Dictionnaire de théologie catholique/VIGILE (Pape)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 732-738).

VIGILE, pape de mars 537 au 7 juin 555. — L’action de ce pape en ce qui concerne l’affaire des Trois-Chapitres a été longuement étudiée à l’art. Tnois-C Chapitres. Il reste à fixer ici quelques points de détail, d’une part, et, de l’autre, les caractéristiques générales du pontificat.

I. Vigile avant son accession au pontificat. Le Liber pontificalis le dit romain d’origine et en fait le fils du consul Jean. Il aurait donc appartenu à une famille considérable ; son frère. Beparatus. était sénateur. Il est impossible de reconstruire son ctirri-Ctllum Dite avant le pontifical de Boniface II (530532). À ce moment. Vigile était diacre, archidiacre peut-être. Dans un synode réuni à Saint-Pierre, il fut l’objet, dit la notice de Boniface, Lib, pont., éd. Duchesne. t. i. p. 281, d’une mesure de faveur de la part du pape régnant, qui le désigna publiquement comme son successeur éventuel. Cette démarche paraissait d’autant plus naturelle à Boniface que lui-même avait clé désigné par son prédécesseur Félix [V. Mais cette façon de faire n’avait pas laissé de susciter des protestations. L’Église romaine n’entendait pas laisser s’affermir une coutume qui n’allait a rien de moins qu’à créer une véritable dynastie de papes. Déjà la désignation de Boniface avait amené au lendemain de la mort de hélix (septembre 530) une compétition entre Boniface et un certain Dioscore. Il’iii.. p. 281. Celui-ci n’avait pas fardé à mourir ; Boniface

avait rallié l’ensemble du clergé et exigé des adhérents de Dioscore des lettres de renonciation. De même après que synodalement Boniface eut désigné Vigile comme son successeur une assez forte opposition se déclara. Dans un deuxième synode, Boniface fut contraint de rapporter l’acte précédent : Hoc censuerunt sacerdoles omnes propler reverenlium Sedis et quia contra canones fuerat hoc fuctum et quia culpa eum respiciebat ut successorem sibi constilueret. Boniface se confessa coupable du crime de lèse-majesté ( mujestatis reum) pour avoir fait cet acte en faveur de Vigile et l’acte lui-même (cyrographum) fut brûlé devant la confession de SaintPierre en présence de tous les prêtres, du clergé et du sénat. Ibid. Il est bien difficile de penser que Vigile n’ait pas été l’inspirateur de l’acte dont il aurait dû être le bénéficiaire.

Boniface II mourut le 17 octobre 532 ; son successeur, Jean II, ne fut consacré qu’aux derniers jours de décembre de la même année ou aux premiers de 533. Cette vacance de deux mois et demi, que rien ne justifie à cette époque, s’explique par des intrigues simoniaques dont il est amplement question dans une lettre du roi goth Athalaric à Jean II (conservée dans Cassiodore, Variarum, t. IX, n. 15, P. L., t. lxix, col. 778 sq.). Nous n’avons pas le droit de dire, n’en ayant pas la preuve, que Vigile ait été mêlé à ces manigances ; mais, étant donné l'échec de la tentative qu’il avait faite sous Boniface, pour arriver à la chaire de Pierre, il n’y aurait rien d'étonnant qu’il se soit agité, au décès de Boniface, pour obtenir par brigue ce qu’il n’avait pu obtenir par un acte régulier. Nous n’avons, d’ailleurs, aucun renseignement sur son attitude au temps de Jean 11(533-535) ni sous le pape Agapet qui succéda à celui-ci le 13 mai 535. Agapet, aussi bien, tenait à effacer, dans Rome, la trace de tous les différends que les compétitions antérieures avaient pu laisser. Il subsistait aux archives romaines les autographes des lettres de soumission que Boniface II avait exigées des partisans de Dioscore ; Agapet les fit brûler : rien d’officiel ne resterait plus des schismes passés : absolvit totam Ecclesiam de invidia perfidorum, dit le Liber pontificalis, ibid., p. 287.

L'ère des difficultés et des compétitions n'était malheureusement pas close pour autant. On a dit, aux notices respectives des papes Agapet et Silvère comment des intrigues, sur lesquelles la clarté n’est pas absolument faite, portèrent finalement au souverain pontificat l’ambitieux Vigile. Celui-ci avait accompagné à Constantinople le pape Agapet, envoyé en mission diplomatique par le roi des Goths Théodahat. Cette mission avait complètement échoué et le pape, avec quelque déférence qu’il eût été reçu par l’empereur Justinien, n’avait pu faire renoncer le basileus à la conquête projetée de l’Italie. Mais, par ailleurs, la venue d’Agapet à Constantinople avait coupé court, d’une manière qui semblait définitive, aux intrigues ourdies par Théodora pour rendre vie au monophysisme expirant. Le patriarche Anthime, parvenu au siège de la capitale par les soins de la basilissa et qui devait, dans la pensée de celle-ci, ressusciter le schisme monophysite, jugulé par l’action combinée de Rome et du pouvoir civil, avait été contraint de démissionner ; à sa place, le pape avait consacré, à Constantinople même, le patriarche Menas, sur l’orthodoxie chalcédonienne duquel Rome croyait pouvoir compter. La mort d’Agapet qui suivit de quelques semaines cette sorte de coup d'État (22 avril 536) pouvait tout remettre en question. Ne serait-il pas possible à l’Augusta de pousser sur la chaire de saint Pierre un homme qui entrât dans ses vues, revisât le procès d’Anthime, lui rendît

son siège et redonnât ainsi chance de survie au monophysisme sévérien ?

