Dictionnaire de théologie catholique/VAUDOIS I. Origines II. Organisation

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 528-531).

VAUDOIS. — Secte hérétique fondée parmi certain Valdès (Valdesius), au dernier quart du xii c siècle.
I. Origines. II. Organisation (col. 2589). III. Doctrines (col. 2591). IV. Évolution jusqu’à nos jours (col. 2597).

I. Origines.

Les origines des vaudois sont enveloppées d’obscurités. Les documents qui nous en parlent sont relativement tardifs. Les principaux sont le Chronicon universelle anonymi Lauduncnsis, dont l’auteur était un prémontré de Laon et dont la composition se situe vers 1220 ; le Tractatus de septem donis Spiritus, qui est l’œuvre d’un dominicain originaire de Belleville-sur-Saône, Etienne de Bourbon, et qui remonte au milieu du xiii c siècle (l’auteur mourut en 1262) ; Y Anonyme de Passait publié par Flaccius lllyricus dans son Catalogus lestium veritatis, et qui doit être un dominicain également du diocèse de Passau, écrivant vers 1266, et quelques autres qui seront nommes au cours de la présente étude. Voir Bibliographie, col. 2600.

En combinant ces trois sources et en les compté tant ou rectifiant avec soin, à l’aide d’autres documents contemporains, on arrive aux données suivantes : Au cours d’une grande famine que l’on peut identifier avec celle de 1176, un riche marchand de Lyon, nommé Valdès et qu’un document très pos

térieur (1368) prénomme Pierre, se trouve un jour très frappé par le chant de la cantilène de saint Alexis, entendue de la bouche d’un jongleur de passage. Il fait entrer le jongleur dans sa maison pour mieux connaître la légende du saint. Le lendemain, il interroge un maître en théologie : « Quelle est la voie la plus sûre et la meilleure pour aller à Dieu ? » On lui répond par l’histoire évangélique du jeune homme riche : « Si tu veux être parfait, vends tous tes biens et donne-les aux pauvres. » Matth., xix, 21. De retour chez lui, Valdès fait part à sa femme de la résolution qu’il vient de prendre de renoncer à tout. Il assure son avenir à celle-ci, fait entrer ses deux tilles dans un couvent, distribue tout ce qui lui reste aux malheureux et demande ensuite lui-même l’aumône à ses amis « pour l’amour de Dieu ». Cette « conversion » extraordinaire fait naturellement grand bruit dans la ville. Les uns critiquent, les autres approuvent, quelques-uns imitent la conduite de Valdès. L’n groupe se forme autour de lui, dans le but de pratiquer la « pauvreté apostolique ». Valdès fait alors un pas en avant. Les apôtres prêchaient. Il prêchera donc aussi. Il se heurte dès lors à une certaine méfiance des autorités ecclésiastiques, encore que tout démontre la parfaite pureté de ses intentions. Valdès prend alors la résolution d’obtenir de Rome l’autorisation régulière de prêcher.

Dans son curieux ouvrage satirique Liber de nugis curialium, le prêtre anglais Gautier Map, qui se trouvait à Rome, au temps du IIIe concile du Latran, en 1179, sous Alexandre III, raconte qu’il fut invité par un évêque à interroger les deux envoyés vaudois, qui « paraissaient être les principaux de leur secte ». Map leur demande donc : « Croyez-vous en Dieu le Père ? » — « Oui ». — « Au Fils ? » — « Oui ». — « Au Saint-Esprit ? » — « Oui « . — « À la mère du Christ ? »

— « Oui ». Là-dessus, grand éclat de rire dans toute la docte assistance. La réponse prouvait, en effet, l’ignorance théologique des vaudois et leur inaptitude à la prédication. Ils durent se retirer tout confus sans avoir obtenu l’autorisation demandée. Le pape leur interdit de prêcher pour « défaut de science ».

Le groupe des « pauvres de Lyon », comme on les appelait, se trouvait en face d’un dilemme : ou obéir et probablement disparaître, puisqu’on lui enlevait sa principale occupation, — ou désobéir et s’exclure de l’Église ! Valdès et les siens choisirent cette seconde alternative. À partir de 1179 donc, les vaudois entrent dans la voie du schisme qui les conduira rapidement à l’hérésie. L’évêque de Lyon, qui était alors Jean Rellesmains (et non Blanches-Mains, comme il est dit dans la Protest. Realenzyklopadie, t. xx, p. 807) (1182-1193), à la suite de Guichard, leur défend de prêcher. Ils s’obstinent. Il les frappe de l’excommunication. Le pape Lucius III fulmine à son tour contre eux la même censure, au concile de Vérone, le 4 novembre 1184, par la bulle Ad abolendam. Jafïé, Regesta pontificum Romanorum, n° 15 109. Appuyé sur cette sentence, l’évêque de Lyon les expulse de son diocèse (1184 ou 1185).

