Dictionnaire de théologie catholique/VOLONTÉ, I. VOLONTÉ DE DIEU.

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 896-922).

VOLONTÉ. —
Cet article correspond à l’art. Science et, par conséquent, comme la science, la volonté sera étudiée sous un triple aspect théologique :
1° Volonté de Dieu ;
2° Volonté des anges et des âmes séparées ;
3° Volonté en Jésus-Christ. Un bref appendice donnera surtout des références aux articles où la volonté humaine a été étudiée en elle-même et dans ses rapports avec la volonté divine.

I. VOLONTÉ DE DIEU.
I. Existence et nature.
II.Objet (col. 3327).
III. Corollaire : l’optimisme (col. 3336).
IV. Divisions (col. 3347).
V. Attributs (col. 3349).
VI. Appendice : La volonté salvitique universelle (col. 3356).

I. Existence et nature.

Existence.

L’existence d’une volonté en Dieu ne peut être conçue dans l’hypothèse moniste d’une force spirituelle ou matérielle, d’où, par une nécessité aveugle, émanerait le monde visible. Voir Dieu, Monisme et idéalisme, t. iv, col. 1265 sq. ; Matérialisme, Matérialisme et monisme, t. x, col. 315 sq.

Sans être expressément définie, l’existence d’une volonté en Dieu est une vérité catholique nettement exprimée dans la déclaration du concile du Vatican : « La Sainte Église catholique, apostolique et romaine, croit et confesse qu’il y a un seul Dieu, vrai et vivant. Créateur et Seigneur du ciel et de la terre, infini dans son intelligence et sa volonté. » De fide cath., c i, Denz.-Bannw., n. 1782.

Cette doctrine est proposée par l’Écriture, confirmée par la tradition, logiquement affirmée par la raison.

1. Écriture.

a) Ancien Testament.

L’Ancien Testament montre que Dieu a voulu créer le monde, Gen., i, 3, 6, 9, 11, etc., et spécialement l’homme, i, 26. La volonté de Dieu se manifeste aussi dans la législation imposée aux Hébreux, Ex., xx, 2-17 ; 23-26. Parfois il est fait appel à la volonté miséricordieuse de Dieu, par exemple quand Abraham intercède en faveur de Sodome, Gen., xviii, 23-33 ; Dieu, d’ailleurs, ne veut pas la perte du pécheur, mais qu’il vive, Ez., xviii, 23 ; xxxiii, 11, L’Écriture atteste encore la volonté du Dieu annonçant et préparant l’ordre providentiel qui doit aboutir à la rédemption des hommes. Gen., xxviii, 13-15. C’est rempli de ces pensées que le psalmiste proclame la puissance et la munificence de la volonté divine dans sis œuvres. Ps., cxxxiv, 23 ; cf. ps. ex, 2 ; en, 7. Enfin on ne sau rait passer sous silence la belle prière de Mardochée : « Seigneur, Roi tout-puissant, toutes choses sont soumises à votre pouvoir et il n’est personne qui puisse faire obstacle à votre volonté, si vous aves résolu le salut d’Israël, » Esther, xiii. 9.

b) Nouveau Testament.

La volonté divine est affirmée soit dans l’unité de la nature, soit dans chacune des trois personnes.

Dans le Pater, le Christ nous apprend à dire A Dieu : « Que votre volonté soit faite », Matth., vi, 10. Saint Paul rappelle que ce que Dieu veut, c’est notre sanctification, I Thess., iv, 3 ; et il nous in vile à nous transformer par le renouvellement de l’esprit, afin d’éprouver quelle est la volonté de Dieu. Rom., xii, 2. D’ailleurs, le c. ix de l’épître aux Romains esquisse le rôle de la volonté divine dans notre élection et notre prédestination. Rom., i, 15-18.

A plusieurs reprises, le Christ manifeste qu’il entend faire la volonté du Père, Joa., vi, 38 ; Matth., xxvi, 39 ; Luc, xxii, 42. C’est par un acte de sa volonté personnelle qu’il accomplit ses miracles, cf. Matth., viii, 3, qu’il révèle les mystères connus de lui seul et du Père, Luc, x, 12, qu’il demande au Père de maintenir l’union entre lui-même et ses disciples. Joa., xvii, 24.

2. Tradition.

a) Les Pères.

L’enseignement des Pères sur la volonté divine doit être recueilli surtout à propos des. problèmes connexes, toute-puissance, liberté, création, voir ce mot, t. iii, col. 2140 sq., volonté salvifique, antécédente et conséquente, etc., ou bien encore dans l’exposé du problème trinitaire de la seconde procession, secundum uoluntatem, voir Processions divines, t. xiii, col. 657 ; Trinité, t. xv, col. 1808. Aussi la plupart des auteurs jugent inutile d’insister sur la doctrine des Pères touchant le seul fait de l’existence d’une volonté en Dieu.

Il est bon toutefois de faire observer qu’indépendamment des questions connexes, les premiers Pères, dans leurs recommandations morales, ont insisté sur la nécessité de se conformer à la volonté divine et d’observer ses commandements. Voir Didachè, i, 5 ; iv, 13 ; viii, 2 (le « fiât voluntas tua » du Pater) ; Epist. Barnab., ii, 5, 10 (rappelant Is., i, 11-13 ; ps. l, 19) ; x, 2 (cf. Deut., iv, 1, 5) ; Clément, / Cor., xxxiii, 8 ; xxxiv, 5 ; xli, 3 ; xlix, 6 ; lxi, 1 ; cf. xlii, 2 (le bel ordre de la volonté de Dieu) ; // Cor. (homélie pseudo-clémentine), iv, 2 (rappelant Matth., vii, 21, en l’abrégeant : pratiquer la justice est substitué à « faire la volonté du Père » ) ; v, 1, cf. vi, 7 ; viii, 4 ; x, 1, cf. xiii, 2 ; xiv, 1.

Dans plusieurs de ses lettres, saint Ignace d’Antioche fait mention de la volonté divine : suscriptions des épîtres. Eph. ; Rom. ; Trait., i, 1 ; Smyrn., i, 1 ; xi, 1 ; Polyc., viii, 1. Voir aussi l’épître de Polycarpe ad Phil., i, 3 ; ii, 2 et le Martyre de S. Polycarpe, i, 1 ; vii, 1. Saint Clément enseigne que notre élection à la vie chrétienne et à la sanctification est l’effet, non de nos œuvres, mais de la volonté divine. / Cor., xxxii, 3, 4.

Les Pères rappellent aussi la puissance de cette volonté : « Rien d’impossible à Dieu, sauf le mensonge. .. Il fait tout quand et comme il veut et rien ne passe de ce qu’il décrète. » Clément, / Cor., xxvii, 2, 6. Voir Aristide, Apol., n. 4, P. G., t. xcvi, col. 1109 AB ; S. Irénée, fragm. v et vi, P. G., t. vii, col. 1231 BC ; S. Hippolyte : « Dieu n’a fait que ce qu’il a voulu faire », Philos., t. X, n. 32, 33, t. xvi c, col. 3447 À et C ; cf. Adv. Noetum, c. viii, t. x, col. 816 AB. On rencontre des affirmations analogues chez Clément d’Alexandrie, Protrept., c. iv, n. 63, t. viii, col. 164 À et son disciple Origène, De principiis, t. I, c v, 3 ; t. II, c viii, 3 ; III, c. iv, 6 (il s’agit de la volonté du Créateur), t. xi, col. 158-159 ; 221-223 ; 339-340, etc. De là une domination souveraine de Dieu sur le monde : cf. Théophile d’Antioche, Ad Autol., i, n. 4, t. vi, col. 1029 AB. C’est le sens qui ressort de toutes les regulse fidei rapportant à Dieu l’existence de tous les êtres.

On sait que le gnosticisme avait obscurci, sinon nié, cette dernière vérité. Contre la conception gnostique de Ptolémée, saint Irénée a précisé le concept chrétien de la volonté divine : intelligence et volonté ne sont pas deux êtres distincts et séparés, car c’est le même et unique Dieu qui, « en même temps qu’il a pensé, a réalisé ce qu’il a pensé ; et, en même temps qu’il l’a voulu, a pensé ce qu’il a voulu ; pensant ce qu’il veut, voulant quand il pense… » Cont. huer., i, xii, 2, P. G., t. vii, col. 574 A. Cette volonté divine, Irénée l’appelle « la substance de toute chose », non certes au sens de certains panthéistes modernes, mais parce que c’est d’un acte de la volonté divine que toutes choses créées ont reçu l’être. Ibid., II, xxx, 9, col. 822 A. Ainsi la volonté divine les maintient dans l’être, ibid., xxxiv, 2, col. 835 C ; n. 3, col. 836 A, et les domine, n. 4, col. 837 A.

b) Documents du magistère.

La croyance en la volonté divine, si fortement marquée dans les écrits des premiers Pères de l’Église, a laissé son empreinte dans les documents du magistère, même en dehors de toute controverse.

Les premières formules conciliaires n’emploient pas le mot « volonté » pour confesser l’unité d’action des trois personnes de la Trinité. La formule Clemens Trinitas emploie une expression qu’on retrouve fréquemment ensuite : una virlus, una potestas. Denz.-Bannw., n. 17. Le symbole de Pastor (I er concile de Tolède) proclame les trois personnes indivisibles virtute et potestate. Ibid., n. 19. Le concile romain de 389 porte l’anathème contre ceux qui n’accordent pas au Saint-Esprit la même puissance qu’au Père et au Fils, can. 1, ibid., n. 59 ; cf. can. 24, n. 82. Le concile de Braga de 561 affirme les trois personnes unius substantiee, et virtutis ac potestatis, can. 1, n. 231, qu’on retrouve avec une légère variante au XIe concile de Tolède, unius majestatis atque virtutis, n. 275. Entre temps, le concile du Latran de 649 reconnaît aux trois personnes « une seule déité, nature, substance, vertu, puissance, royauté, autorité, volonté, opération, ete ». Ibid., n. 254. Le XIe concile de Tolède lui-même fait intervenir, dans l’œuvre de l’incarnation, l’unique volonté des trois personnes : le Fils est envoyé, non seulement par le Père et le Saint-Esprit, … mais encore par lui-même : la raison en est dans l’inséparabilité, non seulement de volonté, mais d’opération, de toute la Trinité, ibid., n. 285. Le symbole de foi de saint Léon IX, dont le texte provient des Statuta Ecclesiæ antiqua, précise l’ancienne formule en proclamant, dans la Trinité, « la déité… d’une seule et même volonté, puissance et majesté », Denz. -Bannw., n. 343, formule reprise par Clément IV et imposée à Michel Paléologue, qui la lit au IIe concile de Lyon. Ibid., n. 461. Le concile du Vatican, dans sa déclaration, est donc l’écho d’une tradition authentique.

Les documents conciliaires parlant expressément de la volonté divine à propos de la Trinité sont extrêmement rares : le dogme évite les explications de la théologie. La Fides Damasi, pour expliquer la génération du Fils, enseigne que le Père engendre le Fils, non voluntate, nec necessitate, sed natura. Denz.-Bannw. , n. 15. Un second document est l’expression peu heureuse relevée par Benoît II dans un écrit de saint Julien et dont l’orthodoxie fut défendue par les XVe et XVIe conciles de Tolède : voluntas gentil voluntatem. Ibid., n. 294, 296. Voir, t. xv, col. 1188, 1206 ; et Trinité, col. 1705.

Une troisième série de documents est relative à la controverse monothélite. Ces documents, à l’exception des deux lettres d’Honorius I er, Denz.-Bannw., n. 251, 252, affirment deux volontés dans le Christ, la volonté divine et la volonté humaine. Voir lettre de Jean IV pour disculper Honorius, n. 253 ; concile du Latran de 649, can. 10, 13, 14. 16, 18, ibid., n. 263, 266, 267, 269, 271 ; lettre dogmatique de saint Agathon, ibid., n. 288 ; IIIe concile de Constantinople, n. 291, 292 ; Symbole de saint Léon IX, n. 344 ; VOLONTÉ. DE DIEU, EXISTENCE ET NATURE

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décret pro Jacobitis du concile de Florence, n. 760 ; profession de foi imposée aux Maronites par Benoît XIV, n. 1465.

3. Raison.

Saint Thomas conclut de l’existence de l’intelligence en Dieu à l’existence de la volonté. Sum. theol., I a, q. xix, a. 1. De l’avis des meilleurs commentateurs, sa présentation de l’argument revêt dans la Somme une forme quelque peu obscure. Le P. Sertillanges a su présenter plus clairement le raisonnement du Maître. De même que l’intelligence, quand elle ne possède pas encore le vrai, tend naturellement vers ce vrai qui est son bien propre, ainsi, à l’égard d’un bien que l’intelligence a saisi d’une manière purement intentionnelle, il est nécessaire que s’établisse une tendance, un appétit naturel vers la possession réelle de ce bien ; cette tendance est la volonté. Et de même que l’intelligence se repose dans la vérité possédée, ainsi la volonté, jouit dans l3 possession du bien qu’elle a atteint. Voilà pourquoi en Dieu il est nécessaire qu’il y ait volonté, parce qu’il y a intelligence. Mais, s’empresse d’ajouter saint Thomas, comme l’intelligence divine est son être même, ainsi en est-il de son vouloir. Le mot de « vouloir » (velle) est employé ici de préférence à « volonté », car ce n’est pas seulement la faculté, c’est aussi son acte qu’il faut, en Dieu, identifier avec l’être divin : « Il n’y a en Dieu que Dieu ; en égrenant péniblement les attributs du premier Principe, nous balbutions Dieu. » Sertillanges, Dieu, t. ni (Somme théologique, édit. de la Revue des Jeunes), Paris, 1935, p. 275, note 10.

Cet argument fondamental sert d’appui à de multiples raisons connexes, développées par saint Thomas dans le De veritate, q. xxiii, a. 1 et dans le Cont. Gentes, I. I, c. lxxii, et que l’on peut grouper autour de ces deux considérations centrales : 1° Dieu, ’souverain bien et se connaissant comme tel, ne peut pas ne pas se vouloir lui-même ; 2° Dieu, ayant communiqué aux créatures le bien de l’existence, n’a pas pu ne pas avoir eu la volonté de leur donner ce bien. Voir le commentaire de Sylvestre de Ferrare sur ce c. lxxii de la Somme contre les Gentils.

Nature.

Le principe qui doit diriger la spéculation

théologique touchant la nature de la volonté divine est l’identité du vouloir divin et de l’être même de Dieu. Toute imperfection doit donc être éliminée. Les conclusions que nous en allons tirer représentent plus spécialement la doctrine thomiste, dont s’écarte en quelques points secondaires l’école scotiste, voir Duns Scot, t. iv, col. 1880 sq., et, d’une manière plus accentuée, l’école nominaliste, voir t. xi, col. 759 sq.

1. Perfection absolue de la volonté divine. — Aussi, et] premier lieu, doit-on dire que la volonté divine, dont l’acte éternel a produit dans le temps toutes les perfections créées, contient en elle-même toutes les perfections possibles, à un degré éminent, et sans mélange d’aucune des imperfections inhérentes aux volontés créées. Ou mieux, puisque la volonté divine l’identifie avec Dieu, elle est absolue. Seules peuvent donc être transportés dans la volonté de Dieu les affections et sentiments qui, essentiellement, ne renferment aucune imperfection ; par exemple, l’amour du bien, la joie de sa possession, ou même la haine du mal. Mais toute affection supposant un bien absent ou la menace d’un mal imminent ne peut convenir à Dieu. Donc, en Dieu, pas de désir, pas d’espérance,

pas de tristesse ni de crainte, ni de colère. Si la sainte Écriture prête ces sentiments à Dieu, c’est par anthropomorphisme (par métaphore, dit saint Thomas),

uniquement en raison de la similitude des effets : de même que les hommes en colère Infligent une punition, ainsi les châtiments Infligé ! par Dieu font dire qu’ « Il est en colère ». Pareillement les effets de sa

miséricorde comparés aux rigueurs dont il menace les pécheurs font dire qu’ « il se repent ». S. Thomas, I a, q. xix, a. 7, ad 2um ; cf. Cont. Gent., t. I, c.lxxxviii.

2. Immutabilité du vouloir divin.

S’identifiant avec l’être divin, le vouloir divin est immuable : aucune succession n’est concevable dans les décrets divins. Nonobstant la diversité des objets du vouloir divin, qui se déroulent dans la continuité du temps, le vouloir divin lui-même qui commande cette diversité est toujours et de toute éternité sans changement possible. La théologie explique comment l’immutabilité du vouloir divin s’accorde avec la liberté de Dieu, voir Création, t. iii, col. 2139, avec nos actes libres, voir Liberté, t. ix, col. 669674 ; Providence, t. xiii, col. 1014-1015, avec le miracle, voir ce mot, t. x, col. 1832, avec l’efficacité de la prière, voir Providence, col. 1019. Rappelons ici simplement que tout ce qui est changement et signe de liberté se tient du côté des créatures, prévues et voulues par Dieu de toute éternité. Dans cet enchaînement des choses et des événements, prévus et voulus par Dieu, trouvent place les interventions libres des créatures, prières, mérites et autres actions destinées à provoquer la bienveillance divine. Cf. I a, q. xix, a. 7 ; Cont. Cent., t. III, c. xci, xevi, xcvm ; De veritate, q.xii, a. 2, ad 3um.

L’immutabilité du vouloir divin comporte donc une différence essentielle avec le fatalisme des Orientaux et des stoïciens. Voir Fatalisme, t. v, col. 2095. Dans le fatalisme, tout est soumis à un destin aveugle (fatum) qui ne tient aucun compte des activités humaines. L’immutabilité que la doctrine catholique professe relativement à la volonté divine n’exclut ni la providence, ni le jeu de la liberté humaine dans le gouvernement de cette providence, voir Providence, t. xiii, col. 1014 sq.

3. Volonté infinie.

C’est l’expression dont se sert le concile du Vatican. Cette infinité lui vient de son identité absolue avec l’essence divine. Dieu est volonté, comme il est amour ; cf. I Joa., iv, 8, 16. La raison de cette identité absolue est la simplicité divine : Dieu est son vouloir, sa volonté, son amour, comme il est sa sagesse, son intelligence, sa propre connaissance ; il est cela, non par quelque chose de surajouté, mais par son être même. On peut appliquer aux perfections de l’activité divine ce que le concile de Reims (1148), eau. 1, dit des attributs de l’être divin. Denz.-Bannw., n. 389. C’est en raison de cette identité de la volonté infinie de Dieu avec l’être divin que le XVe concile de Tolède a défendu l’orthodoxie de l’expression : voluntas gentil voluntatem.

L’infinité de la volonté divine fait logiquement conclure à sa toute-puissance. Voir plus loin.

4. Volonté indépendante de tout autre être.

Autre conséquence : son Indépendance absolue à l’égard de toutes les réalités extérieures. La volonté divine ne saurait agir sous l’influence d’un désir de posséder un bien que Dieu n’aurait pas encore : aucun bien n’existe que Dieu, l’être souverainement parfait, ne possède d’une manière Buréminente. On ne peut donc trouver en la divine volonté qu’amour de complaisance, de bienveillance, d’amitié ; et seule la divine essence peut, à l’égard de la volonté de Dieu (selon notre mode de concevoir les choses), exercer une influence de cause finale ou de cause efficiente ou quelque autre influence que ce soit : « I.’objet de la divine volonté est sa bonté même, Identique à son essence. Puisque la volonté (le Dieu est l’essence divine elle-même, cette volonté n’est pas mue par autre chose que par soi (si toutefois

on peut parler de mouvement dans l’intelligence et

le VOUloir divin). C’est en ce sens que Platon, Phèdre,

245’I. a dit du pic n lier Principe qu’il m meut lui même. » S. Thomas, P. q. xix, a. 1, ad 3° m.

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    1. VOLONTÉ##


VOLONTÉ. !)] : DIEU, OBJET

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C’est pourquoi il est impossible de trouver une cause à la volonté divine : « De même que Dieu par un seul acte voit tout dans son essence, ainsi par un seul acte il veut tout dans sa bonté. Par là, comme en Dieu l’intelligence de la cause n’est pas cause de l’intelligence de l’effet, mais que l’effet est vu dans sa cause ; ainsi, vouloir la fin n’est pas en Dieu cause qu’il veuille les moyens ; mais il veut que les moyens s’orientent vers la fin. En d’autres termes, Dieu veut que ceci soit pour cela ; mais il ne veut pas ceci à cause de cela. » I a, q. xix, a. 5. Ainsi, tout en affirmant que la volonté divine n’a pas d’autre cause qu’elle-même de ses déterminations, on ne supprime pas pour autant l’enchaînement des causes secondes à leurs effets, « car Dieu voulant que l’effet soit en raison de sa cause, tout effet qui présuppose un autre effet dépend non seulement de la volonté divine, mais d’un autre être encore. » Ibid., ad 3um.

II. Objet.

L’objet de la volonté de Dieu, comme celui de la science, est double : Dieu lui-même, objet principal, formel et nécessaire ; les êtres en dehors de Dieu, objet secondaire, matériel et libre.

I. objet primaire : DIEU LUI-MÊME. — 1° Existence. — Le concile du Vatican l’affirme nettement : « Dieu s’aime lui-même nécessairement. » De ftde cath., c. i, can. 5(§2), Denz.-Bannw., n. 1805. Vérité tellement évidente après ce qui a été dit de la volonté divine en général, qu’il est inutile d’insister. Dieu est le souverain Bien, et c’est dans la possession parfaite de ce bien que Dieu manifeste son être : Deus carilas est. Toute la tradition est là pour affirmer que Dieu s’aime : la personne du Saint-Esprit n’est-elle pas l’Amour substantiel de Dieu et le terme de la procession selon la volonté ? Aucun égoïsme d’ailleurs en cet amour de soi ; s’aimer, pour Dieu, n’implique pas une préférence, puisque l’amour, en Dieu, est la source et le principe de tout amour, Dieu étant le souverain Bien, souverainement aimable. Ne pas s’aimer serait pour Dieu vouloir ne pas être : Deus caritas est.

2° Mode : Dieu se veut et s’aime nécessairement. — Ici, aucune liberté. Comme Dieu est nécessairement, il est amour et amour de soi nécessairement. D’ailleurs, aucune volonté ne saurait avoir de liberté à l’égard de son objet adéquat et pleinement proportionné, car un tel objet est pour la volonté la raison qui la détermine à vouloir tous les autres biens. Ainsi la volonté humaine est mue par le bien en général ; c’est toujours sous l’aspect de bien que des objets particuliers l’attirent. Or, en Dieu la divine bonté est l’objet adéquat, parfaitement proportionné, de la divine volonté. Donc Dieu ne peut pas ne pas vouloir sa propre bonté. Bien plus, le vouloir divin s’identifiant avec l’être divin, la volonté de Dieu ne peut être qu’un acte éternel d’amour à l’égard de son objet primaire et adéquat. Cf. S. Thomas, Cont. Gent., t. I, c. lxxiv ; cf. I a, q. xix, a. 1, ad 3um ; q. xx, a. 1.

II. objet secondaire.

Ce sont tous les êtres que Dieu a créés, qu’il a voulus et aimés pour lui-même, mais qu’il a appelés librement à l’existence. A ces trois vérités, explicitement professées par le concile du Vatican, sess. iii, De ftde catholica, c. i et can. 5 (§ 2 et 3) ; cf. Denz.-Bannw., n. 1783, 1805, on devra ajouter ici, à défaut de l’art. Optimisme, annoncé à Création, un corollaire, établissant que Dieu n’a pas dû nécessairement créer le meilleur monde, absolument parlant. Les textes du concile se trouveront à Création, t. iii, col. 2034-2035.

1° La volonté divine est à l’origine de tous les êtres sans exception. — Dans sa partie positive, l’art. Création a rappelé que la doctrine chrétienne de la création doit s’entendre d’une production à partir d’un néant absolu, et cela par la seule puissance divine :

autorité de l’Écriture, col. 2042-2057 ; des Pères, col. 2057-2082 ; des théologiens à partir du xiiie siècle, col. 2082-2984. La scolastique cherche à établir que le principe des choses ne saurait être multiple : pas de dualisme, et c’est Dieu seul qui est, des choses existantes, à la fois cause efficiente, finale et exemplaire, col. 2084-2085. Dieu est créateur exclusif, col. 2110. C’est dans la causalité efficiente qu’intervient la volonté divine pour jouer son rôle ; la science divine suffit à justifier l’exemplarisme divin : elle éclaire, mais la volonté réalise. Col. 2129-2131. Sur le rôle de la volonté divine dans la providence, voir ce mot, t. viii, col. lOfO.

Telles sont les grandes lignes de la doctrine. Certains aspects, où la volonté est plus directement intéressée, ont été mis en relief par saint Thomas.

1. Nécessité de l’intervention de la volonté dans l’acte créateur. — Il semble qu’ici saint Thomas ait la préoccupation d’éliminer la thèse d’Abélard faisant reposer l’activité divine sur une nécessité de nature et non sur la volonté. Cont. Gent., t. II, c. xxiii ; De potentia, q. i, a. 5 ; q. iii, a. 15 ; I a, q. xix, a. 4. Sur la doctrine d’Abélard, prop. 7, Denz.-Bannw., n. 374, voir Abélard, t. i, col. 46. Dans la Somme théol., saint Thomas réduit à trois les arguments d’où il conclut qu’ « il y a nécessité d’affirmer que la vofonté de Dieu est la cause des choses et que Dieu agit par sa volonté et non pas une nécessité de nature » : a) Raison tirée de la finalité à imposer aux causes agissant par nature : il faut, en effet, qu’un agent inteilectuel et volontaire les précède, afin de prédéterminer la fin que ces causes doivent poursuivre ; b) Raison tirée de l’efficacité des causes naturelles, toujours déterminées à la production du même effet. Or, Dieu est l’Être transcendant, contenant toute perfection d’être ; il ne peut donc agir par nécessité de nature, mais, s’il produit des effets déterminés, la détermination de ces effets ne pourra provenir que de sa science et de sa vofonté ; c) Raison tirée du rapport de la cause à l’effet : la cause première, intelligence infinie, ne peut contenir ses effets qu’intelligiblement ; les effets doivent donc en procéder d’une manière conforme aux exigences d’une nature intellectuelle, c’est-à-dire par décision de la volonté. Dans la Somme théol., l’argument d’autorité est Sap., xi, 25 ; dans Cont. Gent., ps. cxxxiv, 6 ; Eph., i, 11. Textes bien choisis.

2. Les êtres individuels, objet de la volonté divine. — Dieu ne veut pas seulement les êtres créés sous une raison générale, en se voulant lui-même comme principe de tout bien participé ; mais son vouloir s’attache aussi à toutes les particularités déterminant chaque bien pris individuellement. Chacune de ces particularités est aussi, en effet, une participation du Bien souverain et par conséquent ne peut exister que si la volonté divine l’a décrétée. Si une seule de ces particularités échappait à la volonté divine, il faudrait dans l’ordre de l’univers faire une part au hasard. Cont. Gent., t. I, c. lxxviii. Comme la science divine, la volonté de Dieu porte sur tous les détails dont le bien souverain, qui s’identifie avec l’essence de Dieu, est l’exemplarisme transcendant. Cf. Providence, t. xiii, col. 1012-1014.