Or, les choses se passent comme si Vigile avait été cet homme dont Théodora rêvait de faire l’instrument de ses desseins. Le diacre d’Agapet ramène à Borne le corps de son maître ; peut-être, pensait-Il, aura-t-on attendu les obsèques de celui-ci pour lui donner un successeur. En fait, Vigile arrive trop tard ; sitôt connue la mort d’Agapet, le roi des Goths, Théodahat, s’est empressé de faire élire Silvère quin 536). A l’automne, cependant, sous la pression byzantine, les Goths ont évacué Rome ; c’est maintenant Bélisaire qui y commande. Enserré dans un réseau d’intrigues, le malheureux Silvère, représenté comme une créature des Goths, est déposé par le duc byzantin et exilé en Asie. Aussitôt Bélisaire lui substitue Vigile qui, en avril ou mai, est intronisé à sa place. À l’automne de 537, Silvère esquisse bien, d’accord avec Justinien, un retour offensif. On se débarasse prestement de lui. Qu’il ait ou non démissionné en novembre 537, peu importe, le fait est que sa disparition laisse Vigile en possession incontestée du siège pontifical. Dans toute cette affaire, Bélisaire joue le rôle le plus apparent ; mais, dans la coulisse, ne surprend-on pas l’action de l’ambitueux Vigile, fort de promesses que lui aurait faites la basilissa et utilisant à son profit l’action brutale du général byzantin ? Bélisaire, en d’autres termes, n’aurait-il été que l’exécutant d’un complot ourdi à Constantinople entre Vigile et Théodora ?

L’accusation est assez grave pour réclamer une audition impartiale des témoins. Le plus ancien est le diacre de Carthage, Libératus, qui, vers les années 560, donne dans son Breviarium causse nestorianorum et eutychianorum, une idée assez précise de la façon dont fut engagée l’affaire des Trois-Chapitres. Encore que très défavorable à la condamnation de ceux-ci, il laisse une impression de mesure et d’impartialité qu’il faut signaler. Or, au c. xxii, il est tout à fait explicite sur des tractations qui auraient eu lieu entre Vigile et la basilissa : Peu après la mort d’Agapet, écrit-il, « l’Augusta, convoquant Vigile, diacre d’Agapet, lui demanda la promesse secrète que, s’il devenait pape, il abolirait le concile (de Chalcédoine) et entrerait par lettre en rapport avec Théodose (d’Alexandrie), Anthime (de Constantinople) et Sévère (d’Antioche), et confirmerait leur doctrine par sa lettre. (En retour) elle lui promettait de lui donner pour Bélisaire l’ordre de le faire ordonner pape et de lui donner une somme de sept centenaria. Ambitieux et cupide, Vigile accepta avec empressement et ayant laissé à l’Augusta une profession de foi, il partit pour Rome ; mais, quand il arriva, Silvère était déjà nommé. » La narration se continue par le récit des démarches faites par Vigile auprès de Bélisaire, des machinations tramées par le Byzantin pour perdre Silvère, des promesses que l’on cherche à extorquer à celui-ci, de sa double comparution devant le dux, enfin de sa déposition et de son exil à Patare en Lycie. Texte dans P. L., t. lxviii, col. 1039 sq.

La Chronique de Victor de Tunnunum a été rédigée presque au même moment que le Breviarium. La chronologie de l’auteur est assez souvent en déroute ; c’est ainsi qu’il place en 541 (consulat de Basilius) la mort d’Agapet et l’ordination de Silvère, et c’est sous l’année 543 (2e année après le consulat de Basilius) qu’il rapporte les collusions de Vigile avec Théodora : « Par les agissements de celle-ci… Silvère, l'évêque de Rome, est envoyé en exil ; à sa place est ordonné Vigile. À ce dernier, Théodora avait arraché, avant son ordination, un autographe secret, d’après lequel, devenu pape, il condam299’VIGILE (PAPE)

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nerait, pour faire pièce à Chalcédoine, les Trois-Chapitres, c’est-à-dire la lettre d’Ibas à Maris le Perse, Théodore de Mopsueste et certains écrits de Théodoret évêque de Gyr. Devenu pape, Vigile fut contraint par Antonina, femme de Bélisaire, à entrer en relations épistolaires avec Théodose d’Alexandrie, Anthime de Constantinople et Silvère d’Antioche, antérieurement condamnés par le Siège apostolique. » P. L., t. lxviii, col. 956 sq. Il semble bien que Victor brouille un peu tous les événements. Quand il parle, comme d’une condition mise par l’Augusta à l’élévation de Vigile, de la condamnation des Trois-Chapitres, il anticipe sur les faits. Ultérieurement il donne à l’appui de ses dires sur les collusions de Vigile un document qui est aussi dans Libératus et que nous retrouverons : le texte de cette pièce ne se superpose pas exactement à celui du Breviarium, encore qu’il en reproduise les idées. On doit donc laisser en suspens la question de savoir si Victor dépend de Libératus ou non, et s’il faut considérer son témoignage comme indépendant du précédent.

