Dictionnaire de théologie catholique/VOEU, I. Aperçu historique

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 826-834).

I. APERÇU HISTORIQUE.

Le vœu, comme le note Suarez, « a été une pratique naturelle et universelle, avant d’entrer dans la loi cérémonielle… » De religione, p. 755. Nos connaissances actuelles nous permettraient d’éclairer, par des données fort curieuses de l’histoire des religions, bien des points de notre pratique chrétienne du vœu. Contentons-nous de marquer ici tout de suite les grandes lignes de cette institution dans les anciennes religions.

I. Données générales de l’histoire des religions.

Sous des formes variées, le vœu se rattache à ce groupe d’offrandes d’un type simplifié qui consacrent un objet, une action, une personne, à la divinité, avec l’intention d’en faire un intermédiaire entre l’offrant ou les êtres à qui il s’intéresse et le dieu à qui l’offrande est généralement adressée. Ce n’est pas un sacrifice proprement dit, et chaque chef de clan, bientôt chaque fidèle, pourra, sous la surveillance des prêtres, effectuer lui-même cette offrande, dont l’objet, le rituel et l’intention sont laissés plus ou moins à son initiative. Cette offrande « votive » s’accompagne d’une prière, où l’offrant souligne son désir de purification, son union au dieu, et formule son action de grâces ou sa demande. Cf. H. Hubert et M. Mauss, Mélanges d’histoire des religions, 1909 ; M. Mauss, La prière, s. d. Mais voici où apparaît notre notion du vœu : dans le cas d’une offrande concernant l’avenir, la prière de demande, accompagnée ou non de prémices, anticipait fréquemment sur l’offrande elle-même : elle était posée la première comme un acte religieux qui était censé renseigner la divinité sur les désirs du suppliant et sur ses bonnes intentions, tout comme la promesse faite à un homme le rassurait sur la bienveillance de son partenaire. Pour le bon ordre du culte et pour la sécurité de la collectivité, on portait la plus grande attention à cette promesse d’oblation, à ce sacrifice anticipé, dont l’offrande effective n’était plus que le complément plus ou moins obligé et surveillé. Ainsi est née dans les religions anciennes la distinction réelle entre le vœupromesse et le vœu-consécration, bien que le même terme continuât de désigner le rite oral et le rite manuel.

On pense bien qu’un pareil dédoublement de l’offrande, qui suppose une idée assez nette de la valeur religieuse de la parole donnée à Dieu, une confiance normale en la bonne volonté des individus, et aussi une réglementation-minutieuse de leurs paroles et de leurs actes, n’a pu avoir son plein développement ni dans les religions tout à fait primitives, ni dans les civilisations où le culte était devenu trop exclusivement officiel. Du moins ne trouve-t-on point le rite oral du vœu dans les religions fétichistes, où les divinités ne se contentent pas de simples promesses mais veulent avant tout des victimes. De même, si l’Egypte primitive, avec ses dieux locaux, a connu le vœu oral, elle n’en a pas gardé trace ; et, dans la religion d’État de l’ancien et du moyen Empire, l’offrande que donne le roi », offrande quotidienne et réelle à tel ou tel dieu, formule stéréotypée à des milliers d’exemplaires dans les tombeaux des grands personnages, était réputée suppléer d’office à tous les vœux et offrandes des particuliers. Arriva-t-elle à les tarir jamais complètement ? Cf. J. Vandier, La religion égyptienne, 1944, p. 114-117, 187, 201.

Mais ce sont les religions sémitiques, en particulier la religion juive, qui virent l’efflorescence du vœu-promesse et du vœu-offrande, et leur réglementation en deux rituels jumelés, sous des vocables distincts. Cf. W. Robertson Smith, Lectures on the religion of the Sémites, 1907. L’un et l’autre faisaient de la chose promise ou offerte une chose sacrée. R. Otto, Das heilige, trad. franc, par A. Jundt. Le sucré, 1929 ; H. Caillois, L’homme et le sacré, 1929.

Dans les religions indo-européennes, le rite oral du vœu prend une importance pratique encore plus grande, un caractère anthropomorphique plus accusé : au lieu d’être, comme chez les Sémites, une emprise de la divinité sur les biens des hommes, c’est un pacte spontanément consenti par des fidèles pieux pour s’assurer la bienveillance de tel dieu de leur choix. Dans les deux religions qui sont les plus proches de nous, la religion grecque et la religion romaine, c’est souvent comme un arrangement d’égal à égal et condi tionnel avec la divinité, qu’on observera seulement quand on aura obtenu ce qu’on demande ; c’est un rite quotidien, une formalité religieuse à peine plus solennelle que la prière de demande ou d’action de grâces, dont le vœu est l’accompagnement ordinaire. Cf. Toutain, art. Volum, dans Daremberg et Saglio. Dict. des antiq., t. v, p. 969. Naturellement, chacun des deux peuples met dans ce rite traditionnel sa note particulière, dont il faut se rendre compte si l’on veut comprendre l’élaboration de notre notion chrétienne du vœu.

II. Dans la religion grecque.

La note de vœu-offrande domine celle de vœu-promesse.

On l’a dit, « la langue grecque ne possédait pas pour le vœu de terme spécial et exclusif : les mots euché, et euchomai., qui correspondent, par’exemple dans les textes bilingues, aux mots latins votum, voveo, ont un sens plus général : ils sont souvent employés pour désigner de simples prières, des invocations ». Foucart, dans Rev. archéol., t. ii, 1898, p. 31 6, qui renvoie à Sophocle, Electre, v. 634 sq., ; Aristophane, Thesmoph. . v. 295 sq. ; Thucydide. VI, xxxii. 2. C’était bien le sens populaire du mot : parmi les inscriptions dites votives, telle inscription archaïque, Inscr. Grœc, sept., t. vii, 1, telle autre très postérieure, appellent z’VPf] une prière sans promesse énoncée, mais soulignée par une offrande, Inscript, græc. ad Romam pertin.. t. i, n. 1198 ; cf. Eschyle, Les Sept contre Thèbes. v. 271 sq. Ces « vœux dont on honore les dieux » et leur » impénétrable Providence », Euripide. Troy., v. S89 et 885, sont eux aussi, bien entendu, un contrat tacite entre l’homme et le divin, dont l’oubli momentané par les dieux fait le scandale des âmes pieuses, Euripide, Electre, v. 193-197 ; pourtant ils ne s’expriment point par une promesse, mais ils débutent par une offrande immédiate, dont le suppliant dégage le symbolisme, et se closent par une humble demande. Voir l’exquise euché d’Hippolyte à Artémis, Hippol., v. 73-77, et celle d’Ion à Phoibos. Ion, v. 149-153, traduites par A. Festugière, La religion d’Euripide, dans La vie intellectuelle, mars 1945. p. 128 ; au vrai, le vœu ainsi compris par les Grecs était une action de grâces anticipée qui mettait le dieu en demeure d’accorder une demande. Il faut bien retenir cette idée qui est celle de saint Cyrille d’Alexandrie quand il définit le vœu < un apport de présent », dorophoria.

Le même mot euché ; désigne bien certainement et très souvent le rite spécial que les Romains appelaient votum : alors c’est une promesse conditionnelle faite à la divinité. Nul doute qu’il ne fût d’un usage courant dans le culte privé, encore qu’on ne le trouve guère formulé dans les grands tragiques grecs ; c’est dans Homère et à propos de vieux quasi-publics que l’on trouve stipulées le plus nettement la promesse et la condition, Odyss., xi, 29 sq. ; xiii, 359 sq. ; xviii, 50 sq. ; xxiii, 141 sq. : Iliad., vi, 240 sq. et 274. Remarquons néanmoins que le vœu-promesse est parfois absolu dans sa forme, ou que tout au moins la condition reste sous-entendue. Iliad., x, 283 sq., comme si les Grecs n’avaient pas la dévotion du vœu conditionnel, mais plutôt celle du vœu d’offrande, voire du vœu d’actions de grâces. Les Pères grecs ne parleront pas un autre langage.

