Dictionnaire de théologie catholique/VATICAN (CONCILE DU) I. Avant

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 503-509).

VATICAN (CONCILE DU), ainsi nommé de la basilique vaticane (Saint-Pierre de Rome), où il fut tenu du 8 décembre 1869 au mois de septembre 1870.

Les documents relatifs à cette assemblée ont été rassemblés d’abord dans le t. vu de la Collectio Lacensis, cité ici simplement C. L., puis d’une façon complète et systématique dans les cinq derniers volumes de l’Amplissima collectio conciliorum, commencée au xviiie siècle par Mansi, continuée en ces derniers temps par M. Martin et Mgr Petit, cité ici M.-P. On a aussi quelquefois cité T. Granderath. Histoire du Concile du Vatican, d’après la traduction française.
I. Avant le concile.
II. Le concile (col. 2548).
III Après le concile (col. 2577).

I. Avant le concile. —

I. LA GENESE DU CONCILE, SA CONVOCATION, SON BUT

La genèse et la préparation.

Les grandes résolutions ne surgissent pas généralement tout d’un coup, elles ont d’ordinaire de lointaines préparations surtout dans la conduite de l’Église. Et ces origines, c’est le devoir de l’historien de les suivre et de les signaler : depuis longtemps, Pie IX avait conçu le dessein de réunir un concile œcuménique.

Il s’en était ouvert pour la première fois à une séance de la Congrégation des Rites, le 6 décembre 1864, c’est-à-dire deux jours avant la publication de la célèbre encyclique Quanta cura, qui apportait au monde un plan de reconstruction de la société sur des bases chrétiennes et que suivit un catalogue, Syllabus, des erreurs modernes qui avaient déjà été condamnées. Dans sa pensée le nouveau concile devait compléter la grande œuvre d’exposition doctrinale dont il avait pris l’initiative. M.-P., t. xlix, col. 9. Peu après, il recueillait les avis, sur le sujet, des cardinaux présents à Rome. Ibid., col. 9-94. Plus tard, par une lettre confidentielle du 10 avril 1865, Pie IX avait consulté un certain nombre d'évêques pour savoir quelle serait leur pensée sur certains projets. Ibid., col. 105 ; voir les réponses des évêques consultés, col. 107-178. Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans fut un des trente-quatre prélats qui reçurent les confidences pontificales. Lagrange, Vie de Mgr Dupanloup, t. iii, p. 53 sq. Furent aussi consultés en France NN. SS. Mathieu, de Bonnechose, Pie, Plantier, Guibert, en Autriche NN. SS. Schwarzenberg, Rauscher, en Angleterre Mgr Manning, etc.

Enfin, en 1867, le pape avait passé à la réalisation de son projet en confiant à une congrégation de six cardinaux le soin de préparer un ensemble de décrets. C’est l’organisme qui fut appelé commission centrale, ou congrégation directrice. Ibid., col. 465 sq. A cette fin, plusieurs sous-commissions furent instituées, dont les actes devaient fournir une importante contribution aux travaux de l’assemblée conciliaire. Ainsi fonctionnèrent une commission théologicodogmatique qui délibéra en 57 séances, dont les procès-verbaux sont publiés, ibid., col. 617-736, sur les questions proprement dogmatiques à traiter par le futur concile, une commission pour la discipline, qui élabora divers projets d’ordre disciplinaire dans ses 63 réunions, ibid., col. 749-932, une commission des réguliers qui eut 17 réunions, ibid., col. 934-984, une commission pour les missions apostoliques et les lù/liscs orientales qui compta 37 réunions, ibid., col. 985-1056, enfin une commission politico-ecclésiastique et une commission du cérémonial. Tous les travaux de ces commissions furent faits en vue de la prochaine célébration du concile.

Ces diverses commissions préparatoires étaient formées de théologiens consulteurs. Soixante furent pris à Rome, trente-six dûment choisis vinrent de l'étranger. Le recrutement des consulteurs étrangers, confié aux nonces apostoliques dans les divers Etats ne fut pas toujours des plus judicieux. On s'étonna, dès te début, de certaines exclusives. Le cardinal Schwarzenberg, dans une lettre au cardinal Antonelli. secrétaire d'État, lettre rendue publique, disait sa surprise que l’on n’eût fait appel à aucun savant docteur allemand tels que Hefele, Alzog, Drrllinger, Kuhn. On donna raison à l’archevêque de Prague en ouvrant les portes de la commission théologico-dogmatique à Alzog et à I Icfele (lequel ne devait pas tarder à devenir évêque de Rot tenbourg, novembre 1869). Mais ce dernier ne se jugea point satisfait et son désappointement, plus ou moins justifié, se manifesta bientôt dans une lettre au cardinal Schwarzenberg : » I.e parti pris, disait-il, a présidé au choix des consulteurs… Pas un seul théologien des universités allemandes, sauf deux élèves des jésuites. Ni Alzog ni moi n’avons été entendus sur les questions que nos fonctions nous incitaient à même de discute] Parmi les docteurs en théologie qui, en qualité de théologiens consulteurs, prirent une part considé rallie aux travaux préparatoires, comme aux travaux proprement dits du concile, on doit compter au premier rang Franzelin, une des lumières du Vatican,

DICT. DE I III <> !.. C.ATHOL.

professeur au Collège romain où il succédait au fameux Père Passaglia. Les commissions préparatoires comptèrent bien d’autres personnalités de haute culture religieuse dont nous aurons à rappeler la grande activité au cours des délibérations conciliaires.

La convocation.

