Dictionnaire de théologie catholique/ZOSIME (Saint)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1089-1093).

ZOSIME (Saint), pape du 18 mars 417 au 26 décembre 418. — Le pape Innocent I er était mort le 12 mars 417, Zosime lui succéda sans aucune difficulté et dut être ordonné le dimanche 18 mars. Sur ses antécédents l’on n’a aucun renseignement : le Liber pontiftcalis le dit grec de nation et, de fait, son nom est grec ; le nom de son père, Abraham, a fait penser à une origine juive, ce n’est pas impossible.

I. Les affaires gauloises.

Quoi qu’il en soit et quels que fussent les titres qu’avait Zosime pour s’asseoir sur la chaire apostolique, il est certain que le nouveau pape tomba immédiatement sous la coupe de l’évêque d’Arles, Patrocle, qui se trouvait à Rome au moment de l’élection. On a conjecturé que ce prélat, pour lors en grande faveur à la cour de Ravenne, a joué quelque rôle dans le choix du nouveau pape. Toujours est-il qu’au lendemain de sa consécration Zosime accordait à Patrocle une série de privilèges, où l’on a voulu voir les marques de la reconnaissance du nouvel élu. L’évêque d’Arles, déclarait le pape dans une décrétale adressée aux évêques des Gaules, serait au delà des monts le représentant du Siège apostolique ; lui seul aurait qualité pour accorder aux clercs, de quelque dignité qu’ils fussent, désireux de se rendre à Rome, les lettres de créance (litteræ formatée) sans lesquelles ils ne pourraient être reçus à la Curie. De plus, le titulaire d’Arles aurait juridiction métropolitaine sur les trois provinces de Viennoise et de Narbonaise première et deuxième ; à lui seul reviendrait le droit de faire, dans ce ressort, les ordinations épiscopales et le cas de deux petites localités voisines de Marseille était expressément réglé. La collation de ces droits était appuyée sur le fait que le siège d’Arles reconnaissait comme fondateur l’évêque Trophime, envoyé le premier dans les Gaules par le Saint-Siège et qui avait fait rayonner le christianisme en tout le pays, ex cujus fonte totse Gallise fidei rivulos acceperunt. La situation qui était faite à l’évêque d’Arles n’était qu’une restitution à ce siège des droits qui lui avaient jadis appartenus. Jafîé, Regesta pontificum Romanorum, n. 328.

Ce Patrocle que Zosime mettait en si haut relief était un assez singulier personnage et qui avait su heureusement profiter des crises politiques récentes. En 407, Arles était devenu la résidence de l’usurpateur Constantin qui, proclamé en Angleterre, avait réussi à se faire reconnaître en Gaule et en Espagne. Triomphe éphémère 1 En 4Il le magister militum Constance, envoyé par l’empereur Honorius, avait battu et finalement tué le « tyran ». Ceux qui, à un titre quelconque, s’étaient inféodés à celui-ci avaient été écartés de leurs emplois. Tel fut le cas de l’évêque d’Arles, Héros, qui fut évincé et remplacé par Patrocle ; tel encore celui de Lazare, évêque d’Aix. Tous deux s’étaient provisoirement réfugiés en Palestine, où ils jouèrent un certain rôle dans la controverse pélagienne. Patrocle, les événements ultérieurs vont le montrer, ne se priva pas de les noircir aux yeux de

Zosime ; en même temps, il relevait l’antiquité du siège qu’il occupait d’une manière plus ou moins légitime. Ainsi s’explique la décrétale Placuit que Zosime signait, au lendemain de sa consécration, le 22 mars 417.