Allons plus loin : n’est-ce pas par dédain du vœu conditionnel que, même dans leurs vœux les plus solennels, les Grecs, à rencontre des Romains, ont eu si peu la religion de la promesse faite aux dieux ? Aucun soin particulier pour la formuler, peu de scrupule pour l’exécuter. On possède une série de documents épigraphiques notifiant à la postérité les décrets du peuple athénien au ive siècle avant J.-G. ; dans deux de ces inscriptions, celle de 362 et celle de 387, le mot « vœu » est pris successivement dans les deux sens que nous avons dits, et d’abord dans celui de vœu-offrande. « Au commencement de l’assemblée », dit Foucart, dans Revue archéol., lue. cit., p. 313, le héraut, suivant la loi et la tradition, adressait aux dieux « des vœux » au nom du peuple, des vœux, c’est-à-dire des invocations. Et puis, dans la suite des mêmes inscriptions, revient le mot euché avec, cet le fois, « le sens très précis de vœu : c’est rengagement [iris avec certains dieux désignés, s’ils accordent la faveur qu’on leur demande, de leur offrir un sacrifice », toc. cit. Mais, dans ces deux décrets et les deux ou trois autres qui nous ont été conservés, n’est-il pas curieux de constater que les cérémonies promises ne doivent être réglées et votées que plus tard ? Les Athéniens, on le voit, n’aimaient pas à s’engager pour un avenir encore inconnu : que le dieu accorde d’abord la faveur demandée, on verra alors à lui offrir, en connaissance de cause, l’ex-voto promis, ou plutôt, comme ils disaient, un présent approprié à sa générosité. Ce qu’on appelle un « engagement » est donc tout au plus un vœu de principe, un témoignage de lionne volonté. « l’annonce gracieuse d’un don d’actions de grâces ». Telle est déjà à peu près la définition du vœu pour Philon, Opéra omnia, édit. Cohn, t. il. col. 292, 1. 20 ; cf. col. 249, 1. 1 ; telle sera en propres termes celle de saint Grégoire de Nysse.

S’ils n’ont aucune superstition dans l’expression du vœu, et si, tout au contraire, ils cherchent souvent les termes les plus vagues, c’est que, pour beaucoup d’entre eux, la promesse au dieu est une « manière de dire" sophisma ! Cf. Justin, xxi. 2 ; Zenobios, Proverb. cent., iv, 29. On comprend un peu mieux ainsi leur désinvolture dans l’exécution ; le moins les Sicyoniens, qui avaient promis à Apollon de lui porter en procession à Delphes des victimes, et qui se contentèrent après délibération de faire apposer dans le temple dos bas reliefs de la procession et des sacrifices qu’ils n’avaient jamais faits ! Pausanias, X, xviii, 5. Il est vrai que, pour un Grec, l’essentiel du geste votif n’est pas d’être difficile et coûteux, mais bien d’être expressif de la reconnaissance du suppliant, charisterion doron, Philon., Inc. cit. ; or les images tiennent lieu de l’original. Nous sommes au pays qui vit naître les ri polo en cire ; on offrait ainsi au dieu le membre qu’il avait guéri. L’ex-voto, la formule de reconnaissance, était réputée suffisante également en Afrique. Corpus inser. lut., t. VIII, p. 1451.

III. Dans la religion romaine.

L’esprit juridique et formaliste des Romains donna au rite du vœu une précision autrement ferme. De très nombreux documents, littéraires et épigraphiques, permettent d’en faire ressortir le sens exact.

1° Parmi les vœux sur lesquels nous possédons des renseignements détaillés, les uns ont été faits en des circonstances exceptionnelles par des consuls ou des chefs de guerre, Tite-Live, x. 19. 28 ; xxix. 30 ; XXXI, 20 ; xxxiii. 30 ; les formules en ont été revues par les grands pontifes, Denys d’Halicarnasse, xiii, 3 ; et les offrandes a recueillir ou les jeux à célébrer devront rester sous la responsabilité des magistrats alors en charge. Tite-Live, xxxvi, 2 ; xii, 21. Mien de plus typique à cet égard que le vœu de 217, au moment de l’incursion d’Annibal. Tite-Live, xxii, 9-10. La faction victorieuse endosse jusqu’aux promesses de ses ennemis de la veille. Plutarque, Camill., 42. Le taux de la dette envers le dieu et le mode de paiement donnent lieu parfois à d’ardentes controverses ; mais ce sont les pontifes qui ont le dernier mot, loc. cit., 7-8 ; Tite-Live, xxxi, 9. L’urgence était votée par le Sénat quand l’exécution traînait en longueur, loc. cit., xxii, 33 ; xxiii, 24.

2° Les autres vœux sont des vœux périodiques, qui remontent assez haut dans l’histoire de Rome, pour assurer la prospérité courante de la cité. Chaque année, le 3 janvier, les consuls, en prenant possession de leur charge, s’acquittaient des vœux contractés un an auparavant par leurs prédécesseurs, et contractaient à leur tour des vœux analogues pour l’année qui commentait : solutio et nuncupatio votorum. Bouché-Leclercq, Manuel des inst. rom., p. 59. Outre ces vœux annuels, Rome imagina, dès 217 av. J.-C. et sous l’Empire, des vœux quinquennaux, Tite-Live, xxvii, 32, 8 ; xxx, 2, 27, puis des vœux de dix ans, ibid., xxx, 27. Pour les vœux périodiques, le chiffre de la dépense était fixé par le magistrat en charge à ce moment, loc. cit., xxxix, 5.

3° Il y avait naturellement aussi des vœux privés, contractés par de simples particuliers dans un intérêt personnel, dont les documents épigraphiques ont gardé la trace, les uns notant l’accomplissement de la promesse passée, Corp. inscr. lai., t. vi, n. 68, 323 ; t. vin. n. 8474 ; t. xi, n. 1303, 1295 ; t.xii, 103 ; les autres joignant dans leur ex-voto la notification d’un vœu accompli et celle d’un nouveau vœu pour l’avenir, loc. cit., t. xiii, n. 8793 : on allait de vœu en vœu. Quelques-uns seulement mentionnent une offrande promise par un vœu antérieur, mais donnée avant que la faveur ait été accordée : pro voto suscepto d(onum) d (edit), et non v (otum) s (olvit), loc, cit., t. v. n. 6873 ; t. xi. n. 3287. Il est évident que ces vœux réglés à l’avance à la manière grecque, n’étaient pas proprement une solutio voti. Ce sont les Pères latins, comme on le verra, qui mettront en faveur les vœux promesses et les vœux conditionnels, qui n’étaient pas tellement recommandés dans la Bible.

Chez les Romains, les divers moments du vœu avaient leur expression consacrée : au moment où il était formulé, il y avait vœu contracté, susceptum ou conception votum ; on appelle la formule officielle nuncupatio voti. Qui suscepto voto se numinibus obligat, Macrobe, Saturn., iii, 2, 6 ; Tite-Live, xxi. 21, 9 : par le fait du vœu un « lien » est établi entre l’homme et la divinité. Entre le moment où il a formulé son vœu et celui où la divinité l’exauce, l’homme est dit reus voti, parce que son sort reste en suspens jusqu’à la réponse du dieu. Lorsqu’il a reçu sa demande, compos voti, il est obligé de payer sa dette, votum solvere, reddere, referre, il est condamné à accomplir sa promesse, damnatus voli. Tite-Live, xxix, 36, 8, etc…, sous peine d’encourir la colère divine. Le Digeste, t. I, tit. XII, qui range le vœu dans le titre De pollicitationibus, stipule toutefois que les vœux contractés par le pater familias ne sauraient engager ses fils ou ses esclaves sui juris ; mais que, si celui ci a voué la dîme de ses biens, son héritier est tenu de s’acquitter de son vœu. Quant aux vœux publics, ils engageaient manifestement la ville elle même, file Live, x, 37 ; xxi, 62. à moins que le magistrat ne l’eût fait de son propre chef sans consulter le Sénat. ibid., xxxvi, 36. Ainsi tout l’appareil des vœux, a Rome, était réglé par le jus sacrum, fort inspire d’ailleurs du droit civil. Les temples de Home, presque tous élevés par suite d’un vœu, et avant leur fête annuelle ou Ton y recueillait les vœux, votiva solemnitas, se trouvaient encombrés d’ex-voto, lames de métal ou objets de prix, donaria.

IV. Dans l’Ancien Testament.

Si l’intervention de l’homme est importante dans les religions grecque et romaine, c’est l’idée de consécration à Dieu qui domine la notion de vœu dans la Bible et qui porte le législateur à le réglementer en détail.

