Dictionnaire de théologie catholique/VINCENT DE BEAUVAIS

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 748-752).

VINCENT DE BEAUVAIS, frère prêcheur du couvent de Beauvais (11907-1264).
I. Vie.
II. Écrits.
III. Intérêt de son œuvre.

I. Vie.

On sait peu de choses certaines sur sa biographie. Son œuvre importante et qui eut un retentissement considérable a fait penser à plusieurs auteurs qu’il avait dû être aussi un personnage considérable ; mais vraisemblablement, son existence fut celle d’un moine érudit et silencieux dans son couvent de Beauvais. Ce couvent fut fondé aux environs de 1230, Vincent appartenait-il auparavant au couvent de Saint-Jacques de Paris, fondé en 1218, qui devait devenir si célèbre par la suite ? On l’ignore. On n’a retrouvé son nom sur aucune liste de gradués des écoles parisiennes. Sans raison sérieuse on lui a attribué une origine bourguignonne et le qualificatif de Burgundus figure accolé à son nom. Il ne fut certainement pas évêque de Beauvais. Un document nous le montre, en 1240, sous-prieur du monastère : il fut en effet à cette date chargé conjointement avec Garin, archidiacre de Beauvais, de fixer les constitutions des frères et sœurs de l’hôpital ; les deux délégués adoptèrent les constitutions élaborées en 1233 par Geoffroy, évêque d’Amiens pour l’hôpital de cette ville. L. d’Achery, Spicilegium, t.xii, Paris, 1675, p. 54 sq.

La tradition a retenu que Vincent fut en relations suivies avec saint Louis, qu’il jouit de la confiance et de l’amitié du roi : elle fait de lui le « lecteur » de celui-ci, son bibliothécaire, et le précepteur des enfants royaux. Cette tradition accueillie dans des ouvrages de vulgarisation historique et même ï)x(’c en des œuvres d’art, n’est pas tout à fait une légende. Elle se fonde sur des expressions de Vincent lui-même, mais qui ont besoin d’être expliquées. Qu’il ait composé plusieurs ouvrages d’éducation à l’usage de la famille royale, c’est un fait, mais Vincent ne se donne jamais la qualité de précepteur et dans l’un de ces ouvrages nomme le clerc Simon comme ernditor de Philippe : per tnanum Simonis clerici videlicet eruditoris PJiilippi bons indolis fllii vestri. C’est par l’entremise de Simon qu’il fait parvenir son traité à la reine Marguerite et il ajoute : quoique vos enfants ne soient pas encore en état de le lire et de le comprendre par eux-mêmes, leurs maîtres ou professeurs (ipsorum didascali sive magislri) pourront l’utiliser… De erudilione filiorum regalium, proi. La rédaction de ses ouvrages, lui aurait été grandement facilitée par sa fonction de bibliothécaire du roi. Mais cette bibliothèque de saint Louis ne fut organisée, à la Sainte-Chapelle, qu’après 1253, au retour de la croisade ; saint Louis en aurait conçu la pensée à l’imitation d’un sultan amateur de livres ; à cette date de 1253. les grands ouvrages de Vincent étaient déjà rédigés ; si le projet d’une bibliothèque fut proposé a son appréciation, il ne put que l’approuver, et sans doute, donner des indications utiles, mais cette bibliothèque est sise à Paris et il habite Beauvais ; il ne peut en avoir été le conservateur an sens précis du mot.

Ce qui est exact, c’est que Vincent fut aidé linan cièrement par saint Louis dans les dépenses que tl( 302 7

VINCENT DE BK AU VAIS

3028

sitaient ses recherches ; il le reconnaît dans une épître qu’il adressa au roi à l’occasion de la mort de son fils aîné Louis (15 janvier 12(>0). Epistola consolatoria, prolog. Dans cette même épître, Vincent nous apprend, que sur l’ordre du roi, il exerçait l’office de « lecteur » dans l’abbaye cistercienne de Royaumont ; même affirmation dans le De emditione filiorum regalium ; de même dans un Tractatus de morali principis institutione demeuré inédit, et même fort peu connu, dont Quétif et Échard reproduisent le prologue, Script. 0. P., t. i, p. 239 : Olim duni in monastcrio Regalismontis ad exercendum lectoris o/ficium juxiu sublirnitatis vestræ beneplacitum, Domine mi rex Francorum, moram facerem…

