Dictionnaire de théologie catholique/VIE ÉTERNELLE. II. L'origine historique

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 720-722).

II. L’origine historique.

Comment cette croyance catholique en une vie éternelle, consécutive à la résurrection de la chair et au jugement général, est-elle entrée dans les formules du symbole ? C’est là un problème historique auquel il est difïîcile de fournir une solution précise. On notera 1° les formules qui ont préparé l’article et vitam œternam du symbole des apôtres ; 2° les premières constatations de cet article à partir du IVe siècle.

Les formules préparatoires.


On les trouve dans les professions ou règles de foi proposées par les apologistes du iie et du iiie siècle.

Saint Irénée enseigne qu’après le jugement les pécheurs seront condamnés au feu éternel et les justes, soit qu’ils aient conservé, soit qu’ils aient récupéré par la pénitence l’amour du Christ, recevront la vie, l’immortalité, la clarté éternelle. Cont. hær., I, x, , P. G., t. vii, col. 552 A. Cf. III, iv, 2, col. 865 A. L’expression vitam œternam, reprise de saint Jean, I Joa., v, 13, se lit au t. III, xvi, 5, col. 924 C. La Prédication parle du « baptême pour la vie éternelle », n. 3, et rappelle expressément que « le Dieu de tous accordera la vie éternelle par la résurrection des morts ». N. 41, P. O., t.xii, col. 662, 758 (tr. fr., col. 690, 766).

Dans la première Apologie, saint Justin proclame que la récompense des chrétiens fidèles au Christ est la vie éternelle, exempte de tribulation. Apol. /, n. 57 ; cf. n. 10, P. G., I. vi, col. 414 C, 341 A. Voir également Cohort. ad Grœcos, n. 8, col. 257 A. Même aillrmation chez Athénagore. Legatio, n. 31, 33, ibid., col. 961 C ; 965 A.

A Alexandrie, Origène enseigne qu’après cette vie, l’âme recevra la sentence qu’elle aura méritée, sive vitir œternæ ac beatitudinis hæredilate polilura…, sire igni rnterno ac suppliciis mancipanda. Le corps lui-même, après la résurrection, prendra part à cette-vie de récompense ou de châtiment. Dr princ, pne f.. n. 5, P. (, ., t. xi, col. 118 A.

Lu Afrique. Tcrtullien professe que le Christ reviendra dans sa gloire pour s’associer les saints dans la récompense de la vie éternelle et envoyer les méchants au feu éternel de l’enfer, après que, pour lis uns et les autres aura été faite la résurrection de la chair. De prtetcrlpt., c. xiii. P. /… t. ii, col. 26 B27 A. Moins d’un demi siècle après, saint Cyprien nous apprend que l’interrogatoire u catéchumène est déjà formel : Crédit in vitam teternam et remiseionrin peccatorum per sanctam Ecclutam ? EpisL, i.xx, n. 2. P/… I m cl. KiT.H A ; Ilahn. S 12. Aux nova tiens, Cyprien fait remarquer qu’ils sont sans Église ci, in conséquence, m-peuvent poser la même question au baptême. Le texte i « aie i< i : Crédit in remittlonem peccatorum et vitam seternam per tanctam Ecclettatn ? Epttt., lxix, n. 7. ibid., col. 1191 A. Von V d’Alès, L- ; théologie </< tatint Cyprien, Parla, 1922. p. 231-232.

En Espagne, Priscillien, dans le dernier tiers du ive siècle, résume ainsi la foi demandée aux catéchumènes : Credentes in sanctam Ecclesiam, sanctum Spiritum, baptismum salutare, sicut scriptum est : nisi quis renalus fuerit ex aqua et Spiritu sancto, non ascendet in regnum cœlorum. Liber ad Damasum, tract. II, édit. Schepss, Corpus de Vienne, t. xviii, 1889, p. 37.

Vers la fin du iv c siècle, Phébade d’Agen commente le symbole jusqu’à l’article de la résurrection de la chair, et il ajoute : Et animas cum hac carne vel corpora nostra accepturos ab eo ad vitam œternam præmium boni merili, aut sententiam pro peccatis œterni supplicii. Libellus fidei, P. L., t. xx, col. 50 C. Cf. De Filii divinitate et consubstantialitate, c. viii, ibid., col. 49. Cf. Hahn, § 189.

