Dictionnaire de théologie catholique/UNIGENITUS (Bulle) III. L'agitation autour

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 298-302).

III. L’agitation autour de la bulle.

De la mort de Louis XIV à la mort de Noailles (1715-1729).

1. Sous Clément XI.

Les procédures qui préparèrent l’acceptation de la bulle n’épuisèrent pas l’ardeur des polémiques. Après la mort de Louis XIV, l’opposition reprit plus vive que jamais, d’autant plus que le régent parut d’abord favoriser le jansénisme. Neuf évoques seulement, à l’assemblée du clergé, avaient refusé d’accepter la bulle mais, dirent les jansénistes, c’était l’élite des évêques. « C’était la partie la plus éclairée et la plus instruite du haut clergé, tandis que les autres prélats, qui avaient à leur tête Rohan, n’étaient que des créatures d’antichambre, des fanatiques, des énergumènes, des politiques, des peureux, des méprisés, bref, une majorité ignorante et servile. » Voilà comment étaient jugés les évêques acceptants ! Ils étaient le nombre, mais l’opposition représentait la qualité. D’ailleurs, les évêques présents à l’assemblée, ceux qui avaient ajouté leur voix après l’assemblée et les évêques étrangers avaient tout accepté sans examen préalable, les yeux fermés. car, étant convaincus de l’infaillibilité pontificale e1 Rome ayant parlé, comment auraient-ils osé examiner la huile avant de la recevoir ? Au contraire, les opposants axaient examiné la constitution, et c’est après cet examen personnel qu’ils avaient, en connaissance de cause, refusé leur adhésion.

A la tête des opposants, étail le cardinal de Noailles. archevêque de Paris ; il était leur chef par son litre de cardinal et par sa situation dans le royaume ; en fait, il était à la remorque des plus audacieux et des plus entreprenants qui le manœuvrèrent constamment jusqu’à sa mort en 1720, et l’empêchèrent de faire des démarches qui auraient compromis la cause.

Le régent, de concert avec le cardinal de Rohan, a, dès 1715, île concilier les évêques de France et de négocier a Rome, par l’intermédiaire de l’ambassadeur officiel, le cardinal de la Tlemoille. et i|Vn voyés plus ou moins secrets, comme le P, Lafltau, l’abbé. Chevalier, l’abbé de Tencin ; en même temps, il favorisait les jansénistes et il plaçait Noailles à la tête du Conseil de conscience. Mais l’accord se révéla bientôt impossible ; l’entente n’existait pas, même entre les opposants : quelques-uns, comme les évêques de Montpellier, de Senez, de Boulogne, regardaient la bulle comme essentiellement mauvaise, donc absolument inacceptable, tandis que la plupart des autres opposants étaient prêts à la recevoir, pourvu qu’on donnât des explications. La division ne régnait pas seulement dans l’épiscopat : à la Sorbonne, les assemblées étaient toujours fort houleuses et les moindres incidents dégénéraient en batailles rangées ; ainsi l’élection d’un syndic, pour remplacer Le Rouge, en 1715, fut l’occasion de paroles très violentes. A Rome, on pensa un moment à enlever à la Sorbonne tous ses anciens privilèges. D’autres facultés, entre autres les facultés de Nantes et de Reims, furent aussi fort agitées. Enfin, les Parlements, au nom des maximes du royaume et des libertés de l’Eglise gallicane, intervinrent pour défendre les droits de l’épiscopat et des facultés contre les « prétentions de Rome ».