Ces affirmations ont été comprises diversement par les historiens qui se sont occupés de Vincent. La plupart ont pensé que Vincent avait été attaché à la personne du roi et à la famille royale en qualité de lecteur, c’est-à-dire de professeur, mais puisque les enfants royaux avaient leurs maîtres, on ne voit pas bien quel aurait pu être le rôle de Vincent. Cette opinion étrange a été provoquée par la répugnance à admettre qu’un dominicain ait pu être le « professeur » de moines cisterciens. Or, écrit le P. Déni fie : « nous savons que l’abbé de Cîteaux demandait à cette époque pour son abbaye un lecteur de l’ordre des frères prêcheurs et, s’il est vrai que Cîteaux n’avait alors aucun lecteur qui fît partie de son ordre, il devait en être de même à plus forte raison dans l’abbaye de Royaumont… Vincent de Reauvais fut donc, comme il le dit du reste lui-même, lecteur des cisterciens de Royaumont et non pas lecteur du roi et de sa famille. » Denifle, Documents relatifs à la fondation de l’université de Paris, dans Mémoires de la Soc. de l’Itist. de Paris et de l’Ile de France, t. x, 1883, p. 245.

Toutes les relations entre saint Louis et Vincent se placent dans le cadre de l’abbaye de Royaumont que le roi avait fondée en 1228, non loin de Reauvais et non loin de sa propre résidence d’Asnière-sur-Oise. Le souverain aimait Royaumont ; c’est là qu’il fit enterrer son fils en 1260 ; il s’y rendait souvent avec sa famille. Vincent prêchait devant le roi, la reine et les princes ; le prologue du Tractatus de morali principis institutione déjà cité plus haut continue ainsi : cum… ibique (in monasterio Regalis montis) vos et familiam vestram divinis eloquiis aurem pariter ac mentem præbere diligenter interdum adverlerem, mihi quidem utile visum est aliqua de multis libris quos aliquando leyeram ad mores principum et curialium pertinenlia summalim in unum volumen… colligere. Ce projet de recueil de conseils à l’usage des princes et des officiers de la cour suppose une familiarité assez grande de la part de celui qui le conçoit. Domesticus, familiaris, Vincent se donne lui-même cette qualité ; on peut comprendre qu’il était reçu dans l’intimité de la famille royale. L’amitié de saint Louis fut le seul fait saillant de l’existence de Vincent ; elle suffit pour nous faire juger de sa valeur personnelle. Vincent mourut à Reauvais et une auréole de légende dorée entoura bientôt son nom. La date de 1264 attribuée à sa mort, si elle n’est pas absolument certaine, est fort probable.

IL Écrits. — 1° Le Spéculum majus. — Ce « miroir » du monde est l’œuvre essentielle de Vincent de Reauvais, celle qui a fait sa réputation jusqu’à nos jours. Cette immense encyclopédie s’efforce de rassembler et d’ordonner tout le domaine de la connaissance. Le comparatif majus, plus modeste que ne le serait le positif magnum, est de Vincent lui-même et n’est pas destiné à exalter son propre travail, mais seulement à le situer par rapport à un ouvrage de moindre envergure. On s’est demandé si cet ouvrage

auquel Vincent fait allusion ne serait pas une œuvre plus restreinte par laquelle il aurait commencé sa carrière d’écrivain ; mais il est plus probable qu’il s’agit de l’Imago mundi d’Honorius d’Autun ( ?), qui pouvait faire figure de manuel élémentaire. Le Spéculum, qui a été achevé avant 1244, se divise en quatre parties : spéculum naturale — doctrinale — morale — historiale.

Le Spéculum naturale est à la fois une philosophie, une théologie et une description de la nature, en commençant par l’étude de son auteur : Dieu, archétype et créateur des êtres ; il s’ouvre donc par une véritable théodicée : la divinité et ses attributs ; suivie d’une théologie de la Trinité ; vient ensuite, d’après l’ordre de la création, l’étude des anges, des démons, puis le récit de l’œuvre des six jours ; les êtres défilent devant nous à mesure que Dieu les appelle à l’existence : la matière et ses éléments, les astres, la terre avec toute sa géographie, montagnes, fleuves, océans, etc., les végétaux, les animaux, enfin l’homme ; tout au long de cet immense déroulement la méthode reste la même, philosophique, théologique et descriptive ; à l’occasion de chaque série d’être sont traitées toutes les questions qui s’y rattachent. L’homme fait l’objet d’une anthropologie complète dans laquelle tous les aspects de son être sont envisagés, âme, corps, privilèges surnaturels, chute originelle, etc.