3. La volonté de Dieu porte sur les êtres futurs. — Éternelle comme l’être divin, la volonté de Dieu coexiste à tout le temps et à toutes les parties du temps, dans lesquelles elle a décrété l’apparition successive des êtres créés. Peu importe donc que, par rapport à nous, certains effets de la divine volonté n’existent pas encore ; par rapport à Dieu, ils sont présents, comme tout le temps, dans sa continuité, est présent à son éternité. Cont. Gent., t. I, c. lxxix ; cf. c. lxvi ; Sum. theol., I a, q. xiv, a. 13 ; De veritate, q. ii, a. 12. Voir Éternité, t. v, col. 912 sq.

La volonté de Dieu porte même sur les futurs libres. Cette vérité incontestable, admise par tous les théologiens catholiques, reçoit cependant des explications différentes selon les différentes écoles. Ces solutions ont été exposées soit à Liberté, t. ix, col. 672-674, soit à Science de dieu, t. xiv, col. 16121618, soit à Providence, t. xiii, col. 1014-1015 ; cf. Prémotion, ibid., col. 67-69. Les futurs sur lesquels porte la volonté divine sont même en nombre infini. Voir Science, col. 1605. Cf. S. Thomas, I a, q. xiv, a. 12.

4. La volonté de Dieu et le mal.

Le problème du mal pose plus d’une question touchant le rôle qu’y peut avoir la volonté divine. Les principes de solution ont été rappelés à Mal, t. ix, col. 1697-1699 ; et les solutions apportées à Providence, t. xiii, col. 1017-1019. On n’ajoutera donc ici que quelques précisions. Voir également plus loin la solution du problème du mal dans la doctrine de l’optimisme.

Tout d’abord, on suppose exclue l’hypothèse absurde du dualisme, admettant un principe souverain du mal. Voir l’exposé de cette erreur à Mal, col. 1680-1689 et les principes de sa réfutation, ibid., col. 1699. Cf. Manichéisme, ibid., col. 1872. Ensuite, il faut admettre que la plupart des maux d’ordre physique et moral sont la suite du péché originel, lequel a introduit dans la nature humaine un déséquilibre qu’avait voulu corriger le Créateur. Le péché est ainsi devenu la cause prochaine de bien des maux, que Dieu n’aurait pas voulu, même d’une volonté indirecte ou permissive, si l’homme lui avait été fidèle. Voir plus loin, Volonté antécédente et volonté conséquente. Enfin, à la base de toute discussion, il faut placer la distinction entre le mal physique et le mal moral, le « mal métaphysique », imaginé par Leibniz, D’étant pas autre chose que la limitation exigée par la nature même des êtres finis. Le mal physique est constitué par un désordre dans la nature physique des êtres : par exemple, dans la nature extérieure, les tremblements de terre, les inondations, les naufrages, etc. ; dans la nature sensible de l’homme, la souffrance physique et morale, la maladie, la mort elle-même. Le mal moral est le défaut de moralité, privant l’homme de la possibilité d’atteindre sa fin dernière, parce qu’il introduit en sa volonté un désordre qui l’en détourne : d’un mot, c’est le péché.

a) La volonté divine ne saurait porter sur le mal lui-même qui n’est pas une réalité, mais simplement la privation d’un bien dû à la nature d’un être et exigé par cette nature. Ce mal ne peut donc exister par lui-même, mais suppose un bien qui en est le lujet. Dieu ne peut donc vouloir directement aucun mal puisque sa volonté ne peut porter que sur un bien participant de sa fécondité inépuisable.

b) S’il s’agit du mal physique, on doit dire que Dieu le veut, mais d’une manière simplement indirecte, en raison d’un bien à sauvegarder. Le mal physique étant la privation d’une perfection duc à la nature physique d’un cire, cette privation a pour raison d’être la perfection qu’il s’agit précisément de sauvegarder. Les maux physiques que l’homme doit rapporter, soit dans la nature extérieure, soif dans sa propre sensibilité, proviennent toujours du jeu normal des lois physiques ou physiologiques, Pour supprimer les maux, il faudrait, en définitive, supprimer les lois elles mêmes, ces lois qui sont la condit ion même de l’existence du monde et de tout le bien qui s’y trouve. Dieu veul la conservation de ce bien et, la

voulant, il cul aussi, mais d’une manière simple ment Indirecte, les privations partielles et individuelles qui résultent du choc de certain ! effets parti Miliers correspondant, chacun pris a paît, au jeu intimai des lois. Pour éviter CCS effet*, il faudrait que

Dieu intervienne incessamment, à coup de miracles : ce qui est contraire à la sagesse même de Dieu et au bon gouvernement du monde. Voir plus loin, Puissance absolue et puissance ordonnée. La pensée de saint Augustin sur ce point est très nette, voir Mal, col. 1692 sq. Sur la nature du mal d’après saint Thomas, voir ibid., col. 1696 sq.

Mais, de plus, des considérations d’ordre moral viennent encore justifier les décrets de la volonté divine : « La douleur, qui contrarie l’inclination de la nature sensible, ne laisse pas de coopérer efficacement au maintien ou au rétablissement de l’ordre universel, parce qu’elle apporte un appui au commandement divin (en rappelant l’homme au sentiment de sa condition réelle et de l’hommage qu’il doit à son Créateur) et un exercice de la vertu. » A. d’Alès, art. Providence, dans le Dicl. apol., t. iv, col. 436, où l’on trouvera le développement de cette double idée. Ajoutons que le mal physique peut tenir’une grande place dans l’ordre de la providence surnaturelle. Par les souffrances chrétiennement supportées et par la mort acceptée avec foi et résignation, le croyant sait qu’il est configuré aux souffrances mêmes et à la mort de son Rédempteur, que par là il acquiert des mérites immenses et se prépare dans l’autre vie un bien infiniment supérieur à ceux dont il est privé ici-bas et qu’enfin ses souffrances et sa mort s’ajoutent pour ainsi dire aux satisfactions offertes par le Christ pour obtenir ici-bas la conversion des pécheurs et l’extension du règne de Dieu.

Il convient de mettre en relief un point souvent laissé dans l’ombre. Dans l’ordre providentiel, choisi et réalisé par la volonté divine, on ne doit pas établir un lien de finalité entre le mal physique et le bien. Ce que Dieu veut, c’est l’ordre providentiel dans l’ensemble de bien qu’il représente : le mal n’est voulu qu’accidentellement, parce qu’il se trouve englobé dans la série des biens voulus directement. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I », q. xix, a. 9, ad l um ; / ; i /" m Sent., dist. XLVI, q. î, a. 2 et 3 ; dans ce dernier article, saint Thomas note que le mal physique ne concourt pas en soi à la perfection de l’univers, mais qu’il peut accidentellement apporter un élément à cctle perfection. On ne saurait donc dire que Dieu veut ce mal pour le bien qui en résulte. C’est ce bien que Dieu veut et, par là, d’une manière simplement indirecte, il veut le mal qui en est, pour ainsi dire, la condition préalable.

c) S’il s’agit du mal moral, on doit dire que Dieu ne le veut en aucune façon, ni directement, ni indirectement. Il le permet simplement. Dieu pourrait vouloir indirectement le mal moral si ce mal était joint nécessairement à un bien plus grand que le bien dont nous prive le péché. Or, ce bien plus gr ; tnd est inconcevable, car le péché est un mal tel qu’il détruit, pour la créature qui s’en rend coupable, le souverain Bien lui-même. Dieu ne veut donc le mal moral que d’une volonté permissive. Cf. conc de Trente, sess. vi, can. 6, Denz.-Bannw., n. 816. I.a volonté permissive n’est pas a concevoir de la part de Dieu comme une attitude en quelque sorte négative ; c’est une volonté positive de permettre le mal moral ; c’est positivement vouloir ne pas empêcher le péché d’être commis par la volonté rebelle mais libre de la créa t lire. À moins de vouloir instaurer un ordre de choses en dehors des voies normales, la nature défectiblc faiblissant en fait chez plusieurs, il faut conclure que Dieu, tout en pouvant empêcher le mal moral, n’est pas tenu de l’empêcher et. en fait, le tolère. La liberté, avec son défaut naturel de faillibilifé chez l’homme encore voyageur, serait en fait violentée et anormale ment gouvernée si Dieu ne tolérait pas en certaines

créatures le péché.

Le concile de Soissons, en 1140, proscrivit cette proposition d’Abélard : « Que Dieu ni ne doit ni ne peut empêcher le mal. » (Prop. 8, Denz.-Bannw., n. 375.) Il pourrait l’empêcher, car le mal n’est pas un rival ou un égal de Dieu qui existe nécessairement. « Comment pourrait-il l’empêcher ? Soit en ne créant pas les êtres exposés à pécher ou capables de pécher ; soit en leur accordant des secours tellement abondants qu’ils deviendraient, en fait, impeccables, comme le fut la sainte Vierge Marie ; soit en leur communiquant dès leur premier instant la vision béatifique, qui les riverait pour toujours au souverain Bien. Il n’est pas tenu de l’empêcher. La créature raisonnable, naturellement faillible, portant un libre arbitre qui est de lui-même sujet aux fluctuations, ne peut devenir impeccable qu’en vertu d’un don purement gratuit… Dieu n’est aucunement tenu d’accorder ce qui est gratuit et extraordinaire et de produire des créatures impeccables. .. Si Dieu devait empêcher le mal sous toutes ses formes, il serait obligé de ne pas créer les êtres dont il prévoit d’avance la perversité ; et ainsi la malice de la créature limiterait la puissance du Créateur… » E. Hugon, Les vingt-quatre thèses thomistes, Paris, 1922, p. 274-275.

La raison de la volonté divine permissive du mal moral, c’est le bien qui résulte effectivement du mal permis (voir la doctrine de saint Augustin, art. Mal, loc. cit.) : le bien de la liberté humaine qui peut faillir sans doute, mais qui peut aussi permettre à l’homme, avec le secours de la grâce, de s’élever très haut dans la sainteté. Le péché lui-même a son rôle à jouer dans le développement du plan providentiel dans le sens du bien. La foi catholique montre quel bien supérieur peut résulter du mal moral : le péché de l’homme a été l’occasion de l’incarnation (o felix culpa !), de l’institution de l’Église et des sacrements, de tout cet ensemble de causes susceptibles d’amener l’homme à une haute perfection morale ; sans persécutions, pas de martyrs ; sans infidèles, pas de missionnaires : « c’est dans le secours et le remède apportés aux misères morales de toutes sortes que s’épanouissent dans tout leur charme les plus beaux dévouements des enfants du Christ, et c’est en fonction des luttes d’ici-bas que nous aurons une Église triomphante, une humanité glorieuse des combats qu’elle aura soutenus. .. » E. Hugueny, Critique et catholique, t. ii, p. 102.

d) Notre considération doit encore s’arrêter sur le mal de peine. À la fin de son article sur la volonté de Dieu et le mal (I a, q. ix, a. 9), saint Thomas envisage le « mal de peine », c’est-à-dire la punition infligée par Dieu pour rétablir l’ordre moral violé par le péché ; et il explique le rôle de la volonté divine à l’égard de la peine exactement comme à l’égard du mal physique : Dieu veut directement le bien qui y est attaché. « En voulant la justice, il veut la peine du coupable. »

Cetfft assimilation est très importante pour bien comprendre le dogme de la réprobation et éviter d’une part les excès des prédestinatiens, des calvinistes et des jansénistes, d’autre part les déficiences des pélagiens et semipélagiens. Sans descendre dans le détail des nuances qui séparent les écoles catholiques, on doit dire que la réprobation, selon notre mode de concevoir, comporte pour ainsi dire deux actes de la volonté divine : le vouloir permissif du péché, le vouloir de la restauration de l’ordre moral. La réprobation est donc la volonté qu’a Dieu de permettre le péché et ensuite d’infliger, pour le péché, la peine de la damnation. Dieu ne pre-destine personne au mal, mais, conséquemment au péché permis et prévu, il veut le châtiment du pécheur pour rétablir l’ordre moral violé. Sur le rôle de la volonté divine dans la prédestination, voir Prédestination, col. 3009-3010.

Toutefois, tant que le pécheur vit sur terre, la justice n’oblige pas la volonté divine à lui infliger le mal de peine. Ce qu’on a dit plus haut des raisons qui

justifient la volonté permissive de Dieu relativement au mal moral doit nous éloigner d’une conception étroite et mesquine d’un Dieu tenu à proscrire et à punir le péché. Certes, Dieu proscrit et punit le péché. Mais sa providence admirable et sage sait en tirer le bien et faire resplendir la bonté et la miséricorde à côté de la justice. On ne saurait établir de comparaison entre l’obligation qu’ont les hommes de fuir le péché et de le combattre et la situation de Dieu par rapport à ce même péché.

Il y a encore cette différence entre Dieu et l’homme, que l’homme n’est pas innocent, s’il laisse commettre le péché qu’il peut empêcher, et que Dieu qui, le pouvant empêcher sans qu’il lui en coûtât rien que de le vouloir, le laisse multiplier jusqu’à l’excès que nous voyons est cependant juste et saint ; quoiqu’il fasse, dit saint Augustin (Op. imperL, t. III, 23, 24, 27, P. L., t. xlv, col. 1256, 1257), ce que, si l’homme le faisait, il serait injuste. Pourquoi, dit le même Père, si ce n’est que les règles de la justice de Dieu et celles de la justice de l’homme sont bien différentes ? Dieu, poursuit-il, doit agir en Dieu et l’homme en homme. Dieu agit en Dieu, lorsqu’il agit comme une cause première, toute-puissante et universelle, qui fait servir au bien commun ce que les causes particulières veulent ou opèrent de bien ou de mal ; mais l’homme, dont la faiblesse ne peut faire dominer le bien, doit empêcher tout le mal qu’il peut.

Telle est donc la raison profonde par laquelle Dieu n’est pas obligé d’empêcher le mal du péché… Comme donc il ne peut s’ôter à lui-même ni le pouvoir d’empêcher le mal, ni celui d’en tirer le bien qu’il veut, il use de l’un et de l’autre par des règles qui ne doivent pas nous être connues, et il nous suffit de savoir, comme dit encore saint Augustin (loc. cit., c. xxiv) que, plus sa justice est haute, plus les règles dont elle se sert sont impénétrables. Bossuet, Défense de la Tradition et des saints Pères, t. XI, c. IV.

e) Enfin, le péché comportant un acte positif de la volonté humaine, on doit se demander quelle part la volonté divine a dans l’acte du pécheur. Question traitée à Péché, t. xii, col. 202-205 ; Prémotion, t. xiii, col. 71-76. Voir Ami du clergé, 1928, p. 771779.

Conclusion. — Par rapport à son objet, la volonté divine peut être conçue selon un parallélisme très étroit avec la science divine. Son objet primaire, comme celui de la science, est l’essence divine, Vérité suprême par rapport à la science, Bonté souveraine par rapport à la volonté. C’est donc là l’objet propre, adéquat et qui, pour ainsi dire, spécifie la volonté divine : d’où l’appellation théologique d’objet formel. L’objet secondaire de la volonté, comme celui de la science, ce sont tous les êtres en dehors de Dieu. La connaissance dé ces êtres n’ajoute aucune perfection nouvelle à Dieu qui est indépendant d’eux et les atteint dans l’exemplarisme de son essence ; de même, en appelant à l’existence d’autres êtres, la volonté divine n’en retire aucune perfection nouvelle ; elle leur communique seulement, et librement, une participation de bien souverain. L’objet secondaire de la science et de la volonté est donc purement matériel. Sur un seul point, le parallélisme ne peut être soutenu. Alors que les possibles sont objet de la science divine, ils ne sauraient être atteints par la volonté, dont l’objet secondaire est constitué par les seuls êtres réels.

2° Les êtres existant en dehors de Dieu sont voulus et aimés de Dieu pour lui-même. — Cette vérité générale a été exposée à propos de la création. La création représente, en effet, la totalité des effets extérieurs, objet secondaire de la volonté divine. Voir Création, t. iii, col. 2163-2166. On a noté que Dieu lui-même est la fin principale de la création, col. 2167. Par conséquent, il veut les êtres autres que lui pour lui-même, col. 2167. Les ayant voulus ainsi, il les aime prin

cipalement pour lui-même, mais cependant secondairement il les aime pour eux-mêmes ; en ce sens qu’il veut, en les appelant à manifester sa propre gloire et sa bonté, procurer le bonheur de ses créatures raisonnables. Voir Gloire de Dieu, t. vi, col. 1887 et Création, col. 2168-2169 et 2171. « On ne peut aimer d’amitié que les créatures raisonnables, parce qu’elles sont seules capables d’aimer en retour… En ce qui concerne Dieu, les créatures sans raison ne peuvent s’élever ni jusqu’à l’aimer, ni jusqu’à partager sa vie d’intelligence et de bonheur. Aussi Dieu ne peut aimer ces créatures d’un amour d’amitié ; mais il les aime d’un amour pour ainsi dire de désir, en les ordonnant soit au bien des créatures raisonnables, soit à son propre bien, non certes qu’il en ait besoin, mais à cause de sa bonté et de notre utilité : on peut désirer quelque chose pour soi et pour d’autres. » S. Thomas, I », q. xx, a. 2, ad 3um.

Il suffira d’apporter ici quelques compléments relatifs à l’amour que Dieu porte, de la façon qui vient d’être dite, à ses créatures.

1. Existence de cet amour.

On pourrait accumuler les textes de l’Écriture en ce qui concerne l’amour de Dieu pour les justes : Jer., xxxi, 3 ; ps. x, 7 ; cxlv, 8 ; Joa., iii, 16 ; xiv, 21, 23 ; Rom., v, 5, 8 ; I Joa., iv, 9, 10, 16, 19. Les témoignages des Pères seraient tellement nombreux qu’il est inutile d’insister. Cf. Petau, De Deo, t. VI, c. n ; Thomassin, De Deo, t. III, c. xxii sq. L’argument rationnel dont use saint Thomas doit être mis en relief. On ne saurait, dit-il, concevoir une volonté, « appétit intellectuel », sans le désir de réaliser le bien qu’elle veut. « Nul ne désire quelque chose, sinon un bien qu’il aime. La haine ne s’adresse qu’à ce qui se montre contraire à ce qu’on aime et il est tout aussi évident que la tristesse et les autres mouvements du même genre se réfèrent à l’amour comme à leur premier principe. Il faut donc en conclure qu’en tout être où il y a volonté ou appétit, il doit y avoir de l’amour ; car, le principe supprimé, tout le reste disparaîtrait. Or, on a montré qu’il y a en Dieu de la volonté ; il faut donc affirmer de l’amour en lui. » Mais cet amour doit être conçu tel qu’il convient à Dieu : amour sans passion et sans émotion, et qui n’implique en Dieu aucun désir d’un

.bien qu’il ne posséderait pas encore. I a, q. xx, a. 1 et ad 1 " m.

2. Toutes les créatures, sans exception, sont objet de cet amour. — » Vous aimez toutes les créatures et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait ; si vous aviez haï une chose, vous ne l’auriez pas faite, et quel être pourrait subsister si vous ne le vouliez, pourrait être conservé si vous ne l’aviez appelé à l’existence’? » S ; i j »., xi, 24-25. L’être de chaque chose est un bien ; or, la volonté de Dieu est cause de toute chose ; c’est donc équivalemment affirmer que « toute chose n’a d’être et de perfection que dans la mesure où elle est voulue de Dieu. À tout être existant Dieu veut donc un bien réel et, puisque vouloir un bien c’est aimer. Dieu, de toute évidence, aime tout ce qui existe. À cet argument général saint Thomas ajoute une remarque importante : « L’amour de Dieu pour les créatures ne peut être assimilé à l’amour que nous portons a un être aimé. Notre amour présuppose en son objet la bonté, vraie ou Supposée, qui nous attire ; mais l’amour que Dieu porte aux créatures est la

cause qui infuse et crée la bonté dans les êtres ». Et, puisque l’acte de volonté divine est éternel, c’est de toute éternité que Dieu aime tous les êtres créés qu’il a connus de toute éternité dans son essence. » Sum. theol., I*, q. xx, a. 2 et ad 2um. .’!. Toute » les <iraiuns m-sont pat airnéet également. Éliminons tout d’abord la conception anthropo morphique de différents degrés d’amour dans la

volonté divine elle-même. L’acte divin est unique et ne saurait comporter de degrés. Ce n’est là d’ailleurs qu’une application entre cent des rapports de Dieu aux créatures : dans l’actualité infiniment simple du vouloir divin se trouve, du côté des effets eux-mêmes, une multiplicité marquant la virtualité multiple du pouvoir et de l’amour que nous pouvons concevoir en Dieu. Ainsi, en envisageant le problème du côté de Dieu, « dans l’acte même de sa volonté…, Dieu n’aime pas un être plus que les autres, car ils les aime tous d’un vouloir simple et toujours égal à lui-même. Les degrés d’intensité de l’amour divin ne peuvent se mesurer qu’en considérant les biens plus ou moins grands que Dieu veut accorder à ses créatures et, sous cet aspect, il apparaît bien que Dieu a aimé et aime certaines créatures plus que les autres ». Ibid., a. 3. Le Sed contra (citation large), emprunté à saint Augustin, In Joannem, tract. CX, n. 5, P. L., t. xxxv, col. 1923, résume bien la doctrine catholique : « Dieu aime tout ce qu’il a fait ; mais, il aime les créatures raisonnables plus que les autres et, parmi les créatures raisonnables, il préfère celles qui sont membres de son Fils unique et, par-dessus toutes, il aime son Fils unique. »

Dieu aime-t-il toujours davantage les meilleures ? C’est l’objet de l’art. 4. Matière en apparence complexe, en raison de multiples affirmations scripturaires, où il semble que la réponse affirmative soit discutable. Saint Thomas, en effet, n’apporte pas moins de cinq objections fondées toutes, sauf la dernière, sur l’Écriture. La réponse affirmative doit cependant être maintenue. C’est dans l’ad 4um et I’ad 5um qu’il faut chercher le principe de solution. De même qu’on distingue volonté antécédente et volonté conséquente, voir plus loin, on doit distinguer amour antécédent et amour conséquent. D’un amour antécédent Dieu aime toujours absolument la créature la meilleure ; mais, d’un amour conséquent, il peut aimer davantage une créature actuellement moins parfaite, mais qu’ultérieurement il rendra plus parfaite. Cf. Janssens, De Deo uno, t. ii, p. 302. C’est ainsi que saint Thomas interprète Luc, xv, 7 (Il y aura plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence) : < Toutes choses égales d’ailleurs, l’innocence est meilleure et Dieu l’aime davantage… ; mais, si Dieu se réjouit de la conversion du pécheur pénitent plus que de la persévérance du juste, c’est parce que le plus souvent les pécheurs se relèvent avec plus de crainte du mal, plus d’humilité et plus de ferveur. » Ad 4° m. Pareillement le pécheur prédestiné que Dieu sait devoir se convertir est actuellement, dans son péché, moins aimable et moins aimé que le juste qui faillira et finalement se damnera ; mais prévoyant son repentir et son salut, d’un amour conséquent à cette prévision, Dieu l’aime davantage. Ad 5um.

Dieu a voulu les êtres librement.

Le dogme de la

liberté divine, dans l’acte créateur qui appelle à l’existence les êtres distincts de Dieu, a été suffisamment établie à Création, col. 2140 sq. Les thèses opposées d’Abélard, Wiclif, Luther, Bucer, Calvin, et de certains auteurs modernes ont été rappelées, col. 2142 2143. On Indiquera ici pour mémoire les documents

du magistère réprouvant ces thèses : concile de Sens, contre Abélard. prop. 7, Denz.-Hannw.. n. 37 1 ; Jean XXII. proscrivant les erreurs d’Fekart. prop. 1, ibid., n..")lll ; concile de Constance condamnant Wiclif. prop. 27. ibid., n. 607 : concile de Florence, au décret pro Jacobitis, ibid.. n. 7()(i ; Pie IX Indiquant parmi les erreurs gunthériennes les oppositions au dogme de la liberté divine. Ibid., n. 1655 ; enfin définition du

concile du Vatican, ii>ni.. n. I7.x3. 1805, on a noté le

double aspect de cette liberté, liberté d’exercice : Dieu peut librement créer ou ne pas créer, col. 2144 ; liberté de spécification : Dieu peut librement réaliser tel ordre de choses ou tel autre ordre, col. 2146. Aux affirmations positives de l’art. Création, il convient d’ajouter ici l’explication scolastique concernant le fait et le comment de la liberté divine.

1. Le fait de la liberté divine.

Deux arguments méritent d’être relevés. — a) Saint Thomas, I a, q. xix, a. 3, part de l’idée du « nécessaire ». Est absolement nécessaire ce qui, par sa seule analyse, apparaît clairement appartenir au sujet dont on l’affirme : il est nécessaire absolument qu’un nombre soit pair ou impair. Est hypothétiquement nécessaire ce qui, étant donnée telle supposition, ne peut pas ne pas être : si Socrate est assis, il est nécessaire qu’il soit assis.

Ainsi il est absolument nécessaire que Dieu se veuille lui-même, car le souverain Bien, objet primaire et formel de la volonté divine, n’est autre que Dieu lui-même. Mais les êtres créés, Dieu ne les veut que parce qu’il les oriente vers lui-même comme vers leur fin. Or, les êtres créés ne sont pas des moyens nécessaires pour atteindre le Bien souverain, qui est par lui-même parfait, peut subsister indépendamment de tout ce qui n’est pas lui-même et ne saurait être accru d’aucune perfection par l’addition d’un bien créé. Donc, aucune nécessité absolue ne s’impose à Dieu de vouloir les êtres créés, de vouloir ceux-ci plutôt que ceux-là. Cependant, à supposer que Dieu ait décrété d’appeler à l’existence tel ou tel être, il est nécessaire hypothétiquement qu’il veuille ces êtres, sa volonté étant immuable.

Cet argument fondamental est repris sous différents aspects dans la Sum. cont. Gent., t. I, c. lxxxi, plus abondamment c. lxxxii. Cf. De veritate, q. xxiii, a. 4.

b) Dans le De potentia, q. i, a. 5, on trouve un autre argument. C’est toujours l’idée du nécessaire, mais appliqué ici à la cause agissante. Un être qui agit par nécessité de nature ne peut pas se déterminer lui-même à sa fin, car, s’il le pouvait, il pourrait agir ou ne pas agir, ce qui est contraire à notre hypothèse. Cet être est donc l’instrument d’un autre être : telle, la flèche lancée par l’archer. De Dieu, on ne saurait parler ainsi : Dieu n’a aucune influence supérieure à lui pour lui imposer un but d’action. Si Dieu était incliné par nature à autre chose qu’à lui-même, il faudrait savoir d’où lui vient cette inclination ; en tout cas, il ne serait plus le premier, la source universelle, l’Inconditionné, l’Absolu que réclame sa prééminence. Faire agir Dieu par nécessité de nature en ce qui concerne les êtres qui se distinguent de lui, c’est supposer que l’univers est une émanation naturelle de Dieu ; le panthéisme ou l’athéisme est sousjacent à une telle théorie.