A Rome, dès le temps de saint Hippolyte, la Tradition apostolique qui figure parmi les écrits de cet auteur et remonte très certainement au premier tiers du iiie siècle, atteste l’usage romain d’interroger le catéchumène. La formule : Credo in… unum baptisma, in sanctam Ecclesiam (calholicam et vitam œternam) s’y retrouve, les mots entre parenthèse étant suppléés d’après les canons d’Hippolyte. Duchesne, Origines du culte chrétien, 5e édit., Paris, 1920, p. 554 ; Hahn, § 6. Au siècle suivant, Kufin, prêtre d’Aquilée, ne signale pas encore, dans son commentaire sur le symbole, la présence de l’article In vitam œternam. Il dit cependant d’une manière expresse que les morts ressusciteront in vitam œternam. Comm. in Symbol, aposl., n. 48, P. L., t. xxi, col. 386 C.

Insertion de l’article.


1. En Occident. —

Le texte primitif du symbole romain ne contenait pas la finale vitam œternam. Cf. Denz.-Bannw., n. 2 ; Hahn, § 18-23. Cette finale se lit dans le texte reçu ou gallican, qui finalement s’est imposé à Rome même. Ibid., n. 6 ; Hahn, § 24-30 (interrogations du baptême : Sacramentaire de Gélase, § 31e ; Ordo Bomanus, ibid., f). Voir ici Apotrks (Symbole des), t. i, col. 1665. Bratke a découvert un texte du symbole, avec la finale vitam œternam, qu’il estime être un svmbole gallican antérieur à 400. Col. 1662. Cf. Hahn, §" 90.

Le premier document, dont la date peut être approximativement fixée aux premières années du ve siècle est VExplanalio symboli de Nicétas de Remesiana. Le texte du symbole y comporte l’addition vitam œternam (comme aussi l’addition communionem sanctorum), n. 10, P. L., t. lii, col. 871 L : Hahn, § 40. Un peu plus tard, on trouve l’addition dans les homélies sur le symbole de Fauste de Riez. Cf. Caspari, Ungedruckte… Quellen znr Geschichte des Taufsgmbolt und der Glaubensregel, ii, Christiania. 1869, p. 200 ; Hahn, § 61 ; Lietzmann, Symbole der alten Kirche, 2° édit., Bonn, 1914, p. 14. Voir aussi de Fauste une allusion certaine à l’article vitam œternam dans le De Sfiirilu sancto. I. I, c. ii, Corpus de Vienne, t. XXI, p. 104. Enfin, un troisième témoin. quelque peu postérieur, est saint Césaire d’Arles, voir llnhn. § 62 : et ici t. ii, col. 2176.

Mgr Batiftol a rappelé, t. i, col. 1664, que l’inseï tion de Vitam œternam avait pour but d’expliquer le dogme de la résurrection de la chair en excluant le millénarisme. On trouve la même préoccupation dans l’Église d’Afrique. Saint Augustin dit exprès sèment que l’addition vitam seternam exclut un mode iii résurrection analogue à la résurrection de Lazare. Srrm : ad calech., n. 17, P. L., I. xi., col. 636. C.’est encore, à coup sûr, le symbole africain qui est com mente dans le serai. CCXV, n. 9, où l’évêque souhaite aux catéchumènes d’apprendre, par la vraie et sainte e catholique, ce qu’est » la rémission des péchés. la résurrection de la chair et la vie éternelle ». P. L.. t. xxxviii, col. 1076. Les autres catéchèses de saint Augustin, serm. ccxii-ccxxiv, sont plutôt des commentaires du symbole de Milan, c’est-à-dire du symbole romain ancien. On n’y trouve pas, en effet, l’article vitam œternam ; mais c’est vers cette vie éternelle que nous porte tout le commentaire. Dans le serm. ccxiii, n. 9, Augustin affirme qu’après la résurrection de la chair, celle-ci ne subira plus la mort, n’éprouvera plus de souffrance : « Nous serons éternels. » Ibid., P. L., t. xxxviii, col. 1065 ; cf. n. 12, col. 1072. Dans le De flde et symbolo, on ne trouve encore que l’explication de la résurrection de la chair, n. 23, 24, t. xl, col. 193-196 ; mais Augustin conclut : Qua corporis rcsurrectione facla, a lemporis conditione libérait, œterna vila inefjabili claritale alque stabilitale sine corruptione perfruemur. Col. 196.

