Dictionnaire de théologie catholique/WIMPINA Conrad

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1010-1012).

WIMPINA Conrad, théologien catholique allemand (14657-1531). Il se nommait Koch. Son surnom lui vint de ce que sa famille était originaire de Wimpfen-sur-le-Ncckar. Il semble être né vers 1465, à Buchen ou Buchheim, au pays de Bade. Étudiant à Leipzig, depuis octobre 1479, il y devint bachelier en 1481, maître en 1485-1486. Son professeur, Martin Polich, était thomiste. Il le fut après lui. Ses premiers essais littéraires sont grossiers et barbares. Il manquait de goût et de facilité pour le style. Il se tourna vers la philosophie, fut admis en 1491 au conseil de cette faculté. Il obtint la faveur du duc Georges le Barbu. Kn 1494, il est recteur, en 1495, doyen de sa faculté, puis vice-chancelier, durant trois ans. Il s’était mis par ailleurs aux études théologiques : bachelier en 1491, sententiarius en 1491, enfin licencié en 1502. Il avait aussi reçu les saints ordres : le sous-diaconat en 1495, le diaconat et la prêtrise à des dates que nous ignorons. À partir de l’an 1500, il entre en querelle avec son ancien maître, Martin Polich, au sujet des rapports entre la poésie et la théologie. Wimpheling (voir ce mol) devait peu après être mêlé à une querelle du même genre entre Jacques Lochcr et Georges Zingel. Wimpina défendait la suprématie de la théo logie ea nobilitate nhjecti ejus, ChTisti. Martin l’olich répliqua par un Laconismes tumultuarius… in de/entlontm poettees. Cette époque avait vraiment le don pour trouver les titres étranges ! Wimpina riposta par une Responslo et Apologta contra Laconiimum où il traitait sans détenu son adversaire d’hérétique. Sur

ces entrefaites, Polich devenait professeur à la jeune université de Wittenberg. De sages interventions rétablirent la paix, en 1504, entre les deux lutteurs. Dans l’intervalle, en 1503, le cardinal-légat Raymond Peraudi avait récompensé Wimpina de sa vaillance en faveur de la théologie, en lui conférant le titre de docteur de cette noble science, à Leipzig. Wittenberg répliquait, trois semaines plus tard, en élevant Polich à la même dignité, par la bouche de Staupitz. Cette rivalité entre les deux universités de Leipzig et de Wittenberg se poursuivit dans les années suivantes. Pourtant, Wimpina ne devait pas rester à Leipzig. Répondant, en 1505, à l’appel de l’électeur Joachim de Brandebourg, il se rendait à Francfort-sur-1’Oder, en qualité de fondateur et de premier recteur de l’université du lieu. Il y travailla puissamment au développement du nouvel institut. Il était parvenu au comble de la gloire universitaire locale, quand il reçut, en 1518, au nombre des étudiants, un prédicateur devenu soudain célèbre, grâce à l’opposition bruyante de Luther, Jean Tetzel. Il allait de la sorte se trouver mêlé à ce que Luther appelait si volontiers « le tapage luthérien » (lutherische Làrm). Wimpina n’était pas du reste un inconnu pour Luther. Dans une lettre du moine de Wittenberg à son ami Georges Spalatin, en date du 20 décembre 1517 (Enders, Lulhersbriejwechsel, t. t, p. 133), on lit les lignes suivantes qui vont nous renseigner sur une discussion universitaire du temps : « J’apprends que le D. Conrad Wimpina prépare je ne sais quoi contre le pasteur de Zwickau…, parce que celui-ci repousse l’histoire de sainte Anne et rejette principalement l’existence des trois Marie. Il me paraît diflicile à réfuter. Et pourtant je ne voudrais pas que cette légende soit détruite par voie de discussion bruyante, mais plutôt, à cause du peuple, qu’on la laisse refroidir et tomber d’elle-même, surtout parce qu’il s’agit là d’une erreur qui découle de la piété et non de celle qui fait honorer les saints pour obtenir la richesse. » De quoi s’agissait-il donc ? La légende de sainte Anne voulait qu’elle eût été mariée trois fois. Ses trois maris auraient été Joachim, Cléophas et Salomé (que la légende prenait pour un nom d’homme I). De chaque mariage serait issue une Marie. Il y aurait donc eu trois Marie, dont la sainte Vierge, épouse de saint Joseph. Les deux autres auraient épousé Alphée et Zébédée. Le curé de Zwickau, Johann Wildenauer, qui signait Sylvius E granits, avait réfuté cette légende. Wimpina publia contre lui, en 1518, un ouvrage intitulé De diva Anna trinubio et trium flliarum ejus asseveratione libri III. Il admettait bien sans doute que Salomé est un nom féminin, mais il n’en maintenait pas moins les trois mariages de sainte Anne et l’existence de ses trois filles. Il invoquait notamment, à l’appui de la légende, un ouvrage que venait de publier l’archevêque d’Arles, en France, où il était affirmé que les deux sœurs de la Vierge, toutes deux appelées Marie, avaient prêché l’Évangile à Arles et y étaient ensevelies. Il est curieux d’observer que, précisément à la même date, une autre querelle des trois Marie se déroulait à Paris. Mais il s’agissait là d’une distinction établie par Lefèvre d’Êtaples entre Marie-Madeleine. Marie de Béthanie et la pécheresse anonyme de Luc, vii, 36 sq. On sait (pue dans la liturgie catholique ces trois Marie sont considérées, bien à tort, comme n’en faisant qu’une, que l’on appelle Marie-Madeleine (Faber

