Dictionnaire de théologie catholique/VICTORINUS AFER. I. Vie. II. Œuvres

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 679-682).

VICTORINUS AFER, philosophe et écrivain chrétien du ive siècle. —
I. Vie.
II. Œuvres (col. 2889).
III. Jugement d’ensemble (col. 2894).
IV. Les sources de la foi (col. 2899).
V. La Trinité (col. 2905).
VI. Les œuvres de Dieu (col. 2927).
VII. Le mystère du Christ (col. 2938).
VIII. La vie chrétienne (col. 2942).
IX. Conclusion (col. 2952).

I. Vie.

C. Marius Victorinus, que l’on surnomma l’Africain, pour le distinguer de ses nombreux homonymes, était né en Afrique Proconsulaire, cf. S. Jérôme, De vir. illustr., c. vi, au plus tard vers l’an 300. Après avoir passé en Afrique la première partie de sa vie et s’y être marié, cf. De Rossi, Inscript, christ., t. ii, p. xxxviii, il vint chercher fortune à Rome sous Constance vers 340, déjà pourvu d’une instruction très complète et d’une chaire de rhéteur. Il y conquit la renommée : « maître de tant de nobles sénateurs, il devint « l’orateur le plus savant de son temps ». Or, à cette époque, où la tribune aux harangues était muette, l’orateur à la mode était celui qui pouvait parler d’abondance de rhétorique, de philosophie, voire de métaphysique et de religion. Victorin, ses œuvres le montrent bien, était tout cela, et, en plus, néoplatonicien et païen militant mais loyal, comme son maître Plotin. Il ne fut pas le maître de Jérôme ; mais celui-ci nous dit son succès : « On lui éleva une statue vers 353 sur le Forum de Trajan », Chron. ad ann. 2370, éd. Schœne, t. ii, p. 95 ; In Epist. ad Galal., préf.

Or, pendant qu’il attaquait le christianisme « avec son éloquence formidable », pour donner une base solide à ses polémiques, « il lisait les Écritures et recherchait les livres chrétiens », tant et si bien qu’il en fut ébranlé, puis se convertit publiquement « dans sa vieillesse », donc vers 355. La scène de sa « profession de foi, prononcée avec une assurance merveilleuse » à l’ambon de l’église baptismale, provoqua les acclamations de l’assistance, et saint Augustin y voyait un miracle de la grâce, Confess., t. VIII, c. iv. Ce récit, fait trente ans après par un disciple de Victorin, Simplieianus de Milan, est une des plus belles pages des Confessions ; et l’on sait l’influence décisive que cette conversion eut sur Augustin lui-même.

On a dit que sa conversion fut « le dernier terme d’une évolution intellectuelle ». P. Monceaux, Hist. tilt, de l’Afrique chrétienne, t. iii, p. 377. En fait, elle fut aussi d’ordre religieux et moral. Si son néoplatonisme le mettait dans la situation d’esprit qu’il requiert pour être catéchumène, P. L., t. viii, col. 1184 D (toutes les références à Victorinus seront faites d’après cette édition de P. L.), et si les mystères d’Osiris, auxquels il s’était fait initier, le poussaient au mépris de « la sagesse mondaine », ibid., col. 1244 D, et vers un « Dieu aussi Père qu’on peut l’imaginer », col. 1020, sa formation philosophique le fit longtemps hésiter devant un « Verbe fait chair », (S. Augustin) et devant la nécessité d’un culte extérieur et des sacrements : « Je ne croirai pas que vous êtes chrétien, lui disait Simplieianus, tant que je ne vous aurai pas vu dans l’église. — Ce sont donc les murailles qui font les chrétiens ! » répliqua en riant Victorin. Mais un jour il lui dit : « Allons à l’église, je veux être chrétien », Confessions, loc. cit. Tout cela est d’une âme loyale qui ne veut pas s’engager à la légère. Conversion superficielle, a-t-on dit, parce qu’il « ne parle guère de l’Église, ni du culte, ni de la morale, ni de la mission du Christ ». P. Monceaux, op. cit., p. 378. Du culte, peu de chose en effet, parce que son texte ne l’y engage pas ; mais, sur tout le reste, Victorin a dit tout ce qu’il faut pour se disculper d’une pareille calomnie. On verra par ailleurs les lacunes d’une formation chrétienne trop rapide, et, pourrait-on dire, trop aristocratique.