Les concessions faites à Patrocle lésaient des droits acquis et qui avaient été, peu auparavant, reconnus par le concile de Turin. Voir Turin (Concile de), t. xv, col. 1927. Elles empêchaient aussi le fonctionnement de l’organisation métropolitaine, dont ce même concile avait reconnu l’intérêt. Dans la Gaule du Sud-Est un mécontentement assez vif se manifesta. Hilaire, évêque de Narbonne, protesta qu’il avait des droits métropolitains sur la Narbonaise première ; il fut rabroué d’importance, Jafîé, n. 332, du 26 septembre 417 ; le pape Boniface devait d’ailleurs, quelques années plus tard, reconnaître ses droits. Cf. Jaffé, n. 362. Quant à Proculus, évêque de Marseille, à qui le concile de Turin avait fait une situation spéciale dans la Narbonaise deuxième, il se comporta comme si aucune disposition nouvelle n’était intervenue. En dépit de la décrétale Placuit, il donna aux deux localités de Citharista et de Gargaria, dans la banlieue marseillaise, spécialement visées dans la lettre apostolique, deux évêques, Ursus et Tuentius. Renseignée par Patrocle, la Curie réagit avec violence. Jaffé, n. 331, 333, 334, des 22, 26 et 29 septembre 417. La première lettre, Cum aduersus statula, adressée simultanément aux évêques d’Afrique, des Gaules et d’Espagne, leur interdisait de reconnaître comme évêques les deux personnages consacrés par Proculus, au préjudice des droits de Patrocle, et sans qu’eussent été observées les règles les plus élémentaires. La présence à la cérémonie de Lazare d’Aix, personnage taré et que l’évêque de Marseille avait jadis condamne pour ses calomnies, était bien faite pour discréditer les élus ; l’un d’entre eux d’ailleurs, Tuentius, était suspect de mauvaises mœurs, pis encore accusé de priscillianisme. La lettre 334, Multa contra vclerem formam, adressée aux évêques de Viennoise et de Xarbonaise première, faisait en termes d’une incroyable âpreté le procès de l’évêque de Marseille. Remontant à vingt ans en arrière, le pape lui reprochait ses agissements au concile de Turin, ses collusions d’alors avec Simplice, évêque de Vienne, pour faire pièce aux droits du siège d’Arles. De tout cela, Proculus ne semble pas s’être beaucoup ému ; il fut alors sommé de venir s’expliquer devant le synode romain ; il n’y parut pas. Patrocle qui y était venu demanda alors sa déposition que le pape prononça. C’est ce dont témoignent les deux lettres Jaffé, n. 340 et 341, datées du 5 mars 418. La première renouvelait à Patrocle tous les privilèges à lui accordés ; la seconde, adressée au clergé et au peuple de Marseille, leur annonçait que Proculus n’était plus leur évêque et que l’administration religieuse de la cité avait été confiée à Patrocle, en attendant que celui-ci pût lui donner un évêque. Ce déploiement d’autorité n’empêcha pas Proculus de se considérer comme le titulaire régulier de Marseille ; il y restera longtemps encore en exercice. Somme toute l’incroyable condescendance de Zosime à l’endroit de Patrocle n’avait abouti qu’à mettre le trouble dans Il Gaule du Sud-Est.

II. La question péla’.h.nm.. — Elle allait avoir île bien plus graves conséquences dans une affaire qui touchait de près au dogme : la révision du procès de Célestius et de Pelage, ’.f. : irt. I’ûi.aoianisme, t.xii, col. 696 sq. Condamné, sur l’intcrvent ion du diacre Paulin de Milan, en un concile de Carthage de 411, Célestlus avait fait appel au pape Innocent I", puis, sans plus se préoccuper de cet appel, s’était enfui en Asie. Aant lui Pelage avait quitté l’Afrique, s’était

transporté en Palestine, où de vives discussions s’étaient élevées autour de sa doctrine. La dernière et la plus importante manifestation avait été celle du concile de Diospolis ; on se rappelle que l’action synodale avait été déclenchée par l’intervention des deux évêques Héros d’Arles et Lazare d’Aix, pour lors présents en Palestine, mais qui ne purent d’ailleurs soutenir l’accusation autant que de besoin. Si le concile de Diospolis, au point de vue doctrinal, avait réprouvé les enseignements contraires au dogme du péché originel, il avait terminé par un non-lieu la question de la culpabilité personnelle de Pelage. Prévenus par Héros et Lazare, les évêques d’Afrique avaient instantanément réagi. Les deux conciles de Carthage et de Milève avaient mis en sûreté la doctrine compromise, du moins en apparence, par les concessions de Diospolis, la pleine approbation qu’avait donnée à leurs sentences le pape Innocent semblait bien mettre le point final à la controverse ; causa flnita est, avait dit saint Augustin. Cf. art. Innocent I er, t. vii, col. 1948.