La minutieuse préparation

des travaux du concile par les théologiens des commissions présynodales ne pouvait passer inaperçue. Il n’y eut donc aucune surprise, lorsque, par une bulle pontificale datée du 29 juin 1868, jour de la fête des saints Apôtres, et donnée sous l’anneau du pêcheur, Pie IX convoqua aux assises d’un concile oecuménique tous les représentants du monde catholique qualifiés pour y prendre part. Ce « sacré concile œcuménique et général devait s’ouvrir le 8 décembre 1869, quinzième anniversaire de la proclamation par le Pape Pie IX de l’immaculée conception et se tenir dans la basilique du Vatican. » Bulle sFAerni Patris. M.-P., t. l, col. 193*-198*.

L’invitation ou plutôt la sommation de venir au concile général s’adressait d’une manière générale à tous les patriarches, archevêques, évêques et abbés et à tous ceux qui, par droit ou par privilège, avaient droit de siéger aux conciles généraux et d’y exprimer leur suffrage. On remarqua immédiatement que les chefs des États catholiques n'étaient pas invités à l’assemblée ; la bulle se contentait d’exprimer en termes très généraux et s’adressant à tous les gouvernements, l’espoir que non seulement aucun obstacle ne serait mis par eux au rassemblement des évêques, mais que l’on favoriserait la réunion. Sur cette question de la participation des pouvoirs civils, voir ci-dessous, col. 2547.

Si la bulle de convocation ne précisait pas quels étaient les prélats qui avaient droit de siéger au concile, la commission centrale avait été fort occupée de la question. Pour les évêques résidentiels il était trop évident qu’ils devaient siéger. Il y eut quelques hésitations pour le droit des évêques simplement titulaires (in parti bus infidelium). Après avoir essayé de faire une distinction entre les vicaires apostoliques dont le droit paraissait évident et les autres titulaires, on décida en fin de compte de les admettre tous. Procès-verbal du 17 mai 1868, M.-P., t. xiix, col. 494. En mars 1869, 1e pape, qui tenait à exclure certaines personnes, essaya de faire revenir la commission sur son vote ; ce fut en vain, le pape se rangea finalement à son avis. Pour ce qui est « les abbés et des généraux d’ordre il y avait des pièce dents. On décida (24 mai 1868, ibid., col. 498) de convoquer d’abord les abbés nullius et les abbés chefs de congrégation, mais non les abbés particuliers de monastères, en outre les généraux d’ordre au sens strict du mol. Cela faisait en tout une soixantaine de personnes.

On se montra moins libéral envers les procureurs d'évêques empêchés : ils seraient admis seulement aux sessions publiques, sans droit de suffrage, mais pourraient signer les actes ; les vicaires capitulaires furent écartés complètement.

Restait la question des évêques dissidents, surtout orientaux. Il paraissait malaisé de les passer entièrement sous silence et d’autre part une invitation sérieuse au concile ne pouvait se faire sans des négociations préliminaires. Sui l ivia de la commission centrale (22 mars 1868, ibid., col. 187). on décida que serait envoyée à ces évêques une encyclique distincte de la bulle de convocation, invitant ces Églises à l’unité et invitant leurs évêques. si l’union se réa lisait, à prendre pari an concile. Ainsi fut fait par la Ici Ire vrainii ihi’imr l’rovidentiir ronsilio. du 8 sep tembre 1868. Texte en latin et en grec dans M.-l'..

T. — XV. — 80.

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    1. VATICAN (CONC##


VATICAN (CONC. DU). ÉTAT DES KSI’MITS

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t. l, col. 199*. Bien que, dans les milieux romains, on ne se fît guère d’illusion sur le succès de la démarche, on ne laissa pas d’être surpris par l’accueil malgracieux du Plianar, qui donna le ton aux autres patriarches orthodoxes. Sur ces négociations, cf. C. L., col. 1110-1123.

Il paraissait encore plus difficile d’inviter au concile des représentants officiels des diverses Églises protestantes, aussi bien Rome ne reconnaissait-elle pas les ordinations des Églises, même épiscopaliennes. Conformément encore aux avis de la commission centrale, il fut envoyé ad omnes protestantes aliosque acatholicos une lettre encyclique, Jain vos omnes, datée du 13 septembre 1868, M. -P., t. L, col. 203*, exprimant le désir que l’événement extraordinaire qu’était le concile fût l’occasion du retour à l’unité chrétienne. Ces avances furent, dans l’ensemble, assez mal accueillies. C. L., col. 1123-1146.

Le but du concile.

La bulle Mterni Patris qui

convoquait le concile exposait le but à atteindre : « Porter remède aux maux du siècle présent dans l’Église et dans la société. » En conséquence « le concile œcuménique devra examiner avec le plus grand soin et déterminer ce qu’il convient de faire, en ces temps si calamiteux, pour la plus grande gloire de Dieu, pour l’intégrité de la foi, pour la splendeur du culte, pour le salut éternel des hommes, pour la discipline et la solide instruction du clergé régulier et séculier, pour l’observation des lois ecclésiastiques, pour la réforme des mœurs, pour l’éducation chrétienne de la jeunesse, pour la paix générale, la concorde universelle ». Les décisions proclamées en assemblées générales devaient lier toutes les consciences chrétiennes.

De la bulle pontificale comme des autres actes présynodaux, on pouvait légitimement conclure que le concile du Vatican n’était pas une œuvre de pure circonstance ni sans précédent. Il se rattachait en effet à ces mesures de restauration générale de la société catholique, entreprise par Pie IX suivant le plan indiqué dans ses actes, tels surtout que le commentait l’organe officieux, la Civiltà cattolica, fondée en 1850 et rédigée par les jésuites romains.

