Dictionnaire de théologie catholique/VOCATION, III. Tradition et théologie

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 813-821).

III. Les témoignages de la Tradition et le TRAVAIL DE LA REFLEXION THÉOLOGIQUE SUR LA vocation.

La doctrine de la vocation à l’époque patristique.

1. Saint Antoine († 356). —

C’est dans la plus ancienne vie de saint, la vie de saint Antoine par Athanase, mince opuscule écrit vers 357 et qui révéla le monachisme à l’Occident, que nous trouvons le premier témoignage patristique sur la vocation religieuse. Antoine, âgé de dix-huit ans, étant entré un jour dans l’église en pensant aux apôtres et aux premiers chrétiens qui avaient tout quitté pour suivre le Christ, « il se rencontra qu’on lut tout haut l’Évangile où le Seigneur dit au riche : « Si tu veux être « parfait, va vendre tes biens, donnes-en le prix aux « pauvres, puis viens et suis-moi, tu auras un trésor « dans le ciel. » Il considéra ce souvenir des premiers chrétiens comme une inspiration de Dieu et la lecture de cet évangile comme faite pour lui. Et en sortant de l’église, il distribua ses biens aux pauvres pour embrasser la vie monastique ». P. G., t. xxvi, col. 841. Si Athanase, qui avait connu personnellement Antoine et reçu ses confidences, souligne ainsi cet épisode, c’est qu’à ses yeux une détermination si grave et si prompte chez un homme aussi spirituel mais aussi pondéré était une inspiration céleste. Voilà, saisie sur le vif dans sa réalisation au sens fort, la grâce de la vocation religieuse annoncée par Jésus dans l’Évangile.

Mais nous avons un autre document relatif à saint Antoine. Sous son nom, il nous est parvenu quelques lettres ou exhortations ascétiques, qui, si elles ne sont pas toutes sorties de sa plume, émanent de son école ; à tout le moins reflètent-elles la pensée qui s’inspirait de ses enseignements. Or l’une, qui a pour titre Le passage du siècle à la vie monastique, traite explicitement de la vie monastique. On y lit qu’il y a trois manières de quitter le monde et que chacune est une vocation divine. On peut quitter le monde, touché par l’audition de la parole évangélique. Ceux qui veulent suivre l’Esprit de Dieu par ce genre de vocation recevront les promesses avec le repos : Et nunc usque hœc vocatio permansit ingredi volentibus. .. Si ita proinde egerint ut cor eorum sit paratum sequi Spirilum Dei, sic utique suscipient promissiones cum requie. On peut quitter le monde, touché par la lecture de la Loi évangélique qui annonce le châtiment aux pécheurs et la béatitude aux justes. Bien des âmes ont trouvé leur vocation dans la lec315’VOCATION. LA TRADITION

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ture de ces écrits divins : Et operam dederunt ingredi hanc vocationem, sicut ait David propheta : Lex Domini vivificat animas. On peut quitter le monde, touché par les châtiments de Dieu : certaines âmes rebelles ont ainsi été amenées par la tribulation au repentir, et par le repentir à la vocation : Quamobrem infert Deus misericors super eos irrumnas ut excitentur conscientiæ eorum eosque pœniteat et ingrediantur hanc vocationem. Mais, de quelque manière que se fasse cet appel, c’est l’Esprit-Saint qui appelle en faisant sentir l’onction de sa grâce. Porro ante omnia Spirilus Sanctus eos vocat et omnia illis facilia reddit, ut illis dulcescat ingressus ad psenitentiam. Epist., i, P. G., t. xl, col. 999 sq.

On voit l’intérêt de ce document. Il n’est pas seulement dans la variété des formes que peut revêtir la vocation intérieure. Il est surtout en ce que cette vocation est bien distincte, puisque antérieure, de la vocation extérieure ou admission par les supérieurs ecclésiastiques ou monastiques ; en ce que c’est une grâce intérieure distincte de la parole évangélique qui lui sert de véhicule occasionnel ; en ce que c’est une grâce spéciale de l’Esprit-Saint, appelant l’âme et lui facilitant tout pour lui adoucir l’entrée à la pénitence. On ne saurait caractériser d’une manière plus nette l’origine immédiatement divine de la vocation intérieure et son dynamisme suave. Nous voyons s’y réaliser d’une manière lumineuse le mot mystérieux de Jésus : « Tous ne comprennent pas cette doctrine, mais ceux-là seulement auxquels il a été donné. » Matth., xix, 11.

2. Saint Éphrem († 373). — Vers la même époque ou à peu près, florissait, à Édesse en Syrie, l’illustre diacre saint Éphrem. C’est chez lui que nous trouvons le premier témoignage de la Tradition sur la vocation sacerdotale. Dans un discours sur les grandeurs du sacerdoce, Éphrem passe en revue les prêtres de la Loi de nature et de la Loi mosaïque, à commencer par Abel. Puis, considérant l’indignité trop fréquente des prêtres de la Loi de grâce, il s’écrie : Ego vero obslupesco, fratres dilecli, ad ea quæ soliti sunt quidam insipicnlium audere, qui impudenter ac lemere sese conantur ingerere ad munus sacerdotis assumendum, licet non adsciti a ghatia Christi. De sacerdotio, sub fine. Nous citons d’après la traduction latine de Vossius, Anvers, 1619.

Dans ce passage, Éphrem s’indigne contre les ambitieux qui s’elïorcent de s’élever au sacerdoce sans y être appelés par la grâce du Christ. Qu’entend-il par cette grâce du Christ ? La vocation extérieure par l’ordination ou la vocation intérieure par l’intention droite ? Manifestement la vocation intérieure par l’Intention droite. Car si ces impudents, ces téméraires, étaient conduits par l’intention droite, ils ne seraient ni impudents, ni téméraires. Éphrem voit donc dans l’intention droite autre chose que l’acte psychologique de l’homme ; il y voit l’inspiration sousjacente de la grâce, adsciti a gratia Christi, et donc l’appel du Saint-Esprit, bref la vocation intérieure.

.’i Saint Jérôme († 420). — Le même raisonnement peut s’appliquer à un passage de saint Jérôme dans son commentaire de l’épître aux Calâtes. P. L., t. xxvi. col..’507. Expliquant le début de l’épître : Paulus Apostolus non ab hominibus, neque per hominnn. sut per Jrsum Christum, l’exégète distingue quatre espèces d’apôtres, selon qu’Os viennent de Dieu tout seul, ou de Dieu par l’homme, ou de l’homme seul, ou ni de Dieu ni fie l’homme. Caractérisant ensuite la troisième catégorie : ceux qui viennent de l’homme seul, il ajoute : Ut nunc videmiu plurlmos non Dei judicio sed redempto faoore vulgi m tacerdolium tubrogari. Que manque-t-il à ces prêtres poui exercei le tacerdoci’le i.i paît de Dieu, parle

jugement de Dieu, c’est-à-dire par vraie vocation divine ? Ce n’est pas l’imposition des mains ou la vocation extérieure : ils l’ont reçue. Ce qui leur manque, c’est d’avoir sollicité ou accepté le sacerdoce avec une intention droite, au lieu de le capter par l’intrigue et la vénalité. Mais s’il en est ainsi, c’est donc que pour Jérôme, comme tout à l’heure pour Éphrem, l’intention droite, ou vouloir surnaturel, a valeur d’appel divin. Aspirer au sacerdoce sous la motion de la grâce, c’est y être appelé intérieurement par Dieu, auteur de la grâce.

