Dictionnaire de théologie catholique/WISEMAN Nicolas-Patrice-Étienne

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1016-1023).

WISEMAN Nicolas-Patrice-Étienne, premier archevêque de Westminster et cardinal (1802-1865).

— Le nom de Wiseman est intimement lié au progrès de l’Église catholique en Angleterre au xixe siècle, soit par l’intérêt sympathique qu’il accorda dès le début au mouvement d’Oxford et à ceux des tractariens qui se convertirent de l’anglicanisme au catholicisme, soit par la part importante qu’il eut dans le rétablissement de la hiérarchie catholique en Angleterre et dans le développement religieux qui suivit. I. Les premières années (1802-1828). IL Le recteur du Collège anglais à Rome (1828-1840). III. Le vicaire apostolique (1840-1850). IV. L’archevêque de Westminster (1850-1865).

I. Les premières années de Wiseman (18021828). — Nicolas Wiseman naquit le 2 août 1802 à Séville, d’une famille d’origine anglaise et irlandaise, depuis longtemps émigrée en Espagne pour y faire le commerce. Après la mort de son père, sa mère le ramena en 1806 à Waterford, dans le sud de l’Irlande ; en 1810, il entra avec son frère aîné au collège de Saint-Cuthbert, à Ushaw, près de Durham. Ce collège avait été fondé dans les premières années du xixe siècle par Mgr W. Gibson, pour remplacer le collège anglais de Douai, fermé en 1793 par la Révolution française. Il y fit ses études secondaires, en partie sous la direction de J. Lingard, avec lequel, malgré la différence d’âge, il se lia d’une amitié qui devait durer jusqu’à la mort du grand historien. Il reçut dans ce collège cette éducation austère qui avait été de tradition à Douai, où l’on formait les jeunes âmes en vue de l’inévitable persécution, les laissant repliées sur elles-mêmes, plus prêtes à endurer qu’à entreprendre. Cela avait donné une réelle infériorité au clergé catholique anglais de la première partie du xix c siècle. Wiseman garda d’Lshaw « une aversion pour la compression systématique et cette aversion contribua à fortifier son goût pour le libre jeu des activités et sa sympathie pour toute forme d’action qui ne lui apparaissait pas d’abord mauvaise ». I’]. Dimnet, Ln pensée catholique dans l’Angleterre contemporaine, Paris, 1906, p. 6.

Toutefois le séjour que Wiseman fit à Saiut-Cut hhcrl. de 1810 : i 1818, ne fut pas inutile. La formation qu’il y reçut le rendit suffisamment anglais pour être bien accepté de ses compatriotes, malgré son origine et le long séjour qu’il lit a Rome.

Il était en effet parti, en décembre 1818, avec cinq autres jeunes gens a Rome, pour y suivre les cours du Collège anglais que l’ie VII, sur les conseils du cardinal Consalvi, qui s’intéressait à la renaissance du

catholicisme en Angleterre, venait de rétablir (1818).

Wiseman n’y acquit pas seulement le grade de docteur en théologie, en 1821, à la suite d’une soutenance de thèse en présence de trente-cinq prélats, d’un savant eamaldulc, le cardinal Cappellari (futur Gré goire I), et d’un prêtre français, l’abbé de l.amen dict. in rHBoi - i phol.

nais, mais une plus grande ouverture d’esprit et une plus large compréhension, qui faciliteront considérablement sa tâche, lorsqu’il sera de retour en Angleterre.

Après avoir reçu l’ordination sacerdotale, le 10 mars 1825, il fut nommé par Léon XII, en 1827, vice-recteur et, l’année suivante, recteur du Collège anglais, en même temps que professeur de langues orientales à la Sapience.

IL Le recteur du Collège anglais a Rome (1828-1840). — 1° Son activité littéraire. — Les années du rectorat de Wiseman furent les plus fécondes de sa vie en travaux intellectuels. Son goût le porta d’abord vers les langues orientales et l’étude de l’antiquité chrétienne. Le résultat complet de ses recherches en ce domaine parut en 1848 à Rome, en deux volumes, intitulés : Horæ si/riacæ seu commentationes et anecdota ad res vel litteras syriacas spectantia, ouvrage qui révèle des facultés critiques de premier ordre. Par cette publication, il se faisait une réputation européenne parmi les orientalistes, bien que son interprétation de quelques textes syriaques fût contestée par Samuel Lee. La partie la plus considérable de ce livre, est une étude philologique d’une version syriaque de l’Ancien Testament, à peu près identique à la Peschilo, mais rédigée pour les monophysites, connue sous le nom de Karkaphensian Codex de l’A. T., conservée à la Ribliothèque vaticane. Il y réfute aussi, en s’appuyant sur le syriaque, la théorie des sacramentaires qui rejetaient l’argument en faveur de la présence réelle tiré de Luc, xxii, 19.

En réponse à lady Morgan, une anglicane qui niait la venue de saint Pierre à Rome et l’authenticité de la chaire de Pierre conservée au Vatican, il fit une étude critique, qui fut traduite de l’anglais en italien par Ant. de Luca. Rome 1832 (ouvrage reproduit par Pletz, dans Neue theologische Zeitschrift, 1835, t. ii, p. 3-28). La même année, dans le Calholic Magazine, deux « lettres sur quelques points de la controverse relative à l’authenticité de I Joa., v, 7°, où il s’efforce de démontrer l’authenticité du Comma johannenm ; ces lettres, réunies à d’autres dissertations sur les versions catholiques de la Bible, les paraboles et les miracles de Notrc-Seigneur, l’Église anglicane, Roniface VIII, etc., furent rassemblées plus tard et publiées de nouveau sous le titre Essaya on varions subjects, 3 vol., Londres, 1854.

Il fit peeuve de connaissances étendues dans des conférences sur les relations entre la science et la Révélation, conférences faites pendant le carême de 1835, dans le salon du cardinal anglais W’eld, et auxquelles assistait Bunsen : Lectures on the connection between Science and Hcvealed Religion, Londres, 1836 (traduit en français et inséré dans les Démonstrations évangéliques de Migne, t. xvi, col. 1813-1853). Il j étudie de façon critique les objections que l’on tirait alors des sciences contre la foi, traitant avec une érudition solide et sagace de l’élude comparée des langues, des sciences naturelles, de l’archéologie, de la littérature orientale, sacrée et profane, montrant l’harmonie de la révélation avec ces diverses sciences. Il établit enfin que, là où il reste des difficultés, les Objections tirées des sciences naturelles contre le christianisme trouveront leur réponse et leur réfutation dans le développement progressif de ces sciences.

Ses huit conférences sur l’eucharistie manifestent une science exégétique remarquable pour l’époque :

Lectures on Ihe real l’rcscncc of Jésus Christ m the

Blessed Euchariêt, Londres. 1836. il es ! difficile de

trouver quelque chose de plus solide dans ce genre de

démonstration, Hurler, Nomenelator literarius, 3° éd., i.. col. 1 147. Les critiques faites par Thomas I tiur

T

XV.

112.

ton et d’autres amenèrent une Reply publiée en 1839.