On remarqua tout aussitôt que, dans la bulle d’indiction du 29 juin 1868, la question de l’infaillibilité pontificale, qui passionnait déjà l’opinion en deux sens très opposés, n’apparaissait pas comme ayant été une des raisons de la convocation du concile : elle ne comptait pas parmi les buts assignés à l’étude de cette imposante assemblée. Et cependant le règlement de cette question capitale devait dominer ses travaux et même en changer l’ordre, retenir presque seul l’attention des Pères. C’est d’ailleurs un point sur lequel Mgr Manning, archevêque de Westminster, se plaît à insister particulièrement dans son Histoire vraie du concile du Vatican, car la définition de l’infaillibilité fut le fait capital de ce concile. Il n’était pas question davantage dans la bulle d’indiction de la primauté pontificale, c’est-à-dire de ce pouvoir de juridiction ordinaire et immédiate du pape sur les évêques dont la définition de l’infaillibilité n’était que le corollaire et l’éclatante consécration. Le silence de la bulle pouvait avoir sa justification dans le désir du souverain pontife de prévenir des controverses inopportunes susceptibles de compromettre la sérénité des dicussions conciliaires.

II. PREMIÈRES POLÉMIQUES AUTOUR DU FUTUR CON-CILE. — 1° L’état des esprit. — Le silence de Rome sur la question de l’infaillibilité allait donner lieu aux commentaires les plus opposés.

La définition de l’infaillibilité, en effet, se présentait déjà, selon les uns, comme une sauvegarde pour l’Église elle-même, selon les autres, comme une

menace pour sa sécurité. Les premiers estimaient qu’en un temps où les gouvernements, tous plus ou moins imbus des principes révolutionnaires, croyaient se rendre plus populaires par la manifestation de leur désaccord avec l’Église, et devant les périls qui menaçaient le pouvoir temporel de la papauté, on pouvait redouter qu’il ne restât à l’Église aucun asile où elle serait indépendante des pouvoirs séculiers. Ils craignaient que des obtacles apportés par les gouvernements aux grandes assemblées ecclésiastiques ne suspendissent, aux heures les plus importantes, la vie de la catholicité. Or, ce péril serait écarté, si les papes, même exilés et captifs, possédaient toute l’autorité dans l’Église dispersée et muette. D’où la nécessité de la convocation immédiate d’un concile reconnaissant de manière très explicite au souverain pontife le droit de vouloir et de parler pour elle, et consacrant ce droit en déclarant le pape infaillible. Ajoutons que, pleins de dévotion pour la personne du pape, ces catholiques auraient voulu dédommager Pie IX, par la proclamation de cette prérogative, des multiples déboires qu’il venait d’éprouver dans sa souveraineté temporelle.

D’autres au contraire ne voulaient voir dans la prérogative de l’infaillibilité reconnue au chef suprême de l’Église qu’une dictature déguisée, vouée aux erreurs et aux excès ordinaires de l’autorité absolue. Sans aller à ces extrémités, des esprits plus modérés, et c’était le cas de nombreux évêques, s’inquiétaient des fâcheuses conséquences religieuses et politiques que, dans les circonstances actuelles, pouvait avoir le nouveau pouvoir d’infaillibilité dans le gouvernement de l’Église.

Certains bruits, bien avant la convocation du concile, commençaient à circuler dans l’ombre ; des préoccupations épiscopales s’étaient manifestées à ce sujet, à l’occasion de la convocation des évêques à Rome pour le mois de juin 1867. Des fêtes religieuses grandioses devaient s’y célébrer. Mais étaient-elles l’unique motif de cette imposante manifestation qui compta près de 500 évêques venus de tous les points du monde. L’un d’eux, Mgr Ginoulhiac, évêque de Grenoble et futur archevêque de Lyon, éprouva le besoin de s’en ouvrir à Mgr Dupanloup. Et dans une lettre écrite de Nice le 3t janvier 1867, il exprimait ses craintes en ces termes à son collègue d’Orléans : « …Je suis pour ma part très préoccupé de l’objet probable de la convocation qui nous est faite pour le mois de juin… Quel sera l’objet vrai de cette réunion. De toutes part, on me dit que ce sera la définition de l’infaillibilité personnelle, ou au moins séparée, du pape, ou la préparation à cette définition. À mon sens, il n’y a pas aujourd’hui de question plus grave que celle-là. » De semblables appréhensions se faisaient jour dans la pensée d’un autre évêque français. « Vous savez, Monseigneur, écrivait ce prélat à Mgr Dupanloup, que quelques esprits ardents se préoccupent, dit-on, de faire déclarer par les évêques réunis, comme dogme de foi catholique, l’infaillibilité personnelle du pape… Prions Dieu d’éloigner de telles préoccupations ; elles enfanteraient des luttes intestines et des difficultés extérieures incalculables. » Lagrange, op. cit., t. iii, p. 48-49. Même note d’inquiétude chez Mgr Ketteler, évêque de Mayence, qui se demandait si la grande assemblée épiscopale de juin 1867 ne servirait pas avant tout à sanctionner d’une manière formelle et bruyante des résolutions arrêtées d’avance, comme l’infaillibilité du pape et d’autres points de doctrine, toutes questions qui réclamaient un examen approfondi et relevaient de l’étude et de l’approbation d’un concile général. Ibid., p. 91.

