Dictionnaire de théologie catholique/WYCLIF, II. Doctrine

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1030-1038).

II. Doctrine. —

La doctrine de Wyclif est difficile à exposer d’une manière systématique. Elle ne forme pas, en effet, un système organisé et suivi. Ce qu’il appelait sa Somme n’a rien de commun avec la Somme théotoç/ique d’un saint Thomas d’Aquin. Elle n’est constituée, on l’a vii, que par des traités distincts et successifs, dont le lien n’est pas aisé à établir. D’autre part, Wyclif a beaucoup évolué sur certains points. Sa pensée au sujet de la papauté, au sujet des ordres religieux, notamment, a changé de manière substantielle. Le mieux sera donc, pour faire ressortir cette évolution d’une pensée en ébullition constante, de donner l’analyse de ses principaux ouvrages, dans leur ordre chronologique. Nous ferons suivre chaque analyse du rappel des propositions condamnées au concile de Constance qui ont pu être extraites de l’ouvrage analysé. Ces propositions furent au nombre de 45. Elles furent censurées dans la viir session générale, le 4 mai 1115, puis dans les deux bulles du pape Martin V Inter cunctas et In eminentia du 22 février 1418. Elles correspondent aux 24 propositions condamnées au premier concile des Blackfria’rs, surnommé " le concile du tremblement de terre », parce qu’il faillit être interrompu par un terrible tremblement de terre que, par bonheur, son président, Guillaume de Courtenay, eut l’inspiration d’Interpréter comme un signe que la terre vomissait l’hérésie de Wyclif (17-21 mai 1382).

1° Théorie de In suzeraineté (Urine et civile. (est

par l’examen d’une question brûlante et qui s’était

plus d’une fois posée à l’esprit des scolasl IqueS que

Wyclif commença la publication de sa s<>mmc. tout

le système féodal était fondé sur l’idée de su/eraineté.

Mais, pour les théologiens, la théorie de la suzeraineté

Impliquait aussi celle du domaine éminent de la

papauté sur tous les biens de la chrétienté, ou tout au moins sur tous les biens ecclésiastiques. On a vu que Wyclif avait été envoyé à Bruges pour discuter avec les représentants du pape au sujet des redevances féodales ou ecclésiastiques de l’Angleterre à l’égard du Saint-Siège. On a dit aussi que le roi s’était arrangé directement avec le pape, à l’insu de ses propres négociateurs de Bruges. Le parlement de 1376, qui a reçu en histoire le surnom de « Bon parlement », avait protesté contre ce qu’il considérait comme une trahison du roi envers les droits de la nation. Dès octobre 1374, c’est-à-dire à son retour de Bruges, Wyclif avait composé une delerminatio sur ce sujet. On a pu dire que le <> Bon parlement » avait été dominé par les idées qui sont exposées dans cette ébauche et que l’on devait discuter passionnément dans les universités anglaises. Des discussions de ce genre avaient déjà rempli les écrits d’un Pierre Dubois, en France, d’un Marsile de Padoue, d’un Occam et, en Angleterre, à une date plus récente, d’un Fitzralph, archevêque d’Armagh. Ce fut au cours des années 1375 et 1376 que Wyclif reprit la question déjà esquissée dans sa Determinatio et publia successivement de De dominio divino et le De civili dominio.

Dans ces ouvrages, Wyclif distingue la suzeraineté ou dominium à la fois du droit ou jus, du pouvoir ou potestas, possessio, et de l’usage, usus. Au sens rigoureux du terme, le dominium, selon Wyclif, n’appartient qu’à Dieu. Cependant, on l’attribue aussi aux rois. Le domaine de Dieu diffère de celui des rois en ce qu’il n’est jamais exercé « médiatement par le moyen de sujets vassaux, puisque c’est immédiatement et par lui-même que Dieu fait, maintient et gouverne tout ce qu’il possède et l’aide à accomplir ses œuvres selon les utilisations qu’il ordonne ». Ce passage était d’une importance capitale, car il écartait la médiation du clergé et de la papauté dans l’octroi de la suzeraineté par Dieu aux souverains de la terre. Partant du même principe qu’un Augustin Trionfo (1243-1328), il aboutissait donc à une conclusion diamétralement différente. Non seulement il rejetait la potestas direeta du souverain pontife sur les autorités civiles, mais il n’admettait même pas la potestas indirecta dans le domaine civil. Selon Wyclif, le dominium divin est inséparable de la propriété et de la possession, tandis que l’être créé peut avoir la possession sans avoir la propriété ou le dominium civil. Le véritable dominium civil ou propriété exige en effet, de la part de l’être créé, la fidélité au suzerain suprême, c’est-à-dire l’état de grâce. L’être créé ne peut être que le tenancier, le gérant, le bailli, le vassal de Dieu. « Les hommes, déclare Wyclif, devraient se rappeler que tous les biens qu’ils possèdent sont des biens de leur Dieu et qu’ils ne sont que les simples serviteurs de Dieu. » De dominio divino, éd. Poole, 1890, p. 33, 250, 255 ; cf. aussi De civili dominio, éd. Poole et Loserth, t. ii, p. 105.

L’idée que l’état de grâce est nécessaire à la propriété n’est touchée qu’en passant dans le De dominio divino. Ibid., p. 213 sq. Mais elle est développée dans le De civili dominio, qui nous est parvenu dans son état intégral et qui est un ouvrage énorme, dont Jean Hus devait faire le plus grand usage. Le traité s’ouvre par deux affirmations, la première que nul homme en état de péché mortel ne peut avoir de suzeraineté ou propriété. C’est la proposition 15 condamnée à Constance : Nullus est dominus civilis, nullus est prielatus, nullus est episcopus dum est in peccalo morlali. Denz.-Bannw., ii. 595. La seconde affirmation de Wyclif est que « tout homme en état de grâce a une suzeraineté réelle sur tout l’univers ». Poussée à fond cette seconde proposition ne serait pas moins destructive de la propriété que la pre mière, car elle implique le « communisme des prédestinés ». Nous employons ce dernier terme, parce que, dans un autre ouvrage, Wyclif devait préciser que le « pécheur actuel » garde son droit de propriété ou son dominium, s’il est prédestiné. Il n’y aurait donc que « l’impénitence finale » qui ferait perdre vraiment le dominium. Ainsi que l’observe Workman, cela « enlève toute valeur pratique à la théorie » de Wyclif. Il n’en soutient pas moins que la suzeraineté civile ne peut être attribuée à un méchant que par abus de langage. Le pécheur est un conspirateur contre Dieu, qui tue le vassal de Dieu v c’est-à-dire lui-même, par son péché, et par suite encourt la « forfaiture de son fief », c’est-à-dire la perte de sa suzeraineté civile. Le principe émis par Wyclif que tout homme en état de grâce a une suzeraineté réelle sur tout l’univers lui sert à inculquer cette conclusion que le seigneur civil doit se faire le serviteur de ses vassaux et même des serfs de ses domaines. De ce communisme implicite, Wyclif a soin toutefois d’exclure la communauté des femmes. Il explique d’autre part que sa théorie n’exprime qu’un idéal. Comme le dit fort bien M. Workman, il ne faut jamais oublier que les programmes réformistes de Wyclif doivent être lus dans le même esprit que la République de Platon ou YUlopia de Thomas More. Il n’y en avait pas moins un grand danger à lancer dans le public des idées comme celles-là, car il ne pouvait manquer de se rencontrer des esprits égarés pour dire : si le péché mortel fait perdre la propriété et la suzeraineté, nous ne devons pas supporter tel ou tel supérieur civil ou ecclésiastique, qui, à nos yeux, est un pécheur avéré 1 On comprend fort bien l’exclamation de l’empereur Sigismond, à Constance, quand on lui expliqua la doctrine de Jean Hus, copiée sur celle de Wyclif : « Jean Hus, personne ne vit sans péché 1° De même, la révolte paysanne de 1381 put être attribuée à un raisonnement extrait des œuvres de Wyclif. Et pourtant, l’auteur avait eu soin de préciser que l’obéissance est due même aux tyrans, à l’exception du cas où la révolte peut amener la destruction de la tyrannie. Mais qui serait juge de cette dernière possibilité ? Il serait toujours possible à un entraîneur d’hommes de faire croire au triomphe de sa cause, dans une rébellion. « Le lecteur le plus accidentel, conclut M. Workman, reconnaîtra que ce livre (De civili dominio) était plein de dynamite, en dépit des soins de Wyclif pour affirmer son caractère tout spéculatif. »

