Dictionnaire de théologie catholique/URBAIN VI

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 386-388).

URBAIN VI, pape du 7 avril 1378 au 15 octobre 1389. — L’élection d’Urbain VI, l’origine et le développement du Grand Schisme d’Occident ont été déjà racontés ; voir t. xiv, col. 1469-1 17 1. Il ne reste plus qu’à caractériser le personnage et à exposer les vicissitudes du pontificat.

Christophe de Plaisance vantail, en 1378, la dextérité de Barthélémy Prignano dans l’expédition des affaires temporelles, sa sagacité et sa prudence. Dépêches adressées à Louis II de Gonzague, dans L. Pastor, Geschichle <lrr Pâpste, t. i, p. 635-636. Thierry de Niem, qui l’approcha de liés près il était aîné viateur des lettres apostoliques - louait sa piété, son humilité, sa chasteté, son équité. Tout au plusformu lait-il quelque réserve au sujet de sa trop grande confiance en lui-même et de sa complaisance à écouter les flatteurs. De Scismate, éd. (, . Erler, Leipzig, 1890, I. I, c. i. Versé dans la connaissance du droit canonique, Barthélémy Prignano sut se faire apprécier du cardinal Guy de Boulogne qui le retint parmi ses familiers. Baluze, Vil ; c I. ii, p. 348. Devenu cha pelain de Pierre de Monteruc, vice chancelier, il acquit la parfaite connaissance des usages de la cour romaine et passa pour excellent praticien. Cela lui Valut la charge de vice gérant de la chancellerie apostolique à partir du 13 février 1377, quand Pierre (le Monteruc eut refusé de suivre Grégoire l à Rome sous prétexte de mauvaise santé ; cf. P. M. l’.aum garien, Von der apottoltschen Karulet, Cologne, 1908, p. 109 111. Les membres du Sacré-Collège, ne par

venant pas à s’entendre dans le conclave de 1378, lui accordèrent leurs suffrages le 7 avril 1378.

Cette élection inespérée fit perdre, semble-t-il, à Barthélémy Prignano la maîtrise de lui-même. Son naturel rugueux et enclin à la sévérité se donna libre cours. Il se montra agressif et mordant dans ses discours et dépassa toute mesure. Sainte Catherine de Sienne lui écrivait : « Accomplissez votre tâche avec mesure — car le défaut de mesure gâte plus de choses qu’il n’en arrange — et avec bienveillance et tranquillité de cœur. Pour l’amour du Christ crucifié, modérez un peu ces mouvements subits que vous inspire votre nature. » Pastor, op. cit., t. i, p. 100. Bref, Urbain VI manifesta des signes évidents de troubles mentaux. Thierry de Niem, t. I, c. vii, l’avoue crûment : eum delirum communiter ipsi cardinales habebant. D’aucuns, entre autres le cardinal de Glandèves, l’estimèrent insensé (fatuus) ou colérique (furiosus). Le même Thierry se commet à prétendre qu’il méritait mieux le nom de Turbanus que celui d’Urbanus. Ibid., I. I, c. vu. Le pape s’adonnait-il à l’ivrognerie ? Ses adversaires le prétendirent ; cf. Baluze, Vite, t. ii, p. 585, 601, 663, 790, 791. Au demeurant l’opinion des curialistes du XVe siècle, pourtant italiens, lui demeura hostile et le souvenir des atrocités qu’il commit sur la personne de cardinaux persista ; cf. L. Duchesne, Le Liber pontificalis, t. ii, p. 546-549.

Tandis qu’il eût fallu vivre en bonne harmonie avec ses électeurs, Urbain VI s’appliqua à les blesser gravement. En plein consistoire il censura vertement leur luxe et leurs mœurs, De Scismale, t. I, c. v, et Rinaldi, Annales ecclesiaslici, an. 1378, § 25. « Vous bavardez de façon insensée », leur dit-il en leur imposant silence. Jean de la Grange est appelé « traître », Orsini, « fou », Robert de Genève « ribaud ». À l’entendre, les évêques présents à la cour étaient des parjures, puisqu’ils n’observaient pas la résidence. De Scismate, t. I, c. iv.

