Dictionnaire de théologie catholique/VICTOR II

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 667-668).

VICTOR II, pape (1054-1057). — Successeur de saint Léon IX († 1 !) avril 1054), Victor fut appelé au trône pontifical de la même manière que l’avaient

été ses trois prédécesseurs : Clément II, Damase II et Léon IX, c’est-à-dire par désignation directe de l’empereur Henri III. Quelque temps après la mort de Léon, une délégation romaine, dont faisait partie Ilildebrand, le futur Grégoire VII, se mit en route pour l’Allemagne et rencontra le souverain à Mayence au début de septembre. Obéissant, dit Bonizon de Sutri, qu’il ne faut pas prendre au mot, aux suggestions des envoyés romains, Henri III désigna pour la chaire apostolique, le jeune évêque d’Eichstàdt, Gebhard, qui lui était apparenté. Administrateur zélé et intelligent, Gebhard pourrait servir en Italie la cause impériale, quelque peu compromise depuis les événements qui s’étaient récemment déroulés en Toscane. La veuve du marquis Boniface († 6 mai 1052), Béatrice, venait d’épouser le duc de Lorraine, Godefroy le Barbu, un des plus rudes adversaires de l’empereur. Ce mariage faisait de Godefroy le tuteur des enfants mineurs de Boniface et de Béatrice et lui donnait ainsi une situation prépondérante dans l’Italie moyenne. C’est pour conjurer ce péril que l’empereur germanique tenait à mettre sur le trône pontifical quelqu’un dont il fût sûr. L’évêque d’Eichstàdt se rendit-il compte de toutes les difficultés que ce changement de siège lui donnerait à résoudre ? Toujours est-il qu’il ne se pressa pas d’accepter. Sa désignation comme pape est de septembre 1054 ; c’est seulement en mars suivant qu’à Ratisbonne il donne son consentement. Puis, se hâtant vers Rome, il se fait introniser à Saint-Pierre, le jeudi saint 13 avril (ou le jour de Pâques), devenant ainsi le pape Victor II. Il y avait presque un an, jour pour jour, que son prédécesseur était mort.

Dès la Pentecôte (4 juin), Victor II a rejoint l’empereur à Florence, où, sous la présidence du pape et du souverain, se tient un grand concile qui rassemble cent-vingt évêques. Jaffé, Regesta, t. i, p. 549 au bas. Il y fut, vraisemblablement, question de la réforme ecclésiastique et, au dire de Bonizon, Liber ad amicum, t. V, dans Libelli de lite, t. i, p. 590, que transcrit le cardinal Boson, plusieurs évêques y furent déposés pour simonie ou fornication. Mais l’assemblée s’occupa surtout, au dire de Pierre Damien, de l’aliénation et de l’inféodation des biens ecclésiastiques. Aussi bien les questions politiques demeuraient-elles au premier plan. Ce n’était pas pour presser la réforme de l’Église que l’empereur était, une nouvelle fois, descendu en Italie. Il voulait surtout mettre à la raison le duc Godefroy. Celui-ci ne l’avait pas attendu ; Henri III se dédommagea en prenant comme otages Béatrice et sa fille Mathilde (la future grande-comtesse), qu’il emmena en Allemagne.

Pendant que l’empereur rentrait chez lui, Victor II regagnait Borne, où sa présence est signalée par quelques actes pontificaux aux derniers mois de 1055 et au début de 1056. Il était alors préoccupé du progrès continu des Normands de l’Italie méridionale, tout grisés du succès qu’ils avaient remporté sur Léon IX. On le voit encore dans les Abruzzes en juillet 1056, essayant de sauvegarder les intérêts de l’empereur. Finalement, à l’automne, il se mettait en route pour l’Allemagne. Les Annales romaines disent expressément que c’était pour les mêmes raisons qui y avaient conduit son prédécesseur. Il s’agissait toujours d’obtenir, contre les « nouveaux Agarènes (Sarrasins) », c’est-à-dire contre les Normands, la protection impériale. Le 8 septembre. Victor était à Goslar, où une réception somptueuse lui avait été ménagée par l’empereur. Voir rénumération des textes historiques dans Jaffé, posl n. 4348. Profitant des bonnes dispositions d’Henri, le pape obtint la réconciliation entre lui et le duc de Lorraine, qui fut autorisé à reprendre le chemin de