Spéculum doctrinale et morale. L’étude, l’effort vers la connaissance, nous fournissent un moyen de réparer les malheurs causés par la chute originelle. Cette seconde partie contient un exposé de toutes les sciences depuis la grammaire jusqu’à la théologie en passant par la logique, la politique, le droit, la médecine, les arts mécaniques, en un mot, tout ce qu’il faut savoir pour se comporter convenablement dans la vie privée et publique, physique et morale. On attend normalement ici de longs développements sur les règles de la vie morale. De fait, ils existent dans un Spéculum morale qui accompagne le Spéculum doctrinale, mais ce Spéculum morale n’est pas de Vincent, quoique son Prologue général nous annonce qu’il avait l’intention de le composer. On avait remarqué de bonne heure que le Spéculum morale est identique mot pour mot à de longs passages de la Secunda Secundæ de saint Thomas et un problème était né de cette confrontation : saint Thomas a-t-il copié Vincent ou au contraire Vincent a-t-il incorporé à son œuvre de larges extraits de la Somme théologique. Le P. J. Échard dans son ouvrage : S. Thomæ Summa suo auctori vindicala, Paris, 1708, résumé par lui dans les Script. O. P., t. i, p. 232, a démontré que le Spéculum morale était une compilation d’auteurs divers, saint Thomas, Pierre de Tarentaise, Etienne de Rourbon et autres, par un anonyme du début du xive siècle.

Le Spéculum historiale est une histoire du monde depuis la création jusqu’en 1244, prolongée par Vincent lui-même jusqu’en 1253, et plus loin par divers continuateurs. Il débute par une récapitulation de ce qui a été dit dans les parties précédentes sur Dieu, la Trinité, les anges, l’homme dans son état originel et après sa chute. Puis, époque par époque, Vincent dit tout ce qu’il sait sur chacune d’elle. L’impression produite sur le lecteur est fort curieuse : entre les faits politiques qui servent de trame au récit, prennent place maints autres faits des plus disparates ; les plus intéressants sont assurément les faits littéraires : nomenclature des auteurs de l’antiquité et du christianisme, des écrivains ecclésiastiques ou profanes, catalogue de leurs œuvres, pensées morales et extraits multiples ; ensemble fort précieux qui nous permet d’imaginer l’étendue de la culture littéraire et spécialement de la connaissance de l’antiquité chez les théo

logiens du Moyen Age. Les récits édifiants de la vie des martyrs et des saints sont rapportés avec complaisance et semblent parfois assez puérils, surtout si l’on y ajoute les emprunts faits aux apocryphes pour la vie de Notre-Seigneur, celle de la sainte Vierge et les Actes des Apôtres. « Immense anecdotier divisé en 32 livres », a-t-on dit de ce Miroir historial. J. Th. Welter, L’exemplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Age, Paris 1927, p. 152. L’expression est un peu sévère, car ces 32 livres où l’on trouve de tout sont une mine de renseignements qui a été indéfiniment exploitée. Le Spéculum historiale comprend lui aussi de vastes développements théologiques, qui restent dans la logique du système, c’est-à-dire suivent l’ordre chronologique : la naissance de Notre-Seigneur par exemple au temps de l’empereur Auguste amène l’obligation de parler du mystère de l’incarnation ; plus loin à propos de la substitution de la loi nouvelle à la loi ancienne, il faudra décrire les sept sacrements, leur principe théologique, leurs règles d’application et ainsi de suite. Ce Spéculum historiale connut un succès particulier à cause sans doute de l’intérêt humain que présentaient les faits historiques, surtout narrés de façon anecdotique et volontiers édifiante. Les laïcs y trouvaient des sujets de lectures assez faciles et les prédicateurs des exemples ; sa masse latine restait cependant un morceau indigeste. En 1333, Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI de Valois, le fit traduire en français par frère Jean du Vignai, hospitalier de Saint-Jacques du Haut-Pas. Le « Miroir historial » se lit encore aujourd’hui en de somptueux manuscrits du xive siècle et d’autres plus récents, Bibl. nat., fonds fr. n. 316, 312 et n. 50, Arsenal 5080, et il en existe plusieurs éditions imprimées. Un recueil d’extraits sous le titre de Flores historiarum fut composé par Adam de Clermont. Parmi les nombreuses chroniques qui utilisèrent le Spéculum citons seulement la fameuse chronique de Nurenberg, composée par Hartman Schedel et imprimée à Nurenberg en 1193 sous le titre : Liber cronicarum ab initia mundi.

