alios non damnes, nisi ubi damnât ecclesia. Opus est enim quod, ut damnât quisque, qui ecclesise membrum est, apud se quoque damnet, quamvis ut diximus nemo debeat pronunciare). 3° Écrits andlulhériens (cf. écrits eucharistiques, infra, col. 3825 sq.). — Luther oblige Zwingli à une nouvelle volte-face. Dans la controverse eucharistique, le Witlenbergeois se déclare « prisonnier de la Parole de Dieu » ; il s’appuie sur le « sens obvie » de l’Écriture. Les paroles de l’Institution ne peuvent avoir qu’un sens, le sens littéral (cf. C. R., v, 777, 23 ; 778, 14 ; 779, 17), qui est aussi celui que leur donne Luther. À l’inverse :

1. Zwingli recourt à son procédé constant, qui est de comparer entre eux les passages de l’Écriture. Le sens attribué par Luther aux paroles de l’Institution est manifestement démenti par d’autres textes non moins formels, tels que Joa., vi, 63 ; Marc, xvi, 19 ; Matth. ? xxvi, 29 ; I Cor.x, 14 sq., etc.(cf. C. fl., iv, 467, 37 sq. ; 559, 5 sq. ; 842, 3 sq. ; v, 735, 3 sq.), qui excluent tout réalisme eucharistique. C’est là un signe qu’il ne faut pas prendre ces paroles à la lettre, mais bien les entendre au sens tropologique (C. R., v, 739, 1 sq. ; 778, 12 sq. ; cf. iv, 575, 3) : certains, faute de voir ces tropes, inventent des mystères. L’emploi de la méthode allégorique ou tropologique permet à Zwingli d’éluder le sens des textes qui lui font difficulté ou cadrent mal avec son système. En outre, pour mieux réfuter son adversaire, il fait un tri entre les paroles de l’Écriture : toutes n’ont pas la même portée ; il s’agit de découvrir ce qui, dans l’Écriture, est proprement objet de foi (théologale) (cf. infra, col. 3801).

2. Zwingli met en valeur le rôle de la foi dans l’interprétation de l’Écriture (cf. C. R., v, 618, 10 : Si modo fidei intellectus recte capit eorum sensus ; — ibid., 663, 10 : Fide magistra, quæ proponuntur verba, intelligi ; — ibid., 16 : Fides ergo magistra et interpres est verborum ; — ibid., 733, 29 : Fide sioe unctione magistra ac præilore constat scripturam unice esse interprelandam). — Alors que Luther en reste au sens littéral (nach dem einfaltigen Gestalt), Zwingli entend se hausser jusqu’à « la suprême appréhension de la foi » (mil dem hbehsten Verstand des Glaubens ; C. R., v, 777, 21) : c’est elle qui donne la véritable intelligence des paroles révélées.

Mais, entre les deux réformateurs, il y a une opposition plus formelle encore : elle correspond à la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur déjà rappelée. Si pour Luther la foi est essentiellement foi en la parole de Dieu contenue dans l’Écriture (fidem ex verbis hauriri ; C. R., v, 663, 6. 10), pour Zwingli la foi a une origine plus directe, plus immédiate, elle se puise en Dieu, dans l’Esprit qui éclaire notre esprit et lui communique le sens des paroles de l’Écriture : loin donc que la foi soit tributaire de celles-ci, c’est elle qui leur donne leur sens. L’Écriture cesse ici d’être prise comme lettre inspirée ; elle est confondue, du moins par sa forme, avec les elementa mundi, c.-à-d. avec les données extérieures qui ne touchent pas l’essence de la religion. L’Esprit se tient proprement du côté du croyant : on peut seulement constater un accord entre ce qu’il suggère à celui-ci et la lettre de l’Écriture, accord comparable à l’harmonie qui existait entre les sentiments qui emplissaient l’âme de David et les cordes de la cithare vibrant à l’unisson (cf. C. R., iv, 912, 17 sq.). Ce texte capital montre que Zwingli n’attribue à la lettre de l’Écriture qu’un rôle subsidiaire au regard de l’Esprit ou de la foi.

A la foi ou à 1’ « esprit de foi », Zwingli demande de

concilier les passages de l’Écriture en apparence opposés — jadis il se contentait de déclarer que l’Écriture, étant l’œuvre de l’unique Esprit, n’admettait aucune contradiction interne (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. I, p. 564 : Debent ergo verba Sr.ripturæ quæ sibi repugnare videntur fide et spiritu conciliari : spiritus enim fidei sibi non dissidet). Zwingli argue aussi de Vanalogie de la foi (C. R., v, 531. 4 ; Nagel, op. cit., p. 90). Celle-ci lui dicte d’accepter un dogme tel que la naissance virginale du Sauveur et d’en rejeter d’autres : ainsi la manducation du Corps eucharistique du Christ (C. R., iv, 492-493).

