Dictionnaire de théologie catholique/SURNATUREL II. Divisions

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 14.2 : SCHOLARIOS - SZCZANIECKIp. 675-676).

II. Divisions.

Surnaturel substantiel et surnaturel participé.

Le surnaturel substantiel est tel par lui-même, indépendamment de toute élévation à un ordre supérieur. On voit par là qu’il ne peut convenir qu’à Dieu seul. C’est donc Dieu lui-même considéré soit dans la vie intime de sa déité, unité de nature et trinité de personnes ; soit dans la communication de l’être personnel du Verbe à la nature humaine dans l’union hypostatique ; soit dans son essence jouant le rôle de forme intelligible pour les intelligences glorifiées élevées à la vision béatifique. Ce surnaturel substantiel est également appelé surnaturel incréé, absolu, par essence, de telle sorte qu’il apparaît évidemment comme dépassant l’ordre de toute nature créée ou créable.

Le surnaturel participé est celui qui élève une nature créée à une certaine participation de l’opération ou de la puissance divine. Il n’a donc pas sa raison d’être en lui-même ; il l’a uniquement en raison d’une certaine participation qui lui est communiquée par Dieu de sa propre nature ou de sa propre puissance : divinæ naturæ consortes. II Petr., i, 4. On l’appelle encore surnaturel créé ou accidentel.

Surnaturel proprement dit ou absolu (simpliciter) et surnaturel par comparaison ou relatif (secundum quid).

Cette distinction est une subdivision du surnaturel participé ou créé. Le surnaturel proprement dit, que nous avons appelé absolu, est celui qui marque l’élévation d’une nature créée à un ordre de vie ou d’activité absolument supérieur à l’ordre de toute nature créée ou créable. Ainsi, la vie de la grâce sanctifiante, la puissance des miracles, la prophétie, certains charismes de la primitive Église (par exemple, le don des langues). Le surnaturel par approximation, que nous avons appelé relatif, est celui qui marque l’élévation d’une nature créée à un ordre de vie ou d’activité supérieur à telle nature particulière : c’est donc par rapport à cette nature déterminée qu’il mérite la qualification de surnaturel. Ce qui est naturel à l’ange devient, relativement à l’homme, quelque chose de surnaturel ; l’intelligence, naturelle à l’homme, serait une faculté surnaturelle relativement à l’animal. C’est à ce surnaturel relatif qu’il faut rattacher le

« préternaturel », par exemple, les dons de la justice

originelle : immortalité conditionnelle du corps, intégrité, impassibilité ; par exemple encore, le merveilleux diabolique.

Surnaturel intrinsèque et surnaturel extrinsèque.

C’est là une subdivision du surnaturel proprement dit ou absolu. Pour bien la comprendre il ne sera pas inutile de l’exposer d’après les considérations proposées par Jean de Saint-Thomas.

Le surnaturel peut convenir à une chose en vertu d’un triple principe : de sa cause efficiente, finale, ou formelle. La cause matérielle doit être éliminée, car elle ne peut que fournir le sujet dans lequel sont reçues les formes surnaturelles : ce sujet, c’est l’âme et ses puissances…

Du côté de sa cause efficiente, une réalité est dite surnaturelle quand elle est produite d’une manière surnaturelle, même si elle est naturelle en elle-même. Ainsi la résurrection d’un mort ou l’illumination d’un aveugle sont surnaturelles en raison de la manière dont elles sont produites, bien qu’en soi la vie humaine et la puissance visuelle soient des réalités d’ordre naturel.

Du côté de sa cause finale, est surnaturel tout ce qui est ordonné vers une fin surnaturelle par un principe qui lui est extrinsèque : ainsi les actes de tempérance ou de toute autre vertu acquise, en tant qu’ils sont ordonnés par la charité au mérite de la vie éternelle, reçoivent de là le mode surnaturel d’une telle ordination à une telle fin. De même l’humanité du Christ acquiert un mode surnaturel d’union au Verbe, auquel elle est ordonnée comme au terme de l’union.

Du côté de sa cause formelle est dit surnaturel tout hubitus ou tout acte qui, en vertu même de la raison formelle qui les spécifie, sont rapportés à un objet surnaturel. C’est là le surnaturel quant à la substance et non plus seulement quant au mode. Jean de Saint-Thomas, De gratia, disp. XX, a. 1, sol., arg. 4. Cf. Suarez. De gratia, l. II. c. iv ; Salmanticenses, De gratia, tr. XIV, aisp. III, dub. iii. n. 21.

1. Dans le surnaturel créé existant en raison de la cause formelle, nous pouvons ranger : dans l’intelligence des élus, la lumière de gloire ; dans l’âme des justes encore voyageurs, la grâce actuelle et habituelle, les vertus infuses, les dons du Saint-Esprit. On peut ajouter l’efficacité sacramentelle, la connaissance par la foi des mystères proprement dits. C’est là le surnaturel quoad subtlantiam, qu’il ne faut pas confondre avec le surnaturel substantiel incréé. On pourrait ici encore distinguer derechef entre surnaturel ordinaire (vie de la grâce et des vertus) et surnaturel extraordinaire (exercice supérieur de ces vertus et des dons du Saint-Esprit). Cf. S. Thomas, IIa-IIæ, q. xlv, a. 5 et Ia-IIæ, q. iii, a. 4, ad 4um.

2. Dans le surnaturel créé existant en raison de la cause finale vers laquelle un principe extrinsèque les dirige, nous rangeons les actes des vertus naturelles, en tant qu’ils sont commandés par la charité et par elle ordonnés à la fin surnaturelle de la vision bienheureuse.