Le régent engagea des négociations avec Rome, afin d’obtenir des explications qui pourraient satisfaire les opposants, mais le pape mécontent de la conduite des évêques à l’assemblée du clergé, mécontent de l’Instruction pastorale de Noailles, en date du 25 février 1714, mécontent de la Sorbonne et des arrêts du Parlement, n’était pas disposé à donner des explications ; il refusa leurs bulles à des évêques nommés, afin de ne pas grossir le nombre des opposants. L’abbé Bossuet, neveu de l’évêque de Meaux, celui-là même qui avait intrigué à Rome pour obtenir la condamnation des Maximes des saints, se vit refuser ses bulles durant trois ans, pour l’évêché de Troyes, où il devait se distinguer par son opposition à la Constitution. Un groupe d’évêques, à l’instigation du régent et sous la direction du cardinal de Rohan, rédigea un corps de doctrine qui pût réunir les opposants, et le régent choisit un négociateur habile, l’abbé Chevalier, qui se rendit à Rome et visita les cardinaux désignés par Clément XI. Celui-ci convoqua une congrégation générale ; mais les arrêts du Parlement contre des mandements d’évêques, les batailles de la Sorbonne, impressionnèrent fâcheusement les cardinaux ; aussi, malgré l’intervention pressante de l’ambassadeur, le cardinal de la Trémoille, malgré l’appui de quelques cardinaux gagnés par Chevalier, les démarches échouèrent. Le Sacré-( Collège écrivit à Noailles et le pape envoya un bref aux évêques. mais les démarches de Noailles qui, sur les entrefaites, jeta l’interdit sur les jésuites du diocèse de Paris, les déclarations de quelques évêques et les assemblées de Sorbonne arrêtèrent tous les projet d’accommodement. L’appel des quatre évêques de Montpellier, Senez. Boulogne et Mirepoix, le 1 er mars 1717, enregistré le 3 mars, et l’appel de la Sorbonne elle-même rendit tout accord impossible. Des trou blés éclatèrent dans quelques diocèses ; à Reims, Paris, Soissons, Auxcrre. Montpellier, Boulogne. Senez. Cependant le pape écrivit à Noailles le 25 mars, pour le supplier de faire cesser les divisions et d’offrir l’exemple de la soumission ; mais Noailles, loin d’écouter ces conseils, préparait, en secret, son propre appel, qu’il publia le 3 avril.

Pour arrêter les disputes, le régent fil signer par le roi la déclaration du 7 octobre 1717. qui imposait silence à tous les partis, Cependant le calme ne fut qu’apparent : les libelles se multiplièrent sous forme d’apologies, de réflexions, d’observations, de remarques, de critiques. I.es cardinaux de Rohan et de Bissj firent de vains efforts pour retenir leurs amis acceptant fl, qui étaient indignés de la conduite du cardinal

de Noailles et voulaient engager Rome à agir ; on parla de « décardinaliscr » Noailles et un décret de l’Inquisition, publié le 8 mars 1718, condamna l’appel des quatre évèqucs. Quelque temps après, le 8 septembre 1718, le pape publia les lettres Pastoralis officii, qui provoquèrent de nouvelles oppositions. Le 14 janvier 1719, le cardinal de Noailles publia une Instruction pastorale contre l’écrit intitulé Témoignage de l’Église universelle, tandis que les Parlements multipliaient leurs arrêts contre les évêques acceptants. Les trois Avertissements de l’évêque de Soissons, Languet de Gergy, quoique fort modérés, n’amenèrent aucune conciliation et les thèses presbytériennes, soutenues alors par La Borde et Le Gros, et un peu plus tard par Nicolas Petitpied, marquaient le début du mouvement qui devait aboutir à la Constitution civile du clergé. Les Avertissements provoquèrent même de violentes attaques et les libelles qui se répandirent dans les diocèses de Boulogne, d’Angoulême, de Tours, de Soissons furent l’occasion de graves désordres. Le roi publia une nouvelle déclaration, le 5 juin 1719, pour imposer silence durant une année. Par ses arrêts contre les évêques, le Parlement ne faisait qu’envenimer les querelles. A Rome, le P. Lafltau remplissait une double mission : obtenir le chapeau de cardinal pour Dubois et arracher des explications de la bulle, mais les négociations étaient sans cesse entravées par les évêques et les Parlements.