Dans l’intervalle, les vaudois avaient reçu un renfort important. Il s’était formé, en Lombardie, depuis le début du xii° siècle, des groupes de pénitents qui avaient adopté la règle bénédictine et dont les uns étaient des moines proprement dits, d’autres des prêtres, d’autres enfin, en majeure partie, des laïques vivant dans les liens du mariage et se livrant, au sein de corporations pieuses, au travail de la laine. On les appelait les humiliâtes. Le premier couvent de l’ordre avait été fondé par saint Jean d’Oldrado († 1159). Vers le temps où les vaudois étaient venus à Rome (1179), les humiliâtes s’y étaient rendus éga lement pour solliciter l’approbation de leur genre de vie et l’autorisation de prêcher. Mais à eux aussi un refus catégorique avait été opposé. On pense que les deux groupes d’émissaires apprirent à se connaître à cette occasion. Quoi qu’il en soit, un rapprochement se produisit entre les pauvres de Lyon et les humiliâtes lombards. Une fusion s’opéra. Le décret cité plus haut de Lucius III frappait en effet ceux qui se humiliatos vel pauperes de Lugduno falso nomine mentiuntur. Sans que l’on doive admettre que tous les humiliâtes se firent vaudois, puisqu’ils obtinrent, — ceux du moins qui étaient restés fidèles, — l’approbation régulière du pape Innocent III, en 1201, il est sûr qu’un grand nombre reconnurent l’autorité de Valdès. À partir de ce temps, la secte fit de rapides progrès. Son centre en Italie était Milan. Mais on la trouve à Crémone, Bergame, Pavie, dans les villes de la côte ligurienne. Elle essaime de là en territoire allemand, notamment à Strasbourg, en Bavière, en Autriche, dans les diocèses de Trêves et de Mayence. La branche française, de son côté, se développait non moins puissamment. On la signale à Toul, Metz, Liège, en Flandre, mais plus spécialement dans le sud, en Provence, en Languedoc, en Catalogne et Aragon. La répression de l’hérésie fut d’abord relativement modérée. Mais, peu à peu, elle s’aggrava. En Espagne, le roi Alphonse II, par l’édit de Lerida (1194), prononçait la peine de confiscation des biens contre ceux que l’on commençait à appeler les insabbatati (les ensabotés). En 1197, au concile de Gérone, le roi Pedro II renouvelait ces prescriptions, mais il y ajoutait la peine du feu, contre les vaudois. C’était la première fois que cette peine était employée, contre les hérétiques en général. On signale, en 1211 l’exécution par le feu d’environ 80 vaudois, hommes et femmes. En d’autres contrées, les évêques recouraient à des mesures moins radicales, suppression des écoles, expulsion du diocèse, crémation des livres hérétiques. Cependant çà et là des exécutions par le feu d’hérétiques qui étaient peut-être des cathares ou albigeois, mais peut-être aussi des vaudois, sont indiquées dans les chroniques. Des conférences contradictoires se produisaient entre docteurs catholiques et hérétiques. Des conversions s’opéraient parfois. L’une des plus remarquables fut celle de Durand de Huesca, pauvre aragonais, qui se soumit à la suite d’un colloque tenu, en 1206, au château de Pamiers. Mais il réclama le droit de garder le costume et le genre de vie des pauvres. Son exemple ayant été suivi de plusieurs autres, on eut l’idée du côté catholique, d’organiser un groupe de pauperes catholici, qui étaient ou des vaudois convertis ou des catholiques adoptant leur pauvreté, afin de contrebattre plus efficacement l’influence de la secte. Mais ce groupement ne donna pas tous les fruits que le pape Innocent III s’en était promis. Il est vrai que, peu de temps après, apparurent les deux grands ordres mendiants des franciscains et des dominicains, qui, dans une certaine mesure, furent une réplique triomphale à l’austérité impressionnante des fils de Valdès.

