Dictionnaire de théologie catholique/VIOL

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 766-772).

VIOL.
I. Notion.
II. Le péché (col. 3065).
III. Le délit et les peines (col. 3068).
IV. La réparation des dommages (col. 3070).

I. Notion.

En l’absence de définition légale, le mot viol, ainsi que son synonyme français stupre (qui traduit le latin sluprum), n’a pas toujours été entendu dans un sens univoque. Dans la Vulgate, stuprum désigne tout commerce charnel illicite, qu’il s’agisse d’un rapt (enlèvement de Dina par Sichem, Gen., xxxiv, 13), d’une sollicitation à l’adultère (par la femme de Putiphar, Gen., xxxix, 10), de la prostitution (d’une lille de sacrificateur, l.ev., xxi, 9) ou d’un adultère (Nniii., v, 13). De là une signification très large qu’obtint le mot dans les siècles passés : omnis concubilus illicitus. Ce sens était encore commun », au xiiie siècle, d’après le témoignage de saint Thomas, Sum, theol., IL-IF. q. cliv, a. ti, ad 2um, Cf.

Aerlnys, Theol. moralis, I. i. n. 210.

En essayant de définir la chose, théologiens et moralistes, obéissant à des préoccupations différentes,

ne se sont pas placés exactement au même point de vue ; de là vient que les notions qu’ils nous ont laissées ne sont pas toujours tics concordante*.

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VI 01,

3064

L’aspect moral.

1. Les moralistes anciens ont

considéré avant tout dans le viol le péché de luxure, caractérisé par le fait qu’il s’attaque à une vierge. C’est le point de vue de la Somme Ihéoloyique, IIa-IIæ, q. cliv, art. 6. Les modernes insistent davantage sur l’injustice qui résulte de la contrainte employée (que cette contrainte soit physique ou morale). Aussi étendent-ils leur définition à toute femme honnête à qui il est fait violence ; la question de virginité passe au second plan. Stuprum est luxuriosa oppressio personæ invitée, dit Vermeersch, Theol. moralis, t. ii, n. 031. « C’est une faute commise avec une femme, mais contre son gré », écrit Vittrant, Théol. morale, n. 1067, p. 581 ; cf. Muller, Somme de théol. mor., Paris, 1937, n. 339. Merkelbach, Summa theol. moralis, t. ii, n. 382-383, distingue entre le viol au sens strict qu’il définit : illicita virginis defloratio sub auctorilate paterna vivenlis, et le viol entendu au sens large qui implique l’oppression d’une femme « honnête », qu’elle soit vierge ou veuve, majeure ou mineure.

La contrainte exercée peut être physique : c’est le recours à la force et à la violence ; peu importe que la victime soit à l’état de veille, de sommeil, soit naturel soit hypnotique, ou d’ivresse. La contrainte morale comporte le recours à l’intimidation, à la fraude ou à la ruse, aux promesses fallacieuses et aux menaces injustes. De même, des prières instantes, des demandes pressantes, réitérées jusqu’à l’importunité, peuvent constituer une violence morale injuste, surtout si elles sont le fait d’un supérieur. Au contraire, de simples flatteries, des caresses, cadeaux ou autres procédés ordinaires de persuasion ne seront pas considérés comme des moyens injustes.

2. Certains auteurs font remarquer très justement que le viol n’est pas réalisé seulement par l’acte charnel consommé, mais aussi par toute action impudique perpétré sur une personne honnête, laquelle a droit au respect et à l’intégrité de son corps. C’est ainsi que Génieot-Salsmans, Theol. moralis, t. i, n. 391, p. 317, ont pu donner la définition suivante : Stuprum est in primis copula, sed etiam omnis usus venereorum cum persona quacumque non consentiente. Ce point de vue est celui de la morale, lorsqu’il s’agit de juger du péché et de déterminer la malice de l’acte : Malitia stupri invenitur, licet imperfeclo modo, in tactu turpi mulieris invitse, dit Marc-Gestermann-Raus, Institutiones mor., t. i, n. 776, éd. 19e. Dans l’ancien droit canonique, aussi bien que chez les canonistes et civilistes modernes, le viol ne se conçoit pas sans la conjunctio carnalis. Cf. Code pénal italien, art. 519. Les autres actes, consommés ou non, sont appelés de préférence « attentats à la pudeur ». Code pénal français, art. 331-332.

3. Il n’y a viol, à strictement parler, que si la victime est une personne « honnête », vierge ou veuve, et non une femme de mœurs faciles ou suspectes. A l’égard de cette dernière, la question d’injustice ou de dommage ne se pose guère.

4. Ajoutons que, théoriquement au moins, une sorte de viol moral pourrait être réalisé sur la personne d’un homme, que des femmes perdues de mœurs contraindraient au péché grave. Le péché est assurément de même espèce que le viol proprement dit. Cependant les moralistes n’ont pas coutume de s’attarder sur ce cas : a) parce qu’il est tout à fait exceptionnel, « à peine concevable », vix possibile, dit Bouvier, Dissertatio in sextum, 7e éd., p. 27 ; b) en raison du moindre dommage qui en résulte pour la victime : quia libidinosw violentiæ in alias personas per se non sunt corpori damnosse, nec habent consectaria etiam ordinis œconomici, quee involuntaria fecunditas secum trahit, note très à propos Vermeersch, Theol. moralis,

t. ii, n. 631. C’est pourquoi les auteurs s’occupent surtout ou même exclusivement de l’oppression d’une personne de sexe féminin : de sola oppressa muliere loquimur, dit Vermeersch, loc. cit., sans méconnaître l’autre forme de ce crime.

Le point de vue du droit.