La production littéraire de Victorin chrétien s’échelonne donc sur une dizaine d’années après son adhésion au christianisme vers 355. Il continua d’enseigner la rhétorique, mais il consacra ses loisirs à la défense du dogme de Nicée ou à l’explication des Livres saints.

En 362, Victorin fit un nouvel acte de foi public : l’édit de Julien interdisant aux chrétiens d’enseigner la littérature et l’éloquence, il abandonna son école. Confess., t. VIII, c. v, n. 10. Il ne quitta pas pour cela ses études personnelles, et tout porte à croire qu’il mit à profit ces loisirs forcés pour achever ses Commentaires sur saint Paul. D’après quelques notes d’accent plus personnel, col. 1193 B, 1222 A, on le voit assez bien menant une vie d’humilité et d’oubli de son ancienne réputation. Par contre on ne l’imagine guère « passant de sa chaire à l’épiscopat ». De instit.

divin, litt., c. v : Câssiodore l’a confondu presque sûrement avec Victorin de Pettau. On ne sait au juste quand il mourut : la lettre xlviii de saint Jérôme nomme certainement Yictorinus comme une autorité en matière de langage, texte restitué dans P. L., t. viii, col. 994 ; mais vivait-il encore en cette année 382 ? En 387, Jérôme en parlait comme d’un disparu, In episl. ad Galat., præf.

II. Œuvres. — « Victorin était un esprit encyclopédique, assez complexe. Rhéteur de son métier, il ne s’était pas enfermé dans le domaine de la rhétorique. C’était aussi un érudit, comme beaucoup de lettrés du temps ; il s’intéressait notamment aux questions de grammaire et de métrique. D’après les témoignages concordants d’Augustin, de Jérôme, de Boèce, Victorin fut le grand orateur de sa génération. » F. Monceaux, op. cit., p. 380. C’est tout ce que nous savons de son éloquence.

I. OUVRAGES PROFANES. —

Vue d’ensemble et chronologie.

Tout en professant l’éloquence, Victorin avait composé une foule d’ouvrages : traités originaux, traductions ou commentaires d’oeuvres grecques ou latines. Étant donnée l’évolution intellectuelle de l’homme, on serait déjà amené à soupçonner trois périodes dans l’activité littéraire du rhéteur : ouvrages de grammaire ; ouvrages de rhétorique et de logique ; ouvrages de métaphysique. C’est aussi cette succession que suggèrent les allusions, fréquentes chez Victorin, à ses travaux antérieurs. Mais, pour aucun, l’on ne saurait donner une date précise.

1. Ars grammatica, le plus connu de ses ouvrages profanes, est une compilation des manuels romains, avec une attention spéciale donnée à la métrique, tout cela enseigné par mode de mémento, si bien qu’on se demande si l’ouvrage primitif de Victorin n’a pas été mis en manuel par un certain Aphtonius.

2. Logique. — Sont perdus presque tous les livres de logique, et d’abord le Commentaire des Topica de Cicéron, analysé par Câssiodore, Insl. divin, lilter., il, et Boèce, In Topica Ciccronis, Orelli, p. 290 ; la traduction avec commentaires du Perihermeneias d’Aristote, qui servit de base à Boèce pour sa propre étude sur cet ouvrage, cf. Câssiodore, loc. cit. ; une traduction latine de V Isagogé de Porphyre, qui devait être commentée par Boèce, In Porphgrium, P. L., t. lxiv, col. 9-7(1 ; un livre De si/llogismis hgpolheticis, dont on peut se faire une idée par les passages analogues des Explanation.es, éd. Halm, p. 184, 243 ; une traduction avec commentaires des (Allégories d’Aristote, dont on serait curieux de connaître la doctrine, probablement assez personnelle, car il s’agit d’un système que Victorin ne professait pas personnellement.

3. Le Liber de definitionibus. De toutes ses auvres profanes, c’est la plus personnelle. Son authenticité a été démontrée par Mai, Classici auct., t. iii, p..il"). Il a été longtemps populaire dans les écoles. Sur sou contenu et celui des suivants, voir P. Monceaux, op. cit., t. iii, p. 383-387.

