Dictionnaire de théologie catholique/WION (Arnold de)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1012-1013).

WION (Arnold de), né à Douai le 13 mai 1554, prit l’habit monastique à l’abbaye bénédictine d’Ardenburg, près de Bruges ; mais par suite des troubles religieux des Pays-Bas. il dut passer en Italie, où il fut reçu, en 1577, dans la congrégation de Sainte-Justine de Padoue, dépendante de celle du Mont-Cassin. Il a dû mourir dans les premières années du JCVne siècle. Outre une Vita sancti tierardi et un Miliologe d> l’ordre de Saint-Benoît, qui a été réédité par (loin Ménard en 1629, il n composé, à la gloire do son ordre, le l.ir/num vltæ, iimamrntum ri drrtis Ecclr siæ, 2 vol. in-l". Venise, 1595, description bio-bibliographique des personnages illustres de l’ordre bénédictin. On y trouve en particulier, afl I. 1 1. rangés dans l’ordre alphabétique de leurs sièges, les évoques en provenance de l’ordre.

i au mot Dunerulê (epiëcopiu) que l’auteur du Llgnum oitm fait mention de saint Malachie, un Irlandais d’abord moine de Bangor, puis archevêque d’Ar magh et qui, ayant démissionné vers 1 137, se contenta

du très modeste siège de Down, où il mourut le 2 novembre 1148. De l’activité littéraire de cet évêque Arnold de Wion sait seulement qu’il a écrit quelques opuscules, dont il n’a pu retrouver aucun « sinon une certaine prophétie relative aux souverains pontifes ; comme elle est brève, qu’elle n’a pas encore été imprimée, que beaucoup désirent la connaître, il l’ajoute » à la notice de Malachie. Suit une série de devises, toutes fort brèves et qui sont censées caractériser la personne ou le pontificat des papes depuis l’époque de Malachie jusqu’à la fin du monde. Il y a ainsi 1Il devises, à la dernière desquelles se rattache le petit développement qui suit : « Dans la dernière persécution de la sainte Église romaine siégera Pierre le Romain, qui paîtra ses ouailles en de multiples tribulations ; celles-ci passées, la cité aux sept collines sera détruite et le juge redoutable jugera son peuple. » Rien de plus bizarre que les diverses légendes attribuées aux papes successifs. En voici quelques-unes : n. 1, Ex castro Tiberis ; n. 9, Ex ansere custode ; n. 11, Sus in cribro ; n. 13, De schola exiel ; n. 46, Cubus de mixtione ; n. 56, De capra et albergo ; n. 72, Médium corpus pilarum. Et, pour prendre des exemples dans les derniers termes de la liste, à côté de devises qui présentent quelque sens : n. 102, Lumen in cœlo ; n. 103, Ignis ardens ; n. 106, Pastor angelicus, que d’autres qui constituent de véritables énigmes, ne seraient-ce que les trois dernières : n. 109, De medietate lunée (cf. n. 54, De modicitate lunœ) ; n. 110, De labore solis ; n. 111, De gloria olivee. Wion, d’ailleurs, en même temps que le texte de la prophétie, en donne une sorte de commentaire, juxtaposant à chacune des devises les noms des papes (et des antipapes), auxquels la devise est censée correspondre jusqu’à 1595. Le n. 1 est ainsi attribué à Célestin II (1113-1144), les n. 75-77 respectivement à Grégoire XIV (1590-1591), Innocent IX (1591) et Clément VIII (1592-1605). L’auteur prévient que ce travail d’adaptation et de commentaire n’est pas de lui, mais du dominicain Alphonse Ciacconius, l’auteur des Vilse et res gestee pontificum Romanorum et Romans Ecclesiee cardinatium. Des notes fort brèves justifient l’attribution à tel pape de telle devise. Après la date de 1595 on a été amené à prolonger indéfiniment le travail d’adaptation. C’est ainsi que l’on est arrivé aux indications relatives aux papes nos contemporains : n. 101, Crux de cruce (Pie IX) ; n. 102, Lumen in cœlo (Léon XIII) ; n. 103, Ignis ardens (Pie X) ; n. 101, Religio depopulata (Benoit XV) ; n. 105, Fides intrepida (Pie XI) ; n. 106, Pastor angelicus (Pie XII). Après quoi il ne reste plus jusqu’à Pierre le Romain que cinq termes.

Bien que l’authenticité de la prophétie ait été admise par bon nombre d’écrivains ecclésiastiques — on en trouvera rémunération exhaustive dans le livre de J. Maître — bien que la prédiction ait joui d’un vague crédit dans certains milieux romains, bien qu’elle continue, à chaque conclave, à retrouver un regain de célébrité, il serait bien hasardeux de lui accorder la moindre confiance. C’était, au xvii° siècle. le sentiment de Carrière. O. h". M., dans sa Chronologie des papes (1657) ; du bollandiste l’apebroch, Acta sanct.. Propyleum ad tornos Mail (I60.S), IP partie, app. I. éd. Palmé, p. 216*-217* ; du jésuite Cl. Ménestrier. dans sa Réfutation des prophéties faussement attribuées a saint Malachie. Paris. 1689. ("était, à la (in du xix" siècle, la conclusion d’A. Harnack dans un article de la Zeitschrift fur Kirchengesch., I. ni. 1879, p. 315321 ; d’A. Vacandard, dans la Reo. des quest. hist., nouv. série, t. viii, 1892, et l’on peut bien ajouter quc la massive défense de l’authenticité présentée par

.1. Maître constitue le meilleur réquisitoire contre celle

ci, tant y abondent les plus évidents paralogisme*.