Stapulensis. De Maria Magdalena et Iridao Christi

disceptatlo, Paris, 1517 ; Jodocus Clichtoveus, Ditceplationis de Magdalena defensio, l’avis. 1519),

Mais de bien autres luttes allaient s’engager. I.e

tl octobre 1517, Luther avait affiché à la porte de la

collégiale de Wittenberg ses fameuses 95 thèses contre

les indulgences. Le prédicateur Jean Tct/cl. partiel] 3551

WIMIMNA (CONRAD ;

lièrement visé dans ces thèses, avait eu l’idée de répliquer par les voies universitaires. Il avait été élève à Leipzig. Il connaissait sûrement le docteur Conrad Wimpina. Poussé sans doute par ses supérieurs de l’ordre de Saint-Dominique, Tetzel vint le trouver à Francfort-sur-1’Oder. Ensemble, ils mirent sur pied des thèses destinées à combattre celles de Luther. Tetzel les développa et les soutint, en séance publique, à Francfort, le 20 janvier 1518. Les dominicains, au nombre de plus de 400, assistaient à ce triomphe académique. Les thèses furent ensuite imprimées. Un ballot de plus de 800 exemplaires arriva à Wittenberg, en mars 1518. Dans une lettre du 21, Luther disait à Spalatin : « Les étudiants, qui sont prodigieusement las des anciens programmes sophistiques d’études et incroyablement avides de la Bible, peut-être aussi poussés par leur affection pour moi…, ont entouré le colporteur, lui ont fait peur de ce qu’il osait apporter ici de telles choses, lui en ont acheté quelques exemplaires, enlevé les autres. Quant à ce qui restait, environ 800 — après avoir lancé des invitations à quiconque voudrait assister à la combustion et aux funérailles des thèses de Tetzel de venir sur la place publique à deux heures — ils ont tout brûlé, sans avoir prévenu ni le prince, ni le sénat, ni le recteur, ni aucun de nous. Certes, cette grave insulte faite par les nôtres à cet homme nous déplaît beaucoup à tousl » Enders, Luthersbriefwechsel, t. i, p. 170. Luther ajoutait immédiatement : « Tout le monde proclame le D. Conrad Wimpina véritable auteur de ces thèses et je regarde la chose comme certaine. »