Zwingli connaît aussi d’autres principes d’interprétation de l’Écriture, soit d’ordre surnaturel : la charité (C. R., iii, 870, 34 ; 871, 30 ; 872, 33 ; 885, 1 ; ix, 465, 14 : caritas ergo ipsa sciet, …non hercle compulsa ulla litera), par où sans doute il désigne l’amour ou zèle pour Dieu, auquel aucun argument tiré de la lettre servilement entendue ne saurait faire obstacle ;

— soit d’ordre plutôt rationnel. Dans la controverse avec Luther, il se plaît à faire appel, concurremment avec la fol, au sens commun (C. R., iv, 471, 36, et infra, col. 3801).

3. En Luther Zwingli atïronte à nouveau un adversaire qui se prétend lui-même inspiré (cf. C. R., viii, 98, 26). Le conflit qui les oppose n’en aura que plus d’acuité. Zwingli rappelle que c’est la vérité qui est en jeu, et non les personnes, si considérables qu’elles soient ; il revient à sa maxime de jadis, que le plus petit dans l’Église de Dieu, dès lors qu’il est favorisé d’une inspiration, a droit à la parole (cf. I Cor., xiv ; C. R., v, 772, 15 sq.) ; enfin il prend pour arbitre de la controverse l’Église universelle : Saluo semper horum certaminum spectatricis Ecclesise iudicio (C. R., v, 563, 25).

4° Écrits didactiques (De Providenlia ; confessions de foi). — Dans les écrits de cette dernière période (1528-1531), l’Écriture semble perdre de son autorité comme source unique de connaissance sur Dieu ou la partager avec des ouvrages profanes, avec ce correctif bien entendu que la vérité, où qu’elle se rencontre, provient de l’unique Esprit de Dieu. C’est parce qu’il étend aux auteurs profanes le bénéfice d’une communication de l’Esprit, du moins dans certains de leurs dires ou oracles, que Zwingli peut puiser indifféremment ici ou là (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 52 : Ex divinis aut literis aul theologis). Dans le De Providentia, il se sert plutôt d’arguments rationnels que de témoignages de l’Écriture (ibid., p. 143, c. fin.). Dans la préface de l’édition de Pindare par Céporin, il demande à l’auteur des Odes de l’aider à comprendre la poésie hébraïque (et suis vocabulis discamus veritatem aliquando nominare ; C. R., iv, 872, 28 ; cf. ibid., 873, 18 : Ut gentili poeta magistro discas veritatem… apud Hebrmos intelligere). Parallèlement, il relève la valeur de la raison, du moins dans ses affirmations universelles sur Dieu : elle n’est pas étrangère à la vraie religion (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 126 : Sed ad lucem sive scientiam offendunt. quæ in contemplatione Dei non postrema pars est ; cf. ibid., p. 61 : Quam quod divina monent miracula quodque intellectus omnis suadet ; C. R., v, 593, 9 : Quam et ratio capit et religio). Tous textes qui paraissent renverser le préjugé initial contraire (cf. C. R., ii, 82, 9 ; 84, 36 ; 98, 29 ; 648, 31 ; iv, 67, 4).

Il serait faux cependant de croire que le rationalisme soit uniquement le fait des dernières œuvres. Déjà dans Von Klarheit… des Wortes Gotles, dans le Commentaire, on en trouve des traces (cf. A. E. Burckhardt, Das Geistproblem bei H. Zw., p. 88-89), qui s’expliquent assez par la formation humaniste de Zwingli. Un moment, sous l’influence de Luther, la raison a été enveloppée dans le discrédit qui

affecte tout ce qui relève de l’homme naturel (cf. C. R., ii, 73, 5-7 ; 81, 3), et Zwingli maintient strictement la surnaturalité de la foi. Cependant, plutôt que de croire au miracle eucharistique, c.-à-d., à son jugement, à l’absurde, il préfère donner à la raison ou au sens commun, à côté de la foi, sa place, et finalement il se refuse à séparer la foi de l’ensemble de l’attitude religieuse. Il se meut dès lors dans la ligne du syncrétisme : d’où le caractère de ses derniers ouvrages. Nous ne croyons pas que l’abus que faisaient les anabaptistes de l’Écriture ait contribué à saper à ses yeux l’autorité de celle-ci (cf. W. Kôhler, C. R., ni, p. 233 ; A. E. Burckhardt, op. cit., 39 ; en sens contraire, Sigwart, op. cit., 48, et Spôrri, art. cit.). En revanche il a été conduit par les excès de l’illuminisme à atténuer certaines conséquences qu’on prétendait tirer de son spiritualisme mystique. Mais, quant au principe, celui-ci est demeuré sauf : il est allé sans cesse en s’approfondissant et en s’élargissant.