4. Explanationes in Ciceronis Rhetoricam. — Copieux commentaire, qui donne peu de lumières sur le De Invenllone de Cicéron, mais, par contre, en ses nombreuses digressions, permet de reconstituer une bonne pari de la doctrine de Victorin à quelques années de s ; i conversion : digressions métaphysiques sur le temps et la substance, éd. Halm, dans Rhetoret lui, , m minores, p. 183, 211, 223, 228, 232, etc., attaque inopinée contre le christianisme, dont nous dirons un mot plus loin : les Explanationes sont doue antérieures, mais de peu, a la conversion du rhéteur devenu philosophe.

5. Traduction des néoplatoniciens. — On vient de montrer sans réplique que notre auteur a traduit une œuvre de Porphyre, De regressu animæ, dont la signification religieuse fut grande à cette époque. Cf. Courcelle, Les lettres grecques en Occident, t. i, table. La traduction est malheureusement perdue et l’original aussi. On savait qu’il avait traduit libros platonicorum et que « Simplicianus avait félicité Augustin d’avoir lu ces traductions » ; et, puisque ce n’est pas à la lecture du « Retour de l’âme » de Porphyre qu’on peut attribuer cette heureuse influence, et qu’Augustin lisait quelques traités de Plotin dans une traduction latine récente, on a la preuve indirecte’que celle-ci était l’œuvre de Victorin. La preuve directe est à chercher dans la comparaison avec sa traduction de Porphyre, qui présente les mêmes qualités d’exactitude philosophique plutôt que verbale, et en de courtes citations de Plotin, comme Enn., v, 2, 1 et Adv. Arium, iv, 22 ; Enn., vi, 3 et Adv. Arium, i, 30 ; comme Enn., iv, 4 et hx Epist. ad Galat., iv, 3, col. 1175 B. Cette attribution est aujourd’hui admise, après la démonstration lumineuse du P. Henry, Plotin et l’Occident, Louvain, 1934, c. ii, iii, iv, p. 49, 94, 224, 228-231. Victorin préparait ainsi, sans le savoir sa propre conversion au catholicisme. Mais son adhésion sincère à la foi chrétienne ne fut pas pour lui un motif d’abandonner son premier maître spirituel : certains chapitres contre Arius ne sont qu’une transposition candide des dialogues de Plotin sur Dieu et sur le Noûç. Rien n’empêche même qu’il ait mis la dernière main à ce travail de traduction longtemps après qu’il eut donné son cœur au Christ.

Influence.

Il fallait signaler cette activité de grammairien et de philosophe, d’abord parce qu’elle fit, plus que le reste, la célébrité de Victorin. Elle se présentait sous des patronages des plus recommandables : ceux d’Augustin, de Boèce, de Câssiodore, d’Isidore, de Bède, d’Alcuin, d’Éginhard, de Loup de Ferrières ; Alcuin cite ces œuvres de Victorin parmi les richesses de la bibliothèque d’York ; au ixe siècle on trouve ses traductions à Saint-Riquier. En 1141, Thierry de Chartres, Eptaleuchon, éd. Clerval, p. 221, cite ses œuvres comme les livres de fond des étudiants du trivium.

Et puis, les Explanationes in Ciceronis rhetoricam eurent un succès de scandale, auquel le converti du ive siècle et ses répondants du haut Moyen Age étaient loin de s’attendre. Mais on était au début du xiie siècle, à l’aurore de la préscolaslique ; et les amateurs de dialectique prenaient leur bien où ils pouvaient, par exemple dans le susdit commentaire de Victorin : ils en trouvaient partout des exemplaires, en Allemagne, à Durham en Angleterre, à Notre-Dame de Paris dès le xie siècle. Cf. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du i. Q siècle, p. 175-177, qui cite plusieurs emprunts manifestes des Explanationes. Or, nous l’avons dit, c’est dans cet ouvrage qui précéda de peu la crise Intellectuelle de sa conversion, que notre sophiste avait inséré des digressions philosophiques qui avaient bien déjà de quoi inquiéter les théologiens du Moyen Age ; bien plus, c’est là qu’il avait jeté, par mode d’exemples irréfutables, ses attaques contre la naissance virginale du Christ et sa résurrection. Citons au moins ce passage : An/urncnlorum porro gênera duo : probabile et nrressarium. Necessarium porro est argumentum …ni sic ficri necesse sit ; si diras : Si nains rsl. morirtur : si peperit, cum viro concubutt… Alioqui, secundum christianorum opinionem, non est necessarium argumentum : s, peperit, cum viro concubuil ; neque hoc rursus : Si natus est, morirtur. Sun, apud eus niunijrslum est esse sine viro natum et non mnrluum. Explanationes in Ciceronis rhetoricam, t. I, c. xxix, édité dans Halm, "/). cit., p. 132. Il est infiniment curieux de voir que, grâce aux livres scolaires qui se repassaient toujours 289 !