Les critiques sont unanimes à partager l’opinion de Luther. Les thèses de Tetzel avaient bien été rédigées par Wimpina. Le biographe de Tetzel, Nicolas Paulus, regarde la chose comme indubitable. Il a publié ces thèses d’après un exemplaire original de la bibliothèque de Munich. Nous suivons ici sa numération la plus récente, car les thèses, au nombre, non point de 106, comme on le dit parfois, mais de plus de 122, furent réduites plus tard à 95, comme celles de Luther. Visiblement, Wimpina s’attache à réfuter les objections de Luther. Celui-ci avait insinué que les indulgences nuisent à l’esprit de pénitence ; qu’elles donnent une fausse sécurité ; qu’elles induisent le peuple à croire que l’on peut faire son salut sans la croix du Christ, en achetant le pardon papal ; que le pape ferait mieux de bâtir la basilique Saint-Pierre de son propre argent plutôt qu’avec celui des pauvres fidèles. Enfin, l’une des principales thèses de Luther était que le pape ne peut remettre que ses propres censures et nullement les peines imposées par la justice divine, encore moins celles des âmes du purgatoire, sur lesquelles il ne possède pas le pouvoir des clés.

C’est en se rappelant ces assertions de Luther qu’il faut interpréter les suivantes de Wimpina : « Que le pape n’entende pas, par rémission plénière, celle de toutes les satisfactions, mais seulement de celles qu’il a imposées, est une erreur. » Th. 26. « Le pape peut remettre pleinement par les indulgences la peine due aux péchés contrits et confessés, soit qu’elle vienne de lui, soit de la sentence d’un prêtre, soit de quelque canon ecclésiastique, soit même de la justice divine. Le nier est une erreur. » Th. 7. Toutefois « si complètement que l’on soit délivré de la peine par l’indulgence…, le fidèle ne doit aucunement se relâcher, durant toute sa vie, des œuvres satisfactoires, qui sont curatives, préservatives et méritoires ». Th. 8, 9, 49. « Il reste en effet des blessures du péché, un penchant, une facilité de récidive, et pour les guérir, comme pour ne pas tomber de nouveau dans le péché, sont nécessaires les peines médicatives, les croix, les mortifications. » Th. 93-94.

Un point sur lequel on discutait beaucoup, c’était de savoir si la contrition est nécessaire pour l’obtention de l’indulgence et pour l’achat des conjessionalia (lettres d’indulgence donnant au porteur le droit de choisir son confesseur et de se faire donner par lui, une fois dans sa vie, l’indulgence plénière au nom du pape). Très correctement, croyons-nous, Wimpina soutient que la contrition et la confession ne sont nécessaires qu’au moment de recevoir l’indulgence, mais non au moment où l’on achète le confessionale. De même, il soutient que la contrition n’est pas nécessaire pour gagner l’indulgence pour les défunts, lorsque seule l’aumône est exigée. L’indulgence pour les défunts, dit-il, n’agit que per modum suffragii. C’est du reste pour cela que, sans avoir le pouvoir des clés pour le purgatoire, le pape peut concéder de telles indulgences. Elles ne s’appliquent que selon la miséricorde divine et selon l’état de grâce des âmes des défunts. Donc, il suffit d’accomplir l’œuvre pieuse, par exemple l’aumône demandée pour la basilique Saint-Pierre, pour que l’indulgence soit applicable, si le pape l’a ainsi spécifié, aux âmes du purgatoire, per modum suffragii, th. 42, où l’auteur soutient que c’est même un dogme chrétien que ceux qui achètent le confessionale pour un ami, ou le jubilé pour les âmes du purgatoire, peuvent le faire sans avoir eux-mêmes la contrition. Par contre, pour gagner l’indulgence pour soi-même, il est formel : « Sans la foi, la dévotion, bien plus, sans la confiance dans les indulgences, elles sont inutiles. » Th. 59. — Au sujet de la basilique Saint-Pierre, Wimpina, réfutant Luther, déclare sagement : « Que le pape ne construise pas la basilique de Pierre de son propre argent, si on veut bien le comprendre, c’est un acte de pitié et non d’avarice de sa part, afin de pouvoir gratifier de ses indulgences ceux qui participent à une œuvre pieuse, leur remettre leurs peines et les sauver. C’est aussi justice que l’église commune à tous les chrétiens soit restaurée aux dépens de tous. » — On reprochait à Tetzel d’avoir dit : « Dès que retentit l’obole dans la caisse du percepteur d’indulgences, l’âme du purgatoire, pour qui elle est donnée, s’envole au paradis. » Luther avait tourné cette affirmation en ridicule. Il y avait là de toute évidence une exagération oratoire. Les prédicateurs y sont sujets 1 Wimpina répliquait prudemment : « L’âme s’envole (au paradis) quand elle entre en possession de la vision divine, ce qui ne peut être empêché par aucun obstacle (et ne demande aucun laps de temps). Quiconque déclare donc que l’âme ne peut (non citius posse) s’envoler plus vite que le denier ne retentit au fond de la caisse, se trompe. » Th. 34.