4. Cassien († 435). — On sait comment celui-ci, après s’être initié à la vie monastique dans un couvent de Terre sainte, passa dix ans parmi les solitaires d’Egypte, en pèlerin, allant de solitude en solitude, pour entendre et noter les enseignements des plus illustres maîtres spirituels. Il vint ensuite se fixer à Marseille et fonda l’abbaye de Saint-Victor, ("est là qu’il rédigea, sur ses notes d’Egypte, ses fameuses Conférences. On peut donc considérer son œuvre comme l’écho critique du monachisme égyptien.

Or, Cassien a, lui aussi, sa théorie sur la vocation intérieure, sauf qu’il s’agit de la vie religieuse, non du sacerdoce. Au début de sa Conférence sur le triple renoncement, Cassien distingue trois formes de la vocation intérieure, très vocationum sunt ordines. Dans le premier cas, Dieu agit sur l’âme sans intermédiaire ; dans le secood cas, il agit par la parole des saints ; dans le troisième cas, il agit par les accidents de la vie. Mais, quel que soit le mode, l’action est de Dieu : elle est son appel intérieur à l’âme. « La vocation nous vient directement de Dieu, dit-il, chaque fois qu’il nous met au cœur certaines inspirations qui nous réveillent de notre assoupissement, raniment en nous le désir du salut et, par la touche d’une componction salutaire, nous excitent à suivre Dieu : quoties inspiralio quædam immissa in cor nostrum nos ad desiderium œlernæ vitæ ac salulis excitât. La vocation nous vient par l’homme, lorsque ce sont les exemples ou les enseignements des saints qui allument en nous le désir de notre salut ; quum exemplis quorumdam sanctorum vel monilis instigali, ad desiderium salutis accendimur. La vocation nous vient par les accidents de la vie, lorsque les tentations, les périls de la mort, la perte de nos biens ou des personnes aimées nous transpercent l’âme et nous ramènent malgré nous à Dieu, que nous avions refusé de suivre dans la prospérité : quum ad Deum, quern sequi in rerum pros]>eritate contempsimus, saltem inviti properare compcllimur. P. 1.., t. xlix, col. 560. Au reste, pour Cassien comme pour saint Antoine, quel que soit le mode de la vocation, il recouvre toujours une motion intérieure de la grâce : Mani-Icstissime perdocemur, dit-il plus loin ; et initium voluntatis borur nobis, Domino inspirante, concedi, quum aut per se, aul per exhortationem cujuslibet hominis, aul per necessilatem, nos ad salulis allrahit viam, et perfectioncm virtutum ab eodem similiter condonari. Ibid., col. 581. Et, par conséquent, c’est Dieu qui appelle l’âme à la vie religieuse, ce ne sont pas seulement les supérieurs monastiques, quoique leur approbation soit nécessaire pour authentiquer l’appel de Dieu.

Mais à la doctrine de saint Antoine Cassien ajoute cette vue personnelle que l’état religieux est assimilable aux charismes qui, selon saint Paul, constl tuent les organes du Corps mystique. Les uns ont reçu le don de prophétie, les autres celui de la doctrine ; ceux-ci le don de secourir les Indigents, ceux-là de consoler les allliges. Et nul ne peut échanger son charisme pour un autre : il y faudrait l’intervention de Dieu. Ce que chacun doil faire, c’est de bien utiliser le don qu’il a reçu. Ainsi celui qui a reçu la GO

grâce de la vocation religieuse ne doit-il pas regarder ailleurs, mais s’appliquer de toutes ses forces à la perfection de son état, sciens, secundum Aposlolum, unum quidem esse corpus Ecclesiæ, multa autem membra, et habere eam donationes secundum gratium qux nobis data est diP/erenter. Ibid., col. 959.

5. Saint Jean Climaque († 602 ?). — Du monachisme oriental vient encore un témoignage sur la vocation religieuse : c’est celui de saint Jean Climaque, dont le manuel ascétique, intitulé V Échelle (en grec xXïji.aÇ) du Paradis, n’eut pas moins de vogue en Orient que les Conférences de Cassien en Occident. Au premier degré de V Échelle, il compare la vocation religieuse à l’appel d’un roi recrutant des soldats. « Lorsque, dit-il, un roi de ce monde, voulant entreprendre une expédition militaire, nous fait appeler auprès de sa personne pour user de nos services, nous n’hésitons pas, nous ne cherchons pas des excuses ; mais, quittant tout, nous accourons de tout cœur à son appel. Prenons-y donc garde. Puisque c’est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs et le Dieu des dieux qui nous appelle à cette milice : toù BaatXéoiÇ xà>v pacuXécov, yjxX Kuptou twv xupîwv, y.où 0eoù twv 6ewv xocXoGvtoç 7)u.àç eïç ttjv oùpâvi.ov Taô-T)v tocÇiv, n’allons pas, par paresse et lâcheté, mépriser un pareil appel, de peur qu’un jour nous ne nous trouvions sans défense devant le tribunal suprême. » P. G., t. lxxxviii, col. 641. C’est donc l’idée de vocation divine ou d’appel de Dieu qui, pour saint Jean Climaque, domine la vie religieuse.

6. Saint Grégoire le Grand († 604). — Modèle idéal du pasteur, il nous a laissé, sous le titre de Régula pastoralis, un petit traité qui est, du point de vue de l’époque, un vrai manuel de la perfection sacerdotale. Or, dès les premières pages, l’auteur touche la question de l’appel au sacerdoce. Après s’être plaint, comme tant d’autres, que cette dignité sublime soit briguée par des ambitieux, il s’écrie : Quos contra Dominus per Prophetam (Os., xiii, 4) queritur dicens : « Ipsi regnaverunt et non ex me, principes extilerunt et ego ignoravi. » Ex se autem et non ex arbitrio Summi Rectoris régnant, qui nullis julti virtutibus, nequaquam divinitus vocati, sed sua cupidine accensi, culmen regiminis rapiunt potiusquam assequuntur. Quos tamen internus Judex et provehit et nescit, quia quos permiltendo tolérai, pro/ecto per judicium reprobationis ignorât. Reg. pastor., part. I, c. i, P. L., t. lxxvii, col. 13.

Ces lignes mettent en lumière les divers éléments de la vocation. 1. Ces « ravisseurs » du sacerdoce sont réellement prêtres : ils « régnent, ils sont princes, le Juge spirituel les a exaltés ». Ils ont donc reçu la vocation divine extérieure par l’appel canonique et l’imposition des mains. 2. Mais cette vocation n’est, de la part de Dieu, qu’une vocation « permissive, une tolérance ». Ce n’est pas une approbation. Car ils « ne régnent pas par mandat du Roi suprême. Le souverain Juge les frappe au contraire d’une sentence de réprobation ». 3. Or, quels sont ces prêtrestà ? Ce sont ceux qui, dépourvus de toute vertu, nullement appelés de Dieu, mais brûlant d’ambition, s’emparent du gouvernement des âmes au lieu d’y être promus. Ce sont donc ceux qui manquent de l’intention droite. 4. Et parce qu’ils manquent de l’intention droite, ils manquent aussi de la vocation divine intérieure, puisque c’est dénués de toute vertu, nullement appelés de Dieu, mais brûlants d’ambition, qu’ils s’emparent du sacerdoce, c’est-à-dire extorquent la vocation extérieure.