Le Spéculum fut d’abord imprimé par parties séparées à des dates fort rapprochées ; les quatre parties rassemblées forment l’édition de Jean Mentelin, Strasbourg, 1473-1476. Brunet, Manuel du libraire, suppl., t. ii, p. 901. D’autres impressions suivirent m Nurenberg, à Venise. Mais l’édition la meilleure, la plus répandue et la plus facile à consulter est celle des bénédictins de Douai, de 1624 : Vincenlii Burgundi ex ordine prwdicalorum, venerabilis episcopi bellovacensis, spéculum quadruplex, Xuturulc, Doctrinale, Morale, Historiale, Douai, 1624. Comme on le voit, les bénédictins ont adopté le titre : spéculum quadruplex. Leur édition comporte quatre volumes in-folio, un volume par partie, le troisième étant rempli par le Spéculum morale. Des tables analytique et alphabétique facilitent les recherches.

Écrits pédagogiques.

L’œuvre capitale de

Vincent, le Spéculum, a laissé dans l’ombre ses autres écrits. Il faut pourtant faire une place spéciale à ses traités pédagogiques. Ses relations avec la famille royale lui fournirent l’occasion d’exprimer son avis sur l’éducation des enfants royaux et. avec ce qu’il pul (’(lire, il y aurait de quoi composer un traité complet de l’institution d’un prince.. Le premier en date de ces traités est le Dr eruditione filiorum regalium, ou D< puerorum nobilium trudilione, dédié m ii reine Marguerite ; il fut composé entre 1250 et 1252. Dans la pensée de Vincent, ce traité est une partie détachée par avance d’un ouvrage d’ensemble

qu’il a l’intention de composer de statu prinetpis

m de tottus rei/alis (unir, sive fatntllSB, neenon et de

rei publies admtnistratione, ac tottus regni guberna

tione. Ce petit traité dont les mss. sont nombreux, (ainsi. : Bibl. nat., ras. lat. 7605, 16 606, 16 390), fut édité à Bàle parmi d’autres œuvres de Vincent en 1481 et réédité en 1938 par Arpad Steiner, à Cambridge (Massachussetls), dans la collection : The Médiéval Academy of America, sous le titre : Vincent of Beauvais, De eruditione filiorum nobilium. Une traduction française fut faite au xve siècle pour la bibliothèque du roi Charles V par le carme Jean Goulain. L’ouvrage s’apparente de près avec le 1. VII du Spéculum doctrinale qui traite des mêmes questions.

Vincent de Beauvais a-t-il réellement composé le grand travail d’ensemble qu’il annonce dans le précédent, on a pu en douter et l’abbé Bourgeat, Études sur Vincent de Beauvais, Paris 1856, p. 20, pense que cet ouvrage plus étendu n’est autre que l’ensemble du Spéculum doctrinale. Pourtant Quétif et Echard dans leurs Scriptores O. P., t. i, p. 239, indiquent un second traité, distinct du Spéculum doctrinale, et le datent d’environ 1260 ; un correspondant leur en a signalé un exemplaire ras. dans une bibliothèque d’Angleterre sous le titre : De morali principis inslitutione, et il leur a transcrit la préface qu’ils reproduisent ; de fait cette préface est fort probante. D’autre part Brunet, Manuel du libraire, Paris, 1864, t. v, col. 1257, connaît un in-folio, sans lieu ni date, mais imprimé aux environs de 1476, qui se présente sous le titre suivant : Libri III de morali principis inslitutione, de nobilium puerorum inslitutione et de consolationibus specialibus de morte filii ; cet incunable présenterait donc groupés les deux ouvrages avec un troisième dont nous parlerons bientôt.

Entre ces deux traités, le P. Mandonnet place un : De eruditione principum publié à tort parmi les opuscules de saint Thomas et qu’il restitue à Vincent de Beauvais. Cf. ici art. Frères prêcheurs, t. vi, col. 905. Malheureusement le savant dominicain ne donne pas de raisons ; dans son étude sur les Écrits authentiques de S. Thomas d’Aquin, Revue thomiste, mai-juin 1910, p. 298, il écrit : « Je crois pour des raisons hors de propos de faire valoir ici, que l’ouvrage est de Vincent de Beauvais ». Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est tout à fait dans la manière de Vincent.