1. Pour définir le

viol, les anciens canonistes étaient surtout attentifs à un fait matériel et aux conséquences qui en découlaient, la virginis defloratio. À leurs yeux, la perte de l’intégrité charnelle constituait par elle-même un dommage sérieux, en raison de l’estime professée pour la virginité. Gratien, voulant distinguer le viol de la fornication, de l’adultère, de l’inceste ou du rapt, le définissait ainsi : Stuprum est proprie virginum illicita defloratio, 2 a pars, caus. XXXVI, q. i, c. 2. Selon lui, le caractère « illicite » du stupre venait de ce qu’il n’avait pas été précédé d’un consentement matrimonial librement échangé : quando, non prsecedente conjugali pactione, virgo corrumpitur. Il en résulte que toute défloration d’une vierge constitue un viol, même si la victime est consentante, et même si le père, informé après coup, ne considère pas la chose comme une injure, pâtre injuriam ad animum siatim post cognitionem non revocante, Gratien, ibid. C’était là le stupre simple.

2. Le viol devenait qualifié lorsque le stuprator avait recours à la violence, ou lorsque les circonstances le rendaient particulièrement odieux (p. ex. séduction, dol, déception, menaces, crainte injuste…). C’est le cas prévu par les Décrétâtes, t. V, tit. xvi, c. 1 et 2 : virginem seduxerit, virginem stupro decepit.

3. Ce furent les commentateurs postérieurs qui qualifièrent de stupre toute « oppression violente d’une femme honnête », qu’elle fût vierge ou non. C’était revenir à la définition donnée par le droit romain dans la Lex Julia de adulteris. Cf. Institut., t. IV, tit. xviii, § 4 ; Dig., t. XLVIII, tit. v. On l’appela viol au sens large. Cf. Schmalzgrueber, Jus eccl. universum, t. V, tit. xvi, n. 16. Au sens propre, le viol continua à désigner strictement, comme au temps de Gratien, la defloratio virginis, non prsecedente pacto conjugali. Cf. Reiffenstuel, Jus canonicum univ., t. V, tit. xvi, n. 44. C’est pourquoi, même au xviiie siècle, la plupart des canonistes ont encore conservé la terminologie de Gratien ou de saint Thomas : le stuprum ou viol est avant tout virginis oppressio, ce qui impliquerait l’idée de contrainte, mais aussi de corruptio. Cf. IIa-IIæ, q. cliv, a. 6. On ne devra pas le perdre de vue, si l’on veut apprécier correctement leurs théories sur le dommage qui en résulte, les réparations qui s’imposent et les peines à infliger. Cf. Schmalzgrueber, Jus eccl. univ., t. V, tit. xvi, n. 28 sq.

4. Les canonistes contemporains tendent de plus en plus à adopter la notion de viol telle qu’elle ressort des codes civils ou pénaux modernes. Ce crime n’est qu’une sorte de fornication imposée par une contrainte physique ou morale, à laquelle la victime n’avait pas la possibilité de se soustraire. La question de virginité tend donc à passer au second plan. Bien plus, des commentateurs du Code ont admis récemment que le stupre pouvait porter sur une femme mariée à laquelle il est fait violence. Cf. Eichmann, Das Slrafrecht des Codex, Paderborn, 1920, p. 190 ; Augustine, A Commentary on the new Code, t. viii, n. 414.

Quelques-uns ont même admis, à la suite de certains codes civils, que ce crime pouvait être réalisé sur une personne du même sexe. Code pénal italien, art. 519 ; voir aussi Code pénal français, art. 331-332, s’il s’agit de mineurs. Cf. Chelodi, Jus pcenale, n. 84, p. 98, notes 5, 6 ; M. Conte a Coronata, Institutiones juris can., t. iv, n. 2052. En ces deux derniers cas, la sodomie et l’adultère se distingueraient du viol par

l’absence de contrainte ou le mutuel consentement des deux complices.

Ainsi les juristes contemporains ont tendance à rapprocher leur notion du viol de celle des moralistes. Les quelques points de divergence apparaîtront mieux en étudiant le stupre sous l’aspect de péché et sous celui de délit.

II. Le péché.

Malice.

1. En tant qu’acte

de luxure directement voulu et consommé, le viol est un péché grave ex toto génère suo. Cf. Marc-Raus, Inslit. morales, t. i, n. 768.

2. Il importe de discerner ce qui constitue la malice spécifique de ce péché, puisque le concile de Trente a défini, sess. xiv, can. 7, qu’il était nécessaire de droit divin de déclarer en confession « tous et chacun des péchés mortels ainsi que les circonstances qui en changent l’espèce ». Cf. Richter, Canones et décréta, p. 84. Il y a dans le viol tout d’abord un péché de luxure. Mais en quoi se distingue-t-il des autres péchés du même genre tels que l’adultère, la fornication, etc. ?

3. D’après saint Thomas, IP-II*, q. cliv, art. 1, c’est non pas des circonstances, mais de l’objet même de l’acte luxurieux que le viol tire sa malice spécifique : Materia in qua exercetur actus venereus potest esse non conveniens rationi per comparationem ad alios homines… ; et secundo ex parie ejus in cujus potestaie est femina… : si est in potestate palris est stuprum, si non inferatur violenlia ; raptus autem si inferatur. C’est donc en tant qu’opposé à la vertu de justice que le stupre est un péché spécifiquement distinct des autres péchés de luxure consommés juxta naturam. Sur ce point tous les théologiens sont d’accord.

