Dictionnaire de théologie catholique/VOLTAIRE. VIE

I. Vie.

i. voltaire avant la royauté de ferney.

Voltaire, né à Paris, le 21 novembre 1694, ne fut guère qu’à soixante ans le « roi Voltaire » et ne donna guère avant 1753, comme but suprême à son action, la lutte contre l’Infâme.

Jusqu’au séjour en Angleterre (1694-1726).

Rien dans sa famille ne prédestinait à sa royauté littéraire antichrétienne François-Marie Arouet, qui prendra, en 1718, le nom de Voltaire, anagramme d’Arouet l(e) j(eune). De cette bourgeoisie qui tendait à la noblesse de robe, son père, notaire au Châtelet, puis, en 1701, payeur aux épices, puis receveur à la Chambre des comptes, voulait faire de lui un avocat au Parlement. Il avait confié aux jansénistes de Saint-Magloire son fils aîné, Armand ; il confia le cadet — pourquoi ce revirement ? — aux jésuites de Louis-le-Grand. Sur la famille de Voltaire, cf. Desnoiresterres, Voltaire…, t. i, Paris, 1871 et G. Chardonchamp, La famille de Voltaire. Les Arouet, in-8°, Paris, 1911. Les jésuites donnèrent à cet élève bien doué une forte culture littéraire, qui fit sa puissance. Dans leur collège, il connut aussi des amis, qui lui rendirent de grands services à des moments difficiles : d’Argental, les deux d’Argenson, Cideville. Mais ses maîtres ne réussirent pas à lui infuser une foi à toute épreuve. Quelle formation religieuse eût tenu devant l’éducation que recevait, en dehors du collège, le jeune Arouet de son parrain, l’abbé de Châteauneuf, qui l’introduisait alors chez Ninon de Lenclos, et dans la société des vieux libertins du Temple ? Cf. Rationalisme, t. xiii, col. 733. Si le P. Lejay ne tint pas à Voltaire le propos connu : « Tu seras l’étendard du déisme en France », du moins, ses maîtres le qualifièrent d’insignis nebulo. L’intérêt aidant, Voltaire se montra reconnaissant à leur égard. Mais « il dira les pires choses en leur temps, sur la Société de Jésus, son esprit de corps, son orgueil, son esprit de domination ». J.-R. Carré, Voltaire philosophe, i, L’homme et l’œuvre, dans Revue des cours et conférences, 30 avril 1938, p. 103 ; et il applaudira à leur suppression.

A sa sortie du collège, 1711, loin de se prêter aux vues de son père, il versifie, aspire à devenir un nouveau Chaulieu dans la haute société du temps, subit l’influence de Fontenelle, id., ibid., ii, 15 mai 1938, p. 193-194, étudie Lucrèce. Pour l’assagir, après quelques fredaines, son père l’envoie à La Haye, à la suite de l’ambassadeur Châteauneuf, frère de l’abbé. Quelques mois après, décembre 1713, en raison de l’aventure Desnoyers, cf. F. Allizé, Voltaire à La Haye, dans Revue de Paris, 15 nov. 1922, p. 321-343, il est renvoyé à Paris ; mais il a appris à connaître Bayle.

Revenu à Paris, il se dérobe à la chicane où son père veut l’enrôler, retrouve la société du Temple où, à côté des vieux libertins, dont le grand prieur revenu d’exil, il rencontre des jeunes gens comme lui, le futur président Hesnault, Caumartin, Sully. Après 1718, il fera des séjours chez Bolingbrocke et subira son influence. Enfin en 1722, d’un voyage à La Haye et à Anvers, il rapportera cette certitude que le luxe né du vice vaut mieux pour un État qu’une discipline d’austérité. Tout l’achemine ainsi vers l’abandon des doctrines traditionnelles.

Entre temps, il a acquis un renom littéraire, mais non sans aventures. En 1714, il doit se réfugier en province, chez les Caumartin, pour une satire, le Bourbier (x, 75) ; en 1716, deux autres sur le régent et la duchesse de Berry (x, 237 et 473) le feront exiler de Paris ; le 17 mai 1717, le Regnante puero (i, 296), qui est de lui, et les J’ai vu (i, 195), qui étaient de Le Brun, lui vaudront la Bastille jusqu’au 18 avril 1818. Mais, à cette date, il sera devenu « une sorte de personnage dans la république des lettres ». Le 18 novembre, Œdipe achèvera de le poser.

Œdipe renfermait déjà des vers inquiétants. L’Épître à Julie, qui deviendra en 1732 l’Épitre à Uranie ou le Pour et le contre (ix, 358 sq.), est nettement antichrétienne. Cette disposition s’affirme encore dans le Poème de la Ligue ou Henri-le-Grand, 1723, qui deviendra la Henriade, 1728 (viii, 43-253). En avril 1726, un ecclésiastique signalera Voltaire comme « prêchant le déisme à découvert » et traitant « de contes » l’Ancien Testament. Toutefois il est encore plus libertin de mœurs et de paroles que vraiment détaché de ses croyances.

Voltaire en Angleterre (1726-1729).

Ses succès littéraires, sa fortune le grisent ; il se croit l’égal des grands qu’il fréquente. Son affaire avec le duc de Rohan lui est une déconvenue. Enfermé à la Bastille, le 17 avril 1726, il en sort le 2 mai sur sa promesse de passer en Angleterre. Cette déconvenue aidant, avec certains de ses contemporains, sous l’influence de Bolingbrocke, qui vit au château de la Source en grand seigneur dégagé de toute croyance, de l’ambassadeur Stair, qui, voulant créer en France, à coup d’argent, une opinion hostile aux Stuarts, a vu en lui un merveilleux agent de propagande, Voltaire voit dans l’Angleterre, citadelle de l’antipapisme, patrie de Locke et de Newton, la terre promise de la raison et de la liberté. Cf. F. Baldensperger, dans Rev. cours, conf., 15 juillet 1934, p. 621-626, et Voltaire anglophile avant le séjour d’Angleterre, dans Revue de littérature comparée, 1929, p. 509 sq.

En Angleterre, Voltaire lira beaucoup, verra tous les milieux, tories ou wighs, sera l’hôte de Bolingbroke, revenu d’exil, de Falkener, un négociant de la cité, entretiendra Swift et Pope. Mais il indisposera les réfugiés français par ses propos irréligieux, ses hôtes par ses indiscrétions. Il aura même ses déceptions : la liberté de la presse n’est pas telle qu’il a espéré, et ce n’est pas sans raison qu’il vit surtout dans la banlieue de Londres, Cf. F. Baldensperger, Intellectuels français hors de France, ii, Voltaire chez les mylords, Rev. cours, conf., 15 janv. 1935, p. 227 sq. Il revint d’Angleterre quelque peu en fraude, mars 1729. « En partant pour l’Angleterre, dit F. Morley, Voltaire, in-8°, Londres, 1874, cité par G. Lanson, Voltaire, in-12, Paris, 1906, p. 6, Voltaire était un poète ; en revenant, il était un sage. » Dans la réalité, quand il prit contact avec les penseurs et les déistes anglais, ses idées étaient faites, orientées à tout le moins. Eux-mêmes, formés par les mêmes maîtres que lui, Fontenelle et surtout Bayle, « reconnurent en lui un des leurs », encore qu’entre leur déisme chrétien et son déisme critique il y ait bien des différences. Mais son séjour auprès d’eux l’affermit dans ses idées, l’amena à en préciser quelques-unes, à en redresser d’autres, et « surtout il prit en Angleterre de quoi coordonner toutes ses aspirations non par un système mais par une méthode. » G. Ascoli, Voltaire, iii, Rev. cours, conf., 30 avril 1934, p. 144.