La méthode de ces ouvrages de pédagogie, et nous pouvons en dire autant par avance des autres œuvres de Vincent, est toujours la même : ce sont des florilèges. Ses conseils et indications sont tirés non solum ex divinis Scripluris, verum etiam ex doctorum catholicorum sententiis, insuper etiam philosophicis et poeticis. Il n’y a pas lieu de reprocher à Vincent l’abus des citations. Telle est l’essence même de son travail. Quant a l’esprit de cette pédagogie, peut-être se monlrc-t-il par trop théologique et monastique ; tous les dangers que peut courir la vie morale d’un prince el d’une princesse y sont minutieusement analysés, tous les excès y sont flétris avec éloquence, mais on voudrait un idéal chrétien « laïc » un peu mieux dégagé.

3° Autres écrits. I.’énorme Spéculum fui soumis bientôt à toute sorte de découpages et abréviations, ce qui explique le nombre considérable d’u’uvres qui sont attribuées à Vincent et (fui ne sont quc des morceaux plus ou moins modifiés de son grand ouvrage. Il est donc assez difficile d’établir un catalogue exact des écrits qui constituent des ouvrages réellement distincts du Spéculum. Il faudrait pour cela une étude minutieuse de Ions les mss. existants, t’ne autre difficulté liait de ce que, dans les divers mss., un même ouvrage se présente sous des titres

différents. Nous nous en tiendrons ; ni œuvres qui,

depuis le Scriptores ordmis pruilicaloriim des IT. ( lui 303J

VINCENT DE BEA I VAIS

3032

tif et Echard, sont reconnues avec certitude comme appartenant à Vincent. Plusieurs ont été rassemblées et imprimées en un volume in-folio par Jean de Hammerbach à Bâle, en 1481, ce sont :

Liber gratiæ, ou sous un autre titre, De Dei filio mundi redemptore, ou encore De Redemptore generis humani. Vincent en fait mention au c. i du 1. I de son Spéculum naturule, comme d’un travail déjà publié par lui. C’est un traité de l’incarnation et de la rédemption, théologique et historique ; il y expose l’une et l’autre génération du Rédempteur, l’éternelle et la temporelle, cette dernière surtout ; nous lisons le récit expliqué et commenté de la naissance de Jésus, de son enfance, de sa passion, de sa résurrection, de son ascension, de la venue de l’Esprit-Saint, de l’établissement de l’Église.

Liber laudum Virginis gloriosæ : « de vita scilicet et gestis beatse Virginis. » Les évangiles nous disent peu de choses sur la Vierge ; les apocryphes, au contraire, sont abondants, mais il faut s’en défier ; certains écrits anciens racontent des choses curieuses sur sa vie, son assomption, ses miracles ; il a paru utile pour l’honneur de la Vierge et l’édification des lecteurs, de recueillir dans les écrits des Pères, leurs nombreux traités et sermons, quelques fleurs en l’honneur de la Vierge.

Liber de sancto Joanne Evangelista. La préface nous prévient qu’il fait suite aux louanges de la Vierge, il est écrit dans le même esprit.

Vient ensuite dans l’édition de Bâle le De eruditione seu modo instruendorum ftliorum regalium déjà étudié plus haut, puis la Consolatio super morte amici. Il s’agit en fait d’une lettre de consolation, véritable petit traité de la vie éternelle, adressée à saint Louis par Vincent après la mort de son fils aîné Louis, décédé le 15 janvier 1260 et inhumé à Royaumont. Les mss. donnent un titre plus exact et plus complet : Epistola consolatoria F. Vincentii Bellovacensis ad regem Francorum Ludovicum super morte Ludovici primogeniti sui. Bibl. nat. ms. lat. 16 390. Ajoutons que cette lettre de consolation fut traduite en français en 1374 pour la bibliothèque du roi Charles V. II ne semble pas que cette traduction ait jamais été publiée.

Les trois premiers de ces ouvrages forment comme une suite sur le Sauveur, la Vierge, saint Jean, et composent l’histoire divine et humaine de l’incarnation. Dans l’édition de Bâle il manque le début de cette histoire, un Liber de Trinitate qui est le premier des inédits dont nous avons maintenant à parler. L’existence de ce livre nous est signalée par Vincent ; au début du Spéculum naturale, t. I, c. I, il écrit : de mundo quippe archehjpo sufficienter, ut œstimo, alias disseruimus in libro videlicet quem de sancta Trinitate communiter ex dictis sanctorum et catholicorum doctorum nuper compegimus.