Il faut cependant faire observer ici que l’une des propositions les plus étranges parmi celles qui furent condamnées à Constance (prop. 6) ne se peut comprendre que comme un correctif à la théorie du dominium subordonné à l’état de grâce. Cette proposition est la suivante : Deus obedire débet diabolo. Denz-Bannw., n. 586. Elle signifie que, si l’homme perd son droit de propriété par le péché mortel, il n’en perd cependant pas l’usage. Il ne perd sa propriété qu’aux yeux de sa conscience et de Dieu, mais pas aux yeux des hommes, d’autant plus que ceux-ci ignorent si le pécheur n’est pas un prédestiné ! Wyclif expliquait que le mérite de l’obéissance n’est pas dans la qualité du supérieur, mais dans la charité de celui qui obéit. Il rappelait, dans un de ses sermons, que Jésus avait obéi à Judas et même au démon, quand il le tentait au désert. Dieu avait donc obéi au diable 1 De même, par la permission de Dieu, les méchants peuvent conserver non la « propriété », mais le « pouvoir » ou « l’usage », et par suite l’obéissance leur est due. Ajoutons que cette proposition bizarre disparut peu à peu de la doctrine des lollards, après la mort de Wyclif.

Cependant, si Wyclif concédait la permanence de

la « possession de fait », chez les seigneurs civils, même en cas de péché mortel, il se montrait beaucoup plus sévère pour les seigneurs ecclésiastiques. II déclarait en effet, à plusieurs reprises, dans le De civili dominio I. I, c. xxxvii ; t. II, c. xii, etc.), que le pouvoir séculier doit prendre des mesures pour déposséder de son bénéfice tout ecclésiastique qui abuserait habituellement de sa situation en manquant à ses devoirs. Et comme cela conduirait à une excommunication, Wyclif déclarait froidement que toute excommunication fulminée pour une autre raison qu’une cause spirituelle est nulle de plein droit. Il affirmait donc l’illégalité de tant d’excommunications portées alors pour la défense d’intérêts temporels du clergé, tel le paiement des dîmes. Comme d’autre part Wyclif n’admettait pas que le bénéfice tombé en forfaiture, par l’inconduite du titulaire, dût être restitué par son retour à l’état de grâce, la dépossession totale de l’Église devait être envisagée pour un avenir plus ou moins lointain. Mais l’auteur devait revenir sur tout cela dans un ouvrage ultérieur, le De Ecclesia. Il consacrait toutefois une partie importante de son traité De civili dominio à examiner si le Christ a voulu posséder et exercer un pouvoir civil quelconque. On sait que le problème de la pauvreté du Christ et des apôtres avait été passionnément discuté par les « spirituels » ou « fraticelles », et que le pape Jean XXII, sans vouloir contredire la constitution Exiit qui seminat de son prédécesseur Nicolas III, avait cependant condamné toute proposition tendant à refuser le droit de posséder et l’usage de la propriété en Jésus et en ses apôtres. Mais Wyclif soutient longuement que Jésus et les apôtres ont pratiqué la pauvreté intégrale et il en conclut que le clergé ne peut ni exercer un pouvoir civil ni posséder une propriété que dans la mesure où il la possède pour les pauvres.

Autorité exclusive de la Bible.

Déjà dans ses

deux premiers ouvrages, Wyclif laissait entendre que, pour lui, il n’existait qu’une seule autorité décisive, celle de la Bible. De civili dominio, t. i, p. 399, 402, 437 ; t. il, p. 153. Mais il publia, le 24 mars 1378, un traité spécial intitulé De veritaie Scripturæ. Les affirmations que l’on y trouve ont dominé le reste de ses écrits et il serait aisé de donner de nombreuses références sur son biblicisme intégral. Il n’était pas le premier à marcher dans cette voie et il pouvait invoquer plus d’un passage des ouvrages de Robert Grosseteste, de Guillaume Occam et de Richard Fitzralph. Mais il y avait entre lui et ses prédécesseurs une différence capitale, c’est que Grosseteste, Occam et Fitzralph n’avaient jamais mis en doute l’accord parfait entre les Écritures et les définitions dogmatiques de l’Église, tandis que Wyclif, préludant en cela nettement à la position adoptée plus tard par Luther et les autres novateurs du xvie siècle, ne craignait pas de distinguer entre la Bible et l’enseignement de l’Église et de ses docteurs, tout comme si Jésus-Christ n’avait donné à son Église aucune promesse d’infaillibilité I Wyclif voulait pour ses adhérents, comme Luther ou Calvin plus tard, le titre de viri evangelici — hommes de l’Évangile — et ses partisans lui donnèrent le titre magnifique de Doclor evangelicus. Il ridiculisait par contre les docteurs qui ajoutaient aux Écritures l’autorité de la tradition ecclésiastique par le nom de mixli th’ologi, ou théologiens mélangés.

Selon Wyclif, deux choses sont à retenir : 1. la l’.ible suffit » ; — 2. la Bible < se suffit ». La Bible suffit, car la t Parole de Dieu pure et simple » détermine à elle seule tous les articles de foi. Et la Bible se suffit parce que seuls « les clercs de l’Antéchrist » oseront poser la question : t Comment sais-tu que

DICT. DF. THÉOL. CATHOL.

tel livre est de l’Écriture sainte au lieu d’être un livre quelconque ? » Wyclif ne se pose pas cette question. Il semble qu’il ait sous-entendu ce que Calvin devait énoncer expressément, à savoir que les textes sacrés portent en eux-mêmes une preuve de leur caractère sacré qui ne permet pas au sens commun du fidèle de les confondre avec les textes profanes. Les docteurs n’ont rien pu ajouter à la Bible. Wyclif ne veut rien savoir et ne soupçonne rien d’un développement du dogme ni d’une autorité d’interprétation infaillible de la sainte Écriture. « Ni le témoignage d’Augustin ou de Jérôme, ni celui d’aucun autre saint, dit-il, ne devrait être accepté que dans la mesure où il est basé sur la sainte Écriture. » — « La loi du Christ est la meilleure et elle est suffisante et toutes les autres lois ne devraient être considérées par les hommes que comme des rameaux de la Loi de Dieu. » La Bible est donc la Loi de Dieu. La Bible est le code unique et complet de la vie humaine, sous tous ses aspects. Tous les maux de l’Église viennent de l’ignorance croissante de cette Loi. Wyclif date le début de ces maux de l’introduction des Décrétales. L’étude de la Bible devrait être l’occupation principale du prêtre, du religieux, du chevalier, de l’homme du commun. La Bible est « la Charte écrite par Dieu ». Elle est la « moelle de toutes les lois ». Elle contient toute vérité. Toutes les sciences ne nourrissent l’homme que pour cette vie, la science de la Bible seule conduit au salut. Les conclusions des philosophes ne valent que dans la mesure où elles sont conformes à la science de Dieu, c’est-à-dire à la Bible.

