Dictionnaire de théologie catholique/VITAL (PRINCIPE)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 785-786).

VITAL (PRINCIPE). — La question du principe vital dans l’homme peut paraître, au premier abord, d’ordre purement philosophique et physiologique. Elle présente cependant un aspect formellement théologique qui lui donne droit de cité dans ce dictionnaire. La solution catholique a déjà été donnée à l’art. Forme du corps humain, t. vi, col. 559 sq. On se contentera donc ici de rappeler comment, en face de systèmes plus ou moins entachés d’erreur, l’Église a été amenée à intervenir.
I. Systèmes erronés.
II. Intervention de l’Église.

I. Systèmes erronés.

Notre vie n’est pas seulement une vie intellectuelle ; elle est aussi une vie animale. On s’est demandé si la vie animale dans l’homme doit s’expliquer par l’âme-spirituelle qui serait le principe unique et de la vie intellectuelle et de la vie animale, ou par un principe distinct de l’âme spirituelle.

Trois systèmes principaux marquent les tendances des philosophes dans la solution de ce problème ; mais seul le troisième est accepté par l’Église. Les deux autres sont plus ou moins entachées d’erreur.

Solution mécaniciste ou même matérialiste.

D’une façon générale, on entend par mécanicisme la doctrine qui prétend trouver dans les éléments du corps lui-même l’explication de la vie. Ce système revêt toutefois deux formes assez différentes, l’une n’excluant pas l’âme spirituelle, l’autre nettement matérialiste.

1. La formule cartésienne.

Au xviie siècle, Descartes, en opposant la pensée (âme) à l’étendue (corps), réduisait la vie du corps à n’être qu’un simple mouvement mécanique : le corps vivant se distinguerait du corps inorganique uniquement par l’arrangement des parties qui le composent et les mouvements qui en résultent : « On a cru sans raison que notre chaleur naturelle et tous les mouvements de notre corps dépendent de l’âme… Le corps d’un homme vivant diffère autant de celui d’un homme mort, que fait une montre ou autre automate lorsqu’elle est montée et qu’elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre ou machine, lorsqu’elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d’agir. » Passions de l’âme, a. 5 et 6. Ainsi l’animal est un pur automate, machine admirablement construite, dont les ressorts produisent tout ce que nous admirons en lui : l’araignée est une machine à tisser, la taupe une pelle à fouir. L’homme lui-même, dans sa vie corporelle, est réductible à un pantin mécanique. Ainsi faut-il faire rentrer dans le lot des mouvements mécaniques « le battement du cœur, la digestion des vivants, la nutrition, la respiration de ceux qui dorment et même de ceux qui sont éveillez, le marcher, chanter, et autres actions semblables quand elles sont sans que l’esprit y pense. » Réponse aux quatrièmes objections, éd. Adam et Tannery, t. vii, p. 220. Voir ici Descartes, t. iv, col. 557.

Les cartésiens, notamment Malebranche, ont suivi Descartes dans cette explication de la vie animale. Cf. Janet et Séailles, Hist. de la philosophie, 14e éd., Paris, 1928, p. 52. Pour Malebranche en particulier, la douleur est la conséquence du péché originel. Les animaux ne souffrent donc pas, puisqu’ils n’ont pas péché. Donc, ils n’ont pas de sensibilité, à moins qu’on n’admette qu’ils aient « mangé du foin défendu ». Cf. Recherche de la vérité, t. V, c. m ; Janet et Séailles, loc. cit.

2. La formule matérialiste.

Aujourd’hui, sous l’influence de la philosophie matérialiste et du développement pris par la chimie organique, le mécanisme a évolué vers une formule nouvelle et, au point de vue religieux, extrêmement dangereuse. C’est l’évolution de la matière qui aboutirait progressivement à donner la vie. On appelle cette doctrine : l’autobiogénèse. La vie serait née de la matière inanimée grâce à un heureux concours de matériaux et de forces exceptionnelles, et peu à peu elle se serait différenciée et perfectionnée. C’est l’évolutionnisme de Spencer et de Hœckel, la génération spontanée de Wirchow et de Vogt. Voir Matérialisme, t. x, col. 316 sq. Bergson a protesté contre une interprétation similaire donnée à 1’ « évolution créatrice » qui est à la base de sa métaphysique. Voir Lettres au P. de Tonquédec, dans Éludes, 1912, t. i, p. 515.

