Dictionnaire de théologie catholique/WALTRAM DE NAUENBOURG

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 989-990).

WALTRAM DE NAUENBOURG, évêque de cette ville de 1090 (1091) à 1111, un des représentants en vue du parti antigrégorien, à la fin du xie siècle. Son rôle a été mis en relief par les polémistes protestants des xvie et xviie siècles, à la suite de la découverte par Fr. de Hutten d’un traité De unitale Ecclesiæ conservanda, qu’on lui a, d’ailleurs à tort, attribué. En dépit de la fausseté de cette attribution, Waltram (on écrit aussi Walram, Valram, Gualeram, etc.) représente bien l’état d’esprit du parti ecclésiastique favorable à Henri IV et hostile à Grégoire VII et à Urbain IL On sait, en effet, que, dans sa lutte contre les papes légitimes, Henri put s’appuyer sur un nombre considérable d’évêques allemands. Waltram faisait partie de ce groupe, où l’on se piquait d’ailleurs d’une certaine modération et où l’on prétendait juger en toute impartialité le différend entre le Sacerdoce et l’Empire. Une lettre de Waltram a été conservée par les Annales Disibodenses qui met en claire lumière le point de vue des henriciens. Écrite au début de l’épiscopat de Waltram, en 1090, elle est adressée à Louis, landgrave de Thuringe, pour l’exhorter à abandonner la cause d’Urbain II et à se rallier à l’empereur. Son argument principal, c’est qu’il faut, par tous moyens, conserver la paix civile, mise en péril par les divers prétendants qu’ont suscités contre Henri les papes Grégoire et Urbain. « Dieu est le Dieu de paix, non celui de dissension … La Loi et les prophètes se résument dans le précepte de la charité ». D’ailleurs l’Apôtre ne commande-t-il pas la soumission à la puissance civile ? Celui qui résiste à cette puissance s’élève contre l’ordre de Dieu. Rodolphe (l’antiroi suscité par Grégoire VII), Hildebrand, le margrave Ekbert, qui se sont élevés contre Henri, ont péri misérablement. Sans vouloir appuyer plus que de raison sur ce « jugement de Dieu », Waltram termine en insistant sur les fortes paroles de saint Paul ; il faut remettre l’affaire pendante entre Henri et les papes à Dieu lui-même : « Qui es-tu pour juger le serviteur d’autrui ? C’est à son maître de voir ce qu’il en doit faire » (Rom., xiv, 4). En somme plaidoyer modéré pour le « droit divin » des souverains. À supposer même que ceux-ci soient indignes, ce n’est pas aux sujets de les juger.

Le landgrave de Thuringe répondit, ou plus exactement fit répondre à cette lettre par Herrand, évêque de Halberstadt. La pièce, conservée elle aussi, est loin d’avoir la sérénité de la précédente et c’est sur un ton extrêmement monté qu’elle rétorque les arguments de Waltram. L’admonition de saint Paul n’a pas le sens absolu que lui donnent les henriciens : pour que la puissance civile puisse exiger l’obéissance, il faut qu’elle soit ordinata. Da igitur potestatem ordinalam et non resistemus. Mais il est notoire qu’JTenri est loin de posséder cette puissance bien réglée et la lettre accumule les exemples, vrais ou faux, de sa tyrannie, de ses manquements à toutes les lois divines et humaines. Simoniaque notoire, Henri est hérétique : pour tous ses crimes il a été excommunié par le Siège apostolique et dès lors il ne peut plus avoir sur nous, catholiques, aucune puissance. Que parle-t-on du précepte de la charité fraternelle ? C’est un devoir pour nous de le haïr : cujus odium pro magno sacriflcio Deo ojjerimus. Le Christ, dont Waltram avait dit que son plus cher désir était le règne de la paix, le Christ n’a-t-il pas déclaré qu’il était venu apporter sur terre non la paix mais le glaive ? Quant aux insuccès de Grégoire, de Rodolphe, du margrave Ekbert, pourquoi y voir un « jugement de Dieu » contre les doctrines grégoriennes ? Ne vaut-il pas mieux bien mourir que de vivre mal ? Le jugement final de Dieu rétablira tout dans l’ordre. Cette pièce curieuse donne assez bien l’idée des arguments qui s’échangeaient en Allemagne entre partisans et adversaires de Grégoire VIL

