Dictionnaire de théologie catholique/TRINITÉ, ÉCRITURE ET TRADITION. V. Les Alexandrins

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 54-61).

V. Les Alexandrins.

Tandis que les théologiens occidentaux, au cours de la première moitié du ni » siècle, étaient surtout préoccupés de définir la doctrine trinitaire contre les hérésies monarchiennes, les maîtres de l’école d’Alexandrie s’efforçaient de leur côté de réfléchir sur le mystère divin et ils le faisaient, peut-on dire, dans un esprit plus dégagé de tout souci de controverse. De là l’importance de leur témoignage.

L’apparition, tout à la fin du iie siècle, d’un enseignement proprement catholique à Alexandrie est un fait de grande importance dans l’histoire des dogmes et il est permis de le souligner ici. Jusqu’alors en effet l’Egypte n’est entrée dans la vie générale du christianisme que par l’intermédiaire des maîtres gnostiques qu’elle a formés : Valentin, Basilidc, Héracléon ont joué un grand rôle au cours du IIe siècle et leurs noms reparaissent souvent dans les livres des docteurs chrétiens. Il est au moins très vraisemblable que le catholicisme ne s’est pas laissé devancer par l’hérésie dans la vallée du Nil ; cependant la liste des évêques alexandrins, conservée par Eusèbe, ne suffit pas à nous renseigner sur leur activité, et il faut arriver au temps de Pantène et de Clément pour voir briller d’un vif éclat la doctrine de la grande Église.

I. Clément.

Pantène n’est guère qu’un nom pour nous, et il ne faut pas nous attendre à trouver dans les œuvres de Clément des renseignements très précis sur la Trinité. Photius accuse sans doute le vieux maître d’avoir commis ici toutes sortes d’erreurs. II aurait admis dans les Hypotyposes, paraît-il, deux Verbes du Père, dont le moindre aurait apparu aux hommes ; et Photius cite même ses paroles : « Le Fils est appelé Verbe, du même nom que le Logos du Père, mais ce n’est pas celui-ci qui s’est incarné. Ce n’est pas le Logos du Père, mais une vertu de Dieu, une émanation du Verbe loi-mime, devenu esprit, qui a habité dans les cœurs des hommes. » Clément aurait encore enseigné que le Fils est une créature. Biblioth., cod. 109, P.G., t. ciii, col. 384. Ce dernier grief petit être exact. Le premier ne semble pas mérité et l’on a des raisons de croire que Photius s’est mépris sur la pensée de Clément ; celui-ci a seulement distingué, comme beaucoup de ses prédécesseurs, entre la raison divine immanente, attribut du Père et le Verbe proféré qui est le Fils.

En toute hypothèse, Clément est surtout un moraliste. Le dogme paraît l’intéresser assez peu par lui-même. Nous ne savons pas ce qu’aurait contenu le dernier ouvrage de la trilogie qu’il avait conçue, s’il avait eu le temps de le rédiger, et nous connaissons trop mal les Hypotyposes pour en porter une appréciation exacte, mais nous savons que le Protreptique, le Pédagogue et les Stromates donnent la première place à la vie pratique et aux devoirs du chrétien. Ce n’est guère qu’en passant, par accident en quelque sorte, que la doctrine est effleurée.

Il faut cependant noter que Clément admet l’existence d’un Dieu unique, absolument transcendant, à tel point qu’il se trouve au-dessus de l’un et de la monade. Ce Dieu unique semble à première vue celui des philosophes platoniciens : il n’en est rien. Clément ne se contente pas de parler de la bonté de Dieu qui veille sur les hommes et qui veut leur salut. Il connaît et adore la Trinité : « O mystérieuse merveille ; un est le Père de l’univers ; est un aussi le Verbe de l’univers ; un est encore l’Esprit-Saint et partout le même. Une est la mère Vierge, qu’il m’est doux d’appeler l’Église. » Pædag., I, vi, 42. « De nuit, de jour, en vue du jour parfait, chantons un cantique d’actions de grâces au seul Père et au Fils, au Fils et au Père, au Fils pédagogue et maître, avec le Saint-Esprit. » Pædag., III, xii, 101. « Nous ignorons le trésor que nous portons dans des vases d’argile, trésor qui nous a été confié par la vertu de Dieu le Père, par le sang du Dieu Fils, par la rosée du Saint-Esprit. » Quis dives, 34. « Toute parole se tient que confirment deux ou trois témoins, le Père, le Fils et le Saint-Esprit : ce sont là les témoins et les aides qui nous obligent à conserver les dites épîtres. » Eclog. proph., 13. L’intérêt de ces textes rapides vient précisément de ce qu’ils sont jetés en passant. Clément ne se propose pas de démontrer sa croyance ; il se contente de l’affirmer ; et sur le dogme fondamental de la Trinité il se sent en plein accord avec l’Église.

Les détails qu’il donne ailleurs doivent aussi être relevés. Clément affirme d’abord la génération éternelle du Verbe : en expliquant le début de la première épître de saint Jean, il rapporte à ce sujet le témoignage d’un presbytre : Quod ergo dicit : ab initio, hoc modo presbytes exponebat, quod principium generationis separatum ab opificis principio non est. Cum enirn dicit : quod erat a principio, generationeni tangit sine principio Filii cum Pâtre simul exstantis. Erat ergo Verbum œternitatis significalivum et non habentis initium, sicut etiam Verbum ipsum, hoc est Filius, quod secundum œqualilatem substantiæ unum cum Patre consistit, sempiternum est et infectum. Ce texte est doublement intéressant, d’abord parce qu’il reproduit une exégèse traditionnelle, puis parce qu’il met dans un relief très accentué l’éternité du Verbe. Adumbral. in i. Epist. Joan. ; édit. Stählin, du Corpus de Berlin, Œuvres de Clément, t. iii, p. 210. Ailleurs, Clément revient sur la même idée : la génération du Verbe n’a pas seulement précédé la création : elle est sans commencement, anarkos car le Père n’est Père qu’à la condition d’avoir un Fils, Stromat., VII, li ; V, i, ibid., t. iii, p. 5 sq. ; t. ii, p. 326.

Ainsi né éternellement du Père, le Verbe est semblable au Père, véritablement Dieu comme lui. « Très parfaite et très sainte et très seigneuriale et très dominatrice et très royale et très bienfaisante est la nature du Fils… Le Fils de Dieu n’est pris divisé, il n’est pas partagé ; il ne s’avance pas d’un lieu à un autre ; il 1639 TRINITÉ. ORIGÈNE 1640

est toujours partout, il n’est contenu nulle part ; il est tout intelligence, tout lumière paternelle, tout œil ; il voit tout, il entend tout ; il sait tout, il gouverne tout. » Stromat., VII, ii, 5, ibid., t. iii, p. 5-6.

Les attributs du Fils sont les mêmes que ceux du Père : le Père est dans le Fils et réciproquement. On leur adresse à tous deux des prières ; ils ne sont qu’un seul et même Dieu, Psedag., I, viii ; III, xii ; Stromat., V, vi. Clément emploie, pour exprimer cette unité, des formules telles qu’on a pu lui reprocher d’être modaliste. Par contre, il parle ailleurs des relations entre le Père et le Fils de façon à laisser croire qu’il y a une réelle subordination du Fils par rapport au Père : c’est ainsi qu’il reprend, pour les appliquer au Fils de Dieu, les appellations de puissance royale et bienfaisante dont Philon s’était servi à propos du Verbe ; qu’il déclare que la nature du Fils est la plus proche de celui qui est seul tout-puissant. Stromat., VII, ii, 5 ; que le Fils peut être démontré et connu, tandis que le Père n’est ni connaissable ni démontrable. Stromat., IV, xxv. Nous avons déjà rappelé, col. 1637, que Photius, cod. 109, accuse Clément d’avoir dit que le Fils est une créature, et certaines expressions, dans les Stromates, V, xiv ; VI, vii, ou dans les Adumbrationes in i. Johan., édit. Stählin, t. iii, p. 211, sont difficiles à interpréter correctement. Que veut dire Clément, lorsqu’il écrit : Sicut enim apud Patrem consolator est pro nobis Dominus, sic etiam consolator est, quem post assumptionem suam dignatus est mittere. Use namque primitivæ virtutes ac primo creatæ, immobiles, existentes secundum substantiam, cum subjectis angelis et archangelis, cum quibus vocantur œquivoce, diversas operation.es efficiunt. L’Esprit-Saint et le Fils sont ici désignés du nom de "protoctistes", qui apparaît souvent dans les derniers Stromates et s’applique à certains anges de l’ordre supérieur ; bien plus, ils sont comparés aux anges, et l’on s’étonne d’une pareille formule.