En complétant par la vie éternelle l’article sur la résurrection de la chair, la pensée chrétienne ne faisait donc que suivre le courant de la tradition apostolique. Dans la plupart de ses sermons sur le symbole, saint Pierre Chrysologue montre que cette addition est un fait courant, en ce qui concerne le symbole romain. Serm., lvii, lviii, lix, lx, lxii, P. L., t. lii, col. 360 B, 362 C, 365 AB, 368 C, 375 B. Cf. Hahn, § 35 ; Lietzmann, op. cit., p. 12. Toutefois, à la même époque, saint Maxime de Turin ajoute simplement à la résurrection de la chair l’assurance que Dieu conférera la vie aux ressuscites et il conclut : Hoc est symbolum, quod et viventes sanctificat et mortuos reducit ad vitam. Homil. lxxxiii de traditione symboli, P. L., t. lvii, col. 439 A, 440 A.

De son côté, Fulgence de Ruspe complète pareillement le symbole africain : Remissionem peccatorum, carnis resurrectionem et vitam œternam a Pâtre et Filio et Spiritu sancto dandam nobis credimus et speramus. Liber X contra Fabianum arianum, frag. xxxvi, P. L. t. lxv, col. 827 B. Quelques lignes auparavant, Fulgence rappelait que les articles : remissio peccatorum, carnis resurrectio et vita œterna sont ajoutés à la confession de la Trinité pour montrer l’utilité de la foi en ce mystère par ce qui doit en être la récompense. Col. 826 B. Mais la vie éternelle peut être heureuse ou malheureuse, col. 826 A ; cf. Hahn, § 49, § 50.

A partir de cette époque, la formule vitam œternam est courante dans l’Église latine. On la trouve dans le symbole Quicumque. En outre, le recueil de Hahn en fournit de multiples exemples : formules augustinienne et pseudo-augustinienne, § 47, 48 ; symboles de l’Église d’Espagne : de Martin de Braga (vie siècle), § 54, d’Ildefonse de Tolède (vne siècle), § 55, d’Etherius et Beatus (vme siècle), § 56, de la liturgie mozarabe, § 58, du IVe concile de Tolède (vne siècle), § 179 ; du XIe concile de Tolède (du moins quant au sens), § 182 ; formules de l’Église gallicane postérieures à Césaire d’Arles et à Fauste de Riez : YExpositio fidei (vie siècle selon Caspari, Anecdota, p. 283 sq.), Hahn, § 64, symbole pseudo-augustinien (vie ou viie siècle), ibid., § 65, Sacramentaire gallican, l re et 3e formules (vne siècle), ibid., § 66, missel gallican (vne ou viiie siècle), ibid., § 67, etc. Voir également les formules de l’Église de (Grande-)Bretagne, ibid., § 76-89 ; de l’Église germanique, ibid., §90-103, 107-111, 113-117. L’article est conservé dans la formule luthérienne de concorde, ibid., § 119.

2. En Orient. —

L’introduction de la formule sic Çcoy]v oclcôviov est générale au milieu du ive siècle. Voir Apôtres (Symbole des), t. i, col. 1668, où l’on a expliqué l’influence très probable du symbole romain sur les symboles orientaux. Mais auparavant déjà l’idée de la résurrection préparant une vie éternelle, nettement exprimée chez saint Irénée et Origène, ne pouvait manquer de s’affirmer dans quelques symboles. Sans doute, on ne trouve pas encore l’article sur la vie éternelle dans le symbole d’Eusèbe, rapporté par Théodoret, II. E., I. I, c. xi, P. G., t. lxxxii, col. 941, cf. Hahn, § 123, pas plus que dans le symbole de Nicée, ibid., col. 941 B, cf. Denz.-Bannw. , n. 54, lesquels exposaient plus particulièrement la doctrine christologique. La même absence se constate dans V Expositio fidei de Grégoire le Thaumaturge. Hahn, § 185.