Appel à Rome de Célestius.

Il est incontestable

néanmoins qu’il restait à Rome, et dans les hautes sphères du clergé, un parti favorable sinon peut-être aux idées pélagiennes, du moins aux hommes qui avaient fait la fortune de celles-ci. La disparition du pape Innocent et son remplacement par Zosime allaient être le signal, dans la capitale, d’une vraie campagne en faveur de la révision des jugements africains ; d’autant que Célestius et Pelage par un appel en règle saisissaient le Siège apostolique. L’appel de Célestius arriva le premier ; adressé au pape Innocent, il était remis à son successeur. Il était censé reprendre purement et simplement la procédure entamée par Célestius au lendemain de sa condamnation à Carthage, encore que cinq années se fussent déjà écoulées. Célestius, d’ailleurs, ne tarda pas à se présenter en personne au pape Zosime, réclamant justice ; sans doute ne se priva-t-il pas de mettre en cause les deux évêques Héros et Lazare, qui avaient incriminé Pelage comme reprenant en sous-main les propositions de Célestius condamnées au I" concile de Carthage de 411. De tout ceci, il est aisé de trouver les traces dans la lettre Jaffé n. 329, malheureusement non datée et qui fut adressée par Zosime au primat d’Afrique Aurèle et à tous ses évêques, sans doute au début de l’été 417. Célestius, y lisait-on, s’était présenté spontanément à l’examen du pape, lequel avait étudié sa cause dans une assemblée tenue à Saint-Clément. Après lecture des actes antérieurs, Célestius avait été introduit et avait lu son acte d’appel ; l’on s’était efforcé, par de multiples interrogations, de tirer au clair sa pensée. Une chose avait surtout frappé le pape : à l’audition de Célestius i Carthage, en 411, rien n’avait été liquidé : cum in prœscnti ibi Cœlestium hubucritis, niliil liquido judtculum est. C’est plus tard seulement et sur le vu de la lettre d’Héros et de Lazare que l’Afrique avait pris position avec une hâte surprenante. Or, Célestius prétendait bien n’avoir jamais rien eu de commun avec ces deux personnages. Les conciles africains s’étaient aveuglément rangés aux griefs de ceux-ci, qui n’inspiraient aucune confiance. Et le pape de faire le procès des deux évêques en question, qu’il avait dû, en fin de compte, déposer et excommunier : sacerdotali eos loco et omni communione submovinw*. II n’y aurait point de honte, pour les Africains, à réformer leur premier jugement, émis dani de telle* conditions. En définitive, on laissait aux accusateurs de Célestius deux mois pour déposer une nouvelle plainte. Ce délai passé et si rien n’intervenait, c’est que l’Eglise d’Afrique reconnaissait que les réponses de l’accusé ne laissaient place. À aucune

ambiguïté : nihil, post hæc fam aperla et manijesta quæ protulit, dubii sanctitas vestra resedisse cognoscal. Communication des actes de l’assemblée romaine était adressée au primat d’Afrique, qui pourrait ainsi juger sur pièces.