L’opinion se répandit parmi les membres du Sacré Collège, réunis à Anagni, que la réélection d’Urbain VI devenait impossible parce qu’il s’avérait incapable de régir l’Église ; cf. Baluze, Vitse, t. ii, p. 601. Le mécontentement parvint à son comble quand le pape eut annoncé l’intention d’effectuer une importante promotion cardinalice propre à neutraliser la prépondérance française. Ainsi s’explique en grande partie comment les cardinaux songèrent à lui substituer un rival en la personne de Robert de Genève ; cf. L. Duchesne, Le Liber pontificalis, t. ii, p. 546.

A l’égard des princes Urbain VI agit avec la même inconséquence et se les aliéna rapidement. Il priva le comte de Fondi du rectorat de la Campanie, humilia Otton de Brunswick, mari de la reine de Naples, maltraita ses ambassadeurs, rompit bientôt avec elle et promulgua l’anathème contre elle (29 novembre et 30 décembre 1378). Cf. Baluze, Vitæ, t. ii, p. 645 et 753 ; L. Duchesne, Le Liber pontificalis, t. ii, p. 546. Ses démêlés avec Charles de Duras offrent un exemple typique de maladresse. Après lui avoir concédé en lief le royaume de Naples (1 er juin 1381), il se fâcha avec lui à propos de son neveu. En 1384, il prétendit s’immiscer dans les affaires du royaume en tant que suzerain. Charles de Duras ne toléra pas de tels agissements, entra en négociations secrètes avec certains cardinaux et convint avec eux d’imposer une sorte de conseil de gérance au souverain pontife. Averti du complot qui se tramait contre lui, Urbain VI fit mettre aux fers six cardinaux et les soumit à une cruelle torture. Charles de Duras répliqua en assiégeant Nocera où le pape résista durant cinq mois à toute tentative d’assaut. De son côté, Urbain VI édicta la croisade contre lui (27 février 1385), le déchut de la dignité royale et jeta l’interdit sur la ville de Naples. Délivré le 7 juillet, il s’enfuit à Salerne,

puis s’embarqua pour Gênes, non sans, au préalable, avoir fait poignarder l’évêqued’Aquilée. Quant aux cardinaux, qui avaient été du complot, ils périrent de mort violente. Pileo da Prata et Galeotto Pietramala réussirent à s’échapper et passèrent avec fracas dans l’obédience clémentine ; voir leur circulaire du 8 août 1386, dans Historisches Jahrbuch, t. xiv. 1893, p. 820832.

La mort de Charles de Duras, survenue en février 1386, laissait vacant le trône de Naples. Sa veuve, désireuse de l’assurer à son fils Ladislas, essaya de se réconcilier avec le pape, mais éprouva un échec total. Urbain VI émigra à Lucques (fin de l’année 1386), puis à Pérouse (2 octobre 1387). Le mauvais état des finances pontificales l’empêcha de mener à bien ses projets belliqueux contre Otton de Brunswick et le comte de San Severino : force lui fut de se retirer à Rome (septembre 1388) ; là encore il s’aliéna la population et la promulgation d’un jubilé, source pourtant de gains pour elle, ne parvint pas à ramener le calme dans la cité. Le 15 octobre 1389, Urbain VI mourut inopinément, peut-être victime d’un empoisonnement, à l’âge de soixante-douze ans. Son tombeau subsiste encore dans la crypte de la basilique Saint-Pierre ; cf. L. Duchesne, Le Liber pontificulis, t. ii, p. 506 et 569. Il laissait le trésor de l’Église à sec et les États pontificaux livrés à l’anarchie.