4. Les divergences que l’on constate entre eux ont leur origine dans les conceptions différentes qu’il se font du viol. Pour saint Thomas et les anciens scolastiques, comme pour les vieux canonistes, le viol est la corruptio seu defloratio virginis sub custodia patris existentis. En général, ils ne posent pas la question de violence, infligée ou subie. L’injustice résulte dès lors : du tort fait à la jeune fille violée ; il lui sera plus difficile de se marier, dit saint Thomas, et elle sera exposée à la tentation de livrer son corps (meretricandi), alors qu’antérieurement le souci de conserver sa virginité la détournait de cet excès ; elle résulte aussi de l’injure faite au père, qui a charge de l’honneur de sa Mlle, tant qu’elle demeure sous son autorité. II 1 - II*, q. cliv, art. (5.

Cependant, si le Docteur angélique ne fait pas entrer en ligne de compte la contrainte physique, cf. art. 1, il laisse entendre que dans le viol il y a eu au moins séduction, art. 6, ad 4um, donc violence morale par le recours à des moyens injustes (dol, déception, fausses promesses, etc.) ; malgré tout, le texte de la Somme n’est pas très net.

5. C’est pourquoi les commentateurs et théologiens postérieurs se sont demandés s’il y avait viol ou simple fornication dans le cas où la jeune fille était consentante. Saint Bonaventure, Sylvius, Cajétan et Billuart, pour ne citer que les plus célèbres, ont répondu qu’il y avait viol, attendu, disent-ils, que cette Jeune fille n’était pas libre de disposer de sa virginité et qu’on ne pouvait appliquer dans ce cas l’axiome : Scirnli et volenli non fit injuria. Cependant, plus communément, les théologiens ont répondu négativement (Vasquez, Sancbez, Suarez, Soto, les Salmantlcenses,

tract. VI, <. iv, punct. 1, et surtout salnl Alphonse,

Thtol. mur.. I. VI, n. 143, ri Homo apottol., n. il).

Si la jeune Bile abuse de son corps, disent ils. elle ne

fait tort qu’à elle-même. Cependant, ajoutent-ils, si

de son acte devait résulter un déshonneur ou une infamie pour sa famille, une douleur intense des parents, des haines OU des rixes, le scandale nu un autre dommage, il pourrait y avoir péché contre la

charité et la piété filiale, dans la mesure où ces maux ont été prévus. Les tenants de l’opinion opposée reconnaissent à cette argumentation une solidité telle qu’ils n’osent faire une obligation d’accuser en confession le fait de la violation d’une vierge comme constituant une espèce particulière de péché ; Sylvius se contente de dire que cette malice surajoutée n’est que vénielle, donc pas nécessaire à accuser en confession.

6. Les moralistes modernes se sont généralement libérés de ces subtilités qui, prises à la lettre, seraient susceptibles de rendre la confession odieuse ou ridicule. On imagine mal une femme, s’accusant de péchés de luxure, même purement internes, obligée de spécifier si elle est vierge ou non ; de même l’homme qui aurait des désirs pervers à son endroit…, et le confesseur obligé d’interroger sur ces divers points ! « Ce serait intolérable », écrit Bouvier, Dissertatio in sextum, p. 29-30. Cependant, Marc-Raus continuent à dire que « la malice résultant de la contrainte injuste est accrue, at probabililer intra eamdem speciem, lorsque le viol est commis sur une vierge. Instit. theol. mor., t. i, n. 777. Aertnys note simplement et avec beaucoup de justesse : In praxi, fidèles hanc luxurise speciem communiter ignorant. Cf. Theol. moralis, éd. 6 a, n. 210.

Pratiquement donc, la malice spécifique de la défloration d’une vierge échappant au commun des fidèles, ceux-ci ne seront pas tenus de l’accuser en confession (à supposer qu’elle existe), et le confesseur n’aura pas le droit d’interroger sur ce point sans raisons tout à fait particulières. Voir les directives (normœ) du S. Office., le 16 mai 1943, envoyées aux Ordinaires, non publiées aux Acta ap. Sedis. Texte dans Cimetier, Pour étudier le Code, 3e suppl., p. 35 ; Nouv. revue théol., mai-juin 1945, p. 220, t. lxvii, p. (828).

7. Parmi les contemporains, Merkelbach continue, à la suite de saint Thomas, à souligner l’injure faite au père par le viol de sa fille encore en son pouvoir. Summa theol. mor., t. ii, n. 382. Il ne précise d’ailleurs pas en quoi consistera la réparation due aux parents, n. 384. Marc-Raus, Inslit. morales, t. i, n. 958, 1°, parlent de réparation d’honneur, de pardon à demander. Vermeersch, Theol. mor., t. ii, n. 631, ne fait aucune mention de l’injustice causée aux parents. Pour lui l’injustice gît tout entière dans la contrainte physique ou morale exercée sur la victime ; et il ajoute qu’il n’y a de tort causé qu’à la femme seule, à moins qu’elle ne soit mariée : huic soli (mulieri), nisi nupta fuerit, directe fit injuria (ce qui suppose que l’auteur étend la notion de viol même à la femme mariée). En ce cas, outre le péché de luxure, il y aurait une double violation de droits : ceux du mari par l’adultère, ceux de la femme par la contrainte. Et cette double malice devra être accusée, pour autant du moins qu’elle a été perçue par le stupralor au moment du péché.

Résistance à opposer.

1. Xécessiié. — L’obligation

de résister au stupralor autant que l’on peut vient moins du devoir qu’a la vierge de sauvegarder son intégrité charnelle, que du danger qu’elle court de donner son consentement à l’acte voluptueux. C’est pourquoi la femme qui subit la violence ne peut se comporter passivement et subir simplement. Elle doit résister de façon positive, toujours au moins intérieurement, et ordinairement aussi de façon extérieure, autant pour soutenir efficacement sa volonté el écarter le danger de consentement, que pour éviter un dommage même matériel (perte d(

virginité ! risque de conception, etc.). Nous disons habituellement >. car la crainte d’un plus grand mal

(mort, blessure mortelle, infamie) pourrait légitimer

l’absence de résistance extérieure, pourvu que l’on résistât au dedans.