2° Appel à Rome de Pelage ; absolution de Pelage et de Célestius. — Très peu après l’envoi de cette lettre, arrivait à Rome un autre appel formulé, celui-ci, par Pelage lui-même. Renseigné, selon toute évidence, sur la direction dans laquelle le vent soufflait à la Curie, le moine breton ne s'était pas privé de mettre en cause les deux personnages, Héros et Lazare, rendus responsables de ses mésaventures. À quoi il joignait une lettre du nouvel évêque de Jérusalem, Praïle, se portant garant de son orthodoxie. Dans une longue profession de foi, il exposait l’essentiel de sa doctrine et trouvait le moyen de la présenter sous les couleurs les plus acceptables : quid sequetur, quidve damnaret, sine aliquo fuco, ut cessarent totius interpretationis insidiæ cumulavit. Tout cela fut soumis à une nouvelle assemblée publique. Récit dans la lettre Jaffé, n. 330, adressée, comme la précédente, à Aurèle et à l'épiscopat africain, le 21 septembre 417 (La date est à remarquer ; c’est à la fin de septembre que se multiplient les lettres de la Curie, inspirées par Patrocle, cf. ci-dessus). L’assemblée, écrit sérieusement Zosime, pouvait à peine retenir ses larmes, en pensant que l’on avait pu ainsi diffamer des hommes — il s’agit de Pelage et de Célestius — d’une foi si sûre : Vix fletu quidam se et lacrymis temperabant, taies etiam absolûtes fidei infamari potuisse. Et la diffamation provenait de ce Héros, de ce Lazare, ces brouillons, ces calomniateurs, qui avaient surpris la bonne foi des Africains ! Avec une truculence indignée le pape disait leur fait à ces tristes personnages ! Où étaient-ils, eux les accusateurs, alors que Pelage et Célestius venaient humblement se soumettre au jugement du Siège apostolique ? Quand il s’agissait de courir après des évêchés, ils ne reculaient devant aucune démarche ; aucun voyage ne leur était trop pénible. Mais quand avait été en jeu la réputation d’innocents, eux accusateurs ou témoins, ils s'étaient fait porter malades, et c’est seulement par leurs lettres que ces deux pestes avaient empoisonné toute l’Afrique, pour ne pas dire toute l'Église : totam Africam universumque tranquillum catholiess serenitatis innubilant ad libidines suas duse pestes. L’assemblée romaine avait donc prononcé l’absolution de Pelage et de Célestius ; de quoi les Africains ne pouvaient que se réjouir : sit vobis gaudium eos quos falsi testes criminabantur agnoscere a nostro catholico corpore et catholica veritate nunquam fuisse divulsos. Au fait les deux personnages incriminés avaient condamné ce qui devait l'être, promis de suivre ce qu’il fallait croire. Le Siège apostolique transmettait donc aux Africains les papiers envoyés par Pelage ; la lecture de ceux-ci ne pourrait qu'édifier les évêques : la doctrine était sauve, innocents les personnages qu’on avait faussement accusés d’y avoir porté atteinte. En même temps que cette lettre le messager de Zosime emportait une citation destinée à Paulin de Milan, qui résidait toujours à Carthage : il devrait venir à Rome soutenir l’accusation jadis portée par lui contre Célestius.

Réaction de l’Afrique.

L’arrivée à Carthage de

ces diverses pièces causa dans l'épiscopat africain, très rapidement mis au courant, la plus vive effervescence. Dans une lettre à Paulin de Noie, Augustin ne cachait pas la douleur que lui causait le changement de front de Rome. Epist., clxxxvi, n. 41, P. L., t. xxxiii, col. 832. Paulin de Milan répondait de son côté par un Libellus adressé au pape Zosime, où il déclarait qu’il ne viendrait pas à Rome. A

quoi bon ? La manière dont le pape avait instruit en personne la cause de Célestius montrait bien que Zosime n’avait point sur la question doctrinale d’autres sentiments que son prédécesseur. Texte dans P. L., t. xx, col. 711-716. Mais surtout le primat Aurèle exprimait dans une lettre véhémente les sentiments qu’avait suscités en Afrique la nouvelle attitude du Saint-Siège. Lettre connue seulement par Augustin, Contra duas epistolas pelagianorum, I. II, m, 5, t. xliv, col. 574. L’adhésion, disait Aurèle, que Célestius aurait donnée au jugement d’Innocent I er ne suffisait pas pour que l’on pût l’absoudre ; il devait explicitement retirer son libellus, faute de quoi des gens peu avertis seraient tentés de croire que des doctrines hérétiques avaient été approuvées par le Siège apostolique, qui avait déclaré ce libellus catholique : multi parum intelligentes magis in libello ejus illa fidei venena a Sede aposlolica crederent approbata, propterea quod ab illa dictum erat eum libellum esse catholicum. Le clergé romain ne craignait-il donc pas d’encourir le reproche de prévarication ? Sed si, quod absit, ila tune fuisset de Cœlestio vel Pelagio in Romana Ecclesia judicatum… ex hoc potius effet prsevaricationis nota Romanis clericis inurenda.