On trouverait ceux des derniers bien plus amplement développés dans le traité De unitale Ecclesiæ conservanda et de schismate inter imperalorem et pontificem, faussement attribué à Waltram et qui est l’œuvre d’un moine de Hersfeld, écrivant vers les années 1090-1093. Il se donne pour tâche de réfuter deux manifestes récents du parti grégorien : la deuxième lettre de Grégoire VII à Hermann de Metz, où est exposée tout au long la politique du pape (Jafîé, Regesta, n. 5201), et un écrit en provenance des moines de Hirschau, qui défendait les mêmes points de vue. Ces deux pièces sont discutées respectivement dans le 1. I effet le 1. II du De unitate ; un 1. III qui devait prendre la défense du pape Clément (l’antipape Guibert) a presque complètement disparu. Avec une modération relative, l’auteur expose les arguments du parti impérialiste et veut montrer que le bon droit est du côté de Henri. Il cherche ses arguments dans l’histoire sacrée et profane, dans l’ancienne littérature chrétienne comme chez les auteurs païens, et son érudition, qui est de bon aloi, lui permet de réfuter nombre des preuves que ses adversaires prétendaient trouver dans les textes patristiques et canoniques. Sa grande autorité est naturellement Augustin, dont connaît bien la Cité de Dieu ; mais il allègue aussi Cyprien et son De unitate Ecclesiæ, Grégoire le Grand, dont il se plaît à opposer les attitudes et les paroles à celles de son homonyme du xie siècle. L’ensemble de l’œuvre donne l’impression que l’auteur a médité sérieusement les problèmes qu’il soulève et que, assez différent en cela des polémistes de l’époque, il ne se contente pas seulement de citer des textes, mais veut mettre en ligne des arguments.

On avait aussi jadis porté au compte de Waltram un petit Tractatus de investitura episcoporum, qui défend non sans habileté les droits en la matière de l’autorité civile. Composé en 1109, l’écrit pourrait être de l’évêque de Nauenbourg ; mais on a démontré, semble-t-il, qu’il a pris naissance dans le diocèse de Liège.

Plus sérieuse est l’attribution à Waltram d’une lettre à saint Anselme de Cantorbéry, d’un ordre tout différent. L’évêque de Nauenbourg, qui a été mis au courant d’un certain nombre des griefs arti

culés par les Grecs contre les Latins, interroge le primat d’Angleterre sur la diversité des rites qui existe non seulement entre Occidentaux et Orientaux, mais même entre Latins : De sacramentis Ecclesiæ aliud Palestina, aliud Armenia, aliud nostra Romana et Tripartila sentit Gallia. Dominici eliam corporis mysterium aliter Romana, aliter Gallicana Ecclesia ac diversissime nostra tractai Germania. Et il signale l’usage du pain azyme et du pain fermenté, les signes de croix à faire sur les oblats, la manière de couvrir le calice ou de l’entourer d’un voile pendant la célébration de la messe. La lettre se termine par l’annonce faite à Anselme que l’auteur est revenu à la communion de l’Église universelle : in nostra mutatione divines bonitatis apparet gratia ; d’adversaire de l’Église romaine, il est devenu l’intime du pape Pascal.

Cette lettre adressée à Anselme n’était certainement pas la première en date ; l’opuscule de celui-ci : De tribus Waleranni quæstionibus ac prsesertim de azumo et fermentato est une réponse à trois questions posées par Waltram, l’une sur la procession du Saint-Esprit, l’autre sur l’emploi des azymes, la troisième sur la manière de compter les degrés de parenté dans le mariage. Au moment où l’évêque de Nauenbourg s’adressait ainsi à celui de Cantorbéry, il n’avait pas encore rallié la communion catholique ; c’est ce qu’indiquent les premiers mots de l’opuscule que lui adresse saint Anselme.

Les deux lettres de Waltram et de Herrand sont dans es Annales Disibodenses, dans Mon. Germ. hist.. Script., t. xvii, p. 9-14, et mieux, ibid., Libelli de lite, t. ii, p. 286291 ; on les trouvera également à deux endroits de P. L., t. clix, col. 984-992 (d’après Baronius, Annal., an. 1090, n. 8) et t. cxlviii, col. 1441-1448.

Le De unitate Ecclesiæ conseruanda, découvert par Frédéric de Hutten à Fulda en 1519, a été d’abord publié par celui-ci à Mayence, 1520 ; il est passé ensuite dans les recueils de S. Schardius, De jurisdictione et auctoritate imperii, puis de Goldast, Apologia pro Henrico IV ; édition critique de W. Schwenkenbecher, Hanovre, 1883, et dans Libelli de lite, t. ii, p. 172-291. L’attribution à Waltram a été démontrée inexacte par Meyer von Knonau, dans Festyaben zu Fhren M. Budingers, Inspruck, 1898, p. 188 sq. Cf. aussi B. Gaffrey, Der Lib. de unit. eccl. conserv., Berlin, 1921.

Le De inoestitura episcoporum, publié d’abord par Schard, /oc. cit., l’a été ensuite par Kunstmann, dans Theol. Quartalschrilt, 1937, p. 186 ; il a paru aussi dans Libelli de lite, t. ii, p. 498-504 (éd. Bcrnheim) ; cf. de cet éditeur une étude dans Forscbungen zur deutsclien Gesch., t. xvi, p. 181 sq.

La correspondance avec saint Anselme se trouvera P. L., t. clviii, col. 547 sq. ; cf. col. 541 : S. Anselmi de tribus Waleranni quæstionibus ac prsesertim de azymo et fermentato.

Sur l’ensemble de la littérature polémique de cette époque : G. Mirbt, Die Publizislik im Zeitalter Gregors VIL ; Manitius, Gesch. der latein. Litcratur des M. A., t. iii, p. 40 sq. ; et surtout A. Fliche, La réforme grégorienne, t. iii, 1937.

É. Amann.