Il serait pourtant injuste d’insister. Clément ne se recommande nulle part par sa logique, et nous savons qu’il n’a pas prétendu donner un système achevé de théologie. Autant son témoignage est important à recevoir lorsqu’il traduit la foi de l’Église, autant il mérite l’indulgence lorsqu’il exprime les idées personnelles et souvent imprécises du vieux maître.

II. Origène.
Tout différent de Clément est Origène. Celui-ci est véritablement un métaphysicien. Si importants que soient à ses yeux les problèmes moraux, ils sont dépassés de beaucoup par les questions métaphysiques. Le De principiis est le premier essai catholique d’une systématisation du dogme, et une telle tentative suppose de la part de son auteur une envergure d’esprit peu commune.

Il faut ajouter, et ceci est capital, qu’Origène est profondément attaché à l’Église catholique : le catholicisme, pour lui, n’est pas quelque chose d’extérieur, une sorte de vêtement dont il pourrait se débarrasser à l’occasion, tout en restant lui-même. Il fait partie intégrante de sa vie. Dès sa jeunesse, Origène a rêvé de mourir martyr afin de prouver son amour pour l’Église ; jusqu’à son dernier jour, il poursuit ce rêve, et la persécution de Dèce le trouve prêt à endurer les supplices : est-ce sa faute s’il ne meurt pas au cours de la rude épreuve qui lui est infligée ? Sa foi est toujours prête à commander à sa raison. Comme philosophe, il lui arrive de proposer des hypothèses plus ou moins étranges, mais il se garde d’affirmer s’il se rend compte du désaccord de l’une ou de l’autre de ces hypothèses avec sa croyance.

Enfin, Origène est un bibliste, ce qui veut dire que, nourri dans l’étude et dans l’explication des Livres Saints, il conduit son esprit selon les voies où le mènent les commentaires de l’Écriture. D’autres se libéreraient du texte sacré ; lui tient à le suivre dans ses moindres détails. De là, dans les formules de l’exégète, certains flottements ou certaines imprécisions qu’il aurait été possible d’éviter en suivant des routes plus personnelles.

1° Part de la Tradition.
La première constatation qui s’impose, lorsqu’on essaie de résumer les idées d’Origène sur la Trinité, c’est la place éminente que tiennent les affirmations traditionnelles. Le De principiis débute par un exposé de la foi ecclésiastique : « Les points clairement enseignés dans la prédication apostolique sont les suivants. Premièrement, il n’y a qu’un seul Dieu, créateur et ordonnateur de toutes choses, qui a tiré l’univers du néant… En second lieu, Jésus-Christ, le même qui est venu en ce monde, est né du Père avant toute créature. Après avoir été le ministre du Père dans la création des choses, — car tout a été fait par lui — il s’est anéanti à la fin des temps en s’incarnant, tout Dieu qu’il était, et i ! s’est fait homme, tout en restant Dieu… Ensuite, la tradition apostolique associe au Père et au Fils, en honneur et en dignité, le Saint-Esprit lui-même. Est-il engendré ou non ? doit-il ou non être considéré comme Fils de Dieu ? cela n’apparaît pas clairement ; c’est une question à résoudre par l’étude attentive de la sainte Écriture et par l’effort du raisonnement théologique. Ce que l’Église enseigne sans l’ombre d’un doute, c’est que ce même Esprit est l’inspirateur de tous les hagiographes, prophètes et apôtres, avant comme après la venue du Christ. » De princ, I, præf.

Tout cela est très clair. La prédication apostolique enseigne à n’en pas douter le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Origène partira de cet enseignement pour construire sa théologie. Avant tout, il n’y a qu’un seul Dieu qui n’est ni un corps, ni dans un corps ; nature intellectuelle sans mélange d’aucune sorte, il ne reçoit ni le plus ni le moins. Monade absolue ou plutôt hénade, il est l’intelligence, source commune de toutes les intelligences. De princ, I, i, 6. Les créatures le reflètent sans en donner une idée adéquate, pas plus que les rayons du soleil, réfléchis dans un miroir, ne nous font connaître exactement le soleil : Dieu est incompréhensible. 'Ibid., 5, édit. Kœtschau, du Corpus de Berlin, Œuvres d’Origène, t. v, p. 20. L’unité divine n’empêche d’ailleurs pas la trinité des personnes : « Nous croyons qu’il y a trois hypostases : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. » In Joan., II, x, 75, édit. Preuschen du Corpus de Berlin, Œuvres d’Origène, t. iv, p. 65. Le terme hypostase qu’emploie ici Origène doit être souligné ; nous le retrouverons plus loin.

Dieu possède, en tant que tel, trois qualités qui le distinguent des créatures ; il est en effet immatériel, omniscient, substantiellement saint. Immatériel : sans doute, Origène affirme l’existence de créatures spirituelles, mais il se demande si elles peuvent subsister sans aucune enveloppe corporelle, si ténue soit-elle et, bien qu’il ne donne pas à ce sujet de réponse décisive, sa pensée est claire : tout esprit créé a besoin d’un support matériel. Dieu au contraire n’est ni un corps, ni dans un corps : Substantia Trinitatis… neque corpus neque in corpore esse credenda est, sed ex toto incorporea. De princ, IV, xxvii ; I, vi, 4 ; II, ii, 2, Kœtschau, p. 347, 85, 112.

De plus Dieu connaît tout et chacune des personnes divines possède la science parfaite. Cela est évident pour le Père qui est le principe et la source de toute connaissance et de toute vérité. Cela n’est pas moins certain pour le Fils qui est la vérité et à qui rien ne peut échapper. In Joan., I, xxvii ; Contra Cels., VI, 17. Pourtant il est vrai que le Fils ne connaît pas le Père aussi bien qu’il en est connu et que la gloire qu’il reçoit de lui est plus grande que celle qu’il lui rend. De princ, IV, xxxv, Kœtschau, p. 359-360 ; In Joan., 1641 TRINITÉ. ORIGÈNE 1642

XXXII, xviii. Quant au Saint-Esprit, « il scrute toutes choses, même les profondeurs les plus secrètes de Dieu. D les révèle à qui il lui plaît, selon le mot de l’Écriture. Accorder que le Saint-Esprit connaît le Père par la révélation du Fils, c’est admettre qu’il passe de l’ignorance à la science, conséquence aussi impie qu’absurde. » De princip., I, iii, 4, p. 54. Qu’on n’imagine d’ailleurs pas qu’avant d’être le Saint-Esprit il a pu ignorer le Père et qu’il est devenu le Saint-Esprit par l’acquisition de cette connaissance : si l’Esprit-Saint n’avait pas toujours été tel, il n’aurait jamais été admis dans la Trinité indivisible, ni associé au Père immuable et au Fils éternel.

Enfin, seules les personnes divines sont immuables dans le bien, tandis que les créatures peuvent sans cesse progresser ou déchoir : Immaculatum esse præter Patrem et Filium et Spiritum sanction nulli substantialiter inest, sed sanctitas in omni creatura accidens res est. Quod autem accidit et decidere potest. De princ., I, v, 5, p. 77 ; cf. In Num., hom. xi, 8.