C’est vrai du vœu de Jacob, Gen., xxviii, 20 sq. : il y a promesse d’un service religieux ; mais la consécration a lieu tout de suite, qui fait de Béthel un lieu sacré et de la pierre « un mémorial » de cette consécration, t. 18 ; l’autel, la « maison de Dieu » et les dîmes promises viendront ensuite. Gen., xxxv, 15. Quant à la consécration des « premiers-nés en Israël », elle est déjà faite, car « ils sont tous à moi », Ex., xiii, 2, en sorte qu’ils ne peuvent plus être objets de vœu. Lev., xxvii, 26.

C’est vrai encore du « vœu d’anathème », lequel ne peut se racheter, Lev., xxvii, 28-29, qu’il s’agisse de peuples ennemis, khêrém ou horma, Num., xxi, 2, Deut., ii, 34 ; iii, 6, de criminels, Ex., xxii, 20, ou de victimes désignées, Jud., xi, 30, « ce sera au Seigneur et je l’offrirai en holocauste », ꝟ. 31, ce qui rappelle les » dévoués » aux dieux infernaux de l’histoire romaine.

Mais l’idée de consécration n’apparaît pas moins dans les vœux privés d’Israël qui portent sur une personne, Lev., xxvii, 1-8, un animal, ꝟ. 0-13, une maison, ꝟ. 14-15, ou un champ, ꝟ. 16-25 : s’il y a une promesse, « si l’homme sépare un vœu, les âmes seront à Jahvé d’après ton estimation », loc. cit., ꝟ. 2, c’est-à-dire que les personnes vouées seront séparées de l’usage ordinaire, elles seront à Dieu, de manière cependant qu’elles pourront être rachetées d’après un tarif fixé par le législateur ; le rachat des personnes était donc sans doute le cas ordinaire, mais ce rachat même supposait l’appartenance à Dieu. « Quant à l’animal qui peut être immolé à Jahvé, si quelqu’un le voue, il sera saint, qodèS », ꝟ. 9 ; de même le champ voué et non racheté sera « une possession consacrée », qui reviendra de droit aux prêtres, ꝟ. 21. Les dîmes, qui sont, elles, vouées d’office, sont aussi consacrées au Seigneur, t. 30. S’il n’y a pas promesse, mais offrande spontanée, destinée au tabernacle. Ex., xxxvi, 3, ou au Temple, II Parai., xxix, 9, oblationes sponlaneæ, Num., xxix, 39, c’est leur destination même qui fait de ces offrandes des choses consacrées et les fait appeler par anticipation des vota, comme la liturgie appelle vota les offrandes des fidèles à la messe.

C’est encore l’idée du « sacré » qui inspire la réglementation des vœux privés. Les victimes offertes par vœu doivent être sans défaut, Lev., xxii, 18-20 ; les victimes qui en auraient peuvent être offertes spontanément, mais non point servir à l’acquittement d’un vœu, t. 23. La plupart des vœux des Juifs se soldaient ainsi par un sacrifice ; et l’on se souvenait d’un temps où tout sacrifice était l’affaire exclusive du chef de famille ; les autres vœux d’ailleurs s’exprimaient probablement chez eux par des prestations matérielles et avaient par le fait même un retentissement social : c’est, croyons-nous, ce caractère social et liturgique du moindre vœu privé, beaucoup plus que la considération juridique du pouvoir du pater familias, qui amena le Code sacerdotal à mettre sous la dépendance du père de famille les vœux de la femme et des enfants mineurs. Num., xxx, 4-16, Millier si quippiam voverit et se consirinxerit juramento, ꝟ. 4 : il n’est pas question du serment dans le texte hébreu ; les Juifs, en effet, ont toujours fait une grande distinction entre le vœu et le serment : le vœu oblige toujours, ma^s non pas le serment, parce que le serment ne change rien à la nature de la chose, qui est appréciée par la Loi, tandis que le vœu en fait une chose réservée à Dieu : on verra plus loin les conséquences étranges que les Juifs en tirèrent. Ici, il y a une distinction entre le vœu positif de donner ou de faire quelque chose, si quippiam voverit, et le vœu négatif de s’abstenir, qui se consirinxerit, d’une chose permise par la Loi. « Le jeûne et l’abstinence alimentaire » étaient pratiquement les seules mortifications dont une femme juive pût « affliger son âme », ꝟ. 14, puisque la continence était hors de question ; en tous cas, les rabbins enseignaient que le mari n’avait droit de regard que sur ces deux espèces de vœux négatifs de sa femme : c’est la doctrine chrétienne sur la continence et la mortification qui a obligé les Pères de l’Église et spécialement saint Augustin, Qusestiones in Heptat., t. IV, q. lvi, P. L., t. xxxiv, col. 744-745, Raban Maur, Nicolas de Lyre et Cajétan, à interpréter plus largement notre texte.

Un autre vœu négatif demandait à être réglé officiellement, c’était le grand vœu de nazirat, Num., vi, non pas qu’il constituât une caste, comme celle des prêtres, ou un état de vie séparé, comme le font nos vœux de religion, mais parce que le régime qu’il imposait, l’interdit religieux qu’il mettait sur tant de choses permises, était une manière de consécration de la personne. Encore que ce fût une loi personnelle qui n’obligeait que ceux qui le voulaient faire, ce vœu, qui ne faisait qu’affirmer le droit primitif de Dieu, pouvait être prononcé par les parents d’un enfant, I Reg., i, 28. « Tous les jours de sa séparation, il sera saint au Seigneur » : la mise en garde contre les contacts impurs, même involontaires, et les sacrifices tarifés qui marquaient la fin du vœu de nazirat, donnent la mesure de cette sainteté tout extérieure et rituelle.

Les autres vœux des Juifs, qui étaient d’ailleurs de même ordre, étaient laissés à la volonté des fidèles. Lev., xxii, 22-23. À entendre les psalmistes répéter si souvent : Vovete et reddite, Ps., lxv, 13 ; cf. ps. lv, lx, lxiv, à lire les Prophètes, Joël, ii, 15 ; Amos, iv, 5 ; Jon., ii 10 ; Is., xix, 21, etc., il semble qu’une bonne part de la religion extérieure des Juifs ait consisté à faire des vœux et à s’en acquitter tant bien que mal… Conscients de ces abus et des occasions de pécher qu’ils entraînaient, les sapientiaux conseillent la discrétion. Eccl., v, 3 ; Prov., xx, 25 ; Sap., xiii, 17. L’Ecclésiastique met en garde contre les vœux pervers, faits dans une intention mauvaise, xxxv, 14.

V. Dans le Nouveau Testament.

Le silence des évangiles à l’égard des vœux courants vient sans doute du peu de valeur religieuse qu’ils avaient conservé au temps de Notre-Seigneur. Quand Jésus en parle, en effet, c’est pour en signaler les abus les plus flagrants. Ainsi, lorsqu’un père ou une mère sollicitait d’un fils un secours quelconque, pour couper court à toute insistance, le fils vouait au Seigneur ce dont son père avait besoin ; consécration fictive, mais irrévocable : il n’en perdait pas l’usage, mais il ne pouvait s’en dessaisir sans sacrilège pour un autre que pour Dieu. Corban, quod est donum, quodcumque ex me, tibi profuerit ! Marc, vii, 11. Jésus ne reproche pas aux Pharisiens de nier le caractère sacré du vœu ni son utilité, mais d’en faire un mauvais usage. Il n’impute point aux docteurs contemporains d’avoir inventé et prôné ce subterfuge, il dit au contraire qu’ils s’autorisaient « d’une tradition ». Cette tradition, c’est que le vœu étant chose sacrée et rituelle obligeait sous peine de sacrilège et devait l’emporter sur une obligation plus généralement prescrite dans la Loi ; or la Loi disait bien en général d’honorer ses parents, elle ne prescrivait pas de leur céder telle ou telle chose. Cf. Origène et S. Jérôme, In Matth., xv, 6. Ce n’est là qu’un exemple des abus auxquels le vœu pouvait donner lieu chez des « gens qui honorent Dieu du hout des lèvres », Marc, vii, 6. Saint Luc en cite un autre qui nous scandalise : devotione devovimus, Act., xxiii, 14 ; d’ailleurs en trouve-t-on d’aussi révoltants dans les discussions des rabbins.