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VICTOHINUS AFER. ŒUVRES

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les mêmes exemples « des allusions à ces objections dialectiques se rencontrent pendant tout le xie et le xii 1 e siècles… surtout chez ceux qui s’opposent à l’introduction de la dialectique dans la théologie ». De Ghellinck, lue. cit.

II. Ouvrages CHRÉTIENS. l u Œuvre perdue ? — Avant d’entrer en lice en faveur du catholicisme nicéen, Victorin aurait, dit-on, consigné l’acquis de son initiation au » mystère du Christ ». « Nous avons dit en d’autres livres d’où vient la procession et la descente et le retour de l’Esprit promis. » Ceci se lit à la tin du De generatione Verbi, c. xxxi, col. 1036 A. Ces « Confessions » de Victorin auraient eu pour nous l’immense intérêt de nous livrer toutes neuves les impressions de ce grand esprit envisageant la révélation du Christ à travers les catégories de Plotin, et dégageant du même coup l'âme de vérité du néoplatonisme. Mais les « livres » en question ne sont point perdus : nous comptons montrer dans une prochaine édition de l’Adversus Arium, que ce paragraphe terminal du De generatione est une addition postérieure de "Victorin lui-même. Quand il eut décidé de faire de son premier ouvrage chrétien un livre à part, il voulut y dire tout de même un mot du Saint-Esprit ; pour faire court, il renvoya le lecteur du De generatione à ses « autres livres » parus quatre ou cinq ans après sa conversion, en particulier au 1. I contre Arius, c. li et lvii, col. 1080 À et 1084 B, où il avait dit tout ce qu’il savait alors de la troisième personne. Il n’y a pas la moindre allusion à une œuvre perdue de notre néophyte.

2° Œuvres authentiques. — Les œuvres chrétiennes conservées forment ce qu’on a appelé « l’Ennéade de Victorin ». Ce sont trois groupes ternaires d’ouvrages sûrement authentiques : trois traités contre les ariens ; trois hymnes sur la Trinité ; trois commentaires sur des épîtres de saint Paul.

1. Œuvres polémiques. — Tous ces ouvrages sont naturellement postérieurs à la conversion, donc à l’année 355.

a) De generatione divini Verbi. — Le plus ancien auquel renvoie le traité contre Arius, t. I, c. i, col. 1039 B, comme au « premier discours de cet ouvrage : c’en est le préambule défensif ». C’est une discussion fort abstraite en réponse à un des amis de Victorin, l’arien Candidus, sur la notion plotinienne de Dieu et l’idée arienne du Logos divin. Son ami avait voulu préciser sa doctrine, assez caractéristique des spéculations et discussions dialectiques auxquelles l’hérésie d’Arius donnait prétexte pour des esprits qui n’avaient rien de chrétien : Dieu absolument transcendant et immuable ne peut se communiquer autrement que par voie de création. Le Verbe n’est donc pas engendré de Dieu, mais fait de rien. Le libelle de l’arien Candidus, qu’on a appelé Liber de generatione divina, col. 1013-1020, est donc une thèse contre l’idée d’une génération en Dieu.