La mort de Quesnel, le 2 décembre 1719, ne calma point les esprits. Lafltau, devenu ambassadeur officiel après la mort du cardinal de la Trémoille, le 10 janvier 1720, poursuivit ses démarches, un peu moins secrètement. Elles aboutirent à un accommodement (13 mars 1720). Un corps de doctrine en treize articles, connu sous le nom d’Explications sur la bulle Vnigenitus, fut signé par trente-huit évêques. Mais il fut bien vite l’occasion de nouvelles discussions, bien que Noailles, cette fois, dans un Mémoire sur la paix de l’Église, eût engagé ses amis à le signer. Ce fut un déchaînement contre le pauvre archevêque, qu’on attaqua violemment, en affirmant que, seul, un concile général pouvait trancher le différend. D’ailleurs, à Rome, on n’acceptait pas cet accommodement qu’on regardait comme l’œuvre de Noailles. Le Parlement s’opposa à l’enregistrement de cette pièce et, de ce chef, il fut exilé à Pontoise. Aussitôt la bataille des libelles recommença. Enfin, Noailles, après bien des hésitations, se décida à publier un mandement d’acceptation suivant les Explications approuvées par un grand nombre d’évêques de France, avec des Explications de la Bulle en dix articles. Ce mandement contenait quelques expressions ambiguës qui firent douter de la sincérité de Noailles et qui lui permettraient de reprendre son opposition. Noailles avait exhorté ses amis à le’suivre ; or, plusieurs d’entre eux publièrent alors un nouvel acte d’appel avec des listes de souscription contenant les noms de prêtres et de religieux, en novembre 1720. Le mandement de Noailles n’avait donc contribué qu’à ranimer les polémiques. Pour le détacher de ses amis, l’évêque de Soissons publia une longue lettre pastorale, afin de justifier la conduite du cardinal ; mais l’archevêque sembla le désavouer et tout fut remis en question. Alors parut la Tour de Babel ou Division des évêques de France sur la constitution de 1714 jusqu’en 1721, pour servir de plan à l’histoire des variations arrivées à cette bulle.

2. Sous les successeurs de Clément XI : Innocent XIII (1721-1724) et Benoit XIII (1724-1730). — Les batailles continuaient autour de Noailles, lorsque Clément XI mourut le 19 mars 1721. Noailles fut invité au Conclave avec l’espoir qu’il ne viendrait pas ; en

fait, il ne répondit pas à l’invitation à cause de son grand âge. Rohan partit avec la double mission d’obtenir un accommodement et un chapeau de cardinal pour Dubois. Le cardinal Conti fut élu le 8 mai, et il prit le nom d’Innocent XIII. Un nouvel envoyé parut alors, l’abbé de Tencin, conclaviste du cardinal de Bissy. Rohan tâcha d’obtenir du nouveau pape une réponse d’approbation à Noailles, mais les discussions de la Sorbonne excitaient les esprits ; Noailles hésitait toujours et la publication de la bulle de jubilé en novembre 1721 provoqua de nouvelles polémiques, à cause des additions faites par quelques évêques et des catéchismes publiés à cette occasion. La mort du cardinal de Mailly, le 10 septembre 1721, fournit au chapitre de Reims l’occasion d’une manifestation tapageuse contre la bulle ; sept évêques écrivirent au pape pour lui exposer les maux causés par la bulle. Cette lettre fit une impression fâcheuse à Rome ; elle fut condamnée par un décret du Saint-Office du 24 mars 1722, comme « contenant plusieurs propositions injurieuses aux évêques catholiques et principalement à ceux de France, à Clément XI, au pape régnant et au Siège apostolique et comme étant, dans son ensemble, schismatique et pleine d’un esprit hérétique ». À ce décret, le pape joignait deux brefs au roi et au régent pour se plaindre de la conduite de quelques évêques ; un arrêt du Grand Conseil condamna la lettre des sept évêques comme téméraire, séditieuse et injurieuse au Sacerdoce et à l’Empire. Les sept évêques répliquèrent. En même temps, Noailles refusait d’accorder aux jésuites les pouvoirs de confesser et, par cet acte inattendu, rendait très suspecte son acceptation de l’accommodement… Malgré les efforts du cardinal Dubois, devenu premier ministre le 22 août 1722, malgré le silence relatif qui régna en France, à l’époque du sacre de Louis XV (25 octobre 1722), la situation religieuse restait très précaire et le moindre incident suffisait pour renouveler les discussions.

