Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS III. L'institution et le nombre septénaire. 3. L'intention du Christ, formellement attestée par le magistère de l'Eglise

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 277-286).

Une démonstration complète devrait reprendre, pour chaque sacrement, l’enseignement de la tradition. Le travail a été fait ici pour chacun des sacrements. On voudra donc bien se reporter à ces monographies particulières.

Nous ne pouvons, en cet article, que nous en tenir aux affirmations générales du magistère. Ces affirmations peuvent se répartir sur deux périodes : la première va des temps apostoliques au xiie siècle ; la seconde, du xiie siècle à la Réforme et au concile de Trente.

1° Première période : état implicite de la doctrine catholique. —

Il est bien évident que l’Église a usé de ses sacrements bien avant d’en faire la théologie ; elle a vécu son dogme sacramentaire avant de le formuler. La pratique sacramentelle a précédé de beaucoup le travail systématique et celui-ci n’a été qu’une expression parfaitement exacte de celle-là : lex orandi, lex credendi. P. Pourrat, op. cit., p. 234.

Dans cette première période de croyance implicite, deux causes ont empêché l’explicitation de la doctrine des sept sacrements institués par le Christ. La première est l’histoire même du mot sacramentum. La seconde est la formation du concept de symbole efficace. Ce sont les deux points que nous avons développés dans les deux premières parties de cette étude, précisément pour mieux montrer les tâtonnements de la pensée chrétienne.

Tout d’abord « l’histoire du mot sacramentum donne la clé de l’histoire même de la théorie sacramentaire et explique aisément ce qui, au premier abord, paraîtrait à quelques-uns déconcertant et presque incroyable : en fait, il faut attendre jusqu’au xiie siècle pour rencontrer les premières spéculations réfléchies où l’on puisse voir une ébauche consciente du Traité des sacrements en général, une coordination méthodique des éléments qui se présentaient épars et insuffisamment travaillés dans l’œuvre théologique des écrivains antérieurs… On discutait jusqu’alors des problèmes concrets posés par tel ou tel des rites fondamentaux et impliquant, sans que cela fût toujours perçu, une solution générale applicable à tous les cas semblables qu’il aurait fallu soigneusement énumérer : telle la controverse sur le baptême des hérétiques ou sur les réordinations. » F. Cavallera, Le décret du concile de Trente sur les sacrements en général, dans Bulletin de Toulouse, 1914, p. 371.

Ensuite, et la seconde partie de notre étude le démontre, l’enseignement patristique sur la notion de sacrement, symbole efficace de la grâce, n’est pas un enseignement d’ensemble. C’est un enseignement qui porte presque exclusivement sur le baptême et l’eucharistie. C’est presque exclusivement en fonction de ces deux sacrements que s’élabore le concept de symbole efficace. Il a fallu pareillement attendre jusqu’au xiie siècle pour formuler des conclusions générales. Durant la longue période qui va des temps apostoliques au xiie siècle, il est donc impossible de présenter une étude d’ensemble. Il faudra se reporter aux différents articles de ce Dictionnaire, relatifs à chaque sacrement pris en particulier. Nous ne pouvons ici que donner quelques indications d’ordre général.

1. D’une manière générale, les Pères rapportent à Jésus-Christ l’origine et l’efficacité, non seulement du sacrement de baptême et de l’eucharistie, dont l’institution divine est nettement affirmée dans les évangiles, mais encore des autres sacrements, au fur et à mesure que l’exercice des pouvoirs sacramentels s’affirme dans l’Église. On trouvera de bonnes indications sur ces différentes affirmations particulières dans Pourrat, op. cit., p. 289-299. D’affirmations générales, nous n’en trouvons pas avant le pseudo-Ambroise : Diviniora sunt sacramenta christianorum quam judseorum. Auctor sacramentorum quis est nisi Dominus Jésus ? De cœlo ista sacramenta venerunt. De sacramentis, t. IV, c. iv, n. 7, P. L., t. xvi, col. 439. Saint-Augustin affirme la même vérité dans sa lettre à Januarius, Epist., liv, n. 1 : Primo itaque tencre te volo quod est hujus dispulutionis caput, Dominum nostrum Jesum Christum, sicut ipse in Evangelio loquitur, leni jugo suo nos subdidisse et sarcinæ levi ; unde sacramentis numéro paucissimis, observatione facillimis, signifleatione priesiantissimis, socielatem novi populi colligavit, sicuti est baptimus…, communicatio corporis et sanguinis ipsius et si quid aliud in scripturis canonicis commendalur… P. L., t. xxxiii, col. 200. Dans la controverse donatiste, Augustin parle du baptême du Christ, pour la validité duquel sont requises les paroles indiquées dans l’Évangile. De baptismo, t. VI, n. 47, P. L., t. xliii, col. 214 ; et, à ce propos, il rappelle, dans une formule plus générale, que « les sacrements du Christ et de l’Église », pour être employés illicitement par les hérétiques et tous les impies et pécheurs, n’en demeurent pas moins les sacrements du Christ. Ibid., t. III, n. 13, col. 144. C’est du côté du Christ, entr’ouvert par la lance, que sont sortis les sacrements qui constituent la vie de l’Église, mortuo Christo, lancea percutitur latus, ut profluant sacramenta, quibus formetur Ecclesia. In Joa., tract. IX, n. 10, t. xxxv, col. 1463.