2° L’adresse épiscopale du 1° juillet 1867 et ses'

suites. — Mais la réunion de tant d’évêques à Rome avait pour Mgr Dupanloup un autre sens, que celui de ses correspondants. Il n’y voulait voir qu’une préparation de l’opinion épiscopale à la convocation prochaine d’un concile œcuménique qu’il se plaisait à saluer comme « une grande et admirable manifestation de l’unité de l’Église, un grand acte d’union catholique qui serait obtenu, comme au concile de Trente, par l’écart des questions controversées entre les écoles ». Aussi bien s’était-il appliqué, dès son arrivée à Rome, à gagner à la pensée du concile tous ceux de ses collègues sur lesquels il pouvait avoir quelque action. Mais, bien qu’ayant toujours cru à l’infaillibilité du pape, il en jugeait inopportune la définition. Il s’était donc efforcé d’en exclure la mention dans l’Adresse que les évêques réunis à Rome devaient présenter au souverain pontife. Texte de cette adresse dans C. L., col. 1033 sq. Mais un clair passage sur la magistrature du pape avait été formellement demandé au rapporteur de cette adresse, Mgr Haynald, archevêque de Kalocsa et Bacs (Hongrie), par un évêque anglais : « Nous ne pouvons pas retourner près de nos catholiques d’Angleterre, avait dit cet évêque, si nous n’obtenons pas cela. » Cité par Lagrange, t. iii, p. 59. Or, le passage en question, sans définir l’infaillibilité semblait en fixer le sens et l’extension. Aussi bien l’évêque d’Orléans crut-il devoir proposer d’ajouter au passage sur le Magislerium ces mots qui en limitaient la portée : ad custodicndum depositum, formule qui fut complétée par cette autre : ut fraternam concordiam intcr nos corroboremus, due à Mgr Darboy, archevêque de Paris.

La question de l’infaillibilité pontificale venait donc d’être ainsi portée à l’ordre du jour par l’adresse épiscopale. Mais Pie IX n’avait-il pas déjà affirmé le droit du pape de définir à lui seul la foi de l’Église, quand, le 8 décembre 1854, il avait promulgué solennellement, sans réunion conciliaire, en vertu de son autorité pontificale, le dogme de l’immaculée conception. Il n’avait point pris toutefois cette grave décision, sans avoir demandé l’avis des évêques et reçu 570 réponses, presque toutes affirmatives.

Le concile et l’opinion.

C’est dans sa réponse

du 1 er juillet 1807 à l’Adresse de l’épiscopat, C. L., col. 1042, que Pie IX indiqua sa résolution de convoquer le concile pour le 8 décembre 1800. Et le pape avait prononcé ces grands mots appliqués au futur concile : perutile, necessarium, commune desiderium.

Mais quel accueil la décision de Pie IX avait-elle rencontré dans le monde catholique ? Le concile serait-il « une aurore et non pas un couchant », comme l’avait annoncé l’évêque d’Orléans, c’est-à-dire « le plus grand et le plus heureux effort que l’Église puisse faire pour l’illumination des esprits et l’apaisement des cœurs » ? (Lettre pastorale du 18 juillet 1808) … Serait-il encore, comme l’avait écrit Mgr Franchi, archevêque de Thessalonique « l’œuvre de pacification que nous voulons, pour ramener à nous la société, non pour l’éloigner davantage ? » (Lettre du 15 octobre). Justifierait-il, au contraire, les inquiétudes de tous ceux qu’alarmait la brûlante question de l’infaillibilité, et qui tout d’abord entrevoyaient la formation de deux grands courants d’opinion prêts déjà à s’entrechoquer flans l’Église ? Il faut bien le reconnattre, les éloges suspects que certains ant i infaillibilistes prodiguaient au Concile ne répondaient pal toujours à leur pensée véritable.

Ce que lis commissions romaines chargées de la préparation des décrets à soumettre au concile et délibérant sous le sceau du plus’rigoureux secret ne devaient pas laisser transpirer au dehors, cessa d’être

un mystère le jour où parut le manifeste de la Civilla catlolica, organe des jésuites romains. Publié le G février 1809 et reproduit aussitôt par Y Univers, ce manifeste eut un immense retentissement. Il occupa toute la presse et même toutes les chancelleries d’Europe. On crut lire, entre autres nouvelles, dans les prétendues révélations de la Civillà catlolica et de V Univers que le concile œcuménique serait très court, qu’il n’y aurait pas de discussions, qu’on y définirait par acclamation l’infaillibilité du pape. On procéderait de la même manière pour l’Assomption de la sainte Vierge. C. L., col. 1102 ab. C’était assigner au concile un but que le pape n’avait pas indiqué.

Mais qui donc avait été autorisé à publier de pareilles nouvelles ? Qui avait livré le secret des commissions romain.es accusées bien à tort, vu leur esprit de modération, de vouloir pousser les choses à l’extrême ? Comment ne pas être ému ? Vraies ou fausses, les communications de la Civiltù catlolica étaient une faute énorme, moins sans doute pour la prétention qu’elles semblaient indiquer de tracer au concile la conduite à suivre, que pour les conséquences que ce grave incident pouvait avoir sur l’opinion. Ce fut comme la pierre jetée dans la mare des controverses. La polémique, encore peu accentuée, s’aggrava entre ceux que les questions relatives au concile pouvaient opposer, elle entraîna jusqu’à ceux qui avaient jugé sage de s’enfermer « dans un système de silencieuse expectative ». Ce fut le cas de l’évêque d’Orléans, qui jusqu’à ce jour avait constamment résisté à la pression de M. de Montalembert, son ami, contre la tactique du silence jugée par lui « d’abord insensée et ensuite profondément inutile’». Lettre citée dans Lagrange, ibid., p. 124. Pour apaiser l’ardente polémique soulevée dans la presse française entre l’Univers et les organes anticléricaux, Mgr Dupanloup adressa au Français, journal qu’il avait récemment fondé, deux articles qui furent publiés dans les n. des 18 et 19 mars. C’était une protestation contre le manifeste de la Civiltù, qui fit, dit-on, une profonde sensation à Rome, mais ne mit aucunement un terme à la controverse engagée au sujet de l’infaillibilité entre les catholiques libéraux, qui avaient salué dans la convocation du concile le désir du pape de limiter son pouvoir absolu dans l’Église, et ceux qui, appuyant l’initiative de la Civiltù, soutenaient que, non seulement le concile définirait l’infaillibilité personnelle du souverain pontife, mais transformerait encore les formules négatives du Syllabus en propositions affirmatives, c’est-à-dire en articles de foi. De là, dans la presse et dans l’épiscopat. toute une série de manifestations pour ou contre le concile.