Ces principes clairement posés de morale naturelle, Jésus laissait entières la valeur et l’utilité des vœux courants ; mais, dans une pareille ambiance on comprend trop qu’il n’y ait pas insisté et que les évangélistes n’aient rien eu à nous en dire. Pareillement, pour les vœux dits de perfection, c’est vouloir tout trouver dans l’Évangile que d’enseigner, ou même « d’entendre », comme dit prudemment saint Thomas, « que les Apôtres aient fait vœu de ce qui concerne l’état de perfection », II a -II ! E, q. lxxxviii, a. 4, ad3um. Dans les Actes des apôtres, on voit saint Paul, pour se faire donner un certificat de légalisme, contracter le vœu de rfazirat à l’occasion de ses deux passages à Jérusalem : la première fois, « il a un vœu » à accomplir, nous dit saint Luc, et, « la tête rasée », il se hâte vers le Temple, Act., xviii, 18 ; la seconde fois, il se joint volontiers à quatre compagnons « qui ont pris sur eux » le même vœu du rite juif, et il paie même pour tous le prix de l’oblation terminale, xxi, 24-26. Où l’on voit que la chrétienté de Jérusalem reste fidèle à l’institution juive du grand vœu.

En fait, l’Église a vécu encore quelque temps dans la tradition juive, telle que l’avait réglée le Deutéronome, vivifiée seulement par la tradition apostolique, qu’on ne peut que soupçonner à travers des textes comme Rom., xii, 1 ; Jac.v, 15, où le vœu, si c’en est un, prend tout de suite plus de spontanéité et d’ampleur. Malgré tout, saint Cyprien, saint Méthode, et, avant eux, l’auteur desÉpîtres ad V irgines (Pseudo-Clément ) appliqueront sans plus aux vierges consacrées à Dieu le texte de Num., vi, 2, mais non les versets suivants tombés en désuétude avec le reste de la loi cérémonielle.

VI. Chez les Pères grecs.

Si l’on veut bien se rappeler le sens courant du mot vœu pour les Grecs, celui d’une offrande spontanée destinée à recommander une demande, il faut accorder que, dès le m’siècle et sans doute plus tôt, les docteurs les plus familiers avec la culture hellénique ont eu une certaine notion du vœu : mais ce n’était pas la nôtre, ce n’était pas le vœu-promesse, mais bien le vœu-offrande. Ainsi, même quand il parle du « propos i de celui qui abandonne ses biens pour suivre le Christ, Clément d’Alexandrie, Quis divrs salvetw ?, Kl, et xii. P. (L, t. ix, col. (il(i, donne tout à fait le processus de Yz’y/^ grecque, non celui du votum latin, ni celui du vœu biblique : l’oblation VOUS est faite une fois pour toutes : maintenant. Seigneur, sauvezmoi ! Pas la moindre idée de promesse pour l’avenir, moins encore celle de consécration que le mot garde souvent dans la Bible.

Origine.

Celui qui se heurta le premier aux

multiples sens du mot vyPr t, ce fut Origène, et de prime abord dans une œuvre de sa jeunesse, le IIspl t’i/^ç. Dans ce mot S’V//, , il n’est pas loin de voir une véritable amphibologie, contre laquelle ses auditeurs grecs doivent être prévenus. < Ici, dit-il, il faut remarquer l’acception détournée fie ce mot z’y/r t, sens tout autre que celui de prière : il est employé pour marquer que quelqu’un promet par une formule orale de faire telle chose, s’il obtient de Dieu telle antre chose », op. cit., c. iii, n. 2, P. G., t. xi. col. 127 : c’est le vœu conditionnel, dirions-nous, et très exactement le votum, le vœu-promesse des Romains de son époque. Toutefois, le même mol est pris également dans son sens (durant, par exemple Ex., VIII, 2 : hi.nl lis Pharao : Vovele Domino ni auferat rnntis (en fait, c’était la l’une de ces offrandes officielles réglées par le Pharaon). Plus loin, Ex., ix, 28, le même mot eù/ïj signifierait, d’après Origène, op. cit., m, n. 3 et xiv, n. 2, « une oraison qui s’accompagne de louanges », ou mieux « cette action de grâces anticipée » sur laquelle nous reviendrons : n’est-ce pas le vœu au sens des Grecs ? Enfin, voici le vœu-consécration au sens sémite, qu’Origène n’a pas de peine à trouver dans le Lévitique et les Nombres, aux endroits ci-dessus expliqués. De orat., c. iii, n. 4. « Convenons tout au plus, conclut l’auteur, qu’on peut ramener à deux les significations du mot s’r/ji dans l’Écriture » : le vœu et la prière. Op. cil., c. iv, 1 et 2.

C’est dans une œuvre postérieure, les Homélies sur les Nombres, qu’Origène, instituant à nouveaux frais son enquête scripturaire, arrive à la synthèse désirée. Il a devant lui un mot unique, vs/r, , qui a déjà son sens et sa nuance, et qui prétend traduire plusieurs expressions hébraïques témoins de plusieurs conceptions successives : consécration, promesse, don volontaire. Et le grand exégète arrive, comme en se jouant, à trouver le dénominateur commun à toutes ces valeurs religieuses et leur filiation probable ; disons mieux : à retrouver le sens primitif du vœu dans toutes les anciennes religions. Ce n’est ni la promesse, ni même la consécration à Dieu, mais la libre oblation de l’homme qui attire la bienveillance de Dieu. Il y aurait grand intérêt à reprendre après lui ce travail d’approfondissement et d’unification, ne serait-ce que pour rendre un compte exact des divergences qui séparent là-dessus, encore actuellement, l’Église latine de l’Église orthodoxe, et inspirent leurs idées sur les vœux de leurs religieux.

Voici les points saillants de cet ample exposé, qui n’a plus rien de l’enquête embarrassée du De oratione, rien non plus de la rigueur d’une démonstration scolastique. In Numéros, hom. xxiv, c. 2-3, texte latin traduit par Rufin, P. G., t.xii, col. 759, sq. Origène s’enquiert ici, non plus de la prière, mais de I’eù/t) décrite au livre des Nombres, c. -xxx, c’est-à-dire du vœu : il le définit ainsi : Votum est cum aliquid de noslris offerimus Deo : c’est une oblation libre, immédiatement effectuée. Le sujet du vœu, c’est donc celui qui a quelque chose à offrir à Dieu. « Quand on en est arrivé aux stade supérieur d’accepter la loi de Dieu, on peut offrir des vœux au Seigneur ; personne ne peut le faire que celui qui a quelque chose en lui-même à offrir à Dieu. » D’où cette conclusion que « celui qui ne cultive pas l’homme intérieur, qui est assoupi par les vices de la chair… doit agir pour se purifier… ; alors il pourra dignement offrir au Très-Haut ses vœux ». Cf. Comm. in Rom., 1. IX. c. i. La plupart des vœux vont donc au delà de l’obligation stricte, mais d’autres sont à la portée de tous. Il y a, en effet, diverses espèces de vœux, depuis les viviix de choses extérieures notés dans l’Ancien Testament, I Reg., i ; Jud., i ; Lev., xxvii et Num., vi, celui ci, le vœu de nazirat, étant dans son genre le « grand vœu » ; Jusqu’au vœu qui embrasse le précepte de l’amour de Dieu sans réserves. Deut., x, 12. Avant cela, il y a les vœux des vertus particulières : « Si nous offrons notre justice, nous recevrons la justice de Dieu… Voilà les vœux que VOUS devez, chrétiens. offrir et accomplir », et une telle offrande engage la conduite. Il y a enfin des vœux qui consacrent la personne, et qu’Origène voit préfigurés dans le - grand vœu i de nazirat : S’offrir SOi-même et plaire à Dieu, non par le travail d’autrui. niais par sa propre peine. c’est là le plus parfait des vaux. Qui le fait est l’imitateur du Christ, qui, après avoir offert à l’homme le ciel et la terre, s’est finalement donné lui-même. / "<’il. L’objet de ce « grand vœu » a quelque analogie avec celui de nos vœux de religion, et les caractères dominants son ! ceux là mêmes que retrouvera saint Thomas dans la profession religieuse, « car celui-là prend au sens spirituel l’offrande du nazir qui prend sa croix pour suivre le Christ, et se détache des délices du siècle ». Loc. cit. Le résultat de ce vœu, c’est que « ceux qui se sont voués à Dieu sont appelés saints…, et qu’ils ne doivent avoir d’autre soin ni d’autre souci que celui de leur âme et de l’observance du culte divin ». Les dispenses prévues dans la Loi ancienne sont à entendre au sens figuré : « Celui qui fait un vœu doit être libre et soumis à personne : aussi bien est-ce le parfait qui a puissance et liberté de faire des vœux. Quant aux âmes « mineures et féminines », il leur arrive, me semble-t-il, de faire des vœux imprudents qui sont pris en charge par leurs anges 1° Ici, on retrouve l’esprit aventureux d’Origène : mais n’oublions pas que ses vœux ne sont pas des promesses en forme de contrats, mais des résolutions en forme d’offrandes ; « Dieu, en effet, veut d’abord recevoir quelque chose de nous ; alors seulement il nous donnera quelque chose, ut dona sua non immeritis largiri videatur ». Op. cit., c. 2. Il y aura évidemment, pour l’âme qui a bénéficié des grâces de Dieu, une dette de reconnaissance à acquitter envers Dieu ; mais son sùyi] est déjà un remerciement anticipé ; car il y a, dit Origène, dans un passage souvent mal compris du De oratione, c. xiv, n. 2, « deux sortes d’actions de grâces : celle qui, le bienfait reçu, en reconnaît la grandeur par une oblation de louanges, ôjj.o>.oyîa. et puis celle qui, voyant (d’avance) le bienfait qu’on va recevoir, prend cette miséricorde pour argent comptant, ipsius beneficii accepti loco sumitur, par exemple l’sù/v ; du Christ : Conftleor (ibi, Pater… quia revelasti ea parvulis. Luc, x, 21°. Le vœu, à l’émission, est comme une avance d’hoirie ; à l’acquittement, ou mieux, à la confessio, c’est le solde de paiement, l’homologation du concordat ; dans les deux cas, c’est une zùyjxç>.G~’.a.