Il publie à Londres, en 1728, la Henriade, et en 1731, l’Histoire de Charles XII. De Londres, il ameute Paris par le Temple du goût (cf. Le temple du goût, édition critique par E. Carcassonne, Paris, 1938). Enfin, il rapportera d’Angleterre l’idée des Lettres anglaises avec quelques matériaux utiles.

Sur son séjour en Angleterre voir, en plus des travaux cités, Desnoiresterres, loc. cit. ; Churton Collins, Bolingbrocke and Voltaire in England, in-8°, Londres, 1886 ; Voltaire, Montesquieu and Rousseau in England, in-8°, Londres, 1908, traduit par P. Deseille, in-12, Paris, 1911 ; E. Sonet, Voltaire et l’influence anglaise, in-8°, Rennes, 1926 ; E. Audran, L’influence française dans l’œuvre de Pope, in-8°, Paris, 1931.

Du séjour en Angleterre au séjour à Berlin (17291750).

1. Vie errante (1729-1735).

Revenu à Paris, finalement avec autorisation, il se remet à publier de petits poèmes compromettants : Lettre des deux parts (xxii, 63 sq.), où il attaque partisans et adversaires de la bulle Unigenitus ; Élégie sur la mort de Mlle Lecouvreur, célèbre actrice, 1730 (ix, 309) — le curé de Saint-Sulpice avait refusé la sépulture ecclésiastique à cette maîtresse de Maurice de Saxe ; Ode sur le fanatisme, 1732 (viii, 487), dédiée à Madame du Châtelet ; La mule du pape, 1733 (ix, 573), où il montre Jésus repoussant la tentation et son vicaire y succombant. Le scandale fut à son comble, quand parurent, en France, les Lettres philosophiques, 1734 (xxii, 82-189) ; l’auteur s’enfuit en Hollande. Revenu en mars 1735, il fit circuler des chants de la Pucelle, s’enfuit encore, mais à Lunéville, et finalement à Cirey-sur-Blaise, chez Mme du Châtelet, sa maîtresse depuis 1733.

Dans l’intervalle, Voltaire donne au théâtre : Brutus, 1730 (ii, 311) ; Ériphyle, 1731 (ibid., 461) ; et, le 13 août 1732, Zaïre (ibid., 533), qui humanise Polyeucte et connaît un succès d’émotion.

2. A Cirey chez Mme du Châtelet (1735-1744).

Années de vie mondaine et de travail. De travail scientifique : la belle Emilie est férue de géométrie, de physique newtonienne, de métaphysique leibnitzienne. Voltaire, qui a mis au net ses idées métaphysiques, nullement leibnitziennes, dans son Traité de métaphysique, 1734 (xxii, 189-231), que Mme du Châtelet tient sous clef par prudence, s’adonne aux sciences avec elle, sous la direction de Maupertuis. Rapproché alors du parti philosophique, il paraît avoir été de ceux qui virent dans la science un moyen d’éliminer la croyance. Il publia donc : 1738, Éléments de la philosophie de Newton (xxii, 397) ; Défense du newtonianisme (xxiii, 74) ; Lettre à M. de Maupertuis sur les éléments de la philosophie de Newton (xxxv, 2 sq.) ; 1740, Exposition du livre des Institutions physiques (de Mme du Châtelet), dans laquelle on examine les idées de Leibnitz (xxiii, 129 sq.). Plus tard, il publiera encore dans l’ordre scientifique : 1748, Dissertation sur les changements arrivés en notre globe et sur les pétrifications (xxiii, 219) ; 1768, Les singularités de la nature (xxvii, 125) et Les colimaçons du R. P. L’Escarbotier, par la grâce de Dieu, capucin indigne, prédicateur ordinaire et cuisinier du grand couvent de la ville de Clermont-en-Argonne (xxvii, 213).

A côté, il donne : Alzire (iii, 369), jouée le 27 janvier 1736, publiée avec une préface, « l’apologétique de Tertullien », écrit-il à Thiériot, le 1er mars 1736 (xxxiv, 43), car il s’y défend d’être irréligieux ; Mahomet, joué à Lille en avril 1711, à Paris le 9 août 1742 (iv, 107). Il publie, en 1736, le Mondain (x, 83), qui déchaînera une tempête. Voltaire fuira en Belgique, en Hollande ; mais, de Bruxelles, J.-B. Rousseau répandra le bruit que Voltaire, à Paris, a été condamné à la prison perpétuelle, et, qu’à Liège, il a eu des difficultés pour avoir enseigné l’athéisme. Voltaire feint alors de gagner l’Angleterre et revient à Cirey. Il y publiera les Discours sur l’homme, 1748 (ix, 378). Il aura à ce moment deux vilaines histoires : l’une avec l’éditeur des Lettres philosophiques, Jore de Rouen ; l’autre avec le peu recommandable Desfontaines, dont les Observations périodiques sur les écrits nouveaux ne rendent pas à ses œuvres l’hommage auquel il se croit un droit, pour un service rendu. Contre Desfontaines, il s’abaisse à publier, novembre 1738, le Préservatif (xxii, 372), qu’il attribue, c’est vrai, au chevalier de Mouchy. Le 12 décembre, Desfontaines répondra par l’injurieuse Voltairomanie ou Lettre d’un jeune avocat, in-12, Paris, 1738. Voltaire le poursuivra en justice, « mais, dit G. Ascoli, Voltaire, v, dans ibid., 31 mai 1924, p. 312, le lieutenant de police a beau donner raison à Voltaire, le public juge que le nom du poète est « dégradé ». Voir Desnoiresterres, op. cit., t. ii, c. iv, ad finem et v, passim.

Or, dès 1736, le prince royal de Prusse, élève de réfugiés français, désirant être formé à la littérature classique par un héritier des classiques, suppliait Voltaire de venir auprès de lui. Voltaire était ravi, mais n’osait quitter Mme du Châtelet. Une longue correspondance, flatteries d’un côté, adulations de l’autre, s’engage. À la mort du Roi-Sergent, 1740, plusieurs et Voltaire le premier s’imaginent que le poète va être appelé à partager non les divertissements intellectuels du prince, mais les responsabilités du pouvoir. Frédéric II pourtant ne lui fit jamais d’ouvertures politiques. Il y eut entre eux à ce moment d’obscures tractations à propos d’un Anti-Machiavel, œuvre humanitaire, que Frédéric II, prince royal, a confié à Voltaire pour le revoir et le faire imprimer et que, roi, il voudrait empêcher de paraître. Voltaire fit si bien que deux éditions de l’ouvrage parurent en 1741 à La Haye et à Londres, sous ce titre : Anti-Machiavel ou Essai de critique sur le Prince de Machiavel, publié par M. de Voltaire.

De 1740 à 1742, ils se verront plusieurs fois. En 1743, Voltaire ira à Berlin avec la mission officielle de regagner Frédéric II à l’alliance française. Il échouera. Cf. duc de Broglie, L’ambassade de Voltaire à Berlin, dans Revue des Deux Mondes, 1er avril 1884.