C’est ainsi que, malgré les conseils de son frère, l’abbé Jules-Théodore I.oyson, professeur à la Sorbonne, et sans attendre la réunion du concile, le P. Hyacinthe, alors célèbre par ses conférences dans la chaire de Notre-Dame, prenait ouvertement parti contre la convocation par un manifeste que le Temps publiait le 20 septembre 1809 et que reproduisait le journal des Débats dans son n. du 21. II déclarait ce concile suspect et, avec une iniquité par trop criante, lui imputait de n’être pas libre dans sa préparation, ce qui faisait craindre que l’auguste assemblée n’eût pas plus de liberté dans ses délibéral ions. A. Uoutin, Vie du P. Hyacinthe, t. i, p. 319-323.

lui ce même mois de septembre, Mgr Maret. évêque in parlibus de Sura et doyen de la l’acuité de théologie de Paris publiait son livre fameux Du concile général. Voir ici son article. Sans tenir compte du fait que, depuis longtemps, tous les ouvrages où le privilège de l’infaillibilité du pape n’était pas admis VATICAN (CONC. DU). ÉTAT DES ESPRITS

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avaient été Frappés par l’Index, fussent-ils comme l’Histoire ecclésiastique de Fleury et la Théologie de Bailly suivis dans la plupart des séminaires, l’auteur du Concile général niait formellement le principe de l’infaillibilité personnelle du pape et invoquait l’histoire pour établir que « la souveraineté partagée entre le concile œcuménique et le souverain pontife ne réside complète que dans leur union ». 1/ Univers tout de suite attaqua l’ouvrage avec sa violence accoutumée, accusant son auteur, et non sans raison, de gallicanisme. Bientôt après, Mgr Pie, évoque de Poitiers, dans une homélie à son clergé, CL., col. 1263, désavouait le savant doyen de la Sorbonne, et plusieurs de ses collègues de France, entre autres les évêques de Montauban et de Rodez suivaient son exemple.

Dans un autre ordre d’idées et spécialement au sujet de l’infaillibilité Mgr Plantier, évoque de Nîmes, avait écrit : « Pour être infaillibles, les décrets des conciles généraux n’ont pas besoin d’être préparés par une discussion. Il n’en coûte pas plus à l’Esprit-Saint de préserver l’Église d’erreur dans le feu d’une acclamation que dans les conclusions d’un débat. » À cette affirmation, Mgr Darboy, archevêque de Paris, avait répondu : « ’Ce qu’on a dit de l’entraînement avec lequel certain dogme serait voté d’acclamation par la majorité des évêques, étouffant ainsi la liberté de leurs collègues dont la conscience ne se trouverait pas tout de suite pénétrée des mêmes lumières irrésistibles, mérite à peine qu’on s’y arrête pour le réfuter. Le bon sens et l’histoire protestent contre ces insinuations malvenues et vaines. » Lagrange, op. cit., p. 137.

La controverse engagée entre les évêques se poursuivait avec plus d’âpreté dans la presse où l’alimentaient presque chaque jour les articles de l’Univers et des autres organes autoritaires. Elle finit par entraîner les rédacteurs du Correspondant, dont les idées sur l’inopportunité de la définition de l’infaillibilité personnelle du pape étaient bien connues, mais qui jusqu’à ce jour avaient cru plus sage d’observer le silence. Ils se décidèrent à le rompre devant l’attitude de V Univers. Leur article parut le 10 octobre 1869. On attribua généralement sa rédaction au prince de Broglie. On devait apprendre plus tard que l’article avait été rédigé à l’évêché même d’Orléans sous les yeux et sous l’inspiration de Mgr Dupanloup par le personnage en question. L’article était favorable au concile, qui permettait aux évêques du monde entier de répondre à l’appel du pape. Il signalait les craintes qui s’étaient fait jour au sujet de l’infaillibilité et exprimait l’espoir qu’elles ne se réaliseraient pas. L’article ajoutait : « Il est difficile de préciser les conditions où le pape enseigne ex cathedra. » Le Correspondant affirmait encore que « l’infaillibilité une fois proclamée s’appliquerait à l’œuvre des papes antérieurs même à des actes que n’admet plus le droit public moderne ». C’était en effet confondre deux ordres d’idées tout à fait différents, l’un dogmatique, l’autre politique, celui-ci dérivant d’une vérité révélée, celui-là d’une judicature reconnue jadis au Saint-Siège par le consentement unanime des nations chrétiennes. Le Correspondant concluait : « Le grand cœur de Pie IX nous est garant qu’il n’a jamais songé à faire du concile une de ces formations solennelles qui, dans les démocraties asservies, viennent colorer la dictature du simulacre de la légalité. On n’y verra pas le plébiscite proposé par oui ou par non à un peuple muet ou ébloui. »

L’ullramontanisme en France.