2. Le comment de la liberté divine. Nous ne pouvons nous former un concept analogique de la liberté divine qu’en partant de la notion de notre propre liberté, pour en éliminer tout d’abord les imperfections, pour affirmer ensuite, dans la mesure où nous pouvons balbutier des choses divines, le mode infiniment parfait, selon lequel le vouloir éternellement actuel de Dieu a fait sortir du néant des effets contingents.

Deux imperfections essentielles à notre liberté sont à éliminer de la liberté divine. — a) La première concerne la possibilité de nous détourner du Bien souverain et de placer notre fin dernière dans des biens apparents ; ou bien encore, tout en gardant notre orientation essentielle à notre véritable fin, de dévier, en choses secondaires, de cette orientation, et d’agir non contre l’ordre, mais en dehors. Péché mortel ou péché

véniel. C’est là la liberté de contrariété, qui nous permet de choisir le mal comme le bien. Ce défaut doit être éliminé des bienheureux qui, jouissant de la vision intuitive, s’attachent au souverain Bien d’une manière indéfectible.

b) La seconde imperfection, que rien ne peut corriger dans les créatures, c’est que la liberté réside dans la volonté, en tant qu’elle est en puissance seulement de vouloir tel ou tel acte. La volonté créée ne peut donc se terminer à des vouloirs différents que par des actes différents. C’est là la condition essentielle de l’être potentiel, limité et soumis au changement. Il faut, en effet, que la volonté créée passe de la puissance à l’acte ; de plus, elle est toujours limitée par la détermination qu’elle a prise ; enfin elle est soumise au changement, ayant pris une orientation, qui l’empêche d’en prendre une autre laquelle cependant eût été possible.

Ces deux imperfections doivent être éliminées de Dieu. En Dieu, on l’a déjà dit, aucune liberté par rapport au souverain Bien qui est sa propre bonté. En Dieu, aucune potentialité : la liberté divine ne peut consister que dans l’éminence du divin vouloir, capable à son gré, sans aucun changement en son être, de se diriger vers ses objets secondaires de la manière qui lui plaît. En Dieu enfin, l’acte libre n’est pas, comme chez les créatures, une opération procédant de la volonté d’une manière contingente ; il est le vouloir même, nécessaire et immuable, par lequel Dieu se veut lui-même, mais se terminant ultérieurement de façon absolument libre à l’être ou au non-être d’un bien contingent et participé. Il est impossible, en effet, d’ajouter ou de diminuer quoi que ce soit à cette actualité de l’être ou du vouloir divin. Il faut donc concevoir le vouloir divin comme nécessaire dans sa réalité physique, nécessaire même dans le terme intentionnel aboutissant à son objet primaire, mais non nécessaire dans le terme intentionnel aboutissant à l’objet secondaire. En bref, la liberté divine consiste simplement en ceci qu’à l’acte divin, en soi éternel, nécessaire et immuable, répond dans le temps un terme qui existe, alors qu’il aurait pu ne pas exister ou qu’un autre objet aurait pu être voulu de Dieu. Ce n’est donc pas, à proprement parler, dans l’essence divine comme telle que se situe la t liberté de Dieu, mais dans le rapport des différents termes de son activité à l’intention de sa volonté créatrice : les êtres créés, termes contingents de cette activité, auraient pu être produits ou non, être tels ou différents de ce qu’ils sont. De toute éternité ce choix libre est fait. Billot fait opportunément remarquer qu’on ne saurait concevoir la liberté divine comme constituée par un élément extrinsèque à Dieu. Le rapport de contingence que possèdent les êtres créés relativement au Créateur implique en Dieu un acte libre très réel, l’intention de la volonté créatrice. De Deo uno et trino, Prato, 1910, p. 237, note 2. Le P. Garrigou-Lagrange précise cette explication : entitas actus liberi Dei est quidem Deo inlrinseca, sed ejus de/ectibilitas est solum extrinseca. De Deo uno, Paris, 1938, p. 402. Voir, du même auteur, Dieu, son existence et sa nature (6e éd.), p. 427-440 ; 590-672. Cf. Chr. Pesch, Prselect. dogm., t. ii, n. 310 ; Van der Meersch, De Deo uno et trino, Bruges, 1928, n. 470.

III. Corollaire : l’optimisme. — Puisque Dieu crée les êtres par bonté, on peut se demander si ce motif ne l’oblige pas à choisir, parmi tous les ordres possibles, l’ordre le meilleur. C’est la question esquissée à l’art. Création, col. 2150 et qu’il faut exposer ici plus complètement. On rappellera tout d’abord les diverses opinions émises par les philosophes ; on apportera ensuite l’enseignement de la théologie catholique.

3337

    1. VOLONTÉ##


VOLONTÉ. DE DIEU, L’OPTIMISME

3338

Les opinions.

1. Dans l’antiquité. — a) Platon

est, par excellence, le représentant de l’optimisme. Dieu est le Bien ; il a fait le monde par bonté :

Disons la cause qui a porté la suprême ordonnance à produire et à composer cet univers : il était bon. Celui qui est bon n’a aucune espèce d’envie. Exempt d’envie, il a voulu que toutes choses fussent, autant que possible, semblables à lui-même. Timée, 29 e. Celui qui est parfait en bonté n’a pu et ne peut rien faire qui ne soit très bon. Il trouva que de toutes les choses visibles il ne pouvait tirer aucun ouvrage qui fût plus beau qu’un être intelligent et que dans aucun être il ne peut y avoir d’intelligence sans âme. En conséquence, il mit l’intelligence dans l’âme et l’âme dans le corps ; et il organisa l’univers de manière à ce qu’il fût l’ouvrage le plus beau et le plus parfait. Ibid., 30 b. Cf. Lois, 904.’La bonté de Dieu qui a présidé à l’origine du monde suit ce dernier dans son développement ; elle constitue ia providence. Lois, 902. Mais que devient le problème du mal dans cette hypothèse ? Platon le résout, comme le fera plus tard Leibniz, par le fait de la limitation nécessaire des êtres finis : « Le monde ne peut être que le meilleur possible, car il est une image ; s’il ne contenait aucun mal, il s’identifierait avec son modèle. » Timée, 25 d. « Si puissante qu’ait donc pu être dans l’organisation du monde l’action de la Pensée sur la Nécessité, la détermination ou la mesure de l’Illimité par la Limite doit cependant, ainsi que le suggère la fin du Philèle, s’accomplir avec d’autant moins d’exactitude que l’on descend davantage dans l’échelle des êtres… L’œuvre du monde qui a été faite aussi bonne que possible, mais dans laquelle l’Autre ne s’est laissé accommoder au Même que sous la contrainte, cesse de se rappeler « l’enseignement qu’elle a reçu de l’Ouvrier qui fut son père ». Pot., 273 b. Robin, Platon, Paris, 1925, p. 227-229. L’objection du mal disparaît ainsi. Ce n’est pas telle ou telle partie du monde qu’il faut considérer et dans laquelle telle ou telle défectuosité apparaît ; c’est l’ensemble : « Toi-même, chétif mortel … tu ne vois pas que toute génération se fait en vue du tout…, que l’univers n’existe pas pour toi, mais que tu existes pour l’univers. Tout médecin, tout artiste dirige ses opérations vers un tout et tend à la plus grande perfection du tout. Il fait la partie à cause du tout, et non le tout à cause de la partie ; si tu murmures, c’est faute de savoir comment ton bien propre se rapporte à la fois et à toi-même et au tout, suivant les lois de l’existence universelle. » Lois, 903. Solution bien proche de la solution chrétienne. On a parlé du « pessimisme » de Platon, Piat, Platon, Paris, 1906, p. 290. Ce pessimisme n’est autre que le sentiment de « l’incurable insignifiance de notre condition terrestre ». Ce sentiment ne contredit pas la doctrine de l’optimisme général ; il nous incite seulement à organiser au mieux notre condition et à préparer la délivrance finale.

b) L’optimisme stoïcien part d’un principe différent. Le Dieu des stoïciens n’est pas un Dieu distinct du monde ; c’est la nature qui est Dieu, esprit répandu partout dans le monde et qui, pour ainsi dire, en parcourt toutes les parties. Cf. Sénèque, De beneftciis, IV, vu ; Quæst. natur., II, xlv. Même indication chez les apologistes chrétiens : Lactance, Diu. inst., I. VII, c. iii, P. L., t. vi, col. 74 1 sq. ; Origène, Cont. Celsum, I. VI, 71, P. G., t. si, col. 1405 BC. La doctrine stoïcienne apparaît comme une sorte de panthéisme, plus exactement un cosmothéisme ou un « cosmopolitisme », patrie commune et des dieux et’les hommes, comme’lit Clcéron, ! >< Irr/ibus, I, 7, en somme une divinisation du monde. Ce qui n’empéche pas les stoïciens de développer les preuves de l’existence de Dieu (consentement universel et causes finales) et d’affirmer la providence, le monde ayant

l’If. T. DF. IIIÏ.OI. CATHOL.

été fait pour l’homme. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 49 ; 62 sq.

C’est parce que le monde est une manifestation de la divinité que le bien doit en être la règle, le mal l’accident. Il y a nécessaire harmonie entre la nature et le vrai ou le bien. La conception du Destin chez les stoïciens est bien supérieure à celle d’Heraclite. Le Destin des stoïciens est un principe fixe d’optimisme, installé au sein de choses, une raison de confiance dans l’univers. Cf. É. Bréhier, Chrysippe, Paris, 1910, p. 178-179. L’optimisme stoïcien repose donc, « non sur la conscience directe et immédiate de l’origine divine du monde et de nous-mêmes, mais dans l’assurance que, cette origine divine étant donnée, tous les événements extérieurs seront le plus conformes qu’ils puissent être aux intérêts de l’homme. » Id., ibid., p. 205-206. Cf. Alexandre d’Aphrodise, De fato, dans H. von Arnim, Fragmenta veterum stoicorum, t. ii, Leipzig, 1903, n. 324.

En face du mal, dont il est impossible de nier l’existence, Chrysippe aurait tenté de justifier la providence dans un écrit intitulé : Qu’il n’y a rien à reprendre et à blâmer dans l’univers, ITept toù [i.7]Sèv

EyxXTJTOV sIvOU (i.T)8e (i.S|i.TCTOV EV TÔ> x6(7 ! i.Cp. Cf. Plu tarque, De repug. stoic, 37 (von Arnim, t. ii, n. 359). Le mal, dans la nature, n’est qu’un accident et ne survient que par accession, xarà 7rapaxoXoù67]a !.v ; cf. Aulu-Gelle, Noctes Atticæ, VII, 1 (voir Arnim, t. ii, n. 1170) ; Marc-Aurèle, Pensées, VI, 36, affirme dans le même sens que les maux sont des èrciys^vriiiaia |i, STà twv CTE[i.vo>v xoù. xàXcov, des excroissances du beau et du bien : « Ce n’est pas, disent les stoïciens, l’intention de la nature de rendre les hommes sujets aux maladies ; mais créant un grand nombre de choses belles et utiles, il s’est trouvé qu’un certain nombre d’incommodités étaient liées à celles-là, alla simul agnata incommoda. » Aulu-Gelle, loc. cit. La théologie catholique a retenu la part de vérité contenue dans cette conception : d’une volonté antécédente, Dieu ne veut que le bien ; d’une volonté conséquente, il veut indirectement ou il permet le mal. Voir ci-dessus, col. 3329 et plus loin, col. 3366. Mais, pour les stoïciens, le Bien, sous la conduite du Destin, doit finalement triompher. Après la conflagration du monde, un retour éternel doit le renouveler et faire que tout devienne esprit : divinisation, transfiguration, optimisme symbolisent ici la rigueur et la constance dans la volonté divine qui mène le monde. C’est là le dernier mot de la théorie optimiste des stoïciens, une assurance contre le changement et l’instabilité. Cf. Bréhier, op. cit., p. 157-158 ; 205-214. Sur l’optimisme des stoïciens, voir Zeller, Die Philosophie der Griechen, t. iii, p. 135 et surtout 170-174.

c) Philon, tout en admettant dans l’ensemble la philosophie stoïcienne, cf. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, Paris, 1908, p. 84-85 (le Logos), p. 158-159 (le Cosmos), semble avoir transposé l’optimisme stoïcien de l’ordre naturel sur le plan moral. Pour Philon, le monde est distinct de Dieu et du Logos, cf. Bréhier, op. cit., p. 70 sq. ; 84 sq. Considéré comme être moral, le monde pratique le culte et la philosophie : « Il est convenable que celui qui est consacré au père du monde s’introduise avec son fils au culte du générateur. » De Mon., i, 1. Comme le Logos, le monde est fils de Dieu, fils cadet sans doute et moins parfait. Philosophe, le Cosmos doit jouir d’une joie éternelle, au sommet de la hiérarchie des êtres parfaits. Quæst, in Qen., i, 57. Comme le Logos, le monde, par lui-même et par ses parties, est vengeur des méchants : parties terrestres et célestes du monde s’unissent pour faire la guerre à l’injuste, sans lui laisser aucun espoir de salut. Ibid., i, 71. Philon en apporte une preuve :

T.

XV. — 105.

Dieu, dans les plaies d’Egypte, emploie successivement pour punir les Égyptiens tous les éléments. Vita Mos.,

I, 96 ; II, 53. C’est dans ce pouvoir bienfaisant du monde, que Philon s’assimile l’optimisme stoïcien : Le monde ou la nature joue le rôle de la puissance bienfaisante de Dieu ; c’est pourquoi toutes les parties du monde sont formellement dénommées la grâce de Dieu, c’est-à-dire la puissance bienfaisante. » Bréhier, op. cit., p. 171. En envisageant la nature comme puissance législatrice, donnant un idéal de conduite, Philon s’assimile tout le « cosmopolitisme » stoïcien : le monde est une grande cité, |j.îyaX6TtoXiç ; il use de la loi la meilleure que Dieu ait faite. Quæst. in Ex.,

II, 22 ; cf. De Josepho, 6 ; De Mon., i, 1. Voir Martin, Philon, Paris, 1907, p. 210-211, et note 7. En conclusion, c’était donc chose exigée par l’ordre que le plus grand des ouvrages reçût du plus grand des artistes la souveraine perfection. Cf. De plant. Noe, 2 ; De conf. ling., 20 ; De Abrahamo, 13.

d) Plotin résume le meilleur de ces conceptions en expliquant la doctrine de l’optimisme par l’Ame du monde. Le Premier-Né de Dieu est le Logos, Verbe, Intelligence, centre dans lequel s’unissent toute les idées des choses sensibles. L’Intelligence, à son tour, engendre l’Ame qui développe en une multitude de puissances distinctes toutes les formes qu’enveloppait l’Intelligence. Cette âme répond au Dieu des stoïciens ; elle crée l’espace et le temps et disperse les idées dans le corps du monde qu’elle anime. « Mais l’être engendré ne se sépare pas entièrement de l’être auquel il doit l’existence ; il se tourne vers la perfection plus haute dont il émane, il aspire à se confondre de nouveau en elle. C’est ainsi que le Fils se tourne vers le Père, l’Ame vers le Fils et toutes choses vers l’Ame. À la procession de Dieu répond la conversion vers Dieu. Le monde est le meilleur qui puisse être, puisque le principe de toute existence est le Bien, et que l’imparfait s’efforce de remonter à la perfection plus haute dont il émane ; puisque ainsi tout vient du Bien et s’efforce vers le Bien. » Janet et Séailles, Hist. de la phil., Paris, 1942, p. 993-994. Quelques textes des Ennéades :

L’ordre (de l’univers) est conforme à l’Intelligence, sans provenir d’un dessin réfléchi… À le prendre tel qu’il est, il est admirable de voir que, si l’on avait pu user de la réflexion la plus parfaite, cette réflexion n’aurait pu trouver mieux à faire que ce que nous connaissons. III, II, 14.

Devant le mal, peut-on dire que tout est bien ainsi, que tout est le mieux possible ? En tout cela (ce mal), ce n’est pas l’âme qui se plaît, mais son ombre, l’homme extérieur qui gémit, se plaint et remplit tous les rôles sur ce théâtre à scènes multiples qu’est la terre entière… Les larmes et les gémissements ne sont pas nécessairement l’indice de maux véritables. Les enfants pleurent et se lamentent pour des maux sans réalités. III, II, 15.

L’inégalité des êtres est conforme à la nature. La raison de l’univers suit de l’âme universelle et cette âme suit de l’Intelligence. Or l’Intelligence est non un seul être, mais tous les êtres… Il faut donc diversité ; des êtres de premier rang, de second rang et ainsi de suite selon les dignités.

Considérez à quelle distance ce produit est de son principe et pourtant c’est une merveille. III, iii, 3.

Ennéades, t. iii, Paris, 1925, p. 40-41 ; 51-52.

On le voit, le problème du mal est résolu à la façon de Platon. L’imperfection des êtres est l’origine première et unique du mal dans l’œuvre, admirable par ailleurs, du monde.

2. Au Moyen Age.

L’optimisme au Moyen Age est une doctrine propre à Abélard et sous-jacente aux prop. 7 et 8, condamnées au concile de Sens. Voir ici Abélard (Propositions condamnées d’), t. i. col. 46. Sur ce point, Abélard se déclare expressément le disciple de Platon. Introd. ad theol., t. III, § 5 ; P. L., t. clxxviii, col. 1094 A ; cf. Theol. christ.,

t. V, col. 1324 CD. Les deux propositions condamnées, tout en exprimant substantiellement la pensée de l’auteur, n’en font pas suffisamment saisir les nuances. Abélard avoue éprouver les plus grandes diflicultés à concevoir que Dieu puisse faire plus ou mieux qu’il ne fait, ou même faire autre chose que ce qu’il fait : n’est-ce pas là, en effet, faire injure à sa bonté souveraine ? Cette bonté ne peut faire que le bien. Si donc elle ne le fait pas alors qu’elle le pourrait, ou si elle s’arrête dans sa réalisation, comment ne pas accuser Dieu de jalousie ou d’iniquité ? L’opinion de Platon est donc la seule solution possible. Col. 1093 D1094 A. Voir aussi Theol. christ., loc. cit. De là la première proposition : Quod ea solummodo possit Deus facere vel dimiltere, vel eo modo lantum, vel eo tempore, quo facit et non alio. Denz.-Bannw., n. 374. Abélard n’ignore pas les objections faites à sa thèse. Mais il pense faire face à toutes les difficultés en expliquant l’impossibilité où se trouve Dieu d’agir autrement, non par rapport à un ordre de choses théoriquement différent, mais parce que Dieu ne saurait déroger à la dignité de sa nature. À l’action divine doit être toujours assignée une cause raisonnable, et donc Dieu se doit d’accomplir toujours ce qui est juste et de ne jamais faire ce qui est contre la justice. Col. 1095 CD. Cum id tantum Deus facere possit quod eum facere convenu, nec eum quidquam facere convenit quod facere prsetermittat, profecto id solum eum posse facere arbitror quo quandoque facit. Col. 1098 CD. Dans sa rétractation, Abélard demeure quelque peu vague sur ce premier point : Deum ea solummodo posse facere credo, quæ ipsum facere convenit ; quoiqu’il ajoute : et quod multa facere potest, quæ nunquam faciet. Col. 107-108. Le problème du mal est résolu par le même principe. Si Dieu devait et pouvait empêcher le mal, et qu’il ne l’empêchât pas, ne devrait-on pas l’accuser de coopérer au mal et de consentir à nos péchés ? Mais le bien doit provenir du mal. Saint Augustin l’affirme et l’Évangile déclare qu’il faut que les scandales arrivent. Matth., xviii, 7. Dieu doit donc s’en tenir à l’ordre excellent fixé par lui et dans lequel le mal trouve sa place. Par raison, non d’impuissance absolue, mais d’opportunité, de conformité à l’ordre, Dieu ne doit et ne peut empêcher ce mal. Col. 1098 AB. D’où la seconde propostiion : Quod Deus nec debeat nec possit mala impedire. Denz.-Bannw., n. 375. Sur ce point la rétractation est plus nette : Mala Deum impedire fréquenter fateor, quia non solum effectum malignantem prxvenit, ne quod volunt possinl, verum eliam voluntates eorum mutât, ut a malo quod cogitaverant penitus divertant. Col. 107-108.

On trouve la réfutation de l’optimisme abélardien dans la Disputatio adv. Abœlardum, P. L., t. clxxx, col. 318322 ; Robert Pulleyn, Sent., t. I, c. xv, t. clxxxvi, col. 709 : cf. col. 1020 ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, part. II », c. xxii, t. clxxvi, col. 214 ; Summa Sententiarum, c. xiii, ibid., col. 69.

Abélard avait aussi présenté le Saint-Esprit comme l’âme du monde. Réminiscence néo-platonicienne. Cf. Introd. ad theol., t. II, § 17, col. 1080 sq. ; Theol. christ., t. I, col. 1144 sq. Plusieurs de ses disciples partent de cette affirmation pour aboutir à un véritable panthéisme : Bernard de Chartres, dans son traité De expositione Porphyrii, place avant toutes choses, Dieu, l’ineffable. Le Noùç est son intelligence en laquelle résident les idées éternelles, formes exemplaires de tout ce qui existe. Du Noûç se dégage par une sorte d’émanation l’âme du monde qui donne au monde sa forme et son unité. Le Noùç est le Verbe ; l’Ame du monde, le Saint-Esprit. Cf. Victor Cousin, Œuvre inédites d’Abélard, Paris, 1836, t. i, p. 628 sq. Guillaume de Conches tombe dans les mêmes erreurs. Voir ici, t. i, col. 51. Cf. Guillaume de Saint-Thiéry,

De erroribus Guillelmi de Conchis, P. L., t. clxxx, col. 333, et Trinité, col. 1712. On retrouvera plus tard des conceptions analogues chez Scot Érigène, Amaury de Bène, David de Dinant. Trinité, col. 1725. Dieu s’identiflant avec le monde, c’est la suppression du problème du mal, à la façon soit des stoïciens, soit de Spinoza.

3. Dans les temps modernes.

Les principaux représentants de l’optimisme sont Malebranche et Leibniz. Il faut également faire une place, en un sens très différent, à Spinoza, dont les principes montrent que le panthéisme est susceptible d’enfanter le pessimisme aussi bien que l’optimisme.

a) Malebranche. — Quelques lignes ont été consacrées au sens général de l’optimisme de Malebranche, t. ix, col. 1785. Mais la doctrine de ce philosophe sur ce point doit recevoir ici des indications plus complètes.

Le point de départ de l’optimisme, chez Malebranche, est peut-être cette réflexion de Descartes à propos de l’erreur : « Il n’y a point de doute que Dieu n’ait pu me créer tel que je ne pusse me tromper ; il est certain aussi qu’il veut toujours ce qui est meilleur ; m’est-il donc plus avantageux de faillir que de ne point faillir ? » Et Descartes de répondre d’une part que notre intelligence « n’est pas capable de comprendre pourquoi Dieu fait tout ce qu’il fait », et d’autre part que « la même chose qui pourrait peut-être, avec quelque sorte de raison, sembler fort imparfaite, si elle était toute seule, se rencontre très parfaite de sa nature si elle est regardée comme partie de tout cet univers. » Méditation IV, édit. Adam et Tannery, t. ix, p. 44. Deux réponses empruntées à saint Augustin, par l’intermédiaire du P. Gibieuf ; cf. É. Gilson, La liberté chez Descartes et la théologie, Paris, 1913, p. 226 sq.

Mauvaises raisons pour Malebranche. Cꝟ. 3e lettre en réponse au 1. I des Réflexions d’Arnauld, dans Recueil de toutes les Réponses du P. Malebranche ù M. Arnauld, Paris, 1709, t. iii, p. 273. Tout en affirmant la bonté de Dieu et la perfection de son œuvre, il ne faut pas nier le désordre réel qui s’y trouve. En rétablissant les causes finales que Descartes avait semblé éliminer, cf. Principes de philosophie, III, a. 3, t. ix, p. 104, Malebranche explique ce que Descartes renvoyait, sans affirmer les connaître, aux secrets desseins de Dieu : « Voici l’ordre des choses : tout est pour les hommes ; les hommes pour Jésus-Christ et Jésus-Christ pour Dieu. » Tr. de la Xature et de la Grâce, a. 3, additions, Amsterdam, 1680, p. 298. Dieu a voulu faire son ouvrage le meilleur possible : « Plus un ouvrage est parfait, mieux il exprime les perfections de l’ouvrier et il lui fait d’autant plus honneur que les perfections qu’il exprime plaisent davantage à celui qui les possède ; ainsi Dieu veut faire son ouvrage le plus parfait. " Entretiens IX, § 10. Mais même le monde le plus parfait implique le désordre, puisque ce désordre, nous le constatons :

Que signifie ce mot parfait  ? Que l’ouvrage divin répond pleinement aux fins de son auteur. Dieu a vu di-toute éternité Ions les ouvrages possibles, et toutes les voles possibles de produire chacun d’eux, et comme il n’agit que pour sa gloire, que selon ce qu’il est, il l’est déterminé à vouloir l’ouvrage qui pouvait être produit et conservé par des voies qui, jointes à cet ouvrage, doivent l’honorer davantage que tout autre ouvrage produit par tout autre voie, entretiens, IX, S 1°. êdit. (Venoude, t. ii, 1837, p. 2lo. Énumérer les défaut ! de l’univers,

r’est ne considérer qu’un élément de l : i perfection ; il est

certain que Dieu aurait pu les effacer, mais il aurait troublé

la simplicité de sa conduite, il aurait multiplié des volonté* particulières : l’ouvrage, pour être plus corrert. aurait été moins divin. II. Gouhier, La philosophie <lr Malebranche rt ton expérience religieuse, Paris, 1920, p. 82.

Si Dieu empêchait, par des volontés particulières, les défauts et les maux de se produire, c’est alors qu’on l’en pourrait rendre responsable : Dieu ne veut pas le désordre ; il ne le fait pas ; il le permet, déclare Malebranche. Mais il faut bien comprendre cette permission.

Dieu ne permet rien selon l’idée que l’usage a attachée au mot de permettre ; il fait tout, les monstres aussi bien que les corps les mieux formés ; le mouvement du bras d’un assassin, aussi bien que celui d’une personne qui fait l’aumône, parce qu’il obéit sans cesse aux lois qu’il a établies, non pour favoriser le mal, mais pour faire faire le bien ; non pour produire des monstres et les irrégularités dont le monde est rempli, mais pour former un ouvrage aussi parfait qu’il le puisse être par rapport à la simplicité des voies qui le produisent. Réponse à une Dissertation de M. Arnauld…, c. iii, S 16, dans Recueil…, t. ii, p. 28.3. « En comparant l’ouvrage avec la simplicité des voies par lesquelles il est produit », cf. Recherche de la vérité, t. II, c. vii, § 3, édit. des Classiques Garnier, p. 174, on doit trouver que le monde, tel qu’il est, avec ses imperfections et ses défauts, est le plus conforme à la sagesse du Créateur, le plus digne de lui. Voir le développement de cette idée dans Gouhier, op. cit., p. 82-87.