3. A Paris et à la cour de Lunéville (1744-1750).

Cependant, Mme du Châtelet, pour le détourner de Berlin, l’a fait rentrer en grâces à Versailles, les circonstances aidant. Fleury est mort le 29 janvier 1743 ; Mme d’Étiolés, qu’il a connue, devient la Pompadour ; ses amis, les d’Argenson, sont ministres ; Mérope (iv, 199), a eu un succès sans précédent le 20 février 1743 ; son Ode sur les événements de 1744 (la maladie du roi à Metz) (ix, 430), son Poème de Fontenoy, 1745 (viii, 383), sa comédie-ballet, La princesse de Navarre (iv, 271), représentée aux noces du dauphin, 23 février 1745, plaisent à la cour. Il est nommé historiographe du roi, gentilhomme de la chambre ; il entre même à l’Académie, ce à quoi il aspire depuis 1732, car c’est une sécurité et ce à quoi le roi et le parti dévot ont mis Jusque là leur veto. Il a désarmé le roi ; il désarme le parti dévot par sa fameuse lettre au P. La Tour. 7 février 1746. où il attaque les Provinciales (xxxvi, 121). et en dédiant sa tragédie de Mahomet à Benoît XIV. Des pamphlets attaqueront son élection. Cette fois encore, il en poursuivra les auteurs avec acharnement et l’on aura l’affaire Travenol et les Voltairiana. « Cette situation brillante, Voltaire, avec un peu de complaisance et quelque usage des cours, l’eût aisément conservée. Mais plein de lui-même…, il commettra de fréquentes maladresses. » Après une incartade au jeu de la reine, octobre 1747, il ira se cacher à Sceaux chez la duchesse du Maine et aboutira à Lunéville, à la cour de Stanislas. C’est là que, le 10 septembre 1749, mourra Mme du Châtelet, après avoir mis au monde une fille de Saint-Lambert.

Le séjour à Berlin (1750-1753).

Cette mort rend à Voltaire sa liberté. D’autre part, rien en France ne le satisfait. Il aspire à jouer les premiers rôles et la cour, même en ses meilleurs jours, ne le traite pas autrement qu’un bel-esprit. Par dépit, malgré Mme Denis, sa nièce et sa maîtresse, malgré ses amis qui se défient, après avoir donné, le 12 janvier 1750, Oreste (v, 9) et, le 8 juin, Rome sauvée (v, 199), il répond à l’appel de Frédéric II. Il arrive à Potsdam le 10 juillet 1750.

Il en repartira le 26 mars 1753. De juillet à novembre 1750, ce sera de l’enchantement. Le roi lui a donné le titre de chambellan et des insignes, assuré des pensions, même un douaire de 4 000 livres pour Mme Denis, si elle le rejoint. Dès novembre, il déchante. Il a découvert un roi qui ne sacrifie à la philosophie qu’à ses heures, qui entend n’être pas traité en égal, qui l’enferme dans les fonctions de correcteur et qui au fond le méprise. Lui-même d’ailleurs se met dans ses torts. Se croyant sûr de Frédéric et son égal, il aura des imprudences d’attitude et de langage. Il spéculera, malgré le roi, avec le juif Hirsch, qui le vole : tout un scandale. Il aura avec Lessing, jeune, qui le sert un moment, une affaire que Lessing ne lui pardonnera pas ; il s’aliénera les huguenots réfugiés par ses propos irréligieux, l’équipe intellectuelle française qui entoure Frédéric par ses insolences : il s’en prend à Baculard d’Arnaud, à La Beaumelle, à Maupertuis, mais derrière ce président de l’Académie des sciences de Berlin il se heurte au roi. La Diatribe du docteur Akakia (xxiii, 560), qu’il publia, malgré une promesse signée, fin 1752, provoqua la rupture définitive. Masquant tant qu’il peut sa déconvenue et, à grand peine, sous le prétexte d’aller aux eaux de Plombières, le 26 mars 1753, il quitte Potsdam, avec Mme Denis.

Si l’on en croit H.-A. Korff, Voltaire in literarischen Deutschland des xviii. Jahrhunderts, 2 vol. in-8°, Heidelberg, 1918, la France sortit diminuée de l’aventure, tant le représentant le plus authentique de la culture française étala d’outrecuidance et de défauts. Pour lui-même, si « auprès de Frédéric II, quoi qu’en ait dit Brunetière, Études critiques, i, Paris, 1888, p. 237, il ne se perfectionna pas dans l’art de mentir sans scrupule, de prolonger et de soutenir le sarcasme », étant depuis longtemps maître en cet art, de son contact avec Frédéric II et ses commensaux, gens « décidés à tirer les voiles de tous les sanctuaires », Lanson, op. cit., p. 83, il sortit affranchi de toute contrainte, avec la claire vue du but : la lutte contre l’Infâme — le mot apparaît pour la première fois dans une lettre du roi en 1759, cf. Desnoiresterres, op. cit., t. vi, p. 251, mais il est antérieur ; Voltaire y fait allusion dans une lettre du 6 décembre 1757 à d’Alembert (xxxix, 318), entendant par là « la superstition », c’est-à-dire l’Église catholique. « Écraser l’inf., écrira-t-il au même le 23 juin 1760 ; il faut la réduire à l’état où elle est en Angleterre. » (xl, 437) — avec la résolution de mener jusqu’à la victoire ce combat, avec la pleine possession des moyens. « De Berlin, il emportait trois moyens d’une puissance redoutable, le conte, le dialogue, la facétie. C’est avec eux surtout qu’il travaillera pendant les vingt dernières années de sa vie à faire sauter les institutions et les croyances », Lanson, ibid.

Tout en ne s’aimant pas, Voltaire et Frédéric II ne pouvaient se passer l’un de l’autre. Dès 1757, ils reprendront leur correspondance.

A Berlin, il écrivit l’Orphelin de la Chine (v, 306), Micromégas, 1751 (xxi, 105), il publia le Siècle de Louis XIV, 1751 (xiv et xv), l’Essai sur les mœurs, qui courra, dès 1753, dans les deux volumes intitulés Abrégé de l’histoire universelle. Il entreprit enfin les Annales de l’Empire.

Sur le rôle diplomatique de Voltaire auprès de Frédéric II, pendant la guerre de Sept ans, cf. duc de Broglie, Voltaire avant et pendant la guerre de Sept ans, Paris, 1898, et P. Calmette, Choiseul et Voltaire, Paris, 1902.

II. FERNEY. LE ROI VOLTAIRE ET LA LUTTE CONTRE L’INFAME.

De Francfort à Ferney (1753-1758).

Arrêt à Colmar, d’octobre 1753 à novembre 1754, coupé par un séjour à Senones auprès de dom Calmet et par un autre à Plombières. Voltaire se fixerait à Colmar, en attendant mieux, mais les jésuites viennent d’y faire brûler sur la place publique les œuvres de Bayle et les Lettres juives de d’Argens. Cf. Lettres du 20 février 1754 à M. le comte d’Argenson, du 24 à d’Argental (xxxviii, 172 et 175). Où aller ? A Berlin ? Il y retournerait volontiers. En mars, il y a envoyé un Mémoire justificatif ; il a imploré l’intervention de la sœur préférée du roi, la margrave de Baireuth, cf. à Mme la margrave de Baireuth, 22 septembre 1753 (xxxviii, 127). De Berlin, rien n’est venu. A Paris ? Il le voudrait plus encore, mais Louis XV n’y veut pas de ce Français devenu « Prussien ». La publication à La Haye par le libraire Néaulme de son Abrégé de l’Histoire universelle, où il ne ménage ni les rois ni les prêtres, le compromet plus encore. Il insinue que cette publication et les passages incriminés sont de Frédéric ; c’est en vain. L’accueil que lui fait à Lyon le cardinal de Tencin le fixe : il ira en Suisse. Pour l’hiver, il loue une maison à Lausanne ; pour l’été, il achète les « Délices » aux portes de Genève, tournant la loi qui interdit à tout catholique « de respirer l’air du territoire ».