Comme il

arriva pour le livre de Mgr Maret, l’article de la grande revue catholique fut violemment attaqué par’Univers. À dire vrai, cet article n’atteignit qu’un

public, restreint, il intéressa surtout les lel très et les modérés. Il heurtait d’ailleurs l’irrésistible mouvement qui entraînait vers la proclamation de l’infaillibilité pontificale le gros des masses catholiques françaises dont le grand ascendant de Pie IX avait conquis le cœur. Il ne trouva pas davantage les faveurs de la grande majorité du clergé qui suivait les directives de Louis Veuillot et prenait un plaisir extrême au langage simple, populaire, parfois truculent du vigoureux polémiste. Dans cette altitude du clergé français, il ne faudrait point voir seulement l’effet d’un entraînement passager, irréfléchi, sans préparation qui, sous l’influence d’un publiciste éminent, le poussait à reconnaître au souverain pontife l’autorité spirituelle la plus absolue. Depuis longtemps Lamennais et ses disciples avaient créé dans le clergé français un courant d’opinion en faveur du principe de l’autorité pontificale. La Déclaration de principes soumise au Saint-Siège par toute la rédaction de l’Avenir le 2 février 1831 n’était pas oubliée. Les signataires de cet acte rejetaient comme hérétique et déjà condamnée la doctrine qui proclamait la nécessité du consentement tacite de l’épiscopat pour la validité des jugements rendus par le saint Père en matière de doctrine et de discipline. Ils devançaient ainsi la décision que devait rendre le concile du Vatican relativement à l’infaillibilité dogmatique du pape. Les années n’avaient fait que fortifier et généraliser le mouvement issu de cette déclaration de principes. Les desservants surtout qui représentaient le bas clergé, auquel le pape régnant avait accordé le recours contre les décisions épiscopales, se félicitaient de l’occasion offerte à l’Église par le concile du Vatican d’étendre la puissance religieuse de leur cher protecteur. Suivant le mot bien connu de Mgr Pie. « ce clergé français avait achevé de se dépouiller de ses livrées particulières, maximes, libertés gallicanes ».

C’est la mentalité que Montalembert croyait devoir regretter quand il parlait de « l’abîme où était tombé le clergé français ». Lettre du 9 novembre à I. Dœllinger, recteur de l’université de Munich. On la retrouvait jusque dans les séminaires, en particulier au séminaire de Saint-Sulpice (voir Notes de l’abbé Marius Leris, Bulletin des anciens élèves de Saint-Sulpice, 1941, p. 270, et J. Brugerette, Le prêtre français et la société contemporaine, t. i, p. 233 et t. ii, passim.

Telle était en France, avant le concile, la surexcitation des esprits tant du côté des infaillibilistes que du côté adverse, qu’on ne saurait s’étonner si, lors du pétitionnement en vue de la proclamation de l’infaillibilité pontificale provoqué par l’Univers et de la souscription ouverte dans ses colonnes pour couvrir les frais du concile, une foule innombrable de prêtres et de fidèles avaient trouvé dans cette double initiative l’occasion de manifester leurs sentiments. Cette sorte de plébiscite en matière de dogme, comme cette souscription accompagnée de commentaires passionnés, étaient pour le moins d’une convenance discutable que ne pouvait manquer de relever le bouillant évêque d’Orléans : « Quoi donc, répétait-il. l’Église enseignée dicterait d’avance de cette étrange façon des décisions à l’Église enseignante ? Et qu’adviendrait-il, si l’on organisait des pétitions en sens contraire ? N’était-il pas temps d’arrêter le courant ? » Aussi le Il novembre 1869 paraissait sous son nom une brochure intitulée : Observations sur la controverse soulevée relativement à la définition de l’infaillibilité au futur concile.

Ces Observations communiquées d’abord au Français, puis à la Galette de France et à l’Union de l’Ouest, organe de M. de Falloux, furent ensuite 5 ( i

envoyées à tous les évêques. L’auteur, sans discuter la question doctrinale sur laquelle son sentiment n’avait jamais varié, avait rassemblé dans cet écrit toutes les raisons qui lui faisaient juger la définition en question et d’autres similaires comme inopportunes. On y lisait : « Il s’agit, dit-on, d’un principe, mais ce principe, si c’en est un, est-il donc nécessaire à la vie de l’Église qu’il devienne dogme de foi ? On s’en est passé jusqu’ici, il n’est donc pas indispensable et on ne le réclamait pas. Est-ce en notre siècle qu’il devient nécessaire de toucher à ce principe constitutif, à ce ressort principal de la vie de l’Église ? Est-ce que nous aurions été constitués durant des siècles d’une façon défectueuse et incomplète ? Quand le chêne est vingt fois séculaire, creuser, pour chercher le gland originaire sous ses racines, c’est vouloir ébranler le chêne tout entier. » L’auteur des Observations n’omet rien d’autre part, des objections qui seront celles de la minorité conciliaire : difficultés tirées de la nécessité de définir les conditions de l’acte ex cathedra, difficultés tirées de la double qualité du pape, docteur privé ou universel…, des multiples questions de fait qui peuvent se poser à propos de tout acte ex cathedra…, de l’examen des faits historiques…, du fond même de la question… enfin de l’état des esprits contemporains.