Par contre, la croyance elç Çoy/jv -roG fiiXXovToç oclwvoç, qu’on trouvera dans le symbole dit de Nicée-Constantinople, se lit déjà dans le symbole d’Arius (seconde formule rapportée par Socrate, H. E., t. I, c. xxvi, P. G., t. lxvii, col. 149 D), Hahn, § 187. Les catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem nous font connaître un symbole en usage dès avant 325, puisque Macaire, prédécesseur de Cyrille, semble avoir utilisé les mêmes formules. « Nous croyons, dit Cyrille, …en un baptême de pénitence et en une sainte Église catholique et en la résurrection de la chair et en la vie éternelle, elç Çw/jv alcoviov. » Cat., xvin, n. 22, P. G., t. xxxiii, col. 1044 A ; Hahn, § 124. L’interversion des articles : « Église » et « baptême » ne se trouvait probablement pas dans le symbole. Denz.-Bannw., n. 9, note 2 ; n. 12, note 2. Cf. Kattenbusch, Das apostolische Symbol, t. i, p. 237.

Par saint Épiphane, nous connaissons le symbole de Marcel d’Ancyre (340), lequel comporte l’article de la vie éternelle, Hær., lxxii, P. G., t. xlii, col. 388 B ; Hahn, § 17. La formule brève d’Épiphane contient l’expression Çwvjv xoû uiXXovTOÇ alûvoç ; la longue, elç î^w^v alomov, . Hahn, § 125, et 126. Voir, Ancoratus, P. G., t. xliii, col. 232 D, 236 B. Cf. Expositio fidei, n. 18, t. xlii, col. 820.

La profession de foi apollinariste tj xocrà fiipoç tcicttiç se clôt par la vie éternelle, Hahn, § 204. A Antioche, l’article est reçu par tous, on le lit dans le symbole (l re formule) du synode de 341 : Ttt.aTEiJOfi.ev … 7repl … Çmtjç alcovîou. Hahn, § 153. Un fragment de symbole (vraisemblablement rédigé par Mélèce en 363, cf. Caspari, Ungedruckte Quellen…, t. i, p. 73 sq.) s’achève par les mots sic Çcovjv alœviov. Hahn, § 130. Saint Jean Chrysostome se fait l’écho du symbole d’Antioche : « Il ne suffît pas de nommer la résurrection de la chair : pour en montrer l’universalité et pour bien marquer que personne ne mourra plus après la résurrection, on ajoute : et la vie éternelle. » In I Cor., homil. xl, n. 4, P. G., t. lxi, col. 349. Cf. In Epist. ad Col., homil. vi, n. 4, t. lxii, col. 341 : ôxav yàp ôjxoXoyyj elç Çcot)v alamov, ôpioXôyîQasv cTepav xtîctiv. La formule se retrouve dans la profession de foi baptismale nestorienne, cf. Caspari, op. cit., p. 116 sq. ; Hahn, § 132, et dans le symbole de l’Église de Laodicée en Syrie, ibid., § 131. Elle se lit également dans 1’'Ep[17)vela elç -rô oufi, 60Xov, faussement attribuée à saint Athanase, cf. Caspari, op. cit., p. 143 sq., P. G., t. xxvi, col. 1232 B ; Hahn, § 127.

Terminons en rappelant la finale du symbole des Constitutions apostoliques, t. VII, c. xli, P. G., t. i, col. 1644 A ; cf. Funk, Didascalia et Constitutiones apostolicæ, t. i, Paderborn, 1905, p. 445, lesquelles s’inspirent de l’usage syrien. L’initiation chrétienne comporte la foi en la sainte Église catholique et apostolique, en la résurrection de la chair, en la rémission des péchés, au royaume des cieux et en la vie du siècle à venir : èv rf t àyta xaÔoXixî) xaî à7roaTûXt.x7J èxxXY]ala elç aapxôç àvâa-ramv xat elç acpeaiv àpLap-ruov xat elç paaiXsîav oùpavûv xal elç Çcoï)v toû [i.éXXovTOç alcôvoç. Hahn, § 129.

Est-il besoin d’ajouter que la théologie ne voit dans cette introduction relativement tardive d’un article dans le symbole aucune addition véritable à la foi reçue des apôtres ? L’article du symbole « la vie éternelle » ne fait que rendre d’une manière plus explicite la foi en la vie future à laquelle s’attachait l’espérance chrétienne et qui était implicitement renfermée dans la croyance au jugement dernier et à la résurrection générale. Cf. S. Thomas, Sum. theol., U*-U x, q. i, a. 8.

A. Michel.