Pendant l’avent de 1835 et le carême de 1836, durant un séjour à Londres, il donna des conférences, auxquelles assistaient habituellement Gladstone et Brougham, sur les principaux points de doctrine et sur les rites les plus importants de l’Église catholique : Lectures on the principal doctrines and practises of the Catholic Church, Londres, 1844. La solidité de l’exposé, leur caractère populaire, leur modération dans la controverse, attirèrent l’attention générale.

Dans la Revue de Dublin et dans le Catholic Magazine, il publia en 1838-1839 ses dissertations sur les puseyistes : Lectures on the High Church Movement in Oxford. Il y développe le thème que l’Église anglicane est essentiellement schismatique, qu’elle n’a aucun droit à la succession apostolique. Il voit dans les deux schismes donatiste et anglican une telle ressemblance que l’on peut affirmer, pour les raisons qui ont amené l’Église à condamner le donatisme, que le schisme anglican doit être lui aussi condamné, malgré les efforts des tractariens pour effacer les divergences entre l’Église d’Angleterre et celle de Rome. Ces dissertations ébranlèrent la via média de Newman et aidèrent à la conversion de celui-ci.

Les quatre dissertations que Wiseman donna à son retour à Rome en 1837 sur les offices et cérémonies de la semaine sainte, où il montre un sens profond de la liturgie de l’Église, furent éditées à Londres, en 1839, Four Lectures on the Offices and Cérémonies of Holy Week. Quatre autres dissertations, qu’il présenta a l’Académie romaine, sur la stérilité des missions protestantes, le mouvement d’Oxford, saint Grégoire VII et Boniface VIII, parurent ensemble, à Londres, en 1840.

Sur la demande de Léon XII, il avait fait une série de sermons dans l’église du Corso, à l’adresse des résidents anglais. Il les réunit en deux volumes : Sermons on moral subjects and Sermons on our Lord and the B.V. Mary, Dublin, 1864. Ces sermons sont riches en idées excellentes et notamment en images bibliques, mais dépourvus du développement souhaitable ; il y manque la dernière main.

Le souci qu’il avait de la formation spirituelle de ses élèves, dans l’accomplissement de ses fonctions de recteur, se révèle dans les Méditations on the sacred Passion of our Lord, méditations faites à leur intention, mais publiées pour la première fois en 1898.

Son influence comme recteur.

Ces premiers

travaux rendirent "Wiseman célèbre et laissaient prévoir une brillante carrière intellectuelle. Mais le contact qu’il eut à Rome avec plusieurs de ses compatriotes, catholiques et anglicans, allait donner une autre direction à son activité et la tourner vers son propre pays, en travaillant au relèvement des catholiques et au rapprochement avec les anglicans.

En 1830, le dernier fils de lord Spencer, né en 1799, curé depuis 1822 d’une paroisse de campagne, se convertit et vint à Rome, au Collège anglais, pour se préparer aux saints ordres. Il suggéra au jeune recteur, son cadet de deux ans, de se livrer à une besogne qu’il jugeait plus pratique que l’étude des manuscrits orientaux et de « prendre en main, comme il convenait à un prêtre, l’œuvre de la mission anglaise ». Ward, Life and time of card. Wiseman, t. i, p. 101.

Quelques années plus tard, en 1833, il recevait à Rome la visite de J.-H. Newman et de R.-H. Froude. Dans ces deux chefs du parti tractarien, Wiseman reconnut des hommes « de tendance catholique et de profonde loyauté ». Ward, op. cit., t. i, p. 118. « A partir de ce jour, écrira-t-il en 1847, je n’ai à aucun moment été ébranlé dans ma conviction qu’une ère nouvelle avait commencé en Angleterre… Je me suis

consacré à ce grand dessein et je n’ai abandonné que dans ce but mes études favorites. » Ward, op. cit., t. i, p. 119.

En même temps, il était entré en relations avec des catholiques progressistes de France, d’Allemagne et d’Italie, qu’on appelait alors les libéraux et qui lui donnèrent une vue plus large de la situation du catholicisme dans le monde : Montalembert, Lacordaire et Lamennais, qui furent quelque temps ses hôtes à Rome, pendant le procès de l’Avenir, cf. Dimnet, op. cit., p. 17, Dôllinger avec qui il resta longtemps en correspondance et qu’il visita à Munich, Rosmini. Il ne restera pas toujours fidèle à ses idées libérales, mais gardera sa sympathie à Montalembert.

Sous ces diverses influences, il va donner à ses efforts une orientation nouvelle : montrer comment l’Église catholique a toujours satisfait et satisfait encore à toutes les aspirations de l’humanité, religieuses, morales, esthétiques, sociales et politiques. Ce programme, il l’appliquera avant tout à son propre pays, dans le but d’y propager la foi catholique et de ramener à l’unité les frères séparés. Sans doute ne nourrissait-il pas les illusions de Spencer qui rêvait d’une Angleterre catholique ; du moins espérait-il arriver à faire tomber les préjugés contre le catholicisme et à libérer l’Église établie et l’esprit anglais du protestantisme.

Il venait alors de sortir d’une crise douloureuse, qui avait duré trois ans. Ses études bibliques l’avaient conduit sur un terrain dangereux, sans aucun guide expérimenté ; les dignités ecclésiastiques dont il avait été revêtu très jeune avaient produit l’isolement autour de lui. De cette épreuve, sa foi sortit victorieuse. Dans les conférences qu’il fit en 1835 sur les rapports des sciences et de la Révélation, il avait développé les deux arguments qui l’aidèrent à dissiper ses doutes. Le premier est celui que Newman reprendra plus tard sous le nom d’argument cumulatif : « La démonstration interne ou externe du christianisme, écrit Wiseman, se compose de nombreuses considérations tellement liées et rivées l’une à l’autre qu’une attaque partielle sur un point retentit sur tout le reste, de telle sorte qu’on est moins recevable à supposer le christianisme faux, à cause d’une objection insoluble, qu’à s’avouer impuissant devant cette objection et à garder cependant sa foi. » Cité par E. Dimnet, op. cit., p. 13 sq. Le second est celui de l’expérience intérieure, décisive pour celui qui a une fois connu l’effet des doctrines chrétiennes, qui y a trouvé la clé des secrets de son être et la solution de tous les problèmes moraux.