L’évêque d’Orléans semblait malheureusement oublier que, dans les circonstances présentes, ce qui importait par dessus tout, c’était la vérité de la doctrine ; la question d’opportunité, fort grave assurément, était néanmoins une question de conduite. Il parut d’autre part que les Observations de Mgr Dupanloup n’étaient qu’un habile décalque d’une brochure allemande récente due vraisemblablement à la plume de Dœllinger et publiée sous ce titre : Observations sur la question : Bsl-il opportun de définir l’infaillibilité ? Adresse respectueuse aux évêques. C’est contre l’avis de ses conseillers ordinaires, MM. Cochin, de Broglie, de Falloux, de Riancey, que Mgr Dupanloup avait publié sa brochure dont il aurait dû réserver les arguments pour le concile. Or, ce qui devait arriver arriva : la thèse de l’évêque d’Orléans fut attaquée par Louis Veujllot avec la véhémence qui caractérisait la manière de ce polémiste si peu enclin à ménager ses adversaires. Mgr Dupanloup répondit sur le même ton par V Avertissement à Louis Vcuillot. Il énumérait minutieusement les variations de l’Univers et constatait ironiquement son accord avec le Siècle sur le sens des actes pontificaux. En opposant le pape aux évêques, en affirmant que « le pape est Mis de Dieu. le journaliste n’arriverait-il pas à une véritable idolâtrie faite pour déshonorer l’Église ? Cet avertissement communiqué à son clergé, la veille du départ de Mgr Dupanloup pour Home, se terminait par ces mois : » Et le concile achevé, quelles qu’aient été ses décisions, conformes ou contraires à mes veeux, je reviendrai soumis à tout, sans le moindre effort, de bouche, d’esprit et de cœur, docile comme la plus humble brebis du troupeau. » Lettre de Mgr l’évêque d’Orléans nu clergé et aux fidèles avant son départ four Home, 10 novembre 1869.

Telle était l’atmosphère religieuse de la France, avant le concile, une atmosphère enfiévrée par l’ardeur des controverses qu’alimentaient tous les |ours les articles des organes autoritaires.

La controverse liors de l-ranre. — l. En Ailemagne. Ce n’était pas seulement en France que la question du futur concile passionnait l’opinion. I.a controverse trouvait un écho non moins retentissant dans l’Allemagne catholique. Dix-neuf évêques allemands réunis à Fulda, en septembre 1869, avaient npli deux actes importants. Ils avaient d’abord publié une Ici ire dont l’élévation de sentiments

autant que l’esprit chrétien avait produit dans toute l’Allemagne une profonde sensation. C. L., col. 11911196. C’était comme la réfutation indirecte d’une thèse récente de Mgr Dechamps, nommé depuis 1867 archevêque de Malines, et qui, dans une lettre pastorale, avait soulevé la question de l’infaillibilité et de sa définition. Les évêques allemands avaient encore adressé un mémoire secret au pape dans lequel ils s’expliquaient sur le projet de définition dogmatique de l’infaillibilité personnelle du pape et déclaraient unanimement que, dans l’état des esprits, une telle définition leur paraissait tout à fait inopportune et qu’ils considéraient comme un malheur qu’une question si délicate et si pleine d’orages fût portée au futur concile œcuménique. C. L., col. 1196-1197. Le mémoire des évêques de Fulda, daté du 1 septembre 1869. avait fait impression à Rome, où tout le monde, au dire de Mgr Franchi, plus tard secrétaire d’État de Léon XIII, commençait à se convaincre du péril que préparait toute cette agitation extra-conciliaire. Cf. Lagrange, op. cit., t. iii, p. 135.

L’attitude prise par le chanoine Dœllinger, recteur de l’université de Munich et le plus célèbre théologien catholique d’Allemagne était bien plus violemment hostile. Il oubliait ce qu’il avait précédemment écrit : « Pour nous, catholiques, le témoignage du pape dans les choses de la foi a plus d’autorité que l’opinion de tel ou tel savant. Nous regardons ses oracles comme l’expression la plus pure et la plus certaine de l’immuable vérité catholique. » Dœllinger, Gemischle Ehen, p. 65. Le recteur de l’université de Munich publiait, en mars 1869, dans V Allgemeine Zeitung, sous le pseudonyme de Janus, des articles qu’il devait réunir plus tard, fin août 1869, en un volume sous le titre Le Pape et le concile. Il y rejetait le dogme de l’infaillibilité comme contraire à la tradition de l’Église et le qualifiait de « révolution ecclésiastique ». Cette brochure suscita de nombreuses réponses, en particulier de la part de Hergenrôther et de Scheeben. Sur cette agitation allemande, voir Granderath, t. i, p. 187-197 ; 219-237. De nouvelles lettres de Dœllinger signées du même pseudonyme et adressées à la Gazelle d’Augsbourg devaient encore aggraver pendant le concile même l’agitation en révélant au public des discussions conciliaires qui auraient dû rester secrètes.

2. En Angleterre.

La controverse s’était enfin étendue à l’Angleterre où, sous la conduite d’un prélal éminent, Mgr Manning, archevêque de Westminster, le parti dit ultramontain s’était largement développé. Le 3 octobre 1869, Mgr Manning publiait un mandement qui fut immédiatement traduit et inséré dans l’Univers. L’auteur y déclarait le pape personnellement infaillible, et pour cette affirmation s’était servi de l’expression aparl from. « séparément des évêques i, ce qui pouvait, au pied de la lettre, s’entendre de deux façons : ou bien sans les évêques. sans leur con cours direct, ou bien contre les évêques. en opposition possible avec le corps épiscopal. Ft c’était dans ce dernier sens que l’organe français avait traduit. Mgr Manning expliquera plus tard sa pensée et son expression dans une lettre à l’évêque d’Orléans. Mais la traduction était là, non démentie. Et cette façon d’entendre l’infaillibilité, si peu conforme à la définition finale sortie des délibérations conciliaires, et ail bien faite pour soulever de vives discussions, plus vives toutefois en France qu’en Angleterre, où le parti libéral, qui se personnifiait alors dans le nom du R. I*. Nevvman, était complètement dominé pal le parti qui recevait les directives de Mgr Manning et ne craignait pas de les pousser aux dernières

limitée.