Ce témoignage de saint Grégoire marque un progrès de la pensée théologique sur les textes précédents. Tout d’abord, s’il reconnaît que le sacerdoce, une fois reçu, est toujours valide, il distingue, selon

la manière de l’obtenir, une vocation positivement divine et une vocation purement permissive qui est en même temps une réprobation. Dieu n’est donc pas entièrement solidaire de l’appel par l’Église : il valide l’appel, mais il réprouve l’appelé. En second lieu, ce témoignage suppose une sorte d’équation entre l’intention droite et la vocation intérieure : il révèle un appel de Dieu dans ce qui semblait simple initiative pieuse de l’homme.

7. Saint Isidore de Séville († 636). — La vocation intérieure de Dieu en regard de l’appel extérieur par l’Église apparaît aussi chez saint Isidore de Séville. Dans les Sentences, au chapitre De præpositis Ecclesiæ, il apprécie les diverses attitudes qu’on peut avoir devant l’appel à l’épiscopat. Après avoir blâmé celle des égoïstes qui se récusent par amour du repos, il note celle des saints, et voici ce qu’il en dit : « Les saints ne recherchent pas les soucis des affaires ; ils gémissent, au contraire, quand ils s’y voient condamnés par l’ordre de Dieu, .. S’ils le peuvent, ils s’empressent de les fuir ; mais, craignant la secrète disposition de la Providence, ils acceptent ce qu’ils voudraient éviter. Car ils entrent dans leur cœur, et là, ils demandent ce que veut la volonté cachée de Dieu ; et, sachant qu’ils doivent se soumettre aux ordres suprêmes de Dieu, ils courbent leur tête sous le joug de ses ordonnances. » P. L., t. lxxxiii, col. 705. Si toute la vocation était dans l’appel extérieur de l’Église, il n’y aurait pas lieu d’entrer dans son cœur et là de demander ce que veut la volonté cachée de Dieu. Si donc les saints consultent cette volonté au fond de leur cœur à propos du sacerdoce à recevoir ou à refuser, c’est qu’ils croient à une vocation intérieure et à la possibilité d’en percevoir les signes dans la prière et la réflexion chrétienne. Il est même à remarquer que l’idée d’intention droite n’est pas exprimée ici. Des deux équivalents : intention droite, vocation intérieure, le second s’est substitué au premier.

8. Saint Bède le Vénérable († 735). — Il mérite d’être cité pour sa plénitude. Dans son commentaire de l’évangile de saint Marc, après avoir cité l’appel adressé par Jésus à Matthieu, il donne cette explication : Et surgens secutus est eum… Tanta enim cupiditate sequendi Dominum ductus est ut in nullo prorsus hujus vitæ respectu vel cogilationem sibimet reservarit. Siquidem ipse Dominus, qui hune exterius humana allocutione ut se sequeretur vocavit, intus divina inspiratione ut mox vocantem sequeretur accendit : ipse invisibiliter quomodo sequendum effet docuil. P. L., t. xcii, col. 150. On ne saurait être plus explicite. Là où l’Évangile ne mentionne que l’appel extérieur adressé par Jésus à Matthieu, le commentateur ne se contente pas de supposer la vocation intérieure, il l’affirme formellement. « Le Seigneur, en l’appelant extérieurement par sa parole humaine, alluma intérieurement dans son cœur, par une inspiration divine, le désir de le suivre promptement. » Vocation extérieure par la parole, vocation intérieure par l’inspiration de la grâce sont présentées comme les deux aspects de l’appel divin au sacerdoce. L’intention droite n’est pas mentionnée.

2° La doctrine de la vocation pendant la période scolastique. — 1. Saint Bernard († 1153). — Il fut le zélateur de la vie monastique et de la sainteté sacerdotale. Or, l’un des principes sur lesquels il appuie ce double apostolat est précisément l’idée de vocation. Des conseillers trop humains s’efforcent-ils de détourner un jeune homme du cloître ? Bernard leur crie : « Le Christ dit : « Viens », et vous, vous dites : « Reste ». Qui êtes-vous pour vous opposer à l’appel de Dieu ? » Le clergé se recrute par l’intrigue et la simonie. Bernard crie à ces intrus : « Vous régnez, mais non de par Dieu ; vous êtes chefs, mais Dieu ne vous a pas appelés. » Nombreux sont les passages de ses écrits dans lesquels l’une ou l’autre vocation se trouve ainsi invoquée. Nous allons en indiquer quelques-uns.

Parmi les allocutions recueillies par son disciple, l’abbé Geofroy, sous le titre Declamationes ex Bernardo, nous lisons cette admonition à l'âme qui a éprouvé le désir de la vie religieuse : « Prends garde à toi, dit la sagesse. — Et pourquoi ? — Puisque tu ne doutes pas que ce soit la parole de Dieu, qu’as-tu besoin de délibérer ? L’Ange du Grand Conseil t’appelle, et tu attends d’autres conseils I Vocat Magni Consilii Angélus ; quid aliéna consilia præstolaris ? Quel autre est plus fidèle, quel autre est plus sage que celui-là? Seduc me, Domine, et seducar ; fortior esto et invalesce : séduisez-moi, Seigneur, et je serai séduit ; soyez le plus fort et triomphez. » P. L., t. clxxxiv, col. 456. Que signifie cette voix de l’Ange du Grand Conseil, sinon l’appel de la grâce, retentissant dans l’intime de l'âme pour la déprendre du monde et l’attirer par ses charmes à la vie religieuse : bref, la vocation intérieure devançant de loin l’appel extérieur des supérieurs ?

Même note, sous d’autres images bibliques, dans une lettre à un certain Thomas, prévôt du chapitre de Beverlay en Angleterre, qui avait résolu d’embrasser la vie monastique à Clairvaux, mais qui différait de jour en jour : « Enfin, ô très cher, si tu veux entendre cette voix de ton Dieu, plus douce que le miel, fuis les soucis extérieurs et dis avec Samuel : « Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute. » dette voix ne résonne pas dans la foule. Elle demande le secret pour être interrogée, le secret pour être entendue. Vox hsec non sonat in joro, sed nec auditur in publico. Secrelum consilium quærit et auditum. » Epist., cvii, t. clxxxii, col. 243. Et, dans la lettre suivante, s’adressant au même, le saint cite le cas d’un postulant qui, pour avoir négligé l’appel intérieur à la vie monastique, avait fait une mort scandaleuse. Il termine par ce cri d’effroi : O terribilis in consiliis Deus super filios hominum ! Spiritum donavit quem erat denuo ablaturus. Epist., cviii, ibid., col. 250.