3. Dans le surnaturel créé existant en raison de la cause efficiente, nous ferons rentrer les miracles et les prophéties ainsi que les autres miracles d’ordre moral qu’on a coutume d’apporter en faveur de la démonstration chrétienne (connaissances miraculeuses, charismes de toutes sortes, etc.).

Ces deux dernières spécifications du surnaturel constituent le surnaturel quoad modum.

On peut ainsi établir le tableau schématique suivant (quelque peu différent de celui que propose R. Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 205) :


Surnaturel (ce qui dépasse la nature) :
I. Substantiel (incréé, absolu) : Dieu en lui-même ou dans son rapport, personnel ou essentiel, avec la créature.
II. Accidentel (créé, participé), divinæ naturæ consortes.
Simpliciter (absolu, proprement dit).
1. Quoad substantiam (influence de la cause formelle) : grâce, vertus infuses, sacrements, mystères proprement dits.
2. Quoad modum (influence des causes extrinsèques) :
a) Cause finale : actes naturels commandés par la charité.
b) Cause efficiente : miracles, prophéties (voir ces mots pour les subdivisions).
Secundum quid (relatif ou par comparaison préternaturel).

Conclusion : ordre surnaturel et ordre naturel.

La distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel découle de ce qui vient d’être dit. Les documents du magistère ont à maintes reprises inculqué cette distinction contre Baïus, prop. 34, cf. 36-38, Denz.-Bannw., n. 1034, 1036, 1038 ; contre P. Quesnel, prop. 39, 41, n. 1389, 1391 ; contre le synode janséniste de Pistoie, prop. 23. n. 1523 ; contre Rosmini, prop. 36, 38, n. 1926, 1928. On peut aussi rattacher à ce point de vue, dans l’ordre de la connaissance, la distinction entre l’ordre de la foi (surnaturel), et celui de la raison (naturel). Voir ici Raison, t. xiii, col. 1648.

1. L’ordre naturel est la disposition des différentes natures créées, en tant qu’elles viennent de Dieu comme de leur cause productrice et sont ordonnées vers Dieu, comme vers leur cause finale, sans que l’action de Dieu ajoute quoi que ce soit aux strictes exigences de ces natures. Pour l’homme, l’ordre naturel nous montre Dieu son auteur, cause première de son existence et créateur de son âme raisonnable au moment même de la première animation du corps ; il nous montre également Dieu, sa fin dernière non pas en tant que possédé par l’homme dans la vision béatifique, mais en tant que connu aussi parfaitement qu’il est possible à la raison par son exercice. En suite de cette disposition fondamentale, l’homme doit se diriger lui-même vers sa fin suprême, à l’aide des seules ressources de sa nature et de ses facultés, ses actes étant toutefois soutenus par la notion divine nécessaire et sa persévérance, assurée d’une manière au moins suffisante, grâce aux secours d’ordre naturel que Dieu devrait accorder à l’homme constitué dans l’état de nature pure. Les moyens dont l’homme dans l’ordre naturel dispose pour attendre sa fin sont objectivement les choses naturellement connaissables, subjectivement la lumière de sa raison et l’exercice de toutes ses facultés, principalement de l’intelligence et de la volonté, sous l’influence du concours naturel de Dieu. Enfin la loi de cet ordre est la loi naturelle, inscrite au cœur de tous ; en suivant les prescriptions de cette loi, l’homme acquiert un mérite naturel qui appelle, comme sanction, une récompense naturelle.

2. L’ordre surnaturel est la disposition de tout ce qui, dans les natures créées, dépasse la proportion de ces natures à Dieu, principe et fin de ces perfections surajoutées. Mais ici revient la distinction fortement soulignée plus haut de l’ordre surnaturel quant à sa substance, et de l’ordre surnaturel quant au mode de production de ses effets.

L’ordre surnaturel quoad substantiam est la disposition de toutes les réalités formellement surnaturelles : c’est l’ordre de la vérité et de la vie surnaturelle de la grâce et de la gloire. Dans cet ordre, l’homme a sa fin dernière dans la possession de Dieu, dans la vision intuitive et l’amour béatifiant. Dieu est cause première dans l’ordre de la grâce et de la gloire ; l’homme est cause seconde, grâce à l’élévation de son âme par la grâce sanctifiante, les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit. Les moyens objectifs donnés à l’homme pour atteindre sa fin suprême sont la révélation extérieure proposée par l’Église, les sacrements et tous les moyens extérieurs surnaturels utiles au salut ; les moyens subjectifs sont la lumière intérieure de la foi et l’exercice des vertus surnaturelles sous l’influence surnaturelle de la grâce actuelle. La loi de cet ordre est l’ensemble des préceptes positifs de Dieu dont l’accomplissement prépare l’obtention de la fin surnaturelle.

Ainsi Dieu peut et doit être considéré sous un double aspect : comme auteur et fin de l’ordre naturel, comme auteur et fin de l’ordre surnaturel. Sous le premier aspect, il peut être connu par la raison naturelle et la philosophie et il est atteint sous la raison commune d’Être suprême, de Premier moteur, de Cause première, d’Être nécessaire et premier, ordonnateur de tout l’univers. Sous le second aspect, il ne peut être connu que par la révélation et la foi et il est atteint sous la raison intime de sa déité : c’est notre Père, le Dieu du salut, notre refuge et notre force, etc. Quelle différence entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, entre le Dieu des philosophes et le Dieu des chrétiens ! Cf. Garrigou-Lagrange, 'op. cit., p. 211-212.

III. Rapport avec l’ordre naturel.

On a dit plus haut, col. 2851, que le surnaturel ne s’oppose pas au naturel, mais qu’il le complète et le perfectionne, sans cependant qu’il soit exigé par lui. C’est la doctrine proposée par l’Église, d’une manière expresse dans la définition des rapports de la raison et de la foi.