Entrons maintenant dans le détail. La seconde personne de la Trinité Sainte est le Verbe éternellement engendré par le Père et distinct de lui. S’il est une hérésie qu’on ne peut pas reprocher à Origène, c’est assurément le modalisme, car le maître alexandrin ne cesse pas de proclamer la distinction réelle du Père et du Fils. « Il y a, dit-il, des gens qui regardent le Père et le Fils comme n’étant pas numériquement aritmo distincts, mais comme étant un où ou monon ousia alla kai upokeimeno et comme différents seulement kata tinas epinoias ou kat’upostasis. In Joan., X, xxi. Origène enseigne au contraire que eteros kat’upokeimenon estin o Dios tou Patros, qu’il y a duo upostaseis, duo en te upostasei pragmata. De orat., 15 ; Cont. Cels., VIII, 12.

Le Fils, distinct du Père, n’est pas créé. Il est engendré de toute éternité : Non enim dicimus, sicut hæretici putant, partent aliquam substanliæ Dei in Filium versam aut ex nullis substantibus Filium procreatum a Patre, id est extra substantiam suam, ut fuerit aliquando quando non fuerit, sed absciso omni sensu corporeo ex inuisibili et incorporeo Deo Verbum et Sapientiam genitam dicimus absque ulla corporali passione, velul si voluntas procedat a mente. De princ, IV, xxviii, p. 349. Ainsi, l’on ne peut pas dire qu’il y eut un temps où le Verbe n’était pas : telle sera plus tard la doctrine d’Arius. Origène la réfute par avance en déclarant que Dieu n’a jamais été sans Verbe, que le Verbe n’a pas été créé, qu’il est toujours Fils de Dieu.

Engendré de toute éternité par Dieu, le Verbe est Dieu selon la substance, Selecta in psalm., hom. xiii. Origène a-t-il expressément enseigné qu’il lui est consubstantiel, omoousios ? La chose est possible, bien que non certaine. Cf. In epist. ad Hæbr., cité par Pamphile, Apol. pro Orig., P. G., t. xvii, col. 580581 ; Rufln, De adulter. libror. Orig., P. G., t. xvii, col. 619. Nous aurions besoin, pour plus d’assurance, de textes grecs qui nous font défaut. L’essentiel est d’ailleurs l’affirmation maintes fois répétée de la divinité absolue du Verbe.

Tout aussi assurée est la divinité du Saint-Esprit, bien que, nous l’avons vii, Origène se demande si le Saint-Esprit est natus an innatus, ou, suivant la traduction de saint Jérôme, factus an infectus. À cette double traduction correspondent les termes gennetose agennetos ou bien genetose agenetos. Malgré la différence de l'étymologie et du sens, ces termes étalent souvent pris l’un pour l’autre dans les manuscrits, si bien que la leçon originale reste douteuse. Cependant, il est probable que Rufin a mieux compris la pensée d’Origène, car la question ici soulevée est de savoir si l’on peut donner au Saint-Esprit le nom de Fils. L’Écriture oblige à répondre négativement à cette question. Bien plus, puisque nous lisons dans l’Évangile de saint Jean que tout a été produit par le moyen du Verbe (dia), il faut conclure que le Saint-Esprit ne fait pas exception à la règle : « Quiconque admet que le Saint-Esprit est produit, en présence de ces mots : « Tout a été produit par le Verbe », devra nécessairement conclure que le Saint-Esprit a été, lui aussi, produit par le Verbe, lequel est donc antérieur. Si l’on nie au contraire que le Saint-Esprit ait été produit par le Verbe, il faudra l’appeler improduit pour sauvegarder la vérité de l’Évangile… Pour nous, qui confessons trois hypostases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit et qui croyons que rien n’est improduit en dehors du Père, nous disons, conformément à la piété et à la vérité, que, tout ayant été produit par le Verbe, le Saint-Esprit est le plus digne et le premier en rang de tous les êtres produits par le Père (epi) par le moyen du Christ. Et peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne s’appelle pas Fils de Dieu, le Monogène étant originairement seul Fils par nature et le Saint-Esprit en ayant besoin, ce semble, comme de celui qui lui communique l’hypostase, et non seulement l’être mais la sagesse, l’intelligence, la justice, enfin tous les attributs qu’il doit posséder pour participer à la nature du Christ. » In Joan., I, x, 73, éd. Preuschen, p. 65.

Ce texte est des plus importants, car il nous renseigne non seulement sur la dignité du Saint-Esprit et sur son mode de procession, mais sur sa place dans la Trinité. Rien n’est plus correct assurément que de distinguer le Saint-Esprit du Fils. Il n’y a qu’un Verbe, qu’un Monogène. Le nom de Fils ne convient donc pas à l’Esprit-Saint. D’autre part, si le Fils se trouve au point de départ de toutes choses, l’Esprit-Saint procède de lui, et il ne vient du Père que d’une manière indirecte.

Est-ce à dire que le Saint-Esprit est subordonné au Fils et que le Fils lui-même est subordonné au Père ? Il semble difficile d’échapper à cette conclusion. Origène explique longuement par exemple que saint Jean emploie l’article devant le mot Teos pour parler du Père et qu’il ne l’emploie pas lorsqu’il est question du Fils : « Saint Jean met ou omet l’article défini devant les mots Dieu et Verbe avec une précision admirable et non pas en homme étranger aux finesses de la langue grecque. Il le met, lorsque Dieu désigne le principe inengendré de toutes choses ; il l’omet lorsqu’il s’agit du Verbe. Et comme, dans ces passages. Dieu et le Dieu diffèrent, peut-être y a-t-il la même différence entre le Logos et Logos. Le Dieu souverain est le Dieu, et non simplement Dieu ; ainsi la source commune des raisons individuelles est le Logos, car les raisons individuelles n’ont qu’un droit emprunté à cette appellation. C’est de la sorte qu’on peut résoudre la difficulté dont plusieurs se sont émus. Sous prétexte de piété et par crainte de paraître admettre deux dieux, on se jette dans des opinions fausses et impies : ou bien on nie la distinction entre la personne du Fils et celle du Père, et l’on soutient que le Fils n’est Dieu que do nom ; ou bien on nie la divinité du Fils pour lui reconnaître une personnalité et un caractère individuels étrangers au Père. Il faut leur répondre « pie le Dieu par lui-même est le Dieu avec l’article ; c’est pourquoi le Sauveur adresse à son Père cette prière : « Afin qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu. Tout ce qui n’est pas le Dieu par lui-même, étant Dieu par communication de la divinité, n’est pas le Dieu, mais plus exactement Dieu. » In Joan., II, ii, P. G., t. xiv, col. 108-109.

2° Part de la spéculation personnelle.
On saisit ici la difficulté qui se pose devant l’esprit d’Origène ; c’est celle que, nous avons déjà bien des fois rencontrée : comment concilier le monothéisme le plus strict avec la doctrine traditionnelle sur la Trinité. Origène croit pouvoir répondre que le Verbe, tout en étant de nature divine, n’est pas le Dieu absolu. Il est un « second Dieu » ; il possède une divinité participée, mais non pas la divinité première. À côté et au-dessous de celui qui seul est le Dieu (avec l’article qui indique la pleine et exclusive possession de la divinité), qui est

DICT. DE THBOL. CATHOL. T. — XV. — 52. aÙTOÔeôç, aÙToaXrjGeia, aù-roayaOéç, il y a place pour celui qui est un second Dieu et à qui conviennent seulement les qualificatifs de véritable et de bon. Est-ce à Philon qu’Origène doit cette théorie ? on l’a prétendu parfois, mais ce n’est pas très sûr. Pourquoi ne pas reconnaître qu’elle était en quelque sorte exigée par l’ensemble de son système et par sa méthode d’exégèse ?