Enfin voici un texte on ne peut plus explicite sur l’origine divine de la vocation intérieure à la vie religieuse. Un enfant, nommé Thomas de Saint-Omer, avait été, selon l’usage du temps, offert (obtatus) à l’abbaye de Saint-Bcrtin. Parvenu à l'âge canonique, le jeune oblat avait ratifié le vœu de ses parents en optant pour la vie religieuse, mais dans l’abbaye de Clairvaux. Grande déception pour l’abbé de Saint-Bertin, qui osa s’en plaindre à Bernard lui-même. Celui-ci répondit : « Sur ce que vous m'écrivez je réponds à votre charité que : ni moi je n’ose, ni vous ne devez empêcher celui qui le veut de bien faire. Car que répondrons-nous à l’apôtre disant : « Gardez-vous d'éteindre l’Esprit ?… Oui, Thomas a été appelé non par moi, mais par Celui qui appelle le néant comme l'être. Vocattu est, inquam, Thomas non a me sed ab eo qui vocat ea quæ non sunt lanquam m ipur sunt… C’est Dieu qui agi ! dans le cœur de l’homme pour incliner sa volonté partout où il veut. Deus est qui operatur in cordibu » hominum, ad inclinandas eorum voluntates quocumqtu ooluertt. Epist.,

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Non moins fermes sont les principes de saint Bernard sur la vocation sacerdotale. Dans la 13° des Declamationes ei Bernardo, qui est adressée aux clercs et non aux religieux, il dil : Voyez votre vocation, la parole de l’Apôtre. Nous aussi, considérons

si nous sommes venus appelés et appelés par Dieu, de qui doit émaner cette vocation. Consideremus et

nos an vocati venerimus et vocali a Deo, cujus nimirum hsec vocatio est. Je ne parle pas maintenant, continue-t-il, de cette vocation qui est commune à tous les prédestinés. Il s’agit de savoir qui nous a appelés à l’honneur de la cléricature : voilà sur quoi je veux entretenir vos consciences à chacun. Quis vocaverit nos in honorem cleri convenire velim conscientias singulorum. » Il a donc bien en vue la vocation sacerdotale. Or, en quoi la fait-il consister ? Ce n’est pas uniquement dans l’appel canonique et l’ordination sacramentelle : tous ces clercs l’ont reçue. Après une description des intrigues, de l’orgueil, de l’avarice et de la débauche qui, trop souvent, souillent le sanctuaire, il s'écrie : « Qui donc, dans la recherche des ordres ecclésiastiques et du service des autels, a pour but de fuir les soucis du monde, afin de s’unir à Dieu dans la pureté du cœur et du corps et de le contempler dans la lumière ; pour but de s’adonner à la prière et à la prédication, et par là de travailler à son salut et à celui du prochain ? Ils régnent, dit Dieu, mais pas par moi, ils sont devenus chefs, mais moi, je ne les ai pas appelés. » Et il conclut en disant : « L'Épouse ne se permet pas d’entrer dans la chambre ni dans le cabinet du Boi sans son invitation : « Attirez-moi, dit-elle, attirez-moi à vous par l’odeur de « vos parfums. » Toi, tu t’y précipites irrespectueusement sans être ni appelé ni introduit. Ipsi, inquil. regnaverunt et non ex me, principes exsliterunt et ego non vocavi eos. Sponsa nec cubicutum nec ccllam ingredi nisi rege introducente præsiunil : trahe me post le, ait illa, in odorem unguentorum tuorum. Tu irreverenter irruis nec vocatus nec inlroduc’tus. » P. L.. t. clxxxiv, col. 446.

Ce texte rappelle singulièrement celui de saint Grégoire. Tous deux distinguent entre la vocation extérieure, émanant de Dieu mais par l'Église, et la vocation intérieure, condition préliminaire de l’autre et émanant de Dieu seul par sa grâce. Tous les deux juxtaposent, comme choses solidaires, l’intention droite et l’appel intérieur. Mais saint Bernard ajoute un trait qui accentue encore davantage l’irréductibilité de la vocation intérieure au simple retentissement dans l'âme de la vocation extérieure, c’est l’exemple de l'Épouse mystique. Quand est-ce que l'Épouse entend l’appel intime de l'Époux ? Ce n’est pas en franchissant le seuil de la chambre royale, c’est-à-dire en recevant l’ordination sacramentelle. C’est plus ou moins auparavant, puisque sans cet appel indispensable elle n’oserait pas se présenter.

2. Saint Thomas († 1274). — Il fut amené à parler de la vocation dans sa lutte contre Guillaume de Saint-Amour qui menait une violente campagne contre les ordres religieux, surtout contre les ordres mendiants. Voir Saint-Amour, t. xiv, col. 75(1. Ces périls des derniers temps, comme il les appelait, avaient le tort, selon lui, de vivre d’aumônes au lieu de gagner leur vie par le travail manuel comme les anciens moines, le tort de s’employer au salut des âmes par la prédication et la confession, enfin d’ouvrir des écoles de théologie : la mendicité étant immorale, le ministère et renseignement étant des usurpations sur le clergé séculier. La conclusion était : par rapport à la vie religieuse en général, on ne pouvait trop réfléchir, consulter, délibérer avant de s’engager dans un état aussi périlleux ; par rapport aux frères prêcheurs et aux mineurs, c'était exposer son salut que d’entrer chez ces précurseurs de l’Antéchrist. Thomas fut chargé par ses supérieurs de défendre ses frères. I.a lutte dura dix ans, (le 1256 à 1266. Elle valut à la théologie de la vocation trois opuscules du Docteur angélique : le Cnnlra impliquantes reltgionem, le l>c perfecttone vtttt spirttualis, le Contra retrahentes ab (ngressu in religtontm. Ce der>

nier, composé presque en même temps que les premiers feuillets de la Somme, douze ans à peine avant la mort du saint, appartient à la période de sa maturité doctrinale. Et comme, chez les dominicains (de même d’ailleurs que chez les franciscains), la règle comportait à la fois les vœux de religion et le sacerdoce pour les religieux de chœur, il s’ensuit que les conclusions de saint’1 homas dans cet opuscule valent également pour la vocation religieuse et pour la vocation sacerdotale. Or, voici les positions de l’auteur relativement à l’inspiration de la grâce dans la vocation intérieure :

a) Outre sa parole extérieure (Écriture sainte ou prédication), Dieu parle à l’âme intérieurement ; cette parole intérieure est même plus importante que l’extérieure, celle-ci tirant son efficacité de celle-là. Si donc la parole extérieure de Dieu mérite obéissance, à plus forte raison sa parole intérieure lorsqu’elle invite à entrer en religion : Si igitur voci Conditoris exterius prolatie statim obediendum esset, mulio mayis interiori locutioni, qua Spiritus Sancfus menlem immutat, resistere nullus débet sed absque dubitalione obedire. Ainsi, lorsque l’homme est poussé par 1’ « instinct » du Saint-Esprit à entrer en religion, il ne doit pas différer pour chercher encore des conseils humains, mais il doit suivre aussitôt l’impulsion de l’Esprit-Saint.

b) La vocation intérieure se voit en acte dans la vie des saints. Et Thomas de citer le passage des Confessions de saint Augustin où est racontée la vocation religieuse de deux soldats provoquée par la Vie de saint Antoine, Que la vocation soit donc intérieure ou qu’elle nous vienne de l’extérieur par l’Écriture sainte ou la prédication, il faut lui obéir sans s’attarder à des conseils superflus. Agir autrement serait résister à l’Esprit-Saint : ce qui suppose que, même dans le cas de l’Écriture sainte ou de la prédication, le Saint-Esprit exerce son action intérieure sur l’âme. Non est ergo laudabile sed magis vituperabile quod post vocationem interiorem vel exteriorem, vel verbo vel Scripturis factam, difjerre et quasi in dubiis consilium quærere… Virlulem igitur Spiritus sancti vel ignorai vel ei resistere nititur qui a Spiritu Sancto motum diuturnilate consilii detinere contenait. Saint Thomas, cela va sans dire, suppose suffisamment constatée, à l’aide du discernement des esprits, cette action du Saint-Esprit dans l’âme : Probate spiritus, si ex Deo sinl, I Joa., iv, 1.

c) Aristote lui-même nous confirme dans cette vérité quand il dit fin quodam capite Ethicorum) que ceux qui sont mus par Dieu n’ont pas besoin de conseil. Qui a Deo moventur consiliari non expedit. Honte donc à ces catholiques qui soumettent les inspirations divines aux conseils de la sagesse humaine, alors que le philosophe païen lui-même les en affranchit. Erubescat igitur qui se dicit catholieum divinitus inspiratos ad humana transmillens consilia, quibus eos philosophus elhnicus asserit non egere. Contra retrahentes, c. viii-ix.