Pour réaliser en Angleterre l’action qu’il voulait entreprendre il lui fallait prendre un contact plus intime avec ses compatriotes. À la fin de 1835, laissant la direction du Collège au D r Errington, il quitta Rome pour Londres où, dans la chapelle sarde, puis dans l’église de Moorflelds, il fit des conférences en anglais durant l’avent de 1835 et le carême de 1836. L’effet fut considérable : les auditeurs affluèrent, parmi lesquels un grand nombre de protestants, des hommes instruits, comme Gladstone et lord Brougham. Le but de ces conférences était de combattre les préventions anglaises, non par la controverse, mais par le simple exposé des idées catholiques. C’est ainsi que Wiseman établit le principe d’autorité opposé au jugement privé, qu’il montra dans l’Église catholique l’autorité vivante qui fait défaut dans toute Église séparée. Il aborda ensuite l’exposé des doctrines catholiques, mal comprises ou défigurées par le protestantisme : pénitence, purgatoire, indulgence, invocation des saints, vénération des images et des reliques, transsubstantiation. La clarté de l’exposé, l’apport de preuves appropriées à l’état d’esprit des auditeurs,

le don de persuasion de l’orateur, la courtoisie et l’absence de polémique dans ses démonstrations, touchèrent ses compatriotes et provoquèrent la conversion de plusieurs anglicans de marque, entre autres celle du célèbre architecte Pugin. Chez beaucoup les préjugés contre l’Église romaine diminuèrent ; on parla et on discuta de ces conférences ; l’attention était attirée sur l’Église catholique, si méprisée encore par les anglicans. Parmi les catholiques, si quelques-uns étaient déroutés par une méthode si différente de l’apologétique courante, beaucoup étaient flattés de l’importance que reprenaient leur foi et leur Église aux yeux de leurs compatriotes. Ils firent frapper une médaille portant sur une face l’effigie de Wiseman et sur l’autre cette inscription : Nicolao Wiseman, avita religione forli suavique eloquio vindicata catholici Londinenses, MDCCCXXXVI. Cf. Thureau-Dangin, op. cit., t. i, p. 134-139.

Wiseman ne pouvait pas rester en Angleterre ; il ne voulait pas d’autre part que l’œuvre si heureusement commencée fût interrompue. Pour la continuer, il fonda, avec l’aide d’O’Connell et de Quinn, le périodique trimestriel Dublin Review, demeuré l’organe scientifique le plus important des catholiques anglais. Le dessein qu’il poursuivait en fondant cette revue, qu’il voulut actuelle et vivante, était de-faire connaître au public anglais « le génie du christianisme sous sa forme catholique », Ward, The life and lime o cardinal Wiseman, t. i, p. 252, par l’exposé des questions actuelles. Dans le premier numéro, paru en mai 1836, il donna l’exemple en traitant du cas du D r Hampden dont la nomination de regius professer de théologie avait soulevé de graves controverses parmi les anglicans. Cf. ici Oxford, t. xi, col. 1689 sq. La Revue de Dublin allait suivre de près le mouvement d’Oxford, le surveiller, s’efforcer de le redresser : les catholiques ne pouvaient plus y demeurer indifférents. D’autres périodiques sont créés peu après la Revue de Dublin, avec l’appui et l’encouragement de Wiseman : en 1837, un recueil mensuel, le Catholic Magazine et, en 1840, un hebdomadaire, le Ta blet.

III. Le vicaire apostolique (1840-1850). — L’Angleterre attirait de plus en plus Wiseman : en 1839, il y prêcha comme un missionnaire « quatre-vingt-dix fois en six semaines et une heure chaque fois ». Ward, op. cit., t. i, p. 355. C’est en Angleterre que devait être son véritable terrain d’action. Le 8 juin 1840, le cardinal Fransoni le consacrait au Collège anglais évêque de Melipotamus, comme coadjuteur de l) r Walsh, vicaire apostolique du district de Midland.

Quelques jours après, le 8 juillet 1840, Grégoire XVI portait de quatre à huit le nombre des vicariats apostoliques d’Angleterre ; le vicariat du Midland était partagé en deux : vicariat du Centre et vicariat de l’Est ; Mgr Walsh, devenu vicaire apostolique du Outre, conservait son coadjuteur qui recevait en même temps la charge de président du nouveau collège d’Oscott, près de Birmingham, où il fixa sa résidence : cette résidence allait devenir le centre de réunion des catholiques les plus notables. En août 1847, il devenait pro-vicaire apostolique du district de Londres, après la mort de Mgr Thomas Grifïiths (12 août 1847), puis coadjuteur de Mgr Walsh, transféré au vicariat apostolique de Londres, 8 juillet 1848, et enfin à la mort de ce dernier, 18 février 1849, il lui succédait comme vicaire apostolique du district de Londres, se trouvant ainsi placé à la tête du clergé’ni holique anglais.

Son programme était vaste et bien approprié aux circonstances : obtenir l’abrogation des injustices qui pesaient sur les catholique ! dans le domaine civil et politique, faire participer les catholiques à la vie

publique de la nation, développer leur vie religieuse et scientifique, les attacher plus étroitement au Siège apostolique, en les détournant d’un certain nationalisme qui, émanation du gallicanisme, dominait dans certains milieux ecclésiastiques et laïques. Il se heurtera à l’opposition d’un grand nombre de catholiques anglais quand il prétendra ranimer le culte public, rétablir les anciennes manifestations oubliées de la piété catholique. On lui reprochera son romanisme, l’introduction d’une piété italienne en désaccord avec le tempérament national : tant les siècles de persécution avaient marqué leur empreinte sur le clergé catholique anglais, entravé dans l’expression de sa foi par une timidité passive et inerte, habitué à des formes de culte et de prière plus froides que celles du continent.

Mais sa grande préoccupation était toujours le mouvement d’Oxford. Il suit de près les diverses manifestations des tractariens, écrivant, par exemple, à Newman après la publication du tract 90 pour protester contre la distinction qu’il prétendait établir entre la doctrine officielle de l’Église et certaines corruptions tolérées par elle ; il publie d’autres articles dans la Revue de Dublin, sur la position illogique des tractariens, articles réunis en volume, sous le titre High Church daims, 1841. Il exprime son sentiment lors de l’affaire Gorham, cf. ici Puseyisme, t. xiii, col. 1370 sq., en mettant en relief, dans la Revue de Dublin de mars 1850, l’inconséquence et l’impuissance des défenseurs des idées High Church, et en proclamant de la chaire de sa pro-cathédrale, le 17 mars 1850, que le seul moyen pour les anglicans de sauvegarder leur indépendance spirituelle était d’en appeler à la seule autorité religieuse, à l’Église catholique, dont ils ont commis la faute de se séparer.

Il s’efforce aussi d’entrer en relations avec les tractariens romanisants, Ward, Oakley, Bloxam ; il cherche sans résultat à atteindre Newman. Il sent de la défiance ; aussi n’insiste-t-il pas. Par les premiers convertis, restés en relations avec les membres du mouvement, Lisle Philipps, Pugin, il travaille à dissiper les préventions, à corriger les fausses conceptions que les anglicans se font du catholicisme. S’il ne peut intervenir directement, il laisse faire le temps, comprenant que le fruit mûrissait lentement mais sûrement.

Wiseman devait d’ailleurs lutter aussi contre l’incompréhension des catholiques qui, sous « l’empire de méfiances et de ressentiments séculaires, ne parvenaient pas toujours à comprendre qu’il pût leur venir quelque chose de bon de leurs persécuteurs ». Thureau-Dangin, op. cit., t. i, p. 227. Sur toutes ces difficultés provenant des anglicans et des catholiques, il s’expliqua publiquement dans une brochure parue en 1841, sous forme de Lettre au comte de Shrewsbury. Cf. Thureau-Dangin, op. cit., t. i, p. 228-231.