3. Appréciation.

Ces théories se heurtent aux faits. Jamais le mouvement mécanique, jamais les combinaisons chimiques, même les plus savantes, n’ont pu produire un être vivant. Même si l’on pouvait provoquer quelques phénomènes élémentaires constatés dans l’être vivant, on serait toujours dans l’impossibilité d’expliquer le fait vivant lui-même, c’est-à-dire la formation de l’individu d’après un type préconçu, son développement dans un sens déterminé, l’organisation de tout son être et de tous ses éléments vers un but identique, qui est son évolution vitale. Si un être vivant pouvait sortir un jour de réactions chimiques, le problème du principe métaphysique de la vie resterait tout entier et sa solution religieuse n’en serait pas atteinte. Cf. P. -M. Périer, Le transformisme, l’origine de l’homme et le dogme catholique, Paris, 1938, p. 107. L’Église a d’ailleurs expressément condamné la doctrine matérialiste. Déjà le Syllabus de Pie IX cite le matérialisme comme une erreur condamnable (prop. 1). Denz.-Bannw., n. 1701. Le concile du Vatican l’a anathématisée comme une hérésie. Const. De flde catholica, can. 2, ibid., n. 1802. Voir Matérialisme, col. 334.

Solution vitaliste.

1. Exposé.

Pour avoir une solution satisfaisante du problème métaphysique de la vie, il faut donc accepter un principe vital distinct de la matière et de ses mouvements. D’où le nom de vitalisme donné à la théorie qui enseigne l’existence d’un tel principe. Le principe vital donne à tout être vivant une activité immanente, d’après un type invariable et des lois immuablement fixes. Cette doctrine du vitalisme s’applique au corps des animaux aussi bien qu’à celui de l’homme. C’est ainsi qu’en un sens très véritable on peut parler de 1’ « âme » des animaux : âme inférieure sans doute, mais principe simple et vital. En ce qui concerne les animaux inférieurs à l’homme, aucune hésitation n’est possible : cette âme inférieure est leur principe vital. Elle leur est transmise par la voie de la génération. Voir Traducianisme, col. 1358. Mais l’homme possède une âme spirituelle et immortelle. Pour lui donc se pose nécessairement une nouvelle question : son principe vital sera-t-il un principe distinct de l’âme intellectuelle, une sorte d’âme inférieure, ou bien doit-on identifier l’âme spirituelle et le principe vital ? Faut-il parler d’un vitalisme pur et simple ou d’un vitalisme-ani’nii’sme ?

2. Appréciation.

Au point de vue philosophique, le problème n’est peut-être pas susceptible d’une solution indiscutable. Cependant la doctrine qui tient pour l’identité, dans l’homme, du principe vital et de l’âme spirituelle et qu’on appelle pour cette raison l’animisme, semble s’appuyer sur d’excellentes indications :
1° L’unité de conscience de tous les phénomènes d’ordre biologique aussi bien que d’ordre psychologique ;
2° La psychologie de la connaissance,

qui montre les rapports intimes entre la perception sensible, phénomène de la vie animale, et la pensée, phénomène de la vie intellectuelle ; 3° 1.’unité ontologique du composé humain, âme et corps, qui ne semble pas pouvoir admettre de principe intermédiaire entre l’une et l’autre ; 4° Les influences réciproques du physique et du mental, qui marquent l’étroite relation entre la vie spirituelle et la vie animale. Mais, en l’absence d’une déclaration formelle de l’Église, on pourrait se demander jusqu’à quel point l’hypothèse d’un principe vital distinct, dans l’homme, de l’âme intelligente, serait contraire à la doctrine catholique. La controverse ne pouvait donc être dirimée que sur le terrain religieux.

II. Intervention de l’Église.

La controverse au point de vue religieux. - —

Au point de vue religieux, une controverse touchant le principe vital dans l’homme s’est manifestée dès le début du christianisme. On a vu à l’art. Ame, t. i, col. 979 sq., combien la pensée des premiers Pères, notamment de Tatien, d’Irénée, de Tertullien, de Clément d’Alexandrie, d’Origène, est difficile à interpréter quant à la distinction qu’elle semble apporter entre l’âme spirituelle et l’âme corporelle.

1. C’est contre Apollinaire et l’apollinarisme que les Pères du ive siècle ont dû prendre position. Jésus-Christ possède une humanité parfaite ; il est Dieu parfait et homme parfait. Voir Hypostatique (Union), t. vii, col. 469 sq. Or, au dernier temps tout au moins de son évolution philosophique, Apollinaire distinguait dans l’homme le principe de la vie animale, l’âme (<>>yj]), et le principe de la vie intellectuelle, l’esprit (voùç) ; la divinité n’aurait pris, en Jésus, que la place du voùç. En combattant cette erreur, l’Église paraissait déjà bien affirmer qu’elle rejette la distinction d’un « esprit », principe de vie intellectuelle, et d’une « âme », principe de vie animale dans la nature humaine.

