Dictionnaire de théologie catholique/VICTRICE DE ROUEN (Saint)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 712-713).

VICTRICE DE ROUEN (Saint), évêque de cette ville de 380 à 407 environ. — La vie de saint Victrice nous est connue presque exclusivement par deux lettres de Paulin de Noie, Epist., xviii et xxxvii, qui raconte sa conversion, son élévation à l’épiscopat, son gouvernement et ses travaux apos toliques. D’autre part, Sulpice Sévère, Dialog., iii, 2, mentionne une rencontre de saint Victrice avec saint Martin de Tours et Valentin, évêque de Chartres, et le pape Innocent I er lui adressa le 15 février 404 une décrétale célèbre. D’après saint Paulin, Victrice serait né aux extrémités de l’empire et aurait commencé par exercer le métier des armes. Un jour, pendant une revue, il aurait jeté ses armes aux pieds du tribun en déclarant qu’il ne voulait plus servir d’autre maître que Jésus-Christ. Ni les reproches, ni les tortures qu’on lui fit subir ne changèrent rien à sa résolution. Déjà, condamné à mort, il était conduit au dernier supplice, lorsque le bourreau devint subitement aveugle et que les chaînes dont il était lié se dénouèrent d’elles-mêmes et lui laissèrent les mains libres. Le récit de Paulin n’est pas sans soulever des questions difficiles. On se demande en particulier pourquoi la résolution de saint Victrice a été si soudaine et pourquoi il a tout d’un coup refusé un service qui jusqu’alors ne lui paraissait pas incompatible avec la foi chrétienne. On se demande aussi à quelle date il faut rapporter cette soudaine conversion. On a pensé, non sans vraisemblance, que le règne de Julien convient mieux que tout autre pour placer un événement aussi étrange, bien que le seul motif retenu pour condamner le soldat déserteur ait été son abandon de poste et non pas sa foi chrétienne. Et toute hypothèse, on ne saurait mettre en doute la réalité du fait, car le témoignage de saint Paulin est celui d’un homme judicieux et bien renseigné. On ne sait pas dans quelles circonstances, Victrice fut élevé à

l’épiscopat et appelé à diriger l’Église de Houcn à la place d’un certain Pierre dont nous ne connaissons que le nom. Cet événement eut lieu avant que Paulin de Noie eût renoncé au monde, c’est-à-dire avant 390 ; car Victrice était déjà évêque lorsque Paulin le rencontra auprès de saint Martin et noua avec lui des relations qui devaient être durables. Sulpice Sévère, nous l’avons déjà indiqué, raconte une nouvelle rencontre de Victrice et de Martin à Chartres, dont l’évêque était alors saint Valentin : Martin consentit, dans cette circonstance, à exaucer les prières d’un père qui lui demandait la guérison de sa fille âgée de douze ans. Au cours de son épiscopat, Victrice se distingua par son zèle pour la conversion des infidèles : il fît en effet annoncer l’Évangile et l’annonça lui-même dans le pays des Nerviens et des Morins, c’est-à-dire la Flandre, le Brabant, le Hainaut et le Cambrésis. Ces missions étaient en plein essor en 399, année où fut écrite la première lettre de saint Paulin par laquelle nous connaissons les événements rapportés jusqu’à présent. Quelques années plus tard, Victrice dut lui-même venir à Rome pour y voir le pape Innocent Ier (404). Nous ne savons pas le motif exact de ce voyage : il semble, si nous comprenons bien les expressions employées par l’évêque de Noie, qu’on faisait alors à Victrice quelques objections au sujet de sa foi et qu’il dut présenter sa justification. Celle-ci fut complète, car Innocent Ier lui écrivit peu après une lettre toute remplie de la joie qu’il a eue à le voir et de l’estime qu’il lui conserve. La lettre d’Innocent à Victrice est entrée dans les collections canoniques : elle contient en effet des règles importantes sur différents sujets, en particulier sur le recrutement du clergé et sur les vertus des clercs. Rentré dans son diocèse sans avoir pris le temps d’aller jusqu’à Noie, au grand regret de Paulin, Victrice reprit le cours de sa vie active et bienfaisante, qu’il termina aux environs de 410, selon les vraisemblances. On ne sait rien de plus sur sa vie et sur sa mort. L’Église de Rouen le regarde comme un saint et fait son anniversaire le 7 août.