Wiseman fut heureux d’aider, à la fin de 1842, à la conversion du révérend Bernard Smith, recteur de I.cadenham, ancien fellow de Magdalen. qui abjura après une retraite faite à Oscott, sous la direction du coadjuteur. Quant à Newman, ce ne fut qu’après sa conversion (1845) qu’il entra en relations avec Wiseman : « Jamais, écrira ce dernier, quelques jours plus tard, l’Église n’a reçu un converti qui se soit approché d’elle avec une foi plus droite et plus simple. » Ward, op. cit., t. i, p. 433. Wiseman voit dans les ion vertis d’Oxford qui, en grand nombre, suivirent l’exemple de Newman, « un afflux de sang nouveau…, et des hommes pleins de l’esprit de l’Église priml tive ». Ward, op. cit., t. i, p. 385. Il les reçoit avec joie, leur donne asile dans une dépendance de son collège d’Oscott, dirige Newman et Ambroise Saint John vers Borne, où les suivront d’autres convertis, (.’est 35 G 7

WI S E M A N. L’A RC H E V Ê Q U E

3568

avec l’aide et l’encouragement de Wiseman que N’ewman fonda, en 1847, à Birmingham, la première maison de l’Oratoire. Cette nouvelle société jouera un rôle important dans l’exécution du programme religieux que s’était tracé Wiseman.

D’autres congrégations religieuses furent appelées par Wiseman en Angleterre en 1849-1850, afin d’organiser des exercices spirituels pour le clergé, d’avoir sous la main des missionnaires pour réveiller la vie religieuse chez les catholiques.

Un événement important fait ressortir le redressement de l’Église catholique en Angleterre à la fin de cette période de la vie de Wiseman : la consécration, en 1848, de la cathédrale Saint-George à Southwark, construite par l’architecte Pugin : c’était la plus grande église érigée par les catholiques à Londres depuis la Réforme. Wiseman procéda à cette cérémonie, entouré de quatorze évoques, dont ceux de Trêves, de Luxembourg et de Liège, et de deux cent quarante prêtres.

IV. L’archevêque de Westminster (1850-1865).

— À la suite de l’émancipation de 1829, grâce à l’action de Wiseman et aux conversions de plus en plus nombreuses issues du mouvement d’Oxford, le nombre des catholiques s’était considérablement accru ; le régime des pays de mission ne répondait plus aux besoins actuels ni à la situation qu’avait acquise l’Église catholique en Angleterre ; on sentait le besoin d’une hiérarchie épiscopale régulière, pour donner plus de dignité et plus d’influence à l’Église catholique de ce pays.

Le rétablissement de la hiérarchie.

1. Le bref

universalis ECCLESi^E du 29 septembre 1850. — Le rétablissement de la hiérarchie en Angleterre fut un acte unilatéral : il n’y avait pas de relations diplomatiques normales entre la cour de Saint-James et la Curie pontificale. Cela explique en partie l’opposition que soulèvera le bref de Pie IX. Un bill rétablissant une représentation officielle des deux gouvernements à Rome et à Londres avait cependant été voté dans les deux chambres et pourvu de la sanction royale, le 4 septembre 1848, mais un amendement s’opposant à ce que toute personne dans les saints ordres soit reçue en Angleterre comme représentant du pape rendit le bill inacceptable. Au cours des débats, sir Robert Inglis demanda au premier ministre, lord J. Russell, s’il avait entendu parler d’un projet du pape de diviser l’Angleterre en diocèses et de nommer un archevêque de Westminster et s’il avait donné son assentiment à un tel projet. Le ministre répondit qu’il ne connaissait rien d’un tel projet du pape et ne donnerait pas son approbation à la formation de tels diocèses dans les domaines de la reine. F.-W. Cornish, A History of the English Church in the XIX. Centunj, t. i, p. 340. Cependant le même John Russell avait déclaré en 1845 au Parlement qu’il « serait absurde et puéril » de faire des histoires au sujet de titres identiques.

La question du rétablissement de la hiérarchie avait été soumise au Saint-Siège en 1847 par Wiseman, agissant au nom des vicaires apostoliques. La Quarterly Review de décembre 1847 dévoilait l’intention du pape de créer en Angleterre des évêchés territoriaux. « On affirme que les documents concernant la réorganisation de l’Angleterre catholique romaine ont été montrés par le pape lui-même à lord Minto (beau-frère de lord J. Russell, envoyé en mission politique en 1847 auprès des cours italiennes) et que lord Minto donna quelque sorte d’assurance que le gouvernement anglais ne ferait pas d’objection au projet. » F.-W. Cornish, op. cit., t. i, p. 341. Si ce renseignement est exact, on ne comprend plus l’attitude de lord Russell après la publication du bref.

La question était résolue en 1848 (après l’intervention de Mgr Ullathorne, vicaire apostolique du district de l’Ouest), mais la fuite’du pape à Gaëte retarda la mise à exécution. En juillet 1850, Wiseman est appelé à Rome. Il avait été informé, fin 1849, par le cardinal Antonelli, qu’il serait fait cardinal au prochain consistoire. Avant de partir, il passa chez le premier ministre et parut avoir compris de la conversation qu’il eut avec lui que le gouvernement ne s’opposerait pas à l’établissement d’une hiérarchie romaine en Angleterre, si la cour pontificale décidait de prendre une telle mesure. Cf. F.-W. Cornish. op. cit., t. i, p. 342.

Wiseman partit, croyant laisser l’Angleterre pour toujours, condamné à des chaînes dorées, et abandonner tout espoir de travailler à la conversion de son pays ; mais beaucoup de ceux qui avaient été témoins de son action et de son influence dans ses deux vicariats apostoliques étaient intervenus auprès du Saint-Siège et Pie IX avait décidé, tout en le nommant cardinal, de le renvoyer dans son pays comme archevêque de Westminster. C’est ce qu’apprit Wiseman en arrivant à Rome, en septembre 1850. Il était bien l’homme capable de faire passer dans la pratique avec succès le plan pontifical et de faciliter l’adaptation au nouveau régime : il avait déjà préparé la voie en fusionnant les éléments anciens et figés dans leur attitude des catholiques de naissance a, vec les éléments nouveaux et progressistes des convertis de l’anglicanisme.

Le 29 septembre 1850 paraissait le bref Universalis Ecclesiæ. Les huit vicariats apostoliques étaient supprimés et remplacés par un archevêché et douze sièges épiscopaux. Les districts qui leur étaient assignés étaient délimités d’après le comtés et ils portaient des titres territoriaux ; mais ces titres sont soigneusement choisis pour ne pas concorder avec ceux des évêques anglicans. Les motifs invoqués sont le nombre croissant des catholiques, la suppression des obstacles à l’expansion de la foi, le désir général du clergé et des laïques exprimé dans des pétitions. « Le moment est venu où devait être restaurée en Angleterre cette forme de gouvernement ecclésiastique qui prévaut en tout pays. » Le lendemain 30 septembre, en consistoire secret, Wiseman était créé cardinal-prêtre ; le 3 octobre, en consistoire public, il recevait le chapeau rouge et on lui assignait pour titre l’église Sainte-Pudentienne. Dans ce même consistoire public, il demandait et recevait des mains du pape le pallium.