Wimpina ne cessa plus de combattre Luther jusqu’à sa mort. Dans l’intervalle, le novateur avait singulièrement élargi le champ des controverses doctrinales. Il avait bousculé sans pitié les dogmes les plus vénérables et les plus solides du catholicisme. Wimpina publia, en 1528, son principal ouvrage contre le luthéranisme, sous ce titre : Sectarum, errorum, hallucinationum et schismatum… anacephalœoseos. .. librorum partes très, Francfort-sur-Oder, 1528, désigné d’ordinaire sous le nom d’Anacephalœosis ou Récapitulation. Pour lui, le luthéranisme est le confluent de toutes les sectes et des erreurs de tous les temps. On y retrouve les hallucinations d’un Arius, mais surtout d’un Wyclif, d’un Jean Hus, de Jean de Wesel, de Wessel, et même l’antinomisme d’un Amaury de Bène. Cet ouvrage est un des plus forts qui aient été écrits, à cette époque, contre Luther et il est pénétré d’une ardente conviction.

Au temps de la diète d’Augsbourg, comme on avait publié la confession luthérienne dite des 17 articles de Schwabach (1529), Wimpina s’empressa de compo

ser avec ses collègues brandebourgeois, Mensing, Redorfer et Elgersma, une réfutation adressée à l’électeur de Brandebourg sous le titre : Instruction chrétienne contre la Confession de M. Luther.

Il était trop en vue pour ne pas être invité à travailler à la réfutation de la Confession d’Augsbourg, en 1530. De fait, il fut du nombre des théologiens catholiques appelés à cette œuvre. II devait mourir, peu après, dans sa patrie, à Amorbach, le 17 mai 1531, au couvent des bénédictins du lieu, et parmi les membres de sa famille. Ce théologien, au style souvent difficile, est cependant un bon témoin de l’état de la théologie catholique avant le concile de Trente.

Sources.

La plupart des ouvrages de Wimpina ont

été édités en un seul volume in-fol., par le dominicain Jean Host, à Cologne, en 1531, sous le titre Farrago Miscellaneorum C. Wimpinæ, avec un supplément intitulé : Orationum sive sermonum liber unus. On a vu que l’Anacephalæosis avait été publiée à Francfort-s.-Oder, en 1528.

Littérature.

Pas de biographie proprement dite en

dehors des articles d’encyclopédies ; voir surtout G. Kawerau, dans la Protest. Realencyclopœdie, t. xxi. On trouve des indications précieuses dans Nie. Paulus, Johann Tetzel, Mayence, 1899 ; Die deutsche Dominikaner, Fribourg-en-Brisgau, 1903. Voir aussi Enders, Luthersbriefwechsel, notice, t. i, p. 134, n. 4, qui fait naître Wimpina en 1460, et non en 1465, date du reste douteuse.

L. Cristiani.