Dictionnaire de théologie catholique/UTRECHT (ÉGLISE D') XI. L'Église d'Utrecht et la Petite-Église

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 446-447).

XI. L'Église d’L’trecht et la Petite-Église.

L'Église d’Utrecht a toujours souffert de son isolement. Elle accueillit d’abord dans son sein les jansénistes qui venaient chercher un refuge auprès d’elle ; mais, en fait, elle vivait péniblement avec un nombre très restreint de fidèles, environ (5 000, et sur un territoire peu étendu ; elle manquait totalement de cette force d’expansion qui est la condition essentielle d’une société religieuse qui vit vraiment. La tentative de Jubé, au début du xviiie siècle, pour essaimer en Russie, échoua complètement après la mort de Pierre le Grand (ci-dessus, col. 2406). Durant tout le XVIIIe siècle, l'Église d’L’trecht continua de végéter.

Au xixe siècle, plusieurs essais d’expansion furent tentés. Le premier vint plutôt du dehors : par étroitesse d’esprit, l'Église d’Utrecht se montra intransigeante et la tentative échoua.

La Petite-Église naquit de l’opposition au Concordat de 1801. Voir ici, t. i, col. 1372-1378. Mgr de Couey, évêque de La Rochelle et Mgr de Thémines, évêque de Blois, refusèrent de donner la démission que Rome, à la suite du Concordat de 1801, demandait à tous les évêques de l’Ancien Régime. Ils trouvèrent des partisans en divers diocèses, en particulier dans le Poitou, dans les Deux-Sèvres et dans la Vendée. Mgr de Coucy se soumit en 1818 et devint archevêque de Reims ; Mgr de Thémines ne se soumit que in extremis et mourut à Bruxelles le 2 novembre 1829. Le dernier prêtre protestataire mourut en 1832, et depuis cette époque, dans ces régions, ce sont des laïques qui défendent la cause et maintiennent quelques paroisses, dans la mesure où ils le peuvent.

D’un autre côté naissait la Petite-Église de Lyon, beaucoup moins nombreuse, mais plus instruite que celle du Poitou, et c’est elle surtout qui fit des démarches auprès de l'Église d’L’trecht. Cette Petite-Église de Lyon avait des origines nettement jansénistes, car ses adhérents étaient des disciples des oratoriens, qui, au xviii c siècle, sous l'épiscopat de Montazet (1758-1788), dirigeaient le séminaire de Lyon : ils admettaient la distinction du fait et du droit poulies cinq propositions de Jansénius, adhéraient à l’appel de la bulle Unigenitus, étaient chauds partisans des miracles de Saint-Médard. Ils étaient d’ailleurs convaincus que le monde touchait à sa fin ; c'était l'époque de l’apostasie générale et du règne de l’Antéchrist. Pendant la période révolutionnaire, ils sciaient opposés aux divers serments et s'étaient dressés contre l’archevêque Marbeuf, dont le gouvernement, sur le siège (le Lyon, avail été en réaction contre le jansénisme de son prédécesseur, Montazet. Beaucoup d’entr’eux refusèrent de signer le Formulaire et durent quitter le diocèse ou cesser leurs fonctions sacerdotales. Le plus connu. Jacquemont, publia des écrits nettement jansénistes, parmi lesquels. 1rs l/-, s aux fidèles et L'œtlDre îles ténèbres.

Lorsque parut le Concordat de 1801, les jansénistes de Lyon s'élevèrent (outre lui, à la suite du P. Chaix, un ancien dominicain, qui fut le théologien du parti. À leurs yeux, le Concordai n'était qu’un acte de violence imposé par le gouvernement français et il fallait défendre les droits méconnus des pasteurs légitimes. Le P. Chaix rédigea le Catéchisme sur le ordat, ou il enseigne que le clergé ne doit pas BVOil de relation avec les intrus et qu’il tant se séparer du clergé concordataire. Il y eut une scission dans le groupe, mais la plupart des membres suivirent la direction du I'. Chaix et réinsèrent de reconnaître les évêques nommés en vertu du Concordat, même si le sieye était vacant, comme c'était le cas à Lyon, où

Fesch venait d'être nommé après la mort de Marbeuf.