En fait ce texte paraît pour la première fois en 1595 dans l’ouvrage de Wion, sans aucune indication d’origine, et il a été impossible de mettre la main sur la moindre trace dans un manuscrit quelconque. Personne n’en a jamais parlé entre la mort de saint Malachie et la publication du Lignum vitse. Tout porte donc à croire que le texte a pris naissance peu avant cette dernière date, soit que Wion l’ait fabriqué lui-même, soit -- hypothèse beaucoup plus vraisemblable — qu’il ne se soit pas mis suffisamment en garde contre un faussaire qui lui en a imposé. Cette supposition se renforce quand on examine la contexture de cette pièce bizarre. Les textes relatifs aux papes antérieurs à 1595 donnent, dans la majorité des cas, un signalement de l’ayant-cause qui se tire de diverses circonstances toutes personnelles : de son pays, de son nom de famille, de son prénom, de son titre cardinalice, des fonctions antérieurement remplies par lui, de telle conjoncture de son pontificat. Les explications données à ce sujet par Ciacconius sont généralement satisfaisantes ; tout se passe comme si un auteur du xvie siècle, bien au courant de l’histoire pontificale, avait cherché à donner de la personne de chaque pontife un signalement plus ou moins transparent. La seconde série de légendes, à partir de 1595, a un caractère tout différent. Bien que les notices soient du même style que celles de la première, il faut en général des prodiges d’interprétation pour permettre de l’adapter à tel pape plutôt qu’à tel autre. Que signifie, dans le cas de Léon XI qui a régné quinze jours, la devise Undosus vir (n. 78), ou pour Innocent XI la légende Bellua insatiabilis (n. 86) et tant d’autres ? Sans doute on fait état de la devise Peregrinus aposlolicus (n. 96) attribuée à Pie VI, où l’on veut trouver une prédiction des voyages volontaires ou forcés qui éloignèrent ce pape de sa capitale. Plus encore insiste-t-on sur YAquila rapax (n. 97), légende de Pie VII, où l’on veut voir une annonce des persécutions infligées à ce pape par Napoléon I er ! Mais on ne remarque pas que, dans cette interprétation, ce n’est plus le pontife lui-même qui est désigné, mais au contraire le persécuteur qui l’a fait souffrir ? L’épithète Vir religiosus (n. 99) appliquée à Pie VIII pourrait, sans aucun doute, être attribuée à bien d’autres papes des trois derniers siècles. La devise Canis et coluber (n. 98) — qui est construite sur le type de beaucoup de légendes de la première série (cf. De cervo et leone, n. 57 = Paul II ; Ex ansere custode, n. 9 = Alexandre III) — ne peut être appliquée ni à la personne de Léon XII, ni à son pontificat, sans des prodiges d’interprétation. Et c’est le cas ryur la plupart des devises des papes des xviie et xviiie siècles. Ce manque de correspondance n’est que faiblement atténué par quelques coïncidences heureuses, dont la plus connue est celle qui se remarque entre le n. 1 02, Lumen in cœlo, et son attribution à Léon XIII, qui, dans ses armoiries de famille, portait une « étoile dans le ciel » et dont l’enseignement fut toujours une si grande lumière dans l’Église. Mais cette rencontre ne saurait compenser les multiples échecs de l’interprétation symbolique appliquée aux pontificats des trois derniers siècles. En bref, à prendre les choses en gros, les devises de la première série s’appliquent d’ordinaire assez bien, moyennant un peu d’ingéniosité, à la personne des papes qu’elles prétendent désigner. Pour celles de la seconde série, elles ne rappellent pas, d’habitude, la personne des papes auxquels on les attache, et ce n’est que moyennant une exégèse subtile que l’on peut parfois leur faire exprimer la caractéristique d’un pontificat. L’hypothèse de la fabrication aux dernières années du xvie siècle de cette étrange composition est donc celle qui rend le mieux compte des particularités que relèvent et la

critique externe et la critique interne du document. Celui-ci n’est pas, à coup sûr, digne de tout le travail qui s’est dépensé autour de lui.

Pour la bibliographie, voir surtout U. Chevalier, Répertoire des sources historiques du M. A., Bio-bibliogr., art. Malachie. En même temps qu’une argumentation énorme en faveur de l’authenticité on trouvera tous les renseignements désirables et une très copieuse bibliographie dans J. Maître, La prophétie des papes attribuée à saint Malachie, Beaune, 1901.

É. ÀMANN.