Wyclif insiste sur le fait que la Bible, au moins dans le Nouveau Testament, « est ouverte à l’intelligence des hommes les plus simples, en ce qui concerne les points nécessaires au salut ». — « Celui qui garde la douceur et la charité, dit-il, a le véritable entendement et la perfection de toute la sainte Écriture. » — « Le Christ en effet n’a pas écrit sa loi sur des tables de pierre ou sur des peaux d’animaux, mais dans le cœur des hommes… Le Saint-Esprit nous enseigne le sens de l’Écriture comme le Christ a ouvert ce sens à ses apôtres. » « Dieu, dit encore Wyclif, a ordonné (organisé) l’état des prêtres, l’état des chevaliers et l’état du commun », mais dans chacun de ces états, « il est utile pour les chrétiens d’étudier l’Évangile dans la langue où la pensée du Christ sera le mieux comprise ». Et il insistait sur le fait que « nul homme n’est un élève si rebelle qu’il ne puisse apprendre les paroles de l’Évangile selon sa simplicité ». On n’est pas surpris qu’avec cette doctrine Wyclif ait poussé ses disciples Hereford et Purvey — le second surtout — à faire et à répandre dans le peuple une traduction en anglais de la Bible entière, alors qu’il n’existait plus en Angleterre que d’anciennes traductions anglo-saxonnes devenues inintelligibles et des traductions françaises que la masse du peuple anglais, en un temps où le français disparaissait rapidement de l’usage commun des hautes classes en Angleterre, ne pouvait plus comprendre.

Ce biblicisme de Wyclif va nous servir à comprendre sa doctrine de l’F.glise. Parmi les propositions condamnées à Constance, on ne trouve que la suivante (prop. 38) qui ait rapport à ce qu’on vient de dire : Décrétâtes epistolæ sunt apocrtiph/r (chez Wyclif, ce mot veut dire non inspira) ri srducunt a Lege Christl, et cterici sunt slulli, qui sludent eis. Penz.-Bannw. . ii. 618.

Eccttsiologie.

C’est surtout dans le domaine de

l’ecclésiologie que Wyclif heurta de front l’enseignement traditionnel de l’Église. Il suffit, pour se rendre compta de la gravité de ses erreurs en refte matière, de se rappeler que c’est à propos de son Dt Btctaêta,

I. 113.

qui n'était qu’un abrégé parfois copié mot à mot de celui de Wyclif, que Jean Hus fut condamné, à Constance, à la peine du feu. Aussi est-ce au domaine de l’ecclésiologie qu’appartiennent le plus grand nombre des 45 propositions de Wyclif censurées au même concile.

Wyclif avait eu déjà à maintes reprises à exprimer en passant ses opinions sur l'Église, sa nature, sa composition et sa constitution, dans les années qui précédèrent sa citation à Lambeth, en mars 1378, et la publication des bulles de Grégoire XI contre ses doctrines. Mais ce fut surtout après la publication de ces bulles et après sa comparution à Lambeth qu’il réunit ses notes à ce sujet et publia son De Ecclesia, probablement à l’automne de 1378. Il n'était pas encore parvenu au degré d’exaspération contre la papauté et contre le haut clergé qu’il devait ressentir plus tard. Cependant, la colère grondait déjà puissamment dans son cœur et il avait commencé à envoyer en mission, sans autorisation épiscopale, ses « pauvres pécheurs » ou « pauvres prêtres ».

La première chose que Wyclif souligne avec force, dans son ecclésiologie, c’est que l’on se trompe grossièrement en identifiant l'Église avec les prélats et les prêtres, les moines, les frères et autres tonsurés qui semblent la conduire, alors même qu’ils vivent d’une façon véritablement maudite contre la loi de Dieu, c’est-à-dire contre l'Écriture.

L'Église, selon lui, comprend trois parties, « très bien symbolisées, comme le disent les docteurs, par les trois parties entre lesquelles l’hostie est divisée sur l’autel ». Ce sont l'Église triomphante au ciel, l'Église militante sur la terre, et l'Église « endormie au purgatoire ». — On notera cette dernière expression, qui semble indiquer que Wyclif admettait le purgatoire, mais n’y voyait les âmes que plongées dans le sommeil. Quoi qu’il en soit, c'était sur l'Église militante que se concentrait surtout son attention théologique. Il définissait cette Église : universitas prædesiinatorum, la totalité des prédestinés. Ne sont donc membres effectifs de l'Église, selon lui, que les élus, ceux qui doivent être sauvés, ceux que le péché mortel même ne peut perdre, parce qu’ils recevront la grâce de la persévérance finale. Wyclif croyait suivre, sur ce point, la doctrine de saint Augustin. En réalité, il avait trouvé des idées de cette nature dans Thomas Bradwardine. Et, selon son principe que rien ne doit être admis, de la part d’un docteur, qui ne soit dans l'Écriture, il se référait à la doctrine de la prédestination de saint Paul. La base de l’institution ecclésiastique serait donc, selon lui, « l'élection divine ». On peut se trouver dans l'Église, en apparence, sans appartenir à l'Église. L'Église visible n’est pas la véritable Église, car, dans son essence, celle-ci est invisible. Sur tout cela, voir De Ecclesia, éd. Loserth, 1886, p. 74, 89, 111, 140, etc. Il suit de ce qui précède que nul ici-bas ne sait de science certaine s’il appartient à l'Église. Ni le pape, ni à plus forte raison un évêque ne peut dire « s’il est de l'Église, ou s’il est un membre de l’ennemi » ! C’est une chose que l’on ignore aussi totalement que l’heure de la mort ou du jugement. Nous ne savons pas davantage, pour la même raison, comment et quand Dieu imprime le caractère sacerdotal, car ne sont vraiment prêtres que les prédestinés. Nul ne devrait accepter une prélature sans un véritable tremblement. On ne doit pas même dire que l'Église est l’ensemble de tous les « fidèles pèlerins » de cette terre. Car il y en a qui ont la foi et qui périront quand même. On ne doit pas admettre non plus que le Christ soit le chef de tous les hommes, fidèles et infidèles, comme saint Thomas le soutenait. Wyclif divise les hommes en deux camps nettement opposés,

à la manière de saint Augustin dans la Cité de Dieu, mais en poussant l’idée à l’extrême. Ceux qui ne sont pas prédestinés — Wyclif les appelle præsciti — forment eux aussi un corps, ennemi de l'Église, et le chef de ce corps est l’Antéchrist. Dans la pensée du novateur, la lutte entre ces deux corps est continuelle et formidable. Il en décrit sans hésiter certains aspects. Ainsi, pour lui, il n’y a pas de doute que les dotations faites à l'Église n’aient été des œuvres de l’Antéchrist. Et quand il eut rompu ses relations amicales avec les frères des ordres mendiants, il ne cessa plus de présenter les frères et tous les fondateurs de leurs ordres comme des fauteurs de l’Antéchrist. À plus forte raison, les ordres possessionnés étaient-ils d’origine antichrétienne. Ce qu’il ne peut absolument pas admettre c’est qu’un couvent soit riche et soit dirigé par un « abbé gras qui peut n'être, dans la prescience divine, qu’un démon incarné ». A en juger par le grand nombre de propositions condamnées extraites de ses écrits, c’est surtout par la violence de ses attaques contre la propriété cléricale et contre la pauvreté monastique — c’est-à-dire sur deux points opposés — que Wyclif a soulevé l’indignation de l'Église de son temps.

On ne lui a pas reproché d’avoir identifié l'Église à « l’universalité des prédestinés », mais on a censuré de lui les propositions suivantes, contre la propriété ecclésiastique : Contra Scripturam sacram est quod viri ecclesiastici habeant possessiones. N. 10. — Ditare clerum est contra regulam Christi. N. 32. — Sylvester papa et Constantinus imperator erraverunt Ecclesiam dotando. N. 33. — Papa cum omnibus clericis suis possessionem habentibus sunt hærelici, eo quod possessiones habent, et consentientes eis, omnes videlicet domini sœculares et cœleri laici. N. 36. — Imperator et domini sœculares sunt seducti a diabolo ut Ecclesiam ditarent bonis temporalibus. N. 39. — De telles propositions étaient éminemment révolutionnaires, en ce qu’elles renversaient tout le système bénéficiai sur lequel les siècles chrétiens avaient fondé la subsistance des clercs. Même si des abus nombreux avaient pu, avec le temps, sortir du système, il était singulièrement radical de le dénoncer comme l'œuvre de Satan. Et ce n'était pas seulement faire bon marché de l’assistance promise par le Christ à son Église, mais c'était se contredire soi-même, en prétendant montrer du doigt l’armée des præsciti, avec son chef l’Antéchrist, après que l’on avait bien établi que l'Église est invisible. Cela était d’autant plus arbitraire que Wyclif ne s’en tenait pas au seul principe de la « possession temporelle », pour condamner en bloc le clergé possessionné de son temps, qu’il s’agît du clergé séculier ou du clergé régulier (moines proprement dits). La pauvreté des ordres mendiants ne trouvait pas davantage grâce à ses yeux, depuis que les ordres mendiants avaient osé se dresser contre lui, comme on le verra, dans le domaine eucharistique. Voici, en effet, toute une série de propositions tirées de ses œuvres, condamnées au concile de Constance, et visant les ordres religieux : Augustinus, Benedictus et Bemardus damnati sunt, nisi pœnituerint de hoc quod habuerunt possessiones, et instituerunt et intraverunt religiones : et sic a papa usque ad ultimum religiosum, omnes sunt hæretici. N. 44. — Omnes religiones (on sait que ce mot désigne les ordres religieux) indifferenter inlroductæ sunt a diabolo. N. 45.