Bissy publia, le 17 juin 1722, une longue Instruction pastorale et quelque temps après deux volumes contre les Hexaples, sous le titre de Traité théologique sur les cent une propositions. Ce dernier écrit provoqua la colère des jansénistes et une réplique des sept évêques. D’un autre côté, l’évêque de Soissons, Languet de Gergy, dont l’autorité grandissait chaque jour, publia une Lettre pastorale, où il exposait en détail la doctrine catholique, en quatre parties, et critiquait les nombreux écrits anticonstitutionnaires parus depuis l’origine ; il signalait une poussée de presbytérianisme, inspiré des idées de Richer. Dans leurs libelles, dit-il, les jansénistes répètent que la bulle est l’œuvre des jésuites, qui ont voulu canoniser le molinisme, lequel n’est qu’une forme du pélagianisme. Et Languet s’applique à leur montrer que le molinisme est d’accord avec le thomisme pour affirmer que la liberté humaine a été affaiblie et non détruite par le péché originel ; les écoles se divisent, lorsqu’il s’agit d’expliquer la nature du secours nécessaire à la liberté pour faire le bien (grâce efficace et grâce suffisante) ; sur cette question le concile de Trente n’a rien décidé ; mais toutes les écoles catholiques sont d’accord pour affirmer la nécessité de ce secours surnaturel. Enfin il montrait nettement le sens dans lequel les propositions de Quesnel avaient été condamnées ; il prenait la défense de Bissy, dans la quatrième partie de sa Lettre pastorale et montrait qu’il était lui-même pleinement d’accord avec ce dernier, bien que, parfois, il donnât de la condamnation des propositions de Quesnel des raisons différentes : l’union est complète sur le dogme, la diversité n’existe que sur la manière de justifier la condamnation elle-même. Entre temps, le 25 mai 1723, Languet répondait à l’évêque de Bou

logne et à la Seconde lettre d’un théologien qui avait prétendu que « les prêtres sont juges de la foi, juges de droit, car ils appartiennent au corps de l’Église ; que les laïques ne sont pas juges de la foi, mais qu’ils en sont les témoins ; en sorte que les conciles généraux doivent tenir compte de leur témoignage et que les décisions conciliaires ne tirent leur force et leur autorité que du consentement de l’Église ». Le 2 septembre, Languet répondit encore à l’évêque d’Auxerre, Caylus, l’appelant irréductible ami des évêques de Senez et de Montpellier. Celui-ci, dans une Lettre, avait violemment attaqué la bulle et prétendu que les principes admis par les acceptants conduisaient au schisme et à l’hérésie. À cette occasion parurent plusieurs écrits relatifs à l’autorité et à l’infaillibilité de l’Église et des papes.

La question du Formulaire sema alors la division dans quelques diocèses, en particulier à Montpellier, où l’évêque, Colbert de Croissy, restait toujours opposé à la bulle et entretenait avec l’évêque de Senez une correspondance active. Rome surveillait les mandements publiés en France ; le 14 juillet 1723, un décret du Saint-Office condamna des lettres des évêques d’Auxerre, de Bayeux, de Rodez. La mort du cardinal Dubois, le 10 août, et celle du régent, le 2 décembre 1723, n’arrêtèrent en rien les discussions.

Les assemblées provinciales, qui préparaient l’assemblée générale du clergé furent une nouvelle cause d’agitation : à Reims, on dénonça l’évêque de Boulogne. L’assemblée générale se réunit à Paris le 25 mai 1723 et elle aborda les questions religieuses, en de nombreuses séances. Par ses arrêts, disait l’assemblée, le Parlement attaquait quelques évêques, faisait saisir leur temporel, supprimait leurs mandements, autorisait des particuliers de l’un et l’autre sexe à se soulever contre des ordonnances d’évèqucs soumis au Saint-Siège. Des prêtres, des curés s’appuyaient sur ces arrêts pour braver les censures lancées contre eux par leurs supérieurs et continuaient impunément l’exercice des fonctions dont ils étaient chargés ; des prélats attaquaient la doctrine enseignée par les évêques à leurs fidèles. Telles sont les remontrances du clergé au roi. Le 7 septembre, le roi fit répondre que les constitutions contre le jansénisme et, en particulier, la bulle Unigenitus sont lois de l’État comme de l’Église, suivant la Déclaration royale du 4 août 1720 et l’arrêt du Conseil portant condamnation de la Lettre des sept évêques.