Lorsque, par exemple Origène apprend par les Écritures que le Fils est l’image du Dieu invisible, ne sera-t-il pas amené à spéculer sur la nature de l’image qui reproduit son modèle, mais qui en diffère et qui lui est manifestement inférieure ? Saint Jérôme lui attribue cette formule : « Le Fils, image du Père invisible, comparé au Père n’est pas la vérité ; par rapport à nous, qui sommes incapables de recevoir la vérité du Père, il est comme l’image de la vérité. » Nous voudrions savoir si Jérôme traduit textuellement la phrase d’Origène ou s’il la commente, et nous pouvons hésiter d’autant plus que, petit à petit, on finit par attribuer au maître d’Alexandrie les paroles suivantes, qui sont certainement un faux : « Par rapport à nous, le Fils de Dieu est vérité ; par rapport au Père, il est mensonge. » En toute hypothèse, la doctrine de l’image devait amener Origène à déclarer que le Fils de Dieu n’était pas la vérité en elle-même, ce qui est la caractéristique exclusive du Père.

Ailleurs, Origène explique de la même façon que l’action des personnes divines est différente selon le rang qu’elles occupent : « Examinons pourquoi celui qui est régénéré dans le baptême a besoin pour être sauvé du concours de la Trinité tout entière et ne saurait devenir participant du Père et du Fils sans le Saint-Esprit. II nous faut pour cela décrire l’opération spéciale du Saint-Esprit comme aussi celle du Père et du Fils. Je pense que Dieu le Père, embrassant toutes choses, atteint chacun des êtres et que, comme il est l’Être, il leur donne à tous d’être. Inférieur au Père est le Fils, dont l’action s’étend aux seuls êtres raisonnables, car il vient au second rang après le Père. Inférieur encore est le Saint-Esprit dont l’action n’atteint que les saints. Ainsi, à ce point de vue, plus grande est la puissance du Père par rapport au Fils et au Saint-Esprit ; plus grande est celle du Fils, par rapport au Saint-Esprit. » De princ, I, iii, 5, P. G., t. xt.col. 150 ; Kœtschau, p. 54-56.

A un autre endroit, Origène se pose le problème de la prière. À qui, se demande-t-il, doivent s’adresser nos prières ? « Si nous entendons ce qu’est l’oraison, peut-être verrons-nous qu’il ne faut prier ainsi aucun être produit, et pas même le Christ, mais seulement le Dieu de l’univers et le Père, que notre Sauveur lui-même priait et qu’il nous enseigne à prier… En effet, si le Fils est distinct du Père par l’essence et le suppôt, il faut prier ou bien le Fils et non le Père, ou bien tous les deux, ou bien le Père seul. Prier le Fils et non le Père, tout le monde conviendra que ce serait faire une chose absurde et aller contre l’évidence. Si nous prions les deux, il faudra, dans nos prières, dire au pluriel : « Donnez, faites, accordez, sauvez, et ainsi de suite » : ce sont des formules choquantes et que nul ne pourrait trouver dans l’Écriture. Il reste donc qu’il ne faut prier que Dieu, le Père de l’univers, mais sans le séparer toutefois du grandprêtre qui a été établi avec serment par le Père, selon qu’il est écrit. » De orat., xv, 1.

La conclusion est claire : il ne faut pas prier le Christ, mais seulement le Père par le Fils qui a été établi comme médiateur.

On pourrait sans peine multiplier les citations : « Le Christ est la vie, mais celui qui est plus grand que le Christ est plus grand que la vie. » In Joan., XIII, iii, 19. « Autant Dieu, le Père de la vérité, est plus grand et plus haut que la vérité et, étant le Père de la sagesse, supérieur à la sagesse et au-dessus d’elle, autant i ! dépasse la lumière véritable. » Ibid., II, xxiii, 151. « Ne faut-il pas dire que le Monogène et le premier-né

de toute créature est l’essence des essences et l’idée des idées et le principe, et que son Père et Dieu est audelà de tout cela ? > Conl. Cels., VI, G4.

Dans l’Évangile, Jésus refuse pour lui la qualification de bon et déclare que Dieu seul est bon. Origène s’empare de cette déclaration pour mettre en relief la supériorité du Père sur le Fils : « Le Père est bon : le Sauveur est l’image de sa bonté. » In Joan., VI, lvii, 295. « Il est l’image de sa bonté et le reflet, non pas de Dieu, mais de la gloire de Dieu et de sa lumière éternelle, et la vapeur, non pas du Père mais de sa puissance, et l’épanchement pur de sa gloire toute-puissante et le miroir de son énergie. » Ibid., XIII, xxv, 151-153. « La volonté, qui est en lui, est l’image de la volonté première et la divinité, qui est en lui, est l’image de la divinité véritable ; et, étant l’image delà bonté du Père, il dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? » Ibid., XIII, xxxvi, 234. « Il devait donc prier pour la résurrection de Lazare et le Père, le Dieu qui est le seul bon, prévint sa prière. » Ibid., XXVIII, vi, 42.

On voit, dans ces derniers textes, l’influence que l’Écriture a pu exercer sur l’esprit du maître alexandrin. N’est-ce pas en partie parce qu’il se trouve en présence d’une formule scripturaire à expliquer qu’Origène est amené à mettre en relief la subordination du Fils de Dieu ? Pourtant il y a autre chose et l’on ne saurait guère hésiter à voir dans cette idée un des principes philosophiques qui guident le plus fortement l’esprit d’Origène. La transcendance de Dieu est, pour lui, une vérité incontestable ; Dieu transcendant et unique a besoin, en quelque sorte, du Verbe pour entrer en rapport avec le monde. Sans doute le Verbe n’appartient pas à la catégorie du créé ; il est Dieu d’une certaine manière, ou tout au moins divin. Mais il n’est pas placé sur le même rang que le Père.

Certains passages rendent même un son plus inquiétant encore. Origène ne dit-il pas que le progrès de l’âme mystique ne doit pas s’arrêter au Christ mais atteindre le Père lui-même ? S’il en est ainsi, on ne voit plus quel serait le rôle du Sauveur, puisqu’il deviendrait possible de se passer de lui : « Vous pouvez vous demander s’il arrivera un temps où les anges verront par eux-mêmes ce qui est dans le Père et ne le regarderont plus à travers un intermédiaire et un serviteur : lorsque celui qui voit le Fils voit le Père qui l’a envoyé, on voit dans le Fils le Père ; mais quand on verra comme le Fils voit le Père et ce qui est dans le Père, on aura pour ainsi dire comme le Fils la vision immédiate du Père et de ce qui est dans le Père, sans avoir besoin de concevoir par l’image ce que l’image représente. Et je pense que cela c’est la fin, quand le Fils remettra la royauté à Dieu, au Père, quand Dieu sera tout en tous. » In Joan., XX, vii, 47. Il n’y a pourtant pas lieu d’épiloguer sur des passages de ce genre. Ici surtout, on se rend compte du rôle prépondérant joué par un texte scripturaire dont l’interprétation est difficile. Origène doit expliquer ce texte ; et, se trouvant embarrassé pour le faire, il propose un commentaire à titre d’hypothèse. Il donne l’impression d’être le premier à reconnaître la fragilité de son exégèse et d’attendre, de solliciter même une explication plus satisfaisante.