Dans la pratique cependant, et pour les raisons exposées, il faudra toujours conseiller (non imposer) la résistance même extérieure, qui soutient et souligne la résistance intérieure et peut décourager l’agresseur. Cf. Marc-Raus, Instit. mor., t. i, n. 755.

2. Mode.

Comment résister ? Dans les réponses que nous allons donner, nous supposerons écarté tout danger prochain de consentement au plaisir défendu ; car, si ce danger existait, il faudrait résister par tous les moyens, même au péril de la vie.

Disons d’abord et en général que la victime n’est pas obligée d’user de moyens de résistance extérieurs qui s’avéreraient inutiles (cris ou appels lorsqu’ils ne peuvent être entendus, lutte alors qu’elle est manifestement en état d’infériorité de forces). Elle n’est pas tenue non plus de recourir à des moyens extraordinaires (meurtre de l’agresseur). En ce qui concerne les cris ou appels en particulier, les moralistes sont partagés. Les uns imposent à la victime l’obligation, au moins théorique, de crier s’il existe quelque espoir d'être secourue (Cajétan et les Salmanticenses). Les autres répondent par la négative, pourvu que par ailleurs elle résiste de son mieux ; son silence sera justifié par la crainte de s’attirer un plus grand dommage (mort ou blessure, honte ou infamie). Cependant, au dire de saint Alphonse, il faudra pratiquement conseiller de crier, surtout si, en raison de la connaissance de sa faiblesse, la jeune fille se savait dans un péril spécial de donner son consentement à un acte consommé. Theol. mor., t. III, n. 368, 430. Par ailleurs, le confesseur s’abstiendra de taxer de péché grave une pénitente qui n’aurait pas opposé au sluprator une résistance assez virile : la timidité féminine et le trouble résultant de la surprise peuvent, dans certains cas, expliquer cette attitude, sans que pour autant la victime ait donné un consentement formel. Cf. Berardi, Praxis confessarii, n. 2(56.

3. Limites.

Il reste à examiner jusqu’où peut et doit être poussée la résistance au viol.

a) Tous les auteurs s’accordent à dire qu’une vierge ne peut pas se donner la mort pour échapper à la violence qui lui est faite : sa vie est un bien supérieur à l’intégrité matérielle de sa chair. Elle pourrait cependant, selon une opinion qui n’est pas improbable, s’exposer à la mort (p. ex. en se jetant à l’eau ou par une fenêtre), tant par crainte de consentir au mal que pour sauvegarder sa virginité. Cf. saint Alphonse, Theol. mor., t. III, n. 367.

b) Une vierge est-elle tenue à se laisser tuer plutôt qu'à se laisser violer ? Les moralistes répondent généralement, à la suite de saint Alphonse, t. III, n. 368, que, s’il n’y a vraiment que cette alternative, la jeune fdle n’est pas tenue de choisir la mort, pourvu que tout danger de consentement soit écarté. C'était déjà, semble-t-il, le sentiment de saint Augustin, De civit. Dei, t. I, c. xviii. Cf. Priimmer, Manuelle theol. mor., t. ii, n. 115. Pratiquement, ante factum, on conseillera à une jeune fdle exposée aux violences de résister extérieurement de toutes ses forces, même jusqu'à la mort, à cause du péril de consentement qui existe la plupart du temps. Le même conseil sera donné a fortiori si la menace ne porte que sur des coups ou des blessures. Cf. Marc-Raus, Instit. mor., t. i, n. 755. Cependant Aertnys, Theol. moralis, t. i, n. 182, note très justement que si, dans un cas donné, la femme a soin de se munir de la prière, si elle a horreur du plaisir charnel et de l’aversion pour l’agresseur, le péril de consentement deviendra facilement éloigné.

c) Il est certain que, tout danger d’acceptation du plaisir défendu étant écarté, une femme, vierge

ou non, n’est pas tenue, dans le seul but de sauver son honneur, de tuer l’injuste stuprator. Mais, de l’avis commun des auteurs, elle peut le faire, s’il n’y a pas d’autre moyen pour elle d'échapper au déshonneur. La chasteté en effet est un bien au moins aussi précieux que des richesses importantes, et, d’autre part, il y a toujours à craindre le danger de consentement. S. Alphonse, Theol. mor., n. 386 ; Homo apost., n. 16.

d) Le droit de défense de la femme opprimée va jusqu'à provoquer l’interruption de l’acte charnel ; le péché de pollution qui pourra s’ensuivre n’est imputable qu’au stuprator. La violence accomplie, la victime peut encore se défendre en provoquant l’expulsion ou la stérilisation du semen injustement introduit, afin de rendre toute conception impossible. Mais l’intervention devra être faite avant que la fécondation ait eu le temps de se produire (pratiquement dans l’heure qui suit la violence), sinon en s’exposerait à détruire un fœtus, ce qui n’est jamais permis. Cf. Génicot-Salsmans, Casus conscientise, 1° éd., 1938, p. 123, cas 170 ; Vittrant, Théologie morale, n. 1069 ; à l’opposé, Merkelbach, op. cit., t. ii, n. 1010.

III. Le délit et les peines.

1° D’après la loi mosaïque, le séducteur d’une vierge non encore fiancée devait doter sa victime et l'épouser. Si le père refusait de lui donner la main de sa fille, le coupable devait payer à ce dernier le prix de sa dot. Ex., xxii, 15-16. D’après le Deutéronome, le séducteur devait payer au père cinquante sicles d’argent, épouser celle qu’il avait déshonorée et ne jamais la répudier. Deut., xxii, 28-29.