Vient ensuite un Tractatus de pœnitentia, Bibl. nat., Ms. lat. 3214, totus ex dictis sanctorum doctorum collectus. Il n’est pas question seulement, dans cet ouvrage, du sacrement de pénitence, mais de l’esprit de pénitence ; c’est ce que l’on pourrait appeler un manuel d’ascétisme chrétien, traitant non seulement de la nécessité de la pénitence, mais de la prière, de la méditation, de la psalmodie, des bonnes œuvres, etc. Confession, componction, satisfaction, aumônes, correction fraternelle, jeûnes, mortifications de tout genre, garde des sens, règlement de vie, tout y est envisagé.

Enfin une Expositio orationis dominicæ et salutalionis beatse Mariée ; explication détaillée de ces deux prières fondamentales des chrétiens. Bibl. nat., ms. lat. 14 889.

III. Intérêt de l’œuvre. — Les écrits de Vincent, surtout son œuvre maîtresse, le Spéculum, connurent

un immense succès, pourtant on s’est montré parfois sévère, même dans l’ordre de Saint Dominique, pour les apprécier. On reproche à Vincent de la crédulité, l’usage des apocryphes, des miracles ridicules attribués à la Vierge. D’autres critiquent toutes ces sentences tirées d’auteurs païens et même d’Aristote, si particulièrement dangereux. Vincent a répondu par avance à beaucoup d’objections dans le prologue général du Spéculum : Tout n’est pas mauvais chez les mauvais auteurs, païens, apocryphes ou autres. Il est permis d’en tirer ce qu’ils contiennent de bon et d’excellent sans pour cela approuver le reste. En ce qui concerne les récits des apocryphes, lorsqu’ils sont nettement contraires à la foi, ils doivent être rejetés, mais, quand ce qu’ils nous rapportent est plausible, édifiant, il n’y a pas d’inconvénient à le recueillir ; le rapporteur ne prend pas parti d’affirmer ou de nier, c’est au lecteur à se faire par lui-même une opinion, s’il le peut. Quétif et Echard constatent à juste titre que Vincent est pour nous un témoin de la science de son temps, qu’il nous a conservé des textes qui sans lui seraient perdus et que du point de vue de l’histoire, pour les événements plus proches de lui, il est une source précieuse : sur l’origine des prêcheurs, des mineurs, des chanoines réguliers, de Cluny, des cisterciens, des chartreux, il nous donne une foule de renseignements. Pour nos contemporains, ce qui déprécie cette œuvre, c’est son caractère de compilation. Vincent, dit-on, craint d’émettre une opinion ; il a toujours besoin de s’abriter derrière les autorités. C’est donc la nature et la valeur de cette compilation qu’il nous faut examiner.

On caractérise quelquefois l’œuvre de Vincent en disant qu’elle est l’encyclopédie du xiiie siècle, mais la formule prête à confusion. Si, en effet, nous comparons Vincent à ses contemporains Albert le Grand, saint Thomas, Roger Bacon, tous les trois d’une personnalité si accentuée ; et si même nous le confrontons avec d’autres personnages de second plan, Vincent nous paraît s’être tenu en dehors du grand mouvement, créateur de pensée, du xiiie siècle ; il n’exprime pas la pensée de son temps, on dirait qu’il lui est antérieur ; au fond, il ressemble plus au fameux compilateur du ixe siècle, Raban Maur, qu’à Albert le Grand. Cette opinion n’est pas tout à fait juste, mais elle contient une part de vérité. Les auteurs des histoires de la philosophie ne font guère mention de lui ; les auteurs d’histoires des sciences pas davantage, alors que les uns et les autres font une place importante à maître Albert ; c’est que Albert le Grand raisonne sur les faits et les théories qui lui sont transmises ; il explore lui-même, il expérimente. Vincent n’est qu’un rapporteur. Son intention est double : d’abord mettre à la disposition des autres, des matériaux qui rendent possible leur travail ; il reste à ce point de vue dans la tradition du xiie siècle, dont les recueils de Sentences et les gloses scripturaires s’efforçaient de présenter chaque point de doctrine en une formule parfaite et définitive tirée des Pères de l’Église, chaque verset de l’Écriture avec son commentaire quasi officiel ; mais, lui, procède en grand sur l’universalité de la connaissance ; il est bien vrai qu’il fait penser à Raban Maur et à son De universo, mais Vincent est d’ordinaire plus attentif que Raban Maur à indiquer ses sources ; alors que ce dernier se contente de quelques lettres pour marquer que son texte est emprunté à Augustin, à Jérôme, Vincent donne presque toujours une référence assez précise ; comme Raban, il ne craint pas d’ajouter sa propre pensée pour expliquer un texte obscur ou le préciser ; le morceau est alors précédé de la mention : author. Vincent n’est donc pas un simple copiste ou le chef d’un atelier de 3033