La réponse de Victorin s’intitule, au contraire, Liber de generatione divini Verbi, col. 1019-1036, et s’inspire du Credo catholique, voire du Credo de Nicée ; mais, s’il parle de rôu.ooûaioç, il cite à l’appui les Ennéades en grec, c. xxviii, col. 1034 A, tant il est persuadé de la concordance de sa philosophie ancienne et de sa foi naissante. Cf. É. Gils’on, La phil. du M. A., 1944, p. 121-125. Discussion très serrée, mais qui passe au-dessus des partis en présence, car elle ne tient compte ni des négations précises des ariens, ni des définitions textuelles des conciles.

Aussi son ami lui envoie ce simple billet : « Tu as beau accumuler les arguments et exemples pour essayer de prouver que le Christ est né, sans avoir été créé : Arius, homme d’un génie pénétrant, et ses disciples, et, au premier rang, réminent Eusèbe, ont

donné dans leurs lettres leur avis 'sur ce point. Cidessous les lettres. » Candidl epist. ad Marium Vielorinum rhelorem, col. 1035-1040. Suivaient en une bonne traduction latine la lettre d’Arius à Eusèbe de Nicomédie, et la lettre de celui-ci à Paulin de Tyr. Cf. l'édition critique de la lettre d’Arius traduite par Candidus par J. W’ohrer dans J ahresbericht des Gymn. zu Wilhering, 1912, p. 5-11. C'était renvoyer poliment l’apologiste à ses auteurs : l'Écriture et la Tradition. Victorin se le tint pour dit et mit sur le métier son Adversus Arium, dont le livre I constitua d’abord la « seconde réponse » à Candidus. Cf. B. Citterio. dans Scuola catt., octobre 1937.

b) Le premier livre Adversus Arium, col. 1039-1088

— Avec son supplément De homoousiu recipiendo, col. 1137-1140, il forme l’ouvrage le plus considérable et le plus caractéristique de Victorin ; il peut être daté à deux années près par les faits historiques qu’il mentionne. Au c. xxviii, col. 1061 B, l’auteur semble dire que le concile de Nicée a eu lieu ante XL annos non pas ante XI annos, comme ont lu les éditions usuelles, cf. P. L., t. viii, col. 998 ; il l’aurait donc écrit en 365. Mais, au t. II, c. ix, col. 1096 A, il dit que ce même concile a été approuvé par Constantin, « le père de l’empereur actuel », Constance († 361). Il est donc plus naturel de croire que les quarante années en question, suivant une méthode de calcul familière aux Bomains, désignent, en chiffre rond, la quatrième décade ; ce qui place l’Adversus Arium entre 355 et 361. On peut préciser encore : Victorin parle, comme d’un événement actuel, t. I, c. xxviii, col. 1061 A, de l’apparition du parti homéousien et du rôle prépondérant qu’y prenait Basile d’Ancyre ; il mentionne également la condamnation toute récente de Valens et d’Ursacius. M. Schmid, Marius Vicl. rhetor., p. 12, propose la date de 357, et voit le « réveil subit » des ariens dans le synode de Sirmium de cette même année ; mais Ursace et Valens y produisirent une profession de foi qui de fait triompha provisoirement ; cf. S. Hilaire, De synodis, c. xi. Pour trouver la condamnation définitive de ces deux anoméens fanatiques, P. Monceaux, op. cit., p. 401, descend jusqu’au concile de Bimini, en juillet 359. Mais ces ariens purs avaient déjà reçu un rude coup au concile de Sirmium de 358. Le premier livre Adversus Arium serait de la fin de cette année 358. Il est piquant de constater que le néophyte faisait son acte de ralliement à 1'ôfi.oo’Jai.oç, juste au moment même (358) où le pape Libère signait la formule de Sirmium, dont le consubstantiel était absent. Cette circonstance expliquerait bien des silences de Victorin au sujet de l’enseignement des évêques et de l’autorité des papes.