Les Pères du IVe siècle.

Ces idées d’Origène peuvent nous paraître d’un mysticisme subtil : elles n’étonneront pas les Pères grecs des ive et ve siècles : la note d’action de grâces, ne la trouvaient-ils pas au fond de leur psychologie religieuse et au premier plan de leur spiritualité chrétienne ? Les prières publiques — celles que les Latins appelaient uota — les Grecs ne les nommaient-ils pas Ta yapiaTrjpia ? c’est-à-dire des gages anticipés ou des témoignages de la reconnaissance populaire ? Et leur liturgie n’était-elle pas caractérisée par ses mangifiques « anaphores eucharistiques » ? Au degré au-dessous s’étalaient les vœux privés : ils constituaient chacun un geste unique de gratitude continue, depuis le moment de la promesse spontanée jusqu’à sa « confirmation » finale.

1. Grégoire de Nysse.

Pour le sens du mot eù-/y], on peut s’en remettre à saint Grégoire de Nysse, en un passage où il s’attache justement à montrer que, dans l’Écriture, « le sens précis des mots nous enseigne la manière de monter à Dieu ». De oratione dominica, or. ii, c. 2, P. G., t. xliv, col. 1137. Le mot en question, z’y/j), signifie bien, pour lui, « la promesse de quelque chose qui est dédié à titre de piété et consacré à une destination sainte », tandis que la prière, -Kpodz^yj], c’est la demande à Dieu de quelque bien. L’auteur a évidemment sous les yeux le De oratione d’Origène, car il insiste : « Mais, parce que nous avons besoin d’être en confiance quand nous approchons de Dieu pour le supplier dans notre intérêt, la démarche du vœu vient avant la prière : une fois accompli ce bon office du vœu, alors avec assurance nous pouvons demander à Dieu un bienfait. » Et Grégoire renvoie aux deux psaumes lxv, 13 et lxxv, 12, ceux-là mêmes qui suggéreront à Augustin les réflexions que nous verrons plus loin. « Mais, continue-t-il, ils sont innombrables les passages de l’Écriture où le mot vœu a bien ce sens : on y voit que le vœu est Sûpou /apia-r/ ; pioç hKCtyyzHa. ». Loc. cit., col. 1138 Si l’on avait /apiar^p’.'Pj. on pourrait traduire avec les éditeurs bénédictins : doni pro graiiarum actione proferendi farta promissio ; mais, avec le nominatif, c’est la promesse ou plutôt l’offrande qui est gracieuse, disons donc : le vœu est, pour Grégoire de Nysse, l’annonce reconnaissante d’un don immédiatement offert, la mise à la disposition de Dieu d’une offrande religieuse, un sacrifice dans le langage des auteurs spirituels. Nous voyons, en effet, que le don accompagne cette olïrande, qui est donc plus et moins qu’une promesse : « Après l’accomplissement de cette déclaration, l’accès vers Dieu se fait par la prière ; il faut semer avant de récolter le fruit : demême, il faut jeter les semences du vœu et les abandonner [à Dieu] pour recevoir en récompense les fruits mûrs de la prière. Le colloque avec Dieu ne se fait qu’après le vœu et le don, nisi per prsecedens votum et donum. » Loc. cit., col. 1 138.

2. Les autres docteurs.

Si l’on compare cette définition peu banale du vœu avec celle de saint Jean Chrysostome : « Les vœux sont des offres et des propositions », In ps. c. r, n. 4, P. G., t. lv, col. 325, ou avec celle de saint Cyrille d’Alexandrie, qui parle d’ « apport de présent, » âtopocpopîa, P. G., t. lxviii, col. 221, on dira que toutes les écoles grecques s’accordent à dire que le vœu est un cadeau fait à Dieu. C’est si vrai que ce cadeau engage, non certes la justice, mais la bienveillance de Dieu, « qui nous rend grâces, et quand il nous doit », à l’émission du vœu, « et quand il s’acquitte i de sa dette de reconnaissance, en récompensant le vœu. S. J. Chrysostome. In Rom., c. iii, hom. vu. La Bible connaissait aussi ces « dons volontaires », vocale voluntarias oblaliones, Am., iv, 5 (Vulgate) ; mais, pour une fois, les Juifs des Septante avaient durci l’expression : èTCexaXsaav-ro ôpLoXciytaç, qui marquait un aveu de dette, une convention ; saint Cyrille d’Alexandrie la ramène au sens original : « Invoquer veut dire souhaiter, annoncer ; quant à ôpioXoyia, ce sont les dons laissés par la Loi au bon plaisir de chacun, quæ quis sponle sua offert Deo. » In Amos proph., iv, 5, P. G., t. lxxi, col. 480.

3. Réactions diverses.

On doit se hâter d’ajouter que, malgré les défauts de leur version, les Pères grecs sentaient bien, en lisant la Bible, qu’ils se heurtaient à une notion du vœu plus ferme, parfois intransigeante ; et ce n’est pas sans un certain mérite qu’ils y ont accepté l’idée du vœu-promesse. « Le peuple juif, dans les calamités, se réfugiait en Dieu avec confiance, et se constituait son débiteur, en promettant, s’il en réchappait, de lui offrir des sacrifices. » J. Chrysostome, loc. cit. Mais il est à croire qu’ils n’en seraient jamais venus à une conception bien rigide du vœu s’ils n’avaient côtoyé la législation monastique évoluée, celle de saint Basile, où des vœux spontanés se doublaient d’une donation à Dieu et d’une promesse aux hommes. On remarquera, en efïet, non sans surprise, que pour saint Basile, ce qui oblige le moine, ce n’est pas proprement le vœu, eù/i), mot qu’il n’emploie jamais, mais « la renonciation au siècle », Ascetica, P. G., t. xxxi, col. 630, la « décision ferme », « yvc5(i.Y) (3s6atoç », et surtout la « convention bipartite, le pacte, Sia6r)XT ; », qu’il a fait avec les supérieurs. S. Basile, Grandes règles, c. 14 et 15, P. G., ibid. col. 949, 952. Et puis, « cette foi des pactes [humains], il l’a déposée devant Dieu et en Dieu, si bien qu’il pèche contre Dieu en s’y montrant infidèle », loc. cit., col. 949, « il s’est consacré à Dieu… puisque le don volontaire a été consacré par Lui… ». col. 952, ce qui nous ramène à l’idée biblique et catholique du vœu, mais par le détour de la « profession de virginité », loc. cit., exigée par le législateur, sous forme de serment devant témoins. Toutes choses ajoutées à l’évolution interne de l’eu/ ?) grec, qui normalement aurait dû amener tout autre chose qu’une promesse : une donation totale analogue à celle de nos vœux solennels. La forme de notre droit canon occidental, les basiliens ne l’avaient point et ne l’ont pas encore ; mais leur profession est un vœu au sens théologique, puisque l’offrande à Dieu englobe cette promesse ; au lieu d’être promissio melioris boni, on a oblatio melioris boni promissi ; c’est une visée différente, qui atteint in obliquo cette promesse que nous voyons in recto. Voir ci-après l’art. Vœux de religion. Il y aurait d’ailleurs toute une étude à faire pour montrer comment I’sù/tj des premiers Pères grecs, avec la sincérité de son offrande gracieuse, s’est harmonisée, sans se confondre tout à fait, avec les notions plus fermes de la promesse aux hommes et de la consécration à Dieu. Cf. S. Jean Damascène, Sacra parallela, qui range parmi les pactes les vœux stricts de Num., xxx, 3 ; Deut., xxiii, 21 ; Eccl., v, 5, mais maintien ! parmi les eù/oû les vola des ps. xlix, 14 ; cxv, 14 ; c’est qu’il reste une nuance entre « eùy ; aî et promissio », De fide orthod., t. IV, c. xv.