On a essayé parfois d’étendre la même indulgence à la plupart des textes subordinatiens d’Origène. « On n’appuiera pas sur eux, écrit par exemple J. Tixeront, un jugement trop sévère pour l’orthodoxie trinitaire d’Origène, si l’on remarque que plusieurs peuvent très bien s’expliquer, et sans beaucoup d’efforts, d’une façon acceptable ; que l’incorrection des autres vient plutôt de termes employés qu’elle ne tient à la pensée de l’auteur ; qu’il est juste enfin, dans le doute, de le faire bénéficier de ses déclarations fermes et précises, formulées ailleurs… Ajoutons qu’il s’est plaint luimême que certains de ses ouvrages eussent été falsifiés par les hérétiques, ou même eussent été publiés par des zélateurs indiscrets avant qu’il y eût mis la dernière main. Ce sont là des circonstances qui, si elles ne le justifient pas complètement, atténuent singulièrement la gravité des accusations portées contre lui. » La théologie anlénicéenne, p. 309.

On pourrait encore souligner ce fait que, de la plupart des traités d’Origène et du De principiis en particulier, nous n’avons plus que des traductions latines. Nous savons, par Rufin lui-même, que la version du De principiis a été plus ou moins fidèle et que le traducteur s’est préoccupé de la rendre ici et là conforme à l’orthodoxie nicéenne. La version de saint Jérôme est presque entièrement perdue : les fragments que nous en connaissons suffisent à montrer sa partialité en sens inverse : au lieu de chercher à excuser Origène, saint Jérôme s’était efforcé de le noircir, supprimant les atténuations, les formules dubitatives que le docteur alexandrin aimait à multiplier, etc. Ces circonstances rendent plus difficile l’interprétation exacte de la pensée d’Origène ; elles ne la rendent pas impossible. Lorsqu’il s’agit de la Trinité, il faut surtout mettre en relief l’attachement d’Origène à la règle de foi qui affirme l’existence d’un seul Dieu en trois hypostases ; il faut souligner son opposition au modalisme sous toutes ses formes et la fermeté de sa croyance à la divinité vraie du Fils et du Saint-Esprit qu’il place bien au-dessus de l’ordre des choses créées. Il faut pourtant ajouter qu’il n’évite pas l’écueil du subordinatianismc et que, en ce sens du moins, il paraît avoir été l’un des précurseurs de l’hérésie arienne.


III. L’AFFAIRE DES DEUX DENYS. —

Contre le même écueil vient encore donner un des plus illustres disciples d’Origène, Denys, qui devint évêque d’Alexandrie après la mort d’Héraclas, en 247.

Le sabellianismc, après sa condamnation parle pape Calliste, n’avait pas pu se développer en Occident : c’est sur un plan différent, nous l’avons vii, que se meut la doctrine d’Artémon et des hérétiques réfutés par Novaticn. En Orient au contraire, ses destinées furent plus longues. Nous savons qu’en 244, Origène fut appelé à intervenir à Bostra pour ramener à l’orthodoxie l’évêque de cette ville, Bérylle. Eusèbe, H. E., VI, xxxin. Quelle était au juste l’erreur de Bérylle ? il est difficile de le savoir. Eusèbe nous dit seulement que Bérylle osait enseigner que le Sauveur n’existait pas avant l’incarnation dans son être propre et qu’il n’avait pas eu une divinité à soi, mais seulement la divinité du Père renfermée en lui. Ces formules pourraient désigner aussi bien un adoptianiste qu’un monarchien et nous n’avons pas à rechercher ici d’inutiles précisions. Il semble d’ailleurs que l’affaire de Bostra n’ait pas dépassé les bornes d’un incident local, (/intervention d’Origène suffit à rétablir la paix et à ramener l’évoque à l’orthodoxie. Au plus faut-il retenir cette leçon que, jusque dans la province d’Arabie, les problèmes relatifs à la Trinité étaient ouvertement posés dans l’Église. Au lieu de rester matière de controverses privées entre les théologiens, ils sont désormais discutés au grand jour. N’est-ce pas comme un signe avant-coureur des luttes du ive siècle ?

1° Intervention de Denys d’Alexandrie dans la Pentapole. —

(/est dans la Pcntapole surtout qu’aux environs de 250, ces problèmes excitent, le plus d’intérêt. Bit-ce Sabellius lui-même qui est venu annoncer son etTeur dans ce pays ? ou quelques-uns de ses disciples en ont-ils été les prédicateurs ? En tout cas, le sabellianismc a gagné à lui beaucoup d’âmes, sous une forme assez différente d’ailleurs de celle qu’il av : iit revêtue à Rome aux débuts du siècle. Il enseigne i n effet que Dieu est une monade simple et Indivisible, à la fois l’ère et Fils, d’où le nom d’ul (JUS l’quel

on peut le désigner. En tant que créateur du monde, il prend le nom de Verbe. Le Verbe c’est donc Dieu créateur et se manifestant par la création ; il suit que Dieu demeure Verbe aussi longtemps que dure le monde créé.

Il faut ajouter que Dieu se fait connaître aux hommes sous trois aspects : dans l’Ancien Testament comme créateur : c’est le Père ; dans le Nouveau Testament comme rédempteur : c’est le Fils, et comme sanctificateur : c’est l’Esprit-Saint. Le Père, le Fils et l’Esprit ne sont d’ailleurs pas des personnes distinctes ; ce ne sont que des noms du même être : wç eîvoct êv [iia ÛTTooTàosi Tpeïç ôvofiaciaç. Remarquons encore que chacun des trois états de Dieu est transitoire : l’uEoTOiTwp cesse d’être Père lorsqu’il s’incarne et devient Fils ; il cesse d’être Fils dès qu’il apparaît comme Saint-Esprit : telle est du moins l’interprétation de saint Épiphane, Hæres., lxii, 3 ; est-ce vraiment la doctrine des premiers sabelliens, ou bien ceux-ci insistaient-ils sur le caractère impersonnel et purement nominal des différentes manifestations de la monade divine ? il est difficile de le préciser. La première interprétation s’accorde mieux avec ce que nous croyons savoir du double mouvement d’expansion, TtXaTi>(T( !.6( ;, et de retrait, (tucttoXt), que les sabelliens affirmaient se produire dans la monade ; encore ce dernier point est-il loin d’être clair. Somme toute, ce qui caractérise l’erreur sabellienne, c’est la prédication d’une divinité unique qui se manifeste de trois manières différentes, sous trois apparences successives, sans que l’on puisse parler ni de personnes distinctes, ni de primauté ou de subordination entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, puisque ceux-ci ne diffèrent que parle nom.

L’enseignement des sabelliens dans la Pcntapole ne tarda pas à faire scandale et saint Denys qui, comme évêque d’Alexandrie, exerçait sur ce pays sa juridiction, se vit obligé d’intervenir. Il écrivit plusieurs lettres pour réfuter l’erreur, mais l’une d’elles, adressée à deux évêques, Ammonius et Euphranor, fut trouvée à son tour contraire à l’orthodoxie et déférée au jugement du siège romain (vers 259-260).

Denys y prenait naturellement le contre-pied du sabellianisme et insistait sur la distinction des personnes en Dieu. D’où les reproches qu’on lui adresse : d’avoir trop séparé et divisé le Fils d’avec le Père : Statpeï xal [iaxpùvei xal |xep[Çet tov Yîov àrcè toû ITaTpoç ; de nier l’éternelle paternité de Dieu et l’existence éternelle du Fils : oùx àel - ?jv ô 0eoç naTrjp* oùx àel ^v ô l’l6ç.., ^v îtote ôre oùx 9)v, où yàp àtSiéç èo-riv ; de ne pas dire que le Christ est consubstantiel à Dieu : wç où XéyovToç tôv Xpifsxôv ô ; jiooù(Tiov eTvoci tcô 0ecj> ; enfin de faire du Fils un simple fils adoptif, une créature étrangère au Père par sa nature et de se servir, pour exprimer leurs rapports, de comparaisons choquantes telles que : le Père est le vigneron, le Fils est la vigne ; le Père est le charpentier, le Fils est la barque qu’il a construite : izolrnia. xal yevv ; TÔv eTvai tov Yl6v toû (-leoiï, iavjte 8è (pùoei ïSiov, àXXà ^évov xar’oùatav aÙTOv sTvai toO ITarpoç, &(TTcep èriTÎv ô yewpyôç rcpoç t6v ^[atêXov xal ô vau7T7)y6ç Ttpoç to erxàcpoç, xal yàp wç Trotta tfiv oùx ^v rplv yévr-ai. Cf..1. Tixeront. La théologie anlénicéenne, p. 485-486.