IV. CONCLUSION : LE SPIRITUALISME ZWINGLIEN. —

Il est difficile d’apprécier dans toute sa vigueur et son ampleur le spiritualisme zwinglien. A. E. Burckhardt, qui s’y est essayé (cf. Das Ceistproblem bei Huldrych Zwingli. dans Quellen und Abhandlungen zur schweizerischen Reformationsgeschichie, îx, Leipzig, 1939), procède par catégories forgées d’avance, sous lesquelles les textes de Zwingli sont invités à se ranger ; il ne parvient pas à donner une vue synthétique du sujet et à montrer le rôle qu’a joué le Geistprinzip dans la conscience et l’œuvre de Zwingli. Principe unificateur et vivant, s’il en fut, où il puise la part la plus notable de son inspiration, et non pas schème abstrait, dont il est intéressant de relever les variations. Ce principe fait échec à celui de la suffisance de l’Écriture, dont pourtant on se réclame, au sola Scriptura, du moins pris dans sa littéralité. P. Wernle tente cependant de les concilier : « Ce que Zwingli entendait exprimer, avec ces formules tranchées sur l’Écriture et l’Esprit, est au fond ceci : pour un cœur pieux, il n’y a, en définitive, point d’autre autorité que Dieu seul. Certes, pour Zwingli, Dieu nous parle à partir des paroles bibliques, mais que la parole de la Bible nous prenne au cœur et à la conscience et qu’elle nous persuade intérieurement, c’est là l’œuvre de Dieu même opérant au plus intime de nous-mêmes ; aucune science humaine n’y atteint… De la sorte, la Bible cesse d’être une autorité étrangère et hétéronome pour devenir un instrument de l’Esprit de Dieu agissant en nous en toute liberté et l’immédiateté de notre accès à Dieu est à nouveau restaurée. C’est là le point central de la pensée zwinglienne sur la Bible et sa compréhension » (Zwingli, 1919, p. 15). Nous ne croyons pas que ce jugement donne parfaitement la mesure du spiritualisme zwinglien. L’instrumentalité de l’Écriture est plus réduite que ne l’estime cet auteur ou, si l’on veut, l’indépendance de l’Esprit plus souveraine (cf. C. R., v, 734, 15 : Potior est… Spirilus).

Il est vrai que l’attitude de Zwingli est ambiguë. Tantôt il nous renvoie à l’Écriture comme à la norme objective de toute croyance (cf. C. R., Il, 504, 19 : A l’origine de bien des désaccords, il y a seulement ceci : nous ne croyons pas tous à la seule parole de Dieu, nous nous refusons à apprendre d’elle seule ce qui est mal et ce qui est bien » ) ; tantôt il affecte de considérer l’ « homme spirituel » comme Instruit directement par Dieu, hors de toute médiation créée : parole du prédicateur, lettre inspirée (cf. C. R., i, 294, 24 : linge ilcrum 6eo5(50tktov aliquem, etc. ; 279, 20). Plus qu’aucun des théologiens contemporains, il avait le culte de la lettre prise dans sa teneur originale, de Vhebraicn viritas ; cependant, il déclare que Dieu est le vrai maître des siens, sans

lequel t toutes les langues et tous les arts ne sont que pièges de malice et d’infidélité » (C. R., m, 463, 10). Mieux encore : « Celui qui est né de l’Esprit de Dieu n’a plus besoin de livre, …car la loi de Dieu est écrite dans son cœur » (C. R., iv, 601, 10). Ainsi, « tantôt l’Esprit est dans l’Écriture, elle est tout entière inspirée, divine (gottgeistlich) ; tantôt il est derrière l’Écriture, au-dessus de l’Écriture ou en dehors de l’Écriture, indépendant d’elle » (E. Nagel, op. cit., p. 56).

L’aisance avec laquelle Zwingli traite le Geistprinzip, les inflexions auxquelles il le soumet selon les nécessités de la polémique tiennent sans doute à sa conviction foncière qu’il y a, entre notre esprit éclairé par l’Esprit divin et l’Écriture, une sorte d’harmonie préétablie (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 205 : Spiritui Scriptura consonet… Sic spiritus ille noster cœlesti et divino Spiritu doctus et imbutus, Scripturæ conformis fiet). Cependant, dès l’instant qu’une interprétation s’est imposée à lui qui découle logiquement de son système (dont les principes, sans doute, estime-t-il, reposent sur l’Écriture), aucun argument tiré de la lettre inspirée ne saurait l’en écarter (cf. C. R., iv, 912, 28 : Res enitn sic constat ac firma est, ut, etsi universus orbis elementorum, hoc est, literæ, expositionem respuat, ipsa tamen immota maneat). On est fondé à conclure qu’il s’agit chez lui, non pas tant de l’autorité objective de l’Écriture comme médium de révélation divine, que d’illumination subjective qui s’appuie à la summa Scripturæ. La méthode allégorique, dans l’emploi abusif qu’il en fait, n’est-elle pas elle-même la porte ouverte au subjectivisme ? Ainsi ont pensé de nos jours certains critiques : « La méthode de Schleiermacher, qui puise la doctrine chrétienne à la source, non de la Sainte Écriture, mais de la conscience religieuse ou de l’expérience chrétienne, est la méthode de Zwingli et de Calvin, pour autant que tous deux présentent l’activité de l’Esprit-Saint comme immédiate et non liée à l’Écriture, prise dans sa teneur littérale et extérieure » (Pieper-Mùller, Christliche Dogmatik, S. -Louis, 1946, p. 76).