2. Au Moyen Age (concile de Vienne, 1312), l’Église condamna le système du franciscain Pierre Olieu, qui distinguait dans l’âme deux parties, la partie intellective et la partie sensitive, cette dernière seule étant unie au corps comme la forme l’est à la matière. Ce qui, en somme, était l’ancienne erreur apollinariste reproduite sous une forme nouvelle. Le concile de Vienne définit comme un dogme de foi que « l’âme rationnelle et intelligente est par elle-même et essentiellement la forme du corps humain. » Denz.-Bannw. , n. 480. Plus exactement le concile parle de l’âme intellective par opposition à l’âme sensitive qu’Olieu représentait comme étant le principe de la vie. Voir Forme du corps humain, col. 546 ; Olieu, t. xi, col. 986 sq.

3. Condamnée, l’erreur d’Olieu ne fut pas longtemps abandonnée. Elle survécut en divers systèmes, mais plutôt dans le monde des médecins et des philosophes. Voir les indications bibliographiques et historiques à Forme du coups humain, t. vi, col. 559 sq.

Ici nous rejoignons Descartes. L’opposition marquée par ce philosophe entre la pensée et l’étendue, c’est-à-dire entre l’âme spirituelle et le corps, l’incitait logiquement à considérer le principe vital comme distinct de l’âme. On a vu plus haut qu’il le réduisait même à un pur mécanisme. Toutefois, parce qu’il est impossible de nier l’action vitale de l’âme sur le corps, Descartes conçoit que l’âme, dont le siège est plus particulièrement dans la petite glande pinéale, reçoit les impressions du corps et transmet elle-même ses impulsions par [’intermédiaire des t esprits animaux » élaborés au cœur. Hypothèse bien fragile et aujourd’hui délaissée.

4. Revenant aux anciennes conceptions trichotomistes, des savants comme Cudworth, Buflon affirmèrent l’existence d’un principe vital distinct, dans l’homme, du principe spirituel. Ce système a trouvé bon accueil dans l’école de médecine de Montpellier avec Barthez et ses disciples (xviir 2 et xixe siècles). Il s’appellera désormais le vitalisme pour le distinguer de l’animisme qui fait de l’âme spirituelle le principe vital du corps humain. Voir les indications bibliographiques et historiques à Forme du corps humain, col. 561.

Intervention de l’Église.

Tant que la question ne fut pas portée sur le terrain théologique, l’Église s’est tue et en est restée aux décisions du concile de Vienne renouvelées au Ve concile du Latran. Mais, au xixe siècle, des théologiens allemands reprirent l’ancienne distinction apollinariste de l’âme, Seele, et de l’esprit, Geist, affirmant que l’âme seule est, dans l’homme, le principe de la vie. Au point de vue de l’union hypostatique et de la valeur méritoire des passions sensibles du Christ, la position présentait des dangers similaires à ceux de l’apollinarisme. Aussi cette doctrine fut-elle condamnée par Pie IX, à deux reprises : d’abord le 15 juin 1857, dans une lettre au cardinal-archevêque de Cologne, puis, plus expressément, le 30 avril 1860, dans une lettre à l’évêque de Brestau. Voir les documents à Forme du corps humain, col. 562-563. Le vitalisme, appliqué à l’homme, doit être considéré comme une erreur dans la foi et l’animisme comme une certitude théologique.

Importance pratique de la solution intervenue.

Pratiquement (quelles que soient les discussions théoriques encore possibles), il faut accepter que l’époque de l’apparition de la vie dans l’embryon humain coïncide avec celle de son animation par l’âme intelligente et spirituelle. C’est dès le premier instant de la conception que se produit cette animation. D’où :

1. Au point de vue légal.

On entrevoit les conséquences importantes en ce qui concerne le délai requis, après la mort du père, pour que l’enfant puisse être réputé légitime et capable d’hériter.

2. Au point de vue moral.

Tout attentat contre l’être humain qui se trouve déjà dans le moindre embryon doit être considéré comme un homicide véritable. L’Église condamne toute tentative directe d’avortement et prononce contre tous ceux qui y coopèrent, sans en excepter la mère, la peine de l’excommunication réservée à l’évêque. Can. 2350, § 1.

3. Au point de vue surnaturel.

Tout embryon, possédant déjà une âme spirituelle, doit recevoir le baptême si, d’une façon ou d’une autre, il vient à être mis au jour avant le temps : « Il faut veiller à ce que tous les fétus nés avant terme, à quelque époque que ce soit, soient baptisés absolument, s’ils vivent certainement ; si l’on doute qu’ils vivent, on les baptisera sous condition ». (".an. 747.

Cet aperçu général de la question du principe vital est extrait en grande partie de mon manuel : Leçons élémentaires de métaphysique chrétienne, Paris, 1938, p. 41-46. Il constitue, semble-t-il, une introduction utile à l’étude plus documentée, insérée dans l’art. Forme w corps humain, t. vi, col. 559-564.

A. Michel.