Entre Genève, qui tient à sa religion, et qui, estimant que la religion doit commander la vie, a, par les arrêtés des 18 mars 1732 et 5 décembre 1739, interdit toute représentation sur son territoire, et Voltaire qui entend avoir son théâtre et ne pas renoncer à la guerre religieuse, il y aura bientôt des difficultés. En mars 1755, il fera jouer Zaïre aux Délices et tout le Conseil de Genève assistera en pleurs à la représentation. Il monte ensuite l’Orphelin de la Chine, mais le Consistoire s’émeut et, le 31 juillet, le Grand conseil rappelle Voltaire au respect de la loi. Il transporte son théâtre à Lausanne, mais Berne, de qui relève Lausanne, proteste. Il tente d’arriver à ses fins par l’article Genève, au t. vii de l’Encyclopédie, qu’il a suggéré à d’Alembert et où, pour flatter les pasteurs, d’Alembert vante, les opposant au clergé romain, « leurs mœurs exemplaires et leur culte si simple » et finalement « leur rationalisme socinien », mais aussi où Genève était invitée à établir chez elle la comédie. Cf. ici t. i, col. 707. Résultats : une Déclaration du clergé de Genève, s’élevant contre l’éloge du socinianisme, 10 février 1758, qui « justifiait entièrement d’Alembert » au dire de Voltaire, et plus tard, les Lettres de la montagne de Rousseau. Cf. ici t. xiv, col. 107-108.

Dans l’intervalle, la Pucelle (ix, 30), 1755, a scandalisé Genève et Voltaire a irrité la Rome protestante au sujet de Calvin. Au chapitre 138 de l’Essai sur les mœurs (xi, xii, xiii), publié, là même, en 1755, Voltaire avait fustigé Calvin à propos de Servet. Personne n’avait protesté. Or, peu après, il écrivait dans le Mercure de France : « Ce n’est pas un petit progrès de la raison humaine que l’on ait imprimé à Genève, avec l’approbation publique, que Calvin avait une âme atroce avec un esprit éclairé. » Vainement, il demande à Thiériot de déclarer cette lettre falsifiée et de substituer « trop austère » à « atroce », les Genevois sont blessés. Il achète donc la terre de Ferney, au pays de Gex, à une demi-lieue de Genève, novembre 1758, et il loue à vie au président de Brosses le comté de Tournay. Sa ladrerie et sa mauvaise foi lui créeront avec de Brosses les pires difficultés ; il s’en vengera en l’empêchant d’entrer à l’Académie.

Durant cette période, Voltaire donne à l’Encyclopédie les articles Esprit, 1754, Idole, 1757, et publie le Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756 (ix, 470).

A Ferney. Le roi Voltaire (1758-1778).

Indépendant, grâce à une énorme fortune, âprement acquise et gérée, grâce aussi aux asiles proches l’un de l’autre qu’il s’est ménagés en France et en terre genevoise, entouré d’une petite cour où figurent Mme Denis, les secrétaires Collini, puis Wagnières, un jésuite, qui lui a demandé asile après la dispersion de l’ordre, le P. Adam, une petite parente de Corneille, Marie Corneille, Mlle de Varicourt, plus tard Mme de Villette, quelques Genevois assidus, le médecin Tronchin qui le soigne, ayant des vassaux, Voltaire sera pendant vingt ans, à Ferney, une puissance européenne. On s’en rend compte au nombre des étrangers qui viennent le saluer et ce sera, à Ferney, une sorte de scandale, quand le comte de Falkenstein, le futur Joseph II, passera près de là, sans s’arrêter. On s’en rend compte aussi à la correspondance de Voltaire : « 6 250 lettres au moins partiront de Ferney ». Lanson, op. cit., p. 160.

De Ferney, sûr de l’impunité, centre de l’esprit européen, il va prendre la tête du combat que le parti philosophique mène contre l’Église, ses croyances et son autorité, contre les corps qui la soutiennent du dehors : la Sorbonne, le Parlement, la cour. « Sa correspondance avec d’Alembert, écrit J.-B. Carré, rev. cit., 15 mai 1938, p. 208, est le monument le plus étonnant de cette lutte contre « l’Infâme » ; elle montre que l’assaut n’a pas cessé une heure et elle est le commentaire très libre de la grande bataille que Voltaire mène du dehors pour appuyer les combattants du dedans, tenus à plus de prudence. » Le 13 février 1758, il a écrit à M. de Tressan : « Tous les philosophes devront se réunir. Les fanatiques et les fripons forment de gros bataillons et les philosophes dispersés se laissent battre en détail. » (xxxix, 397.) C’est lui qui assume la tâche de les unir dans la lutte.

Ses armes sont :
1° sa correspondance où « éclatent et bouillonnent toutes les passions, haines, rancunes, affections de l’homme », Lanson, op. cit., p. 160 ; <br 2° ses innombrables petits écrits qui remplissent un gros volume de l’édition Moland, et même plus. « Tous les jours, dit J.-R. Carré, loc. cit., partent de Ferney un conte, une facétie, un sermon, un abrégé historique, un commentaire plus que libre des Écritures, et toujours, des textes courts, portatifs, mais qui donnent à réfléchir plus que de gros volumes. » Voici de courts pamphlets de dix à vingt pages, variés par la manière et par le ton : Relation du bannissement des jésuites de la Chine, 1768 (xxvii, 1) ; Entretiens chinois, 1768 (xxvii, 19) ; Conseils raisonnables à M. Bergier pour la défense du christianisme, 1768 (xxvii, 35) ; Profession de foi dis théistes, 1768 (xxvii, 55) ; Discourt aux confédérés catholiques de Kaminiecka, 1768 xxvii, 75) ; Epître aux Romains, 1768 (xxvii, 83) ; Remontrances du corps des pasteurs du Gévaudan à Antoine-Jacques Rustan, pasteur suisse a Londres, 1768 (xxxvii, 106) ; Instructions a Antoine-Jacques Rustan, 1768 (xxvii, 117) ; Les droits des hommes et les usurpations des papes, 1768 (xxvii, 193) ; Les colimaçons du P. Lescarbotier, 1768 (ibid., 21-301) ; Le sermon des Cinquante, 1762 (xxiv, 438) ; les cinq Homélies prononcées à Londres par le pasteur Bourne, 1765-1769 (xxvi, 315, 329, 338, 349, et xxvii, 559) ; Sermon prêché à Bâle… par Josias Rassette, 1768 (xxvi, 581) ; Sermon du rabbin Akib, 1771 (xxiv, 277) ; Instruction du gardien des capucins de Raguse à frère Pediculoso partant pour la Terre Sainte, 1768 (xxvii, 301) ; Canonisation de saint Cucufln, frère de Ascoli, par le pape Clément XIII et son apparition au sieur Aveline, bourgeois de Troyes…, 1767 (xxvii, 419) ; Lettres à M. Foucher de l’Académie des Belles-Lettres, 1749 (xxvii, 431, 434, 436) ; Le cri des nations, 1769 (xxvii, 565).