I. Sources.

L’ouvrage de Thierry de Niem, déjà cité, constitue une source de premier ordre, car son auteur vécut à la cour d’Urbain VI ; il convient cependant de contrôler parfois ses dires. Baluze a réuni un dossier de témoignages contraires au pape ; cf. Vitæ, t. ii, la table des matières et le t. iv, p. 167 sq. Diverses chroniques contiennent surtout des renseignements précieux sur les rapports du pape avec le royaume de Naples. P. Silva, Alcune osservazioni sulla cronaca pisana del secolo XIV publicata dal Muralori, dans Studi slorici, t. xix, 1910, p. 57-87 (publication de la dernière partie de la chronique) ; Cronache dei secoli XIIIe XI V, dans Documenti di storia italiana, Florence, 1876, t. vi, p. 207-481 (édition du Diario anonimo Fiorentino, par A. Gherardi) ; Chronicon Regiense, dans L. Muratori, Rerum italicarum Scriptores, t. xviii, col. 5-98 ; Gi’ornali Napoletani, ibid., t. xxi, col. 1038-1059 ; Spécimen historiæ Sozomeni, presbyleri Pistoriensis, ibid., t. xvi, col. 1063-1198 ; Chronicum Siculum, éd. J. de Blasiis, Naples, 1887 ; Gobelinus Persona, Cosmodromium, hoc est chronicon universelle, dans Meibomius, Rerum germanicarum scriptores germanici, Helmstadt, 1688, t. i, p. 61-346 ; H.-V. Sauerland, Aktenstùcke zur Geschichte des Papstes Urban VI., dans Historisches Jahrbuch, t. xiv, 1893, p. 820-832 ; K. Kubel, Das Itinerar der Pdpste zur Zeit des grossen Schismas, dans Historisches Jalirbuch, t. xvi, 1895, p. 545-564 ; H.-V. Sauerland et L. Schmitz, Zu P. K. Eubet, Das Itinerar der Pàpste zur Zeit des grossen Schismas, ibid., t. xvii, 1896, p. 61-64 (additions à l’article du P. Eubel) ; S. Steinberg, Dokumenle zur Geschichte des grossen abendlandischen Schismas 1385-1395, Reichenberg, 1932 ; H.-V. Sauerland, Drei Beglaubigungs-Schreiben der Herzoge Albrecht, Wilhelm und Leopold von Œsterreich fur ihre Gesandten an Papst Urban VI., dans Historisches Jahrbuch, t. xiv, 1893, p. 124-126 ; Rede der Gesandtschalt des Herzogs Albrecht III. von Œsterreich an Papst Urban VI. bei der Rùckkehr der Ldnder des Herzogs Leopold III. unter die Romische Obedienz, dans Mittheilungen des Instituts fur ôsterreichische Geschichtsforsehungen, t. ix, 1888, p. 448-458 ; H. Simonsfeld, Analekten zur Papst-und Konziliengeschichte im XIV. und XV. Jahrhundert, dans Abhandlungen der historischen Klasse der koniglichen bayerischen Akademie der Wissenschaften zu Mùnchen, t. xx, 1893, p. 31 ; G. Tellenbach, Verzeichniss der in den Registern und Kameralakten Urbans VI. …vorkommenden Personal, Kirchen und Orten des deulsclien Reichs, seiner Diùzesen und Territorien (Repertorium germanicum, t. n), Berlin, 1933 ; Krofta, Acta Urbani VI, Prague, 1903 ; E. Gôller, Aus der Caméra apostolica der Schismapapste, i. Die Servitien der deutschen Bischôfe und Aebte unter der rômischen Obedienz wàlirend des Schismas, dans Romische Quarlalschrift, t. xxxii, 1924, p. 82-147 ; E. von Ottenthal, Die pdpstlichen Kanzleiregeln von Johann XXII. bis Nicolaus V., Inspruck, 1888, p. 46

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Ci. MOLLAT.