Reste l’explication de la liberté divine. Arnauld objectait à Malebranche que, si Dieu choisit nécessairement l’œuvre la plus conforme à sa sagesse, il n’est plus libre. La réponse de Malebranche distingue, dans la liberté divine, deux moments. Avant la décision : pleine liberté d’indifférence (ce que nous avons appelé liberté d’exercice) : Dieu « n’est pas essentiellement créateur », mais « il veut avec une liberté parfaite et une entière indifférence créer le monde ». Entretiens, XIII, § 2, p. 170. Mais la décision de sa volonté une fois prise, il semble que Dieu choisisse nécessairement, entre tous les desseins que sa sagesse lui découvre, celui qui est le meilleur. Dieu ne pourrait choisir les manières les moins sages ou les moins dignes de ses attributs. Cꝟ. 3e lettre en réponse au 1. I des Réflexions …, l re objection, p. 240241. Aussi, l’incarnation est-elle au premier plan des desseins divins : « Quoique Dieu, comme se suffisant à lui-même, ait été libre de ne point agir au dehors et par conséquent de ne point incarner son Verbe, il ne lui a pas été indifférent, supposé le dessein de se communiquer à nous et de nous donner avec justice, pour récompense, une béatitude surnaturelle, il ne lui a pas été, dis-je, indifférent de ne pas mettre Jésus-Christ à la tête de son ouvrage. » Réflexions sur la prémotion physique, § 23, Paris, 1837 (éd. Genoude), t. ii, p. 420. Si le choix du meilleur n’est pas indifférent à Dieu, la liberté de spécification n’existe doncpas en Dieu ? Il semble bien qu’on doive tirer cette conclusion des formules peu nettes de Malebranche. car la toute-puissance de Dieu obéit nécessairement à sa sagesse. Dieu est tout-puissant, parce que rien d’extérieur à lui ne peut l’empêcher de réaliser ses desseins : « Il est tout-puissant en ce sens qu’il fait tout ce qu’il veut et que rien n’est capable de lui. résister ; mais il n’est pas tout-puissant en ce sens qu’il puisse agir par des voies qui ne soient pas les plus sages ». J’e lettre en réponse au 1. I des Réflexions, § 4, Recueil…, t. iii, p. 61. Dieu peut tout ce qu’il veut ; mais il ne veut pas tout ce qu’il peut : cette formule de M. Gouhier, p. 90 — que la théologie catholique accepte pleinement — situe bien l’équivoque dont l’entoure l’optimisme de Malebranche. Il s’agit de trouver une échappatoire dans la doctrine reçue de la puissance ordonner de Dieu. Voir plus loin, col. 3317.

On a remarqué que l’explication de Malebranche laisse sans réponse le grave problème du mal moral par rapport à la volonté divine.

3343

    1. VOLONTÉ##


VOLONTÉ. DE DIEU, L’OPTIMISME

3344

b) Leibniz. — C’est à propos de Leibniz, semblet-il, que le mot « optimisme » a été employé pour la première fois par les jésuites de Trévoux, rédacteurs des Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, dans le compte rendu de la Théodicée de Leibniz. Cf. Vocabulaire de Lalande, t. ii, p. 544.

C’est pour répondre aux objections de Bayle, tirées de l’existence du mal, que Leibniz proposa dans la Théodicée, sa doctrine de l’optimisme. Bayle posait en principe que « les bienfaits communiqués aux créatures ne tendent qu’à leur bonheur. Dieu ne doit donc pas permettre qu’ils servent à les rendre malheureuses ». Leibniz corrige ce principe : « Il n’est pas vrai à la rigueur que les bienfaits de Dieu tendent uniquement au bonheur des créatures. Tout est lié dans la nature. Dieu a plus d’une vue dans ses projets. La félicité des créatures raisonnables est un des buts où il vise ; mais elle n’est pas tout son but, ni même son dernier but. Le malheur de quelques-unes peut arriver par concomitance. » (§ 119).

Au lieu de considérer toutes choses séparément, il faut les considérer dans leur ensemble, dans leurs actions et réactions réciproques : « Quand on détache les choses, les parties de leur tout, le genre humain de l’univers, les attributs de Dieu les uns des autres, la puissance de la sagesse, il est permis de dire que Dieu peut faire que la vertu soit dans ce monde sans aucun mélange de vice. Mais puisqu’il a permis le vice, il faut que l’ordre de l’univers l’ait demandé » (§ 124). « Ce qui est désordre dans la partie est ordre dans le tout. » (§ 128)

Le problème du mal ne saurait être résolu par un dualisme de principes premiers, principe du bien et principe du mal : « Le mal ne vient que de la privation ; le positif n’y entre que par concomitance » (§ 153). Il faut aussi exclure les hypothèses qui sépareraient en Dieu la puissance de sa bonté et de sa justice (§ 75), cherchant la distinction du bien et du mal dans un décret arbitraire de Dieu, ce qui serait « déshonorer » Dieu. Leibniz, en passant, rejette l’opinion cartésienne attribuant à la volonté divine la création, non seulement du bien, mais du vrai (§ 184-185). Voir Volontarisme. La véritable explication du mal suppose un système qui, s’insérant entre la nécessité absolue et la liberté absolue en Dieu, préconise une nécessité morale pour Dieu de choisir l’ordre qui, dans son ensemble, est le meilleur.

Il y a dans l’intelligence divine une infinité de mondes possibles, dont chacun n’est soumis qu’au principe de contradiction. Les idées présentes à l’esprit divin forment une infinité de combinaisons selon tous leurs rapports logiques. Il est donc faux de dire avec Hobbes et Spinoza qu’il n’y a de possible que ce qui est réel. Entre tous ces mondes possibles, quel est celui que Dieu fera passer à l’être par un acte de sa volonté ? « La suprême sagesse, jointe à une bonté qui n’est pas moins infinie qu’elle, n’a pu manquer de choisir le meilleur. Dieu crée donc par une sorte de nécessité morale, par un acte de sa volonté conforme à son intelligence, le meilleur des mondes possibles, celui qui réalise la plus grande somme de perfection. Notre univers est d’abord possible, c’est-à-dire soumis au principe de contradiction ; mais il est réel, il n’a mérité l’existence que parce qu’il satisfait en outre au principe de raison suffisante. Si Dieu choisit de tous les possibles le meilleur, d’où vient donc le mal ? Le mal, répond Leibniz, a son principe, non dans la volonté divine, mais dans la nature des choses. La création du parfait est impossible, parce qu’elle implique contradiction. Toute créature est donc nécessairement imparfaite. Dieu ne veut pas le mal ; il veut la réalité du monde. D’une façon générale, Dieu veut toujours antécédemment le bien ; il ne veut le mal que eonséquemment, en tant qu’il est comme imposé par le bien, dont il est la condition. L’homme qui demande la suppression de tel ou de tel mal ne se rend pas compte qu’il demande à changer le meilleur des mondes possibles. N’oublions pas en effet que tout ce qui est possible n’est

pas compossible (possible en même temps), et que, tout étant lié et prédéterminé dans l’univers, rien ne peut être changé que tout ne soit changé en même temps. Se représenter un monde qui, d’ailleurs semblable au nôtre, en dillérerait par tel ou tel détail, si insignifiant qu’il soit, c’est pure chimère.

Cet exposé d’ensemble, emprunté à Janet et Séailles, op. cit., p. 1040, résume bien la pensée leibnizienne. C’est en fonction de ces principes que doit être résolu le problème du mal. La raison fondamentale du mal, qu’il soit moral (le péché) ou physique (la souffrance), c’est l’imperfection, la limitation essentielle des créatures, que Leibniz appelle « mal métaphysique » (§ 21). Les rapports de la volonté divine au mal sont exprimés comme dans la théologie catholique : Dieu ne veut absolument ni le mal physique ni le mal moral ; mais il peut vouloir relativement le mal physique » comme moyen » ; il permet le mal moral comme « condition sine qua non » (§ 26). Sur le concours de Dieu à l’acte du péché, Leibniz reprend la thèse catholique : Dieu est cause de ce qu’il y a de réalité positive dans le péché, sans être cause des bornes imposées à l’action humaine par la volonté du pécheur.

L’optimisme de Leibniz ne consiste donc pas à nier le mal, mais à le situer dans l’ordre meilleur voulu par Dieu. Cet ordre peut n’être pas actuellement le meilleur, mais « il se pourrait que l’univers allât toujours de mieux en mieux, si telle était la nature des choses qu’il ne fût point permis d’atteindre au meilleur d’un seul coup » (§ 202).

Leibniz reprend les objections de Bayle contre l’optimisme : le meilleur comporterait « d’autres dieux », ce qui est une erreur et une impossibilité ( § 200) ; il exigerait que les parties soient meilleures comme le tout, ce qui est inexact quand ces parties sont relatives au tout (§ 212-213) ; l’optimisme limite la puissance divine, ce qu’on ne peut soutenir : « Le meilleur ne saurait être surpassé en bonté et on ne limite pas la puissance de Dieu en disant qu’il ne saurait faire l’impossible » (§ 226). Au fond, une seule objection est sérieuse ; c’est celle qui a fait tomber Abélard dans l’erreur et hésiter Malebranche : la liberté divine, supprimée par le fait que Dieu est obligé de choisir le meilleur. Leibniz pense y répondre en parlant de la nécessité morale où Dieu se trouve de se conformer à l’ordre de sa sagesse (338-360). Cette nécessité morale montre au contraire, dit-il, la souveraine perfection de la liberté divine.

Les mêmes principes permettent à Leibniz de répondre facilement aux difficultés tirées de la prescience, de la providence divine et même de la « création continuée ». Sur ce dernier point, voir § 383-400. Cf. Janet et Séailles, op. cit., p. 864-872. Sur l’optimisme leibnizien, voir quelques pages dans Cl. Piat, Leibniz, Paris, 1915, p. 269-271 ; lire surtout, p. 270, la note 1.

c) Spinoza et le panthéisme allemand du XIXe siècle.

— Il peut paraître paradoxal de prononcer le nom de Spinoza à propos de l’optimisme. On entend simplement montrer comment le panthéisme, dont Spinoza a fourni la première formule consistante, précisément parce qu’il accentue le déterminisme auquel doit obéir l’action divine, fournit à ses défenseurs l’occasion d’affirmer des tendances à l’optimisme ou, par une réaction commandée par la constatation du mal en ce monde, au pessimisme. Quelques brèves indications suffiront.

Pour Spinoza, sa conception de Dieu l’amène à concevoir que de ce Dieu, sans aucun changement dans son essence, sans trouble dans son repos éternel et sa paix, procède une longue suite de modes, qui constituent le monde extérieur. Dieu produit ainsi 4 G

toutes choses sans les vouloir, sans les aimer, par une sorte de nécessité intérieure. Il ne peut pas ne pas les produire, et il les produit même sans les connaître d’avance. Éthique, III, 6, édit. Gebhardt, t. ii, p. 89. Cette production ne répond pas à une fatalité aveugle qui commanderait du dehors l’activité divine : la nécessité avec laquelle Dieu produit toutes choses est intérieure à sa nature et indépendante de quoi que ce soit : partant, c’est une « nécessité libre ».

Le monde est donc, pour Spinoza, non le produit d’un fatalisme radical — il a toujours protesté contre cette conception trop logique de son système — mais le résultat d’un déterminisme très réel, auquel aucune créature, pas même l’homme, ne peut se soustraire. C’est pourquoi, « au point de vue de la nature, chaque chose, considérée en elle-même, est aussi bonne qu’elle peut l’être, puisque déterminée par les lois nécessaires de l’être ». Voir Spinoza, t. xiv, col. 2499. Mais au point de vue moral, il semble difficile de parler de « bien » ou de « mal » dans une doctrine qui enseigne que « les hommes ainsi que les autres êtres agissent par la nécessité de la nature ». Éth., V, 10, t. ii, p. 288. Spinoza rejette cependant cet amoralisme. Il admet que nous avons « le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du corps…, de concevoir une conduite droite de la vie…, de développer en nous la connaissance de la vérité qui nous permettra de nous unir à Dieu plus étroitement et de nous détacher de notre corps ». Éth., V, 4, 10, ibid., p. 283, 287 ; cf. Court Traité, II, c. xx, t. i, p. 164. Mais, en définitive, quelle sera la nature de l’effort personnel requis pour s’élever au degré supérieur de connaissance et réaliser notre progrès moral ? L’effort, dans le système de Spinoza, n’est que l’essence actuelle de la chose elle-même, et cet effort ne dépend pas de l’homme, il est la conséquence naturelle de l’évolution cosmique. Cf. P. Siwek, Spinoza et le panthéisme religieux, Paris, 1937, p. 146-160 ; 266-274. Le panthéisme de Spinoza est peut-être, comme on l’a dit, « un sommet ». Mais c’est un sommet à double pente, dont l’une s’incline vers un optimisme illusoire, avec l’idéalisme de Fichte, de Schelling ou de Hegel, , et l’autre, vers le pessimisme d’un Schopenhauer.

Les systèmes de ces auteurs impliquent tous, en effet, sous des aspects divers et avec des formules différentes, un panthéisme analogue à celui de Spinoza. Pour Fichte, Dieu ou plutôt le divin fut d’abord conçu comme l’ordre intelligible ou moral qui domine le monde sensible et phénoménal, ordre existant par lui-même, absolument premier, das absolute Erste. Mais ensuite, par une évolution métaphysique qui le rapproche de Plotin, Fichte a présenté cet ordre moral comme simplement absorbé dans le divin. Dieu étant l’un et l’Absolu dont l’esprit humain n’est que la conscience et la révélation.

Comme Fichte, Schelling professe un panthéisme idéaliste. En soi, l’Absolu, Dieu, est tout ; le monde, rien. D’où le nom d’acosmisme, proposé par Fichte lui-même. Le monde qui est le fini tirerait son origine d’une chute ou d’une défection hors de l’Absolu, in einrr Entjernung, einem Abfall von dem Absolute. Ainsi, si le mal est dans le monde, la faute n’en est pas à l’Absolu, mais au monde lui-même qui, au lieu de demeurer dans l’Absolu, a voulu ( ?) s’en séparer. A moins d’établir une contradiction en Dieu — l’Absolu se détachant de lui-même — cette doctrine semble ressusciter le dualisme antique. Voir Bréhicr, Schelling, Paris. 1912, p. 199 sq.

Hegel présente un système peut être plus cohérent, mais aussi difficile a saisir. On en a exposé les grandes lignes religieuses a propos de la Trinité, voir Ce mot, eol. 1 ~HX. Le principe de tout est l’Idée (thèse), laquelle s’extériorise, s’oppose à elle-même et devient la

Nature (antithèse) ; puis, revenant sur elle-même, elle se connaît, prend conscience d’elle-même et devient l’Esprit (synthèse). Quelle que soit la valeur objective à accorder à cette conscience de l’Idée par l’Esprit, il reste vrai que, comme Fichte et Schelling, Hegel propose un système d’où, en soi, le mal devrait être exclu, puisque l’Absolu, l’Idée sont perfection, source de lumière et de vérité.

Si Spinoza devait fatalement aboutir à la négation du bien et du mal, ces trois philosophes, voulant expliquer par l’Absolu et l’Infini l’existence du relatif et du fini, posent à nouveau le problème du mal sans y apporter de solution. Schopenhauer et Hartmann voudront le résoudre, mais en descendant la pente opposée. À l’Idée qui s’extériorise, Schopenhauer substitue une Volonté qui s’objective et pro.duit cette illusion qu’est le monde, un monde qui, l’expérience quotidienne nous l’apprend, est » le plus mauvais des mondes possibles… ». De l’optimisme, nous passons ainsi brusquement au pessimisme, sans pouvoir l’expliquer davantage. Cf. Ruyssen, Schopenhauer, Paris, 1911, c. ix, p. 279 sq. La superposition de l’Inconscient qu’Hartmann a faite à la thèse de Schopenhauer est purement et simplement la négation de toute explication rationnelle. Le canon 5 (2) du c. i de la constitution De fide catholica atteint tous ces systèmes.

En voulant concilier le dogme chrétien de la création avec les tendances de la philosophie moderne, Giinther a penché vers l’optimisme négateur de la liberté divine dans l’œuvre du monde. Cf. Kleutgen, Théologie der Vorzeit, t. i, n. 579, 580. Pie IX a signalé expressément ce point dans sa lettre Eximiam luam, Denz.-Bannw., n. 1655. Rosmini n’est pas indemne de tout reproche. Voir sa prop. 18, ici t. xiii, col. 2937.

2° L’enseignement commun de la théologie catholique. — Dans le précédent exposé des doctrines qui admettent un Dieu personnel et créateur du monde, on est frappé des nombreux traits de ressemblance que ces doctrines présentent avec l’enseignement authentique de l’Église, spécialement en ce qui concerne la bonté divine, en vue de laquelle Dieu agit en créant le monde, et la cause du mal, qu’on peut considérer comme un simple accident dans l’ordre du monde, comme la condition du bien, condition indirectement voulue ou simplement permise par un Dieu très bon et très sage. En quoi donc ces systèmes s’écartent-ils de la vérité ? Uniquement sur un point

— mais un point grave, qui ne tend à rien de moins qu’à nier la liberté divine : la nécessité, tout au moins morale, où Dieu serait, s’il se décide à créer, de choisir l’ordre le meilleur et le plus parfait.

Cette liberté de spécification, les Pères do l’Eglise

— exception faite peut-être d’Origènc qui a soutenu le retour final au bien de tous les êtres raisonnables — l’ont unanimement enseignée. Voir ici t. iii, col. 2141.

Saint Thomas a bien précisé le point où les partisans de l’optimisme ont dévié de la vérité en tirant de la bonté et de la sagesse divine une conclusion qui ne s’imposait pas. Sans doute. Dieu ne peut rien faire qui ne soit conforme à sa sagesse et sa bonté. Ce sont là des motifs qui entrent toujours dans les décisions divines. Cf. ï a, q. xxi, a. 4. Mais de ce que sagesse et bonté divines ne sont jamais absentes des décisions divines, il ne s’ensuit pas que la volonté toute-puissante de Dieu soit orientée par elles en un sens unique. Une telle affirmation Impliquerait que la cause des décrets divins doive être cherchée en dehors de la volonté de Dieu. Or il faut tenir ferme ment qu’on ne peut assigner de cause à la volonté divine, sinon la volonté elle-même qui ne fait qu’un avec la bonté et la sagesse. I’. q. i. a 5, V oir ci-dessus, col. 3327. Mais la bonté, la sagesse divines .{.5 4 7

    1. VOLONTÉ##


VOLONTÉ. DE DIEU, DIVISIONS

3348

sont infinies tout comme la volonté divine elle-même et par conséquent elles dépassent infiniment le nombre et les perfections des créatures, quelles qu’elles soient. Dieu pourrait donc créer des choses autres que celles qu’il crée ou supérieures à ce qui existe : « Dieu peut faire infiniment au delà de ce que nous demandons et concevons » (Eph., iii, 20).

De toute évidence, Dieu ne peut pas faire qu’une chose soit autre ou meilleure que ne le comporte sa nature : l’homme ne peut pas être ange. Mais en dehors de l’essence qui est fixe et ne comporte ni moins ni plus, il y a les qualités des êtres, leurs rapports entre eux, par exemple : la vertu, la science, l’amitié, la justice. Et, à l’égard de ces biens, Dieu peut à coup sûr faire les choses meilleures qu’elles ne sont. Aux partisans de l’optimisme absolu, saint Thomas oppose l’argumentation suivante : l’idée d’un monde meilleur, que celui qui existe ne renferme pas de contradiction. Ce monde meilleur est donc possible et s’il est possible, il était réalisable par la toute-puissance divine. Toutefois, Dieu ayant arrêté son choix sur le monde actuellement existant, il semble contraire à sa bonté ainsi qu’à sa sagesse de supposer qu’il n’ait pas tiré le meilleur parti possible des éléments dont ce monde est composé. Telle est la thèse de l’optimisme relatif, communément admise par les théologiens. D’une manière concise et nette, saint Thomas marque la différence des deux optimismes. Il se demande si Dieu pouvait faire mieux (melius) qu’il n’a fait, et il répond : « Si mieux est pris substantivement, oui ; si mieux désigne seulement un adverbe, non. » I a, q. xxv, a. 6, ad 1um. Autrement dit, Dieu pouvait réaliser un monde meilleur ; cependant, avec les éléments dont est constitué ce monde, il ne pouvait faire mieux.

L’optimisme absolu ne mérite par lui-même aucune note théologique ; il n’est erroné que dans la mesure où il compromet la liberté divine.

IV. Divisions.

Selon notre manière d’ordonner la volonté divine relativement à ses objets, on peut introduire dans cette volonté six distinctions virtuelles : 1° Volonté nécessaire et libre ; 2° Volonté simple et ordonnée ; 3° Volonté antécédente et conséquente ; 4° Volonté absolue et conditionnée ; 5° Volonté efficace et inefficace ; 6° Volonté de bon plaisir et de signe.

Volonté nécessaire et volonté libre.

Cette distinction

se rapporte à l’objet primaire et à l’objet secondaire de la divine volonté. Dieu se veut nécessairement comme il se connaît nécessairement. Quant aux autres êtres, il les veut librement, et c’est dans le décret libre de sa volonté qu’il les connaît nécessairement. Cf. Sum. theol., I a, q. xix, a. 2 et 3 ; Cont. Cent., t. I, c. lxxx-lxxxiii ; t. III, c. xcvn ; De veritate, q. xxiii, a. 4 ; De potentia, q. i, a. 5, etc. Voir ci-dessus col. 3327, et Science de Dieu, t.. xiv, col. 16101611.

Volonté simple et volonté ordonnée.

Cette distinction

se rapporte à la volonté libre ; elle est esquissée par saint Thomas, I a, q. xix, a. 5, ad 3um et plus nettement proposée, Cont. Cent., t. I, c. lxxxvii. Dieu veut d’une volonté simple tout ce qui se rapporte immédiatement à la fin des créatures ; mais tout ce qui est moyen pour atteindre cette fin est voulu d’une volonté ordonnée à cet effet. La volonté simple n’a d’autre fondement que la liberté divine ; la volonté ordonnée implique non seulement la liberté, mais la sagesse, la sainteté, l’immutabilité. Cf. Cont. Cent., t. III, c. xcvn. Dieu voulant la fin d’une volonté simple, veut d’une volonté ordonnée que les moyens s’orientent vers la fin.

Volonté antécédente et volonté conséquente.


Cette distinction a de profondes racines dans la tra dition patristique. Elle répond à la préoccupation de sauvegarder la volonté salvifique universelle de Dieu tout en maintenant sa volonté de punir ceux qui, par leur faute, auront manqué leur salut éternel. Voir Volonté salvifique, col. 3356.

Volonté absolue et volonté conditionnée.

Deux

termes si clairs qu’ils ne nécessitent pas d’explication. La volonté absolue se réalise sans dépendance d’aucune condition : Dieu a voulu créer le monde d’une volonté absolue. La volonté conditionnée voit sa réalisation subordonnée à une condition préalable : ainsi Dieu ne peut vouloir la glorification de ses élus que s’ils sont ornés de la charité. Cette distinction ne coïncide pas avec la distinction précédente de volonté antécédente et de volonté conséquente : c’est, en effet, en considérant l’objet voulu lui-même qu’on peut distinguer volonté antécédente et volonté conséquente ; c’est en considérant la manière de vouloir cet objet qu’on distingue volonté absolue et conditionnée.

Ainsi, la volonté salvifique antécédente est une volonté conditionnée, puisque sa réalisation dépend de la fidélité des hommes à la grâce divine ; la volonté conséquente est une volonté absolue, puisque Dieu, ayant permis le péché, le punit sans qu’aucune condition puisse l’arrêter. Mais ce serait à tort qu’on voudrait ramener toute volonté absolue à la volonté conséquente. Tandis que la peine n’est infligée qu’en raison du péché — donc non en vertu d’une intention première et directe de Dieu — l’élection des prédestinés et la volonté de les glorifier est indépendante de toute condition et ne dépend que du libre choix de Dieu : il y a donc ici une volonté, ni antécédente, ni conséquente, mais absolue cependant. Cf. Billot, op. cit., thèse xxviii, au début.

La volonté absolue a une efficacité nécessaire ; mais cette efficacité n’entraîne pas la nécessité de son effet. Si la volonté divine rendait nécessaires les choses qu’elle veut c’en serait fait de la liberté humaine..

La volonté divine est d’une efficacité souveraine ; elle fait que ce qu’elle décrète non seulement s’accomplit, mais s’accomplit-de la manière que Dieu le veut. Or Dieu veut que certaines choses se produisent d’une manière nécessaire, d’autres d’une manière contingente… Aussi a-t-il adapté à certains effets des causes nécessaires…, à d’autres, des causes contingentes… Les effets voulus par Dieu ne sont donc pas contingents parce que leurs causes prochaines sont contingentes ; mais, parce que Dieu a voulu ces effets contingents, il leur a préparé des causes contingentes. I*, q. xix, a. 8.

Ainsi la liberté humaine est respectée parce que, selon saint Thomas, la volonté divine, en tant que cause suprême et souverainement efficace, non seulement fait nos actes, mais les fait libres. Cf. I", q. lxxxvii, a. 1, ad 3um ; Perihermeneias, t. I, leçon xiv ; Cont. Gent., t. I, c. lxxxv ; t. II, c. xxix, xxx ; De veritate, q. xxiii, a. 5 ; De malo, q. xvi, a. 7, ad 15um ; Quodl., XI, q. in ; XII, q. iii, ad 1um.

Volonté efficace et volonté inefficace.

Les divisions

précédentes permettent de mieux comprendre comment la volonté divine doit être dite efficace et peut être dite, sous un certain rapport, inefficace.

En soi, la volonté de Dieu est nécessairement efficace, car il est impossible qu’un décret divin ne se réalise pas. Une volonté absolue, de Dieu est donc toujours efficace.

On ne peut parler de volonté inefficace qu’en un cas ; c’est quand une volonté conditionnée de Dieu ne se réalise pas en raison de la volonté libre de la créature, laquelle, Dieu le permettant, s’oppose à la condition nécessaire à la réalisation de la volonté divine. Ainsi Dieu veut le salut de tous les hommes, à la condition que les hommes soient fidèles à la loi divine.

Cette condition faisant défaut, en raison de l’infidélité des pécheurs, la volonté salvifique demeure inefficace.

Cependant toute volonté conditionnée n’est pas nécessairement inefficace, car la condition peut être réalisée par la volonté divine elle-même. Ainsi Dieu n’accorde la gloire éternelle qu’aux mérites des saints ; mais sa volonté, par la grâce efficace, fait acquérir aux saints les mérites qui seront couronnés : lanta est erga homines bonitas (Dei), ut eorum velit esse mérita, quæ sunt ipsius dona. Conc. Trid., sess. v, c. xvi ; cf. can. 32 ; Denz.-Bannw., n. 810, 842. Le texte de saint Augustin, auquel se réfère tacitement le concile, est celui-ci : Cum Deus coronat mérita nostra, nihil aliud coronat quam munera sua. Epist., cxciv, n. 19, P. L., t. xxxiii, col. 880.