Voici des traités plus longs de quatre-vingts à cent pages sur des sujets d’histoire, de philosophie, de controverse : les Extraits des sentiments du curé Mestier, 1762 (xxiv, 294) ; les Questions sur les miracles, 1765 (xxv, 358) ; les Questions de Zapata (xxvi, 173) et Le philosophe ignorant, 1766 (xxvi, 47) ; l’Examen important de milord Bolingbrocke, 1767 (xxvi, 195) ; la Profession de foi des théistes (xxvii, 55) et le Discours de l’empereur Julien, 1768 (xxviii, 10) ; Collection d’anciens évangiles ou monuments du premier siècle du christianisme, extraits de Fabricius, Grabius et autres savants par l’abbé B*** (xxvii, 439) ; Dieu et les hommes par le docteur Obern (xxviii, 129) ; les Lettres d’Amabed, 1769 (xxi, 435) ; les Lettres de Memmius à Cicéron, 1771 (xxviii, 438).

Voici des Dialogues et entretiens philosophiques, entre La Raison humaine et la Sagesse divine (xxix, 181) ; Un sénateur et un chrétien, sur les dogmes (xxviii, 711) ; Marc-Aurèle et un récollet sur la Borne ancienne et la Borne des papes (xxiii, 479) ; Lucien, Érasme et Rabelais, sur leurs facéties (xxv, 339) ; Galimatias dramatique ou dialogue entre gens qui professent diverses sectes et veulent tous avoir raison (xxiv, 75) ; Entre Épictète et son fils sur les énergumènes ou Dernières paroles d’Épictète à son fils (xxv, 125) ; Un caloyer et un homme de bien, sur l’Ancien et le Nouveau Testament (xxiv, 528) ; Le douteur et l’adorateur, sur la religion chrétienne, Jésus et les Apôtres (xxv, 129) ; Le dîner du comte, de Roulainvillers, sur la religion chrétienne (xvi, 531) ; Entre l’empereur de la Chine et le frère Rigolet, au sujet de la religion chrétienne et du bannissement des jésuites de la Chine (xxvii, 3) ; Un mandarin et un jésuite, même sujet (ibid., 19) ; Les dix-sept Dialogues entre A. B. C, traduits de l’anglais par M. Huei ou A. B. C. (xxvii, 311).

Voici un conte, Candide ou l’optimisme, 1759 (xxi, 137).

Voici des poèmes : Le précis de l’Ecclésiaste (ix, 485) ; Cantique des cantiques, 1759 (ix, 496).

Voici des épîtres en vers : A Boileau (x, 397) et À l’auteur du livre des Trois imposteurs, 1769 (x, 402), où il fait le bilan de son action religieuse.

Et, dominant le tout, voici le Dictionnaire philosophique, 1764, devenu en 1769 la Raison par alphabet, et qui s’annexera de 1770 à 1772 les Questions sur l’Encyclopédie.

Il excite en même temps le zèle des « philosophes ». principalement des encyclopédistes, il était à Potsdam lorsque l’Encyclopédie commença de paraître. Il applaudit à l’œuvre, le plus grand et le plus beau monument de la nation et de la littérature, lettre a d’Alembert. 9 déc. 1755 xxxviii, 319) ; il s’en proclame « le partisan le plus déclaré ». À d’Argental. 26 février 1758 (xxxix, 109). Sans en être le chef responsable, il la suit de près. Cf. Lettres à d’Alembert (ibid. et passim). Il voudrait faire d’elle une machine « le guerre contre l’Infâme » de première valeur : il déplore « l’ineptie de plusieurs articles » ; on les dirait « du vieux Mercure galant », à d’Argental, lettre citée ; ne ménageant rien ni personne : « les petites orthodoxies </nowiki>

En cours de certains articles de métaphysique et de théologie (lui) font bien de la peine », à d’Alembert, 24 mai 1758 (loc. cit., 211). « Pendant la guerre des parlements et des évêques, les gens raisonnables ont beau jeu. » Au même, 13 novembre 1756 (ibid., 131). Après qu’en janvier 1758, à la suite des difficultés provoquées par l’article Genève, d’Alembert fut sorti de l’affaire et que l’Encyclopédie fut menacée, en attendant qu’en mars 1759 le privilège lui soit retiré, Voltaire eût voulu voir les encyclopédistes, Diderot à leur tête, en appeler à l’opinion, en se refusant à continuer ou à reprendre « un ouvrage nécessaire » et qui « comptait trois mille souscripteurs ». En 1766, découragé par ses propres difficultés à Genève, par les traverses des encyclopédistes, il leur proposera de se réfugier chez Frédéric II, au pays de Clèves, au château de Moyland. Là, ils poursuivraient le combat « pour la raison et pour la vraie religion », en équipe et non en ouvriers dispersés, sans avoir à craindre un roi, un parlement, un clergé. Les invités se dérobèrent. Sur l’ensemble, voir R. Naves, Voltaire et l’Encyclopédie, in-8o, Paris, 1938.

Toutes ces années, également, il a malmené ceux qui combattent son parti. S’il n’attaque pas directement l’avocat Moreau, auteur de deux Mémoires pour servir à l’histoire des Cacouacs, 1757, et l’abbé de Saint-Cyr, auteur du Catéchisme et décisions des cas de conscience, à l’usage des Cacouacs, in-16, Cacopolis (Paris), 1738, il s’en préoccupe dans sa Correspondance.

A partir de 1760, il s’en prend aux Pompignan, au poète d’abord qui, le 10 mars, a attaqué le parti philosophique. Il le submerge sous des libelles très courts mais très mordants : les Quand (xxiv, 111), les Car (ibid., 261), les Ah ! Ah ! (ibid., 263)… ; il l’attaque dans les satires, la Vanité (x, 114), Un Russe à Paris (x, 118), dans les épigrammes, Savez-vous pourquoi Jérémie… ; toutes pièces que Morellet réunira dans le Recueil des facéties parisiennes, avec une Préface de Voltaire. Cf. Desnoiresterres, op. cit., v ; A. Praviel, Une victime de Voltaire, dans Correspondant, du 25 septembre 1925. Il s’en prit ensuite à l’évêque du Puy, plus tard archevêque de Vienne, qui, depuis 1752, dans ses Questions sur l’incrédulité, in-12, Paris ; en 1754, dans la Dévotion réconciliée avec l’esprit, in-12, Montauban ; puis, en 1759, dans l’Incrédulité convaincue par les prophéties, 3 vol. in-12, Paris, attaquait les philosophes. À son Instruction pastorale sur la prétendue philosophie des incrédules modernes, in-4o, Le Puꝟ. 1763, Voltaire répondra par l’Instruction pastorale de l’évêque d’Alétopolis (xxv, 1), et par deux Lettres d’un quaker à Jean— George Le franc de Pompignan (xxv, 5 ; 141).