2. La réaction contre V « agression papale ». — Le 7 octobre, Wisemann annonça aux catholiques anglais cet événement important dans une lettre pastorale écrite Hors la Porte Flaminienne. Il y laisse éclater sa joie, parlant des bénédictions versées sur l’Angleterre « qui voit restauré son véritable gouvernement hiérarchique en communion avec le siège de Pierre », et qui « a retrouvé son orbite dans le firmament religieux d’où sa lumière avait longtemps disparu ».

Dès que le bref pontifical fut connu à Londres, il provoqua un accès furieux d’antipapisme. La lettre pastorale, lue dans les églises et publiée par les journaux, porta au comble l’indignation. L’excitation atteignit toutes les classes du pays ; elle n’atteignit pas seulement les catholiques, mais aussi les partisans du mouvement d’Oxford. La reine, dans sa réponse à une adresse de l’épiscopat dit à ses évêques : « Vous pouvez vous reposer sur ma détermination de soutenir également les droits de ma couronne et l’indépendance de mon peuple contre toute agression et empiétement d’une puissance étrangère. » F.-W. Cornish, op. cit., t. i, p. 346. Lord J. Russell, qui paraît bien avoir eu connaissance de l’acte

pontifical en préparation et l’avoir approuvé, aurait pu calmer les esprits. Il agit en politique, espérant qu’une manifestation antipapiste consoliderait son gouvernement branlant. Dans la lettre qu’il écrivit le 4 novembre 1850 à son ami le D r Malthy, évêque de Durham, il applique à la dernière agression papale contre le protestantisme les qualificatifs « insolente et traîtresse » ; il se plaint d’une « prétention à la suprématie sur le royaume d’Angleterre, d’une revendication d’une autorité unique et individuelle, incompatibles avec la suprématie de la reine, avec les droits de nos évêques et du clergé, avec l’indépendance spirituelle de la nation, telle qu’elle était affirmée même à l’époque du catholicisme romain ». Le danger qui l’alarme plus qu’une agression de souverains étrangers est celui qui provient « des fils indignes de l’Église d’Angleterre elle-même…, qui ont été les plus empressés à conduire leur troupeau pas à pas au bord même de l’abîme ».

Cette attaque contre les puseyistes, avec quelques lieux communs sur les « glorieux principes et les immortels martyrs de la Réforme, les mômeries de la superstition, etc. », termine un document qui anticipe l’éclat tumultueux qui eut lieu le jour suivant à Londres et dans d’autres villes, surtout à Salisbury et à Exeter où, au lieu de brûler comme d’habitude l’effigie de Guy Fawkes, celles du pape, du nouvel archevêque et de ses suffragants furent traînées en procession et jetées au feu. Cf. W. Cornish, op. cit., t. i, p. 346 sq.

Quelques jours après, le 9 novembre, le lord chancelier Truro parlait à Mansion House d’ « insulte, de triomphe, de domination…, de perfidies à l’intérieur et d’ennemis à l’extérieur…, d’un chapeau de cardinal égal à la couronne d’Angleterre ». F.-W. Cornish, op. cit., 1. 1, p. 345. Le clergé anglican est encore moins modéré dans l’expression de son indignation. « La lettre papale, écrit V Animal Register, ignore complètement son mandat, traite l’épiscopat comme nul, les diocèses comme vacants, la juridiction des évêques comme suspendue… » Le parti euangelical voyait dans cette intervention un excitant à son horreur du papisme ; les highehurchmen la ressentaient comme une violation de l’unité catholique et de cette règle catholique qui défend l’intrusion d’un second évêque dans un diocèse déjà occupé. Les évêques, répondant dans leurs mandements à l’adresse du clergé, emploient les termes « servitude étrangère », « audacieuse agression », « prétention révoltante et épouvantable ». Blomfield parle « d’une insulte voulue à la souveraine et à l’Église de ce pays… par les émissaires de ténèbres ». Deux évêques seulement, Stanley et Thirlewall, eurent le courage de ne pas placer leur signature au bas de l’adresse de protestation à la reine. Les journaux, Guardian et Record, limes et Standard, protestaient unanimement contre les prétentions romaines et contribuaient à rendre tout apaisement Impossible.

(, c qui est plus surprenant, c’est de voir certains milieux catholiques approuver cette campagne odieuse contre la restauration de la hiérarchie : le duc de Norfolk, chef des catholiques romains anglais, approuva la lettre (le lord Kussell à l’évêque de Durham : Les opinions ultramontalnes, écrivait-il, soni totalement Incompatibles avec l’allégeance a notre souverain et avec noire constitution. l.ord BeaumOBt aussi, un autre pair catholique, qui avait fait adopter en 1845 un bill pour la suppression de certains Arts anlicatholiques, prenail un Ion semblable.

Le Parlement intervint : en 1851, les deux chambres niaient a d’énormes majorité ! un bill, présenté le Kl février par lord Kussell, frappant d’une amende de

cent livres toute personne usurpant dans le Royaume-Uni le titre d’un des prétendus sièges épiscopaux. Le bill fut mort-né : il aurait fallu faire une exception en faveur de l’Église épiscopalienne d’Ecosse, où l’Église presbytérienne était seule Église d’État. Il demeura cependant dans la législation jusqu’en 1871, date à laquelle Gladstone le fit supprimer ; mais il ne fut jamais appliqué : archevêques et évêques continueront d’utiliser en public et en privé les titres territoriaux que le pape leur avait conférés. Cf. F.-W. Cornish, op. cit., t. i, p. 346-351.

Quelle cause donner à cette explosion de l’indignation populaire ? Un récent historien (anglican) de l’Église d’Angleterre, F. Warre Cornish, vice-recteur du collège d’Eton, a tenté de l’expliquer, sans chercher d’ailleurs à la justifier. Il fait appel en premier lieu à l’ignorance invincible de l’esprit anglais ordinaire en ce qui concerne l’Église romaine ; puis aux préjugés toujours vivâces : si les Anglais ont une conception libérale du christianisme, ils conservent les préjugés d’il y a trois siècles, époque « où l’indépendance de l’Angleterre était menacée par les puissances catholiques du continent, danger qui n’existait plus en 1850°. Le style imagé de la lettre pastorale fut interprété littéralement, et on y vit une insulte délibérée à la Couronne, au Parlement, à l’Église et au peuple d’Angleterre. Alors que la lettre n’était adressée qu’au clergé et aux fidèles de l’obédience romaine, on ne comprit pas que l’épiscopat anglican y fût ignoré, ainsi que l’existence de toute autre Église. Des expressions comme celle-ci : « nous gouvernerons et continuerons de gouverner et administrer avec juridiction ordinaire les comtés de Middlesex, Hertford faisaient scandale, parce qu’on n’y faisait aucune mention de la reine ni des évêques existant dans le pays. Il est bien évident qu’il ne s’agissait que d’un gouvernement spirituel, s’exerçant sur les seuls catholiques. On ne pouvait admettre cette autre phrase de Wiseman, affirmant que l’Angleterre « avait retrouvé son orbite dans le firmament religieux, d’où sa lumière avait longtemps disparu », car on interprétait de l’Église établie ce que le nouveau cardinal disait de l’Église catholique. Le feu était attisé par certaines intempérances de langage des catholiques romains dans le TabIet, V Univers, par l’éclat donné aux cérémonies d’intronisation des nouveaux évêques, par le discours de Newman, quand Ullathornc prit possession du siège de Birmingham : « Le peuple anglais, y disait Newman, qui, pendant si longtemps, fut séparé du siège de Rome, est suivant sa propre volonté réuni à la sainte Église. » Cornish, A history of English Church in the nineteenth Century, t. i, I>. 3 13 sq.