Après un court pontificat de trois ans, Innocent XIII mourut le 7 mars 1724 et il eut pour successeur le cardinal Corsini, qui prit le nom de Benoît XIII, le 29 mai 1724. Le nouveau pape était dominicain. Le 6 novembre, il publia la bulle Pretiosus, dans laquelle il déclarait que la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas sur la grâce efficace et la prédestination gratuite n’avaient reçu aucun préjudice de la bulle Unigenitus, mais en même temps il fit rendre par le général dus dominicains un décret pour exclure de la congrégation tous ceux qui ne se soumettraient pas à cette bulle. Benoît XIII réunit un concile dans l’église Saint-Jean de Latran, le 15 avril 1725 : après avoir insisté sur l’obligation pour les évêques de réunir des synodes, il fit insérer le décret suivant : « Comme pour maintenir et conserver dans son intégrité et sa pureté la profession de la foi catholique, il i si très nécessaire que tous les fidèles évitent avec le plus grand soin et détestent les erreurs qui, dans emps modernes, s’élèvent contre cette même foi, tous, les évêques et pasteurs des âmes veilleront avec la plus grande exactitude, comme par le passé, à ce que la constitution donnée par Clément XI… que nous considérons comme une règle de foi, soit observée et exécutée par tous, de quelque grade et condition

qu’ils soient, avec l’obéissance entière qui lui est due. » Ils doivent sévir contre ceux qui ne se soumettraient pas.

L’assemblée du clergé de 1725 poursuivit les démarches de celle de 1723. L’insubordination des appelants, l’audace d’un grand nombre d’ecclésiastiques, la protection accordée par quelques tribunaux aux rebelles amenèrent les évêques fidèles à intervenir au nom de l’Église. Des désordres graves eurent lieu dans quelques diocèses et il fut question d’assembler des conciles provinciaux pour juger les responsables, à Narbonne, l’évêque de Montpellier, et à Rouen, l’évêque de Bayeux. L’assemblée se proposait de condamner quelques écrits, lorsqu’elle reçut l’ordre de clôturer ses séances le 27 octobre. Les évêques se plaignirent au roi dans une lettre où ils déclaraient que la bulle Unigenitus était une loi de l’Église et de l’État et ils annonçaient qu’ils étaient décidés à la faire observer par les ecclésiastiques de leurs diocèses. La dernière séance fut longue et mouvementée, mais le duc de Bourbon fit raturer le procès-verbal de cette séance, et le 10 janvier 1726, Gilbert des Voisins, avocat général, en demanda la suppression dans un réquisitoire qui eut un écho au parlement.

Cependant on travaillait à obtenir de Noailles une acceptation de la bulle, afin de le détacher des appelants et de décapiter ce groupe autour duquel Se rangeaient les séculiers et les réguliers appelants. Benoît XIII exigeait l’acceptation de la bulle avec le rejet de V Instruction pastorale de 1719. De son côté, Noailles demandait l’approbation des douze articles qu’on présentait comme la pure doctrine de saint Augustin et de saint Thomas ; or, quelques-uns de ces articles étaient obscurs et d’autres semblaient favorables au jansénisme. Le troisième était ainsi conçu : « Personne ne résiste à la volonté absolue de Dieu. » Le septième affirmait que : le rapport de toutes nos actions à Dieu est un précepte et non point seulement un conseil et qu’il ne suffit pas que nos actions y tendent interprétativement. Le dixième disait : « C’est une conduite conforme aux préceptes de l’Évangile et aux règles de l’Église de différer le bienfait de l’absolution aux pénitents qui sont chargés de très grands crimes ou de crimes publics, à tous ceux qui sont dans l’habitude ou dans l’occasion prochaine du péché mortel. » Les opposants répandirent le bruit que le pape approuvait ces articles, mais le bref qu’on annonçait n’arriva jamais.

Les négociations annoncées à grand fracas Inquiétèrent quelques évêques. Aussi, le 19 octobre, les cardinaux de Rohan et de Bissy et l’évêque de Fréjus, Fleury, écrivirent-ils au pape une lettre célèbre connue sous le nom de Lettre des trois puissances, afin de Taire ressortir les raisons de ne pas se contenter de l’acceptation faite en 1720 par Noailles. I.a Lettre critiquait les douze articles et signalait que, dès que ces articles avaient été connus, ils avaient soulevé tant de disputes et de troubles que l’autorité royale avait dû intervenir par un arrêt du Conseil du 2 juin 1725. Il fallait une acceptation pure et simple. De son côté, l’évêque de Saintes, Heaumonl. neveu de l’énelon, dans un mandement du 26 novembre, montrait « le venin que ces prétendues explications renferment et l’artifice de ceux qui les onl fabriquées ». A rencontre, l’évêque de Montpellier prenait la défense des douze articles et attaquait la constitution, tandis que l’évêque de Senez, dans son Instruction pastorale du 28 août 1.726, proclamait les douze articles comme

autant de vérités incontestables : il critiquait la conduite de Clément xi et de ses successeurs, celle des