Nous connaissons tons ces griefs par le De senlrnlia Dionysii de saint Athanase qui a dû venger son prédéur des accusations des ariens, avides de se couvrir de "n autorité. Ils sont assurément graves, et tout l’arianisme est contenu, plus qu’en germe dans les formules de l’évêquc d’Alexandrie. On pent se d. mander où celui-ci a emprunté ses théories : non voyons bien qu’elles sont dans la ligne de la pensée nifcte, mai.’Mes sont beaucoup plus audacieuses, puhqu’Orlgène ne semble pas avoir jamais enseigné

que le Fils de Dieu était une créature et qu’il y avait un temps où il n’existait pas. Il est probable que les exigences, vraies ou supposées, de la controverse ont entraîné saint Denys beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait fallu. D’ailleurs, nous ne devons pas oublier que nous ne possédons plus le texte complet de la lettre à Ammonius et à Euphranor, mais seulement les passages les plus suspects, ceux qui ont été cités par des adversaires. Ce n’est pas dans ces conditions que nous sommes assurés de trouver ici la vraie pensée de l’évêque d’Alexandrie, du moins sa pensée entière.

2° Réplique du pape Denys. —

En tout cas, nous savons que la lettre de saint Denys fut dénoncée à Rome. Le pape, saint Denys, fut ému de sa lecture et aussitôt il envoya deux lettres à Alexandrie : l’une, privée, à l’adresse de l’évêque, lui demandait des explications ; l’autre, publique, formulait la véritable doctrine.

Saint Denys de Rome commençait par condamner le sabellianisme. Puis il ajoutait :

t Je dois m’adresser ensuite à ceux qui divisent, qui séparent, qui suppriment le dogme le plus vénérable de l’Église de Dieu, la monarchie, en trois puissances ou hypostases séparées et en trois divinités. Car j’ai appris que, parmi ceux qui, chez vous, sont catéchistes et maîtres de la doctrine divine, il y en a qui introduisent ces opinions, qui sont pour ainsi dire diamétralement opposées à la pensée de Sabellius. Son blasphème à lui, c’est de dire que le Fils est le Père et réciproquement ; mais eux prêchent en quelque façon trois dieux, divisant la sainte unité en trois hypostases étrangères entièrement séparées. Car il est nécessaire que le Verbe divin soit uni au Dieu de l’univers et il faut que l’Esprit-Saint ait en Dieu son séjour et son habitation. Et il faut de toute façon que la Sainte Trinité soit récapitulée et ramenée à un seul comme à son sommet, je veux dire le Dieu tout-puissant de l’univers, car couper et diviser la monarchie en trois principes, c’est l’enseignement de Marcion l’insensé ; c’est une doctrine diabolique, et non de ceux qui sont vraiment disciples du Christ et qui se complaisent dans les enseignements du Sauveur. Car ceux-là connaissent bien la Trinité prêchée par l’Écriture divine, mais ils savent que ni l’Ancien Testament ni le Nouveau ne prêchent trois dieux. »

Le pape expose ensuite le dogme de la génération éternelle du Fils ; puis il conclut : « Il ne faut donc pas partager en trois divinités l’admirable et divine unité, ni abaisser par ( l’idée de) production la dignité et la grandeur excellente du Seigneur, mais croire en Dieu le Père tout-puissant et au Christ Jésus son Fils et au Saint-Esprit ; et (croire que) le Verbe est uni au Dieu de l’univers. Car il a dit : « Moi et mon Père nous sommes une seule chose » et : « Je suis dans le Père et le Père « est en moi. » C’est ainsi qu’on assure la Trinité divine et en même temps la sainte prédication de la monarchie. » Cité par Athanase, De decretis Nicœnæ synodi, xxvi, P. G., t. xxv, col. 461-465.

Le document romain est des plus remarquables. Il faut, avant tout, en souligner l’allure ferme et décisive. Le pape ne discute pas ; il n’apporte pas d’autre argument que quelques textes de l’Écriture Sainte. Il affirme la doctrine traditionnelle, dont il a pleine conscience d’être le gardien autorisé. Il faut tenir cette doctrine si l’on ne veut pas être rangé au nombre des hérétiques, et il est inutile de tergiverser à ce sujet. Déjà nous avions pu remarquer, dans la formule du pape Calliste, un ton semblable d’autorité. Les décisions de Denys sont toutes marquées du même sceau.

D’autre part, saint Denys affirme avec une égale netteté la monarchie divine et la trinité. Ce sont là les deux termes semblablement assurés de la doctrine traditionnelle. L’Église a enseigné et enseigne qu’il n’y a qu’un seul Dieu, mais que le Père, le Verbe (ou le Fils) et le Saint-Esprit sont Dieu. Comment cela ? Évidemment ici réside le mystère et le pape ne cherche pas à le résoudre. Il réprouve le sabellianisme, et en cela il est fidèle à recueillir l’héritage de Calliste, mais il insiste comme de juste sur la condamnation du trithéisme et de tout ce qui lui ressemble, du subordinatianisme en particulier.

Telle est bien la tendance romaine, depuis que nous l’avons vue se manifester. Les simples fidèles, à Carthage et à Rome, au dire de Tertullien, se posaient comme les défenseurs de la monarchie. Saint Zéphyrin, saint Calliste, saint Denys leur donnent au fond raison ; et leurs déclarations appuient sur l’unité divine, plus, semble-t-il, que sur la trinité des personnes. C’est que les papes se défient des élucubrations des théologiens privés sur le Verbe et sur ses rapports avec le Père : on ne saurait oublier que ni saint Justin, ni Tertullien, ni saint Hippolyte, ni Novatien, ni Origène, n’appartiennent à la hiérarchie ; ils n’ont pas officiellement mission de sauvegarder et d’enseigner la doctrine traditionnelle ; ils ont plus de liberté pour poursuivre leurs recherches, mais ils courent aussi le risque de se tromper. Après Zéphyrin et Calliste, le pape Denys tient à sauvegarder l’unité de Dieu. Par suite, il n’accepte pas que l’on parle de trois hypostases dans la Trinité : ce mot lui paraît dangereux parce qu’il inclut une division, une séparation ; les hypostases ne sont-elles pas nécessairement étrangères l’une à l’autre et séparées l’une de l’autre ? Nous avons signalé qu’Origène n’avait pas redouté le terme litigieux. Aussi bien finira-t-il par être reçu dans l’usage courant, après explications et éclaircissements, mais il faudra de longues discussions avant qu’il en soit ainsi.

Dans la partie conservée de la lettre de saint Denys de Rome, il n’est pas fait mention de rô(i.ooumoç. Le pape n’employait-il pas ce mot ? ou bien saint Athanase a-t-il omis les lignes qui pouvaient lui être consacrées ? Nous ne le savons pas. La chose est pourtant d’importance ; car nous voudrions être fixés autant sur le sens précis de l’expression que sur son origine. On a beaucoup dit que le terme consubstantiel, appliqué à la Trinité, était de provenance romaine et il est sûr que Tertullien emploie des formules qui sont du moins très voisines, qui pourraient même être la traduction latine du mot grec, mais nous ne possédons pas de documents romains qui le contiennent et cela est regrettable. En toute hypothèse, si les adversaires de saint Denys d’Alexandrie lui reprochent de ne pas se servir du mot « consubstantiel », si l’évêque se croit obligé de répondre à ce grief et de justifier son silence, ce ne peut être que parce que le terme était dès lors entré dans l’usage courant et que, dans certaines Églises tout au moins, on le regardait comme nécessaire.