Il reste à interroger un troisième Africain ; c’est Facundus d’Hermiane, lui aussi partisan très décidé des Trois-Chapitres. Son ouvrage Pro defensione Irium capitulorum est un travail considérable, qui était rédigé en grande partie quand Vigile arriva à Constantinople en janvier 547. En tout état de cause, il était certainement terminé avant le samedi saint, Il avril 548, où Vigile fit paraître son premier Constilutum. Dans tout l’écrit, le pape est traité avec égards ; nulle part il n’est fait allusion à des manœuvres louches qui auraient amené Vigile au souverain pontificat. Le court Liber ad Mocianum, beaucoup plus tardif, est de l’époque où Facundus a rompu avec le pape et les Orientaux. Il est très sévère pour Vigile, mais ce qu’il lui reproche c’est principalement l’incohérence de son attitude, ses variations continuelles dans l’affaire des Trois-Chapitres, la manière brutale dont il a voulu plier à ses volontés les évêques occidentaux réunis dans la capitale. Mais il fait aussi grief à Vigile des moyens par lesquels il serait arrivé au Siège apostolique, de ipsius chiroyraphis, vel prias ambitionis impulsu, cum fieri arderet episcoi>us, vel poslea de venalitale ; ce sont ces engagements antérieurs, qui ont fait de Vigile le prisonnier des adversaires de Chalcédoine. Op. cit., dans P. L., t. lxvii, COL 861. L’allusion est transparente aux événements dont Libératus a fait le récit détaillé.

Deux écrivains profanes, Procope et le comte Marcellin (ou son continuateur) sont amenés par leur sujet à traiter des événements en question. Le premier, dans le De bello gothico, 1, 25, et dans Y Historla arrima, i, 2 et 7, raconte très sommairement la substitution de Vigile à Silvère, sa narration se raccorde assez bien avec celle de Libératus et le second de ces textes fait clairement allusion au rôle joué, dans cette affaire, par Antonina. femme de Bélisaire. Quant à la Chronique du comte Marcellin, elle s’occupe plus des événements politiques et militaires que des faits religieux. Elle mentionne seulement la venue d’Agapet à Constantinople, son action (outre Anthime, la mort du pape, l’élection de Silvère a Rome, et, ajoute-t-elle, i comme celui-ci favorisait le roi des Goths, Bélisaire le déposa et lit nommer Vigile a sa place. P. /… t. m. col. 943.

A Rome, le Liber poniiflcalls, dans les deux notices de Silvère ei de Vigile, qui ne doivent pal être de beaucoup postérieures a la mort de ce dernier, témoigne aussi qu’il avait transpiré, dans les milieux romains, quelque chose des louches agissements par lesquels Vigile étail arrivé au suprême pontificat, On a dit. à l’ail. SlLVÊRB, que la biographie de ce pape est formée de deux pallies, d’origine diverse.

assez maladroitement raccordées ; la première plutôt hostile au pape élu sous l’influence des Goths, la seconde, au contraire, présentant Silvère comme un martyr de la foi chalcédonienne. Vigile y joue un rôle odieux : « À cette date, écrit le biographe (il vient de parler de l’arrivée de Bélisaire à Rome), le diacre Vigile était apocrisiaire à Constantinople. Or, l’Augusta, très fâchée de ce que le patriarche Anthime avait été déposé par le pape Agapet, qui l’avait trouvé hérétique et lui avait substitué Menas, un serviteur de Dieu, ayant pris conseil du diacre Vigile, envoya une lettre à Rome au pape Silvère lui disant : <> N’hésitez point à venir ici, ou du moins rappelez Anthime sur son siège. » L’ayant lue, le bienheureux Silvère gémit et dit : « Je vois bien que cette affaire amènera ma fin. » Mais, plein de confiance en Dieu et dans le bienheureux apôtre Pierre, il répondit à l’Augusta : « Jamais je ne consentirai à rappeler un homme hérétique et condamné pour sa malice. » Indignée, l’Augusta envoya ces ordres au patrice Bélisaire, par le diacre Vigile : « Trouvez quelque prétexte contre Silvère et le déposez de l’épiscopat, ou du moins expédiez-nous le au plus tôt. Vous avez l’archidiacre et apocrisiaire Vigile, qui nous est très cher ; il nous a promis de rappeler le patriarche Anthime. » À réception de cet ordre, le patrice-Bélisaire dit : « J’exécuterai l’ordre ; mais c’est celui qui a intérêt à la mort du pape Silvère, qui rendra compte de ses agissements à Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Des accusations sont portées contre le pape, qui serait entré en rapports avec les Goths, pour leur livrer Rome. Sans trop croire à ces accusations, Bélisaire fait venir Silvère au palais du Pincio, sa résidence ; le clergé romain qui l’accompagne n’est pas autorisé à pénétrer dans le palais. Seul Vigile escorte Silvère jusqu’à l’appartement privé, où se tiennent Bélisaire et sa femme Antonina. Celle-ci reproche au pape sa trahison. File parlait encore que le sous-diacre Jean entre, arrache à Silvère le pallium et le conduit dans une chambre où on le dépouille du costume pontifical, le revêtant d’un froc monastique et où on le maintient au secret. Sur quoi, le sous-diacre Sixte sort pour annoncer au clergé, qui attend au dehors, que le pape a été déposé et réduit à l’état monastique, ’fous s’enfuient. Làdessus, l’archidiacre Vigile mit la main sur Silvère (suscepii in sua quasi fide) et « l’envoya en exil aux îles Pontise et il ne lui donna pour vivre que le pain de trihulation et l’eau d’angoisse. Silvère ne larda pas à mourir et fut ainsi confesseur de la foi. » Édit. Duchesne, t. i, p. 292 sq. L’ensemble du récit, comme on le voit, s’écarte notablement sur bien des points de la narration plus détaillée de Facundus ; il y manque, en particulier, l’exil de Silvère en l.ycic et son retour à Rome, qui devait lui être fatal. Mais le rôle joué en toute celle affaire par Vigile est sensiblement le même, encore que le narrateur romain n’indique jamais qu’à demi mol les initiatives prises par celui-ci.