c) Le De ô^owatep recipiendo serait donc un libelle pour rallier les hésitants, tous ces croyants « qui ont tous une même manière de voir et ne peuvent s’unir. Je dirai donc tout le mystère (de la filiation du Verbe), avec les mots de chacun, leurs opinions, leurs vues profondes, tout cela en un bref discours », — il pouvait tenir sur une seule feuille — : « Ahl si nous pouvions une bonne fois exclure Arius ! » Op. cit., c. i, col. 1137 C. Exclure les ariens, et surtout les néo-ariens, novelli Arii, col. 1139 B, alors triomphants, col. 1140 C, voilà le dernier but de ce prospectus orthodoxe, d’où sont bannies — on ne l’a pas assez remarqué — toutes les spéculations plotiniennes si chères à l’auteur. « Ce qu’il y a à faire désormais, ce n’est pas de discuter, mais de confesser ». Col. 1140 B. Victorin y soutient seulement d’abord que Dieu est substance, col. 1138, puis que le Fils né de Dieu n’est pas une créature, ni une part de Dieu. Plusieurs textes et arguments de cet opuscule semblent empruntés au Liber contra Arianos que Phébade d’Agen publia en 358 contre la seconde for

mule de Sirmium (357) : il est donc probablement de 359.

d) Les trois Hymnes à la Trinité, col. 1139-1146, seraient, à notre avis, des productions de propagande, d’un genre spécial, non pas pour l’usage liturgique, mais pour servir de catéchisme anti-arien : on songe à la Thalie d’Arius et au Psaume d’Augustin Contra parlera Donati. Il s’agissait bien de poésie ! Quant à la « source d’émotion » que P. Monceaux prétend que l’auteur aurait trouvée en ces théories trinitaires, elle se comprend chez ce philosophe à qui on arrachait son Dieu en supprimant le Verbe consubstantiel. Voir des citations abondantes, loc. cit., p. 409-410. L’originalité de ces hymnes est d’être en prose, sans traces de mètre, ni de rythme, ni de rimes, mais avec le parallélisme et la beauté grave des psaumes. La seconde hymne est une sorte de complainte avec refrain : « Aie pitié, Seigneur ! aie pitié, ô Christ ! » Col. 1142. « Oh ! oui, laisser le monde ; mais faible est mon aile pour le vouloir sans ton aide ; donne-moi les ailes de la foi, pour voler tout là-haut à Dieu. » Col. 1143. Il y a là certes une réminiscence de Plotin ; mais plus aucun emprunt systématique.

e) Les trois derniers livres Adversus Arium sont généralement placés chronologiquement avec le premier, tous les quatre donc avant les Hymnes et le De homoousio. Cependant, comme ce dernier opuscule ne renvoie nettement qu’au premier livre « Contre les lettres des ariens », col. 1140 C, le problème de date reste ouvert pour les trois autres, voire même pour les appendices du livre I. Terminé primitivement avec le c. xxvii, celui-ci a reçu très vite deux suppléments, c. xlviii-lx, et c. lxi-lxiv, se terminant chacun par une doxologie. Le second livre, à bien des indices, paraît un développement du De homoousio recipiendo. Pour le contenu et la date des deux derniers livres, on trouve des précisions intéressantes chez dom B. Citterio, dans Scuola catlolica, octobre 1937 : le traité qui forme actuellement le t. IV, col. 1113-1138, serait antérieur au De homoousio, tandis que notre t. III, col. 1098-1113, serait le dernier de tous et daterait de 362, à l’époque de la retraite forcée du rhéteur chrétien. Nous croyons pourtant devoir maintenir les quatre livres dans leur ordre actuel : I-II-III-IV.

2. Œuvres exégétiques. — Elles nous sont parvenues fort incomplètes. Outre les trois Commentaires que nous possédons, Victorinus en avait composé d’autres, peut-être sur toutes les épîtres de saint Paul ; il y renvoie lui-même : Ad Ephes., iv, 10, col. 1274 ; i, 4, col. 1238. L’Ambrosiater a cité son Commentaire aux Romains, In Episl. ad Rom., v, 14, P. L., t. xvii, col. 96.

Les trois commentaires qui nous restent, sur les épîtres aux Calâtes, aux Philippiens et aux Ephésiens ont été éditées par le cardinal Mai, Nova collecl. script, vêler., t. m b, p. 1 sq., d’après le Codex Ollobonianus 1288, et imprimés à la suite des œuvres polémiques dans la P. L., t. viii, col. 1 145-1294. Les Commentaires aux Calâtes et aux Éphésicns font allusion aux livres contre Arius, Ad Galal., i, 1, col. 1148 ; iv, 19, col. 1184 ; Ad Ephes., i, 4, col. 1242 ; i, 21, col. 1250. Celui des Philippiens cite le commentaire aux Éphésii us : c’est donc le dernier des trois, Ad Phil., ii, il. 1207, et même la toute dernière œuvre, puisqu’elle renvoie également au I > livre contre Arius. On verra plus loin sa méthode exégétique.