l’Italie, emmenant Béatrice et Mathilde. Très peu après, une courte maladie emportait l’empereur ; il expirait à Botfeld, le 5 octobre, entre les bras de Victor II. Ce fut le pape qui présida les funérailles à Spire, le 28 octobre, lui qui, en novembre, à Aix-la-Chapelle, fit reconnaître comme roi le jeune fils de l’empereur, Henri IV, lui qui assura la régence à l’impératrice Agnès et amena la réconciliation définitive entre celle-ci et les deux puissants vassaux qu’étaient Baudoin, comte de Flandre, et Godefroy, duc de Lorraine. Une partie de l’hiver se passa en ces tractations, où Victor II nous apparaît plutôt comme le chancelier de l’empire que comme le chef de l’itglise. C’est seulement à la mi-février 1057 qu’il reprenait le chemin de l’Italie ; il était à Rome pour Pâques (30 mars) et tenait au Latran, à partir du 18 avril, un synode qui s’occupa exclusivement d’affaires administratives. Les questions politiques et tout spécialement la lutte contre les Normands l’accaparèrent davantage encore après sa rentrée en Italie. De plus en plus, Godefroy le Barbu, réconcilié avec la régente, solidement assis en Toscane, devenait le seul soutien possible de la papauté. Pour se le concilier plus pleinement. Victor songea à donner au frère du duc, Frédéric de Lorraine, une situation prépondérante dans l’Église romaine. Chancelier du Siège apostolique, Frédéric avait fait partie de la mission envoyée à Constantinople en 1054 et dont le cardinal Humbert était le chef. Voir Michel Cérulaire, t. x, surtout col. 1089 sq. Rentré à la fin de 1054 et craignant que l’empereur Henri III ne le rendît responsable des faits et gestes de son frère Godefroy, Frédéric était allé se cacher au Mont-Cassin, où finalement il avait fait profession monastique. Voir Chronicon monasterii Casinensis, t. II, c. lxxxvi, lxxxviiixciv. A la fin de cette année 1055, mourait l’abbé Richer ; dès ce moment, le pape avait l’intention de faire remplacer le défunt par Frédéric. Aussi fut-il très irritf d’apprendre qu’en janvier les moines s’étaient donnés un chef en la personne d’un certain Pierre. Cf. Jaffé, n. 4354. À la Pentecôte de 1057, le cardinal Humbert parut enfin au monastère et par son attitude presque violente obligea Pierre à céder sa place i I ri ; 1 ; i n Sur quoi relui ; i alla ite rejoindre en Toscane le pape et Godefroy. C’est à Florence qu’il recevait, le 23 juin, le titre de cardinal de Saint-Chrysogone, en attendant qu’à la Saint.Jean-Baptiste il fût consacré abbé par Victor II. Jaffé, n. 4368. In mois plus tard, le 27 juillet, Frédéric prenait, à Home, possession de son titre cardinalice ; il se préparait quelques jours plus tard à regagner le Mont-Cassin, quand se répandit la nouvelle de la mort inopinée de Victor II à Arezzo (28 juillet 1057). Le 2 août, Frédéric élu pape, en dépit des conventions de Sutri. devenait Etienne IX et mettait ainsi un terme à la série des papes allemands. Pendant ce temps, les gens d’Eichstâdt se mettaient en devoir de remporter en Allemagne le corps de Victor II. lue attaque brusquée des Ravennates les obligea d’abandonner leur dessein ; le corps du pape fut enseveli aux portes de Ravenne dans le monument du roi Théodoric alors transformé en église de monastère. I.e geste lui-même était symptomal iipie ; l’Italie signifiait qu’elle en tend ail mettre fin à la perpétuelle main-mise de la Germanie dans la gestion du Siège apostolique.

De Victoi II, nous avons vu surtout les actions qui le montrent à la remorque de l’Empire. Une pièce

de 10Il registre si elle est vraiment de lui nous

li-f ; ut voir dans une autre attitude. Mabillon a publié dans les Annales o. S. / ;.. t. v, p. 647 (cf. P. /…

I. CXLIX, COl. 961), une lettre adressée par un pape a une impératrice de Constant inople. Le pape » ’j

plaint assez vivement des exactions dont sont victimes, lors de leur passage dans la capitale byzantine, les pèlerins qui se rendent au tombeau du Christ ; il exhorte la basilissa à se souvenir toujours de l’Église romaine, sa première, sa vraie mère et à lui garder toujours sa vénération. Jaffé, n. 4342. On a beaucoup discuté sur la provenance de cette pièce ; le comte Riant, Archives de l’Orient latin, t. i, p. 50, semble bien avoir démontré qu’elle émane de Victor II et non, comme on l’a dit, de Victor III. La destinataire serait, en ce cas, l’impératrice Théodora, belle-sœur de Constantin Monomaque, qui, à la mort de celui-ci (janvier 1055) prit le pouvoir et le conserva jusqu’à son propre décès (30 août 1056). Si la chose était tout à fait assurée, il serait intéressant de constater que, en dépit des événements qui s’étaient déroulés à Constantinople en juillet 1054, on entendait à Rome garder des relations paci tiques, sinon avec le patriarche, du moins avec le Sacré-Palais.

A un autre point de vue, Victor 1 1 a bien mérité de la cause de la réforme ecclésiastique, par la protection qu’il accorda à saint Jean Gualbert. Après avoir séjourné quelque temps auprès de saint Romuald, au désert de Camaldoli, Jean fonda à Vallombreuse une nouvelle congrégation bénédictine qui devait être dans le pays un facteur très actif de renaissance religieuse.

.Jaffé, Regesta pontificum Romanorum, t. i, p. 549-553 ; Duchesne, Liber pontificalis, t. ii, p. 277 ; 333-334 ;  : i.">(> ; Wattericli, Vitse pontificum Romanorum ai) iri/uulibus conscriptæ, t. i, p. 177-188 et p. 738 ; Watterich donne en particulier une vie de Victor II d’après le Liber anonymus episcopis Eichstetentibus ; se reporter aussi à la bibliographie citée pour chacun des papes allemands, Clément II, Damase II, Léon IX ; cf. É. Amann, dans l’Iiche-Martin, Histoire de l’Église, t. nu, p. 1U7-11U, et, pour le cadre politique, voir A. Fliclie, L’Europe occidentale de 888à 1125, dans Glotz, Histoire du Moyen Age, t. II.

É. Amann.