Les opposants lyonnais ne s’entendirent pas avec ceux du Forez, qui entretenaient des relations avec les concordataires. Jacquemont, janséniste enthousiaste, qui communiquait avec les concordataires, essaya de concilier ses amis avec les Lyonnais, mais il ne réussit pas. D’autre part, les Lyonnais étaient en désaccord avec la Petite-Église du Poitou et s’opposaient à Thémines et à ses grands vicaires (1822-1832), à qui ils avaient été dénoncés comme refusant de signer le Formulaire : ils condamnaient la doctrine des cinq propositions, mais ils n’avaient pas de motif suflisant pour croire que ces propositions se trouvaient dans le livre de Jansénius ; ainsi ils reprenaient la fameuse distinction du fait et du droit. Bref, les groupes qui formaient la Petite-Église étaient divisés : tous étaient anticoncordataires, mais les dissidents du Poitou étaient étrangers au jansénisme ; ceux du Lyonnais étaient ardents jansénistes, partisans des convulsions et des prophéties relatives à l’Antéchrist ; enfin ils étaient plus anticoncordataires que ceux du Forez, dont une partie entretenait des relations avec le clergé concordataire.

Les deux derniers prêtres dissidents lyonnais moururent à deux jours d’intervalle, les 29 juin et 1 er juillet 1831, et le dernier prêtre dissident du Poitou mourut en 1832. Dès avant la mort de ces prêtres, la PetiteÉglise, dans sa détresse, s’adressa à l'Église d’Utrecht, pour lui demander de lui donner des prêtres et des évêques. Il y eut des pourparlers dès 1815 ; plus tard. un représentant des anticoncordataires, M. Delompnes écrivit le 18 juillet 1828, à l’archevêque van Os et à M. Buiil, alors curé d’Amsterdam ; et il écrivit de nouveau à Buùl devenu évêque de Haarlem qui répondit le 20 septembre 1850 : il [n’omit des prières ; mais n’approuva point la conduite des évêques dissidents. Le 19 octobre 1850, l’archevêque d’Utrecht envoya une lettre privée, dans laquelle il dit que « la manière de choisir les évêques ne regarde que la discipline, laquelle peut varier ». Il ajoutait : « On peut et on doit s’accommoder à l’ordre établi. « Ces réflexions et quelques autres surprirent les anticoncordataires.

En 1852, la question lui de nouveau posée a l'Église de Hollande, lue Ici lie lut adressée à l'évêque de Haarlem ; elle s’appuyait sur la doctrine de Soanen. l'évêque de Senez, dont on citait plusieurs lettres cl l’Instruction pastorale sur l’autorité infaillible de l’Eglise et sur les caractères de ses jugements dogmatiques, 4e partie, art. 20. En réponse a cette lettre, les trois évêques de Hollande : van Santeu, Jean Buùl ei Guillaume de Vet publièrent, le Il août 1853, une lettre pastorale qui avail été rédigée par van Buùl et .M. Karten. président du séminaire d’AmersIoort : Sentiments de I' Eglise de Hollande sur la cause des évêques, ailleurs des Réclamations canoniques et sur la position îles fidèles qui demeurent encore aujourd’hui attachés il celle cause, proposés en forme de lettre à

Nosseigneurs l’archevêque d’Utrecht et les évêques de

Haarlem et de Deventer, par quelques fidèles, dits anli concordaiistes, du diocèse de Lyon. Les évêques. disent

les auteurs des Sentiments, oui eu raison de protester.