Première réponse de Rome.

Porté à Rome,

en même temps que le libellus de Paulin par le sousdiacre Marcellin, ce document qui devait être considérable — epislolse volumen, dira de lui le pape Zosime — et qui avait été délibéré dans un concile restreint d'évêques africains, montra au pape la gravité de la situation. Une lettre apostolique partit le 21 mars à l’adresse d' Aurèle et de son concile. Jaffé, n. 342. Un long préambule — le lire dans DenzingerBannwart, n. 109 ; Cavallera, Thésaurus, n. 342 — expliquait que le Siège apostolique n’avait pas coutume de laisser discuter ses jugements. Les lois divines et humaines étaient d’accord pour mettre hors de conteste l’autorité conférée par le Christ à Pierre et qui était passée à ses successeurs ; Pierre ne saurait souffrir que la moindre atteinte vînt ébranler quelque décision que ce fût à laquelle il aurait communiqué l’inébranlable autorité de son nom. Tous ces considérants étaient pour masquer la reculade du pape : en définitive il n’avait pas voulu terminer définitivement l’affaire de Célestius ; ses décisions de l’année précédente n'étaient qu’une invitation aux Africains à se concerter avec lui. Qu’on ne s’imaginât pas à Carthage que Rome avait, sans autre forme de procès, ajouté foi aux belles promesses de Célestius. Les choses demeuraient dans le statu quo ante.

L’action des Africains.

Invitation non dissimulée aux Africains à reprendre sur nouveaux frais,

cette fois de concert avec Rome, la question pélagienne ! Mais Aurèle et ses évêques n’entendaient pas se laisser manœuvrer. La lettre de Zosime arrivait à Carthage le 29 avril. Deux jours après s’ouvrait, dans la capitale africaine, le grand concile, réunissant plus de deux cents évêques, qui allait exprimer sur la doctrine de la grâce et du péché originel le dogme catholique, en même temps qu’il mettrait des conditions à la rentrée dans l'Église de Pelage et de Célestius. Sur les décisions de ce concile voir l’art. Milève (Conciles de), t. x, col. 1752 sq., les canons conciliaires ayant été faussement attribués à la réunion de ce nom. Une lettre adressée au pape Zosime précisait la situation ecclésiastique des deux accusés : « Nous déclarons, disait-elle, que le jugement du pape Innocent porté contre Pelage et Célestius conserve toute sa force, jusqu'à ce que ceux-ci aient reconnu explicitement que la grâce de Dieu donnée par Jésus-Christ n’est pas seulement nécessaire pour connaître, mais encore pour accomplir le bien, de sorte que sans elle nous ne pouvons rien faire. » 371 ;

    1. ZOSIME##


ZOSIME. QUESTION PÉLAGIENNE

371

Cité par Prosper, Cont. Collai., v, 3, P. L., t. li, col. 227.

Antérieurement, d’ailleurs, l’Afrique avait cherché un appui à la cour impériale de Ravenne. Le 30 avril paraissait un rescrit d’Honorius condamnant, du point de vue de la loi civile, les erreurs de Pelage et de Célestius et faisant un devoir de dénoncer les hérétiques et leurs adhérents.

La Tractoria de Zosime.

Toutes ces nouvelles,

portées à Rome, amenèrent un revirement de Zosime. Célestius fut sommé de comparaître devant un nouveau synode ; il n’en attendit pas les décisions et, menacé par la loi civile, prit la fuite. Cf. Marius Mercator, Commonilorium super nomine Cœlestii, édit. Schwartz dans A. C. O., t. i, vol. 5, p. 66 ; Prosper, loc. cit. Une volumineuse encyclique fut adressée par Zosime aux évêques tant de l’Occident que de l’Orient. Cette lettre que Mercator, op. cit., p. 68, appelle Tractoria (réquisition, sommation), ne s’est malheureusement pas conservée ; les quelques renseignements fournis par Mercator, Augustin, Prosper, les quelques maigres citations données par les mêmes auteurs ne suffisent pas à juger de l’économie générale d’un document qui serait de nature à éclairer sur l’attitude du Saint-Siège dans la question pélagienne.