Ces Églises ne sont probablement pas à chercher en Orient. Nous avons déjà rappelé, col. 1628, que le concile d’Antioche, rassemblé contre Paul de Samosate, a rejeté l’ôfxooiiaioç, et nous verrons que le concile de Nicée témoignera de peu d’enthousiasme à l’égard d’un terme qui lui semblera insuffisamment précis. Il n’est d’ailleurs pas probable qu’Origène ait employé la formule : les témoignages que nous avons à ce sujet, même celui de Pamphile dans V Apologie, ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Ci-dessus, col. 1641. C’est en Occident que doit être cherché le centre de diffusion du " consubstantiel » ; et, parmi les Églises d’Occident, une seule avait assez d’autorité pour proposer le mot avant même de l’imposer, l’Église romaine. Lors donc qu’on écrit, à propos de la lettre de saint Denys de Rome : « De l’ôji.ooûaioç, il ne disait rien : le mot était nouveau et, si son collègue d’Alexandrie l’évitait, le pape, lui, ne voulait pas l’adopter », on formule une conclusion que n’autorise pas l’état actuel de nos documents. Cf. J. Tixeront, La théologie anténicéenne, p. 487. Explications de Denys d’Alexandrie. —

Sommé de se justifier, saint Denys d’Alexandrie répondit au pape par deux lettres. La première, écrite très rapidement, n’était guère qu’un accusé de réception et une ébauche. La seconde, composée à loisir et intitulée ëXeyxoç xocl â7ïoXoYt « , comprenait quatre livres : c’était une justification en règle. Saint Athanase, dans le De sententia Dionysii, nous en a conservé des fragments. Texte dans P. G., t. xxv, col. 480-521.

Denys se défend d’abord de nier l’éternité du Fils. Loin de la nier, il l’a affirmée au contraire de la manière la plus claire : n’a-t-il pas dit que Dieu est la lumière éternelle ? Or, si le Fils est l’éclat de cette lumière, comment ne serait-il pas éternel, puisque la lumière n’est jamais sans son éclat ? où yàp ?jv Ôxe ô 6eoç oûx 9jv roxTTJp… Ôvtoç o&v altovtou toû Ilarpôç oûwvioç ô ul6ç êerd, <pâ>ç èx çwroç &v. De sentent. Dionysii, 15, col. 504. L’argument est valable ; mais, si saint Denys l’avait en effet employé dans sa première lettre, nous ne comprenons guère les objections de ses adversaires.

Sur la seconde difficulté, celle tirée de la négation du consubstantiel, Denys remarque que, sans doute, il lui est arrivé en passant d’employer des comparaisons impropres pour représenter les relations du Père et du Fils ; il rejette ainsi les métaphores du charpentier et du vigneron, mais il ajoute qu’il a aussi employé des images plus correctes, celles des parents et des enfants, de la racine et de la plante, de la source et du fleuve. Que si, par ailleurs, il ne s’est pas servi du terme consubstantiel, c’est parce qu’il ne l’a pas trouvé dans l’Écriture : les Pères de Nicée reprendront, sans succès d’ailleurs, le même argument. Il revient ensuite sur la comparaison de l’esprit et de la parole, classique depuis saint Justin et suggérée par le nom de Verbe donné au Fils : « L’esprit, dit-il, produit la parole et se manifeste en elle : la parole révèle l’esprit dans lequel elle est produite ; l’esprit est comme la parole immanente ; la parole est l’esprit s’élançant au dehors. Ainsi l’esprit est comme le père de la parole et existe en elle ; la parole est comme la fille de l’esprit… Ils sont l’un dans l’autre, bien qu’ils soient distincts l’un de l’autre : ils sont un, quoi qu’ils soient deux, ëv elaiv, Ôvteç Sûo. Ainsi le Père et le Fils ont été dits être un et l’un dans l’autre. De sentent. Dionysii, 23, col. 513.

L’accusation de séparer et de diviser le Père d’avec le Fils n’a pas plus de fondement : « C’est ainsi, répond Denys, que nous étendons en Trinité l’indivisible unité et que nous ramenons à l’unité la Trinité incapable de diminution. » Enfin, l’on ne saurait dire que Dieu est le créateur et le démiurge du Fils ; et Denys proteste de toutes ses forces contre ce grief. Dieu est le Père, non le créateur de son Fils. Le mot 7ïoit)tt)ç est d’ailleurs susceptible d’un sens large : ne dit-on pas que les auteurs sont les créateurs de leurs œuvres, de leurs discours, bien qu’ils en soient réellement les pères ? De sentent. Dionysii, 20-21, col. 509.

La lecture de l’apologie de saint Denys, telle que nous la font connaître les fragments conservés par saint Athanase, nous laisse une impression assez mélangée. Nous ne pouvons guère croire que l’évêque d’Alexandrie avait su éviter toute équivoque, peut-être toute erreur, et son plaidoyer n’est pas d’une égale valeur dans toutes ses parties. En tout cas, cette apologie n’a pas la vigueur et la fermeté de la lettre romaine : elle discute, elle ergote, elle se plaît à développer des arguments et cela nous déconcerte quelque peu. Nous ignorons comment finit l’histoire. Il est probable que saint Denys de Rome se déclara satisfait de la lettre de l’évêque d’Alexandrie et il avait le droit de l’être. Même si, dans son désir de mieux réfuter les sabelllens, Denys d’Alexandrie avait exagéré en sens inverse, sa justification était loyale, sincère, totale. De la controverse, il ne resta qu’un souvenir qui devait d’ailleurs être évoqué longuement au siècle suivant.



IV. la fin du IIIe siècle.

Les dernières années du iiie siècle sont parmi les plus obscures dans l’histoire de l’Église ancienne et il ne semble pas qu’elles aient été marquées par d’importantes controverses théologiques. Après l’affaire des deux Denys, après la condamnation de Paul de Samosate par le concile d’Antioche de 268, la position de l’Église par rapport au dogme trinitaire et à ses expressions semble fixée. Il est évident que tout le monde admet l’unité de Dieu et il ne l’est pas moins que tout le monde admet aussi l’existence du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Bien plus, on ne discute pas sur la divinité du Fils et du Saint-Esprit. Il peut arriver que certains théologiens les rangent au nombre des choses produites, Yev7)T(&, ou même des choses créées, xtCctoc. Mais il faut bien comprendre le sens de ces termes : ils signifient avant toute autre chose que seul le Père est sans principe, àyévrjToç, et qu’il est par contre le principe du Fils engendré par lui et du Saint-Esprit procédant de lui. En un certain sens, puisque le Fils et le Saint-Esprit proviennent du Père, le Père est plus grand qu’eux et l’on peut ainsi parler de leur infériorité, de leur subordination. Mais celle-ci est toute relative et elle ne suffit pas à installer le Fils et l’Esprit-Saint dans la sphère des choses créées. Le mot xtCo-jzoc lui-même ne doit pas faire illusion. Lorsqu’on l’emploie, on songe au fameux passage du livre des Proverbes, viii, 22, dans lequel la Sagesse se présente comme créée par Dieu, principe de ses œuvres. Si l’Écriture elle-même, dans la version autorisée, certains disaient même inspirée, des Septante, parle de création, comment hésiterait-on devant ce mot ? Mais il ne faut pas l’entendre comme si le Verbe et l’Esprit étaient réellement des créatures semblables à celles qui constituent l’univers. Leur sphère est bien celle de la divinité. Origène et saint Denys d’Alexandrie sont formels sur ce point.