Toutefois on ne comprend pas ce mauvais accueil fait au bref pontifical, puisque les documents issus de la Curie pontificale n’existaient pas plus aux yeux de la loi anglaise que ceux qui provenaient des autorités des communautés baptistes ou westeyiennes : le bref n’intéressait que les membres de l’Église romaine dans le nouvel "archevêché. L’émancipation catholique d’ailleurs, si elle avait un sens, était une invitation à l’Église romaine de sortir de l’ombre où elle était tenue depuis des siècles. L’organisation en vicariats apostoliques territoriaux avait été acceptée et l’intervention de Grégoire XVI, en 1840, portant de quatre à huit ces vicariats, n’avait suscité aucune opposition. Lu Irlande, les titres territoriaux étaient Officiellement reconnus ; l’officielle Dublin Gazette du

7 août 181 ! » parlait de l’i archevêque catholique romain de Dublin. Des sièges romains venaient

d’être créés en Australie, au Canada et eu Nouvelle

Ecosse, avec titres territoriaux reconnus par le gouvernement colonial et métropolitain. W ISR M A N. L’A RC H E V Ê Q UE

3572

3. L’appel au peuple anglais.

Wiseman était loin de se douter de l’agitation causée par le bref Universalis Ecclesiæ et par sa lettre pastorale. Après la cérémonie du 30 septembre, le nouveau cardinal partit de Rome à petites journées pour rentrer en Angleterre. A Vienne, le 30 octobre, il apprend par le Times l’opposition de ses compatriotes au bref pontifical. Il en est vivement touché, mais il ne réalise pas encore la gravité de la situation. Il envoie à lord Russell une lettre d’explication et continue tranquillement son voyage jusqu’à Bruges, où il arrive dans la seconde semaine de novembre. Là, il est pleinement renseigné sur la gravité de la situation. Aussitôt son parti est pris : méprisant les conseils de prudence qui lui sont donnés par ses amis, il se remet en route et arrive à Londres le Il novembre. Trois jours lui suffisent pour rédiger une petite brochure : Appeal to the Reason and good jeeling of the English People, qui parut le 15 novembre. Cet appel à la raison du peuple anglais est, comme le note dans son Journal Charles Greville, du Conseil privé, « un véritable manifeste dans lequel il (Wiseman) prouve de façon irréfutable que tout ce qui a été fait est parfaitement légal et est une question de discipline ecclésiastique qui ne nous intéresse en aucune façon. » F.-W. Cornish, op. cit., t. i, p. 348.

Un rapide examen des faits récents, des attaques de la presse, de la partialité des ministres, avait persuadé l’archevêque qU’il n’y avait plus qu’un recours possible après le tribunal de Dieu : s’adresser directement à « l’amour de la probité et de la loyauté qui est l’instinct naturel de l’Anglais…, à cette répulsion pour tout avantage usurpé, toute tricherie, toute embûche malhonnête, toute clameur de parti, employés pour renverser même un rival ou un ennemi… C’est à ce tribunal impartial, franc et humain, que j’en appelle et que je demande pour moi et pour mes coreligionnaires catholiques d’être entendus librement, loyalement et avec impartialité ».

II montre ensuite combien ses compatriotes ont été égarés, trompés quant aux faits et aux intentions. L’acte du pape est certes une négation de la suprématie royale, mais de la suprématie religieuse seulement ; et celle-ci est rejetée aussi bien par les dissidents que par les catholiques. Aucun préjudice n’est porté aux évêques anglicans : le bref n’intéresse que les catholiques. Le chapitre anglican de Westminster n’a pas à craindre que le nouvel archevêque le trouble dans la jouissance des honneurs et des richesses de l’antique abbaye. Mais « autour de l’abbaye de Wesminster s’étendent des labyrinthes de ruelles…, de bouges, hideux repaires de l’ignorance, du vice, de la dépravation et de crimes… Une population presque innombrable, qui est en grande partie catholique (de nom tout au moins), y fourmille… Voilà la seule partie de Westminster que je convoite ». Il reproche enfin leur attitude aux ministres de l’Église établie. « Les chaires et les meetings, les églises et les hôtels de ville sont devenus indistinctement les théâtres de leurs exploits ; ils ont prononcé des dicours, proféré des mensonges, répété des calomnies, lancé des mots brûlants de mépris, de colère et de haine, remplis de sentiments impies, indignes d’ecclésiastiques et de chrétiens, contre des gens qui avaient été presque les seuls à les traiter avec respect. » Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 209-214.

La brochure eut tout de suite une très large diffusion : trente mille exemplaires sont vendus le premier jour ; elle est reproduite par les cinq plus grands journaux quotidiens de la capitale, y compris le Times. L’effet fut considérable. Si le cardinal n’obtint pas immédiatement gain de cause, l’agitation se fit moins violente, au moins momentanément. Le Times dut reconnaître la justesse des observations du cardi nal : il chercha à excuser son attitude par ce que les précisions nécessaires n’avaient pas été données qui eussent fait mieux comprendre les deux documents. La lettre de lord J. Russell n’est plus unanimement approuvée ; Roebuck, un libéral, reproche à son auteur d’avoir, à l’heure « où la paix et la bonne harmonie allaient se rétablir, profité de sa grande situation pour souiller parmi nous l’esprit de haine et de discorde, déchaîné le démon de la persécution, divisé un grand empire qui, sans votre fatale intervention, allait enfin connaître les bienfaits de l’union, de la paix et de la prospérité ». Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 216. Gladstone prend parti pour Wiseman parce que ses amis de la Haute Église avaient été attaqués en même temps que les catholiques romains ; Disræli, enfin, est heureux de mettre son adversaire J. Russell en contradiction avec lui-même.

Cependant Wiseman continuait d’agir sur l’opinion par des conférences dans la pro-cathédrale Saint-George : Three Lectures on the Catholic Hierarchy, delivered in St-George’s Sdulhwark, 1850. Mais le mouvement d’opposition avait été trop violent : les manifestations continuèrent, devinrent des émeutes où souffrirent catholiques et puseyistes. « Wiseman perdit de sa popularité dans cette bagarre, mais il est hors de doute que son Église gagna à une affirmation bruyante (la première depuis la Réforme) de sa vitalité, et qu’en dépit des caricatures par lesquelles Punch termina cette bataille l’archevêque de Westminster fut dès lors aux yeux de ses compatriotes tout autre chose qu’un monsieur simplement habillé de rouge. » E. Dimnet, La pensée catholique dans l’Angleterre contemporaine, p. 18.