2° La loi romaine, qui se montre sévère dans la répression de l’adultère, ou du rapt, cf. Cod. Just., t. IX, tit. ix, xiii, le fut beaucoup moins en ce qui concerne le viol. Elle fit en cette matière une distinction entre les droits de la femme et ceux de l’homme. En faveur de ce dernier, Ulpien déclarait qu’il y avait des personnes in quas stuprum non commillitur, c’est-à-dire les esclaves ; avec ces femmes, même le concubinage pouvait être pratiqué sans crime. Diy., t. XXV, tit. vu. Le même acte était au contraire un crime capital pour la femme. Si qua cum servo (suoj occulte rem habere detegitur, capilali sententiæ subjugetur : tradendo ignibus verberone. Cod. Just., t. IX, tit. xi.

3° Les anciennes législations civiles, issues du mélange du droit romain et des coutumes barbares, établirent une distinction entre le stupre accompli sans violence ou avec violence. Dans le premier cas, si le corrupteur était de condition honorable, la peine était la confiscation de la moitié de ses biens ; s’il était de condition vile, il se voyait infliger des châtiments corporels comme la fustigation ou la relégation. Si on avait usé de violence et que le crime ait été consommé, l’agresseur était puni de mort ; si au contraire la victime avait pu échapper de ses mains avant le viol, la peine était réduite à la fustigation ou à la déportation. Des commentateurs ou juristes, effrayés de la fréquence des sentences capitales que les juges devraient être amenés à prononcer, s’efforcèrent de réserver le châtiment suprême seulement aux coupables qui avaient usé de la force brutale, ou encore à ceux qui avaient en même temps pratiqué le rapt ou exercé leur violence sur des mineures de moins de douze ans… Les autres, qui n’avaient usé que de contrainte morale, même injuste et importune, pouvaient bénéficier de l’indulgence du juge. Cf. Schmalzgrueber, Jus eccl. univers., t. V, tit. xvi, n. 20-24.

4° Le droit de l'Église ne pouvait pas, dans une société où la chasteté était tenue en si grande estime, ne (1

pas condamner le stupre et le frapper de peines. Les textes conservés, parce qu’ils font état de l’injure faite aux parents, imposent corrélativement à ceux-ci des devoirs précis pour sauvegarder la vertu et l’intégrité de leurs filles. Le concile de Pavie de 850 formule ainsi son 9e canon : Les parents doivent marier leurs filles plus tôt. S’ils ne le font pas, et si une fille commet une faute, les parents seront condamnés à la pénitence. S’ils font commerce de leurs filles, on leur imposera une pénitence plus considérable que celle imposée à la fille coupable. Une fille ainsi violée ne doit se marier que lorsqu’elle et ses parents auront accompli la pénitence publique qui leur sera imposée. Hefele-Leclercq, Hist. des conciles, t. iv, p. 187. L’ancien droit canonique avait fait siennes les dispositions de la loi mosaïque telles qu’elles étaient formulées dans l’Exode, xxii, 15-16 (cf. Decr. Greg. IX, t. V, tit. xvi, c. 1), à savoir : le coupable devait doter sa victime et l’épouser. S’il refusait, il devait subir la fustigation, être excommunié et relégué dans un monastère pour y faire pénitence jusqu’à ce qu’il fût autorisé à en sortir. Telles étaient les directives données par saint Grégoire I er vers 593. Decr., t. V, tit. xvi, c. 2. Cette norme ne connut d’application stricte que dans l’État pontifical. Dans la pratique, les commentateurs insinuèrent que la double obligation de doter la victime et de l’épouser devait être entendue de façon disjonctive : l’une ou l’autre. Le mariage s’imposait lorsque le séducteur en avait fait sérieusement la promesse ; la dotation était nécessaire lorsque le corrupteur était déjà lié par un empêchement d’ordre sacré ou de lien ; il en était de même lorsque la victime ou ses parents refusaient le mariage.

Celui qui a déshonoré des vierges consacrées à Dieu doit être excommunié s’il est laïque, déposé s’il est clerc. (Le droit romain, Cod., t. I, tit. iii, condamnait le coupable à la peine capitale.) Cf. Grat., caus. XXXVI, q. ii, c. 3.

Le prêtre ou l’évêque qui aura forniqué avec sa pénitente ou sa « fille spirituelle » sera déposé ; de plus, il fera une pénitence de quinze années s’il est évoque, de douze années s’il est prêtre et ce dernier entrera ensuite dans un monastère. Quant à la femme, si elle est laïque, elle distribuera ses biens aux pauvres et s’enfermera dans un monastère jusqu’à sa mort. Grat., caus. XXX, q. ii, c. 8, 9, 10.

Immédiatement avant le Code, les peines sévères de l’excommunication, de la fustigation, de la réclusion n’étaient plus appliquées aux stuprateurs. Le coupable était frappé d’infamie et d’autres peines jerendæ sententiie. Cf. Cocchi, Commentarium in Codicem, 1. Y, n. 212. Les clercs n’étaient plus déposés comme jadis, mais pouvaient être condamnés par le juge à doter la victime, frappés d’amende ou de suspense, ou enfermés dans une maison de correction, avec d’autant plus de rigueur que leur faute avait été accompagnée de violence ou d’autres circonstances aggravantes. Wernz, Jus Decrelalium, t. vi, n. 388. L’application de ces châtiments était subordonnée à la réalisation de la condition contenue dans Grat., caus. XXX, q. i, c. 10 : si lumen in conscientia populorum dcvrnrrit, c’est-à-dire si le crime était public ou i on ii ii.