Sous le nom de Victrice, nous possédons un opuscule assez curieux, intitulé De laude sanctorum, composé à l’occasion de l’arrivée à Rouen d’un bon nombre de reliques que l’évêque avait reçues d’Italie. P. L., t. xx, col. 443-458. Il avait eu recours, pour constituer ce trésor, aux bons offices des évêques italiens dont il était l’ami ou le correspondant, Ambroise de Milan, Paulin de Noie, Gaudentius de Brescia : un premier envoi comprenait des reliques de saint Jean-Baptiste, de saint André, de saint Thomas, des saints Gervais et Protais, de saint Agricol, de sainte Euphémie, de saint Luc. Il est très curieux de noter que cette liste est, à peu de chose près, celle que, donne Gaudentius de Brescia dans un de ses discours prononcé lors de la dédicace de l’église consacrée aux martyrs ; Gaudentius mentionne en effet saint Jean-Baptiste, saint Thomas, saint André, saint Luc, les saints Gervais, Protais et Nazaire, les saints Sisinnius, Martyrius et Alexandre, et enfin les quarante martyrs de Sébaste. L’absence des saints Sisinnius, Martyrius et Alexandre dans le traité de saint Victrice n’a rien qui doive nous surprendre, car il est possible que ces martyrs aient été encore en vie lorsque Victrice reçut ce premier envoi. Une seconde expédition de reliques dut être faite un peu plus tard ; elle comprenait des restes de beaucoup plus de saints : saint Jean l’Évangéliste, Proculus de Bologne, Saturninus et Trajan (deux saints guérisseurs originaires de la Thrace ou de la Macédoine, H. Delehaye, Les origines du culte des martyrs, Paris 1912, p. 277-278), Nazaire de Milan, Mocius de Byzance, un thaumaturge célèbre, cf. H. Delehaye, op. cit., p. 267-269, Alexandre de Drizipara, Datysus, qu’il faut sans doute lire Dasius de Durostorum, ibid., p. 284-285, Chindeus, qu’il faut peut-être identifier à un autre martyr de Thrace, vénéré à Axiopolis, à moins qu’il ne s’agisse d’un martyr de Pamphylie, ibid., p. 288, Rogatus et Léonida, qu’on ne saurait identifier avec certitude, Anastasia, martyrisée à Sirmium ; Anatolia, honorée dans la Sabine, ibid., p. 357, Antonin, qui paraît être le grand martyr de Plaisance. Ces deux listes sont caractéristiques, car elles mettent en relief l’importance prise par le culte des saints au début du ve siècle et le zèle pieux avec lequel on se disputait leurs reliques. Saint Victrice est pour nous un des témoins les plus importants de ce culte. Il est à peine besoin d’ajouter qu’il lui assigne la place qui convient dans la religion chrétienne, bien qu’il insiste, peut-être plus que nous ne le faisons aujourd’hui, sur la vertu des reliques, émanation de la puissance céleste, résidant tout entière dans la moindre parcelle aussi bien que dans le corps entier du saint : « L’esprit divin, écrit-il, anime les saints dans le ciel et leurs corps sur la terre. Leur sang, même après le martyre, demeure tout imprégné du don de la divinité. Que les reliques des justes ne nous fassent donc pas tomber dans l’erreur du vulgaire. Soyons bien persuadés que ces restes sacrés des apôtres, si menus soient-ils, contiennent la vérité de toute leur passion corporelle… S’il en est ainsi, nos apôtres et nos martyrs sont certainement venus à nous avec toute leur vertu. » De laude sanct., passim. On peut donc invoquer avec une entière confiance les saints dont on possède la moins importante des reliques : « Est-ce que les reliques apportent un soulagement aux malheureux d’une façon en Orient, à Constantinople, à Thessalonique, à Naïssus, et d’une autre à Rome en Italie ? Jean l’Évangélîste guérit à Éphèse et en plusieurs autres lieux et sa même vertu agit aussi parmi nous. Proculus et Agricola guérissent à Bologne et nous contemplons aussi leur majesté à Rouen. Qui guérit vit, et qui guérit est dans les reliques. Or, les apôtres et les martyrs guérissent. Ils sont donc dans leurs reliques. » Ibid., 22. Ces idées sont celles du peuple chrétien, dont Victrice se fait ici l’interprète. Il est intéressant d’en relever l’expression.

Le De laude sanctorum figure dans P. L., t. xx, col. 443458. Une nouvelle édition, qui ne marque d’ailleurs pas un progrès sensible, a été préparée par Sauvage et publiée par A. Tougard, Paris, 1895. Sur la langue de Victrice, cf. C. Paucker, dans Zeitschr. fur die ôsterreich. Gymnasien, t. xxxii, 1881, p. 481 sq. Voir aussi Tillemont, Mémoires, t. x, p. 667-674 ; E. Vacandard, Saint Victrice, évêque de Rouen, Paris, 1903, et Études de critique et d’histoire religieuse, 3° série, Paris, 1912, p. 74-92 ; H. Delehaye, Les origines du culte des martyrs, Paris 1912, p. 404-405.

G. Bahdy.