2° L’administration de l’archevêché de Westminster.

— 1. Difficultés et premières mesures. — Le cardinal Wiseman commençait son ministère archiépiscopal au milieu des difficultés extérieures ; il rencontrera bientôt dans ses efforts pour mettre sur pied la nouvelle organisation d’autres obstacles qui proviendront des catholiques et de son entourage, et qui ne seront d’ailleurs que la continuation de ceux qu’il avait dû surmonter durant son vicariat apostolique. « Son optimisme envers et contre tout et son tempérament autoritaire lui firent des ennemis, et il était porté à considérer que les « droits » revendiqués par d’autres entravaient le développement de ses projets. Le clergé diocésain avait peu de sympathie pour ses réunions et lectures publiques, alors qu’il les comparait avec la rareté de ses contacts familiers. Descendre dans le détail est essentiel au succès d’une autocratie, et à cela il ne pouvait se résoudre. Les évêques lui étaient opposés, qui se souvenaient de l’indépendance réciproque des vicaires apostoliques… Il lui fut impossible de se concilier les anciens catholiques, bien que certains lui fussent fortement attachés. » David Mathew, Catholicism in England, p. 198 sq. « Les prêtres de paroisses (se montraient) mécontents d’un système qui ne leur donnait qu’une part illusoire dans le choix de leurs chefs et permettait à l’évêque de les déplacer à son gré. » E. Dimnet, op. cit., p. 40.

Wiseman avait vu dans le rétablissement de la hiérarchie un moyen de donner à l’Église plus de stabilité et de vitalité. L’œuvre de restauration sera en partie réalisée lors des réunions de ses suffragants en conciles provinciaux à Oscott, en 1852, 1855 et 1859. Cf. Collectio Lacensis, t. iii, col. 895 sq. On y traita en particulier de l’organisation de l’enseignement élémentaire, de l’érection du Collegio Pio à Rome, de l’amélioration du sort des détenus catholiques et du mariage chrétien.

Mais l’organisation matérielle était secondaire pour Wiseman. Il sentait avec raison que pour faire sortir de l’ombre l’Église catholique, lui donner du prestige

et étendre son influence, il fallait relever le niveau intellectuel des catholiques anglais, les rapprocher de | la vie sociale et intellectuelle de leurs compatriotes. |

2. Efforts pour le relèvement de l’Église catholique. — Il entreprit lui-même d’éclairer les esprits par des publications, comme cette apologie où sa science historique et son dévouement à la papauté se reflètent dans les souvenirs qu’il rapporte sur les quatre premiers papes du xixe siècle, Pie VII, Léon XII, Pie VIII, Grégoire XVI : Recollections of the last four Popes, Londres, 1858. Auparavant il avait publié quatre conférences sur les concordats : Four advent Lectures on Concordats, Londres, 1854. Son grand instrument d’action et de propagande sera toujours pour Wiseman les conférences dans les grandes villes sur les questions littéraires et artistiques, réunions qui de fait attirèrent des milliers d’auditeurs. Il voulait montrer aux protestants « que nous pouvons aussi bien qu’eux donner au public un régal intellectuel et que nous ne nous intéressons pas moins qu’ils ne le font au progrès du peuple ». Ward, Life of Wiseman, t. ii, p. 51. Dans ces Lectures il touche aux sujets les plus divers : alors qu’on était encore en pleine agitation antipapiste, il fait à Bath une conférence sur la vie religieuse dans les couvents de femmes, pour répondre aux odieuses calomnies répandues par des prétendues religieuses désabusées, sur l’ « éducation des pauvres, la guerre de Crimée, les dernières fouilles à Rome, la manière de former et d’organiser une galerie nationale de peinture, etc. » E. Dimnet, op. cit., p. 69. C’est ainsi qu’il fait aux marchands de Liverpool une conférence sur le commerce et l’art : The Highways of paceful commerce hâve been the Highways of Art, et une aux artisans de Manchester sur le dessin dans l’industrie : On the connection between the arts of design and the arts of production, publiées en volume en 1854. À la Royal Institution, il traite, le 30 janvier 1863, des Points of contact between science and arts. D’un autre genre, mais tendant au même but, est le roman historique qu’il publia en 1854 et qui, traduit en plusieurs langues, eut une très grande diffusion : Fabiola ou l’Église des catacombes..

Pour l’aider dans son œuvre spirituelle, il avait appelé, alors qu’il était coadjuteur du vicaire apostolique du Centre, plusieurs congrégations religieuses. Elles ne lui donnèrent pas pleine satisfaction, faisant appel à leurs constitutions pour refuser la charge des missions populaires qu’il leur proposait. Les oratoriens eux-mêmes, dont il avait suivi la formation et attendu le retour avec impatience, revinrent d’Italie parfaits religieux, mais avec une règle trop ancienne pour convenir à ses projets. C’est alors qu’il encouragea II. -E. Manning, nouveau converti qui cherchait sa voie, à créer la congrégation des oblats de Saint-Charles (voir ici Manning, t. ix, col. 1899 sq.). Ceux-ci se plieront mieux aux désirs de l’archevêque, mais ils rencontreront parfois dans l’entourage du cardinal une opposition à laquelle celui-ci ne s’attendait pas.

3. Wiseman et les convertis d’Oxford.

Depuis longtemps Wiseman avait compris le parti que l’on pouvait tirer des nouveaux convertis grâce à leur sérieuse formation dans les universités anglaises. Il nomma, en 1851, W.-G. Ward professeur de théologie au collège Saint-Edmond, au grand scandale de l’ancien clergé, ému de voir un laïque marié enseigner les sciences sacrées ; il fait nommer Oaklcy chanoine de Westminster : il accorde tout son appui au P. I-’abcr, supérieur de l’Oratoire de Londres qui devait ranimer chez les catholiques anglais les anciennes pratiques de dévotion et Imprimer une nouvelle direction a la vie spirituelle. Lorsque Manning abjura, le 6 avril 1851, l’archevêque comprit quelle influence pouvait exercer sur les catholiques et les anglicans l’ancien BJ( In

diacre de Chichester. En quelques semaines, du 29 avril au 15 juin, il lui conféra tous les ordres de la tonsure au presbytérat. Il le dirigea ensuite sur Rome pour y compléter ses études théologiques et, au bout de trois années, il obtint de Pie IX, qui aurait voulu le garder à Rome, qu’il revînt exercer son apostolat en Angleterre. Malgré les différences de tempérament qui séparaient Wiseman de Manning, l’archevêque de Westminster donna de plus en plus sa confiance au nouveau converti qui devint son conseiller écouté, surtout après le départ d’Errington.