Aucune de ces peines n’était réservée. Les prescriptions du concile de Rome de 898, dont le 12e can. réservail a l’évêque le jugement des fautes charnelles, ne passèrent pas dans la discipline générale de l’Église. Dans U-Code actuel, trois canons, 2356, 23.Y7, 2.’i"i ! S, sont consacrés aux peines qui frappent les délits de la chair. I.e viol y est nommé explicitement

.i plusieurs reprises (stuprum) et. dans les paragraphes oA le moi ne figure pas, il est certainement compris

dans le groupe des délits rontra srjliim.

On note d’une façon générale que ce n’est pas seulement la faute extérieure qui est visée ici (comme dans tous les délits), mais la faute particulièrement scandaleuse, soit en raison de sa notoriété, soit en raison des circonstances odieuses dans lesquelles elle a été commise. Le viol étant frappé de peines dans la plupart des législations civiles, comme dans le droit ecclésiastique, c’est un délit mixte (fori mixii). Voici les dispositions pénales du Code canonique :

1. Les laïcs qui ont été légitimement condamnés (par le juge civil) pour viol exercé sur la personne de mineures de moins de seize ans encourent, par le fait même, l’infamie de droit (can. 2293-2294) et peuvent en outre être frappés d’autres peines au jugement de l’Ordinaire. Le même délit, commis sur des personnes de plus de 10 ans, exclut après condamnation légitime son auteur « des actes légitimes ecclésiastiques » (can. 2256), jusqu’à ce qu’il ait donné des signes de vrai repentir. Can. 2357.

2. Les clercs mineurs qui se sont rendus coupables de viol seront punis, selon la gravité de leur faute, de peines pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’état clérical, si les circonstances du délit conseillent cette mesure. Can. 2358.

3. Les clercs majeurs, séculiers ou réguliers, qui se seraient rendus coupables de stupre commis avec des mineures au-dessous de 16 ans, doivent être suspendus, déclarés infâmes, privés de tout office, bénéfice, dignité ou emploi qu’ils auraient dans l’Église, et, dans les cas plus graves, ils seront déposés. Can. 2359, §2.

Nous avons dit qu’en raison du caractère mixte du délit le viol en droit canonique pénal sera entendu au sens où l’entendent les Codes civils modernes, à savoir : un acte charnel consommé accompli avec violence (physique ou morale) sur une personne honnête, vierge ou non.

Le droit français punit le viol des travaux forcés à temps. Si la victime a moins de quinze ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine des travaux forcés à temps. Code pénal, art. 332. Lorsque les coupables sont des ascendants de la victime ou des personnes ayant autorité sur elle, la peine sera les travaux forcés à perpétuité, art. 333. Cf. Code pénal italien, art. 520, 527, 530 ; Code hongrois, § 232, 236.

IV. Réparation du dommai.e. — Certains dommages, qui sont les conséquences habituelles du viol (p. ex. perte de l’intégrité charnelle pour une vierge, infamie pour une femme honnête si le crime est public), ne sauraient être réparés en eux-mêmes et directement. On peut concevoir cependant qu’ils puissent être l’objet d’une certaine compensation, qui serait imposée par sentence du juge : amende ou indemnité (dommages et intérêts), dont l’exécution sera obligatoire en conscience. Il ne semble pas toutefois qu’une telle réparation soit due avant la sentence ; bien qu’elle soit équitable et même, dans certains cas, nécessaire, elle ne sera jamais ad eequalttatem, parce que réalisée au moyen de biens d’un autre ordre. Cf. S. Thomas, [IMI", q. Util, art. 2 ; S. Alphonse. Theol, mor., 1. III. n. 627.

Dans la plupart des cas, le principal dommage que subira la victime du viol, c’est la difficulté plus grande dans laquelle elle va se trouver de contracter mariage, tant à cause de sa défloration (si elle était vierge), que de l’infamie encourue (si la faute est connue), Un autre dommage peut être imposé à la femme violentée

par la Burvenance d’enfant, dont les frais d’éducation et d’entretien retomberont pratiquement sur elle.

(.’est de ces deUX sortes de dommages que nous traiterons ii i.

L’obligation de les réparer revêt des formes et des

exigences différentes suivant les conditions dans lesquelles a été accompli le viol. Le cas de l’oppression d’une femme mariée ayant été traité au mot Adultère, t. i, col. 468, nous ne parlerons ici que du viol envisagé dans une triple hypothèse : la femme a donné son consentement au stupre, sans conditions et sans qu’aucune promesse de mariage soit intervenue ;

— elle a consenti, mais sur promesse de mariage ; — enfin elle a subi une contrainte injuste (physique ou morale).

1° Dans le premier cas, c’est plutôt une fornication, notent Génicot-Salsmans, Theol. moralis, t. i, n. 569, ou tout au plus un stuprum non injustum, c’est-à-dire accompli sans violence, dit Merkelbach, Theol. mor., t. i, n. 394. En raison du plein consentement donné à l’acte, rien n’est dû à la femme ainsi corrompue, même si elle a été sollicitée par des prières instantes, cadeaux et autres moyens non injustes. Scienti et volenti non fît injuria. Génicot-Salmans vont jusqu’à affirmer que l’injustice n’existe pas, alors même que le fornicateur a usé de violence physique ou morale dans les actes préliminaires (prières ou sollicitations importunes, attouchements, baisers), pourvu que la victime ait consenti ad copulam. Saint Alphonse fait remarquer très à propos que, dans ce cas, le fornicateur a été en même temps un agresseur partiellement injuste (en raison des moyens utilisés pour obtenir le consentement). En conséquence, il sera tenu à réparer partiellement le dommage.