D’ailleurs, même quand la volonté divine, par le fait de la résistance du pécheur, demeure sous un rapport inefficace, elle garde encore toute son efficacité relativement à la fin dernière, la gloire de Dieu, qui sera, par la justice, finalement réalisée.

Volonté de bon plaisir et volonté de signe.

La

volonté de bon plaisir est la volonté réelle, incréée, existant en Dieu et dans laquelle Dieu se complaît (de là le nom) : cette volonté même que l’on a divisée en volonté antécédente et en volonté conséquente. La volonté de signe n’est que la manifestation extérieure, créée, dans laquelle nous pensons trouver l’expression de la volonté réelle de Dieu. On l’appelle volonté de Dieu par métonymie ou par métaphore.

On énumère communément cinq signes de la volonté divine : la défense qui interdit de faire quelque chose ; le précepte qui, au contraire, impose un acte jugé nécessaire par le supérieur ; le conseil, simple avis émané du supérieur ou d’une personne sans autorité suffisante, suggérant une décision sans l’imposer ; l’opération, par laquelle Dieu lui-même, agissant extérieurement, montre ce qu’il attend de nous ; enfin la permission, par laquelle Dieu ou un supérieur n’empêchent pas de faire quelque chose (bien ou mal). Les deux derniers signes concernent le présent ; les trois premiers, l’avenir.

On peut se demander quels sont les rapports de la volonté de signe à la volonté de bon plaisir. Une volonté de signe ne coïncide jamais avec la volonté de bon plaisir, c’est la permission qui tolère le mal qu’elle ne peut empêcher et qu’elle réprouve. Une volonté de signe coïncide toujours avec la volonté de bon plaisir : c’est l’opération de Dieu, Dieu ne pouvant se contredire. Enfin, le précepte, la défense, le conseil peuvent parfois coïncider, parfois ne pas coïncider avec la volonté de bon plaisir : tel, le précepte donné par Dieu à Abraham de tuer son fils. Dans les cas où la volonté de signe ne coïncide pas effectivement avec la volonté de bon plaisir, elle n’est dite volonté de Dieu que métaphoriquement. Cf. Billuart, op. cit., dissert. VIII, a 5.

Conclusion. — Sommes-nous obligés de conformer notre volonté à la volonté divine et comment ? Cf. I » -II* q. xix, a. 3 ; De veritale, q. xxiii, a. 7. La réponse affirmative s’impose : il faut toujours vouloir, sinon ce que Dieu veut, du moins ce qu’il veut que nous voulions. Lu prenant pour règle les défenses, les préceptes et les conseils divins, on peut être assuré de vouloir et « le ne pas vouloir ce que Dieu veut que nous voulions et ne voulions pas : et telle doit être notre conformité au vouloir divin, bien cpie nous ne soyons peut-être p : is assurés d’une conformité abSO lue de l’objet de notre vouloir avec l’objet du vouloir de Dieu : la volonté divine n’a-t-cllr |> : is pour nous

des mystèrei Impénétrable* ? Cf. liillot, op. cit., th. xxix, in fine.

V. Attuihuts.

Certains attributs divins dol vent être rapportés plus spécialement à la volonté

de Dieu, soit dans l’ordre moral, soit dans l’ordre de l’action ad extra.

Dans l’ordre moral.

Selon les règles rappelées

à Attributs divins, t. i, col. 2226-2227, on ne saurait transférer en Dieu les affections qui, bien que dénotant une certaine perfection, renferment cependant des éléments d’imperfection : telles, la tristesse, la crainte, l’obéissance, le courage même. Si parfois l’Écriture attribue à Dieu ces vertus, c’est par anthropomorphisme, en raison, comme on l’a déjà dit, de la similitude des effets.

Trois vertus de la volonté humaine, perfections simples, doivent être transférées formellement à la volonté divine : la sainteté, la justice, la miséricorde. Elles comportent d’ailleurs quelques vertus annexes.

1. La sainteté.

Que Dieu soit saint, l’Écriture l’atteste expressément, voir Sainteté, t. xiv, col. 841-842. Cette sainteté est essentielle en Dieu, précisément parce que la volonté divine veut nécessairement le Bien souverain qu’est Dieu lui-même. Mais elle se manifeste aussi dans les décisions libres de cette volonté souveraine, toujours pleinement conformes aux exigences du Bien souverain. Par là, elle est la règle suprême de toute sainteté. Cf. Janssens, De Deo uno, t. ii, p. 366-367. Ainsi sont réalisés en Dieu les deux éléments de la sainteté : pureté, fermeté. Cf. S. Thomas, H a -II ! B, q. lxxxi, a. 8. En Dieu, l’immutabilité est garantie de la fermeté.

Lessius énumère six différences entre la sainteté divine et la sainteté des créatures. En Dieu, sainteté essentielle, subsistante, infinie en intensité et en extension, sans diminution ni accroissement possible, dépassant infiniment toute sainteté créée, dont elle est cause efficiente, exemplaire, formelle, finale. De perject. moribusque divinis, t. VIII, c. il.

Quelques affirmations de l’Écriture paraissent contredire cette sainteté de la volonté divine dans ses rapports avec les créatures : l’ordre donné par Dieu aux Hébreux de dépouiller les Égyptiens lors de leur départ, Ex., iii, 22 ; l’endurcissement du Pharaon, voulu par Dieu, ibid., iv, 21 ; la volonté du Christ de parler en paraboles pour n’être pas compris, Matth., xin, 13 ; le préjudice injuste causé au propriétaire des porcs noyés à Gérasa, ibid., viii, 32, etc. Difficultés de solution facile, donnée par tous les commentateurs.

A la sainteté de Dieu on peut rattacher la beauté divine. Cf. Franzelin, De Deo, thèse xxx ; P. M. Garénaux, La beauté de Dieu et son amabilité, Tournai, 1910 ; H. Krug, De pulchriludine divina, Fribourgen-B. , 1902 ; F. Ould, The Beauty of God, Londres, 1923.

2. La justice.

Sur la notion de la vertu de justice, voir t. viii, col. 2001. La justice est une vertu propre à la volonté, col. 2004, vertu en laquelle on distingue la justice commutative et la justice distribut ive, col. 2011.

a) Dieu est juste. — Vérité de foi, clairement enseignée dans l’Écriture et la tradition.

a. Écriture. — Les psaumes sont de fait remplis d’affirmations relatives à la justice de Dieu : vii, 10, 12 ; ix, 8 ; x, 7 ; xxx, 2 ; xxxii, 5 ; xxxiv, 24 ; xxxv, 7 ; xxxvi, 6 ; xxxix, 11 ; xliv, 8 ; l, 16 ; lx, 13 ; lxx, 19 ; lxxi, 1 ; xci, 16 ; xcv, 13 ; xcvii, 2 ; xcviii, 4 ; eu, 6, 17 ; xc, 7 ; exi, 3 ; cxv, 5 ; cxviii, 123, 137, 142, 164. Voir aussi Job, xxxiv, 10, 11 ; Jer., xxiii, 6 ; xxxiii, 16 ; Prov., xxiv, 12 ; Sap., XII, 15. Cf. Notscher, Die Gcrechligkcil Gottes bei den vorcxilischen Propheten, Munster, 1915.

Dans le Nouveau Testament, Dieu est appelé juste. Joa., xvii. 26 ; Apoc, xvi, 5-7, et la justice apparaît dans ses Jugements : Matth., xvi, 27 ; cf. v, 12 ; XII, 26 ; x, 42 ; Rom., Il, 62 iq. ; iii, 24 Bq. ; Gal., vt, X ; II Cor., ix, 6 ; Ilebr., vi, 10 et surtout II Tim., iv, 8.

3351

    1. VOLONTE##


VOLONTE. DE DIEU, ATTRIBUTS

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b. — Tradition. — La croyance chrétienne apparaît dans la controverse antignostique. Les Pères démontrent qu’il n’y a pas dualisme ni opposition entre le Dieu de l’Ancien Testament et le Dieu du Nouveau ; c’est le même Dieu également juste. Cf. S. Irénée, Adv. hær., t. III, c. xxv, n. 2-3 ; t. IV, c. xl, n. 1-2, P. G., t. vii, col. 968-969, 1112-1113 ; Clément d’Alexandrie, Strom., t. IV, c. xxiv, P. G., t. viii, col. 1361-1364 ; Origène, De principiis, t. II, c. v, n. 1 sq. ; c. x, P. G., t. xi, col. 203 sq., 233 sq. ; Tertullien, Adv. Marcionem, t. I, c. xxv-xxvi ; t. II, c. xixii ; De resurrect. carnis, c. xiv, P. L., t. ii, col. 276278 ; 298-299 (édit. de 1844) ; De test, animée, t. II, ibid., t. i, col. 611-612. Lactance montre comment la colère de Dieu est une métaphore exprimant sa justice offensée. De ira Dei, c. iv sq., P. L., t. vii, col. 86 sq.

Ces témoignages d’une période où la doctrine était controversée suffisent amplement. La croyance en la justice divine est déjà passée explicitement dans les symboles de foi. Le symbole des apôtres rappelle que Jésus, Dieu et homme, reviendra pour juger les vivants et les morts, Denz.-Bannw., n. 2, 6 ; formule qu’on retrouve dans le symbole d’Épiphane, n. 13 ; dans le symbole de Nicée, n. 54 ; dans le symbole de Nicée-Constantinople, n. 86 etc. Mais l’idée de la juste rétribution est plus accentuée dans la formule Fides Damasi, n. 16 et dans le symbole Quicumque, n. 40. La liturgie s’inspire de cette foi. Dans le Te Deum, nous disons à Dieu le Fils : Judex crederis esse venturus ; et, dans le Dies irse : Crealura, judicanti responsura. .., Quando judex est venturus… Judex ergo cum sedebit. Toute la liturgie des défunts s’inspire de cette pensée, non moins d’ailleurs que de celle de la miséricorde.

b) Quelle justice est la vertu de Dieu ? — a. Commutative. — La justice commutative, qui rendrait Dieu débiteur d’autrui, ne peut pas convenir à la volonté divine, sinon par analogie. Dieu ne doit rien à personne. Cf. Rom., xi, 35. Toutefois, parce que Dieu, dans l’application de la justice distributive, garde toujours l’égalité de proportion entre la récompense et le mérite, le châtiment et la faute, « un certain mode de justice commutative se trouve en Dieu par rapport à la créature ». S. Thomas, In IV nm Sent., dist. XLVI, q. i, a. 1 ; IIa-IIæ, q. lxi, a. 4, ad 1um. Cf. Billot, op. cit., p. 257 ; Kleutgen, De ipso Deo, n. 598.

b. Distributive. — Par contre, la justice distributive se trouve très formellement en Dieu, soit qu’on considère l’ordre naturel, Dieu donnant à chaque être ce que requièrent sa nature et la bonne ordonnance de l’univers, soit qu’on considère l’ordre surnaturel, Dieu rémunérant chacun selon ses œuvres. Cette justice peut être formellement en Dieu, car elle ne comporte aucune dépendance de Dieu à l’égard des créatures ; par la justice distributive, en effet, Dieu n’est redevable qu’à l’ordre posé par lui-même. Cf. S. Thomas, I a, q. xxi, a. 1, ad 3um ; I a -II ffi, q. cxiv, a. 1, ad 3um ; In lib. de div. nominibus, c. viii, lect. iv.

— Cette justice distributive peut être dans l’ordre soit des récompenses, soit des châtiments.

Dans l’ordre des récompenses, c’est une justice rémunératrice, que le dogme de la vie éternelle suffirait à établir comme vérité catholique. Cf. Matth., xxii, 12 ; xxv, 34-40 ; cf. v, 12 ; I Cor., ix, 24 ; Col., m, 24 ; II Tim., iv, 7.

Dans l’ordre des châtiments, c’est la justice vindicative, suffisamment établie par le dogme de l’enfer. Cf. Matth., xxv, 41-46. D’une manière plus générale, voir Deut., xxxii, 41 ; Sap., xi, 17 ; Jer., xxxii, 18 ; Rom., xii, 19. Bien plus, la justice vindicative ne sera vertu dans les volontés humaines que dans la

mesure où le « vengeur » agira au nom et par l’autorité de Dieu, Rom., xiii, 1-4.

C’est d’ailleurs d’une manière très libre que Dieu exerce la justice vindicative à l’égard du coupable : la miséricorde intervient souvent et Dieu, tout au moins par les peines temporelles infligées ici-bas, a en vue l’amendement du pécheur. De plus, souvent les souffrances affligent les hommes, non pour les punir, mais pour les éprouver. Telle est la leçon qui se dégage de l’histoire de Job, de l’épreuve dont Tobie fut victime, des paroles du Christ à propos de l’aveugle-né, Joa., ix, 2. Voir, à ce sujet, la condamnation des prop. 72 et 73 de Baïus et de la prop. 70 de Quesnel. Denz.-Bannw. , n. 1072, 1073 ; 1420.

On notera au sujet de la justice divine la doctrine erronée d’Hermès, t. vi, col. 2296, condamnée par le bref Dum acerbissimas de Grégoire XVI, Denz.-Bannw. , n. 1620 ; erreur rectifiée par Schell d’une façon insuffisante, puisque cet auteur restreint l’objet de la justice vindicative de Dieu en enfer aux seuls coupables du péché contre le Saint-Esprit. Cf. Gotl und Geist, t. ii, Tubingue, 1896, p. 618, 619. Cf. Kleutgen, Theol. der Vorzeit, t. iii, p. 416 ; Janssens, op. cit., p. 327-328.

A la vertu de justice on peut rattacher en Dieu la véracité, voir ici Vérité, col. 2683, et la fidélité (cf. Num., xxiii, 19 ; II Tim., ii, 13 ; Tit., i, 2 ; Hebr., x, 23). Il est possible d’identifier en Dieu justice et vérité, car si « la vérité consiste dans une exacte correspondance entre l’intelligence et les choses », la justice de Dieu, « qui établit dans les choses un ordre conforme aux conceptions de la sagesse qui est sa loi, est bien nommée vérité ». S. Thomas, I », q. xxi, a. 2. Cf. ps. xxiv, 10 ; xxxix, 11, 12 ; lvi, 4 ; cxiii (b), 2, où vérité, mis en regard de miséricorde, a une signification de fidélité fondée sur la justice. Certains auteurs rapportent à la justice le rè/e, qu’on peut définir « l’amour incitant la justice à faire son œuvre ». Sous cet aspect, on peut l’attribuer à Dieu ; cf. ps. lxviii, 10 ; cf. Joa., ii, 17. En raison de ce zèle, Dieu est appelé parfois « le Dieu jaloux » : Ex., xx, 5 ; Num., xxv, 11 ; Ez., xxiii, 23 ; xxxviii, 19 ; Joël, ii, 18. Voir le Catéchisme du concile de Trente, part. III, c. ii, q. xxix. Cf Heinrich, Dogm. Théologie, t. i, p. 750 ; Janssens, op. cit., p. 354-357.

Dans son ouvrage, De perfectionibus moribusque divinis, t. XIII, De justifia et ira Dei, Lessius énumère dix œuvres divines qu’il faut spécialement rapporter à la justice : le châtiment des anges rebelles ; la punition du péché d’Adam, le cataclysme du déluge ; la sévère répression de certains crimes (Sodome et Gomorrhe, Coré, Dathan et Abiron, les plaies d’Egypte, les massacres ordonnés par Dieu au cours de l’histoire des Hébreux) ; les épreuves envoyées au peuple élu en raison de ses infidélités ; au point de vue spirituel, la soustraction des grâces ; la passion et la mort du Christ, les peines du purgatoire, le jugement universel, et les convulsions multiples qui le précéderont.

3. La miséricorde.

La miséricorde (miseria et cor) est le sentiment qu’éprouve un cœur compatissant en face de la misère d’autrui. Un tel sentiment ne saurait exister en Dieu sous la forme d’un mouvement passionnel ; mais Dieu est dit miséricordieux en raison des allégements qu’il apporte aux créatures dans la misère. Source de toute bonté, lui seul peut réparer les défauts de bonté qui créent la misère. S. Thomas, I a, q. xxi, a. 3. Tournély a noté opportunément que la miséricorde doit exister en Dieu, à la fois pour manifester la liberté divine dans la diffusion de la bonté, et pour permettre à la liberté humaine de faire appel, le cas échéant, à la bonté divine. Præl. theol., De Deo, q. xviii, a. 4, concl. 1.

L’Écriture proclame fréquemment la miséricorde de Dieu. Ex., xxxiv, 6 sq. ; Ps., en, 8, cꝟ. 4, 6, 13, 17 ; cxliv, 8 et surtout le ps. cxxxv, où la seconde partie de chaque verset chante l’éternelle miséricorde de Dieu.

Il est inutile d’insister sur les innombrables textes des Pères et sur les formules liturgiques magnifiant

la miséricorde de Dieu. On devra surtout observer que la foi en la miséricorde de Dieu a dû se préserver, dans les premiers siècles, de deux excès contraires : la rigueur novatienne, voir t. xi, col. 839, présentant aux croyants un Dieu cruel (erreur renouvelée dans les temps modernes par tous ceux qui, comme Hartmann, en raison du dogme de l’enfer éternel, accusent Dieu d’une odieuse tyrannie) ; — le miséricordisme, erreur de tous ceux qui, à toutes les époques, ont renouvelé l’hérésie origéniste du salut universel ou du moins ont adouci outre mesure les rigueurs des peines infernales. Voir ici Enfer, t. v, col. 74-76 ; Jérôme (Saint), t. ix, col. 980-981 ; Mitigation des peines, t. x, col. 2005-2007. Cf. A. Lehaut, L’éternité des peines de l’enfer dans saint Augustin, Paris, 1912, première partie.

Les vertus qu’on peut rapprocher de la miséricorde sont : la libéralité, Dieu agissant non pour sa propre utilité, mais seulement parce qu’il est bon, S. Thomas, I », q. xliv, a. 4, ad l"™ ; la magnificence, qui amplifie encore la libéralité, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel (incarnation, eucharistie), cf. Ex., xv, 11 ; I Par., xxix, Il et fréquemment dans les psaumes ; la magnificence divine est apparue dans la transfiguration, II Pet., i, 17 ; la longanimité, mélange de patience et de magnanimité, cf. Ps., en, 8 ; Rom., ii, 4 ; xi, 22 ; II Pet., iii, 15 ; la patience, dont le Christ a été un parfait exemple dans sa passion, II Thess., iii, 5 ; la mansuétude, dont Dieu fait constamment preuve à l’égard des pécheurs, cf. Matth., v, 45 ; la clémence, s’exerçant à l’égard des inférieurs, et dont la liturgie, au jour de l’Ascension, chante les bienfaits à l’égard de nos crimes (hymne des vêpres et des laudes) ; la piété qui, aux vertus précédentes, ajoute la tendre affection qui unit les membres de la même famille (parabole de l’enfant prodigue, du bon Samaritain), la suavité, la bénignité, l’humanité, la grâce. Voir, sur toutes ces vertus, d’heureux développements, avec application à la vie spirituelle, dans Janssens, op. cit., p. 356-363.

Parmi les œuvres de miséricorde, Lessius énumère tout d’abord l’incarnation, puis la doctrine céleste apportée par le Christ au monde ; l’exemple de toutes les vertus donné par le Christ ; notre libération du péché et de la mort éternelle ; notre adoption comme fils de Dieu ; le trésor inépuisable de pardon par le moyen des sacrements ; le mystère de l’eucharistie ; enfin, tous les bienfaits d’ordre plus particulier qui nous viennent de la providence naturelle ou de la religion du Christ. Op. cit., I. XII, De misericordia Dei.

Enfin, saint Thomas (a. 4) met en relief une vérité fondamentale dans l’économie chrétienne : dans toutes les œuvres divines, la miséricorde se mêle à la justice. Dieu ne doit rien aux créatures ; tout ce que celles-ci possèdent leur vient de sa bonté. Il est donc logique que ce point de départ se retrouve par une influence prépondérante dans tout le reste. Ainsi la miséricorde divine accroît la mesure des bienfaits comme elle diminue la rigueur des châtiments. Voir Mitigation des peines, t. x, col. 1998.

2° Dans l’ordre de l’action ad extra : la toute-puissance. — En parlant de la puissance divine, il ne peut être question que d’une puissance active, ordonnée à l’action, et d’une puissance parfaite B’identi fiant avec l’essence divine et avec son propre acte. Il est clair que Dieu, créateur du monde, ne peut agir ad extra que s’il a la puissance active à un titre souverain >. Cf. Sum. theol., I q. xxv, a. 1 ; cf. Conl. Cent., t. I, c. xvi ; t. II, c. vu ; De potentia, q. I, a. 1 ; q. vu. a. 1. Cette puissance est nécessairement infinie, puisqu’elle S’identifie avec l’acte pur qu’est Dieu, Stim, Iheol., toc. cit., a. 2 ; elle est donc une toute-puissance.

1. I.n lontr-puissancc divine, 1, e dogme de la

toute-puissance divine est expressément énonré. dans les symboles primitifs : Credo in Dttim omnipotentrm ;

cf. Den2.-Bannw., n. 2. fi. 13, i">. 39 (non 1res omnipotentes, seit iinus omnipotent), 54, 88 ; ci dans les formules déprécatives de la liturgie, Omnipotent srmpiterne

Deus. Dogme défini au IVe concile du Latran, c. i, Denz.-Bannw., n. 428 et au concile du Vatican, sess. m, c. i, ibid., n. 1782-1783.

La sainte Écriture est formelle. Dans l’Ancien Testament Dieu est appelé plus de soixante-dix fois El Shaddaï, c’est-à-dire le Dieu tout-puissant ; d’autres formules présentent un sens analogue, exaltant la puissance irrésistible de Dieu dans ses œuvres, principalement dans la création. Cf. Gen., xvii, 1 ; xvin, 14 ; Ex., xv, 3 ; Esther, xiii, 9 ; Job, xlii, 2 ; Eccl., xviii, 4, 5 ; Ps., xxxii, 6, 9 (cf. Apoc, iv, 11). Dans le Nouveau Testament : Luc, i, 37, 49 ; II Cor., vi, 18 ; I Tim., vi, 15 ; Apoc, i, 8 ; xix, 6. Le Christ lui-même proclame que tout est possible à Dieu, Matth., xix, 26 ; Marc, x, 27 ; xiv, 36.

Les témoignages patristiques pourraient être cités en nombre considérable. Contentons-nous tout d’abord des règles de foi : S. Irénée, Adv. hær., t. I, c. x, n. 1 ; cf. c. xxii, n. 1, P. G., t. vii, col. 549 A, 669 A ; Tertullien, De præscript., c. xiii, P. L., t. ii, col. 26 B ; De virg. velandis, c. i, ibid., col. 889 A ; Origène, De principiis, præf., n. 4, P. G., t. xi, col. 117 A ; Novatien, De Trinitate, c i, P. L., t. iii, col. 913 A. Ensuite, des affirmations très nettes contre le dualisme, la toute-puissance divine étant à l’origine de toutes choses, même de la matière : Aristide, ApoL, n. 4, 5, P. G., t. xevi, col. 1109 sq., 1121 A, C ; Théophile d’Antioche, Ad Autol., t. I, n. 4, ibid., t. vi, col. 1029 AB ; Tertullien, Adv. Herrnog., c. viii ; cf. xvi, xvii, P. L., t. ii, col. 204 B, 211-212 ; Lactance, Div. inst, t. II, c. ix ; t. VII, c. xxi, P. L., t. vi, col. 297 À sq. ; 800 B sq. ; S. Augustin, Cont. Felicem manich., t. II, c. xviii, ibid., t. xlii, col. 547 ; De civ. Dei, t. V, c. x, n. 1, t. xli, col. 152. Voir aussi, se rapprochant de l’affirmation précédente : S. Irénée, Fragm., vi, P. G., t. vii, col. 1231 C ; Clément d’Alexandrie, Protrept., c. iv, n. 63, ibid., t. viii, col. 161 B164 B ; Origène, De princ, t. I, c. ii, n. 10 ; t. II, c. ix, n. 6, ibid., t. xi, col. 138 C, 230 AB. Même les démons sont sous la dépendance de la toute-puissance divine, Dial. de recta in Deum fide, sect. iii, n. 9, ibid., t. XI, col. 1800 A. — Enfin, quelques textes d’une portée générale et absolue : pour Tertullien, Dieu peut tout, De resurr. carn., c. xi, P. L., t. ii, col. 809 A ; du dogme de la toute-puissance, Origène déduit celui de la Providence, In Gen., hom. iii, n. 2, P. G., t.xii, col. 175 BC ; Cyrille de Jérusalem place Dieu au-dessus de tous par sa puissance, tcxvtcov SuvaTojTepoç, Cat., iv, n. 4, P. G., t. xxxiii, col. 460 A ; Grégoire de Nysse rejette de Dieu toute impuissance, Or. catrrh.. c. i, ibid., t. xlv, col. 13-16 ; cf. In Hexæmeron, ibid., t. xliv, col. 69. Pour saint Augustin, la toute-puissance divine est confessée par tous : on peut nier le Christ, on ne saurait nier la toute-puissance divine. Serm., ccxl, n. 2, P. L., t. xxxviii, col. 1131 ; cf. S. Pierre Chrysologue, Serm., cxli, ibid., t. lu. col. 578 B ; Cassiodore, De anima, c. ii, ibid., t. lxx, col. 1287 A. Voir aussi l’art. Création, t. iii, col. 2059 sq.

2. Notion philosophique de la toute-puissance divine.

— Mais que signifie exactement l’expression : « Dieu peu ! tout » ? Le seul sens acceptable est que Dieu peut tout le possible, c’est-à-dire toute chose dont l’existence n’implique pas contradiction. Il est possible que Socrale soit assis ; mais il est contradictoire qu’il soit à la fois assis et debout. Dieu ne peut pas réaliser ontradictoires, ou, plus exactement, ce sont les

contradictoires qui ne peuvent être réalisées : « Si Dieu pouvait faire ce qui est impossible, il ne serait plus tout-puissant, i S. Augustin. Serin.. CCXIII, n. 1,

P. L., t. xxxviii. col. 1060-1061. « L’impossible

est (pour Dieu) une marque, non d’infirmité, mais de puissance et de majesté. » S. Ambrolse, Epttt., L, n. 1, ibid., t. xvi (1880), col. 1205 B. Plus exprès

sèment : « Il est souverainement puissant Celui qui peut tout ce qui est possible ; sa puissance n’est pas diminuée parce qu’il ne peut pas l’impossible. Pouvoir l’impossible ne serait pas pouvoir, mais ne pas pouvoir. » Hugues de Saint-Victor, De sacram., t. I, c. xxii, ibid., t. clxxvi, col. 216 BC ; cf. S. Anselme, Proslog., c. vii, ibid., t. clviii, col. 230 BC. Mais il faut de plus que ce possible, pour devenir le terme d’une réalisation divine, puisse constituer par lui-même une réalité positive. Or le mal est, par lui-même, non une réalité, mais une privation. Donc faire le mal est impossible à Dieu. Voir ci-dessus, col. 3329. Il est enfin trop évident que le possible dont il est ici question n’est pas seulement ce qui effectivement est possible à une créature. La création d’un être, la justification d’une âme sont choses impossibles à une créature, mais possibles à Dieu.