En 1767, en pleine affaire Calas, le Bélisaire, surtout en raison du c. xv, qui déclarait superflues la révélation et la foi en Jésus-Christ, et réclamait la tolérance civile, est condamné par la Sorbonne, cf. Censure de la Faculté de théologie de Paris contre le livre qui a pour titre Bélisaire, in-12, Paris, qui relève dans l’ouvrage 37 propositions erronées, et par Christophe de Beaumont dans un mandement du 24 janvier 1768. Voltaire prend donc à partie, dans la satire Les trois empereurs en Sorbonne (x, 154), le syndic Riballier qui a dénoncé le roman et le professeur Ceger, auteur d’un Examendu Bélisaire de Marmontel, s. n. d. a., in-8o, Paris, 1767, puis, dans une Lettre de l’archevêque de Cantorbéry à l’archevêque de Paris (xxvii, 577), Christophe de Beaumont et, en 1769, dans sa tragédie les Guèbres ou la tolérance (vi, 505), tous les ennemis du Bélisaire. Cette tragédie était si violente qu’il ne put obtenir qu’elle fût représentée. Il la publia, précédée d’un Discours historique et critique qui en montrait l’esprit dans ces deux vers, séparant la religion du gouvernement : « Je pense en citoyen, j’agis en empereur, je hais le fanatique et le persécuteur. » Acte V, scène vi ; et la morale, dans ceux-ci : « Que chacun dans sa loi cherche en paix sa lumière, mais la loi de l’État est toujours la première. » Ibid.

Mais il est féroce quand il s’agit de lui-même. Alors, il attaque l’homme autant que les idées et « si, le plus souvent, il n’a pas le beau rôle, du moins, est-ce lui qui frappe le plus fort et qui met les rieurs, sinon les sages, de son côté ». G. Ascoli, Voltaire, x, op. cit., p. 713. On le voit avec Élie Fréron, 1718-1776. Celui-ci, sans s’intimider ni s’emballer jamais, ne cessera dans les Lettres de la comtesse, 1745-1746, les Lettres sur quelques écrits du temps, 1749-1753, l’Année littéraire, 1754-1776, de faire une critique judicieuse, de ton modéré, des philosophes et surtout de Voltaire. Voltaire lui déclara, à la lettre, une guerre à mort. Il attaqua sans pitié l’homme et l’écrivain, sous le nom de Vadé dans le Pauvre diable, voir plus haut, de Hume dans la comédie de l’Écossaise, 1760 (v, 421), de La Harpe dans la Guerre civile de Genève, 1768 (iv, 507). Plusieurs fois, il fit emprisonner Fréron à la Bastille, ou supprimer les revues dont il vivait. Fréron mourra le 10 mars 1776, en apprenant la suppression, sur les démarches de Voltaire, de l’Année littéraire. Cf. Ducros, Les encyclopédistes, in-8o, Paris, 1900, p. 284 sq.

D’un autre côté, il aide à tout ce qui diminue l’Église. Il dénonce « les serpents appelés jésuites et les tigres appelés convulsionnaires » à la vindicte des amis de la raison. A Mme d’Épinaꝟ. 25 avril 1760 (xl, 363). Il se sert de leurs controverses pour rendre ridicules et odieux les dogmes et les questions théologiques. En 1759, il oblige les jésuites d’Onex à rétrocéder aux frères Crassy un bien, régulièrement acquis d’ailleurs par eux, mais pendant la minorité de ces Crassy. Il applaudit aux mésaventures de la Compagnie de 1758 à 1773. Il la rend responsable de l’assassinat de Joseph I er, roi de Portugal, et il applaudit à la nouvelle que le Père Malagrida a été roué pour ce crime. A Mme de Lutzelbourg, 28 décembre 1759 (xl, 266). Il dit les jésuites « banqueroutiers et condamnés en France, parricides et brûlés à Lisbonne ». À d’Argfence de Dirac, 28 octobre 1761 (xli, 496). Il félicite La Chalotais de son réquisitoire contre eux. A M. de La Chalotais, 17 mai 1762 (xlii, 106). II n’a qu’une crainte : c’est que la disparition des jésuites ne favorise les jansénistes. Il hait ceux-ci plus encore que ceux-là. « Que me servirait d’être délivré des renards si on me livrait aux loups ? » A La Chalotais, 3 novembre 1762 (xlii, 280). La solution « complète » serait « qu’on envoyât chaque jésuite dans la mer.avec un janséniste au cou ». A M. de Chabanon, 21 décembre 1767 (xlv, 460).

Ses difficultés avec Genève ne firent que s’accroître, malgré son intervention à propos des Calas et des Sirven. Il déteste en effet « les pédants de Calvin » et eux acceptent de moins en moins son théâtre et son impiété. Un moment, il triomphera dans la question du théâtre. Il fera jouer la comédie non seulement à Ferney, mais. encore à Châtelaine, aux portes de Genève. Il profitera de l’intervention de la France dans les troubles de Genève pour imposer un théâtre à la Rome calviniste, 1766. La première pièce jouée fut Tartufe. Mais le 5 février 1768, un incendie détruisait ce théâtre. Ses écrits irréligieux lui nuisaient d’autre part. Il faisait l’impossible pour qu’on ne pût les lui attribuer. En 1755, il réussit à empêcher le libraire Grasset de publier, à Genève, sous son nom, la Pucelle ; il réussit moins bien à Lausanne, en 1758, pour la compromettante Guerre littéraire ou Choix de pièces polémiques de M. de Voltaire. Cf. Lettres à M. Bertrand, des 30 janvier et 10 février 1759 (xl, 21 et 33) ; à M. de Brenles, des 8 et 20 février (ibid., 32 et 42) ; à M. de Haller, 18 février (ibid., 36). Il se vit attaqué par le pasteur Jacob Vernet, auteur avec Turrettin d’un Traité de la religion chrétienne, 10 vol. in-8°, Genève, 1730-1788, dont le t. viii défend contre l’Essai sur les mœurs certaines preuves du christianisme, auteur aussi de Lettres à M. de Voltaire, in-8°, La Haye, 1757, à propos du même ouvrage, de treize Lettres critiques d’un voyageur anglais sur l’article Genève, 6 vol. in-8°, Utrecht, 1766. Voltaire publiera contre lui, en 1761, un Dialogue entre un prêtre et un ministre, le second de ses deux Dialogues chrétiens ou Préservatif contre l’Encyclopédie (xxiv, 134), le ridiculisera dans la satire l’Hypocrisie, 1766 (x, 137), dans la Guerre civile de Genève, 1768 (ix, 507), après l’avoir pris à partie dans une de ses Lettres sur les miracles, sous le nom de Robert Govelle (xxv, 407). Voltaire s’aliéna ainsi le corps des pasteurs, et même la bourgeoisie. Et quand, en 1762, la condamnation de l’Emile et du Contrat social eut donné corps à Genève à des divisions latentes, et surtout, après qu’en 1764, devant l’indignation des pasteurs et de la bourgeoisie, le Grand conseil eut condamné, « comme impie et destructeur de la révélation », le Dictionnaire philosophique, il intervint dans les luttes intérieures de la cité contre « les loups » huguenots et « les bonnets carrés » de la bourgeoisie, soutenant les êtres les moins recommandables comme « M. le fornicateur » Covelle, horloger du nom de qui il signera plusieurs de ses pamphlets. Cf. Rapport de M. de Montpéroux, représentant officiel de la France à Genève. Cité par F. Baldensperger, op. cit., p. 584. C’est à ce moment qu’il pensera à Moyland. Il se vengera de ses ennemis genevois par la tragédie des Scythes, 1766, et par le poème satirique la Guerre civile de Genève, 1768 ; cf. F. Baldensperger, Voltaire contre la Suisse de Jean-Jacques : la tragédie des Scythes, dans Revue des cours et conférences, 15 juillet 1931, p. 673 sq., et en attirant à Ferney, où lui-même a fondé une fabrique de montres, les meilleurs ouvriers de la cité.