Le même esprit s’accuse dans la notice consacrée à Vigile même, qui paraît bien être la continuation de la précédente. Elle raconte d’abord les entreprises de Bélisaire contre le roi des Goths. Wltigès qui, finalement, est fait prisonnier et envoyé à Constantinople ; c’est l’occasion pour.lusi inien d’apprendre de Bélisaire la façon dont Vigile a été substitué à Silvère. Puis elle |iasse aux rapports du nouveau pape avec l’Augusta : En ce temps-là. Théodore écrivit à Vigile : Venez ici et exécutez ce que vous avez promis au sujet d’Anthime ; remettez-le dans son office, i Mais contrairement aux données de Libératus, qui raconte les relations épistolaires entre Vigile et les lévériens Vigile, selon le biographe, opi’ose

aux injonctions de la basilissa une ferme et digne réponse : « A Dieu ne plaise, lui répondit-il ; la première fois j’ai agi sans réflexion ; mais à présent je ne consentirai pas à rappeler un hérétique. Tout indigne que je sois, je suis le vicaire de l’apôtre Pierre, comme le furent mes prédécesseurs, Agapet et Silvère, qui l’ont condamné. » La suite de la notice est de la même encre : elle parle des griefs considérables que les Romains avaient contre Vigile : ses machinations contre Silvère, ses violences contre diverses personnes ; elle note qu’au moment de son enlèvement, des manifestations contradictoires se produisent, et pourtant elle signale la fermeté avec laquelle, transporté à Constantinople, il sait, au moins à diverses reprises, résister à Justinien. Elle lui prête ce mot : « C’est à Dioclétien et à Éleuthérie que j’ai affaire. Faites de moi ce que vous voulez. C’est la juste punition de ce que j’ai fait : digna enim factis recipio. » Et l’un des asistants soufflette Vigile, en disant : « Rappelle-toi que tu as mis à mort le pape Silvère. » Ibid., p. 296-298.

En définitive, le Liber pontificalis rejoint Libératus et Victor ; pour être moins précise, sa déposition ne laisse pas d’accuser Vigile. Il serait donc imprudent de rejeter ces divers témoignages, qui paraissent indépendants. Celui des Africains peut être vicié par la passion ; celui du biographe romain ne semble pas inspiré de sentiments analogues. Il faut conclure qu’au dire d’écrivains contemporains, Vigile est arrivé à la chaire apostolique au prix de collusions regrettables. Quant à dire que ces tractations aient laissé des traces écrites et que Vigile ait remis aux mains de la basilissa une promesse en forme, c’est une autre affaire. Il est des attitudes, des paroles, des silences même, qui engagent autant qu’un écrit. Théodora a dû faire comprendre à Vigile ce qu’elle attendait de lui, s’il devenait pape ; Vigile a laissé entendre qu’il n’était pas impossible de donner satisfaction à la basilissa. À cela, et c’est déjà trop, ont pu se ramener les tractations de Constantinople qui ont fini par mettre l’ambitieux archidiacre sur la chaire de saint Pierre où, depuis si longtemps, il désirait s’asseoir.

II. Le pontificat de Vigile.

1° Affaires occidentales. — Avant d’examiner les conséquences qu’eut pour le pape, dans les affaires d’Orient, la fausse situation qu’il s’était créée, indiquons sommairement ses interventions en Occident.

A l’endroit du siège d’Arles, il continue la même politique qu’avaient suivie ses prédécesseurs : faire de l’évêque de cette ancienne capitale de la Gaule romaine son représentant au delà des Alpes. C’est d’abord avec saint Césaire qu’il est en rapports. Le 6 mars 538, il lui signale le mauvais cas où s’est mis le roi des Francs, Théodebert (fils de Thierry et petit-fils de Clovis), en épousant la femme de son frère (après le décès de celui-ci). Le roi a fait demander à Rome quelle pénitence il devait faire pour cela. On lui a répondu que c’était là une faute très grave, mais que l’injonction de la pénitence était de la compétence des évêques locaux, qui seraient plus aptes à fixer la grandeur de la composition à fournir. Césaire reçoit du pape mandat de régler la durée de la pénitence. Mais il devra insister auprès du souverain pour que celui-ci se sépare, en dépit de cette pénitence, de la femme à laquelle il s’est uni contre la loi divine. Jaffé, Regesta, n. 906. Césaire étant mort le 27 août 543, c’est avec son successeur Auxanius que les relations continuent. Le 18 octobre 543, Vigile félicite celui-ci de son élection ; il lui propose en exemple la conduite de son prédécesseur Césaire et le dévouement que celui-ci a toujours montré à l’endroit du Siège apostolique. Il lui enverra ulté rieurement le pallium et les divers privilèges y afférents, mais il faut d’abord qu’il se mette d’accord sur le tout avec l’empereur. Jaffé, n. 912. L’année suivante, en mai, il précise à Auxanius qu’à la demande du roi Childebert (roi de Paris de 511 à 558), il accorde au titulaire d’Arles le droit de représenter le Siège apostolique. Dans le territoire que délimite l’acte pontifical, Auxanius présidera les assemblées épiscopales chargées de discuter les questions contentieuses. Ces affaires seront réglées sur place à moins qu’il ne s’agisse de questions relatives à la foi, de reliyione fidei, ou de quelque point de trop d’importance. De même l’évêque d’Arles donnera-t-il aux évêques du ressort à lui confié les litterse formatée dont ils ont besoin pour sortir de leurs diocèses. Des règles lui sont également fournies pour l’usage du pallium. Jaffé, n. 913. À la même date, une lettre pontificale annonce aux évêques des Gaules du royaume de Childebert et à tous ceux que l’ancienne coutume rattache au siège d’Arles, les pouvoirs donnés à Auxanius. Celui-ci est le vicaire du pape, noster vicarius ; ils devront donc répondre à son appel quand il les convoquera en synode. Semblablement une lettre de la même date confle-t-elle à Auxanius le soin de ventiler l’affaire de la nomination de Prétextât à l’évêché de Chalon : il ne faudrait pas que des laïques fussent élevés trop rapidement à l’épiscopat. Jaffé, n. 915. Auxanius ne fit guère que passer sur le siège d’Arles, où il fut remplacé par Aurélien. À la demande de Childebert, Vigile lui renouvelle les concessions faites à son prédécesseur. Jaffé, n. 918. Une lettre adressée aux évêques du royaume de Childebert leur expliquait comment le premier devoir du pape était de maintenir la paix entre les Églises : l’un des meilleurs moyens pour cela était qu’il y eût, dans la région gauloise, quelqu’un qui représentât la personne du pape, selon que l’avaient déjà réglé les prédécesseurs de Vigile. Jaffé, n. 919. Toutes ces pièces sont d’importance pour montrer la signification que le Siège apostolique attachait à la création du vicariat d’Arles. Cinquante ans plus tard, le pape saint Grégoire essaiera à son tour de donner corps à cette institution.