Jusqu’ici nous avions vu les représentants de la Tradition ecclésiastique nous montrer dans la vocation intérieure l’appel de Dieu à la vie religieuse ou la condition de l’appel de l’Église au sacerdoce. Pour la première fois, nous voyons un docteur l’envisager en elle-même et l’analyser méthodiquement afin d’en montrer l’autorité divine et d’en justifier les motions.

3. Saint Bonaventure († 1274). — L’apologie dont saint Thomas fut chargé pour les prêcheurs, saint Bonaventure eut à la faire de son côté pour les mineurs. Il composa, à cet effet, plusieurs opuscules non moins topiques que ceux de saint Thomas ; mais c’est dans son Expositio in regulam fratrum minorum qu’il s’est exprimé le plus nettement sur

la vocation. Rappelons que la vocation, chez les franciscains comme chez les dominicains, a pour objet les vœux de religion et le sacerdoce réunis.

a) « Si quelques-uns, dit le texte de la règle, veulent embrasser ce genre de vie et viennent vers nos frères. » Et le commentateur d’expliquer d’abord d’où vient ce vouloir. Il ne vient ni d’une contrainte divine, ni d’un désir de la chair : il est inspiré par l’auteur de tout don céleste. Religionis enim hujus propositum, ut nullum terrenum expectari possit emolumentum, nulli necessilate imponitur, sed ab illo inspiratur de quo dicil : non potest homo accipere quidquam nisi datum fuerit ei de cselo. Ce n’est pas cependant que ce vouloir, inspiré par la grâce, soit toujours spontané : il peut avoir été provoqué par un conseil extérieur. Non hoc dicitur quasi non lieeat jratribus non venientes exhorlalionibus prævenire, cum et ipse Dominas plures ad discipulatum recipiens, plures vocali vocatione prævenire legatur, ut Andream, Petrum et similes, quidam ipsum prævenerunt se ejus consortio o/ferendo. Venientium igitur ad fratres quidam sunt a jratribus prseventi, quidam vero ipsos sua devotione prteveniunt. Il n’en reste pas moins que, essentiellement, la vocation est l’œuvre de la grâce dans l’âme.

b) Ce n’est pourtant pas que les postulants puissent pour cela exiger leur admission dans l’ordre. On les enverra aux ministres provinciaux, qui les examineront sur leur orthodoxie, leurs aptitudes, leur intention et les soumettront aux épreuves d’usage. Ne seront admis aux vœux et aux ordres sacrés que ceux qui en auront été jugés dignes par les provinciaux. Far conséquent, la vocation intérieure est soumise au contrôle de la hiérarchie, et l’appel intérieur ne vaut que par l’appel extérieur : voilà la clef de l’autorité, ecce clavis auctoritatis (Expositio in Regulam II).

c) Les paroles du Docteur séraphique trouvent une confirmation touchante dans un passage des Méditations sur la vie du Christ, dites de saint Bonaventure et qui sont l’œuvre d’un de ses disciples au siècle suivant. Au chapitre de la Vocation des apôtres, l’auteur, après avoir rappelé les circonstances extérieures de la vocation de chacun, nous invite à considérer la bonté du Christ dans sa manière de les appeler, les attirant extérieurement et intérieurement. Considéra ergo et conspice eum in prædictis vocutionibus et conversalione cum ipsis : quam afjectuose vocal eos, reddens se eis afjabilem et domesticum et obsequiosum, altrahens eos inlus et extra. Meditationes vitæ Christi, xix.

4. Saint Laurent Juslinien († 1455). — Saint Laurent Justinien, premier patriarche de Venise, fut, pendant la première moitié du xve siècle, l’un des plus ardents zélateurs de la sanctification du clergé. Voir Laurent Justinien, t. ix, col. 9. Religieux d’une oraison éminente, pontife passionné pour la réforme de ses prêtres, il composa divers traités tant sur la perfection monastique que sur la sainteté sacerdotale, où il est amené à toucher la question de la vocation.

Dans le De compunctione ei complanctu christianæ perfectionis, après un tableau des mœurs lamentables du clergé, le saint réformateur se demande quelle est la cause de cette décadence. Il répond : « C’est que ces prêtres ne sont pas appelés par le Christ ; s’ils recherchent les prélatures, s’ils les achètent à prix d’argent, c’est qu’ils ne sont pas de ceux à qui le Christ a dit : Suis-moi. »

Nec mirum. Non enim in ovile, intrant per januani, sed aliunde tanquam fures. Quomodo aliunde ? Janua humilis est, ostium Christus est. Non ingrediuntur per Christiini neque vocantur a Christo. Vocatus est a Christo illecni dictum est : Sequere me. Hic sequutus est Christum quoniam vocatus est a Christo. Qui autem non sequuntur

Christum, quomodo vocantur a Christo ? Non vocantur, sed permittuntur. Quoniam vero non vocantur a Christo, ideo tam anxie prælationes quærunt, dignitates ambiunt, offerunt munera, adhèrent potentibus, et quod nequeunt virtute consequi pretio acqnirunt et prece. Indecorum arbitrantur sectari humilitatem Christi, qui, ut ait Apostolus, non stbi vindicavit honorem ut Pontifex fieret sed qui vocavit eum dicens : « Tu es sacerdos in jeternum secundum ordinem Melchisedech. » Nolunt vocari a Deo sed ab hominibus, et utinarn vocarentur ! Infulas appetunt, vocari domini congaudent, et quod divinum est o quam sœpe arrogant sibi ! Op. cit., Ie part., vers le dernier tiers.

Ce texte, malgré son ampleur, n’apporte, il est vrai, aucune idée nouvelle : il ne fait que confirmer les précédentes. Comme saint Grégoire, Laurent Justinien distingue dans l’appel extérieur par l’Église au sacerdoce une double vocation de Dieu : l’une positive et de bénédiction, qui consacre les sujets dignes ; l’autre simplement permissive et de tolérance, qui habilite les indignes mais en les réprouvant. Il maintient de même l’équivalence et la solidarité entre l’intention droite et la vocation intérieure. Pourquoi ces mauvais prêtres ne suivent-ils pas le Christ ? Parce qu’ils ne sont pas appelés par le Christ. Mais ce texte, répétition amplifiée des précédents, suggère une remarque. C’est que de ces deux termes : l’un, actif : l’intention droite ; l’autre, passif : la vocation intérieure, le second est de plus en plus mis en lumière. Or, il n’est pas sans intérêt de constater que la vocation intérieure prend ainsi de plus en plus de place dans la mystique du sacerdoce.