Celui-ci continuait à diriger avec fermeté toute la secte. Sa mort ne doit être placée qu’aux environs de 1218. Il était devenu, pour les siens, une sorte de pape. On lui reprochait du reste son autoritarisme. Ce qui le prouve c’est que l’union entre les pauvres de Lyon et les humiliâtes lombards ne put se maintenir très longtemps. Valdès exigeait la suppression des corporations ouvrières lombardes, issues des humiliâtes. Les lombards s’y refusaient. Valdès prescrivait aux frères qui entraient dans la secte, comme membres effectifs, de renoncer aux liens du mariage. Les lombards prétendaient qu’il fallait pour cela le consentement du conjoint et ils réclamaient le droit d’avoir

un supérieur à eux. Valdès répliqua que, lui vivant, il ne souffrirait pas d’autre supérieur auprès de lui. Un schisme s’ensuivit, qui entraîna peut-être la réconciliation de certains humiliâtes avec l’Église. On a vii, en effet, que l’ordre fut approuvé, en 1201. Toutefois, il n’est pas sûr qu’il y ait eu un lien entre les deux séries de faits. Il semble que ce soit vers 1210 que la scission s’opéra définitivement entre lombards et pauvres de Lyon. Les lombards nommèrent un chef, Jean de Ronco. Mais il mourut à peu près dans le même temps que Valdès, avant mai 1218. À cette date, en effet, un congrès des deux branches eut lieu à Bergame, pour rechercher un terrain d’entente. Les vaudois français exigeaient que Valdès fût honoré comme bienheureux, ainsi qu’un de ses compagnons, nommé Vivet, et que les lombards abandonnassent leur doctrine eucharistique spéciale. L’accord ne put se faire sur ces deux points et la rupture entre vaudois français et lombards fut consommée, en 1218, sauf quelques échanges de relations d’un camp à l’autre.

IL Organisation. — Dès le principe, l’organisation des pauvres de Lyon est à peu près celle des ordres religieux, avec des vœux en règle et, par suite, un nombre relativement restreint de membres. Les pauvres renoncent au monde, font profession d’imiter les apôtres et d’observer strictement la loi du Christ. Mais, comme ils se regardent comme appelés par Dieu même à la prédication, il s’ensuit qu’il y a, dès le début, deux sortes de personnes parmi les vaudois : les pauvres proprement dits et leurs disciples ou amis. Dans le groupe lombard-allemand, on nomme les premiers : maîtres, maîtresses, car il y a des membres des deux sexes. Parfois, on leur donne même le titre A’apôtres. Eux seuls sont membres de la secte ou société. Avant d’être admis dans leurs rangs, les convertis appelés novellani, subissent une sorte de noviciat qui dure un an ou deux en Lombardie et jusqu’à cinq ou six ans, en France. Comme on apprend par ailleurs que les vaudois savaient par cœur des fragments considérables de la Bible et surtout les évangiles, il est aisé de comprendre que le noviciat consistait surtout en une initiation biblique très poussée, sinon vers l’intelligence scientifique du texte, du moins vers un effort de mémoire pour connaître les textes sacrés et se mettre en état de les réciter imperturbablement.

A la suite de ce noviciat prolongé, le novellanus ou nuper conversus était admis dans les rangs des maîtres, par une cérémonie assez semblable à la profession religieuse, qui se déroulait au cours d’une assemblée générale des frères, appelée commune. Le novellanus faisait vœu de pauvreté parfaite, c’est-à-dire < de ne pas se préoccuper du lendemain et de n’accepter ni argent ni or en dehors îles besoins du jour pour la nourriture et le vêtement ». Il faisait vœu aussi d’observer strictement l’Évangile, de porter le costume apostolique et de garder la chasteté. Ce vœu devait rompre tout lien matrimonial antérieur, mais par la suite, dans les deux branches, on prit l’habitude de n’accepter comme frères que des célibataires. Enfin, le novice faisait vœu d’obéir à ses supérieurs. Il recevait alors le costume apostolique, selon toute apparence, une simple robe de laine. Au début, les frères allaient nu-pieds. Mais de très bonne heure, ils utilisèrent des sandales, attachées par un lacet en croix, avec une semelle de bois. (L’est cette sandale que l’on appela sabot. Les pauvres y attachaient la

plus grande Importance. Le novice devenu profès prenait le nom de sandaliatua. De là les noms souvent donnés aux vaudois dans les documents rie tandaliati, iruabbatati, iabbatatt, totularii, eotularii, ençabols, etc. Les ensabottés n’étaient pas tous égaux, à l’origine. Ils reconnaissaient une hiérarchie, qui

disparut peu à peu au cours des âges, pour laisser place à la simple ancienneté. Avant 1210, Valdès