— Conferens eleemosynam fratribus est excommunicalus eo facto. N. 20. — Si aliquis ingreditur religionem privatam qualemcunque, tam possessionatorum quam mendicantium, redditur ineptior et inhabilior ad obscrvationem mandalorum Dei. N. 21. — Sancti, instituentes religiones privatas, sic instituendo peccaverunt. N. 22.

— Religiosi viventes in religionibus privatis non sunt

de religionc christiana. N. 23. — Peccant fundantes claustra et ingredientes sunt viri diabolici. N. 31. — Omnes de ordinc mendicantium sunt hæretici et dantes eis eleemosynas sunt exconvnunicali. N. 34. — Ingredientes religionem aut aliquem ordinem, eo ipso inhabiles sunt ad observanda divina preecepta et per consequens ad perveniendum ad rcgnum cœlorum, nisi apostaverint ab cisdem. N. 36. Cet acharnement contre les ordres mendiants n’était pas chose entièrement nouvelle et le pape Alexandre IV avait déjà condamné, en 1256, par les Constitutions Veri solis et Multa cordis, la proposition suivante de Guillaume de Saint-Amour, qui sonne singulièrement de la même manière que celles qu’on vient de lire : Quod fratres prœdicatores et minores in statu et via salvandorum non erant, nec meritoria et salutifera existebat eorum mendicitas et paupertas ; cum deberent, valetudine corporali et aliis justis impedimentis cessanlibus, propriis manibus operari, sub spe alieni subsidii non torpendo… Cf. Denz.-Bannw., n. 449-459. Il semble bien que Wyclif se soit souvenu de cette assertion quand il lançait lui-même la proposition 24 parmi celles que condamna le concile de Constance : Fratres tenentur per laborem manuum viclum acquirere et non per mendicitalem. Denz.-Bannw., n. 604.

Il résulte de tout cela que Wyclif, tout en maintenant que nul ne peut savoir s’il appartient à l’Église ou non, se jugeait en mesure, lui, de décider si telle ou telle catégorie de croyants, faisant apparemment partie de l’Église, était membre du Christ ou de l’Antéchrist I Et si l’on prend garde qu’il excluait de l’Église du Christ tous les membres du clergé pourvus d’un bénéfice et tous les religieux faisant partie d’un « ordre privé », c’est-à-dire soumis à une règle autre que l’Évangile tout court, tel qu’il était offert à tous, et vivant de mendicité, enfin tous ceux qui les approuvaient ou qui leur faisaient l’aumône, on ne voit pas bien ce qui pouvait rester de l’Église apparente dans l’Église véritable, si ce n’est lui-même et ses partisans. Dans ces conditions, il aurait été plus simple pour lui de définir l’Église par l’adhésion à sa doctrine soi-disant fondée sur l’Écriture seule. Il insinuait du reste cette conclusion, en déclarant que, si la qualité de prédestiné demeure impénétrable à la connaissance des hommes, il y a cependant des signes auxquels on peut la reconnaître, sinon avec certitude, du moins avec une probabilité pratique suffisante. C’est surtout à propos du pape et des cardinaux que Wyclif se montrait sur ce point très afflrmatif. Du moment que le pape peut ne pas être prédestiné, il n’y a aucune raison de croire que la papauté est nécessaire. Wyclif va jusqu’à dire que « le premier article de notre Credo » est que le pape et ses cardinaux peuvent faire partie des præsciti, c’est-à-dire des réprouvés. De Ecclesia, p. 29, 464. Le pape peut avoir une autorité de fait, venant des pouvoirs civils, mais il n’a de véritable autorité sur l’Église de Rome ou sur l’Église militante en général, que s’il fait partie des prédestinés, c’est-à-dire s’il vit selon le Christ. À toute ordonnance venant du pape, il faut que chaque chrétien se demande si cette ordonnance est conforme à la loi de Dieu, qui est la Bible. C’est là une des raisons essentielles pour lesquelles tout chrétien doit connaître les Écritures, la vie et l’enseignement du Christ sont le meilleur miroir », dans lequel nous pouvons voir qui est hérétique si qui i st un vrai croyant. Tout pape agissant contre la loi du Christ est membre du diable et perd toute autorité sur les fidèles :.Si papa sil præscitus et malus, et per Kinsrqurns membrum diaboli, non liabet potrstatrm suprr fidèles sibi ab aliquo dalnm, nisi forlr a Cirsarr. S. 8 ; Dcnz. Mannw., n. 588.

Si le pape perd ainsi son autorité, on peut se deman

der ce que pense Wyclif du pouvoir d’ordre d’un prélat ou d’un prêtre en état de péché mortel. Les donatistes, au début du ive siècle, avaient soutenu que la validité des actes sacramentels dépend de la valeur morale des ministres qui les accomplissent. Or, parmi les propositions condamnées de Wyclif, on remarque la suivante, qui est entièrement donatiste : Si episcopus vel sacerdos existât in peccato mortali, non ordinat, non consecrat, non conficit, non baptizat. N. 4. En réalité, Wyclif a hésité sur ce point. Il eût semblé logique chez un homme qui croyait que le péché mortel fait perdre le droit de propriété ou de suzeraineté, non seulement quand il s’agit d’un ecclésiastique, mais même quand il est question d’un seigneur civil, de proclamer qu’à plus forte raison le péché mortel fait perdre à ceux qui le commettent le pouvoir de consacrer, de baptiser, en un mot d’administrer validement les sacrements. Or, dans le De Ecclesia, Wyclif affirme expressément que le prsescitus, même en état actuel de péché mortel, peut administrer les sacrements, d’une manière valide, bien que pour son propre dam, car le Christ supplée à tous les défauts de son mauvais représentant. De Ecclesia, éd. Loserth, p. 448, 456-457. Mais dans un de ses sermons ultérieurs, Wyclif exprimait des doutes à ce sujet. Sermons, éd. Loserth, t. iii, p. 47. Et ses disciples firent de l’invalidité des sacrements administrés par un indigne un article essentiel de leur foi. La proposition 4 de Constance doit être tenue pour l’expression de leur croyance à ce sujet. Ils disaient couramment : « C’est le prêtre qui vit le mieux qui chante le mieux la messe 1°