Saint Laurent Justinicn nous parle aussi de la vocation religieuse. Dans son Liber de obedienlia, comparant la vocation à la vie chrétienne et la vocation à la vie religieuse, il dit : « La première est commune, la seconde est très spéciale ; l’une impose l’observation des commandements si l’on veut entrer dans la vie éternelle, l’autre conseille de vendre tous ses biens et d’en donner le prix aux pauvres si l’on veut être parfait… Mais cela, ô doux Sauveur, on n’entreprendrait jamais de le faire si l’on n’y était intérieurement appelé et attiré par vous. Voilà ce qui fait que, de sa propre volonté, on prend le joug si suave de la sainte vie religieuse et de sa perpétuelle servitude. Hoc autem, o pie Salvalor, nequaquam actilare prsesumerent nisi inlrorsus vocarentur et traherentur a te. » Liber de obedienlia, xvi. Ici encore, ce qui paraît le plus remarquable, ce n’est pas tant l’idée même de vocation intérieure : nous y sommes habitués ; c’est la prédominance que prend cette idée sur celle d’intention droite.

5. Thomas a Kempis († 1471). — Une des idées les plus familières au pieux auteur de l’Imitation est celle de la vocation à la vie religieuse.

Qu’il épanche son âme devant Dieu : ainsi dans son opuscule du Soliloque ; qu’il instruise les novices dont il fut le maître, ou exhorte les religieux dont il fut le sous-prieur : ainsi flans ses Conférences ; qu’il raconte l’histoire édifiante de ses amis ou contemporains, ou qu’il écrive des lettres spirituelles, toujours il revient à la grâce de la vocation religieuse. Et c’est autant pour remercier Dieu de son appel intime à quitter le monde que pour exciter l’Ame à poursuivre la perfection. Il serait fastidieux de citer tous ces textes, qui répètent la même idée. En voici un qui peut les remplacer tous. On y verra comment, pour Thomas a Kempis, l’entrée en religion est la réponse de l’âme aux prévenance ! de la grâce et à l’action intime du Saint-Esprit sur la volonté.

In me hsec considéra, qui contemptlbilis et inutllii hule mundo, tua sancta vocatione ereptus mm de ipsins naufragio, et ad serviendnm tibi Hiam tuo merul lOClart

collegio… Quod utique non meis meritis sed tu* deputo providentiae. De quo te magnifiée laudo et benedico, qui dignatus es me vocare per gratiam. dans mihi voluntatem tamen bonam et abjiciens a me peccatorum sarcinam. Nam et suavi jugo me subjecisti, emolliens mentem meam unctione Spiritus tui, quam mundus nescit, nec videt, nec sapit… Sentio quod non omnibus datur sed quibus paratum est a Pâtre, quia non est volentis neque currentis sed miserentis Dei. Solilor/iiium (inimæ, xxv, 11.

De la vocation sacerdotale, Thomas n’a guère eu l’occasion de parler, l’institut des Frères de la vie commune ne comportant le sacerdoce que pour le père spirituel : on n’en trouve dans ses écrits que quelques mots sans importance. Mais tout ce qu’il dit de la vocation religieuse montre combien pour lui, comme pour ses contemporains, l’idée de vocation intérieure tient de place dans la vie spirituelle.

6. Les Exercices spirituels de saint Ignace († 1556).

— En 1548, par lettres apostoliques de Paul III, était approuvé, loué et recommandé, quant aux enseignements et aux méthodes y contenus (documenta et exercitia) dans son ensemble et dans ses détails (quoad omnia et singula) le petit livre des Exercices spirituels de saint Ignace. On sait l’autorité et la faveur croissante de ce manuel de retraite, que Pie XI proclamait sans rival en son genre dans l’encyclique Mens nostra.

a) L’idée de la vocation y occupe une place centrale. Car le but des Exercices est justement d’aider le retraitant à trouver la volonté de Dieu sur son âme, c’est-à-dire sa vocation, et à ordonner toute sa vie à la réalisation de cette divine volonté. De là une manière nouvelle, à la fois théorique et pratique, d’envisager la vocation sacerdotale et religieuse. Elle se réduit aux points suivants :

Il convient de rechercher la volonté de Dieu sur l’état de vie à choisir : mariage, sacerdoce, profession religieuse : Opportunum erit nos vestigare et efflagilare proprium vitæ genus in quo Majestati suæ nos servire malit. ( Præludium de diversis vitæ generibus). — Cette volonté est une vocation divine, qui se traduit en une élection bien faite : Electio non videtur esse vocatio divina (quæ) sit inordinata et obliqua, omnis vocatio divina est semper pura et munda sine admixtione carnis neque alterius cujusdam afjectionis inordinuhr. Introd. ad eligendar. rerum notitiam. — L’élection sera l’expression de la vocation divine si elle se fait : ou par une lumière miraculeuse, ou par des attraits portant la marque du bon esprit, ou par des raisonnements conformes à la prudence surnaturelle. De Iriplici tempore ad eleclionem. — L’affaire de l’élection doit se traiter entre Dieu et l’âme sans aucune ingérence humaine : Consisteras (instruclor) in medio ad instar bilancis sinal Creatorem cum creatura et creaturam cum suo Crealore ac Domino operari. Annot. 15.

b) Étant donné le but des Exercices, saint Ignace n’avait pas à s’occuper directement de la vocation extérieure. Il en touche cependant un mot. C’est pour dire que, au cas où l’on se serait engagé dans le sacerdoce pour des motifs indignes, comme l’intérêt ou l’ambition, et par conséquent sans une vraie vocation divine, il ne convient pas d’en résilier les fonctions, mais qu’il faut implorer la miséricorde de Dieu et. avec le secours de sa grâce, s’efforcer de bien remplir les devoirs que l’on a assumés.

(.’est de la vocation intérieure qu’il traite principalement. Il l’envisage d’abord par le côté humain et actif, c’est-à-dire comme l’acte psychologique et moral de choisir un étal de Vie ; et sons cet aspect, il l’appelle élection. Mais il la considère aussi par le côté divin et passif, c’est à dire comme 1e concours de la grâce prévenante à ce choix ; et sous ici aspect

il l’appelle « vocation divine ». Toutefois, ce n’est pas en cela que consiste la note personnelle d’Ignace dans la question. Elle consiste en la méthode, à la fois mystique et surnaturellement rationnelle, établie par lui pour bien faire l’élection, c’est-à-dire pour trouver la volonté de Dieu, objet de la vocation intérieure.’En dehors d’un cas miraculeux comme celui de saint Paul sur le chemin de Damas, qui rendrait toute recherche superflue, voici les principes directifs de cette méthode :

Au préalable, pour me mettre dans les conditions les plus favorables à cette élection, je m’efforcerai, par la prière et la pénitence, de me dégager de toutes les inclinations ou affections désordonnées qui pourraient influencer mon choix, et d’attirer sur mon âme les lumières et les motions du Saint-Esprit. — Puis, je me placerai en face du but de ma vie, qui est de glorifier Dieu et de sauver mon âme, et je me demanderai quel est le meilleur moyen pour moi d’atteindre ce but : si c’est de rester bon chrétien dans le monde, ou de solliciter le sacerdoce, ou d’embrasser la vie religieuse. — Alors, tout en faisant les méditations appropriées, j’observerai avec soin à quel parti je me sens porté avec paix de la conscience, humilité sincère, joie spirituelle, c’est-à-dire par l’Esprit de Dieu ; à quel parti je me sens poussé avec remords de la conscience, orgueil secret, trouble et tristesse, c’est-à-dire par l’esprit du mal. Souvent il résulte de là une indication précieuse qui, chez les âmes très pures, peut même être suffisante ; c’est le procédé d’inspiration. Parfois aussi il n’en sort rien du tout, l’âme n’éprouvant aucune motion dans un sens ni dans l’autre. Pour plus ample information dans le premier cas, de toute nécessité dans le second, on recourt alors au procédé rationnel. Ainsi :