— que l’on a aussi appelé en français Valdo — s’était adjugé les pouvoirs d’évêque. Et il avait dû instituer lui-même des prêtres et des diacres, avec l’aide du commune ou assemblée des frères. Cette hiérarchie à trois degrés fut probablement adoptée pour des raisons bibliques, car les saints livres ne parlent que de ces trois degrés. Le diacre était un jeune profès, le prêtre un profès plus ancien, mais faisant toujours partie des juniores. Les évêques formaient la classe des majores ou anciens. L’ordination consistait surtout dans l’imposition des mains. La fonction essentielle des maîtres étant de prêcher, ils devaient toujours voyager par deux, un prêtre et un diacre. Le diacre avait le droit de prêcher et de confesser, mais, en principe, il était au service de son compagnon plus âgé qui était prêtre. Celui-ci prêchait et confessait dans un secteur déterminé, sans avoir de domicile fixe. L’évêque seul consacrait l’eucharistie, une fois l’an, le jeudi saint au soir. Souvent on consacrait aussi un poisson en plus du pain et du vin. On attribuait une vertu de guérison pour les malades aux aliments ainsi consacrés, au pain surtout. Y avait-il un chef suprême, au-dessus des évêques ? Cette question ne peut recevoir une réponse uniforme selon les branches et les régions. La branche lombarde, séparée, on l’a dit, da la branche française, dès 1210, conserva un souverain pontife, élu par le commune, jusqu’à la fin du xve siècle. Il eut longtemps sa résidence dans la Fouille ou dans le centre de l’Italie. En dehors du pouvoir épiscopal, il avait le droit de réunir le commune, ce qu’il faisait une ou deux fois par an. Le commune, que les textes catholiques appellent capilulum, à l’instar des chapitres généraux des ordres religieux, réglait toutes les affaires spirituelles et matérielles de la société vaudoise. Dans les pays allemands, où l’on avait fait partie du commune de Lombardie et où l’on en avait suivi les prescriptions, il devint nécessaire, en raison des dillicultés matérielles, de s’organiser à part. Il n’y eut jamais de recteur majeur ou souverain pontife. Dans la branche française, où Valdès s’était au début adjugé tout pouvoir, il n’y eut pas, après sa mort, de gouvernement individuel permanent. Il semble qu’une réaction se soit produite contre l’autoritarisme du fondateur. On a vu que cet autoritarisme avait été la cause principale de la sécession des lombards. Il est permis de conjecturer que c’est aussi à cause de cet excès d’autorité qu’il n’y eut, pendant un temps, que des procureurs, au nombre de deux, élus pour un an seulement, par le commune. Plus tard, cependant, c’est-à-dire vers la fin du XIIIe siècle, on voit reparaître un major minister élu à vie par l’assembler’générale.

Il va sans dire que toute cette hiérarchie n’avait d’autre fondement que la volonté de Valdès, qui n’avait jamais reçu d’ordination régulière. Mais il était admis qu’il avait été investi de tous ses pouvoirs directement par Dieu comme Moïse ou saint Paul.

Tout ce qui précède ne concerne que les maîtres proprement dits, à l’exclusion des amis ou adhérents. Les textes concernant les vaudois ou ensabottés, à l’origine, ne désignent que ceux-là. Au surplus. les amis, tout en se défiant du clergé cal Indique, continuaient à fréquenter les églises, en évitant seulement de recevoir la communion catholique. La persécution rie la part des autorités catholiques eut pour résultat t’de faire disparaître peu à peu le costume aposto liquc des maîtres, qui les trahissait trop aisément ; 2° de resserrer les amis autour des maîtres, en sorte qu’avec ! < temps, le terme de vaudois désigne à la

fois le clergé et les li < le tes de la secte ; 3° d’accroître 2f>î » J

VA l’DOIS. DOCTMI NES

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jusqu’au paroxysme l’opposition entre les groupes vaudois et l’Église catholique ; — 4° de multiplier les cas de fréquentation des églises catholiques par des adhérents vaudois animés d’un grand anticléricalisme, mais désireux d’échapper aux poursuites.

Pour être complet, il convient de rappeler que les frères admirent au début des sœurs dans leurs rangs. Mais, pratiquement, les sœurs furent très vite, surtout en pays lombard, confinées dans des hospices ou asiles charitables. En tout cas, elles ne furent que rarement admises à prêcher.

On constate aussi l’existence de ministri, qui n’étaient ni des diacres ni des prêtres et que l’on choisissait parmi les novellani. Ces ministri étaient chargés ou de missions matérielles ou de la direction des écoles de la société. Ils n’appartenaient pas à la hiérarchie proprement dite. C’était le commune qui leur confiait des fonctions temporaires pour les besoins de la société.

Il est à noter que la secte, dans tout le cours de son histoire, ne compta guère que de pauvres gens, paysans, artisans surtout.