Une chose en tout cas que Wyclif avait proclamée à maintes reprises c’est que les censures ecclésiastiques fulminées par un indigne sont absolument sans valeur et que, même fulminées par un supérieur légitime et bien intentionné, elles ne valent que si elles sont en harmonie avec le jugement de Dieu en personne et avec sa loi connue par la Bible. C’est le sens de la proposition suivante condamnée à Constance : Nullus prselatus débet aliquem excommun icare, nisi prius sciât cum excommunicatum a Deo, et qui sic excommunicat fit ex hoc hæreticus vel excommunicatus. N. 11. Songeant sans doute à ses « pauvres prêtres » que pourrait effrayer l’excommunication de leur évêque, il disait aussi : ///(’qui dimittunt prtedicare sive audirc verbum Dei propter excommunicationem hominum, sunt excommunicati et in Dei judicio traditores Christi habebuntur. N. 13. — Licet alicui diacono vel presbytero prædicare verbum Dei absque auctoritate Scdis apostolicæ sive episcopi catholici. N. 14. Faisant lui-même grand usage de l’excommunication qu’il affectait de mépriser chez les supérieurs ecclésiastiques, il excommuniait donc tous les adversaires de sa doctrine et même les fidèles qui, par crainte de l’excommunication, refuseraient d’entendre la prédication de ses disciples. Il cherchait par ailleurs à mettre dans la main du pouvoir civil et de la foule elle-même une arme redoutable contre le clergé récalcitrant à ses réformes. Tout prélat excommuniant un clerc qui en aurait appelé au roi ou au parlement est déclaré par lui traître au roi et à la nation : Pr&lattis rxcommunicans clcrirum, qui appcllavit ad regem vel roncilium regni, ce ipso traditor est régis et regni. N. 12. il appartient niix seigneurs temporels ou aux peuplée de corriger leurs ecclésiastiques on les privant de leurs bénéfice* OU de leurs rttlliei Domini temporales passant, ad arbitrium suum. ailferrt bona lemporalia ah l’.rrlrsia, pnssrssionali Uabitualitcr delinqucnlibus. id est rx habita, non solnm urlu delinquentibus. N. I » i. Dccinnr sunt pur »

eleemosijnæ ci possunt parocliiani propter peccata suorum prirlatorum ad libitum suum ras aujerre. N. 18.

On voit jusqu’où pouvait aller ce droit de refus des dîmes. Il est vrai que Wyclif, proclamant une sorte de droit à l’insurrection, au nom de la Bible, autorisait de même les gens du peuple à « corriger leurs seigneurs » quand ils étaient coupables : Populares possunt ad suum arbitrium dominos delinquentes corrigere. N. 17. Enfin, pour tarir une des sources de subsistance des frères devenus ses pires ennemis, Wyclif n’hésitait pas à assimiler au crime de simonie le fait de s’obliger à des prières pour ceux qui subvenaient à leurs besoins : Omnes sunt simoniaci qui se obligant orare pro aliis, eis in temporalibus subvenientibus. N. 25.

Wyclif devait aller beaucoup plus loin, un peu plus tard, dans sa haine de la hiérarchie et spécialement de la papauté. Son De potestate papæ et son De ordine christiano, qui sont du printemps de 1379, et son Trialogus, de l’automne de 1382, sont d’un radicalisme bien plus intransigeant que le De Ecclesia et les écrits antérieurs. S’il avait condamné tel pape individuellement, il n’avait pas rejeté le principe même de l’autorité pontificale. Sa position était à peu près la suivante : Nous devons obéir au vicaire du Christ, mais le vicaire du Christ, pour avoir droit à l’obéissance, doit être le plus parfait disciple de l’Évangile, l’homme le plus saint de la chrétienté. S’il ne mène pas la vie de saint Pierre, le pape n’est plus, avec ses clés, que le portier de l’enfer. Cependant sa doctrine de la prédestination, en tant que base primordiale et même unique de l’Église, aboutissait à faire de la papauté et de l’obéissance qui lui est due plutôt une convenance d’ordre extérieur qu’un principe indispensable à l’unité de l’Église. Wyclif était devenu plus âpre après les bulles de Grégoire XI, mais s’il avait qualifié ce pape d’Antéchrist, il ne s’en prenait pas encore à la papauté en général. Il eut même, au début du règne d’Urbain VI, qui avait une réputation de vertu bien établie, des paroles de sympathie pour le nouvel élu. Mais quand le Grand Schisme eut éclaté, en septembre 1378, quand Urbain VI eut révélé un caractère violent, autoritaire, excessif, quand surtout il eut prêché la croisade contre son adversaire, et que l’évêque de Norwich, Spenser, eut organisé une expédition sur le continent à son appel, Wyclif ne connut plus de limites à sa colère et à son indignation. La croisade de Spenser, en 1383, eut le don surtout de susciter ses protestations les plus dures. Il est alors entraîné par la logique des événements qui se déroulaient au sein de l’Église à une hostilité déclarée envers tout le système ecclésiastique existant. Le spectacle de deux papes se disputant la tiare provoque de sa part les sarcasmes les plus sanglants. Il ne voit plus en eux que la marque des « loups ». Il les compare à deux « chiens se battant pour un os », à deux < corbeaux acharnés sur une charogne ». Il se rit des indulgences qu’ils publient en faveur de leurs adhérents et grâce auxquelles « un homme peut en une demijournée gagner des indulgences pour une centaine de mille ans et plus ». Appeler un pape de ce genre « saint Père » est un « caquetage ». Il est du reste absurde de faire choisir un pape par les cardinaux, qui sont eux-mêmes des hommes d’une vertu et d’un désintéressement plus que suspects. Le chef de l’Église ne pouvant être qu’un prédestiné et Dieu seul connaissant le nombre et les noms des prédestinés, on ne devrait choisir le pape que par la voie du sort. Le pape ne devrait avoir aucun domaine politique, aucune possession. Il recevrait de Dieu le don des miracles s’il en était digne par sa sainteté et cela suffirait à toutl En attendant, les deux papes sont à rejeter aussi bien l’un que l’autre, « comme deux démons ». Leur avènement fut prophétisé par le Christ quand il parla des signes du jugement. Dans

tous ses pamphlets en latin et en anglais, Wyclif tourne en dérision cette prétention des évêques de Rome à être placés au-dessus de toute la chrétienté sous prétexte que saint Pierre mourut à Rome. L’ancienneté d’un siège ne prouve rien pour la sagesse ou la sainteté de celui qui l’occupe. Wyclif rapporte l’historiette de la papesse « Anna » (sic pour Johanna), pour prouver à quel point le choix des cardinaux peut être absurde. Il a toutefois des doutes sur cette historiette. Il admet bien, jusque dans ses derniers pamphlets, que Rome peut remplir certaines fonctions utiles de gouvernement, mais il reproche aux papes de ne pas imiter la charité et la patience du Christ et de ne montrer que de l’orgueil et de la hauteur. La papauté ne pourrait rendre de réels services qu’en se dépouillant de son ambition. Au fond, Wyclif ne serait pas éloigné de croire et de dire que l’Église se trouverait mieux de ne reconnaître pour chef que le Christ et d’abandonner le rite païen de l’élection d’un pape. Il proclame que, pour lui, « la papauté, telle qu’elle fonctionne, est pleine de poison », qu’elle est « l’Antéchrist en personne », « Gog, la tête du clergé césarien », « l’homme de péché qui s’est exalté au-dessus de Dieu ». Sans pape et sans cardinaux, l’Église jouirait d’une plus grande paix. « Le pape n’est pas la tête, la vie ou la racine, si ce n’est peut-être de ceux qui agissent mal au sein de l’Église. » La papauté est « une herbe empoisonnée ». On a appelé parfois le pape « un Dieu sur la terre », « un Dieu mélangé d’homme ». En réalité, réplique Wyclif, il est « le capitaine de l’armée du diable », « un membre de Lucifer », « le chef-vicaire de l’ennemi », « un apostat de la règle du Christ », « une idole plus horrible qu’une bûche peinte », en sorte que c’est une « détestable et blasphématoire idolâtrie » de lui accorder de la vénération. Voir Sermons, éd. Loserth, t. ii, p. 66, 158, 201 sq., et surtout Political Works (tracts en anglais), t. ii, p. 396, 559, 564, 608, 619-621, etc. Dans les derniers temps de sa vie, Wyclif exprima souvent l’opinion que le schisme qui divisait l’Église était un véritable bienfait de la Providence. « Le Christ, disait-il, a commencé à nous venir gracieusement en aide, en ce qu’il a fendu en deux la tête de l’Antéchrist et mis aux prises les deux morceaux l’un contre l’autre ! » Cité par Workman, John Wyclif, t. ii, p. 82. Ainsi la violence dont faisaient preuve les deux papes se couronnait de la violence encore plus grande des soi-disants réformateurs. L’épreuve dont souffrait l’Église ne pouvait pas être plus affreuse 1 De toutes ces injures, le concile de Constance, en condamnant Wyclif, ne retint que les propositions suivantes : Post Urbanum VI, non est aliquis recipiendus in papam, sed vivendum est more Grœcorum sub legibus propriis. N. 9. — Excommunicatio papse vel cujuscumque prælati non est limenda, quia est censura Antichristi. N. 30. — Ecclesia Romana est synagoga Satanæ nec papa est proximus et immediatus vicarius Christi et apostolorum. N. 37. — Electio papse a cardinalibus a diabolo est introducta. N. 40. — Non est de necessitate salutis credere Romanam Ecclesiam esse supremam inter alias Ecclesias. N. 41.