Raisonnant selon les principes de la foi, je pèserai soigneusement, du point de vue de la gloire de Dieu et de mon salut, les avantages et les inconvénients de chaque parti, et je verrai de quel côté penche la balance. — De plus, supposant qu’un inconnu soit à ma place et me demande conseil, je considérerai ce que je lui répondrais et je m’appliquerai cette réponse à moi-même. — Enfin je me transporterai en esprit à l’heure de ma mort et je me demanderai ce que je préférerais alors avoir fait aujourd’hui. C’est cela que je choisirai. — L’élection conclue, le retraitant la présentera à Dieu dans une prière fervente, le suppliant de la confirmer si elle lui est agréable. Et, s’il se sent dans la paix, dans la confiance et dans la joie spirituelle, il pourra considérer son élection comme définitive. Il a trouvé sa vocation.

c) Le directeur a son rôle dans la recherche de la vocation ; mais il doit éviter de se substituer au Saint-Esprit auprès de son dirigé Pour cela, il aidera celui-ci à se placer dans les meilleures conditions de pureté d’intention et de générosité pour obtenir les lumières de la grâce ; mais il se gardera soigneusement d’influencer sa décision en lui conseillant soit de rester dans le monde, soit d’entrer dans l’état ecclésiastique ou dans la vie religieuse. Qu’il dispose le retraitant à bien faire son élection ; mais le moment venu, qu’il « laisse le Créateur traiter avec sa créature et la créature avec son Créateur ».

En résumé, pour l’auteur des Exercices, l’idée de vocation intérieure n’est plus seulement une idée prédominante : c’est l’axe sur lequel sera centrée toute l’organisation de la vie spirituelle dans sa marche vers la gloire de Dieu et le salut de l’âme.

7. Le concile de Trente et le Catéchisme romain. — Nous voici enfin au concile de Trente, qui clôt la période scolastique et ouvre l’ère moderne. Les nova teurs niaient le sacrement de l’ordre et ne voulaient voir dans le sacerdoce que la mission de prêcher, donnée au prédicant par le peuple ou le pouvoir civil. Contre eux, le concile définit : non seulement que l’ordre est un vrai sacrement, mais encore que les évêques ont seuls le pouvoir d’y appeler et de le conférer, et cela sans la participation ou le consentement soit du peuple, soit de l’autorité séculière. Sess. xxiii, can. 3, 7. Et le Catéchisme romain, fidèle écho du concile, en résume la pensée dans cette phrase : Vocari a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ minislris vocantur. Part. IIP, De ordine, 3.

8. Conclusion.

On voit le chemin parcouru à partir des textes scripturaires. Deux mots peuvent le mesurer : a) La vocation intérieure, tout entière surgie de l’intention droite, est devenue successivement l’invitation intime de Dieu au sacerdoce ou à la vie religieuse, la condition dominante de la sainteté sacerdotale, l’axe central de la vie spirituelle. — b) La vocation extérieure est désormais dogmatiquement définie comme la consécration par l’Église de l’appel divin au sacerdoce.

3° La doctrine de la vocation depuis le concile de Trente. — Le vaste mouvement de réforme qui suivit le concile de Trente ne pouvait négliger la question de la vocation sacerdotale ou religieuse. C’est même sur cette idée que les éducateurs du clergé fondèrent en grande partie leur système de pédagogie spirituelle.

1. Dans la Compagnie de Jésus.

Dans la Compagnie de Jésus le meilleur témoin en est le Directoire des Exercices de saint Ignace. Composé dès la mort du fondateur (1556) par les plus doctes de ses disciples, soumis pendant quarante ans aux suggestions de l’expérience, fixé enfin dans sa forme définitive en 1599 par une commission de théologiens, ce commentaire officiel des Exercices ne consacre pas moins de 13 chapitres sur 40 à la question de la vocation,

D’après le Directoire, comme d’après les Exercices, la première condition pour sanctifier notre vie, c’est de la vivre dans l’état, mariage, profession religieuse, sacerdoce, où la volonté de Dieu nous appelle : ce qui suppose la vocation intérieure. — On peut trouver cette vocation : quelquefois par les seules touches intérieures de la grâce, soumises aux règles du discernement des esprits ; toujours par la raison éclairée des lumières de la foi. — Moyen très efficace de se sanctifier, l’acquiescement à sa vocation n’est cependant pas une telle condition de salut qu’on soit moralement perdu en dehors d’elle.

Mais pour être mis dans tout leur jour, ces trois points de la doctrine jésuite sur la vocation appellent une triple remarque. Elle n’est pas inutile pour bien différencier cette doctrine des tendances qui vont fausser plus ou moins le concept de vocation divine dans certains milieux aux xviie et xviiie siècles. Donc :

a) Vocation à un état de vie ne signifie pas nécessairement que Dieu nous prédestine à cet état de vie, mais qu’au moins apparemment il nous y appelle. Comme le remarque Suarez, De relig., tract. VII, t. V, c. viii, n. 3, Dieu inspire souvent des désirs dont il ne veut pas permettre la réalisation. Si sa volonté alors n’est pas que notre désir se réalise, elle est cependant que nous cherchions à le réaliser : et cela suffit pour notre sanctification, car notre mérite est le même. De fait, quand Dieu commanda à Abraham de lui immoler son fils, il l’appelait bien à lui faire ce sacrifice, il lui en inspira même la résolution, et cependant il se réservait de l’en empêcher. Ainsi bien des jeunes gens, après s’être crus, dans une retraite d’élection, appelés au sacerdoce ou à la vie religieuse, n’y parviennent jamais, empêchés par

la mort ou par d’autres obstacles. En faut-il’conclure qu’ils n’y étaient pas appelés et que la recherche de la vocation est illusoire ? Non. II se peut qu’ils y fussent appelés sans y être prédestinés. En voyant dans le choix du sacerdoce ou de la vie religieuse une vocation intérieure de la grâce, on n’a pas la présomption de pénétrer dans les conseils secrets de Dieu pour y découvrir ses desseins réels sur l’âme. On juge simplement et provisoirement de sa volonté apparente sur elle : ce qui est un acte très sage de la prudence chrétienne au moment d’orienter sa vie. Rien donc en cela d’une recherche prédestinationniste.