De ces principes, saint Thomas tire quelques conclusions : 1° Le péché est impossible à Dieu, I a, q. xxv, a. 3, ad 2um ; 2° Dieu ne peut faire qu’une chose passée n’ait pas été, ibid., a. 4 ; 3° Dieu peut agir autrement qu’il ne fait, a. 5 ; voir ci-dessus la liberté de la volonté divine ; 4° Dieu peut faire meilleures les choses qu’il a faites, a. 6 ; voir ci-dessus la question de l’optimisme, col. 3346.

3. Puissance absolue et puissance ordonnée.

La puissance absolue de Dieu (soluta ab ordinis prsesenlis décréta) est celle qui peut réaliser tout ce que la sagesse divine peut proposer et la volonté divine exécuter ; la puissance ordonnée est celle qui réalise effectivement ce que la sagesse divine a proposé et que la volonté divine a décidé d’exécuter dans l’ordre présent. Cette puissance ordonnée est ordinaire quand elle réalise les choses selon les lois ordinaires de la nature (la naissance d’un enfant) ou de la grâce qustification de l’âme par le baptême), ou extraordinaire, quand elle procède en dehors des lois ordinaires (miracles). De puissance absolue, Dieu aurait donc pu faire autre chose que ce qu’il a fait ; de puissance ordonnée, il n’a pu faire que ce dont sa volonté a décrété la réalisation. Ces deux manières de concevoir la puissance divihe ne doivent donc pas être séparées ni de la sagesse, ni de la bonté, ni de la justice divine. Concevoir la puissance absolue, abstraction faite de la sagesse, de la justice, de la sainteté de Dieu, c’est tomber dans l’erreur janséniste qui admet que, de puissance absolue, Dieu puisse condamner un juste à l’enfer. Un tel-acte de la volonté divine ne serait concevable que si la sagesse ou la justice de Dieu y trouvaient leur compte ; ce qui n’est pas. Cf. S. Thomas, » In 111™ Sent., dist. I, q. ii, a. 3 ; Billot, op. cit., p. 309310 ; Hervé, Manuale, t. ii, n. 134.

Avec beaucoup de sagesse, saint Thomas déclare qu’ « en Dieu la puissance et l’essence, la volonté et l’intelligence, la sagesse et la justice sont une seule et même chose ; de sorte que rien ne peut être dans sa puissance qui ne soit dans sa volonté et dans sa sage intelligence. » I a, q. xxv, a. 5, ad l um. Ce principe permettra de résoudre la difficulté qui a égaré les volontaristes dans leur définition des rapports de la liberté divine avec les lois de la raison et de la morale. Voir Volontarisme, col. 3316. Voir aussi la conception nominaliste de la puissance absolue et ordonnée, t. xi, col. 764.

Est-il besoin, en terminant, de réfuter le sophisme de Stuart Mill déclarant que Dieu n’est pas toutpuissant, puisqu’il emploie les causes secondes pour atteindre les fins qu’il se propose ? L’Être tout-puissant ne devrait-il pas atteindre ces fins sans passer par des intermédiaires ? Essais sur la Religion, tr. fr., Paris, 1875, p. 163-165. Dieu, certes, peut très bien, d’une manière extraordinaire, sans passer par les causes secondes, produire certains effets voulus par

lui : c’est le cas des miracles. Mais normalement il doit à sa sagesse — et c’est même là une marque de puissance — d’observer le cours ordinaire des choses en adaptant aux elîets voulus des causes proportionnées. Il y a même une manifestation plus grande de la toute-puissance divine dans la production et l’adaptation de ces causes secondes que dans la production immédiate des elîets. Cf. A. Tanquerey, Synopsis theol. dogm., t. ii, n. 552.

Le dogme de la toute-puissance divine doit produire en notre âme un double effet : « nous humilier sous la main toute-puissante de Dieu, afin d’être élevé au temps marqué », cf. I Pet., v, 6 ; exciter en nous une confiance absolue en Dieu : « Je puis tout en celui qui me fortifie. » Phil., iv, 13.

On consultera S. Thomas, Sum. theol., I*, q. xix, xx, xxi et xxv, et les textes correspondants de ses autres ouvrages, ordinairement indiqués dans les bonnes éditions, notamment Conl. Gent., t. I, c. lxxii-xcviii et De veritate, q. xxiii, ainsi que les grands commentateurs, Cajétan, Sylvestre de Ferrare, Gonet, Suarez, Billuart, etc., et les traités De Deo des théologiens modernes, spécialement Kleutgen, Billot, Franzelin, Buonpensiere, Lépicier, Muncunill, Van Noort, Chr. Pesch, Piccirelli, de San, Stentrup, Janssens, Van der Meersch, et les manuels de Diekamp-Hoffmann, Hugon, Hervé, Tanquerey, Bartmann, Schwetz, Scheeben, etc.

Études plus spéciales : Suarez, De libertate divinee voluntatis, opusc. theol. IV, dans Opéra omnia (Vives), t. XI, p. 393 sq. ; D. Ruiz, De voluntate Dei et propriis aclibus ejus, Lyon, 1630 ; S. Bersani, De voluntate Dei (comm. sur la Somme Contre les Gentils, t. I, c. lxxii-lxxxviii), dans le Divus Thomas, de Plaisance ; F.-A. Blache, La liberté divine, dans la Revue de philosophie, 1927, p. 237 sq.

Pour la partie positive, voir Petau, Theologica dogmala, De Deo Deique proprietatibus, t. X, c. iv, v ; D. Ruiz.op. cit., disp. XIX, sect. 5 et 6 ; XX, sect. 1, 6, 7 ; Franzelin, op. cit., thèse L.

VI. Appendice : la volonté salvifique universelle. — Ce problème, capital au point de vue de l’idée qu’on doit se faire de la providence, peut être envisagé sous deux aspects qui se complètent : 1° Le dogme catholique ; 2e Les doctrines théologiques.

I. le dogme catholique.

1° La sainte Écriture.

— 1. L’Ancien Testament. — Dans la promesse du Rédempteur futur, Gen., iii, 15, aucune restriction n’est apportée. Quand Dieu se réserve un peuple de choix, les nations infidèles ne sont pas écartées : Dieu, en effet, dit à Abraham : « Toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » Gen., xii, 2-3 ; cf. xxii, 18. Sans doute, la suite de l’Histoire sainte montre que « l’appel de Dieu s’est spécialisé dans l’élection d’Israël ; mais l’objet des promesses divines est une Rédemption messianique, à laquelle les Gentils eux-mêmes participeront ». L. Capéran, Le problème du salut des infidèles, essai historique, Toulouse, 1934, p. 3. Si matérielle et si terrestre, que paraisse souvent l’enveloppe des anciennes prophéties du royaume messianique, il n’en ressort pas moins que les conquêtes du Messie futur doivent aboutir à une conversion spirituelle des peuples. Cf. Is., ii, 1-12 ; xviii, 7 ; xix, 21-22 ; Zach., ii, 11 ; vi, 15 ; viii, 20-23 ; xiv, 16-21. Voir surtout Is., xlv. Cet aspect de l’universalisme messianique a été mis en relief dans la deuxième partie d’Isaïe, où Israël est représenté comme la lumière des peuples, devant rassembler « toutes les nations et toutes les langues » pour les amener à la connaissance du seul vrai Dieu. Is., lx, 1 sq. ; lxvi, 18, 23. Le Juste, Serviteur de Jahvé, « justifiera beaucoup d’hommes » et sera établi « la lumière des nations, pour faire arriver le salut jusqu’aux extrémités de la terre. » Is., lui, 11, xlix, 6 ; cf. xlii, 6 ; xlix, 8.

Ce salut universel se réalisera sans doute surtout à l’âge messianique, dans et par l’Israël régénéré, circoncis de cœur (Jer., iv, 4), qui se prépare et doit

naître. Mais déjà l’appel divin trouve, même au temps des anciens prophètes, des échos chez les peuples infidèles. L’histoire de Job, la conversion de Ninive par la prédication de Jonas, plus d’un trait emprunté au prosélytisme des Juifs de la captivité le montre clairement.

Les psaumes messianiques reflètent les mêmes perspectives. Le salut est annoncé à toutes les nations jusqu’aux extrémités de la terre. Ps., xcvi, 1-3 ; lxvi, 2-3 ; lxxxvi, 4-7. Toutes les familles de la terre se tourneront vers Dieu et lui rendront gloire. Ps., xxi, 28 ; i.xxxv, 9. Ces prophéties, ouvrant au genre humain tout entier des perspectives de salut, témoignent à leur façon de la volonté qu’a Dieu de sauver tous les hommes.

Cette idée s’affirme avec plus de consistance, quand Dieu déclare « ne pas vouloir la mort du pécheur, mais qu’il vive » et se convertisse. Ez., xxxiii, 11 ; cf. xviii, 27, 28. Dieu pardonne, quand il voit le pécheur pénitent : peut-il ne pas aimer toutes ses créatures ? Sap., xi, 24-25 ; cf.xii, 18-20.

2. Le Nouveau Testament.

a) Les évangélistes. — L’universalité du salut apporté aux hommes par le Messie est au premier plan de la prédication de Jésus. Jésus, en effet, est venu fonder sur la terre un royaume spirituel qui doit s’étendre au delà des frontières de" Palestine. Cf. Matth., viii, 5 sq. L’infidélité des Juifs sera l’occasion de manifester ce transfert du royaume aux nations de l’Orient et de l’Occident : c’est la conclusion des paraboles des vignerons homicides, id., xxi, 33-46, et du festin nuptial, id., xxii, 2-11. D’ailleurs, l’Évangile doit être prêché à toutes les nations, id., xxiv, 14, et avant de remonter au ciel le Christ en donne l’ordre formel aux apôtres, id., xxviii, 19 ; cf. Marc, xvi, 15-16 ; Luc, xxiv, 46-47 ; Act., i, 8.

Saint Jean fait écho aux synoptiques. Le Verbe est la lumière venue en ce monde pour éclairer tout homme ; si les siens ne l’ont pas reçu, il a donné à tous ceux qui l’ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, Joa., i, 9, 11-12. La suite de l’évangile confirme la leçon du prologue : Jésus est l’Agneau qui porte les péchés du monde, i, 29 ; Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour sauver tous ceux qui croient en lui, iii, 6 ; cf. iv, 30-40 ; xvii, 12, etc. Dans sa l re épître, saint Jean dira nettement que Jésus est « propitiation pour nos péchés ; non pas seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. » ii, 2.

A la lumière de cette affirmation de saint Jean, il est plus conforme à la vérité de donner un sens universaliste à la rédemption dont saint Matthieu affirme qu’ « un grand nombre » seront bénéficiaires, XÔTpov 4vri 7toXXâiv. Voir également l’affirmation du sang « répandu pour un grand nombre (7repi tcoXXûv) en rémission des péchés. » Matth., xxvi, 28 ; cf. Marc, xiv, 24.

b) Saint Paul. — Avec saint Paul, on aborde plus directement la doctrine de la volonté salvifique universelle. L’Apôtre met en relief le salut apporté à toute l’humanité pécheresse par Jésus-Christ, le nouvel Adam. Ici encore, le parallélisme nous oblige à identifier, quant au sens, ol — oXXot, beaucoup, la multitude, et --/vtec. ton, .

SI par le péché d’un seul homme, beaucoup (ol itoXXot) sont morts, bien plus abondamment, par la grftce d’un seul homme, Jésus-Christ, la grâce et le don de Dleti m-sont répandus sur un grand nombre ( :  ; ro&( roXXovc)… Comme donc c’est par le péché d’un seul que tons les nommée sont tombée dans la condamnation ( --n-iz àv6pû t.’ij :::/-/-/P, [(la), njnsi c’est par la justice d’un seul

que tous les hommes reçoivent la Justification de la i’| T.Ti-.y. stvOpitfftove lie, Bixafojffiv I ( ; ir de même que par la désobéissance d’un seul homme beaucoup (ol -’// / ol) ont été constitués pécheurs, de même ; iussi, par loi., i

sance d’un seul, beaucoup (ol TtoXXo :) sont constitués justes (Rom., v, 15, 18-19).

Cette universalité de la rédemption indique clairement que le Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, I Tim., i, 15 ; qu’il a été livré pour nos péchés, Rom., iv, 25 ; pour nous tous, ibid., vui, 32 ; qu’il est mort pour nous, ibid., v, 9 ; pour nous tous, II Cor., v, 15. Ainsi nous sommes justifiés dans son sang, Rom., v, 9 ; cf. Col., i, 14 et il est le sauveur de tous les hommes et principalement des fidèles, I Tim., iv, 10. Par là se manifeste le plan de la restauration de l’humanité : « Il a plu (au Père) que toute plénitude habitât en lui et, par lui, de se réconcilier toutes choses (rà roxvTa), pacifiant, par le sang de sa croix, soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux (eI’te Ta ércl -rrjç X^c, , être Ta èv toïç oùpxvoîç). Col., i, 19-20 ; cf. Eph., i, 9-10.

S’il a plu au Père de chercher, par le sang du Christ, cette réconciliation universelle, c’est donc que la bienveillance divine s’étend à tous sans exception et que Dieu, autant qu’il est en lui, veut le salut de tous. Saint Paul l’affirme nettement dans la première épître à Timothée, ii, 1-5.

Avant tout, je demande instamment qu’on ofïre de, s prières, des demandes, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes…, afin que nous menions une vie tranquille et paisible, en toute piété et honorabilité. Cela est bon aux yeux de Dieu notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité : car unique est Dieu, unique aussi notre médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s’est donné comme rançon pour tous (avTi’LoTpov

iiKiÇ, TiaVT(i)v).

On a souligné dans le texte les mots indiquant l’extension universelle de la volonté salvifique de Dieu ; Dieu veut le salut de tous les hommes, et il faut l’entendre de tous sans exception, « puisque l’exception n’est pas indiquée et qu’elle est, au contraire, exclue par l’emphase du discours et par le mot « tous » quatre fois répété ». F. Prat, La théologie de saint Paul, 6e éd., Paris, 1912, t. H, p. 118. Toute interprétation limitative ou restrictive doit donc être éliminée. Le salut est voulu pour tous ; la connaissance de la vérité, pour ceux qui en sont capables. Et la raison nous en est donnée, c’est celle qu’on a rappelée tout à l’heure : le Christ, médiateur unique, s’offrant en rançon pour tous. Et précisément cette raison montre que saint Paul se place dans l’hypothèse du péché originel : « Il enjoint actuellement de prier pour tous les hommes ; il affirme que Dieu présentement veut le salut de tous les hommes et que Jésus-Christ, une fois pour toutes, est mort pour tous les hommes. » Prat, op. cit., p. 120.

La volonté salvifique, exprimée ici par saint Paul, ne doit pas être confondue avec le propos divin (7rp66ecîiç), c’est-à-dire le décret absolu qui se réalise certainement et ne dépend pas des mérites de l’homme, cf. Rom., viii, 28 ; Eph., i, 11 ; iii, 11 ; II Tim., i, 5 ; ni avec le bon plaisir (eùSovia), qui indique une bienveillance gracieuse et ne s’applique jamais à la permission du mal. cf. Eph., t. - r), <> : l’hil.. ii, 13 ; II Thess., i, 11, etc. ; ni avec le conseil (ftauX^), sagesse éclairant les décisions de la volonté divine, Dieu « opérant toutes choses selon le conseil de sa volonté. Eph., i, 11 ; cf. Ileb., vi. 17 ; Act.. xiii, 36 ; xx. 27 (discours de saint Paul). I.a volonté salvilique est une volonté réelle, non absolue puisqu’elle ne se réalise pas nécessairement : on peut à bon droit l’appeler « volonté de désir. Cf. I Thess., iv, .’( ; I Tim., n. 1 ; Rom., ix, 22.

c) Saint Pierre. Dès ses premiers discours aux

Juifs, Act.. n iv. saint Pierre avait, d’une façon suffisamment claire, prêché l’universalité de l’appel au

salut, ce salut devant être réalisé en Jésus, l’unique médiateur. Act., iii, 20-25 ; iv, 11-12. Mais, plus nettement apparaît cette universalité dans la vision dont fut favorisé le chef des apôtres avant la conversion du centurion Corneille. Act., x-xi. Aussi Pierre reconnaît-il « que Dieu ne fait pas acception de personnes ». Act. x, 34. Enfin, dans sa seconde épître, il avertira les chrétiens que « le Seigneur …agit patiemment…, ne voulant pas même que quelques-uns périssent, mais que tous recourent à la pénitence ». iii, 9.

Conclusion. — Ces textes nous amènent à conclure que la volonté salviflque de Dieu, tout en concernant les fidèles (cf. I Tim., iv, 10), s’étend également aux pécheurs que Jésus est venu appeler spécialement (cf. Matth., ix, 13 ; Luc, v, 32), et même aux infidèles, c’est-à-dire à tous les hommes sans exception (cf. I Tim., ii, 1-6). Toutefois l’universalité de l’appel n’empêchera pas qu’un certain nombre, peut-être un grand nombre, ne répondront pas à cet appel et manqueront le bonheur du ciel. Notre-Seigneur le laisse entendre à maintes reprises et le déclare nettement dans le tableau anticipé qu’il fait du jugement dernier. Matth., xxv, 41, 46. Saint Paul énumère les catégories de pécheurs qui ne posséderont pas le royaume de Dieu. I Cor., vi, 9-10 ; Gal., v, 19-21. Les textes qui se rapportent à ce sujet sont trop connus pour qu’il soit utile d’insister. Mais l’apparente contradiction entre l’universalité de l’appel divin et la défection d’un certain nombre d’hommes pose un redoutable problème à la théologie : cette volonté salviflque est-elle bien sincère et comment l’accorder avec le fait de la damnation d’un nombre peut-être considérable de pécheurs ?

La tradition patristique.

La difficulté se

trouve ici résolue d’une manière tout à fait simple. C’est l’infidélité à Dieu en effet qui entraîne les pécheurs à leur perte : ils refusent la pénitence. Mais Dieu veut sincèrement leur salut et la rédemption offerte par le Christ a eu effectivement une valeur universelle. C’est autour de ces deux pensées fondamentales : volonté salviflque, valeur universelle de la rédemption, que se cristallise l’enseignement des Pères.

1. Aux I effet IIe siècles. — Dans l’épître aux Corinthiens, saint Clément rappelle que la conversion des Ninivites montre que même les infidèles, par la pénitence, peuvent obtenir le salut, vi ; que le sang du Christ, répandu pour notre salut, offre au monde entier la grâce de la pénitence, vu ; cf.xii, 7. Malgré les difficultés de la pénitence, voir ici t. vi, col. 2283, le Pasteur d’Hermas enseigne que « Dieu est rempli de longanimité et veut que l’appel adressé par son Fils ne soit pas fait en vain. » Sim., VIII, xi, 1. Le sang du Christ fut répandu pour nos péchés, Barn., v ; le rôle du Christ fut de réparer les péchés du monde ; le Fils de Dieu fut le prix de notre rédemption, Epist. ad Diogn., ix ; Jésus-Christ est mort pour nos péchés, Polyc, i ; sur le caractère universel de la rédemption chez saint Ignace d’Antioche, voir t. vii, col. 704.

Rédemption universelle, c’est aussi l’enseignement de saint Justin, voir ici t. viii, col. 2265, surtout dans Dial., lxxxviii, 4 et c, 4-6, col. 2268-2269. Le Verbe exerce son influence salutaire, même par la seule droite raison, sur les païens eux-mêmes ; cf. / Apol., v ; xlvi ; // Apol., viii, P. G., t. vi, col. 336 B ; 397 C ; 457 AB. On trouve une allusion expresse à l’appel du Christ aux pécheurs, Marc, ii, 17, et à la volonté salviflque universelle de Dieu, I Tim., ii, 4, dans un fragment du De resurrectione, col. 1584 D-1585 C. Saint Irénée exprime pareillement l’universalité de l’appel au salut et la possibilité pour tous d’y parvenir. Voir t. vii, col. 2489-2490.

2. Au ine siècle. — A Rome, saint Hippolyte reprend la thèse de Justin de l’illumination par le Verbe de ceux qui ont vécu avant le Christ. Le Verbe ne rejette aucun de ses serviteurs, n’a horreur d’aucun homme comme indigne des mystères divins ; il désire et veut le salut de tous. De Antichristo, 2, 3, P. G., t. x, col. 728, 732. A Alexandrie, Clément d’Alexandrie enseigne que tous les hommes appartiennent au Christ « qui les a tous pareillement appelés », ô rocv-ocç (iiv eTt’ïa/jç xéxAY)xa>ç, Strom., VII, n, P. G., t. ix, col. 409 C, bien qu’il ne soit encore le Sauveur que de ceux qui ont cru en lui. Col. 412 B. Mais, comme Justin et Hippolyte, Clément admet que, de tout temps, le Verbe a agi pour le salut des hommes, Protrept., i, P. G., t. viii, col. 61 C-64 A. Origène est plus explicite encore : « Après de nombreux prophètes, … le Christ est venu corriger le monde entier. » Cont. Cels., t. IV, n. 9, P. G., t. xi, col. 1037 D. « Dieu n’a jamais opposé sa volonté à la justification des hommes ; il l’a toujours eue à cœur ». Ibid., n. 7, col. 1037 A. Le Christ a travaillé et souffert pour tous. Ibid., t. I, n. 32, col. 721 B. Sur la valeur universelle de la rédemption chez Origène, voir ici t. xi, col. 1543. Dans son commentaire sur Rom., ix, 21, Œcumenius cite un fragment de Méthode d’Olympe : « Non pas que Dieu fasse ceux-ci bons et rende mauvais ceux-là. Nullement ; toutes les œuvres de Dieu sont bonnes et, pour ce qui est de lui, c’est-à-dire selon son conseil et sa volonté, il désirerait que tous soient bons, fervents et fidèles. » P. G., t. cxviii, col. 576 C.

3. Au IVe siècle. — Désormais les témoignages abondent en faveur de la volonté salviflque universelle et souvent, chez les Pères grecs, avec une formule stéréotypée : « Autant qu’il appartient à Dieu, tous sont sauvés, tous sont appelés. »

a) Les Pères grecs. — Sans préciser leur pensée en ce qui concerne la volonté salviflque universelle de Dieu, Eusèbe de Césarée et saint Athanase affirment, l’un et l’autre, que la Providence n’a jamais abandonné personne : Dieu sauve tous ceux qui se proposent de le servir, Eusèbe, In Is., lxv, n. 11-12, P. G., t. xxiv, col. 512 B ; suffisante était, dans l’homme, la grâce de la ressemblance avec Dieu pour faire connaître le Dieu Verbe et, par lui, son Père. S. Athanase, De incarn. Verbi, 12, P. G., t. xxv, col. 116. Voir le développement de ces idées dans Capéran, Le problème du salut des infidèles, essai historique, Toulouse, 1934, p. 78-83. D’ailleurs, saint Athanase proclame ouvertement l’universalité de la rédemption du Christ. De incarn. Verbi, 20, 21, col. 132 B ; 132 C ; 133 B.

Commentant ces paroles : Quoniam ira in indignatione ejus (ps. xxix, 6), saint Basile déclare que la peine est infligée selon un juste jugement de Dieu. Mais « la vie est dans sa volonté » : Dieu, en effet, « veut que tous soient participants à sa vie ». Les maux ne viennent pas de sa volonté ; mais Dieu les inflige en raison de la culpabilité des pécheurs. In ps. xxix, 4, P. G., t. xxix, col. 313 C. Cf. Regulse brevius tract., 248, t. xxxi, col. 1248 C D.

Saint Cyrille de Jérusalem : « Dieu aime souverainement les hommes et leur a ouvert, non une ou deux, mais de nombreuses portes d’entrée dans la vie éternelle, afin que tous, autant qu’il est en lui, puissent en jouir sans que rien les en empêche. » Cat., xviii, n. 31, P. G., t. xxxiii, col. 1052 C-1053 A.

Après avoir rappelé, selon le mot de l’Apôtre, que « Dieu veut le salut de tous les hommes », saint Grégoire de Nysse dit que, si les uns se sauvent et si les autres périssent, la faute n’en est pas à la volonté divine, mais au libre choix de ceux qui reçoivent la parole (de Dieu), Adv. ApolL, n. 29, P. G., t. xlv, col. 1188.

Quand saint Jean Chrysostome cite I Tim., ii, 4, il l’explique en marquant que la perte de ceux qui manquent leur salut trouve sa raison, non dans la volonté divine, mais dans la volonté humaine à qui Dieu ne fait pas violence. Cf. Hom. de ferendis reprehensionibus, n. 6, P. G., t. li, col. 144. La volonté divine qui punit les impies n’est pas la volonté première, ce désir véhément que Dieu avait de les sauver. In ep. ad Eph., hom. i, n. 2, t. lxii, col. 13. Voir plus loin. Le même saint Jean Chrysostome, citant Joa., i, 9, se demande comment, en fait, tous les hommes n’ont pas accédé à la lumière : « Le Verbe, dit-il, éclaire tous les hommes autant qu’il est en lui… Sa grâce est répandue sur tous… mais s’il en est qui ne veulent pas jouir de ce don, il ne faut imputer qu’à eux-mêmes leur aveuglement. » Hom. viii, n. 1, t. lix, col. 65. Dans son commentaire sur l’épître aux Romains, hom. xvi, n. 5, si tous sont appelés au salut, dit-il, tous n’y parviennent pas, parce que tous ne veulent pas y parvenir, ôtl [i-q roivTeç TrpoasXOsïv 7)60uX-/)67)aav. Mais, pour ce qui est de Dieu, tous sont sauvés et appelés, <Lç tô ys aùroû ptipoç SL£ow6r)<rav àracvreç xai yàp èyJkqQqesa » a7ravT£ç ; t. lx, col. 554 ; cf. n. 9, col. 561-562. En croix, le Christ a souffert et a prié pour sauver les pécheurs. Hom. de cruce et talrone, i, n. 2, 5, t. xlix, col. 401, 405 ; ii, n. 5, col. 415.

Saint Cyrille d’Alexandrie est tout aussi explicite. Reprenant le texte paulinien, il déclare que l’auteur de l’univers, essentiellement bon, « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ». Mais Dieu ne refuse en fait le salut qu’aux obstinés dans le mal. In Is., t. II, t. iii, P. G., t. lxx, col. 428 A. Reprenant l’explication de Chrysostome sur Joa., i, 9, Cyrille affirme que le Fils illumine bien tout homme, mais que c’est la créature qui rejette la grâce. In Joa., 1. I (c. i, ꝟ. 10), P. G., t. lxxiii, col. 148 CD. En sorte que, s’il-ne fallait considérer que la volonté et la bonté de Dieu, tous les hommes devraient devenir ses fils et nul ne devrait être éloigné de la familiarité et amitié divines. Ad re’qinas de recta fide, or. ii, n. 9, t. lxxvi, col. 1345 D.