4. Leur influence.

Il ne faudrait pas croire d’ailleurs que cette note de don gracieux fût inconnue aux docteurs latins qui avaient eu quelque contact avec les Grecs : un auteur, qui a toujours le scrupule <lu mot propre, Victorinus Afer (voir plus haut), dit, tout comme saint Grégoire de Nysse, que « celui qui fait un vœu, jam ad référendum yratiam optât, ut Dcus impleat omne desiderium ». Dans les exhortations de saint Hilaire, de saint Ambroise, de saint Augustin, voire de saint Jérôme, les mots proposilum, volunlas, ou même promissio, ont-ils bien le sens de vœu, de ferme promesse, que la théologie latine leur a prêté ? Le contexte milite plutôt pour celui de bon plaisir, de bon propos, de promesses bienveillantes, analogues aux promesses de Dieu au peuple d’Israël, qui ne sont point des engagements. Cf. S. Jérôme, Adv. Jovin., t. II, c. xi ; Epist., lviii, n. 5 ; Ambrosiaster, In Rom., xv, 31, P. L., t. xviii, col. 177. On dira tout à l’heure comment, grâce à saint Augustin, l’harmonie s’est faite entre la conception biblique et l’idée grecque, pour établir notre doctrine catholique.

VII. Les Pères latins.

Avec ceux-ci, on entre, pour ainsi dire, dans un monde nouveau, celui de la stricte discipline religieuse.

Avant saint Augustin.

Pour les Pères africains, l’assimilation entre les deux s’est faite d’un coup, sans résistance : saint Cyprien moule les vœux de la Bible dans l’ancien jus sacrum. Quod quis Deo voverit cita reddendum, Testimonia, t. III, c. 30, P. L., t. iv, col. 752 ; De habilu virgin., c. 19, col. 471 ; Epist., iv, édit. Martel, p. 173. Saint Augustin nous étonne sous ce rapport : « Avant d’être voti reus, tu étais libre de rester médiocre ; mais tu as fait un vœu, et c’est la moindre des choses d’y rester fidèle.’Epist., cxxvii, ad Armentarium, P. L., t. xxxiii, col. 487. Pareillement saint Ambroise et l’auteur de la lettre De lapsu vîrginis, P. L.. t. xvi, col. 388. Mais l’seudo1 { ii fin a des réminiscences timides d’Origène : Commençons, voilà notre part ; Dieu suppléera à ce qui nous manque, supplebit quod suum est », In Psalm., i.xxv, n. 12. P. L., t. xxi. col. 958 ; mais il n’est pas sur qu’il n’.ait pas forcé la pensée alrxandrinc dans le sens de l’obligation. De même, sain ! Ililaire, qui a fait sa théologie en exil, emploie d’ordinaire le mot votum au srns des Grecs, cf. P. L., t. IX. col. 184, 204, 206, 760 ; il parle aussi du vœu -sacrifice par allusion peut-être au « grand vœu d’Origène, ou bien aux devoti de l’armée romaine : Les martyrs se sont voués à Dieu et se sont présentés en holocaustes. » In Psalm., lxv, n. 26, t. ix, col. 435. Pourtant les vœux ordinaires des chrétiens n’ont rien à prendre au paganisme ni à l’hérésie : ces vœux-là sont « des genres de superstitions, qui veulent recommander la perversité de la doctrine par la louable apparence d’un effort inutile pour un profit misérable. Otiosum propositum que les abstinences des philosophes ! Ce qu’il faut vouer à Dieu, c’est le mépris du corps, la garde de la chasteté, le support des jeûnes ». Quelle différence voit-il avec les vœux des philosophes ? C’est que les nôtres sont « entourés des garanties dignes de Dieu, et conformes aux prescriptions soigneuses de l’Église, méritant ainsi l’aide de l’Esprit-Saint ». In Psalm., lxiv, n. 1 et 3, t. ix, col. 414. L’Église des Gaules contrôlait donc les vœux privés ? On trouve, en Afrique, et on connaît, à Rome et en Italie, des sanctuaires élevés ou dédiés ex voto avec le consentement des évêques. P. Monceaux, Histoire littér. de l’Afrique chrétienne, t. iv, p. 300 sq. ; Liber pontif., passim. Mais qui surveillait les jeûnes de dévotion ? et ces pielatis officia, qui n’étaient point encore des commandemants de l’Église, et semblent avoir d’abord été voués par bien des fidèles qui n’étaient pas tous des religieux ? Cf. S. Léon, Sermones de jejunio VU et X mensis, de Quadragesima, serm. iv. « La tradition et la coutume établie et connue », dit le pape du ve siècle, mais sans doute de façons assez diverses suivant les Églises. Voir aussi Prosper d’Aquitaine, In Psalm., cxv, 18, P. L., t. li, col. 332. Saint Jérôme est plutôt réservé pour conseiller les vœux aux chrétiens ordinaires : Moli festinare ad proferendum verbum in conspectu Dei. Dans ce mot de l’Ecclésiaste, v, 1, la plupart des interprètes voient une recommandation de ne rien promettre devant Dieu à la légère, et de ne pas faire de vœux sans tenir compte de ses forces. Il vaut mieux laisser la chose longtemps en suspens, d’autant qu’il y a pour tout chrétien un précepte urgent, celui de mettre sa foi en pratique d’un bout à l’autre. » In Eccl., v, 1-2, P. L., t. xxiii, col. 1052.

D’un mot, le vœu, pour des esprits habitués au droit romain, apparaissait comme une promesse faite à Dieu, en des formes juridiques un peu sèches, où les obligations venaient au premier plan et, tout de suite après, les sanctions divines et ecclésiastiques. « Si un contrat entre hommes de bonne foi ne peut, selon la coutume, être rompu pour aucun motif, combien plus cette promesse — pollicilalio — qu’on a contractée avec Dieu ne peut-elle être violée impunément I Innocent I 8r, décrétale III ad Victricium. Cependant le même pape ne voit aucune différence appréciable entre sa doctrine et celle des Grecs, du moins avec celle de saint Basile, puisque, dans le même document, il a une réminiscence de saint Basile, qu’il a trouvée peut-être dans la lettre toute récente de saint Augustin à Armentarius : il dit en effet que « les vierges qui n’ont pas reçu encore le voile », mais qui ont fait un vœu privé, leur promesse, sponsio, est entre les mains du Seigneur », loc. cit.

Saint Augustin.