évêques acceptants et exhortait ses diocésains a persévérer dans les sentiments qu’il leur avall Inspirés : 1rs appelants étaient les vrais défenseurs de la

et ils ne devaient se laisser abattre ni par la multitude des ennemis qui combattaient la vérité, ni par le petit nombre de ceux qui avaient le courage de se déclarer pour elle.

En présence d’une telle division, une assemblée extraordinaire du clergé fut convoquée en 1720. après la disgrâce du duc de Bourbon, le Il mars 1727 et la nomination de l’évêque de Fréjus, Fleury, comme ministre d’État. Dans une lettre au roi, en date du 18 novembre 1726, l’assemblée soulignait les injures faites à l’Église par les libelles qui attaquaient la constitution Unigenitus, les droits de l’Église et des évêques et semaient les divisions dans le clergé. La lettre demandait la suppression des écrits qui soufflaient l’esprit de révolte dans les communautés et les séminaires et demandait la convocation de conciles provinciaux. « Ce moyen, disaient les évêques, nous fournirait peut-être la consolation de réunir à l’unanimité quelques-uns de nos confrères qui s’en sont éloignés, de leur faire connaître combien leur résistance à la bulle est condamnable. »

L’Instruction pastorale de l’évêque de Senez avait provoqué un véritable scandale. Son métropolitain, l’archevêque d’Embrun, Guérin deTencin, obtint du roi la permission de réunir le concile provincial pour juger ce prélat. Voir ici l’art. Soanen, t. xiv, col. 2263 sq. Dans la lettre de convocation, l’archevêque indiquait le motif de cette assemblée : « Arracher l’ivraie qui avait pu être semée dans le champ du père de famille, examiner et régler ce qui serait jugé nécessaire pour conserver intact le dépôt de la foi, pour corriger les abus afin que, si quelque chose avait été attenté contre l’obéissance due à la foi catholique, on réprimât l’obstination des réfractaires. » Il s’agissait évidemment de l’évêque de Senez. Le janséniste Boursier lit un mémoire, qui fut signé de vingt avocats du Parlement de Paris pour justifier l’appel au futur concile œcuménique et déclarer que V Instruction pastorale du 28 août ne pouvait fournir un prétexte à un jugement. L’évêque de Senez se rendit au concile, mais il déclara qu’il ne pouvait reconnaître le concile particulier d’Embrun comme juge compétent dans une matière dont le tribunal de l’Église universelle était saisi par l’appel qu’il avait interjeté en 1717, de concert avec plusieurs de ses collègues et la faculté de théologie de Paris, par un seul et même acte indivisible. Le concile s’ouvrit le 16 août, et, dès le 18, le promoteur dénonça V Instruction de Soanen et demanda que l’évêque fût mis en demeure de condamner et de rétracter cette Instruction. Soanen récusa ses juges et les déclara incompétents. Il protesta de nullité « contre tout ce qui avait été fait ou pourrait être fait dans la suite et il fit appel des jugements qui seraient portés contre lui, à cause des nullités, abus et injustices qu’ils renfermaient ». Le 27 août, l’évêque de Senez envoya à tous les évêques du royaume une lettre circulaire de protestation, où il signalait quatorze griefs principaux. Comme pour juger un évêque, il fallait un certain nombre de juges, des évêques voisins de la province furent convoqués et la réunion générale du 9 septembre commença à examiner l’Instruction pastorale du 28 août. Soanen récusa les évêques des provinces voisines, mais le 21 septembre, le concile condamna V Instruction comme « téméraire scandaleuse, séditieuse, injurieuse à l’Église, aux évêques et à l’autorité royale, schismatique, remplie d’un esprit hérétique, pleine d’erreurs et favorisant les hérésies, surtout en ce qu’elle s’oppose à la signature pure et simple du Formulaire d’Alexandre VII, en ce qu’elle affirme de faux et d’injurieux à la bulle Unigenitus qu’elle accuse de détruire le dogme, la morale, la discipline et la hiérarchie, en ce qu’elle permet et conseille la lecture du livre des Réflexions