Le plus illustre ennemi de Voltaire fut Rousseau. Ils sont bien ensemble jusqu’en 1756. Ne servent-ils pas la même cause ? En 1755, Rousseau fait aux Genevois l’éloge de Voltaire ; il lui envoie aux Délices son Discours sur l’inégalité et Voltaire répondra par la lettre railleuse mais aimable du 30 août 1755 (xxxviii, 446) ; cf. ici t. xiv, col. 105-106. Plus tard, Voltaire regrettera encore que Rousseau fût devenu « un fauxfrère ». Les hostilités commencèrent avec la Lettre sur la Providence du 18 août 1756, ici t. xiv, col. 106, qui répondait au Désastre de Lisbonne. Voir plus loin, col. 3420. Voltaire ne ripostera qu’en 1759, par (.’(// ! dide, mais, dans l’intervalle, l’article Genève et la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, ici t. xiv, col. 107, ont achevé la scission. La Lettre sur la Providence, tenue secrète par Rousseau, ayant été publiée en 1700, peut-être par Voltaire, Rousseau s’excusera d’une indiscrétion, où il n’est pour rien, par une Lettre du 17 juin (xl, 422-423), qui est une véritable déclaration de guerre. Cf. Confessions, t. X, et Lettre de Voltaire à Mme d’Épinaꝟ. 14 juillet 1760 (xl, 460). A partir de ce moment, bien que Voltaire, si du moins on l’en croit, ait offert à Rousseau dès 1759 un asile sur son domaine, Rousseau, chassé par Genève puis par Berne, verra la main de Voltaire dans toutes ses mésaventures. De son côté, Voltaire déversera sur lui les plus violentes injures dans sa Correspondance, dans sa brochure, le Sentiment <lrs citoyens, ici t. xiv, col. 121-122, s’y vengeant d’un passage des Lettre » de la montagne, I" partie, lettre v, où Rousseau s’étonne que lui, chrétien, soit persécuté à Genève, tandis que ces messieurs de Genève entourent de prévenantes, le chef des philosophes antiehrétieiis. l’an teur du Sermon des cinquante, et il désigne Voltaire. Dans la Guerre civile de Genève, celui-ci accusera celui-là des pires méfaits religieux, des pires tares physiques et morales. Pas un livre de Rousseau ne paraîtra qu’il n’en oppose un, qui est une critique ironique et malveillante : à la Nouvelle Héloïse, les Lettres critiques sur la Nouvelle Héloïse ou Aloïsia de J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, par le marquis de Ximenès, in-8°, s. 1., 1761 (xv, 146) ; au Contrat social, les Idées républicaines, in-8°, s. I. (Genève ?), s. d. (1762) (xxiv, 413) ; à la Profession de foi, le Sermon des cinquante. Voltaire approuvera cependant certaines pages de la Profession de foi, - y retrouvant ses idées. Cf. Notes inédiles de Voltaire sur la Profession de foi’, publiées par B. Bouvier dans les Annales de J.-J. Rousseau, 1905, p. 272-284. On attribuera aussi à Voltaire la Lettre au docteur Pansophe, in-12, Londres, 1766 (xxvi, 17-19), qui parut en anglais et en français, les deux textes en regard ; cf. Brunetière, Voltaire et J.-J. Rousseau, dans Revue des Deux Mondes, 10 juillet 1887, p. 208 sq. En 1770, Rousseau voulut souscrire à la statue que désiraient élever à Voltaire ses admirateurs. L’offre ne fut pas acceptée. Cf. A. Feugère, Rousseau et son temps. La Lettre à d’Alembert. La querelle de Rousseau et de Voltaire, dans Revue des cours et conférences, décembre 1932.

C’est à Ferney encore que Voltaire devint pratiquement « l’apôtre de la tolérance » et un redresseur de torts. Il avait toujours réclamé la liberté de la parole, de la presse, de la conscience ; en 1756, il était intervenu — sans succès — en faveur de l’amiral Byng, condamné à payer de sa vie l’échec de Port-Mahon ; mais c’est en 1762, l’année du Sermon des cinquante, avec l’affaire Calas qu’il entre dans ce rôle. Jean Calas, un huguenot de Toulouse, a été condamné à mort par le parlement de cette ville et exécuté le 9 mars, comme ayant étranglé son fils Marc-Antoine, qui voulait se faire catholique. Voltaire a d’abord vu là un drame du fanatisme huguenot et il en plaisante. A.M. Le Bault, 22 mars 1762 (xlii, 69). Mais, sous la pression de réformés, par antipathie pour les parlements, dans le désir aussi de montrer à quelles injustices aboutit le fanatisme, il prend le parti des Calas et à force île Lettres, de Mémoires, d’intrigues, par le Traité sur la tolérance, in-8°, 1763 (xxv, 13) — mis à l’Index, le 3 février 1760 — il fait casser par le Conseil du roi l’arrêt de Toulouse. 4 juin 1764, réhabiliter Jean Calas, 9 mars 1765, sentences que n’enregistrera jamais le parlement visé, du côté de qui n’est peut-être pas l’erreur judiciaire. Cf. H. Robert, Les grands procès de l’histoire, I re série, in- 16, Paris, 1922, p. 269 sq. ; M. Chassaigne, L’affaire Calas, in-12, Paris, 1929. Ce fut ensuite l’affaire Sirven, toute semblable. Près de Castres, dans la nuit du 3 au 4 janvier 1764, on trouva dans un puits le cadavre d’une jeune huguenote, Elisabeth Sirven, qui, elle aussi, parlait de se faire catholique. Ses parents qui s’enfuient ont été pendus en effigie, à Mazamet, le 1 er septembre. Voltaire les fera réhabiliter par le parlement de Toulouse, le 25 novembre 1771. Dans l’intervalle, en 1766, il publiera un Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven (xxv, 516). Cette même année, il s’occupe du jeune libertin l.a Harre, qui, ayant l’habitude d’insulter aux croyances de ses compatriotes, a été condamné à une mort cruelle par le tribu nal d’Abbeville, sentence confirmée par le parlement de Paris, pour avoir affecté de ne pas saluer une procession et mutile, allirma-t-nn, un crueilix sur un pont. Le parti philosophique, Voltaire en premier lieu, était compromis dans l’affaire, Ne devait-on pas brûler avec le cadavre le Dictionnaire philosophique, les Lettres sur les miracles, les Discours de l’empereur Julien, trouvés chez l’accusé. SI Voltaire ne sauva pas La Barre, il aida du moins son complice, d’Étallonde, qui avait fui. Cf. à d’Alembert, à Damilaville, 1° juillet 1766 (xliv, 323 et 324), à Morellet, 7 juillet (ibid., 330), à Richelieu, 19 août (ibid., 391) ; Relation de la mort du chevalier de La Barre, par M. Cass*** (Cassen), avocat au Conseil du roi (Voltaire), 1764 (xxv, 510-516) ; Le cri du sang innocent, 1775, suivi de La procédure d’Abbeville, 1775 (xxxix, 375). Cf. Chassaigne, Le procès du chevalier de La Barre, in-8°, Paris, 1920 ; Busson, Les apôtres de la tolérance, dans Revue de métaphysique et de morale, 1918, p. 707 sq.