Quelle était au fond la véritable pensée de Manning

sur la question de l’infaillibilité ? « Elle fut exprimée en ces termes devant Mme Grâce Ramsuy : La part que j’ai eue au concile peut être racontée en deux mots : Nous sommes allés à Rome pour informer non pas sur la promulgation d’un dogme, comme tant de personnes séparées de l’Église et même de celles qui en font partie l’ont cru, mais sur la définition d’un dogme qui a toujours existé. Moi et quelques autres, nous pensions que cette définition était suffisamment expliquée, et comme j’ai été appelé à Rome pour donner mon avis à ce sujet, je l’ai donné sans crainte et sans réticence. » Grâce Ramsay, Bells of the sanctuary, Londres, 1872. Des documents très explicites montrent d’ailleur que Manning étendait au maximum le domaine où jouait la prérogative pontificale et réduisait au minimum les conditions mises à son exercice. Voir ci-dessous.

Le concile et les gouvernements.

Les gouvernements habitués depuis si longtemps à exercer un droit de regard sur les affaires de l’Église, voire même à s’immiscer comme en Autriche, où le joséphisme n’était pas mort, dans le règlement purement ecclésiastique des détails de la liturgie, des fêtes, des pèlerinages, ne pouvaient pas, surtout au milieu de l’effervescence soulevée par ces fiévreuses controverses, se désintéresser de la question du concile.

C’est ainsi que le 19 octobre 1869, le ministre des Affaires étrangères de France, prince de la Tour d’Auvergne, envoya à Rome une dépêche dans laquelle le gouvernement impérial, tout en déclarant qu’il respecterait la liberté du concile réservait d’une manière formelle « la liberté de ses résolutions ultérieures ». Il y était dit : Nous sommes « en droit d’attendre que l’Église ne jette pas le trouble dans les sociétés civiles par des condamnations radicales enveloppant à la fois ses libertés, les régimes politiques qui les établissent et les conséquences pratiques qui en dérivent dans la législation. » Il rappelait « les mesures que le gouvernement de l’Empereur s’était cru obligé de prendre » contre le Syllabus et l’encyclique Quanta cura de 1864. La même ligne de conduite serait encore adoptée « si des doctrines analogues étaient proclamées par le concile ». C. L., col. 12331237. D’autre part, le 5 novembre, dans une audience obtenue du pape, notre ambassadeur, le marquis de Banneville, conformément aux instructions de son chef, recommandait au saint-père en un langage aussi courtois que diplomatique « une excessive prudence. Tous les gouvernements du monde avaient accepté la façon de voir du gouvernement français ». C. L., col. 1236 d.

Ainsi on laissait faire, en Italie par exemple, où l’on ne dissimulait pas l’intention de prendre Rome à la papauté pour en faire la capitale d’un nouveau royaume, en Autriche, où l’on désirait s’affranchir des liens du concordat de 1855, en Allemagne, où se manifestait déjà la tendance de tenir l’Église dans une tutelle de plus en plus oppressive, en Suisse, où la guerre du Sonderbund n’était pas oubliée des protestants, qui n’attendaient que l’occasion de prendre l’offensive contre les catholiques.

Oui, on laissait faire, mais après ? Seul le gouvernement russe interdit aux évêques catholiques de se rendre à Rome. Mais, si réservées qu’elles se manifestassent présentement, les dispositions des gouvernements à l’endroit de la papauté et du futur concile n’en restaient pas moins inquiétantes. Les controverses que le concile avait soulevées surtout en France et en Allemagne avaient eu leur répercussion dans le domaine politique. Elles avaient créé une température d’orage peu favorable apparemment à la liberté des délibérations conciliaires. Au cours du concile se manifesteront quelques velléités de certains gouvernements de peser sur telle ou telle décision.

Peut-être, somme toute, eût-il mieux valu que, conformément aux exemples des anciens conciles — et le concile de Trente n’avait pas fait exception — les puissances catholiques fussent représentées au concile par des ambassadeurs spécialement accrédités à cet effet. On s’était préoccupé de cette éventualité à la commission centrale, en particulier le 23 juin 1868 dans une séance tenue coram sanctissimo. M. -P., t. xlix, col. 503 ; finalement il avait été décidé que les gouvernements catholiques ne seraient pas invités, mais que la bulle de convocation aurait pour eux un paragraphe spécial et que, s’il était nécessaire, on ferait comprendre aux ayants-cause que cela pouvait constituer une invitation indirecte. On se trouvait paralysé par l’impossibilité d’inviter l’Italie avec qui toutes les relations officielles étaient rompues.

Les puissances catholiques n’arrivèrent pas à s’entendre sur la ligne de conduite à suivre. La France, pour son compte, demeura indécise. Emile Ollivier, en juillet 1868, lors de la discussion du budget des cultes au Corps législatif, avait, simple député, développé les idées qu’il appliquerait plus tard comme chef du pouvoir. Traditionnellement, disait-il, le gouvernement, héritier de par le Concordat de toutes les prérogatives des rois de France, avait un droit strict d’intervention avant, pendant et après le concile. Mais était-il à propos d’exercer ce droit ? É. Ollivier ne le pensait pas. C. L., col. 1216 sq. Et il maintiendra toujours ce point de vue. Toutefois, en avril 1869, rien n’était encore tranché sur la question des ambassades au concile. En fin de compte on résolut de s’abstenir. Le 8 septembre 1869, le ministre des Affaires étrangères communiquait cette décision à ses agents diplomatiques. Ce serait l’ambassadeur de France à Rome qui aurait à suivre la marche des événements, à surveiller les tendances qui se feraient jour dans l’assemblée. C. L., col. 1231. Les autres États catholiques modelèrent leur attitude sur celle de la France.