morales de Quesnel, en ce qu’elle exhorte ceux qui pourraient être inquiétés après sa mort à ne pas s’éloigner des principes exprimés », À l’unanimité, le concile déclara l’évêque de Sciiez suspens de toute juridiction épiscopale et de l’exercice de la puissance épiscopale et sacerdotale ». Le concile fit connaître ces décisions aux évêques du royaume et nomma un vicaire général, l’abbé de Saléon, et un promoteur, l’abbé Allard, pour gouverner le diocèse de Senez. Le 2 octobre, Soanen reçut une lettre de cachet, datée du 30 septembre et l’exilant à la Chaise-Dieu, à vingt lieues de Lyon. Les amis de Soanen s’élevèrent contre ce qu’ils appellèrent le « conciliabule » ou le « brigandage » d’Embrun ; ils espéraient que le pape n’approuverait pas le concile, car la déposition d’un évêque était une cause majeure réservée au souverain pontife, mais Benoît XIII, par un bref du 13 décembre, confirma les décrets du concile. Un arrêt du Conseil d’État du 10 janvier 1728 affecta le tiers des revenus du diocèse de Senez au grand vicaire et à l’official désignés par le concile, et ainsi les cours de Rome et de Paris étaient pleinement d’accord.

La sentence du concile d’Embrun eut des conséquences inattendues. L’intervention très active des avocats du Parlement de Paris contribua à envenimer les discussions : le parti anticonstitutionnaire s’identifia de plus en plus avec le gallicanisme parlementaire : il groupa autour de lui les mécontents de tous les partis et devint une coterie politique ; les préoccupations relatives à la théologie de la grâce seront de plus en plus reléguées à l’arrière-plan, ce qui se manifestera, ce sera surtout l’opposition aux maximes de la Cour de Rome, au nom des maximes et des libertés de l’Église gallicane. Cinquante avocats de Paris donnèrent, le 30 octobre 1727, une Consultation au sujet du jugement rendu à Embrun contre l’évêque de Senez. C’est un véritable réquisitoire contre la bulle et contre la Cour de Rome, contre la politique du cardinal de Fleury et contre le concile d’Embrun. Du point de vue de la forme, ce concile « est un tissu d’irrégularités dont il n’y a pas d’exemple dans l’antiquité ». Il est incompétent « eu égard à la qualité des matières et à l’appel interjeté à l’Église universelle et le corps du délit imputé à l’évêque de Senez est inexistant ». Les jansénistes criaient partout ; l’évêque de Montpellier envoyait une lettre aux cardinaux, archevêques et évêques et une lettre au roi pour protester. La première était signée de douze prélats, en tête desquels était le cardinal de Noailles ; le 16 mars, paraissait une lettre de trente curés de la ville, faubourgs et banlieue de Paris à S. Ém. le cardinal de Noailles pour le féliciter et exprimer leur joie de voir les évêques se dresser contre le concile. Le roi renvoya la lettre des douze prélats et le ministre Maurepas exprima le mécontentement du roi. Des prélats se réunirent à Paris autour du cardinal de Rohan pour critiquer et condamner la Consultation des avocats et la lettre des douze prélats ; la lettre rédigée par Rohan fut signée par trois cardinaux, cinq archevêques, dix-huit évêques et cinq prélats non encore sacrés. La Consultation fut aussi vivement critiquée dans les Cinq Lettres d’un avocat de province à M. Aubry, avocat au Parlement de Paris. Le 14 mai, une lettre signée de neuf évêques s’opposait à l’enregistrement de tout ce qui confirmerait le concile d’Embrun, en particulier le bref du 17 décembre 1727. Noailles avait signé cette dernière lettre, mais il se rétracta.

Fleury travaillait alors à détacher Noailles du groupe des appelants ; il écrivait à Rome et s’efforçait de répondre aux objections qu’on lui faisait. Il finit par obtenir, de Noailles, à la date du Il octobre 1728, un mandement d’acceptation pure et simple. Cette

acceptation jeta le désarroi parmi les appelants, mais ceux-ci publièrent une déclaration signée le 22 août, dans laquelle Noailles rétractait à l’avance tout ce qu’on pourrait lui arracher. Cette déclaration fut regardée comme apocryphe et anonyme, mais les démarches de Noailles purent faire douter de la sincérité de sa soumission et, lorsqu’il mourut, le 3 mai 1729, les jansénistes continuaient à le compter comme leur chef.