La Tractoria, au dire de Mercator, contenait certainement un exposé de l’ensemble des faits qui s’étaient déroulés depuis le début de la controverse, au concile de Carthage de 411, c’est-à-dire depuis l’accusation portée contre Célestius par Paulin de Milan : in quibus (scriptis) et ipsa capitula de quibus accusalus fuerat (Cselestius) et omnis causa tam de Cmlestio suprascripto quam de Pelagio magislro videtur esse narrata. Outre ces capitula rapportés à Célestius, figuraient aussi des propositions de Pelage empruntées au commentaire sur saint Paul et à un discours assez sommairement rapporté. Saint Augustin signale, parmi ces thèses damnables de Pelage, une argumentation de celui-ci tendant à lier la doctrine du péché originel avec le traducianisme ou le génératianisme et montrant l’incompatibilité de la thèse catholique avec le créatianisme : Si anima ex traduce non est, sed sola caro tantum habet traducem peccati, sola ergo (caro se.) pœnam meretur. Injustum est enim ut hodie nata anima non ex massa Adm tam antiquum peccatum portet alienum ; quia nulla ratione conceditur ut Deus qui propria peccala dimitlit imputet alienum. Epist., exc, ad Optatum, n. 22, P. L., t. xxxiii, col. 865 ; cf. De baptismo parvulorum, t. III, iii, 5, 6, t. xliv, col. 188.

A la doctrine hérétique représentée par ces diverses propositions, le pape devait opposer l’enseignement catholique. Certainement, d’abord, celui qui, partant de la pratique du baptême des petits enfants, concluait à l’existence chez tous les nommes d’une faute à remettre. Voici en quels termes il le faisait :

Fidelis Domlnus in verbts suis ejusque baptismus se ac verbis, id est opère, confessione et remlsslone vera peccatorum in omni sexii, aetatc, conditione generls humani eandem plenltudincm tenct. Nullus enim nisl qui peccati servus est liber efllcitur, nec redemptus dlci potest, nisi qui vere per peccatum fuerit ante captivus, slcut scriptum est : SI vos Filins liberaverit vere llberi cstls. » Per Ipsum enim rennscimur spiritualiter, per Ipsum crucifigimur mundo. Ipslus morte, mortLs ab Adam omnibus nobis introflii <.-i : i-ntquc transmisse universæ anima-illud propagine contractmn chirographum rumpitur. In quo nullus omnino n.itoniiii antequam per baptismum llbcretur non tenetur obnoxlus. Cité p : ir Augustin, Epist., c.xc, n. 23, t. xxxiii, col. 86."..

Le pélaglanisme ne niait pas seulement le péché originel ; il ne reconnaissait pas l’absolue nécessité d’un secours intérieur divin pour rendre possible l’accomplissement d’actions bonnes et méritoires. A

! cette hésitation, la Tractoria opposait un enseigne ! ment très ferme sur la nécessité de la grâce :

Quod ergo tempus intervenit quo ejus non egeamus , auxilio ? In omnibus igitur actibus, causis, cogitationibus, motibus, adjutor et protector orandus est. Superbum est

enim ut quidquara sibi humana natura præsumat, clamante

Apostolo : Non est nobis colluctatio adversus carnem et , sanguinem, sed contra principes et potestates aeris hujus,

contra spiritualia nequitiæ in cœlestibus. Et sicut ipse

iterum dicit : « Infelix ego homo, quis me liberabit de | corpore mortis hujus ? Gratia Dei per.Tesum Christum Dominum nostrum. » Et iterum : « Gratia Dei sum id quod

sum et gratia ejus in me vacua non fuit sed plus illis omnibus

laboravi, non ego autem, sed gratia Dei mecum. Cité par Prosper, dans le document Preelerilorum Sedis aposlolïcæ auctoritates, ix, 10. P. L., t. l, col. 533. Sur cette pièce et son attribution à Prosper, voir art. Semi-Pélagiens, t. xiv, col. 1818.