La dissonnance entre Grecs et latins a sans doute été plus aperçue par saint Augustin quand il prit enfin connaissance du livre de ( iré goire de N’vsse sur l’oraison dominicale (son propre commentaire des Psaumes lxv et lxxv ne fait que développer les deux exemples apportés par le philoso phe cappadocien). Que va-t-il faire ? Il le corrige, en précisant que le bon office du Vœu » ne met pas l’homme sur le même pied que Dieu ; complétant heureusement cette Idée, chère à Chrysostome, que le Vœu fait de Dieu notre débiteur. Augustin rappelle que nous ne faisons que lui rendre ce qu’il nous a

« Dieu redemande à l’homme ion Image dépo sée dans l’homme… » Episl. ad Armentarium, P. L.,

t. xxxiii, col. 488 ; bien mieux, « Dieu aspire à ces gradus meliores, ces fleurs de sainteté qu’on voudra bien cueillir pour lui ». Dieu a tous les droits dès le principe ; pour ses amis, il a toutes les ambitions ; pour ceux qui font des vœux, il aura toutes les exigences. « Nous ne disons pas cela pour vous mettre en garde contre les vœux, mais pour vous y pousser ; ne soyez pas hésitants, vous qui le pouvez. » Enarr. in Psalm., lxxvi, n. 10, P. L., t. xxxvi, col. 968. Voilà la consigne constante du saint docteur, si insistante qu’elle nous paraît indiscrète ou susceptible d’une interprétation lénitive dans la manière d’Origène. Mais non, parce que c’est la liberté même de l’offre et la générosité de l’offrant qui font la stricte obligation du vœu, en quoi saint Augustin nous ramène à l’acception latine. Seulement il savait à qui il adressait ces appels ou ces rappels : soit à des fidèles qui avaient déjà fait un vœu et n’en voyaient plus les mérites passés, soit à des âmes aspirant à la perfection au milieu d’un monde qui ne connaissait pas encore l’institution religieuse. Nous verrons plus loin cette haute doctrine, désormais inséparable de celle de saint Thomas.

Après saint Augustin.

Prosper d’Aquitaine s’est fait un devoir pieux de résumer les enseignements de son maître. Liber sententiarum ex operibus Augustin ! , t. I, c. liv, P. L., t. li, col. 435. Epigramm., c. xv et liv, P. L., t. li, col. 503, 514.

Mais tous les docteurs latins de l’époque n’avaient pas la docilité commode de Prosper : on le vit bien quand le jeune Cassien, vers 390, se mit en devoir de confronter son vœu de religion, c’est-à-dire l’institution contractuelle qu’il était devenu en Occident, avec le vœu des Pères du désert qui était resté une aspiration et une offrande. Il alla consulter, entre autres Pères du désert de Scété, l’abbé Isaac, au sujet de l’e’jyj). Mais, pendant que le docte Isaac lui explique le De oratione d’Origène — comparer De oratione, c. xiv, 2-5, à Collatio, ix, c. 10-15 — et montre, d’après De oratione, c. iii, n. 2, résumé ci-dessus, les rapprochements entre la prière d’offrande et la promesse, c’est-à-dire entre le vœu des Grecs et celui de la Bible, le jeune moine juxtapose mentalement à toutes ces notions mystiques la notion juridique du votum latin. Relisant ses notes trente-cinq ans plus tard, il aboutit au plus beau galimatias en plaquant sur cette idée hybride le mot latin oratio, qui voulait traduire le mot eu-/ ?]. En voici un échantillon, où l’on voudra bien entendre par oraison un sacrifice intérieur, une pieuse résolution offerte à Dieu dans la prière : « L’oraison (la résolution ) est l’acte par lequel nous offrons et vouons quelque chose à Dieu. Les Grecs l’appellent eù^yj, c’est-à-dire vœu. Où le grec porte : Tàç eù^âç (jwj …, nous lisons dans le latin : Vota mea…, ps. cxv, 14, ce qui, en rigueur de termes, pourrait s’exprimer ainsi : Je ferai les orationes (les résolutions) promises au Seigneur. » Collatio, ix, c. 12. Si la terminologie est fautive, la doctrine du sacrifie intérieur est fort belle, complétant l’aspiration de l’offrande par la netteté de la promesse et l’austérité de l’observance : « Voilà nos orationes (nos sacrifices) : nous vouons pour jamais la chasteté parfaite… et nous prenons l’engagement d’arracher complètement de notre cœur les racines de mort. » hoc. cit., cf. c. 17.

VIII. Au Moyen Age.

Les vœux se multiplient et deviennent des institutions : aussi bien les vœux publics de religion que les vœux privés de chasteté, de pèlerinage ou d’entrée en religion, sont réglementés et contrôlés par l’Église. La doctrine en devient plus rigoureuse, sans être pour cela plus précise, car c’est à des notions voisines, celle du sacrifice et celle du serment, plus accessibles à tous, qu’elle emprunte ses arguments, l’une expliquant le vœu comme offrande, l’autre comme promesse. On en trouvait l’esquisse dans les œuvres d’Augustin ; les livres liturgiques développaient la première, les règles monastiques la seconde. Saint Grégoire, qui emploie très souvent, Moralia in Job, t. XXXV, c. iii, n. 4, le mot vota au sens de prières, à l’imitation des sacramentaires, appelle le vœu propositum, à la manière de saint Ambroise, et lui reconnaît son objet propre, bonum majus, et sa force de promesse à Dieu. « Faire vœu du meilleur, c’est se proposer un bien plus grand, y tendre avec une plus forte ardeur. » Epist., xxvii, P. L., t. lxxvii, col. 104. Mais il y mêle, au gré des textes qu’il commente, les deux idées nouvelles de serment et de sacrifice. « Car c’est prononcer un serment que de s’obliger par un vœu à servir Dieu. » Moralia in Job, 1. XXXIV. P. L., t. lxxvi, col. 635. Il aime surtout à comparer le vœu religieux à l’holocauste définitif. In Ezech., t. II, hom. viii. Il se serait reconnu à ce développement du Commentaire sur les Rois qui lui a été attribué à tort à propos du vœu privé : « Pour que ce vœu soit parfait, c’est-à-dire pour que la bonne œuvre, qui est la victime proposée dans l’offrande de l’âme dévote, soit reçue par le Dieu tout-puissant, il faut que l’âme la lui présente en faisant le vœu… Qu’est-ce, en effet, que « destiner en son cœur », II Cor., ix, 6-7, sinon proponere ex deliberatione ? … Les victimes sont apportées quand nous nous préparons à exécuter les fortes œuvres que nous nous proposons de faire : voilà le sens de cette deliberatio boni propositi. L’exécution joyeuse du vœu sera l’immolation de la victime. » C. i, 25, P. L., t. lxxix, col. 47. Cette définition du vœu était destinée à une longue fortune. Et voici une réminiscence d’Origène et de Grégoire de Nysse : « C’est à dessein que l’Écriture nous montre la mère de Samuel faisant un vœu avant de se répandre en prière, parce que, si l’on ne se fait tout céleste per propositi vigorem, on n’a point cette forte garde des sens qui nous tiendrait en la présence de Dieu. » In I Reg., c. ii, 7, loc. cit., col. 58. Mais quelle conception différente du vœul Alors que, pour les Pères grecs, c’est une libre démarche pour attirer les bienfaits de Dieu, pour saint Grégoire, c’est une ascèse que l’on s’impose « pour se préparer à la dévotion et aux fortes résolutions ». Col. 47. Tous n’avaient pas cette haute idée du vœu, du moins quand ils pensaient aux vœux privés. Saint Isidore en parle dans le chapitre du mensonge et du faux serment, et c’est pour répéter l’avertissement de Jérôme contre le vœu téméraire, avertissement qu’il conclut par ce jugement sommaire : « Ils sont à ranger parmi les infidèles ceux qui ne font pas ce qu’ils ont voué. » Synonymes, t. II, n. 57, P. L., t. lxxxiii, col. 858. L’idée du vœu-contrat, qu’on trouve très appuyée dans les collections canoniques du xe siècle, était destinée à une grande diffusion au Moyen Age : à cette époque où le serment au seigneur était la base des rapports sociaux, la promesse solennelle faite à Dieu dans le vœu devait prendre un relief particulier. On trouvait le vœu-serment jusque dans l’Évangile ; dans la péricope : Ecce nos reliquimus omnia… ; quid ergo erit nobis ?, saint Pierre Damien, comme presque tous les écrivains monastiques, fait surgir les expressions juridiques de pactio, conventio, sponsionis jura, etc. Apol. de contemplu sœculi, c. m. Saint Thomas fera droit à cette assimilation. IJa-II*, q. i.xxxix, a. 8, mais en réservant la précellence du vœu. Si la solennisation des vœux de religion, tout à fait analogue à celle des serments publics, les met en sûreté, la simplicité des vœux privés et leur multiplication excessive tendent à les faire regarder comme des promesses sans importance que l’on « confirme » par serment, loc. cit., ad 2um. L’inconvénient défaire du vœu une pure convention avec Dieu, c’est de ne l’aire apparaître que les dangers du pacte : vœu imprudent, vœu oublié, vœu profané, voilà tout ce que Rupert de Deutz voit dans Eccl., v, 3-4, P. L., t. clxviii, col. 1243-1244.