b) Pour trouver sa vocation, il peut suffire quelquefois des inspirations intérieures de la grâce avec le contrôle du discernement" des esprits : c’est le 2e mode d’élection. Mais ces cas sont le petit nombre ; et comme ils ne sont pas faciles à contrôler directement, dans la pratique on les soumettra toujours, pour plus de sûreté, aux lumières de la raison surnaturelle, c’est-à-dire au 3e mode d’élection. Celui-ci sera le seul employé dans la généralité des cas. La recherche de la vocation dans la doctrine ignacienne n’est donc pas fondée principalement sur les attraits sentis de la grâce, mais sur la délibération chrétienne. Ces attraits certes n’y sont ni ignorés, ni méconnus : on les estime très significatifs. Mais on ne verrait que bien exceptionnellement en eux le signe décisif de l’appel divin. Loin de se décider uniquement par ces sortes de motions senties, comme le voulaient les quiétistes sous prétexte que l’activité humaine était impure et qu’il ne fallait pas devancer la grâce, on les remplace quand elles ne se font pas sentir et on les contrôle quand elles se font sentir par les conseils de la prudence chrétienne. Donc en cela point de quiétisme.

c) Si de refuser la vocation clairement reconnue est un acte extrêmement regrettable de pusillanimité et d’imprudence, la doctrine ignacienne n’y voit pourtant pas un malheur sans remède ni surtout un signe funeste de damnation assurée. Pas davantage dans le fait d’avoir brigué le sacerdoce ou de s’être engagé dans la vie religieuse sans vocation. Elle enseigne, au contraire, à réparer cette faute par le repentir, en comptant sur la grâce de Dieu pour se sanctifier par les préceptes ou pour satisfaire aux exigences d’un état auquel on n’était pas appelé. En cela, par conséquent, rien de la désespérance janséniste.

Ajoutons enfin que, selon la doctrine ignacienne, la vocation intérieure au sacerdoce ou à la vie religieuse, pour bien fondée qu’elle parût, n’a jamais constitué un droit à l’ordination ou à la profession. Ce n’est qu’un titre prudentiel à les solliciter.

2. Chez saint François de Sales († 1622). — Saint François de Sales, dans son Traité de l’amour de Dieu, n’a eu garde d’oublier la vocation intérieure : il en traite à la suite des inspirations. Ses idées sont très nettement celles de saint Thomas dans le Contra retrahentes et de saint Ignace dans les Exercices.

Le grand saint Thomas, dit-il, est d’opinion qu’il .n’est pas expédient de beaucoup consulter et longuement délibérer sur l’inclination que l’on a d’entrer en une bonne <t bien formée religion ; et il a raison : car la religion étant conseillée par Notre-Seigneur en l’Évangile, qu’est-il besoin rie beaucoup de consultations ? Il SUffîi d’en faire une bonne avec quelque peu de personnes qui soient bien

prudentes et capables de telle affaire, et qui nous puissent

aider B prendre une courte et solide résolution. Mais des que nous avons délibéré et résolu, et en ce sujet et en tout

autre qui regarde le service de Dieu, il faut être rennes

et invariables sans M laisser nullement ébranler par aucune sorte d’apparence de plus grand bien… Qu’un chacun doue..i.ml trouvé la très suinte volonté do Dieu en SB

vocation, demeure saintement et amoureusement en icelle. Op. cit., I. VIII, c. XI.

C’est par ce dernier trait que François de Sales se révèle ignacien, comme il s’est, plus haut, déclaré thomiste sur le point de la délibération. La vocation, ou appel de Dieu, n’est pas à chercher dans ses décrets éternels, opération bien présomptueuse ; mais dans les signes de sa volonté sur nous, chose beaucoup plus facile et pratiquement suffisante. Et une fois reconnue cette volonté apparente de Dieu, centrer sur elle toute notre vie. On voit l’importance que le saint docteur français, comme tous les modernes, donne à l’idée de vocation et de quelle manière il l’entend.

3. Dans la Compagnie de Saint-Sulpice.

La Compagnie de Saint-Sulpice mit particulièrement en relief, dans la vocation sacerdotale, la valeur de 1’ « attrait ». On entendait par là une inclination surnaturelle, spontanée et constante, pour les fonctions ecclésiastiques, c’est-à-dire pour la prière liturgique, les cérémonies du culte, le soin des âmes. Une telle inclination, s’ajoutant aux aptitudes et à l’intention droite, est évidemment l’un des meilleurs signes de vocation et un solide gage de persévérance. Rien de plus conforme d’ailleurs aux lois harmonieuses de la Providence, qui incline ordinairement les goûts de l’homme vers le genre de travail pour lequel il est le mieux doué. Et bien des prêtres, sans doute, attribueraient à cette secrète attirance leur préorientation vers le sanctuaire. Cependant, l’attrait n’est pas indispensable : il peut être suppléé, et il l’est souvent, avec le secours de la grâce, par une foi vive et une volonté généreuse. Mais l’école sulpicienne ne l’ignore pas : à côté des vocations d’attrait surnaturel elle a toujours admis les vocations de raison surnaturelle.

4. Chez saint Alphonse de Liguori († 1787). — Il n’attache pas moins d’importance que tous ses contemporains à l’idée de vocation. Il ne dit rien rie l’attrait ; mais il voit dans l’intention droite unie aux aptitudes un appel intime de Dieu à l’âme. Sur le devoir de suivre cet appel, une fois bien constaté, il est fort pressant. Si en soi, estime-t-il, une simple invitation laisse libre, cependant en fait, à cause des circonstances et des difficultés ultérieures, il y a rarement absence de péché véniel à la négliger, il pourra même y avoir péché mortel. Quant au fait de s’être ingéré dans le sacerdoce sans vocation, il y voit un très réel danger pour le salut éternel. T licol. mor., De ordine, a. 8(12, 803.

5. Dans les milieux plus ou moins jansénisants. La doctrine de la vocation y fut plus ou moins déformée, aux xvii* et xviif siècles, par le mysticisme inquiétant des idées ambiantes.

Sous l’influence des idées prédestinationnisles. on était porté à identifier vocation sacerdotale et prédestination au sacerdoce. On préjugeait ainsi, sur ries apparences facilement trompeuses, des décrets éternels de Dieu. Et comment expliquer alors l’échec de certaines vocations, qui avaient présenté tous les caractères d’un véritable appel de Dieu et donc d’une réelle prédestination au sacerdoce ?

On exagérait, peut-être sous l’influence incons ciente des irlécs quiétistes, le rôle de l’attrait. Parce que, disait-on, la nature était foncièrement corrompue el toutes ses Initiatives viciées, il ne fallait agir rpie sous la motion sentie de la grâce. Pour connaître la volonté de Dieu on ne devait donc pas user du

raisonnement, Initiative humaine ; on devait attendre l’attrait divin, par conséquent, il n’y avait qu’un moyen « le Juger si l’on était appelé au sacecdooa ou à

la x it-religieuse, c’était de voir si l’on s’y sentait porlé instamment et persév éramnient par les Invites

du Saint-Esprit C’était substituer universellement l’inspiration mystique à la délibération chrétienne.

Sous l’influence enfin des idées rigoristes, on considérait comme voué à une réprobation à peu près inévitable et quasi fatale soit le lâche qui s’était dérobé à sa vocation, soit l’intrus qui s’était ingéré dans le sacerdoce ou la vie religieuse sans vocation. La raison alléguée était qu’en dehors de la situation préparée à chacun par Dieu on était en butte aux tentations les plus redoutables sans pouvoir espérer les grâces nécessaires pour les surmonter.

De ces tendances, plus ou moins sensibles chez plusieurs théologiens et auteurs spirituels de l’époque, on peut voir l’assemblage systématique dans Massillon. Il en a fait l’âme de ses trois discours sur la vocation à l’étal ecclésiastique.