Le même Prosper nous transmet un autre fragment, où Zosime faisait une application particulière de cette nécessité générale du secours divin : sa démarche auprès des évêques d’Afrique résultait elle-même d’une inspiration d’en haut :

Nos tamen instinctu Dei — omnia enim bona ad auctorem suum referenda sunt unde nascuntur — ad fratrum et coepiscoporum nostrorum conscientiam universa retulimus. Ibid., viii, 9, col. 533 ; cf. Lib. cont. Collai., v, 3 ; t. iii, col. 228.

Dans la série des canons du grand concile de Carthage de 418, s’intercale une condamnation de ceux qui promettent aux enfants morts sans baptême un séjour intermédiaire entre ciel et enfer. Cf. art. Milève (Conciles de). Il est vraisemblable que, s’inspirant de ce 3° canon, la Tractoria de Zosime faisait allusion, pour la réprouver, à cette doctrine pélagienne. En tout cas Augustin écrit : Les modernes hérétiques pélagiens ont été très justement condamnés par l’autorité des conciles catholiques et celle du Siège apostolique, parce qu’ils ont osé attribuer aux enfants morts sans baptême un lieu de repos et de salut en dehors du royaume des cieux. Ce qu’ils n’auraient point osé, s’ils n’avaient nié l’existence chez ces enfants d’un péché d’origine qui devait absolument être remis par le sacrement de baptême. » De anima et ejus origine, t. II, xii, 17, t. xliv, col. 505. On ne voit pas, antérieurement à l’ouvrage d’Augustin, en dehors de la Tractoria de Zosime, de document pontifical ayant touché à la question du sort des enfants morts sans baptême.

D’après ces trop rares indications et ces trop rares fragments, on voit que la Tractoria de Zosime s’inspirait, au point de vue doctrinal, des décisions exprimées par le grand concile de Carthage. Les questions de personnes étaient également résolues dans le même sens, puisque Célestius et Pelage étaient condamnés tant qu’ils ne reviendraient pas à résipis cence.

C’était un beau succès pour l’Église d’Afrique. Dès réception de la Tractoria, elle s’empressa de répondre à Zosime ; faisant état du passage cité plus haut : Nos tamen instinctu Dei, elle lui donnait un sens des plus précis, qui n’était peut-être p ; is tout a fait dans la pensée du pape : Ces paroles nous les entendons de l’exécution que vous faites de tous ceux qui exaltent le libre arbitre humain à rencontre du secours divin : ut illos qui contra Dei adjutoriuni extollunt humani arbilrii liberlatem, dislriclo gladio veritatis, velut cursim trantteru amputares. Cité par Prosper, Cont. Collai., v, 3, col. 228. Kl le se réjoui-. sait également d’apprendre que la lettre pontificale avait été envoyée à toutes les provinces. Dirait le pape demandait à tous les évêques. Ml moins à ceux de son ressort métropolitain d’Italie, d’adhéiii aux condamnations prononcées par la Traclorin < i aux doctrines positives qu’elle exprimait. Cette injonction est au point de départ de la révolte de Julien d’Éclane et de ses amis. Mais il est difficile de dire si le refus de Julien fut adressé à Zosime ou à son successeur. Du moins expédia-t-il à Rome une protestation que le pape put encore lire ; cf. Augustin, Opus imper j. cont. Julianum, t. I, xviii, P. L., t. xlv, col. 1057.