Doctrine des indulgences.

En connexion étroite

avec l’ecclésiologie, il convient de dire un mot de la doctrine des indulgences. C’est en effet sur le pouvoir des clés attribué à la hiérarchie ecclésiastique et plus spécialement au souverain pontife que repose la théorie indulgentielle. Ce n’est pas ici le lieu de relever les abus très réels auxquels a pu donner lieu la pratique des indulgences. Des auteurs très orthodoxes se sont plaints de ce que beaucoup de pécheurs disaient communément : « Je n’ai pas besoin de m’inquiéter du nombre et de l’énormité de mes fautes, puisque je pourrai toujours pour quelques sous acheter une

indulgence plénière du papel » Mais ce n’était pas seulement les abus que Wyclif entendait frapper. Il s’en prenait au principe lui-même. Il avait traité in extenso le problème des indulgences dans le c. xxhi de son De Ecclesia et il y revint dans le De potestate papæ, ainsi que dans divers tracts en anglais. Jean Hus, copiant mot pour mot le chapitre indiqué du De Ecclesia, en 1412, en ferait son Adversus indulgencias papales. C’est donc là qu’il faut chercher le sentiment de Wyclif. Or, il soutient que Dieu lui-même, qui seul peut accorder des indulgences, ne peut pas remettre le péché sans une satisfaction. Au surplus, remarque Wyclif, si le pape avait le pouvoir qu’il s’arroge, il devrait en user libéralement, autrement on doit le tenir pour responsable de la mort de toutes les âmes qu’il peut sauver. De Ecclesia, éd. Loserth, p. 551 sq. Tout le système des indulgences est donc faux et il faut être fou pour y croire. La prétention du pape de pouvoir disposer du trésor des mérites surérogatoires du Christ et des saints est absurde. Le concile de Constance devait condamner la proposition suivante de Wyclif : Fatuum est credere indulgentiis papæ et episcoporum. N. 42. On sait que ce fut à propos des indulgences qu’éclata, en 1517, la révolution luthérienne. Mais disons tout de suite que Luther ne connaissait à ce sujet ni la doctrine de Wyclif ni celle de son épigone Jean Hus.

Doctrine eucharistique.

Il ne semble pas qu’il

existe un lien quelconque entre la doctrine ecclésiologique de Wyclif et sa doctrine sur l’eucharistie. Tout au contraire, ce sont les attaques dont il fut l’objet à propos de ses idées sur le sacrement de l’autel qui le poussèrent au radicalisme que nous avons rencontré chez lui à l’égard des ordres mendiants. Le Dr Workman date de l’été de 1379 les premières attaques de Wyclif contre le dogme eucharistique traditionnel. Ce ne fut jamais sur la présence réelle que portèrent ses doutes, même dans les tracts les plus agressifs des années suivantes et, sous ce rapport, il convient de distinguer nettement entre les affirmations du novateur lui-même et celles de certains de ses disciples, les lollards. Ce qu’il prétendait ne pouvoir admettre c’était la disparition, de quelque manière que ce fût

— « annihilation » à la manière de Scot, puis « substitution » de la substance du Christ, ou bien « transsubstantiation » au sens thomiste, par passage interne de la substance du pain à celle du corps du Christ — de la substance du pain et du viii, ni la permanence des accidents sans sujet. Il s’agissait donc là pour lui de difficultés d’ordre métaphysique, d’objections philosophiques, à son sens, irréfutables.

Pour comprendre sa position, il est donc indispensable, de nous rappeler cette sorte de réalisme extrémiste qu’il professait en philosophie. Wyclif fut « réaliste » dans toute la force du terme et probablement le dernier des réalistes proprement dits. Il est réaliste d’une façon absolue, rigoureuse, intransigeante. II l’est jusqu’à l’absurde. Pour lui, quiconque n’est pas réaliste, c’est-à-dire n’admet pas l’existence réelle, à part des individus, des idées générales ou « universaux », en d’autres termes des prototypes spécifiques, rejette par le fait même le souverain domaine de Dieu, la réalité de la prédestination et du châtiment éternel, de la résurrection des morts, de la loi de la confession et de la communion et même de l’obéissance .-m doyen de sa farultél Workman, t. i, p. 186. Pour lui, les universaux, comme les individus, sont des idées de Dieu et participent de la réalité absolue qui file de Dieu. Dieu étant le suprême Réel, ses idées sont aussi réelles que lui. Rien n’est possible en dehors de ces Idées. Rien n’existe donc en dehors de ce qui est, sinon sous nos yeux, du moins en Dieu. L’être, qui est Dieu, est la mc-, urc du possible. Tout

ce qui est est nécessaire au même titre que Dieu. La liberté humaine elle-même, car Wyclif l’admet, est nécessaire, comme voulue de Dieu. C’est pourquoi, au nombre des propositions de Wyclif condamnées à Constance, nous rencontrons la suivante : Omnia d’1 necessitate absoluta eveniunt. N. 27. Par suite, rien de ce qui est ne peut être anéanti. Dieu même ne peut anéantir une substance sans se détruire lui-même. On ne peut toucher à rien sans toucher au divin, et on ne peut toucher à rien de divin sans détruire Dieul Or, de quelque façon que l’on s’y prenne, que l’on admette « l’annihilation » du pain dans l’eucharistie, ou que l’on soutienne que le pain est transsubstantié au corps du Christ, on touche toujours à de la substance, on touche à la » panité > et a la « vinité », qui font partie, en tant que prototypes éternels et infiniment réels, de la substance de Dieu. Donc le dogme de la transsubstantiation anéantit Dieul Les idées de Dieu sont hiérarchisées et c’est cette hiérarchie qui constitue l’ordre du monde. Toucher à cette hiérarchie, en faisant passer une substance dans une autre, par transsubstantiation, c’est anéantir l’ordre divin et Dieu lui-même. Dans la pensée de Wyclif, les idées générales sont comme des républiques dont les individus sont les sujets. L’Humanité existe à part des humains, comme la Panité et la Vinité à part des morceaux de pain et des gouttes de vin. L’Humanité, telle qu’elle existe de toute éternité en Dieu, communis humanitas, est précisément celle que Jésus a possédée. L’incarnation a consisté dans ce revêtement par le Verbe de la communis humanitas. Par suite, Jésus n’est pas seulement notre frère, il est l’homme général, l’homme éternel, l’homme total, l’homme unique, la source de l’humanité en chacun de nous. Il vit avec nous, souffre avec nous, meurt avec nous, est soumis avec nous à tous les maux qui nous atteignent. Mais pas plus que la mort n’est l’annihilation pour l’homme, pas davantage les transformations de la matière n’en atteignent la substance. Quand nous mangeons le pain et buvons le vin ordinaires, nous ne transformons pas en nous-même la panité et la uinité. Il en est de même dans l’eucharistie. Wyclif critique longuement dans son De eucharistia, publié probablement à l’automne de 1379, la théorie de saint Thomas d’Aquin, selon laquelle c’est la « quantité », demeurée sans sujet, qui sert de sujet aux autres accidents du pain et du vin consacrés sur l’autel. Et, comme il professe un certain respect pour un si grand théologien, il affirme qu’il est convaincu que ses écrits ont été falsifiés, après sa mort, par les frères inquisiteurs. De eucharistia, éd. Loserth, p. 139. En réalité, Wyclif semble n’avoir été familier qu’avec la doctrine de Scot qui est celle de l’annihilation de la substance du pain et du viii, par remplacement de la part de la substance du corps et du sang du Christ. Scot faisait appel, scion la tendance volontariste générale de sa théologie, à la loutc-puissance de Dieu, pour expliquer ce mystère. Occam l’avait suivi sur ce point. Cette doctrine prévalait à Oxford, au temps de Wyclif. Il se mettait donc en contradiction formelle avec le sentiment universel de son université, en refusant d’admettre la transsubstantiation au sens scotiste et au sens nominalistc. L’annihilation du pain et du viii, pour 1rs raisons susdites, lui paraît impensable. Voir sa Logiaa, éd. D/iewicki. 1899, t. If, p. 86-89. Dans un de ses derniers sermons, il disait : - Durant bien des années j’ai cherché à apprendre des frères en quoi pouvait consister l’essence réelle d* l’hostie consacrée. À la fin ils eurent l’audace de maintenir que l’hostie n’était plus rien. » Une autre fois, il disait que, scion les frères, l’hostie n’était plus « qu’un paquet d’accidents (tans lerpiel se trouve le i lu