Cependant le Commentaire sur les Éphésiens annonce un traité sur la mission du Christ, Ad Ephes., I. ii, præf., col. 1273 C. Ce travail, probablement considérable, puisqu’il aurait contenu plusieurs tractalus, n’aurait pas clé un commentaire suivi du texte de lainl Paul, mais un grand ouvrage du genre du livre I, Adversus Arium. On ne peut l’Identifier à

celui-ci qui était déjà publié, loc. cit., col. 1274 C ; mais les notions chrétiennes d’ « avènement et de retour » du Christ permettent cependant de supposer que cet ultime résumé de la pensée de Victorinus aurait été encore un essai de justification par saint Paul des idées de notre philosophe sur la progressio et la descensio du Verbe de Dieu.

Avec un auteur si soucieux de tenir à jour sa propre bibliographie, il n’y a pas de chance a priori qu’il ait omis de nous signaler aucune de ses œuvres d’ensemble. Mais on ne peut en dire autant pour des tractutus sur des questions particulières comme ceux qui suivent.

Œuvres supposées. — Certaines œuvres, d’importance et d’intérêt secondaires, parce qu’elles présentaient certaines analogies avec les ouvrages précédents, ont été mises sous le patronage de Victorinus Afer, ou copiées à la suite de ses Commentaires : œuvres polémiques, scripturaires ou poétiques.

1. De physicis. — Joint en plusieurs mss. aux Commentaires sur saint Paul, mais sans nom d’auteur. On y traite, dans un ordre parfait, P. L., t. viii, col. 1295-1310, de l’existence de Dieu contre les athées et les païens, c. i et iv, de la création de la matière, c. ii-m, et de l’ordre du monde physique, c. v, col. 1297, de la justice et de la miséricorde de Dieu, tout cela physicis ralionibus : d’où le titre. Mais « l’histoire (sainte) doit être consultée pour la chute originelle », la naissance virginale, etc., c. xvi-xviii, col. 1304-1308. Sauf quelques réminiscences de Victorin, Deus in hominc natus, col. 1307 B, la justification sans les œuvres, col. 1310 B, le ton, le style traînant, certaines doctrines comme celle de l’ab’us de pouvoir, col. 1307 D, disent que « le De physicis a été composé au ive siècle par un Africain, peut-être par un disciple de Victorin ». P. Monceaux, op. cit., p. 399.

2. De verbis Scripturie. — Transcrit à la suite des Commentaires de Victorin sur saint Paul, en compagnie du Liber ad Justinum, c’est aussi un travail d’exégèse sur Gen., i, 5. « Rien dans cette élucubration ne rappelle la doctrine ni le style de Victorin. » Op. cit., p. 400.

3. Liber ad Justinum Manichæum. — Cet opuscule, P. L., t. viii, col. 1009-1014, contient une réfutation sommaire du manichéisme sur l’origine du mal, la liberté de l’âme, la nature humaine du Christ. Ces idées, trop appuyées pour être de Victorin, sont cependant d’inspiration néoplatonicienne : la clause finale ajoutée par Mai à l’édition de Sirmond, P. L., t. viii, col. 1295 C, est une réminiscence de Plotin, Enn., II, ix, 16. L’ouvrage est d’assez bon style, il a été attribué à Pacien de Barcelone par dom Morin, Rev. bénéd.. 1913, p. 286.

4. Les poésies qu’on attribue à Victorin sont en vers, donc diffèrent au premier aspect des trois hymnes authentiques. Leur sujet également : De fratribus septem Maccabœis, De crucc intitulé encore De Pascha, De ligno vitæ, Carmen adversus Marcionitas. On ne s’accorde pas sur leur origine, mais on n’y reconnaît nulle part la main de Victorin. Cf. Bardenhewer, Althirchliche Literatur, t. iii, p. 399.