Représentant du pape au delà des Alpes, Aurélien n’a pas seulement à exercer une juridiction ; il doit rendre au titulaire du Siège apostolique des services personnels. À partir du départ de Vigile pour Constantinople, des bruits fâcheux commencent à circuler dans les Gaules sur l’orthodoxie du pape. Dès avril 550, Vigile, qui a reçu d’Aurélien une lettre où celui-ci se fait plus ou moins l’écho de ces rumeurs, répond à l’évêque d’Arles une longue missive : « Ayez confiance, lui écrit-il, que nous n’avons absolument rien accepté qui aille contre les constitutions de nos prédécesseurs ou la foi proclamée par les quatre conciles. Faites savoir à vos évêques qu’il ne faut pas tenir compte des écrits mensongers mis en circulation ou des dires de certains personnages. Nous espérons qu’au roi Childebert, dont nous savons la vénération pour le Siège apostolique, vous persuaderez qu’il rende à l’Église les services sur lesquels nous sommes en droit de compter : le roi des Goths vient de réoccuper Rome ; que Childebert veuille bien lui demander par écrit de ne pas se mêler, lui qui est d’une autre confession, aux affaires de notre Église et de ne rien faire qui puisse la troubler. En un mot, montrez-vous un véritable vicaire de notre siège. » Jaffé, n. 925.

Au fait, les rois francs ne laissaient pas de s’inquiéter, évidemment à la suggestion de leur entourage ecclésiastique, des attitudes contradictoires prises par Vigile dans l’affaire des Trois-Chapitres. Nous en avons la preuve dans un curieux mémoire envoyé

.par des clercs italiens, milanais sans doute, dévoués à Vigile, à des ambassadeurs francs qui étaient sur le point de partir pour Constantinople, afin d’y négocier, au nom de Théodebald, fils de Théodebert, une alliance avec les Byzantins contre les Goths. Voir Procope, Bell. Gothicum, iv, 24, qui rapporte l’événement à 551. Les clercs en question tiennent à dissiper les faux bruits répandus en Gaule sur le compte de Vigile. Ils ont été diffusés par le messager qu’Aurélien, évêque d’Arles, avait envoyé à Constantinople. Venu dans la capitale, celui-ci n’a pu en sortir qu’en promettant de faire le possible pour amener les évêques gaulois à condamner les Trois-Chapitres. Il a même reçu la forte somme et juré de travailler en ce sens ; on lui a d’ailleurs interdit de se charger des communications adressées par Vigile aux évêques gaulois. À ce que les missi francs n’en ignorent, les clercs milanais leur donnent une, idée sommaire de ce qui s’est passé récemment à Constantinople. Avant de partir qu’ils mettent au courant les évêques de leur pays ; arrivés dans la capitale, qu’ils fassent tout le possible pour encourager Vigile et ses conseillers, tout spécialement Dacius, évêque de Milan, dans leur attitude de résistance. Texte dans P. L., t. lxix, col. 114-119. Les rois francs continueront, sous Pelage I er, successeur de Vigile, à se préoccuper de l’attitude du Siège apostolique dans l’affaire des Trois-Chapitres. Voir l’art. Pelage I er.

Nous n’avons de Vigile aucune correspondance avec d’autres Occidentaux qui ait l’importance de celle qui fut échangée avec Arles. Tout au plus peut-on signaler une lettre à Profuturus, évêque de Braga, dans le royaume des Suèves (29 mars 538). Bien qu’elle ait été maquillée par le pseudo-Isidore, cette décrétale a des parties certainement authentiques ; elle condamne certaines abstinences priscillianistes, qui rendraient leurs adhérents semblables aux manichéens, donne des précisions sur la formule du baptême : « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », prescrit le mode de réconciliation des catholiques qui se sont laissés rebaptiser par les ariens : cette réconciliation doit se faire non per illam imposilionem manus, (/use per invocationcm sancti Spiritus fit, sed per illam qua pwnitenliæ fruclus acquiritur et saucier eommunionis restitulio perficitur : en d’autres termes, cette imposition des mains est celle non pas de la confirmation, mais de la pénitence. Suivent des prescriptions sur la manière de renouveler la consécration d’une église que l’on a rebâtie et sur la date de la célébration de Pâques : elle aura lieu, l’année suivante, le 24 avril. Le pseudo-Isidore a ajouté à tout cela un assez long développement sur la primauté du Siège romain et la nécessité de lui rapporter toutes les causes majeures..lalïé. n. 907.