Sermons, éd. Loserth, t. il, p. 454, 460. Or, pour lui, cela était absurde. Que disait-il donc ? « Le genre « substance », dit-il dans son De blasphemia, de mars 1382, se trouve partout où se trouve un individu du genre. Or, dans l’eucharistie, il y a un individu du genre « substance », puisque, selon votre propre affirmation, le corps du Christ est présent corporellement. Donc, le corps du Christ demeure dans l’hostie et comme c’est une substance — parce qu’il est l’essence de toute substance matérielle — il est également la substance du pain. Il s’ensuit que la substance du pain matériel demeure dans le pain consacré. » Comprenne qui pourrai — Depuis le temps de la publication de son De potestate papse, en 1379, Wyclif ne cessa plus de soutenir qu’il ne peut y avoir d’accidents ou de groupe d’accidents sans sujet. Il avait pensé pourtant antérieurement qu’il pouvait y avoir « un corps mathématique », analogue à la quantité thomiste, qui servirait de sujet aux accidents. Même dans son De dominio civili (1376), il avait dit encore : « Le prêtre, par les paroles de la consécration, rend le corps du Christ présent sous les accidents. » Mais dans son De eucharistia, il déclare : « Bien que j’aie pris autrefois toutes les peines possibles pour expliquer la transsubstantiation, en accord avec le sentiment de l’Église primitive, je vois maintenant que l’Église actuelle contredit l’Église des temps antérieurs et qu’elle erre dans la doctrine. » De eucharistia, p. 52, 109. À l’entendre, le dogme de la transsubstantiation ne remonterait qu’au temps d’Innocent III. Il n’aurait donc pas deux cents ans d’existence. Il est toutefois embarrassé dans son langage et voudrait que l’on évitât de préciser la manière dont Jésus-Christ est présent, la seule chose importante à ses yeux étant qu’il soit présent et qu’on le reçoive dans la communion avec foi et amour. Mais, ses adversaires nominalistes ne lui laissant aucun répit, il finit par aboutir à cette « consubstantiation » que devait soutenir plus tard Luther. Le pain reste du pain, tout en contenant « toute l’humanité du Christ ». En quoi cela peut-il surprendre ? dit-il. Un pécheur qui se convertit en un saint reste un homme. La glace qui fond reste de l’eau. Un pape qui vient d’être élu reste ce qu’il était auparavant. De même le pain reste pain. « Le Christ est caché dans les éléments », insensibililer absconsus est. De eucharistia, p. 15, 29. Nous pouvons le « voir » là, « par la foi », et nous pouvons le recevoir comme le feu du soleil est reçu à travers une sphère de cristal. Le Christ est dans chaque partie de l’hostie, comme le visage est tout entier dans chaque partie du miroir brisé, ou « comme un homme peut allumer beaucoup de cierges à un seul cierge sans lui enlever sa clarté ». Sermons, t. ii, p. 458 ; t. iv, p. 351-352.

Il compare encore la présence du Christ dans l’eucharistie et l’action des paroles consécratoires à une feuille de papier sur laquelle on écrit un message. Le message est réellement présent, avec le papier et l’encre. De même, « à l’occasion » des paroles de la consécration — à l’occasion seulement, précise-t-il — le corps du Christ devient présent dans le pain et le vin. Et il ajoute : « La vérité et la foi de l’Église c’est que le Christ est à la fois Dieu et homme, de même le Sacrement (de l’autel) est à la fois le corps du Christ et du pain — pain et vin naturellement, Corps et Sang du Christ sacramentellement. » De aposlasia, p. 103, 106, 116, 119. C’est donc un renouvellement du mystère de l’incarnation : deux substances en une seule personne. On croirait, à lire ce passage, que Wyclif admet l’impanation comme plus tard Osiander, c’est-à-dire l’union hypostatique entre le Christ et le pain consacré. Mais il n’en est rien. Il dit expressément que le pain ne fait pas partie du Christ : « L’hostie consacrée, écrit-il, n’est ni le Christ ni une partie

du Christ, mais seulement le signe effectif du Christ. »

— « Je n’ose dire que c’est le signe du Christ identiquement selon sa substance et sa nature, mais figurativement ou spirituellement. » Il n’en est pas moins vrai que le corps du Christ est là « réellement et vraiment, selon son humanité tout entière ». Le sacrement est « le signe et le vêtement de son corps ». De eucharistia, p. 16, 121, 303. Il repousse donc également les « hérétiques » qui « pensent et disent que ce sacrement est le Corps de Dieu mais pas du pain » et les « hérétiques qui pensent et disent que ce sacrement ne peut en aucune manière être le Corps de Dieu », car, pour lui, « il est les deux à la fois », bien que » principalement » il soit « le Corps de Dieu en forme de pain », d’un pain dans lequel « tout le Christ » est présent. Il ne peut assez protester contre l’idée d’annihilation de la substance et il n’a pas assez de sarcasmes contre ces « accidents » qui seraient ainsi en suspens, dépourvus de tout support, « un pur fantôme », dit-il. L’idée d’annihilation lui apparaît comme une fourberie abominable du démon et, en toute vérité, « l’abomination de la désolation » dans le sanctuaire divin. Supposer que la substance peut cesser d’être c’est admettre que Dieu peut cesser d’exister, puisque Dieu est la base de toute créature. De apostasia, p. 120.

Il lui arrive cependant d’employer des expressions malheureuses, comme quand il écrit : « Le corps du Christ est dans le sacrement de l’autel, non par voie de multiplication, mais seulement virtuellement, comme un roi est dans toutes les parties de son royaume. » Ce fut sans doute à partir d’une phrase de ce genre que ses disciples aboutirent à une sorte de zwinglianisme, selon lequel l’eucharistie n’était plus qu’un « signe » de la présence divine, ou encore de calvinisme, suivant lequel la présence eucharistique est purement virtuelle.

Voici les propositions retenues au concile de Constance, comme représentatives de la doctrine de Wyclif sur l’eucharistie : Subslantia panis materialis et similiter substantia vint materialis rémanent in sacramento altaris. N. 1. — Accidentia panis non manent sine subjecto in eodem sacramento. N. 2. — Christus non est in eodem sacramento identice et realiter propria prsesentia corporali. N. 3. Sur cette dernière proposition, il convient de se rappeler ce qui vient d’être dit des impropriétés de langage de Wyclif, quand il dit que Jésus-Christ est présent dans toutes les hosties, comme un roi dans tout son royaume. Nous ne voyons pas où Wyclif a pu dire : Non est fundatum in Evangelio, quod Christus missam ordinaverit. N. 5. Il est possible que le sens ait été que la messe n’avait pas été instituée, telle quelle, par le Christ. On ne voit pas en effet que Wyclif ait nié le caractère sacrificiel de la messe, ni son institution par le Christ, si on la ramène essentiellement à la consécration et à la communion. Wyclif n’a jamais nié ni l’une ni l’autre.