De même, si le séducteur a promis sincèrement et absolument à sa victime une somme destinée à compenser le dommage qu’il lui cause, il sera plus probablement tenu à s’exécuter, car même si le contrat est illicite, la chose promise est licite. On peut en dire autant si un amant très riche a séduit une fille très pauvre, on présumera que celle-ci n’a donné son assentiment que sous condition implicite de quelque compensation. Indirectement encore, le stuprator pourrait être tenu à réparer la réputation de sa complice s’il avait indûment fait connaître la faute restée secrète. Cf. Marc-Raus, Instii. morales, t. i, n. 957 ; Merkelbach, Theol. mor., n. 384.

Quant aux parents, il semble qu’ils n’ont droit à aucune réparation, au moins au titre de la justice (comme paraît l’exiger saint Thomas, IIa-IIæ, q. cliv, art. 6, ad 3um). Mais les deux complices devront, au nom de la piété filiale, faire des excuses et solliciter leur pardon (dans le cas où un déshonneur aurait rejailli sur les parents) et leur donner, s’ils veulent l’accepter, quelque signe de déférence et de respect.

La véritable obligation de justice sera à l’égard de la progéniture, s’il en survient et qu’elle soit imputable à l’unique séducteur. Comme la femme, en donnant son consentement, a accepté une part des responsabilités, les deux complices se partageront par moitié et in solidum les charges d’entretien et d’éducation de l’enfant. Dans le cas où la femme aurait vendu son corps à d’autres, elle serait tenue avant le père et plus que lui, de subvenir aux charges, car c’est elle qui aura créé un doute de paternité. Cette obligation des deux complices est de droit naturel, en vertu de l’équité aussi bien que de la piété paternelle. Elle existe donc, même si les lois civiles interdisent la recherche de paternité. C’était le cas du Code civil français, art. 340, jusqu’au 15 novembre 1912. L’article en question fut modifié dans le sens d’un certain droit à la recherche de paternité. Il suffira, pour que la justice soit sauve, que l’enfant soit élevé selon le rang de la mère.

Dans l’hypothèse où la femme aurait eu plusieurs amants, ceux-ci, pourvu qu’ils aient agi sciemment et d’un commun accord, sont tenus in solidum de

prendre en charge les dépenses que nécessite l’enfant. Si chacun a agi indépendamment de l’autre ou en l’ignorant, la paternité étant incertaine, on ne pourra imposer à aucun de restituer in solidum. On devra cependant conseiller à chacun de restituer (sur la moitié), au prorata du doute existant. À noter que la jeune fille, pas plus que ses parents ou tuteurs, n’a le droit de dénoncer l’un de ces amants comme étant le père de l’enfant. Cependant si la loi civile (p. ex. Code autrichien, art. 163) impose, à titre de pénalité contre la fornication, l’entretien de l’enfant à celui que la femme aura dénoncé, il n’apparaît pas que cette dénonciation constitue une injustice, si véritablement l’accusé est bien un des complices et si la paternité est vraiment incertaine. Cf. Noldin, Theol. mor., t. ii, n. 471.

2° Dans l’hypothèse du consentement donné sous promesse de mariage, l’opinion commune des théologiens était jadis que le séducteur était tenu d’épouser sa victime, que sa promesse ait été feinte, ou qu’elle ait été sincère. Cf. S. Alphonse, t. III, n. 662 ; Gousset, Theol. mor., n. 1015. À l’opposé cependant, d’autres moralistes soutenaient la nullité de la promesse faite sub condilione illicila. Cf. Code civil français, art. 1172 ; Carrière, Examen raisonné sur les commandements de Dieu, t. i, c. vii, art. 2. Saint Alphonse lui-même convenait de l’avantage qu’il y aurait pour la morale à proclamer cette doctrine, afin que les victimes se laissent moins facilement séduire par des promesses qu’elles sauraient être sans valeur. Mais il n’en professe pas moins la doctrine opposée. Cf. Homo apostolicus, De septimo præcepto decal., vi, n. 93.

Aujourd’hui, les auteurs se contentent d’affirmer que le séducteur est tenu de réparer tous les maux qu’il a causés, fût-ce par le mariage, si c’est le seul moyen de compensation adéquat et pourvu que ce mariage ne soit pas l’occasion de plus grands maux. Ce n’est donc pas précisément en vertu de la promesse faite que le coupable sera tenu d’épouser sa victime (en effet si la promesse est feinte, elle est nulle ; si elle est sincère, elle n’oblige pas davantage au mariage, can. 1017), mais plutôt pour réparer la fraude et la déception. Vermeersch, Theol. mor., t. ii, n. 632.

Cependant, le mariage ne pourra être imposé : 1. si l’on prévoit qu’il sera malheureux et source de plus grands dommages ; 2. si la jeune fille avait simulé la virginité : une fraude compense l’autre ; 3. si la jeune fille avait ensuite livré son corps à d’autres, car elle aurait elle-même violé la première la promesse ; 4. si la jeune fille n’était pas vierge, car en l’épousant le séducteur donnerait plus qu’il n’a reçu ; 5. si la victime a pu comprendre facilement soit aux paroles du séducteur, soit à d’autres indices (p. ex. grande inégalité des conditions) que la promesse n’était pas sérieuse, car alors elle s’est trompée elle-même ou feint d’avoir été trompée ; 6. si la jeune fille s’est diffamée elle-même en révélant par une indiscrétion la violence qu’elle a subie ; 7. enfin si la victime renonce librement à ses droits et passe condonation de tout.