Saint Isidore de Péluse rappelle, lui aussi, que « Dieu veut le salut de tous les hommes, même de ceux qui sont dans la fange du vice, et c’est là ce qui leur enlève toute excuse. » Epist., t. II, ep. cclxx, t. lxxviii, col. 700 D. Œcumenius et Théophylacte, dans leur commentaire In I Tim., ii, 4, adoptent sans discussion l’interprétation universaliste, P. G., t. cxix (1881), col. 149 C ; t. cxxv (1864), col. 32 D.

b) Les Pères latins. — Les premiers apologistes n’apportent aucune restriction à la thèse de l’appel universel des hommes au salut. Arnobe se borne à montrer que la volonté divine ne force personne à accepter les faveurs de sa bienveillance. Adv. Cent., II, 66, P. L., t. v, col. 910. I.actance, se plaçant en face des faits, estime que les moyens employés par Dieu pour faire parvenir les hommes à la vérité n’ont jamais fait défaut. De diu. insl., i, 5, 6 ; IV, 4, 6, 9, 15-20 ; VI, 13-26 passim. Voir le résumé de la pensée de Lactance dans Capéran, op. cit., p. 74-78.

Commentant la parabole du festin, saint Hllalre note que l’invitation du père de famille ne comportait pas d’exception : elle aurait dû rendre bons ceux à qui elle s’adressait ; c’est une méchanceté incorrigible qui déterminera la sélection des élus. In Matlh.. xxii, fi, P. L., t. ix, col. 1013 C ; cf. In p$. r.x/v, 5 ; ibid., col. 415 C.

Saint Ami. rciiso enseigne qu’à la suite du Christ on ne peut périr. Enarr. in ps. XXXIX, n. 20 ; In pt. (MF///, serm. viii, n. 57 ; serm. xix, n. 39, t. xiv (1845), col. 1086 C ; MSI C ; t. XV, col. 1318 C. Le Christ a donné à tous le moyen de recouvrer la Ban té ;

la miséricorde de Christ est manifestement enseignée à l’égard de tous ; ceux qui périssent, périssent par leur négligence ; ceux qui sont sauvés, le sont conformément à la décision du Christ « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » De Cain et Abel, t. II, c. iii, n. 11, t. xiv, col. 346 A. Cf. In ps. XLViu, 2, col. 11551156.

L’Ambrosiaster commente dans le même sens le texte de l’épître à Timothée. In I Tim., ii, 4, P. L., t. xvii, col. 466 C. Saint Jérôme adopte également la même exégèse. In epist. ad Eph., t. I, c. i, n. 11, P. L., t. xxvi, col. 455 : « Rien n’est plus juste, dit encore saint Jérôme, que de voir l’auteur de l’univers appeler d’une vocation égale ceux qu’il a engendrés en une condition égale. » In Zach., xi, 8-9, t. xxv, col. 1503 A. Cf. In Gal., i, 15 ; t. xxvi, col. 326 R.

4. La pensée de saint Augustin.

Elle a été rappelée ici, t. i, col. 2407. La question controversée est celle-ci : Augustin a-t-il varié dans sa doctrine ? A-t-il, par réaction contre le semi-pélagianisme, passé de l’interprétation obvie et commune de I Tim., ii, 4, à une interprétation restrictive de la volonté salvifique ? Ou bien, à une situation nouvelle a-t-il voulu répondre par application nouvelle du texte de saint Paul à la volonté efficace de Dieu ?

Avant 420, saint Augustin enseigne que le Christ a versé son sang rédempteur pour tous, puisqu’il sera le juge de tous. Enarr. in ps. xcv, n. 15, P. L., t. xxxvii, col. 1236 ; même pour le traître Judas, In ps. lxviii, serm. ii, n. 11, t. xxxvi, col. 861. Mais l’affirmation que le Christ est mort pour tous se lit encore dans le Cont. Julianum (qui est de 421), t. VI, n. 8, où est commenté II Cor., v, 15, P. L., t. xliv, col. 825 ; bien plus, dans l’Opus imperf. cont. Julianum (429-430), la même interprétation du même texte se retrouve contre les pélagiens, pour les convaincre de l’existence du péché originel. Le Christ est donc mort pour tous sans exception ; donc on peut en déduire la volonté salvifique universelle de Dieu, bien qu’en fait cette volonté ne soit pas toujours suivie d’effet, t. II, n. 63, 163, 174, 175, t. xlv, col. 1082, 1211, 1216-1217, 1217. Cf. In Joan., tr. XII, n. 12, t. xxxv, col. 1470. Mais déjà, dans ces mêmes commentaires sur saint Jean, on rencontre certains textes où saint Augustin distingue le monde de la rédemption et le monde de la perdition ; tr. LXXXVII, n. 2-4 ; CX, n. 2, col. 1853 sq., 1921. Cf. Serm., ccxix, t. xxxviii, col. 1088. L’interprétation traditionnelle de I Tim., H, 4 se lit explicitement dans le De spiritu et littera (412), n. 58, t. xliv, col. 238. Cf. De cat. rudibus (400), n. 52. t. xl, col. 345.

A partir de 420, étudiant directement I Tim., ii, 4, saint Augustin restreint la portée du texte : « Dieu veut sauver tous les hommes qui en réalité se sauveront. » Cont. Julianum, t. IV, n. 42, 44, t. xliv, col. 759, 760 ; cf. De prædest. sanctorum (428-429), n. 14, id., col. 971 ; Epist., cxciv (418), n. 6 ; ccxvii, 19, t. xxxiii, col. 876, 985. — Même interprétation dans l’Enchirtdion (421), accompagnée de plusieurs autres, n. 103, t. xl, col. 280, notamment que Dieu veut sauver des hommes de toutes conditions et de toutes nations. Ou encore que Dieu veut sauver tous les prédestinés. De correjtl. et r/ratia (426-427), n. 14. t. xliv. col. 943 (sans préjudice d’autres interprétations possibles) ; ou encore que Dieu veut que nous voulions notre salut, ibid., n. 47, col. 945. On retrouvera des interprétations similaires chez saint Fulgence. Voir plus loin.

L’hypothèse émise par certains auteurs — un changement réel dans la pensée de sabll Augustin, fondé sur l’opinion d’une pluralité possible des sens script m aires, cf. Con/rss., I. XII, C xvii, xxvi, t. xxxii,

col. 834, 840 — fait injure au génie du grand docteur et aux louanges que lui prodigue l’Église, précisément au sujet de la grâce. On a montré, 1. 1, col. 2408, à la lumière d’un texte de YEnchiridion, qu’Augustin, dans la controverse semi-pélagienne, envisage la volonté divine précisément en tant qu’elle n’est plus conditionnelle, mais efficace. C’est, en germe, la distinction de la volonté antécédente et de la volonté conséquente. Cf. Faure, In Encliirid. S. Augustini, c. ciii, Naples, 1847, p. 195 sq. On sait que Prosper d’Aquitaine, disciple de saint Augustin, a fortement adouci en ce sens les formules bien plus dures de l’évêque d’Hippone. Voir ici Prosper d’Aquitaine, t. xiii, col. 847-849. Cf. Lionel Palland, S. Prosperi Aquitani doctrina de prædestinatione et voluntate Dei suivi flca ; de ejus in Augustinismum influxii, Montréal, 1937.

Le P. Wang Tch’ang Tche, S. J., s’inspirant d’une pensée émise par le P. de Lubac, cf. Actes du IIe Congres de l’Union missionnaire du clergé de France, 1933, p. 40-41, reprend, en lui donnant une formule nouvelle, l’interprétation de la volonté salvifique restreinte aux prédestinés : « Le genre humain à travers le temps et l’espace constitue un tout physique avec ses multiples solidarités que les sciences modernes constatent de plus en plus. Mais ce tout physique, dans les desseins de son Créateur, n’est que la matière d’où s’élaborera un tout spirituel : le Christ total, chef et corps. Ce Christ total et parfait est prédestiné, chef et corps, par la même grâce et vit du même esprit… De ce point de vue du Christ total, l’interprétation de Y Enchiridion au sujet de la volonté salvifique n’apparaît plus comme une » restriction illégitime ». Elle prend une valeur véritable. Omnes homines, c’est pour Augustin tout le genre humain ramifié dans toutes ses particularités. Ut omnes hominum omne genus humanum intelligamus per quascumque differentias distributum. Enchir., ciii, t. XL, col. 280. Et le véritable genre humain qui correspond parfaitement à l’intention divine, qui réalise la finalité suprême de la nature humaine, se trouve dans les élus, ces membres vivants du Christ. Dire que Dieu veut sauver tous les hommes, c’est dire qu’il veut sauver tous les élus. » Saint Augustin et les vertus des païens, Paris, 1938, p. 169.

Sur la pensée de saint Augustin, on consultera : Petau, De Deo, t. X, c. vu ; Franzelin, De Deo uno, th. li-lii ; Faure, Enchiridion de Fide, Spe et Carilate S. Aurelii Augustini… notis et assertionibus theologicis illustratum, Naples, 1847, c. cm ; Hurter, De Deo, n. 118-121 ; Taxeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 498-511 ; L. Capéran, Le problème du salut des infidèles, essai historique, 2e éd., Toulouse, 1935, c. iv ; Odilon Rottmanner, O. S. B., Der Auguslinismus, Munich, 1892 ; Otto Pfitlf, S. J., Zur Pràdestinationslehre des M. Auguslinus, dans Zeitschrift fur kath. Theol., 1893, t. xvii, p. 485-495 ; Ph. Huppert, Der Augustinismus, dans Der Kalholik, 1893, t. i, p. 162-172 ; M. Jacquin, O. P., La question de la prédestination aux V et VIe siècles : S. Augustin, dans Rev. d’hist. ecel., 1904, t. v, p. 265-283, 725-754 ; A. d’Alès, art. Prédestination, dans Dict. apol., t. iv, col. 205-216.

5. Après saint Augustin.

Quelques noms méritent d’être encore relevés. Disciple fidèle d’Augustin, l’auteur du De vocatione gentium maintient le principe général de la volonté salvifique universelle. De voc, t. II, c. n ; cꝟ. t. I, c. ix-xiii, P. L., t. li, col. 687-688 ; 657 sq. Mais il introduit, dans la solution du problème, une heureuse distinction : les dona generalia accordés à tous ; les dona specialia, réservés aux privilégiés. L. II, c. xix, col. 706 CD.

Envisageant la réalisation pratique de la volonté salvifique universelle, saint Léon proclame que Dieu « n’a jamais refusé sa miséricorde au genre humain » et qu’ « il a pourvu au salut des hommes de diverses

manières et en des mesures variées. » Serm., lxxxii, c. n ; xxiv, c. i, P. L., t. liv, col. 423 A, 203 C.

Fauste de Riez réagit contre l’interprétation outrée du système augustinien ; contre Lucidus, il affirme qu’ « enseigner que le Christ ne s’est pas incarné pour le salut de tous et n’est pas mort pour tous, c’est un sentiment que l’Église a en horreur. » De gralia Dei et lib. arbitr., t. I, c. xvi, P. L., t. lviii, col. 808 D. Mais sa réaction dépasse les limites de l’orthodoxie. Voir ici t. v, col. 2104.

A l’inverse, saint Fulgence de Ruspe s’emprisonne dans les formules des dernières années d’Augustin et refuse de donner une portée universelle à I Tim., ii, 4. De veril. prædest., t. III, c. x, n. 15-21, P. L., t. lxv, col. 659-662 ; cf. Epist., xvii, seu de Incarn., t. II, n. 61, ibid., col. 489 B C ; voir ici, t. vi, col. 972. Mais Fulgence se refuse à souscrire aux erreurs prédestinatiennes qu’il réprouve explicitement.

Les documents du magistère.

On comprend

qu’en face des diverses interprétations de I Tim., ii, 4 qui se font jour depuis saint Augustin, l’Église, dans ses documents officiels, se soit montrée prudente. Elle se contentera d’affirmer le dogme, tel qu’il ressort de la tradition antérieure à saint Augustin.

1. Ce dogme a été suffisamment affirmé par l’article du symbole de Nicée-Constantinople : Qui proter nos homines et propter nostram salutem descendit de cœlis… ; cruciflxus etiam pro nobis. Denz.-Bannw., n. 86.

2. La controverse prédestinatienne, provoquée par le prêtre Lucidus, fut l’occasion, au concile d’Arles (475), d’une lettre signée de douze évêques, portant anathème à qui dira « que celui qui périt n’a pas reçu de quoi se sauver », can. 2 ; à qui dira « que le Christ n’est pas mort pour tous et ne veut pas que tous les hommes soient sauvés », can. 6. Mansi, Concil., t. vii, col. 1000. Voir ici l’art. Lucidus, t. ix, col. 1022-1023.

3. Le IIe concile d’Orange, qui termine la controverse semi-pélagienne, ne parle pas explicitement de la volonté salvifique universelle. Il ne fait toutefois aucune allusion au particularisme de l’élection au salut et de la grâce. S’il proclame la nécessité de la grâce, même avant Yinilium fidei (can. 5), il exclut formellement l’erreur qui enseigne la prédestination au mal. Voir la déclaration finale, Denz.-Bannw., n. 200.

4. Les controverses du ixe siècle provoquent deux déclarations conciliaires qui, sans avoir l’autorité suprême de définitions infaillibles, doivent cependant retenir notre attention : a) Le concile de Quierzy (853), contre Gottschalk, s’exprime ainsi : « Le Dieu tout-puissant veut que tous les hommes soient sauvés sans exception. Que certains se sauvent, c’est par le don de celui qui sauve, que certains périssent, c’est la faute de ceux qui périssent » (can. 3). « Il n’y a, il n’y eut, il n’y aura jamais aucun homme dont le Christ Jésus Notre-Seigneur n’ait assumé en soi la nature. De même, il n’y a, n’y eut, n’y aura jamais d’homme pour qui il n’ait souffert, bien que tous ne soient pas rachetés par le mystère de sa passion. Que tous ne soient pas rachetés par le mystère de sa passion, cela n’atteint aucunement la grandeur et l’abondance du prix, mais c’est uniquement le fait des infidèles et de ceux qui ne croient pas de cette foi qui agit par la charité. La coupe du salut humain, préparée pour notre infirmité par la vertu divine, contient de quoi être utile à tous, mais, si on ne la boit pas, elle ne guérit pas » (can. 4). Voir Prédestination, t.xii, col. 2921. — b) Le concile de Valence (855), contre Jean Scot Érigène, est plus prolixe. On indique ici seulement quelques assertions plus directes, le texte intégral ayant été donné t.xii, col. 2923-2925. Can. 2 : « Personne n’est condamné par un préjugé de Dieu, mais pour l’avoir mérité par sa propre iniquité. Les mé

chants ne périssent donc pas par impossibilité d’être bons, mais parce qu’ils n’ont pas voulu l’être et qu’ils sont, par leur faute, demeurés dans la masse de damnation par démérite originel ou même actuel. » Can. 3 : « Que certains aient été prédestinés au mal par la puissance divine, de telle sorte qu’ils ne puissent pas être autre chose [que méchants]…, comme le concile d’Orange, nous anathématisons avec horreur ceux… qui croient cette monstruosité. » Denz.-Bannw., n. 318, 319, 321, 322. — c) Au concile de Thuzey, qui régla définitivement le conflit doctrinal surgi entre les Pères de Quierzy et ceux de Valence, les évêques retiennent comme principe la doctrine de la volonté salvifique universelle : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ; après la chute, il leur laisse le libre arbitre et, par la grâce, les met à même de vouloir, de commencer, de continuer et d’achever le bien. Voir les textes, t.xii, col. 2930.

5. Tout en condamnant certains aspects du prédestinatianisme de Calvin (sess. vi, c.xii, can. 15, 17), le concile de Trente n’envisage pas directement la question de la volonté salvifique. Deux affirmations cependant s’y rapportent.

a) Universalité de la rédemption : « Bien que [le Christ] soit mort pour tous (II Cor., v, 15), tous néanmoins ne reçoivent pas le bénéfice de sa mort », ibid., c. iii, Denz.-Bannw., n. 795.

b) Possibilité pour tous de (aire leur salut. Le concile reprend la phrase de saint Augustin, De natura et gratia, n. 50, P. L., t.xLiv, col. 271 : « Dieu ne commande pas de choses impossibles, mais en les commandant il avertit l’homme de faire ce qui est en son pouvoir et de lui demander ce qui dépasse ce pouvoir. » C. vi, n. 804. Sans doute, le concile restreint ici sa considération à l’homme justifié, mais l’assertion augustinienne a une portée générale, qui entre bien, d’ailleurs, dans la pensée exprimée par le concile au c. ii, n. 794, le Christ étant venu racheter les juifs et les gentils.

6. La réprobation de certaines propositions jansénistes apporte enfin d’heureuses précisions sur l’universalité de la rédemption et la distribution de la grâce nécessaire au salut.

a) La cinquième proposition de Jansénius, condamnée par Innocent X : - Il est semi-pélagien de dire que Jésus-Christ est mort ou qu’il a répandu son sang généralement pour tous les hommes », Denz.-Bannw., n. 109fi, est condamnée comme fausse, téméraire, scandaleuse ; et, entendue en ce sens que Jésus-Christ serait mort seulement pour le salut des prédestinés, elle est déclarée impie, blasphématoire, calomnieuse, injurieuse à la bonté de Dieu et hérétique. Voir ici t. viii, col. 493-494.

b) Quatrième et cinquième propositions condamnées par Alexandre VIII : « Jésus-Christ s’est offert à Dieu en sacrifice pour nous, non pour les seuls élus, mais pour tous les liildes et pour eux seuls. » — « Les païens, les juifs, les hérétiques et gens semblables ne reçoivent aucune influence de Jésus-Christ ; d’où vous conclurez fort bien que leur volonté est dénuée de tout recours et de toute grâce suffisante. » Denz.-Bannw. , n. 1294, 1295. Voir ici t. i, col. 753.

c) D’autres précisions se tirent de la condamnalion de plusieurs propositions de Qucsnel par Clément XI. Tout d’abord les prop. 26, 27, 28, 29 qui restreignent indûment l’influence « le la grâce nécessaire au salut. Ensuite les prop. 30, 31, 32 qui treignent aux seuls élus l’influence des mérites et de la rédemption du Christ. Denz.-Bannw., n. 13761382. Voir ci dessus t NIOBNITVI (Huile).

u. i.i. s nocTBtjri S’emparant

des données traditionnelles, la théologie l’eflon résoudre les deux difficultés inhérentes au problème de

la volonté salvifique universelle : 1° Comment concevoir en Dieu une volonté sincère de sauver tous les hommes, alors qu’un certain nombre d’entre eux manquent leur salut ; 2° Quelles exigences la volonté sincère de sauver tous les hommes comporte-t-elle relativement à la distribution de la grâce.

1° La volonté salvifique universelle est une volonté sincère. — Cette première assertion suppose la distinction théologique de la volonté antécédente et de la volonté conséquente, distinction qu’on trouve déjà chez certains Pères et que les scolastiques et notamment saint Thomas ont utilisée. Toutefois, l’enseignement de saint Thomas n’a pu empêcher ses commentateurs d’y faire entrer des conceptions assez divergentes.

1. Les Pères et la distinction des deux volontés.

La première formule est celle de Tertullien distinguant en Dieu la bonté qui a la priorité de nature et la sévérité s’exerçant postérieurement selon les motifs qui la provoquent : Bonilas Dei prior secundum naturam, severitas posterior secundum causam ; illa ingenita, hsec accidens ; illa propria, hsec accommodata ; illa édita, hsec adhibita. Adv. Marc, t. II, c. xi, P. L., t. ii, col. 298 B.

Commentant Eph., i, 5 (qui prædestinavit nos… secundum propositum voluntatis suæ, xoexà tvjv sùSoxîav toô 0£Xr)ji.aToç aÙToû), saint Jean Chrysostome explique le « propos » de Dieu dans le sens d’un « désir », e7n.60ji.ia. » Ce propos, ce désir est une volonté précédente, tô 0£À7](i.a t6 7tpor)yoûji.evov. Mais il y a une autre volonté, ea-n. yàp xod àXXo 6éXY)(j.a. La première est que ne périssent point ceux qui ont péché ; la seconde est que périssent ceux qui ont fait le mal. » In Eph., homil. i, n. 2, P. G., t. lxii, col. 14.

La formule définitive est due à saint Jean Damascène : « Il faut savoir que Dieu, par sa volonté première et antécédente (7rpor, YOup.évcoç OsXei) veut que tous soient sauvés et rendus participants de son royaume. Car il nous crée, non pour nous punir, mais parce qu’il est bon, pour nous faire participer à sa bonté. Mais il veut que les pécheurs soient punis parce qu’il est juste. Cette volonté première et antécédente, t6 u.èv irpwTOv 7rpoT)Yoùu.£vov QéXr^tx, est dite aussi bon plaisir, eùSoxia, et Dieu lui-même en est la cause ; la seconde, conséquente et permissive, a sa cause dans notre conduite, tô Se SeÙTepov éTc6u.£vov 6éXï]u.a xod roxpa/coprjaiç, kc, rjfxe-répaç al-rtaç… » De fide orth., t. II, c. xxix, P. G., t. xciv, col. 968. La terminologie est désormais consacrée. Cf. Dial. conl. manich., n. 79, ibid., col. 1577 BD.

2. Les scolastiques ; saint Thomas. — Avant saint Thomas, les scolastiques, sans s’embarrasser de préciser la nature de la volonté salvifique, admettent généralement qu’elle est universelle. À cet universalismc, certains auteurs semblent, plutôt dans les mots cpie dans la réalité, apporter quelques restrictions, p. ex. Alexandre de Halès, Sum. theol., I », q. xxxvi, memb. 2 (dans l’édition de Quaracchi, 1924, pars I s, inquis. 1, tract. VI, q. iii, tit. ii, memb. 1, t. i, p. 372 sq., n. 273) ; saint Albert le Grand, In 7° m Sent., dist. XI. VI, a. 1 ; saint Bonaventure, In I" m Sent., dist. XL I, a. 1, q. 1 (éd. de Quaracchi, t. i, p. 821 sq.). Saint Thomas, dans ses œuvres de jeunesse, enseigne très nettement une volonté salvifique universelle très sérieuse ; dans les œuvres de maturité et notamment dans la Somme (voir très spécialement t », (|. xix, a. 9 ; q. xxii, a. 2 ; q. xxiii. a. >. ad 3, , iii). certains textes sembleraient favoriser une Interprétation restrictive, telle que l’ont envisagée certains commentateurs, notamment Alvarez.

Quoiqu’il en soit, la distinction proposée par saint Jean Damascène est reprise par saint Thomas, à propos de l’efficacité de la divine volonté, l q, xix.a. <ï : « La volonté divine étant cause universelle à l’égard de toutes choses, il est impossible qu’elle n’obtienne pas son effet. Aussi ce qui semble s’écarter de la divine volonté dans un certain ordre y retombe dans un autre. Le pécheur, par exemple, autant qu’il est en lui, s’éloigne de la volonté divine en faisant le mal, mais il rentre dans l’ordre de cette volonté divine par le châtiment que lui inflige la justice. »

La grande objection est la volonté salvifique universelle qui est loin de s’accomplir. Dans l’ad l um, saint Thomas rappelle tout d’abord les interprétations restrictives de saint Augustin, puis s’arrête à la distinction formulée par saint Jean Damascène :

Selon saint Jean Damascène, la parole apostolique s’entend de la volonté antécédente de Dieu, non de sa volonté conséquente. Et certes cette distinction ne concerne point la volonté divine elle-même, en laquelle il n’y a ni avant ni après ; mais elle se prend du côté des choses que Dieu veut. Et, pour la comprendre, il faut se souvenir qu’une chose est voulue de Dieu pour autant qu’elle est bonne. Or, une chose qui à première vue, considérée strictement en elle-même, est jugée bonne ou mauvaise, peut ensuite, si on l’envisage en y ajoutant quelque particularité ou circonstance — et c’est là une considération conséquente — être jugée tout à rebours. Ainsi il est bon qu’un homme vive et, qu’on tue un homme, c’est un mal, à regarder les choses en elles-mêmes ; mais si l’on ajoute, en parlant d’un certain homme, que c’est un homicide, que sa vie est un péril public, alors il est bon que cet homme meure, et c’est qu’il vive qui est un mal. On pourra dire, en conséquence, d’un juge équitable : À priori, d’une volonté antécédente, il veut que tout homme vive ; mais, tout considéré, d’une volonté conséquente, il veut que l’homicide soit pendu. De même Dieu, antécédemment, veut que tout homme soit sauvé ; mais conséquemment, [c’est-à-dire en conséquence de ce qui se passe], il veut que certains soient damnés selon que l’exige sa justice. Trad. Sertillanges, Dieu, t. iii, p. 64-65.

Cette volonté antécédente, quand elle s’oppose à la volonté conséquente, serait mieux nommée « velléité » (magis dici potest velleitas), parce qu’elle n’envisage l’objet voulu que sous un aspect particulier ne répondant pas aux conditions de sa réalité concrète. Toute l’imperfection d’une telle « velléité » doit être placée du côté de l’objet voulu et non du côté de Dieu, car la volonté antécédente n’est pas une velléité stérile ; c’est une volonté efficace en son genre, en ce sens qu’elle prépare à tous les hommes, même aux enfants privés de l’usage de la raison, les moyens indispensables au salut. Mais, en ce qui concerne les adultes qui manquent leur salut, elle demeure conditionnée par le mauvais usage que ces réprouvés auront fait des grâces préparées par Dieu. Cf. In I am Sent., dist. XLVI, q. i, a. 1, ad 2um ; De veritate, q. xxiii, a. 2. « Ainsi la volonté salvifique de Dieu est une volonté antécédente, parce qu’elle concerne l’homme uniquement considéré en sa nature spécifique. Elle est en quelque sorte fondée sur cette considération première de l’homme à qui Dieu a donné une nature ordonnée à la béatitude céleste. Mais la volonté divine, en tant qu’elle a pour objet l’homme revêtu de toutes les circonstances qui conditionnent son salut — et c’est là une deuxième considération de l’homme — est une volonté conséquente qui n’est pas universelle. » Diekamp-Hofîmann, Manuale, t. i, p. 259. Sur la portée métaphysique de la distinction des deux volontés relativement à la prédestination dans la doctrine thomiste, voir Prédestination, t.xii, col. 2942 sq.

3. Les théologiens postérieurs à saint Thomas.

Le thème fondamental — volonté antécédente, volonté conséquente — est retenu. Mais il se développe en variations plus ou moins dissonantes.