2° Les affaires orientales. Si, en Occident. Vigile a continué, non sans énergie, l’action de ses prédécesseurs, les collusions auxquelles il devait son accession au suprême pontifical devaient l’empêcher de prendre, dans les affaires orientales, la ferme attitude rpie rendaient nécessaire les machinations de Théodora en faveur du monophysisme sévérien. Durant fout son règne, il sera l’homme des petites combinaisons, des manœuvres plus ou moins tor tueuses par lesquelles il espère faire prendre le change sur ses dispositions intimes et esquiver les responsabilités. u fond de l’âme, il est chah ( (Ionien ; il adhère a la doctrine des deux natures et a toutes ses Conséquences ; il se rend compte aussi de la portée

des attaques menées par les sévériens ((mire certains personnages dont le soit est plus ou moins lié avec celui do concile. Mais ses antécédents donnent Irop de prise à ceux qui voudraient trouver chez lui on auxiliaire dans leui lutte contre Chalcédoine.

Avons-nous sa synodique d’intronisation ? Ce serait un document qui mettrait au clair sur la doctrine qu’il professe au moins extérieurement. Or, Pitra a publié, au t. iv du Spicilegium Solesmense, p.xii, une profession de foi qui est rapportée à Vigile et dont l’authenticité ne paraît guère douteuse. Vigile, après avoir parlé de la doctrine de l’unique nature dans le sens catholique, promet de défendre les décisions des quatre conciles et les décrets de ses prédécesseurs : il tient pour condamnés ceux qu’ils ont condamnés, il reçoit pour orthodoxes ceux qu’ils ont reçus et particulièrement les vénérables évêques Théodoret et Ibas. Jalïé, n. 908.

Mais, au même moment, n’aurait-il pas donné, par écrit, des gages aux sévériens ? Libératus le prétend et, poursuivant l’histoire des collusions de Vigile avec les monophysites, il déclare que, peu après son arrivée au pontificat, le pape, accomplissant la promesse qu’il avait faite à l’Augusta, fit parvenir à celle-ci, par Antonina, femme de Bélisaire, la lettre suivante destinée à Théodose (d’Alexandrie), Anthime (ex-patriarche de Constantinople) et Sévère (d’Antioche) : « Je sais que déjà est parvenue jusqu’à vous l’expression de ce que je crois. Mais récemment ma glorieuse fille, la très chrétienne patrice Antonina, m’a procuré l’occasion de remplir mes désirs, en vous faisant passer le présent écrit. Vous saluant donc dans la grâce qui nous unit au Christ, je vous fais savoir qu’avec l’aide de Dieu j’ai toujours tenu et tiens encore la foi que vous tenez vous-mêmes, sachant qu’existe entre nous une parfaite communauté de sentiments et de pensées. J’ai dû tarder à vous annoncer la bonne nouvelle de ma promotion qui est un peu votre promotion, sachant que votre fraternité s’y rallierait de bon cœur. Mais il faut que nul ne sache ce que je vous écris. Au contraire, que devant tout le monde, votre sagesse affecte de me tenir pour suspect, afin que je puisse plus facilement parfaire ce que j’ai commencé. » À cette lettre, continue Libératus, Vigile annexa sa profession de foi, dans laquelle il condamnait les deux natures dans le Christ. Annulant le tome de Léon, il écrivait :

1° Nous ne confessons pas que le Christ est deux natures, niais que des deux natures est composé un seul Fils, un seid Christ, un seul Seigneur.

2° Quiconque dit : i dans le Christ il y n deux « formes, dont chacune agit en union avec l’autre » et ne confesse pas une seule personne, une seule essence, qu’il soit ana thème.

3° Celui qui dit : ceci faisait les miracles », « cela était victime des souffrances » et qui ne confesse pas que les miracles (d’une parti et (de l’autre) les souffrances quc le

Christ a endurées de son gré, la chair nous étant consubstantielie, sont d’un seul et même, qu’il soit anathème.

1° Celui qui dit : l.e Christ en tant qu’homme a été l’objet de la miséricorde divine » et qui ne dit pas : le Verbe divin lui-même a été crucifié, pour avoir eu pitié de nous, qu’il soit anathème,

5° Nous anatliématisoiis donc Paul de Samosate, Dlos core (faute de copiste évidente ; il faut lire Diodore),

Théodore, Théodore ! et tous ceux qui ont embrassé ou

embrassent leurs enseignements. Texte dans ; >. L., t. lxviii,

col. 1011. Victor donne le texte de la lettre, mais non les

anatbématismes ; ihiil., col. ! t.">7.

La lettre proprement dite est évidemment la reconnaissance des doctrines professées par les chefs du monophysisme sévérien ou tout au moins de leur attitude ; si elle est authentique, elle met de foule évidence Vigile en très fâcheuse posture. De la paît du titulaire du Siège apostolique, (’est une véritable trahison de son devoir. Les analhématisines qui l’accompagnent et qui sont précédés par le début (évidemment incomplet) d’une profession positive de foi. laissent, par eonlrc. une impression assez mélangée. On dirait de quelqu’un qui s’escrime contre 3003

    1. VIGILF##


VIGILF. (PAPE]