3° Le troisième cas est celui du stupre perpétré en usant de violence, de menaces ou de moyens frauduleux. Le coupable sera tenu de réparer tous les dommages d’honneur et de fortune qu’aura subis la jeune fille et ses parents, attendu qu’il en est la cause certaine et injuste.

En conséquence, si la faute est publique et qu’un déshonneur en rejaillisse sur la famille, il offrira aux parents, si ceux-ci veulent l’accepter, une compensation faite de regrets et d’excuses. Quant à la jeune fille, il devra régulièrement ou l’épouser (si elle y consent) ou la doter, de façon à lui rendre le mariage aussi facile que si elle n’avait pas été violée. Cf. S. Alphonse,

Theol. mor., t. III, n. 648. Si le séducteur est, dans l’impossibilité de la doter, le mariage s’imposera comme la seule réparation efficace, à moins qu’il n’apparaisse comme devant être cause de plus grands maux ; en ce cas, loin de réparer, il ne ferait qu’accroître le dommage. Certains théologiens ou canonistes anciens donnaient, comme cause excusant le coupable de l’obligation d’épouser sa victime, l’existence entre eux d’un empêchement dirimant. Si cet empêchement est de ceux dont on peut obtenir dispense, ce n’est pas une excuse.

Il faut dire que le coupable ne devra pas se tenir pour quitte, en conscience, à l’égard de sa victime, s’il lui a offert une fois pour toutes de l’épouser. Celle-ci ayant le droit de refuser, c’est le choix entre le mariage et la réparation des dommages qui devra lui être offert. À l’opposé, si la victime refuse une compensation pécuniaire et exige le mariage, le coupable n’est pas tenu d’obtempérer dans tous les cas : par exemple s’il y avait une très grosse différence de condition, et surtout s’il y avait à craindre qu’une telle union fût malheureuse ; mais il devrait alors fournir à la victime les moyens de se marier aussi convenablement qu’avant le crime. Dans le cas où un enfant serait né, le séducteur comme la victime seront tenus, non pas ex justifia, mais ex pielale erga prolem, à choisir « de préférence » le mariage (s’il est possible), autant pour légitimer l’enfant que pour lui assurer plus sûrement une éducation convenable au point de vue humain et chrétien. Cf. Génicot-Salsmans, Theol. mor., t. ii, n. 569.

Les casuistes se sont demandés si l’obligation du mariage subsiste pour le séducteur qui serait tenu par un vœu de chasteté ? À rencontre d’un petit nombre (Layman, les Salmanticenses) qui répondent par la négative, l’ensemble des moralistes (Lugo, Sanchez, Vasquez, Tamburini, Lacroix) tient pour la persistance de l’obligation, attendu que l’on peut obtenir dispense du vœu ; d’autre part, pour maintenir la loyauté dans les contrats, il vaut mieux, selon ces moralistes, conserver la valeur obligatoire même d’une promesse fictive, si l’autre partie a exécuté la convention. Cf. Ferraris, Prompln bibliolh., au mot Stuprum, t. vii, col. 661 sq.

En ce qui concerne l’enfant, le devoir du séducteur est clair : il doit prendre à sa charge tous les frais d’entretien et d’éducation ou en verser le montant à la mère ; cela, en justice et en vertu du droit naturel, donc avant toute sentence du juge, et même si le droit civil n’offrait aucune possibilité d’intenter une action. Certaines législations séculières déterminent la quotité des frais à supporter, fixent l’âge limite jusqu’auquel doivent être versées les prestations. Ces dispositions obligent en conscience, au moins après sentence du juge, même si elles dépassent les obligations du droit naturel. Si elles restent en deçà, les devoirs qui découlent de celui-ci ne sont pas pour autant éteints.

Il va de soi qu’aucune compensation ne sera duc par le séducteur dans le cas où aucun dommage n’aurait été produit. Le cas est rare ; il pourra cependant eist< r : s’il n’y a pas eu d’enfant et que le crime soit resté secret ; — si la victime s’est mariée suivant sa condition ; — si elle est entrée en religion ; si elle meurt prématurément. On notera cependant que, si la femme dont la honte est restée secrète était, après son mariage, méprisée ou maltraitée par son mari en raison de sa défloration, il y aurait lieu à réparation des dommages. S. Alphonse, I. III. n. 643. Dans le cas où, à la suite d’une promesse, convention ou transaction, le séducteur aurait déjà versé une somme d’argent pour les dommages, il ne sciait pas admis à la réclamer et la vicl une pourrait la conserver.

l’nnr la sauvegarde de la justice et même de l’équité,

il sera bon pour les deux parties, et afin d’éviter la négligence d’une part et le chantage de l’autre, de déterminer avec précision la quotité des versements pécuniaires à effectuer, non moins que la date des échéances. Cf. Merkelbach, t. ii, n. 385.

D’autre part, Vermeersch donne aux confesseurs cet avis fort judicieux : « Avant de conclure à l’existence de l’obligation de restituer et de se prononcer sur les moyens de la procurer, le confesseur ou conseiller devra préalablement bien peser toutes choses ; et, en ce qui concerne l’exécution au for externe, se munir de l’avis d’un homme compétent, à moins qu’il ne préfère renvoyer le pénitent consulter cet homme. » Cela, afin de ne pas favoriser les entreprises de certaines femmes astucieuses, qui accusent parfois de séduction certains jeunes gens inexpérimentés, qu’elles ont fait tomber elles-mêmes dans leurs filets ; elles exploitent ensuite leur naïveté, en faisant valoir à leurs yeux une paternité, parfois inexistante ou incertaine, sous le couvert de laquelle elles les « tiennent dans une longue et dure servitude ». Cf. Theol. mor., t. ii, n. 633.

A. Bride.