Il s’occupa aussi des affaires de droit commun, Martin, de Bar, 1767, Montbaillꝟ. 1770, d’où la Méprise d’Arras, in-8°, Lausanne, 1771 (xxviii, 425) ; de la douteuse affaire Morangiès, 1772-1777, d’où : Déclaration de M. de Voltaire, sur le procès entre M. de Morangiès et les Verron, 1773 (xxix, 25-32) ; Précis du procès… (ibid., 66-84) ; de l’affaire de Lally-Tallendal, d’où Fragments sur l’Inde (ibid., 85-212).

En 1766, il publia son Commentaire sur le livre des délits et des peines (de Beccaria) par un avocat de province, in-8°, s. 1. (Genève) ; en 1769, son Histoire du Parlement de Paris par M. l’abbé Big… (Bigorre), 2 vol. in-8°, Amsterdam, que la peur lui fera désavouer en hâte, Lettres du 5 juillet 1769 à Marin, secrétaire de la librairie (xlvi, 367) ; du 9 à Lacombe qui est à la tête du Mercure (ibid., 373) ; du 21 à d’Argental (ibid., 389). La réforme de Maupeou le sauva. De la même époque et se rattachant aux mêmes idées datent un Essai sur les probabilités en fait de justice, in-8°, s. I. (Genève), 1772 ; ses Nouvelles probabilités en fait de justice, ibid. ; le Prix de la justice et de l’humanité, 1777 (xxx, 533-586). Cf. E. Marmonteil, La législation criminelle dans l’œuvre de Voltaire, in-8°, Paris, 1902.

On a vu son action contre les jésuites d’Ornex. Vers la même époque, il s’en était pris à un de leurs amis, le curé de Moëns, Ancian, qui exigeait des vassaux de Voltaire les redevances auxquelles il avait droit. Deux ans après, janvier 1761, ce même curé était compromis dans une rixe suivie de mort ; Voltaire s’acharna contre lui, au nom de la justice et des droits des hommes. Il obtint peu. En 1776, grâce à Turgot, il affranchit, à son propre avantage d’ailleurs, le pays de Gex de certaines charges. À partir de 1770, en dix écrits et en de multiples démarches, le tout inauguré dans une requête Au roi en son conseil. Pour les sujets du roi qui réclament la liberté de la France contre des moines bénédictins, devenus chanoines de Saint-Claude, en Franche-Comté, il attaque les droits de mainmorte, qu’exercent les chanoines de Saint-Claude, héritiers des bénédictins du Jura, sur « les serfs du Jura ». Battu devant le parlement de Besançon, août 1775, il s’efforcera d’obtenir un édit du roi libérant « douze mille esclaves de six pieds de haut de vingt petits chanoines ivrognes ». Lettre à Turgot, 17 mai 1777 (l, 225).

Dès 1757, Catherine II l’avait appelé à Saint-Pétersbourg. Il entretiendra avec elle une correspondance dont il sera fier, malgré les meurtres de Pierre III et d’Ivan VI. Déjà, pour plaire à l’impératrice Elisabeth, il avait entrepris, au mécontentement de Frédéric II, une Histoire de la Russie sous Pierre le Grand, dont le t. i, s. 1. (Genève), parut en 1759. Le second, s. 1. (Genève), parut en 1763. Voltaire louera beaucoup Catherine II de son Instruction sur le code qui assurait une certaine tolérance en Russie. Voir Lettres à d’Alembert, 4 février 1763 (xlii, 371), à M. Pictet, septembre (ibid., 584-585).

III. LES DERNIÈRES ANNÉES. LE RETOUR A PARIS ET LA MORT EN 1778.

Depuis longtemps, Voltaire se disait mourant. C’était un moyen de défense. Quand il ne put plus douter que sa fin approchât, il poursuivit avec autant, sinon plus de vigueur, sa guerre contre l’Infâme, comme le prouvent les Dialogues d’Évehmère, Londres (Amsterdam), 1777 (xxx, 465), son Histoire de l’établissement du christianisme, qu’il laisse en portefeuille, la publication qu’il fit à Genève de l’Éloge et Pensées de Pascal (de Condorcet). Nouvelle édition, corrigée et augmentée de XCIV dernières remarques, par M. de V., in-8°, Paris (Genève), 1778. Cf. ici, t. xi, col. 2192-2193. L’abbé Guénée, ayant publié en 1769 ses Lettres de quelques juifs, in-8°, Paris, et ayant réédité cet ouvrage en 1771, 1772 et 1776, Voltaire y répondra encore par Un chrétien contre six juifs, in-8°, La Haye (Genève), 1777.

Il n’est pas d’ailleurs en bons termes avec l’évêque d’Annecy, Biord. Il a eu avec lui des difficultés à propos de l’église de Ferney qu’il a fait démolir et rebâtir de sa propre autorité avec l’inscription Deo erexit Voltaire, à propos aussi d’une croix ancienne qu’il a fait abattre sous prétexte qu’elle gênait la perspective, et de ses Pâques qu’il fait — comme déjà à Colmar en 1754 — en 1768, en l’église de Ferney avec un cérémonial grotesque ; en 1769, dans son lit, sous prétexte de maladie, mais en y ajoutant, cette fois, une série d’actes notariés, dont le dernier fut, le 15 avril, une profession de foi catholique.

Il répétait qu’il se plaisait à Ferney. Mais Paris lui manquait, dont il était exilé depuis vingt ans. Comptant sur une cour mieux disposée, cédant aux appels du parti qui se sent en baisse, prétextant la représentation d’Irène, il arrivait à Paris, le 10 février 1778. Tous, sauf Louis XVI, qui ne lève pas l’interdiction, orale il est vrai, de son prédécesseur, lui font un triomphe. Le 30 mars, à la représentation d’Irène, c’est son apothéose. Il est reçu à la loge des Neuf-Sœurs et élu président de l’Académie. Dans l’intervalle, il a failli mourir. Craignant d’être après sa mort « jeté à la voirie comme la pauvre Lecouvreur », il a reçu un ex-jésuite, aumônier des Incurables, Gaultier, qui subordonne l’absolution à une rétractation (l, 371 sq. et passim). Voltaire lui en écrit une, à sa manière, insuffisante par conséquent. Les choses en restèrent là. Voltaire mourra le 30 mai, furiis agitatus, dira son médecin Tronchin, cf. Maynard, op. cit., p. 614-619 ; Desnoiresterres, op. cit., t. vi, p. 341-386 ; A. Baudrillart, Les derniers moments de Voltaire, dans Revue apologétique, 1905-1906, p. 448449, sans s’être réconcilié avec l’Église et laissant à son secrétaire Wagnière une profession de foi théiste.

L’archevêque de Paris et le curé de Saint-Sulpice refusèrent à sa dépouille la sépulture ecclésiastique. L’évêque d’Annecy avait interdit, d’autre part, de l’inhumer dans l’église de Ferney. Son neveu Mignot, conseiller-clerc au Parlement, abbé de Scellières en Champagne, emporta subrepticement le cadavre dans cette abbaye et le fit inhumer dans la chapelle, ce que blâma l’évêque de Troyes. A Paris, les cordeliers refusèrent de célébrer pour Voltaire le service que l’Académie leur demandait pour chacun de ses membres défunts ; les desservants de l’église, exempte cependant, des chevaliers de Malte firent de même. Une pompe funèbre à la loge des Neuf-Sœurs remplaça le service religieux le 28 novembre.