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les diverses affirmations du tome de Léon admises par Chalcédoine, mais en prenant ces affirmations dans un sens suspect et en leur opposant des corrections qui rectifient, au fur et à mesure, la doctrine ainsi exposée. Aux énoncés de Léon et du concile de Chalcédoine, on semble prêter ce sens que la confession des deux natures exclut l’unité de personne, et on réagit là-contre en insistant, avec une lourdeur peu commune, sur ladite unité. Garnier (voir sa note, col. 1044 A) voit dans cette rédaction, un artifice pour tromper les hérétiques auxquels les anathématismes étaient adressés : leurs préjugés les amèneraient à tourner à leur sens des propositions qui, en vérité, étaient catholiques. L’hypothèse vaut ce qu’elle vaut et Garnier a bien raison de voir ici un stratagème inexcusable. Peut-être donnerait-elle quelque garantie à l’authenticité de la lettre et de ses appendices ; nous aurions affaire, dans la circonstance, à l’un de ces documents, comme il s’en rencontre plus d’un dans la lamentable affaire des TroisChapitres. C’est pourquoi nous serions moins décidé que Duchesne à nier l’authenticité de cette lettre. L'Église au r/e siècle, p. 176, n. 1. D’ailleurs Pelage, diacre de Vigile et son successeur, paraît bien faire allusion à ce document quand il écrit : Léo papa Urbis Romee quem Vigilius tanlo nomine anathematizando secretius manu propria dogmata ipsius condemnavit. In defens. trium capil. Au début de son pontificat, Vigile aurait été entraîné à faire aux chefs du monophysisme sévérien les avances auxquelles ils s'était plus ou moins explicitement résigné dans ses entretiens avec Théodora.

Tout ceci est de la diplomatie occulte. Pendant que Théodora favorisait le monophysisme, Justinien, fidèle à sa première attitude et aux leçons de son oncle Justin, demeurait le défenseur attitré de l’orthodoxie et de Chalcédoine. Extérieurement Vigile ne pouvait que l’engager à persévérer dans cette voie. C’est ce qu’il fait dans une longue lettre du 17 septembre 540, Jaffé n. 910. Le pape vient de recevoir du basileus, et sans doute aussi de Menas, une missive contenant la profession de foi de ceux-ci et les décisions du concile tenu dans la capitale par le nouveau patriarche. Combien remercie-t-il Dieu d’avoir donné au souverain « une âme vraiment sacerdotale » ! Puisse Justinien montrer toujours le même attachement aux enseignements de Célestin et de Léon, repris par les prédécesseurs immédiats de Vigile, Hormisdas, Jean I effet Agapet. « Ces doctrines ce sont aussi les nôtres et nous demeurons, pour notre part, tout spécialement fidèle aux deux lettres de Léon à Flavien et à l’empereur son homonyme (ce doit être la lettre dogmatique, Jaffé, n. 542), lettres où notre prédécesseur confond la double perfidie de Nestorius et d’Eutychès. Les évêques qui ne se rallient pas à ces décisions du Siège apostolique ne sont pas dignes de demeurer en place. Quiconque les discute, nous le séparons de l’unité de la foi catholique. Nous approuvons en tout la profession de foi (libellum fidei) que jadis, par notre intermédiaire, votre piété a remise au pape Agapet de pieuse mémoire, notre prédécesseur. Nous admettons aussi le texte de Menas (le nouveau patriarche) (il doit s’agir du « concile de Menas », tenu à Constantinople après la mort du pape Agapet), dont vous nous avez donné connaissance ; il est conforme aux promesses faites par celui-ci au pape Agapet ; les condamnations qu’il porte contre Sévère, Pierre d’Apamée, Anthime, Xénéas, Théodose d’Alexandrie, Constantin de Laodicée, Antoine Versentanus et finalement contre Dioscore, nous les confirmons de notre autorité apostolique frappant d’un même anathème les complices des condamnés, tout en laissant place

à la pénitence. Mais nous ne croyons pas qu’il faille, de notre part une nouvelle sentence. Et bien que votre piété ait pu, à l’instigation de quelque perfide conseiller, émettre des soupçons sur nous, à cause de notre silence — on avait peut-être remarqué au Sacré-Palais le peu d’empressement de Vigile à se prononcer — nous espérons bien que vous ne laisserez pas diminuer les privilèges du Siège apostolique. » Une lettre de même signification partait le même jour à l’adresse du patriarche Menas. Jaffé, n. 911.

Mais, sous des influences diverses, la pensée de Justinien allait se détacher peu à peu du chalcédonisme intégral. Le basileus, aussi bien, se transformait de plus en plus en théologien ; il faudrait bon gré mal gré que le pape lui emboîtât le pas. Ayant reconnu en lui « une âme vraiment sacerdotale », comment le pape ne s’inclinerait-il pas devant les indications de ce pontife ? Il s’inclinera dans la question du néoorigénisme ; cf. art. Origénisme, t. xi, col. 1578 au bas ; il s’inclinera dans l’affaire des Trois-Chapitres, ce qui est de bien plus grave conséquence. Nous ne reprendrons pas ici l’exposé de cette affaire compliquée, des conséquences fâcheuses qu’elle eut pour la mémoire de Vigile et pour le prestige du Siège apostolique, qui en a été compromis pour longtemps. Tout au long de cette histoire, Vigile nous apparaîtrait avec le même caractère : il se rend compte de la gravité de la démarche qui lui est demandée ; des voix autorisées ne cessent de lui représenter l’atteinte qu’elle porterait à l’autorité de Chalcédoine ; il comprend quel est son devoir de premier pasteur de l'Église ; par moment, il retrouve du courage et il a des attitudes de confesseur et presque de martyr ; dans le judicatum du 14 mai 553 qudicalum de la I re indiction), il a vraiment grande allure et cette pièce, quoi qu’il en soit de la part qu’y ont eue les conseillers du pape, est un morceau doctrinal qui fait à Vigile le plus grand honneur. A l’endroit de Menas, d’Eutychius, de Théodore Askidas, il agit avec une pleine conscience de ses droits de souverain pontife. Chose étrange, ce pape qui, finalement, s’est montré si faible, revendique, comme peu de ses prédécesseurs l’avaient fait, les droits du Siège apostolique. Mais dans les mêmes moments, il essaie par la pire des diplomaties secrètes de ne pas se brouiller avec le basileus. A Justinien, à Théodora, il envoie des documents dont l’empereur saura faire usage en son temps pour énerver la résistance du pauvre pape. Tout cela reste bien conforme à ce que nous a montré le début du pontificat ; tout cela prépare la grande capitulation de décembre 553 et le judicalum de la IIe indiction du 23 février de l’année suivante. Et, pour que Vigile reste fidèle à lui-même jusqu’au bout de cette lamentable affaire, il ne quittera Constantinople qu’après avoir obtenu du basileus, comme récompense de ses bons et loyaux services, la Pragmatique qui, dans l’Italie reconquise par les Byzantins, fait très grands les droits temporels et honorifiques du Saint-Siège. Cf. Jaffé, post n. 937. Au printemps de 555, il part enfin pour Rome ; à Syracuse, sur le chemin du retour, une attaque plus grave de la maladie de la pierre, dont il souffrait depuis longtemps, devait l’enlever. Son corps fut rapporté à Rome et enseveli à Saint-Marcel sur la voie Salaria. Somme toute, regrettable pontificat, préparé par les louches manigances du diacre de Boniface II, inauguré par l’action violente contre Silvère, aboutissant enfin, après d’extraordinaires péripéties à la grande trahison de 5541 II faut tout le courage de certains apologistes pour en faire une page glorieuse de l’histoire de l'Église romaine !