III. Les affaires africaines.

Le succès remporté par l’Église d’Afrique dans l’affaire pélagienne, la manière surtout dont elle était arrivée à la victoire en s’adressant, par-dessus la tête du pape, à l’autorité civile ne laissèrent pas de paraître amers au pape Zosime. Nous avons vu la tendance de ses bureaux à s’immiscer, à temps et à contre-temps, dans les affaires particulières des Églises. Ce que l’on avait tenté dans le Sud-Est de la Gaule, on le recommença en Afrique, où les résultats furent d’ailleurs aussi mortifiants pour le Siège apostolique. Le premier indice d’une action de ce genre est une lettre qui malheureusement ne s’est pas conservée et qui, arrivée à Carthage, en même temps que la Tractoria, prescrivait à Augustin de se transporter avec plusieurs de ses collègues à Césarée de Maurétanie, pour y régler, au nom du Saint-Siège, diverses affaires ecclésiastiques. Jaffé, n. 344 ; allusions à cette mission dans Augustin, Epist., cxc, n. 1 ; cxciii, n. 1 et 2, t. xxxiii, col. 857 et 869 ; et dans Possidius, Vita Augustini, P. L., t. xxxii, col. 45. Un peu plus tard, au mois de novembre de la même année 418, le pape Zosime intervenait d’une façon plus altière dans les affaires de l’Église d’Afrique. Jaffé, n. 347. Cf. l’art. Urbain de Sicca, où l’on a exposé le démêlé avec le Saint-Siège dont la mission de l’évêque Faustin fut le point de départ. Au même ordre d’idées se rattache une lettre expédiée le 16 novembre à des évêques de Byzacène, en Afrique, et leur reprochant sur un ton amer le peu de respect dont ils ont fait preuve pour les canons de l’Église, en laissant des laïques siéger en un procès où étaient impliqués de leurs collègues. Jaffé, n. 346.

A Rome même une opposition sourde se manifestait contre l’administration quelque peu brouillonne du pape. Renouvelant le geste des Africains, certains clercs romains s’en furent à Ravenne, exposer leurs doléances à l’empereur. Dans une lettre du 3 octobre 418 adressée à ses représentants officiels à Ravenne, le pape s’épanche en propos amers contre ces voyages à la cour. Un premier groupe de plaignants qui avaient eu le front de lui adresser à lui-même un écrit offensant a déjà été excommunié par lui. Quant aux autres, qui faisaient mine d’avoir gain de cause, ils devaient être sommés d’abandonner leur attitude rebelle, sans quoi des mesures graves seraient prises contre eux. Jaffé, n. 345. Sur quoi portait cette opposition, on l’ignore absolument. Mais les troubles qui éclatèrent dans l’Église romaine au lendemain de la mort de Zosime et amenèrent la double élection de Boniface et d’Eulalius furent sans doute en rapport avec cette agitation. Le pape Zosime mourut peu après, le 26 décembre 418 ; il fut enterré sur la voie Tiburtine auprès du corps de saint Laurent.

Très pénétré des droits du Siège apostolique, qu’il ne cessa d’affirmer avec force, il n’eut pas le tact et la douceur qui avaient permis à son grand prédécesseur, saint Innocent I er, de consolider le prestige de son Église. Pour reprendre l’expression du dernier de ses historiens, E. Caspar, son pontificat fut un règne manqué ; il a permis l’intrusion de l’État dans les affaires intérieures de l’Église romaine et anéanti, pour un temps, tout ce que le travail silencieux et prudent des papes ses prédécesseurs avait fait pour l’indépendance de l’Église.

Une décrétale de Zosime est passée dans les anciennes collections canoniques, c’est la lettre Exigit adressée à Hésychius de Salone, Jaffé, n. 389 : elle interdit de promouvoir directement à l’épiscopat des moines ou des laïques ; ceux-ci devront passer par les ordres inférieurs, faute de quoi ils encourraient la déposition ; le temps à passer dans les degrés inférieurs était également déterminé. Le Liber pontificalis attribue aussi à Zosime un décret d’ordre liturgique concédant aux diacres des églises suburbicaires l’usage d’un ornement, analogue sans doute à notre manipule, réservé jusque-là aux diacres de la Ville : ut lœva tecla haberent de palleis linostimis ; il permit également de bénir dans ces églises soit la cire destinée aux Agmis Dei, soit le cierge pascal.

!.. Duchesne, Le Liber pontificalis, t. i, p. ccu (chronologie), 86-87 (1° éd.), 225-226 (2 « éd.) ; Jaffé, Regesta pontificum Romanorum, t. î, p. 49-51 ; la plupart des lettres ont été éditées par Coustant, Epistolse Romanorum pontificum, t. i, reproduit dans P. L., t. xx, col. 639-702 ; L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, t. in ; P. Batiffol, Le Siège apostolique, Paris, 1922 ; E. Caspar, Geschichte des Papsttums, 1. 1, p. 344-360 ; G. Bardy, dans Fliche-Martin, Histoire de l’Église, t. iv, p. 248-251 (cf. p. 106-110).

É. Amann.