il s’agil des évêques qui en 1803 adressèrent à Pie Y I 1

les Canonicte et reverentissimse exsposlulationes, où ils

justifiaient leur relus de soumission, cf. ici t. i, col. 137 I. car la conduite de Pie Y 1 1 ét.iil contraire a l'Écriture et aux canons de l'Église, mais la conduite de ces évêques, après la condamnation, fut défectueuse : s’ils ont l’ail preuve de courage, en condamnant l’injustice commise contre l'épiscopat. ils oui. pour ainsi dire, enlevé leur couronne et crée une position insoutenable selon l’analogie de la loi catholique. 4 2 Tant qu’ils vécurent, ils auraient dû pourvoir aux besoins spirituels de leurs diocèses ; puisque leur cause était la cause de l'épiscopat et de leurs églises, un devoir s’imposait à eux : ils devaient assurer des évêques à leurs Églises tant que la cause ne serait pas jugée selon les règles du droit, liie pendenle, nihil innovetur. Ce dernier devoir était d’autant plus urgent que ces prélats n’avaient pas appelé au concile, et, par suite, leur cause devait s'éteindre à la mort du dernier opposant. Cette précaution aurait empêché que leur cause ne finît avec eux, et ils auraient ainsi sauvé leurs Églises. D’autre part, ils ont eu tort de prescrire aux fidèles la rupture de communion avec le clergé du concordat. Le principal coupable était le pape, cependant ils ont bien l’ait de ne pas se séparer du pape, car ils auraient provoqué le schisme. Pourquoi se sont-ils séparés des évêques séduits par le pape ? Les évêques du Concordat, soutenus par le pape, croyaient agir dans l’intérêt de la religion et avec une autorité légitime ; donc les évêques nommés dans ces circonstances, n'étaient pas, à proprement parler, des intrus : ils avaient, peut-on dire, une juridiction contestée et un titre coloré… Il est injuste de rompre la communion avec des catholiques, quelque méchants qu’ils soient, tant qu’un jugement légitime ne les a pas chassés de l'Église, ou qu’ils ne la quittent pas eux-mêmes.

Les anticoncordataires furent quelque peu surpris de cette réponse ; ils gardèrent d’abord le silence ; puis, en novembre 1853, ils répondirent par des Observations sur l’exposé des sentiments de l'Église d’Utrechl. Ils expliquent pourquoi les évêques n’avaient pas jugé nécessaire de taire appel au concile : « On appelle de la sentence d’un tribunal, en qui l’on reconnaît le droit de juger, mais on forme opposition contre un acte fait sans ce droit. » Si les évêques n’ont pas pourvu aux besoins spirituels de leurs diocèses, c’est que la police de Bonaparte arrêtait les brochures et les lettres venues d’Angleterre. Ils ont rompu avec le clergé concordataire, pour la même raison qu’ils avaient ordonné de fuir les constitutionnels. D’après les principes posés par Pie VI, les évêques du Concordat étaient schismatiques et on ne pouvait communiquer avec eux sans participer à leur schisme.

Les évêques de Hollande avaient laissé apercevoir qu’ils ne pouvaient rien pour la Petite-Église, surtout parce que celle-ci n'était pas assez favorable au jansénisme. Ils avaient écrit : « En fait, les évêques opposés au Concordat, s’ils avaient eu des principes sains sur les droits de la primauté et de l'épiscopat, auraient fondé leur déclaration sur des bases plus solides et auraient trouvé une route plus sûre pour éviter le schisme. Mais nous savons qu’ils craignaient le spectre du jansénisme, et ils n’ont pas voulu entrer en contact avec l'Église de Hollande qu’ils condamnaient comme janséniste. Dès lors, l'Église de Hollande ne peut rien pour eux. »

En réalité, comme le fait remarquer C. Latreille, « l'Église de Hollande n’admet pas qu’on puisse avoir, pour se séparer de l'Église, d’autres raisons que les siennes », et c’est pour cela que l'Église de Lyon n’a pas trouvé grâce devant elle. Ajoutons que l’archevêque d’Utrecht aurait pu faire jouer le droit de dévolution dont avaient usé plusieurs de ses prédécesseurs pour nommer l'évêque de Haarlem et dont devait se servir un de ses successeurs, en 1893, pour créer à Paris une paroisse pour la petite Église française de Loyson.

La Petite-Église de Lyon et la Petite-Église du Poitou continuèrent de s’opposer au Concordat ; à l’occasion du concile du Vatican, elles firent des démarches à Rome, par l’envoi des Réclamations canoniques et d’un Mémoire, qui expliquait leur attache ment aux anciens évêques de France ; deux délégués allèrent à Rome et l'évêque d’Oran, Mgr Callot, de passage à Lyon, les encouragea et promit de défendre leur cause au concile. Sur la suite qui fut donnée à ces démarches, voir t. i, col. 1376.

R. P. Drochon, La Petite-Étjlise. lissai historique sur le schisme anticoncordataire, Paris, 1894, in-8° ; Camille Latreille, Après le concordat ; l’opposition de 1H03 à nos jours, Paris, 1900, in-16 ; La petite- Èalise de Lyon, Lyon, 1911, in-16 ; Van Riel, La Petite- Êijlise, dans Internationale kirchliche lcilschrit de 1938, p. 30-43 et 65-77 et ici l’art. Anticoncokdataires, col. 1372-1378 ; notes ms.