Une première dissonance — de peu d’importance, semble-t-il — se fait entendre concernant la nature

de la volonté antécédente. Certains scolastiques, de tendances d’ailleurs assez dissemblables, Hervé, Durand de Saint-Pourçain, Gabriel Biel, conçoivent la volonté salvifique universelle comme une volonté de si’^ne et non de bon plaisir. Cf. De San, De Deo uno, t. ii, p. 3. Et ils prennent l’exemple même apporté par saint Thomas, I a, q. xix, a. 11, ad 2um, du sacrifice d’Isaac commandé mais non voulu par Dieu. On remarquera que cette interprétation ne leur est pas exclusivement propre. On la trouve déjà chez Alexandre de Halès et saint Bonaventure, loc. cit., et chez Duns Scot, In 7um Sent., dist. XLVI, a. 1. On la retrouvera plus tard chez Cajétan, Bariez, Zumel et d’autres thomistes authentiques, dans leurs commentaires sur la Somme. La plupart des thomistes, Lemos, Alvarez, Gonzalez, Jean de Saint-Thomas, les Salmanticenses, Gonct, Billuart enseignent que la volonté antécédente est une volonté de bon plaisir. Cf. Garrigou-Lagrange, De Deo uno, p. 418-419. On a vu plus haut, col. 3358, que le P. Prat n’identifie la volonté salvifique ni avec le propos, ni avec le bon plaisir de Dieu, ni avec son conseil : la volonté salvifique est une volonté réelle, de désir, ne se réalisant que si l’homme répond à l’appel de Dieu. C’est tout à fait la conception moliniste.

Mais une autre dissonance — plus grave — concerne le moyen terme qui, dans la création et la marche de l’humanité, justifie la discrimination faite entre la volonté antécédente et la volonté conséquente. Cf. Franzelin, De Deo uno, p. 505.

a) École thomiste. — Les plus rigides parmi les thomistes placent le moyen terme discriminant volonté antécédente et volonté conséquente dans le bien universel, la beauté de l’ordre providentiel manifestant la gloire de Dieu dans sa miséricorde ou dans sa justice, cet ordre étant choisi antérieurement à toute prévision du péché, même originel. Dans cette opinion

— qu’on pourrait qualifier de « supralapsaire » — la volonté salvifique antécédente concerne anges et hommes considérés dans leur individualité ; mais la volonté conséquente les envisage dans leur relation avec l’ordre et la beauté de l’univers. Cette opinion d’Alvarez, de Jean de Saint-Thomas, des Salmanticenses, de Contenson, etc., cherche un point d’appui, comme on l’a déjà laissé entendre, en saint Thomas, Sum. theol., I a, q. xix, a. 9 ; q. xxii, a. 2 et surtout q. xxiii, a. 5, ad 3um. — D’autres thomistes, moins rigides, et les augustiniens placent le moyen terme dans la perspective du péché originel : opinion « infralapsaire ». La volonté conséquente de Dieu considérerait ici les exigences et convenances de l’ordre providentiel conséquemment à la faute des premiers parents. C’est l’opinion de Gonet, de Gotti, de Massoulié, de Noris, etc. — Enfin, interprétant les textes de la Somme qui viennent d’être cités à la lumière d’autres textes de saint Thomas, De veritate, q. xxviii, a. 3, ad 16um ; In I* m Tim., c. ii, lect. l a ; In 7um Sent, dist. XLVI, q. i, a. 1, une troisième opinion place le moyen terme non seulement dans l’ordre providentiel et dans la prévision du péché originel, mais encore dans la prévision du péché personnel de chaque homme pris en particulier (pour les enfants, le seul fait de l’état de péché originel). C’est l’opinion des anciens thomistes antérieurs au concile de Trente, Capréolus, Cajétan, Sylvestre de Ferrare et, plus tard, de Goudin, Graveson, Billuart, cf. Prédestination, col. 2956, 2986 ; de nos jours, de Janssens.

Tous ces auteurs enseignent que la prédestination des élus relève, elle aussi, de la volonté antécédente de Dieu, d’une volonté toutefois non conditionnée, absolue, décrétant leur salut ante præoisa mérita. Col. 2985. Ils notent également, pour sauvegarder le souverain domaine de Dieu, que, dans la perspective 3 3 ( i 9

    1. VOLONTÉ##


VOLONTÉ. DE DIEU, SALVIFIQUE UNIVERSELLE

3370

de la réprobation négative, la permission du péché n’est pas postérieure à sa prévision : tout est voulu et prévu simultanément. Cf. col. 3013-3016.

b) École moliniste : — Autre est la conception moliniste de la volonté antécédente et de la volonté conséquente. Le moyen terme de la discrimination est ici la prévision du consentement « futurible » de la volonté à la grâce. L’explication du mot « futurible » a été donnée à Molinisme, t. x, col. 2117. Il s’agit des futurs contingents ou libres « que toutes les causes secondes réaliseraient… si (Dieu) établissait tel ordre de choses et de circonstances ». Voir aussi Prédestination, t.xii, col. 2973 et Science de Dieu, t. xiv, col. 1612. Ainsi, de sa volonté antécédente

— conditionnelle, parce que sa réalisation dépend du libre jeu de l’activité créée — Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Mais ils ne le sont pas tous parce que ses préceptes ne sont pas observés. Le pécheur qui s’écarte de la volonté de Dieu n’y échappe pas par ailleurs, car la volonté absolue par laquelle Dieu veut punir ceux qu’il prévoit devoir mourir en état de péché se réalise toujours. Une telle conception est très différente de la conception semi-pélagienne qui fait dépendre l’initium salutis de la volonté humaine. Molina, en effet, rappelle que « la prévision des moyens de salut pour chacun, dans l’hypothèse où il sera (plus exactement : serait) placé dans tel ou tel ordre de choses, ne relève pas de la science libre (science des simples possibles), mais de la science moyenne qui précède tout acte de volonté libre ; il en conclut que l’ordre des moyens qui conduiront chaque prédestiné à sa fin n’est pas postérieur à l’élection qui, de la part de Dieu, est tout à fait libre », Molinisme, col. 2120, 2122-2123. En bref, la prédestination reste absolument gratuite, car Dieu, tout en connaissant ce que ferait la volonté créée dans tel ou tel ordre de choses, reste libre de réaliser cet ordre ou de ne point le réaliser. Cf. Science de Dieu, col. 1612.

Sur ce principe fondamental, fourni par la science moyenne, trois conceptions plus ou moins fidèles à la pensée de Molina, se sont greffées touchant le rôle de la volonté divine dans le salut des hommes. — Pour Suarez, Bellarmin, Coninck, Antoine, de Lugo, la prédestination relève de la volonté antécédente et absolue de Dieu, comme dans l’opinion thomiste. C’est une élection gratuite, sans égard à la prévision des mérites futurs ou futuribles. Mais, après cette prédestination à la gloire, Dieu fait usage de la science moyenne pour distribuer les grâces "congrues », s’assurant qu’en telles circonstances déterminées elles seraient efficaces. Voir Conqruisme, t. iii, col. 1125 sq. ; Prédestination, col. 2975 sq. La réprobation négative, qui correspond également ici à la prédestination, appartient à la volonté conséquente en tant qu’elle comporte l’exclusion du salut par la réalisation d’un ordre où la science moyenne montre que les secours, d’ailleurs suffisants, accordés aux damnés en vue de leur salut, resteront, par leur faute, inefficaces. Pour Suarez, comme pour les thomistes, la non-élection, ou réprobation négative, est antérieure aussi à la prévision des démérites. Prédestination, col. 2977. — Pour Vasquez, Lcssius, Petau, Tolet, saint François de Sales, Tournoly et, de nos jours, Franzelin, Hurler, C. Mazzclla, Pesch, etc., la prédestination et la réprobation appartiennent l’une et l’autre à la volonté conséquente : elles répondent l’une et l’autre à la prévision des mérites futurs des élus et des démérites dos damnés, les uns et les autres connus, comme futuribles, par la science moyenne. avant le libre choix fie Dieu touchant l’ordre à réaliser. Il semble quf Ce soit là la vraie pensée de Molina.

Molinisme, col. 2122 sq. Lue solution intermé DICT. DE 1 ni OL. CA1 nui..

diaire, qu’on voudrait mettre sous le patronage de Molina, voir Prédestination, col. 2966, a été proposée par Billot, suivi de Van der Meersch, de Bætz, Orazio, Mazzella, etc. ; la prédestination, quelle que soit la lumière apportée à l’intelligence divine par la connaissance des mérites futuribles des élus, relève uniquement d’un acte de volonté antécédente et absolue de Dieu, mais la réprobation n’existe que conséquemment aux démérites prévus et permis des damnés ; elle relève de la volonté conséquente. Cf. Prédestination, col. 2964-2975.

Malgré la divergence des opinions, tous les théologiens restent donc fidèles à la doctrine fondamentale de saint Jean Damascène et de saint Thomas : la volonté salvifique universelle, en ce qu’elle a de conditionnel, relève de la volonté antécédente.

2° La volonté salvifique universelle et la distribution de la grâce nécessaire au salut. — Nous avons dit plus haut que « la volonté antécédente n’est pas une velléité stérile ; c’est une volonté efficace en son genre, en ce sens qu’elle prépare à tous les hommes, même aux enfants privés de l’usage de la raison, les moyens indispensables au salut. » Quelles que soient leurs divergences d’opinions, les théologiens catholiques doivent donc tous admettre, contre Jansénius, que Dieu tout au moins a préparé les secours suffisants pour le salut de tous les hommes. Sinon, la volonté salvifique ne serait pas une volonté sincère : elle ne concerne pas la nature humaine considérée dans l’abstrait, mais des hommes vivants, sujets concrets, appelés, même après le péché d’Adam, à la vie éternelle. Cf. Garrigou-Lagrange, De Deo uno, p. 432. Mais, pour que la volonté salvifique soit vraiment agissante, il ne suffit pas, semble-t-il, que Dieu ait préparé les secours nécessaires au salut, il faut également qu’il les confère à tous et à chacun.

1. Opinion restrictive de certains thomistes.

a) Exposé. — Certains thomistes ont enseigné jadis que, tout en préparant et en offrant à tous les grâces suffisantes nécessaires au salut, Dieu se réserve cependant de ne pas les conférer effectivement à cert aines catégories d’hommes qu’il prévoit devoir résister à la grâce, ou encore qu’il veut punir de leurs péchés. Gonet, logique avec sa théorie « infralapsaire » discriminant volonté antécédente et volonté conséquente, voir ci-dessus, col. 3368, va même jusqu’à penser que Dieu refuse d’accorder effectivement ses grâces en punition du péché originel : Deus non dat omnibus reprobis média seu au.rilia ad salutem sujjicientia, sed plurrs illis privantur in p&nam peccati mortalis aclualis vcl originalis. Chjpeus theol. thom., tract. V, De prsedest. , dis]). V, a. 5, § 2, n. 160. Et il donne comme exemples : les enfants morts sans baptême, les infidèles négatifs (auxquels souvent les secours nécessaires ne peuvent parvenir), les pécheurs obstinés et endurcis, ces derniers tout au moins pour un certain laps de temps de leur existence. Ibid., § 6, n. 186. Sur ce dernier point, Gonet invoque l’autorité de Cajétan, Jentacula Noui Testamenti, viii, q. 1 et, avec moins de vérité, relie de Bellarmin, De nratia et libero arbitrio, t. III, c. vi. On peut ajouter Baiicz, In /" », q, xxiii, a. 3, sent. 10 ; Alvarez, De aux. qratiæ, disp. CXII, et d’autres thomistes de renom comme Zumel, Jean de Saint-Thomas, Ledesma. Lemos, Contenson, etc. Cf. Beraza. De qratia, n. 411-413.

Ces dures assertions soulèvent de graves difficultés, du moins en ce qui concerne les adultes pécheurs ou infidèles. Saint Thomas n’a-t-il pas écrit : 1 Dire qu’il a un seul pé< lié dont on ne puisse faire pénitence en (elle vie, c’est avancer une erreur. » Sum. theol., IIP. q. i.xxxvi, a. 1. À cette objection directe et difficile, Gonet, s’inspiranl de BancL, répond qu’il y a toujours possibilité de faire pénitence, dés lors que l’homme

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106. 33’VOLONTÉ. DE DIEU, SALVIFIQUE UNIVERSELLE

3372

peut recevoir la grâce suffisante, nécessaire à la pénitence, et que Dieu peut l’accorder. Op. cit., n. 219. Il ne suit pas de cette possibilité que Dieu accorde en fait et surtout qu’il doive accorder cette grâce.

b) Discussion. — Quoique certains théologiens qualifient assez durement cette opinion, cf. Chr. Pesch, De gratia, n. 295, il est impossible cependant de la taxer d’erreur ou de témérité. Tout d’abord elle n’exclut ni tous les pécheurs endurcis, ni même tous les réprouvés, mais seulement quelques-uns d’entre eux, de l’action de la grâce suffisante. Ensuite, même à l’égard de ces abandonnés, elle respecte pleinement le dogme catholique de la possibilité de salut pour le pécheur encore en vie. Cette possibilité dépend, en effet, et de la bonne volonté du pécheur et de la grâce divine. Et précisément c’est parce que la bonne volonté fait défaut que la grâce divine fait elle-même défaut. Enfin l’on ne peut dire que ces pécheurs obstinés ont été sans grâce suffisante pour leur salut : « L’état de voie, dit fort à propos Bellarmin, loc. cit., sub fine, ne requiert pas que le pécheur reçoive à chaque instant l’influence de la grâce prévenante, mais que, lorsque cette grâce lui est accordée, il puisse se convertir ou ne pas se convertir, et de plus, qu’il ne soit pas d’une façon certaine et absolue privé pendant tout le cours de sa vie du secours de Dieu et par là privé de toute espérance de salut. » Or, dans l’opinion de Gonet, les pécheurs obstinés et endurcis n’ont pas été privés, au cours de toute leur vie, de toute grâce suffisante au salut.

On peut expliquer de la même façon certaines expressions, d’apparence très dure, de saint Alphonse de Liguori, affirmant que la grâce de Dieu est refusée au pécheur, au jour où la mesure de ses péchés est remplie. Voir, dans les Œuvres complètes de saint Alphonse de Liguori, tr. Dujardin, Tournai-Paris, 1856, t. i, Préparation à la mort, xviir 8 considération : Du nombre des péchés, 1 er point, p. 180-181 ; ibid., xxme considération : Illusions que le démon suggère aux pécheurs, 2e point, p. 240 ; ibid., Maximes éternelles, Méditation pour le mardi, sur le péché mortel, 3e point, p. 415. Voir le résumé de cette thèse et son application dans l’Ami du clergé, 1923, p. 87 sq. ; 347 sq.

Notons en passant que le rejet de l’opinion de Gonet comme improbable — aucun théologien ne la défend plus aujourd’hui — n’implique pas la probabilité d’une opinion diamétralement opposée, selon laquelle, même aux pécheurs obstinés et endurcis, Dieu, à tout instant et jusqu’à la fin de leur existence, confère des grâces tout au moins lointainement suffisantes au salut. Opinion soutenue au xvii 6 siècle par Etienne Agard de Champs, S. J., contre les excès du jansénisme, sous le pseudonyme d’Antoine Richard, De hæresi janseniana ab apostolica Sede merito proscripta, libri très (opus ante annos novem sub Antonii Ricardi nomine inchoatum), Paris, 1654, p. 180 sq. Avant le P. de Champs, d’autres théologiens l’avaient proposée, et Bellarmin la réfute, loc. cit., medio, comme contraire à l’expérience. Le dogme de la grâce suffisante accordée aux pécheurs en vue de leur salut doit s’entendre, conclut-il, d’une grâce accordée par intermittence, en temps opportun. Aussi Suarez penset-il de son côté que la thèse de Gonet, déjà soutenue avant ce théologien par Henri de Gand, Tostat, Médina, Catharin, peut présenter un sens acceptable, à savoir que, par rapport à certains pécheurs, Dieu veut se comporter de telle sorte qu’il leur refuse, à cause de leurs péchés, les secours nécessaires au salut, bien qu’à d’autres, ayant des fautes semblables et peut-être plus graves, il ne refuse point les mêmes secours. Ces péchés, en effet, méritent une peine et il peut être utile, pour manifester sa justice et inculquer la terreur aux criminels, que Dieu applique

parfois cette peine. Suarez, De pœnilenlia, disp. VIII, sectr ii, n. 3-5 ; in /// am p. Sum. S. Thonxee, q. lxxxvi, a. 1.

2. Doctrine aujourd’hui communément enseignée. — Cette doctrine concerne soit les adultes, soit les enfants encore privés de l’usage de la raison et ceux qui doivent leur être assimilés.

a) Les adultes. — Leur situation a été examinée à Grâce, t. vi, col. 1595-1604, à la lumière des documents du magistère que nous avons rappelés plus haut. L’enseignement catholique peut être ainsi présenté en raccourci : Si Dieu accorde à tous, sans exception, les grâces nécessaires au salut, il ne les donne pas à tous d’une manière égale. Quelle différence entre les chrétiens et les in fidèles 1 Et même entre chrétiens et chrétiens ! Certaines âmes destinées à de grandes choses ont été comblées par Dieu : la sainte Vierge par exemple. II n’y a aucune injustice à cela : Dieu ne doit sa grâce à personne ; il la donne comme il le veut, non pas arbitrairement et par caprice, mais librement et selon les insondables desseins de sa providence.

Pour les justes, c’est une vérité de foi qu’ils reçoivent toujours de Dieu la grâce nécessaire pour persévérer dans -la justice.

Les pécheurs reçoivent des grâces suffisantes pour se repentir et faire ensuite leur salut. Cette vérité est de foi pour les pécheurs ordinaires ; elle est certaine pour les pécheurs obstinés, qui s’endurcissent dans leur vie de péché. Mais la grâce accordée par Dieu n’est pas de tous les instants ni toujours immédiatement suffisante : la conversion, ordinairement du moins, ne s’effectue que peu à peu, lorsque le pécheur a accepté les premières grâces. Ce principe général a reçu de Suarez quatre précisions non négligeables : 1° Dieu donne au pécheur la grâce suffisante, mais sans lui accorder une grâce excitante qui touche continuellement et toujours son âme ; 2° Dieu, autant qu’il est en lui, ne refuse pas au pécheur la grâce excitante, mais il la lui confère en temps opportun ; 3° la grâce excitante extérieure est accompagnée d’une grâce intérieure ; 4° À l’excitation intérieure ne peuvent être assignés avec certitude des moments déterminés ; toutefois deux assertions grandement probables peuvent être formulées. Tout d’abord, il existe un temps où la pénitence est absolument nécessaire pour le salut, c’est, pour le fidèle en état de péché mortel, l’heure de la mort : à cet instant, il est très vraisemblable, même en l’absence de toute excitation externe à la pénitence, que Dieu s’adresse au cœur du pécheur et que la grâce ne fait jamais défaut à ce pécheur, à cet instant suprême. En dehors de ce cas extrême, on ne voit plus d’époques où la grâce soit plus nécessaire au pécheur qu’en d’autres temps de sa vie. Toutefois il est croyable qu’en toute occasion opportune d’accomplir une bonne œuvre, la grâce de Dieu ne fera pas défaut à cet homme. De gratia, t. IV, c. x, n. 2-9.

Aux infidèles, Dieu ne refuse pas la grâce nécessaire au salut. On distingue toutefois les infidèles positifs et les infidèles négatifs. Les premiers sont ceux qui, après avoir professé la religion chrétienne, l’ont rejetée ou qui, l’ayant connue, n’ont pas voulu l’embrasser. Ils rentrent dans la catégorie des pécheurs obstinés. Les seconds sont ceux qui n’ont jamais connu la religion chrétienne. Même à ceux-ci Dieu accorde des grâces de conversion, au moins lointainement suffisantes qui, s’ils y répondaient, leur permettraient de parvenir peu à peu au salut. Sur les moyens extraordinaires de salut, mis par Dieu à la disposition, des infidèles, voir L. Capéran, Le problème du salut des infidèles, essai théologique, Toulouse, 1934, p. 102142 ; Infidèles (Salut des), t. vii, col. 1739 ; 1912. 1929.

b) Les enfants.

Leur situation a été examinée à Baptême (Sort des enfants morts sans), t. ii, col. 376 sq., surtout 377. Toutefois sur ce point précis, deux additions seront utiles :

a. — Certains auteurs estiment que, si la grâce du baptême ne parvient pas à certains enfants, c’est toujours la faute de quelqu’un. Solution inacceptable, parce qu’exagérée et, partant, fausse. Peut-on admettre que, là où la loi chrétienne du baptême n’est pas suffisamment promulguée, le baptême puisse encore être suppléé par un remède de nature ou un acte religieux analogue à la circoncision des Juifs ? Cf. Perrone, De baptismo, n. 135. Question longuement exposée et débattue dans l’Ami du clergé, 1922, p. 725-735. En toute hypothèse, la réponse de Billot, De Deo uno, th. xxvii, § 2, reste pertinente : « Par eux-mêmes, les petits enfants sont tout à fait incapables de pourvoir à leur salut. Il suit donc que la volonté antécédente de Dieu ne saurait prévoir, pour les petits enfants, comme elle le prévoit pour les adultes, un moyen suffisant de salut mis à leur disposition personnelle. La volonté salvifique de Dieu à leur égard doit donc s’expliquer différemment : Dieu veut le salut des enfants autant que les causes secondes ne s’opposeront pas à l’application du sacrement de la régénération, lequel a été préparé pour tous d’une façon générale. Certains théologiens voudraient restreindre aux causes libres seules ces causes secondes dont dépend la possibilité d’appliquer aux enfants le sacrement de baptême : dans cette opinion, aucun enfant ne mourrait, privé de la régénération spirituelle, sans qu’intervienne une faute humaine, distincte du péché d’Adam, ou tout au moins une négligence plus ou moins grave soit des parents soit d’autres personnes. Mais une telle restriction (difficilement conciliable, semble-t-il, avec les faits) ne paraît pas nécessaire. On dirait peut-être avec plus de vérité que la volonté divine est que le remède du salut soit appliqué aux enfants, dans la mesure où ne s’y opposent pas soit les libres décisions des hommes, soit le cours régulier de la nature… Dieu veut leur salut, à condition cependant que ceux au soin desquels sont confiés les petits enfants ne manquent pas à leur devoir et que par ailleurs il ne soit pas nécessaire de faire des miracles pour éloigner les empêchements provenant des causes physiques… Vouloir le salut des enfants sous ces conditions, c’est le vouloir vraiment, encore qu’une telle volonté ne s’étende pas jusqu’au choix de moyens extraordinaires et moins convenables. Ainsi on dit qu’un père veut vraiment la santé de son fils malade, encore qu’il ne le veuille qu’en tant qu’elle peut être obtenue par les moyens ordinaires et habituels » (p. 245-246). Cf. Garrigou-Lagrange, De Deo uno, p. 434-435.

b. — Pour sauvegarder la volonté salvifique universelle à l’égard des petits enfants, il n’est donc pas nécessaire de recourir à des moyens extraordinaires : purification de leur âme par un baptême de désir répondant soit à la foi des parents (hypothèse de Cajétan), soit à un acte de foi et de charité, personnel et pour ainsi dire miraculeux des enfants eux-mêmes (Klee), soit aux souffrances de la mort qui agiraient à la façon du martyre (Schell), etc. Ces hypothèses, dont il est peut-être possible théoriquement d’envisager le non-répugnance, pratiquement et normalement s’opposent à la croyance el à la discipline de l’Église. En voir la discussion détaillée dans V Ami du eltrgi, 1931, p. 497 sq. ; 1938, p. 337 sq. ; 1948, p. 32 sq.

Conclusion. —

Si le dogme de la volonté salvifique s’impose sans discussion possible à la conscience chrétienne, l’application concrète de cette vérité générale à l’ensemble des hommes qui ont vécu, vivent et vivront Jusqu’à la On du monde est enveloppée de beaucoup de mystère et d’obscurités. Les décisions de l’Église ont posé certains jalons, qui nous permettent d’éliminer des conceptions incompatibles avec la bonté et la justice divines ; mais, en pareille matière, vouloir des précisions serait s’exposer à faire fausse route. On évitera donc, en parlant de la volonté salvifique, les formules trop rigoureuses, qui voudraient imposer à la miséricorde divine les conclusions de la logique humaine, les formules trop larges, où l’imagination et le sentiment se substituent trop souvent à la saine théologie. On évitera surtout de passer, sans marquer la nuance, du domaine de la volonté antécédente à celui de la volonté conséquente, s’exposant ainsi à transformer l’universalisme de l’appel en un universalisme de réalisation ou d’élection absolument répréhensible. Si vague soit-elle, l’assertion du concile de Trente reste la pierre de touche de l’orthodoxie : « Bien que le Christ soit mort pour tous, tous ne reçoivent pas le bénéfice de sa mort, mais seulement ceux à qui est communiqué le mérite de sa passion. » Sess. vi, c. iv.

I. Erreurs opposées au dogme.

Le dogme de la volonté salvifique universelle est mis en péril par l’exagération de l’universalisme, voir Enfer, t. v, col. 87-89. Il est nettement contredit, en sens inverse, par tous ceux qui professent l’hérésie du prédestinatianisme. Tout d’abord au ve siècle, le prêtre Lucidus, voir ce mot, t. ix, col. 1020, avec la bibliographie, col. 1021. Au IXe siècle, Gotescalc, voir Prédestination, t. xii, col. 2901 sq. Au xive siècle, Thomas Bradwardine, voir Augustinisme (Développement historique de V), t. i, col. 2536-2538 ; Thomas Bradwardine, t. xv, col. 765 sq. Au xve siècle, Wicleff, voir ce mot, et Augustinisme, t. i, col. 2511. Au xvie siècle, Luther et Calvin, voir t. i, col. 2542, mais surtout Luther, t. ix, col. 1283 sq. ; Calvinisme, t. ii, col. 1406 sq. Enfin, au xviie siècle, Jansénius et les jansénistes, voir JANSÉNISME, t. viii, col. 431-418 ; Prédestination, t. xii, col. 2959-29(13.

IL Tradition patristique. — Petau, De Deo, t. X, c. iv-v ; *Dp incarnatione, t. XIII, c. i-xiv ; Thomassin, De Deo Deique prnprietatibus, 1. VIII-X ; Passaglia, De partilione divines uoluntatis, Home, 1851 ; Franzelin, De Deo uno, th. xi.vii-i.m ; De Augustinis, De Deo, th. xxxvixxxvii ; De San, De Deo uno, t. ii, n. 11-17 ; Capéran, Le problème du salut des infidèles, 2e éd., Toulouse, 1934 (Essai historique).

III. Exposé théoi.ogique. — S. Thomas, Sum. theol., I », q. xix, a. 6 ; Cont. dent., t. III, c. c.lix ; De oeritate, q. xxiii, a. 2 ; In I’"" Sent., dist. XL VI, q. i, a. 1 ; In epist. ad Ilebr., c. xii, lect. 3 ; In epist. I’m ad Timolh., c. ii, lect. 1. Les commentateurs de la Somme, I", q. xix, a. 6, mais spécialement Billuart, De Deo, dissert. VII, a. 5-8. Parmi les auteurs récents, Chr. Pescli, De Deo uno, n. 321 sq. ; .lanssens, De Deo uno, t. ii, p. 256 sq. ; Billot, De Dro uno, th. xxvii ; Garrlgou-Lagrange, De Deo uno, p. 412-435 ;

Scheeben, Doqmatik, I. IV, p. 163 sq. et, en général, les traités De Deo uno. On consultera également le traité De qratia du P. Lange, S..1., p. 525-556 (thèse 25), et la thèse de P. Mannens, Disquisitio in doctrinam S. Thomiv de imluntate De.i salnifica et île prtvdestinatione, Louvaln, 1883.

A. Michel.