VINCENT DE BEAUVAIS

copistes ; il ne se contente pas de publier des extraits de ses immenses lectures, il dit son opinion. Il ne rend pas seulement le service matériel de rechercher et de publier des textes rares, d’abréger des textes trop longs ; il choisit ; et choisir, prendre le meilleur, laisser le médiocre et l’inutile, n’est pas si facile. Son œuvre est une Somme, à la fois au sens du Moyen Age et au nôtre ; elle est un résumé et un total, ou mieux une synthèse.

Et c’est la seconde intention de Vincent, il n’entasse pas pêle-mêle ses découvertes, il les ordonne, il les classe. Que cette synthèse présente des faiblesses, il n’en faut pas douter ; les questions sont parfois accrochées les unes aux autres assez artificiellement ; on constate aussi des redites, de réelles insuffisances dans certains exposés dogmatiques ou philosophiques, mais l’ensemble n’en est pas moins fort riche ; s’il n’a pas créé une pensée neuve, Vincent s’est du moins assimilé la pensée de ses prédécesseurs. Cette synthèse à base biblique et ecclésiastique présente une vraie grandeur. Nous admirons en la contemplant comment tout se tient dans la connaissance. Vincent ne va pas au hasard, son œuvre est composée en un tout harmonieux ; construite comme une cathédrale, moins régulière et géométrique qu’un temple grec, mais combien plus vivante. Sans doute la dominante de cette synthèse est théologique ; la science pure ne s’y rencontre pas, et toutes les sciences et toutes les connaissances se rangent comme des servantes devant la théologie, science reine ; mais on observera que cette théologie ne consiste pas en une suite de thèses abstraites et desséchées : elle est une vraie theologia mentis et cordis ; elle est une vision du monde, ensoleillée par Dieu, soleil des esprits, elle est au surplus éminemment poétique ; le merveilleux ne manque pas, mais la naïveté n’est qu’apparente, le tout est d’un robuste optimisme.

On comprend dans ces conditions que les matériaux patiemment assemblés par Vincent n’aient pas servi seulement à ses frères en religion, aux « lecteurs » de tout enseignement, mais qu’ils aient fourni le thème de la décoration des cathédrales, décoration qui voulaient être dans la pensée des clercs qui la commandaient un enseignement pour le peuple. Emile Mâle a très bien montré dans son Art religieux du.//, e siècle en France comment toute la sculpture du xiiie est ordonnée par le Spéculum dont elle pourrait constituer comme l’illustration, l’eu de lecteurs s’aventurent aujourd’hui dans les in-folios de l’édition de Douai, mais l’artiste ou le curieux qui s’arrête devant tel détail pittoresque de l’imagerie de pierre de nos cathédrales se doute-t-il qu’il déchiffre une page de Vincent de Beau vais ?

Outre les ouvrages indiqués dans le corps de l’article : Touron, Histoire des hommes illustres <ic l’ordre de S. Dominique, Paris. [743, t. i ; Daunou, Vincent de Beauvais, dans Histoire littéraire, t. xviii ; Delisle, Ibid., I. XXXII ; Boutaric, Examen des sources du Spéculum Htstoriale de Vincent de Beauvais, Mém. de l’Acad. des Inser. et Bel. Lettr., 1863 ; du même, Vincent <te Beauvais et lu connaissanct de l’antiquité classique nu XIII’siècle, dans Rei », des quest. hist., janvier ixt."> ; Abbé l.efevre, Vincent île Beauvais, dans le iiull. île tu Connu, archéol. du diocèse île Beau Vais, I. il. 1KI7, p. 166 ; M.-l). Chapotln, O. I, Histoire’les dominicains île in province de France : le siècle îles fondations, Rouen, 18 ! » 8.

Henri I’ii.iiih.