Les derniers écrivains latins du xie et du xiie siècle portent tout leur soin à régler la pratique du vœu et sa « dispensation » par l’Église, ce qui les amène à préciser les conséquences sociales du vœu ; ils se font l’écho de l’horreur générale pour ces vœux privés, d’aloi fort divers, extorqués parfois, qu’ils voyaient si effrontément violés par les grands de la terre ; ils s’inspirent de l’usage des institutions monastiques de l’époque qui faisaient rédiger les vœux des religieux et les conservaient comme les autres actes juridiques. Les développements ne vont pas toujours à la question. Saint Bernard fait exception, mettant en un égal relief « la bienheureuse émulation de sainteté et la fidèle promesse de sincérité qui conduisent les âmes » à faire des vœux. Sermo de verbis evang. : Ecce nos… Saint Anselme, plus près de ses sources, donne à ses conseils l’allure de proverbes : Qui bene vovet, ipso voto Deo placet… Qui pulai melius sibi esse non subire monachicæ vitse pondus imporlubile, consideret per totum mundum quanta hilarilate omni œtati sit pondus illud cantabile… »

Avec les sommistes, et déjà les premiers scolastiques, c’est la psychologie du vœu qui vient en question et sa valeur canonique, parce que le vœu de chasteté perpétuelle était regardé depuis de longs siècles comme un empêchement au mariage. Qu’y a-t-il donc dans le vœu, se demande Hugues de Saint-Victor († 1142) ? Il y a, tout comme dans la promesse des époux, une enquête, cogitalio, un bon plaisir, voluntas, ensuite vient le propos ou dcliberatio, mais qui reste confiné dans l’âme pour son comportement personnel, l’âme ne s’étant tenue encore qu’envers soimême. Mais que survienne la promesse, le sponsor se trouve désormais engagé envers un autre… Enfin survient le vœu, qui paraît bien renfermer quelque chose de plus que la promesse, car c’est une attestation : celui qui promet s’engage librement, spondet, à faire quelque chose ; mais celui qui fait vœu atteste et affirme la promesse elle-même. Il y a tout cela dans le vœu : en tant que promesse, on est tenu ; en tant qu’attestation, on est obligé. De sacramentis, t. II, p.xii, P. L., t. clxxvi, col. 520-521. On dira qu’une dialectique si laborieuse n’était pas bien nécessaire pour aboutir à un si mince résultat. Il faut toutefois songer que la question du vœu, Hugues se la posait à propos du mariage, auquel le vœu de chasteté est un empêchement dirimant. Voilà pourquoi il range le vœu, tout comme la promesse des époux, parmi les procédés habituels de l’âme pour régler sa conduite à venir ; et, d’un autre côté, puisque le vœu précédent annule le mariage, c’est donc qu’il y a dans le vœu quelque chose de plus que dans la promesse solennelle du sponsbr : il y a eu dans le vœu une attestation de la promesse faite à un autre, et cet autre, c’est Dieu même. Ainsi la définition du vœu par genre, espèce et différence spécifique, est la suivante : Volum est testiflcatio qiuedam promissionts tponlanea quæ ad solum Deum et ad ea quw Dei sunt mugis proprie refertur. Loc. cit.. col, 521. Posant, lui : nissi, la question du vœu en fonction du mariage, i’Lombard ( 1160) emprunte la définition de Victorin, et il entend la tt-stifiratio de l’affirmation publique devant témoins ; mais il est plus strict sur le destinataire : non seulement la promesse se rapporte plus précisément à Dieu, mais i elle doit être faite à Dieu et porter sur les choses divines »..S> ; iL. t. IV, dist, III. Saint Bonaventure reprendra la définition et les explications du Lombard, In Sent., h. loc., a. 1, édit. Vives, t. vi, p. 377. Tous ces premiers scolastiques sont encore trop assujettis aux traditions des juristes et aux documents canoniques.

D’autres sommistes, luttant contre cette intrusion du droit et de la justice légale en matière de morale et de perfection, insistaient sur l’aspect intérieur du vœu et, revenant aux conceptions conjuguées des Pères grecs et latins, le définissaient « la conception d’un bon propos, confirmée par une délibération de l’âme, par laquelle on s’engage envers Dieu à faire ou ne pas faire quelque chose ». Saint Bonaventure adopte cette définition, édit. Vives, t. vi, p. 379. Saint Thomas étudie le vœu en théologien, c’est-à-dire dans ses rapports avec Dieu, comme un acte de la vertu de religion : c’est le point de vue de saint Augustin et de saint Grégoire, qui était d’ailleurs l’idée traditionnelle sine addito. De la conception juridique, il ne retient que ceci : bien qu’il soit substantiellement acte intérieur de religion, le vœu porte sur une matière extérieure qu’il ordonne à Dieu. Il se rattache immédiatement à l’offrande, comme l’avaient vu les Grecs ; il en a la valeur religieuse, étant en somme un mode d’offrir un don anticipé par manière de promesse. Aussi le Docteur angélique maintient le vœu parmi « ces actes de religion qui offrent à Dieu des choses sensibles », Ha-II*, q. lxxxv, prol., dans le cas, une part choisie de l’activité de l’homme et de ses biens. Il rejoignait ainsi la conception antique qui faisait du vœu une synthèse de toute la religion intérieure et extérieure. Ceux qui se montrent surpris de la place qu’il donne au vœu parmi les dîmes, les oblations et les sacrifices, cesseront de s’étonner quand ils verront qu’il donne comme matière du vœu toute notre action humaine : le vœu peut faire de l’homme entier un holocauste au Seigneur.


II. ÉTUDE THÉOLOGIQUE.

Saint Thomas d’Aquin avait étudié le vœu à propos des empêchements au mariage d’après le plan de Pierre Lombard, IV Sent., dist. XXXVIII, ce qui l’avait obligé à bien des omissions et digressions ; dans la Somme, au contraire, II 1 - II », q. lxxxviii, son plan personnel est un modèle de claire exposition : c’est l’ordre que nous suivrons ici en définissant : I. la nature du vœu, art. 1 ; IL sa matière, art. 2 ; III. son obligation, art. 3 ; IV. son utilité et sa valeur religieuse dans son émission et son accomplissement, art. 4, 5 et 0 ; enfin V. la dispense du vœu ou plutôt, d’une façon plus générale, sa dispensation par l’autorité sociale, art. 12, 8, 9. 10 et 7 où l’auteur étudie le vœu solennel.

I. Nature du vœu. — « Par le vœu, on promet quelque chose à Dieu », loc. cit.

Le vœu comporte une promesse.

Le fait est que l’Ecriture donne ces deux mots comme synonymes : « Si tu as voué quelque chose à Dieu, ne tarde pas à le rendre ; car il n’aime pas, disait l’Ecclésiaste, v, 3, la promesse infidèle et insensée. » De toutes façons. « vouer c’est promettre… I.e vœu, en effet, implique une certaine obligation de faire ou de renoncer à quelque chose. On s’oblige d’homme à homme par mode de promesse ; et la promesse est un acte de raison, faculté de l’ordre : comme par voie de commandement ou de prière nous ordonnons de quelque manière que quelque chose soit fait pour nous, de même c’est par la promesse que nous onlon nous ce que nous mêmes devons faire pour autrui r.

Une promesse à Dieu.

La promesse, comme le commandement et la prière, est un acte de raison pratique : non seulement elle comporte un certain plan d’action qu’elle intime à l’exécutant, mais elle l’annonce au destinataire ; le mot grec è-xyyc/j’./ le (lisait bien : il n’y B pas de promesse faite tant que nous n’avons pas énoncé à autrui ce que nous nous