I. Sources.

Elles ont toutes été énumérées soit au cours de l’article, soit à Trois-Chapitres : Jaffé, Regesta

pontij. Rom., 2e éd., t. I, p. 117 sq. (texte de la plupart des lettres dans P. L., t. lxix, col. 15-178) ; Liber pontificaiis, éd. Duchesne, t. I. p. cclhi sq., 281, 292, 296-302 ; Libératus, Breoiarium, c. xxii ; Victor de Tunnunum, Chronique, ad an. 543 sq. ; le comte Marcellin et son continuateur, ad an. 536 sq. ; Procope, Bell, goth., 1, 25, et Historia arcana, i, éd. Dindorf, p. 13, 16 ; actes du Ve concile dans Mansi, Concilia, t. IX (ne pas oublier que ces actes ont une double rédaction, qui ne se retrouve pas dans les anciennes collections conciliaires ; la rédaction longue est la’seule authentique) ; Pelage I er, In defensionem Irium capitulorum, publié par R. Devreesse dans Studie Testi, cf. ici art. Pelage I er, t.xii, col. 669.

II. Travaux.

Sur les conciles de Boniface II, voir’Hefele-Leclercq, Hist. des conciles, t. n b, p. 1116 ; sur l’action d’Agapet à Constantinople, ibid., p. 1142 sq. Voir A. K.iiger, art. Vigilius, dans Protest. Realenzgelopàdie, t. xx, p. 633-640 ; II. Leclercq dans Ilisl. des conciles, t. m ii, p. 1 sq. ; Bréhier, dans Fliche-Martin, Hist. de l’Église, t. iv, p. 457, qui donnent tous trois une bibliographie plus ou moins complète. — Parmi les travaux anciens, retenir au moins : Noris, Dissertatio liistoriea de synodo V’(dans Opéra, t. i, p. 550-820) ; J. Garnier, S. J., Dissertatio de V" synodo (dans P. L., t. i.xviii, col. 10511096), réplique à Noris ; la même dissertation remaniée est reprise dans V Auclarium operum Theodoreti (cf. P. G., t. i.xxxiv, col. 155-548) ; les frères Ballerini, Defensio dissertationis Norisianæ adversus disserlationem P. Garnerii (dans Noris, Opéra, t. iv, col. 945) ; C. W. F. Walch, Ketzerhistorie, t. viii ; P. de Marca, De igilii dccreto pro confirmalione V* synodi (reproduit dans Mansi, Conc, t. ix, col. 119-432) ; B. Coustant, De Vigilii papie gestis apologetica et historica dissertatio (reproduite dans Pitra, Analecla novissima, t. i, p. 370-461).

Parmi les travaux récents, l’essentiel reste toujours celui de L. Duchesne, Vigile et Pelage, dans Revue des questions historiques, t. xxxvi, 1884 ; les positions de Duchesne, attaquées par dom Chamard, ibid., t. xxxvii, 1885, p. 540-578, sont défendues par leur auteur, ibid, , p. 579-593 ; le tout est repris plus ou moins intégralement dans L’Église au VIe siècle, ci. surtout p. 151 sq. (accession de Vigile), p. 173 sq. (affaire des Trois-Chapitres) ; on a signalé, à l’art. SlLVÈRE, le travail de I’. Ilildebrand, Die Absetzung des Papstes Siluerius, dans Ilistorisches Jahrbuch, t. xlii, 1922, p. 213-219 ; ses conclusions, moins défavorables que de coutume à Vigile, pour ce qui est de la déposition de Silvèrc, ont été discutées par E. Caspar, Gesch. des Papstturns, t. ii, qui accepte les conclusions généVales de Duchesne.

On pourrait se faire une idée de la lamentable apologétique à laquelle a donné lieu l’histoire de Vigile dans Vincenzi, Vigilii pont. Rom. triumphus in synodo wcumenica V* (au t. îv de l’ouvrage intitulé : In S. Gregorii Nysseni et Origenis scripta nova recensio, Rome, 1865) ; cette apologétique a inspiré quelques-uns des orateurs de la majorité au concile du Vatican.

Ê. Amann.