Les relations de Wiseman avec Newman ne furent pas toujours cordiales, au moins en apparence. Pour aider Newman à vaincre la résistance que lui opposaient les évêques irlandais dans l’organisation de l’université de Dublin, il voulut le faire nommer évêquè in partibus. Le projet d’abord bien accueilli à Rome n’eut pas de suite, on ne sait pour quels motifs. Après l’échec de la création de l’université de Dublin, Newman avait eu l’intention de fonder à Oxford un couvent de l’Oratoire pour la protection des jeunes catholiques qui venaient suivre les cours de la célèbre université. Wiseman, qui avait été d’abord favorable au projet, se laissa circonvenir par Manning et une délibération des évêques du 13 décembre 1864 se déclara opposée à la fréquentation de l’université d’Oxford par les catholiques. C’était un acte de défiance contre Newman, que celui-ci sentit douloureusement. Cf. Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 373-380.

4. Conflit avec Errington.

En 1856, Wiseman avait senti le besoin de se faire aider dans le gouvernement de son diocèse et de se décharger sur un auxiliaire de la partie administrative qui lui était à charge. Il obtint de Rome comme coadjuteur avec future succession Mgr Errington, alors évêque de Plymouth. Wiseman et Errington s’étaient connus à Ushaw, puis au Collège anglais, où Wiseman devenu recteur avait pris Errington comme vice-recteur ; arrivé à Oscott, Wiseman avait nommé son ami préfet des études au séminaire. Malgré ces liens d’amitié, les deux prélats ne purent longtemps s’entendre. Errington avait accepté d’être le coadjuteur de Wiseman à condition que celui-ci ne réformerait jamais ses décisions quand il lui aurait permis d’en donner. Tous deux poursuivaient le même but, mais leurs moyens divergeaient : l’archevêque voulait infuser à son clergé et à ses diocésains l’esprit romain et introduire les dévotions romaines ; le coadjuteur, profondément et exclusivement anglais, entendait s’en tenir à la législation ecclésiastique existante et aux usages du clergé anglais.

Le conflit éclata à propos des oblats de Saint-Charles. Deux oblats avaient été nommés par l’archevêque professeurs au séminaire Saint-Edmond, où Ward enseignait déjà la théologie. L’esprit très romain des nouveaux professeurs déplaisait au clergé. Le chapitre profita du droit d’inspection sur les séminaires que lui avait donné le premier synode d’Oscott, pour intervenir, exiger de Manning qu’il lui soumît les points de sa règle concernant les séminaires. Manning communiqua sa règle aux chanoines, mais leur refusa le droit de porter sur elle un jugement canonique. Le chapitre passa outre et exclut du séminaire les prêtres de Saint-Charles. Errington, qui avait déjà contraint Ward à se retirer, se rangea du côté du chapitre.

Wiseman et Manning partirent pour Rome, soutenir l’appel que l’archevêque avait fait contre la décl lion du chapitre. Errington se défendit devant la Congrégation de la Propagande. On lui donna raison pour le fond ; niais Wiseman ri Manning avaient su

convaincre Pie l que toute collaboration était deve : }f)75

WISEMAN — WITASSE (CHARLES)

3576

cèi

nue impossible avec le coadjuteur. Celui-ci refusa de donner sa démission. Le pape dut le libérer de son office de coadjuteur et de tous ses droits sur le dio se où il l’avait exercé, 9 juin 1862. Cf. Dimnet, cit., p. 57 sq. ; Thureau-Dangin, op. cit., t. il, p. 306-316.

5. Les dernières années.

Wiseman rentra de Rome physiquement affaibli à la suite d’une opération dangereuse. Il se déchargea de [dus en plus des affaires administratives sur Manning, sans pourtant demeurer inactif. Toujours préoccupé de reconquérir dans l’esprit de ses compatriotes le terrain perdu lors des troubles de 1850, il multiplie ses conférences sur toutes sortes de sujets, ses articles dans les journaux et la Dublin Revieil’. Il assiste en 1863 au congrès de Malines, où il fut le principal orateur avec Montalembert. Son rapport traita des progrès du catholicisme en Angleterre depuis 1824.

De tendances modérées, il ne partagera pas les indignations excessives de son prévôt Manning dans la question du pouvoir temporel, ce qui ne l’empêcha pas de publier un mandement contre Garibaldi. Ward dit « qu’il ne se réjouit pas autant que d’autres de la publication du Syllabus, à une époque où cette charte de la dogmatique moderne paraissait une protestation contre l’attitude des puissances européennes, plutôt qu’une exposition simplement théologique, et semblait consommer la rupture entre l’Église et le monde moderne ». E. Dimnet, op. cit., p. 62. Et si parfois il s’écarte de cette modération, en s’opposant à la présence d’étudiants catholiques aux universités anglaises et à la création d’une société d’Union chrétienne, c’est sous l’influence de Manning. Il était convaincu que tout progrès scientifique, esthétique et social était « bon de soi et que l’Église catholique avait en elle le pouvoir parfois clair et évident, parfois obscurci et attendu de s’y plier et de l’élever ». E. Dimnet, op. cit., p. 71.

Un fait témoigne que ses efforts pour relever le prestige de l’Église catholique n’ont pas été vains. En 1865, le comité national du jubilé de Shakespeare lui demanda de faire une conférence à Albemarle Street sur le grand poète national : s’adresser à un cardinal de l’Église romaine pour célébrer un poète devenu l’incarnation de l’idée de patrie aurait été impossible un quart de siècle plus tôt.

La mort empêcha Wiseman de répondre à cet appel. Sa conférence était prête ; Manning en publia quelques fragments en 1865. Wiseman mourut le 15 février 1865. Il ne fut pas un génie et ne se classe pas parmi les théologiens. Mais ce fut un esprit curieux, ouvert à toutes les questions, comprenant l’importance de la science pour le prestige de l’Église catholique d’Angleterre et le relèvement de son clergé, sans avoir la ténacité voulue pour imposer ses idées et les faire entrer dans la pratique. Son influence déborda l’Angleterre : la plupart de ses ouvrages et de ses conférences furent traduits en allemand et en français ; la traduction française a trouvé place dans les Démonstrations évangéliques de Migne, t. xvi, col. 9-727.

Pour ce qui concerne les relations de Wiseman avec le parti tractarien, voir la bibliographie des articles Oxford et Puséyisme. E.-S. Purcell, Life of cardinal Manning, 2 vol., Londres, 1895 ; Wilfrid Ward, The life and times of cardinal Wiseman, 2 vol., Londres, 1897 ; T.-E. Bridgett, Cliaracteristics jrom the writings of Nicholas cardinal Wiseman, Londres, 1898 ; F. Warre Cornish, À hislory o/ English Church in the nineteenth Cenltirꝟ. 2 vol., Londres, 1933 ; David Mathew, Catholicism in England, Londres, 1937 ; E. Dimnet, La pensée catholique dans l’Angleterre contemporaine, Paris, 1906 ; Thureau-Dangin, La renaissance religieuse en Angleterre au XIXe siècle, 3 vol., Paris, 9e éd., 1919 ; A. Bellesheim, art. Wiseman, dans Kirchenlexikon, 2’éd., t. xii, col. 1710-1717 ; Ch. Kent, art. Wiseman,

dans Dictionary of national Bioyraphy, t. lxii, p. 243-246, Londres, 1900.

L. Marchal.