Un progrès réel a été accompli lorsqu’on a laissé définitivement tomber la distinction, chère aux apologistes et à saint Hippolyte, du Verbe immanent et du Verbe proféré. Cette distinction, empruntée à la philosophie, avait plutôt obscurci le mystère qu’elle ne l’avait éclairé, en obligeant les théologiens à admettre l’existence d’un changement réel dans l’immuable divinité. Il est désormais entendu que, de toute éternité, le Père, le Verbe et le Saint-Esprit existent sans changement et sans altération : les sabelliens, qui introduisent dans la monade divine une SiàXeÇiç, double mouvement de dilatation et de resserrement, sont condamnés aussi bien à Rome qu’à Alexandrie et à Antioche.

Tous les problèmes sont d’ailleurs loin d’être résolus et entre les écoles théologiques subsistent de graves divergences. En Orient, sous l’influence, semble-t-il, des enseignements d’Origène, on insiste plutôt sur la trinité des personnes. On déclare volontiers qu’il y a en Dieu trois hypostascs et ce terme, fréquemment employé chez Origène, n’est pas sans inconvénient, puisqu’il tend à faire croire que ces hypostases sont réellement séparées et en quelque manière indépendantes l’une de l’autre : il y aura lieu d’en préciser le sens, dans son application au mystère trinitaire. A Rome et en Occident, on envisage plutôt le point de vue de l’unité divine, et c’est sur cette unité, cette monarchie, qu’on met l’accent. Le mot persona qu’emploie Tcrtullicn est assez souple pour se concilier parfaitement avec la monarchie. D’ailleurs, on éprouve moins de goût à Rome qu’à Alexandrie pour la spéculation. Saint Denys de Rome, le représentant le plu autorisé de l’Église universelle au milieu du tn**lècl<. est aussi le plus ferme soutien de la tradition pun et simple. S’il entre en conflit avec son homonyme d’Alexandrie, c’est parce qu’il ne voit pas la nécessité d’éclairer le mystère par l’emploi de figures ou de métaphores empruntées à la vie humaine et toujours imparfaites : les formules de l’Écriture et celles de la tradition lui suffisent.

Les derniers docteurs du iiie siècle se contentent en général de reprendre les formules en usage de leur temps, surtout celles qu’a vulgarisées Origène, ce qui d’ailleurs vaudra plus tard à leur mémoire de graves reproches. A Alexandrie, Théognoste et Piérius sont les maîtres les plus en vue. Théognoste qualifie le Fils de κτίσμα, au dire de Photius, Biblioth., cod. 106, P. G., t. ciii, col. 373, et il borne son influence aux seuls êtres raisonnables, λογικά. Pourtant, il déclare en même temps que le Fils est ἐκ τῆς τοῦ Πατρὸς οὐσίας et qu’il possède avec le Père une ressemblance pleine et entière selon la substance : ἔχων τὴν ὁμοιότητα τοῦ Πατρὸς κατὰ τὴν οὐσίαν… πλήρη, ἀκριβῆ. F. Diekamp, Ein neues Fragment aus den Hypolyposen des Alexandriners Theognostus, dans Theol. Quartalschr., t. lxxxiv, 1902, p. 481-494 ; cf. Athanase, De décret, nicœnæ synodi, 25. Il est accusé, encore par Photius, de rabaisser la personne du Saint-Esprit, de la subordonner au Père et au Fils, de la ranger au nombre des créatures sujettes, Photius, loc. cit., et il est probable que certaines de ses formules étaient suspectes ; mais saint Athanase cite son témoignage en faveur de la divinité du Saint-Esprit : selon lui, Théognoste, bien loin de rabaisser l’Esprit-Saint s’applique au contraire à montrer qu’on aurait tort de conclure à sa supériorité sur le Père et le Fils de ce qu’il habite dans les parfaits, c’est-à-dire les chrétiens baptisés et de ce que les péchés commis contre lui sont irrémissibles. Epist. ad Serap., iv, 11, P. G., t. xxvi, col. 652. Nous concluons de ces témoignages que Théognoste s’attachait surtout à l’interprétation de l’Écriture et qu’il était possible de tirer de ses explications des témoignages assez différents en apparence : la conciliation qui se faisait dans son esprit ne pouvait évidemment pas être faite par ses adversaires.

Nous sommes moins renseignés sur Piérius. Photius, cod. 119, assure que, malgré certains archaïsmes de langage, la doctrine de Piérius sur le Père et le Fils était exacte, mais qu’elle laissait à désirer sur l’Esprit-Saint en qui il voyait une simple créature.

Méthode d’Olympe est surtout connu par son opposition à l’origénisme. Il déclare que le Verbe est le Fils de Dieu, par qui tout a été fait, De sanguisuga, vu, 3 non pas le fils adoptif, mais le Fils éternel qui n’a jamais commencé et ne cesse jamais d’être Fils, Conviv., viii, 9, Verbe avant tous les temps, à qui l’on adresse des prières, Conviv., iii, 4 ; vii, 1 ; xi, 2. Il voit dans le Saint-Esprit une ἐκπορευτὴ ὑπόστασις qui sort du Père, comme Eve est sortie d’Adam, qui est par conséquent de sa substance. Fragm., iv, éd. Bonwetsch, p. 355. Les témoignages de Méthode sont importants à recueillir, parce qu’ils ne sont pas fournis dans des ouvrages de controverse ; ils expriment la foi courante et traditionnelle. Il faut cependant rappeler que Photius, Biblioth., cod. 237, dénonçait chez l’évêque d’Olympe certaines formules arianisantes et les expliquait en supposant que le texte du Banquet avait pu être altéré. En fait, ces formules étaient seulement moins précises que ne l’eût exigé le formalisme du patriarche.

Saint Grégoire le Thaumaturge résume en quelque sorte tout l’enseignement de cette dernière période, et il sera permis de citer par manière de conclusion sa profession de foi. L’authenticité de cette formule est généralement admise : il serait déplacé d’en reprendre ici l’examen. Cf. sur ce point : L. Froidevaux, Le symbole de saint Grégoire le Thaumaturge, dans Recherches de science religieuse, t. xix, 1929, p. 191 sq. Voici ce texte :

« Un seul Dieu, Père du Verbe vivant, de la Sagesse subsistante,

de la] Puissance, de l’empreinte éternelle, qui a engendré parfaitement un Fils parfait.

Un seul Seigneur, unique de l’unique, Dieu de Dieu, empreinte et image de la divinité, Verbe actif, Sagesse qui maintient l’ensemble de l’univers et puissance qui a fait la création universelle, fils véritable du Père véritable, invisible de l’invisible, incorruptible de l’incorruptible, immortel de l’immortel, éternel de l’éternel.

Et un seul Esprit-Saint, ayant de Dieu l’existence et ayant apparu par le Fils, image du Fils, parfait du parfait, vie, principe des vivants, sainteté qui confère la sanctification, en qui se manifeste Dieu le Père qui est au-dessus de tous et en tous, et Dieu le Fils, qui est répandu en tous.

Trinité parfaite, qui n’est ni divisée, ni aliénée dans la gloire, l’éternité et le règne. Il n’y a donc dans la Trinité rien de créé, rien d’esclave, rien d’introduit du dehors, comme n’ayant pas d’abord existé et étant ensuite arrivé à l’existence, car ni le Fils n’a jamais manqué au Père, ni au Fils l’Esprit, mais la même Trinité est toujours restée sans transformation ni changement. »

Cette belle formule est très explicite. Comme l’écrit J. Tixeront, « en affirmant nettement avec la distinction des personnes, leur éternité et leur égalité, l’immutabilité et la perfection non seulement du Père mais aussi du Fils et du Saint-Esprit, elle était contre l’arianisme une protestation d’avance victorieuse. La théologie anténicéenne, p. 491. La foi qu’affirme le symbole du Thaumaturge est bien celle de l’Église ancienne, plus explicite sans doute et plus clairement exprimée qu’elle ne l’est souvent ailleurs, mais sans différence et sans changement. On peut dire que, pour l’heure des grands combats, l’Église est prête à s’opposer à toutes les tentatives de l’hérésie.