Les autres sacrements.

Wyclif n’a pas porté

atteinte au dogme du septénaire sacramentel. Il n’a pas eu de doctrine comparable à celle de Luther, de Zwingli et de Calvin sur ce point. Il a cependant touché à certains sacrements, pour émettre des opinions que l’Église a rejetées et condamnées.

Le sacrement de pénitence. — C’est surtout dans le domaine de la pénitence que s’est exercée sa critique contre la législation en vigueur et contre la doctrine reçue. « Les clés de Pierre, disait-il, devraient être fourbies et nettoyées de la rouille de l’hérésie. » Là aussi, il rencontrait, disait-il, « les erreurs de l’Antéchrist ». De blasphemia, p. 160-161. Lui-même cependant passa, dans ce domaine comme dans celui de l’eucharistie, par des opinions diverses. S’élevant

contre la législation qui ne rendait la confession obligatoire qu’une fois l’an, il lui était arrivé de proclamer que c’est une obligation de se confesser aussi souvent qu’il est nécessaire, à la condition de rencontrer un prêtre « prédestiné >, c’est-à-dire ne vivant pas dans le péché. Selon lui, il serait aussi bon de se confesser au diable que de le faire à un prêtre « lépreux, idolâtre, simoniaque, hérétique », c’est-à-dire ne pensant qu’à l’argent. Plus tard, il changea d’avis, notamment dans le De blasphemia et dans le Trialogus. Il soutint alors que certes la pénitence est nécessaire, mais non la confession qui reste facultative, selon le goût du pénitent. Le chrétien doit donc garder sa liberté. Il se confessera s’il y trouve un profit. La confession publique, au surplus, serait meilleure que la confession privée qui souvent conduit à l’impudicité. La confession doit être libre comme l’audition d’un sermon. Quant à la pénitence ou satisfaction imposée par le confesseur, Wyclif n’y voit qu’un marchandage. Ni le pape ni personne ne peut savoir jusqu’à quel degré le péché s’est élevé, donc nul ne peut donner une pénitence ou une absolution en connaissance de cause. Si un confesseur impose une pénitence que le pénitent juge non convenable, pour avoir de l’argent par exemple, le pénitent n’a qu’à le laisser et, après un acte de contrition sincère, il pourra faire la communion. Si on l’excommunie, il fera la communion spirituelle, dans la joie, car le Prêtre Souverain pardonne à tous ceux qui sont vraiment contrits. De blasphemia, p. 121, 136, 145, 148, 151, 159 ; Trialogus, p. 328.

En somme, Wyclif, des trois parties du sacrement de pénitence, auxquelles s’ajoute l’absolution, ne retient absolument que la contrition, le reste lui paraissant plus ou moins laissé à la conscience ou au goût de chacun. C’est pourquoi l’on trouve, parmi les propositions condamnées à Constance, la suivante : Si homo fuerit débite contritus, omnis confessio e.vterior est sibi super flua et inutilis. N. 7.

Comme erreurs accessoires de Wyclif, en cette matière, nous signalerons les suivantes : la distinction entre le péché mortel et le péché véniel n’est pas garantie par l’Écriture. De blasphemia, p. 169. La distinction des t péchés réservés » n’est qu’une « fourberie nouvelle de la Curie romaine >. Ce n’est pas l’absolution du prêtre qui donne la rémission du péché, mais seulement celle de Dieu, proposition qui semble faire une distinction entre l’absolution du prêtre et celle de Dieu, alors que le prêtre n’absout qu’au nom de Dieu. Le secret de la confession n’est pas nécessaire, puisque le péché sera toujours révélé au jugement dernier. Dans bien des cas, au contraire, la révélation du péché entendu au confessionnal serait pour le bien du pénitent. Sous le couvert du secret de la confession, beaucoup de péchés graves restent impunis, et le sacrement de l’eucharistie est profané. Le prêtre devrait faire à son pénitent trois remontrances, mais la quatrième fois, abandonner le relaps, et, si cela était nécessaire, révéler son péché. De blasphemia, p. 164-167.

Le sacrement de l’ordre. yclif a également traité le sacrement de l’ordre comme si, pratiquement, il ne conférait aucun pouvoir spécial. C’est ainsi qu’il n’admet pas qu’il soit absolument nécessaire pour consacrer l’eucharistie, pour confesser et absoudre, VOin pour confirmer. Dans son Dr cucluiristia et son Dr Bcclula, il avait insisté sur les fonctions sacramentelles du prêtre..Mais dans les derniers temps de i vie, peut-être parce qu’il trouvait difficilement des prêtres pour entrer dans son groupe des « pauvres prêcheurs », ou parce qu’il prévoyait que dans l’avenir les évêques n’ordonneraient pas ses disciples avérés, il proclamait que, dans certaines circonstances, un laïque même peut consacrer l’eucharistie. Trialogus, p. 280. Pour la confession, il dit de même que ce n’est pas le prêtre, « en levant la main sur la tête du pénitent », mais bien « le chagrin du cœur », qui obtient l’absolution de Dieu, et que, par suite, l’absolution pourrait être donnée même par un laïque. English Works, p. 333. Au sujet de la confirmation, il déclare : « Je ne vois pas qu’en général ce sacrement soit nécessaire au salut, ni qu’il soit spécialement réservé aux évêques. » Trialogus, p. 294. On n’est donc pas surpris d’apprendre que Purvey, son secrétaire et continuateur, enseignait que le laïque même peut donner la confirmation. La proposition 28 condamnée à Constance résume ces diverses affirmations : Confirmatio juvenum, clericorum ordinatio, locorum consecrotio reservantur papæ et episcopis propter riipidilafem lucri temporalis et honoris.

On remarquera, en terminant cet exposé forcément limité, que Wyclif a constamment accusé le haut clergé de son temps de rapacité et de simonie. On trouverait dans les écrits très orthodoxes de sainte Brigitte ou de sainte Catherine de Sienne, toutes deux contemporaines de Wyclif, des peintures non moins rudes et sévères que les siennes sur les abus qui désolaient alors l’Église, mais ces grandes saintes n’éprouvaient pas pour cela le besoin maladif de s’en prendre au dogme de l’Église. Elles savaient que, si Jésus-Christ n’a pas promis à ses représentants autorisés sur la terre l’impeccabilité, il leur a garanti du moins, sous certaines conditions, l’indéfectibilité et l’infaillibilité. Wyclif a vu les choses beaucoup trop en noir. Il a accusé, à tort et à travers, l’Église non seulement d’avoir laissé les abus envahir le sanctuaire, mais d’être tombée dans les plus graves erreurs. Il est significatif que, parmi les propositions condamnées à Constance, sous le nom de cet universitaire intransi géant et dogmatique, on ait pu ranger la suivante : Universitates, sludia, collegia, graduationes et magisleria in iisdem sunt vana gentilitate inlroducla ; tantuni prosunt Ecclesiæ sicut diabolus. N. 29. Il en était donc venu, dans les derniers temps de sa vie, alors qu’il était retiré dans sa cure et voyait se fermer devant lui son ancienne université d’Oxford, à renier tout son passé d’étudiant et de professeur, à rejeter comme une vanité païenne l’immense effort scientifique, philosophique et théologique de son temps, pour ne plus voir que la prédication faite au peuple par des pauvres prêtres ignorants et rustiques, chargés de rabâcher en son nom des tracts soi-disant tirés de l’Évangile. Il faut dire toutefois que la vie privée de Wyclif resta toujours austère, qu’il fut un véritable ancêtre du puritanisme, et qu’il maintint jusqu’au bout la supériorité de la virginité sur le mariage. Même quand il lui arriva de préconiser le mariage pour ses prêtres, il avait soin d’ajouter que ce genre de mariage n’était point exclusif de la virginité. .Mais il ne parlait de ce mariage que comme d’une possibilité. De veritate Scriptunr, t. ii, p, 163.