2° Après la mort de Noailles (1729). — Après la mort de Noailles, les polémiques semblèrent se calmer un peu, mais elles se réveillèrent à l’occasion de la Légende de Grégoire VII qui fut attaquée par les jansénistes comme favorisant les prétentions ultramontaines ; un arrêt du Parlement condamna l’office de Grégoire VII, le 22 juillet 1729 ; les évêques d’Auxerre, de Montpellier, de Troyes, de Castres, de Metz publièrent des mandements contre la Légende, dans laquelle on lisait que Grégoire « en athlète généreux et intrépide, avait résisté aux efforts impies de l’empereur Henri : il le priva de la communion des fidèles et il déchargea les peuples qui lui étaient soumis de la fidélité qu’ils lui avaient jurée ».

Vintimille du Luc, archevêque d’Aix, remplaça Noailles à Paris et il constata l’état déplorable du diocèse ; dès le 29 septembre, dans une Ordonnance, il fixa le terme de quatre mois durant lesquels tous les confesseurs devraient se présenter devant des examinateurs avant d’obtenir les pouvoirs de confesser. Des libelles anonymes attaquèrent cette Ordonnance et vingt-cinq curés protestèrent contre la déclaration du chapitre métropolitain qui s’était soumis à l’archevêque. Celui-ci, dans une lettre au roi, raconta en détail ses démarches auprès du clergé pour le gagner et la révolte de quelques curés ; il demanda la protection du prince afin que « par un parfait concours des deux puissances, tout ce qui troublait le bon ordre fût puni selon les voies canoniques et civiles ». À cette lettre du 8 février, le roi répondit, le 15 du même mois, et il lui promit » de le soutenir de toute son autorité, s’il ne pouvait ramener par la douceur ces esprits opiniâtres ». Le gouvernement royal, avec l’appui du cardinal Fleury, travailla à l’épuration des congrégations religieuses.

Le supérieur général des lazaristes, Bonnet, ordonna que tous ceux qui ne souscriraient pas sans délai seraient exclus et le général de l’Oratoire, le P. de La Tour, promit d’employer les moyens suggérés par la prudence pour exclure tous les opposants. La faculté de théologie elle-même reçut une lettre de cachet « pour exclure des assemblées et de toutes les fonctions et prérogatives ceux qui avaient appelé depuis la Déclaration de 1720 ou qui avaient adhéré à la cause de l’évêque de Senez ». La grande majorité des docteurs se soumit et la faculté écrivit une lettre circulaire aux facultés de province pour les engager a suivre son exemple.

I.a lutte qui était restée jusque là à peu près cantonnée dans la sphère religieuse cesse alors d’intéresser la théologie proprement dite ; elle descend Jusque dans les couches profondes du peuple qui va se prosterner devant le tombeau du diacre Paris, tandis que de bruyantes manifestations se multiplient dans les rues. Voir l’art. Pauis, t. xi, col. 2032. Le Parlement, qui était souvent intervenu sous prétexte de défendre les maximes et les libertés du royaume contre Rome et contre l’épiscopat, ne fait qu’accroître les divisions dans la question des refus de sacrement. I.a phase religieuse du jansénisme est vraiment terminée à la mort de Noailles et au moment nu la Déclaration royale du 21 mais 1730 enregistrée ni lit tic justice tenu par le roi en son Parlement le 5 avril 1730, impose comme loi dogmatique de l’Église universelle la constitution Unigenitus contre le livre de Quesnel. Il y aura encore, durant de trop longues années, des polémiques violentes dont les Nouvelles ecclésiastiques se feront l’écho très partial, mais le jansénisme ne vivra plus d’une vie vraiment religieuse.

Il serait trop long de donner une bibliographie même sommaire pour cette histoire rapide de la bulle Unigenitus ; il suffira d’indiquer, à la fin, les principaux ouvrages dans lesquels la bulle a été attaquée par ses adversaires ou défendue par ses partisans.