Sous une autre forme encore, les Pères reconnaissent Jésus pour l’auteur des sacrements, lorsqu’ils aflirment que les paroles sacramentelles sont les paroles de Jésus-Christ lui-même et que les sacrements ne peuvent en aucune manière être regardés comme les sacrements des apôtres, mais uniquement comme les sacrements de Jésus-Christ : « Examinez les paroles des apôtres. Nul n’a jamais dit : « Mon baptême, baptismus meus ». Quoique l’Évangile fût le même pour tous, ils ont pu dire : « Mon Évangile » (cf. II Tim., n, 8), mais nulle part vous ne trouverez : « Mon baptême ». S. Augustin, In Joa., tract. V, n. 9, col. 1419 ; cf. De baptismo, t. V, n. 16, t. xliii, col. 185. Et, sur le texte de saint Jean, iv, 2, quamvis ipse non baptizaret, sed discipuli ejus, saint Augustin fait observer que, quel que soit le ministre, c’est Jésus qui baptise, dès là qu’il s’agit du baptême institué par le Christ : « Ceux que Jean a baptisés, c’est Jean qui les a baptisés ; mais ceux que Judas a baptisés, c’est le Christ qui les a baptisés. » In Joa., tract. V, n. 18, t. xxxv, col. 1424.

2. Il faut admettre, dans cette période de croyance implicite, un très réel progrès dans le développement de la doctrine, et même dans la pratique des sacrements. Mais ce développement est légitime. Si nous l’admettons volontiers dans le dogme proprement dit, à plus forte raison devons-nous admettre un progrès parallèle dans la connaissance des sacrements, dont la pratique ne s’impose pas aux chrétiens, pour tous et pour chacun, avec la même nécessité. Cf. Concile de Trente, sess. vii, can. 4, Denz.-Bannw., n. 847.

Comme pour le dogme en général, les causes et occasions de ce progrès sont multiples. Au fond, l’unique cause dirigeante ne peut être que le magistère de l’Église, lequel, sous l’assistance du Saint-Esprit, développe les trésors du dépôt de la révélation. De là la règle posée par Lucius III. Voir col. 549. Mais différentes causes secondaires ont stimulé l’Église dans ce travail d’élaboration de la doctrine sacramentaire.

Tout d’abord, l’amour de la vérité a stimulé les Pères et les docteurs. Nous-avons constaté quelle influence exerça, en matière sacramentaire, cet amour de la vérité, sur Origène, Cyrille de Jérusalem, Basile le Grand, en Orient et, en Occident, sur Tertullien, Cyprien, Ambroise, Augustin, Isidore de Séville. Mais c’est surtout dans la dernière période d’évolution que le travail des théologiens s’est affirmé plus fécond : Hugues de Saint -Victor et Pierre Lombard, en effet, peuvent être présentés comme les véritables fondateurs de la théologie des sacrements en général.

Ensuite, la piété chrétienne, La piété procède de la foi, mais rejaillit sur elle en la perfectionnant. Le progrès de la dévotion entraîne un réel progrès dans la connaissance de la doctrine. C’est ainsi que la communion des fidèles a été pour les évoques l’occasion d’un enseignement plus approfondi sur le dogme de la présence réelle et la manière dont elle se réalise (S. Cyrille de Jérusalem, S. Augustin). La multiplication des fonctions ecclésiastiques a obligé l’Église à prendre une conscience de plus en plus parfaite de l’origine des différents degrés de la hiérarchie et des pouvoirs attachés au sacrement de l’ordre. Les sacramentaires et les ordines fixèrent dans les textes liturgiques eux-mêmes les croyances qui s’affirmaient jusque là dans la pratique. Les différents rites sacramentels apparurent avec plus de relief. Pour une grande part encore, la piété chrétienne a contribué à faire connaître la valeur sacramentelle du mariage. On pourrait en dire autant au sujet de l’extrêmeonction. Ce sont aussi les exigences de la vie chrétienne qui ont fait comprendre que la confirmation était un sacrement distinct du baptême : « La création des paroisses rurales fut l’occasion de cette distinction absolue. Tant que l’évêque présida l’administration solennelle du baptême, la confirmation fut administrée aux néophytes de suite après le bain baptismal ; elle n’était conférée séparément qu’à ceux qui avaient reçu le baptême clinical en cas de maladie. Lorsque les paroisses rurales furent fondées et confiées à de simples prêtres, l’évêque se réserva la confirmation en Occident. C’est alors qu’un temps plus ou moins long sépara la réception des deux sacrements et accentua leur distinction. En Orient, on accorda aux prêtres chargés des paroisses le droit de confirmer de suite après le baptême : usage qui existe encore aujourd’hui. » P. Pourrat, op. cit., p. 296. Nous citons expressément cet exemple entre cent, pour montrer combien la vie pratique de l’Église et des fidèles a pu influer dans le développement de la croyance sacrainentaire. Un autre exemple, très obvie aussi, est celui de l’administration du sacrement de pénitence. La nécessité de ne pas abandonner les chrétiens tombés dans le péché après leur baptême fit peu à peu prendre conscience aux chefs de l’Église du contenu des pouvoirs accordés à eux par Jésus-Christ : Les péchés seront remis… ; ils seront retenus… Joa., xx, 22. Voir ici Pénitence, t. xii, col. 773 sq.

Enfin, la cause ou mieux l’occasion la plus fréquente de progrès a été l’obligation de faire face aux erreurs ou hérésies naissantes. Aucun sacrement n’a échappé, sur ce point, à la loi du progrès. Contre les pélagiens, il faut affirmer la nécessité du baptême pour la rémission des péchés et, s’il s’agit de petits enfants, du péché originel. Il a fallu défendre l’origine divine de la pénitence et ses droits et prérogatives à l’égard de tous les péchés sans exception contre le rigorisme des montanistes et, plus tard, des novatiens, non moins que contre l’arrogance des confesseurs et martyrs qui prétendaient se passer de l’évêque et des prêtres dans la réconciliation des lapsi. De même, l’origine divine des divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique fut mise en relief à l’occasion du mouvement hérétique du gnosticisme. Contre les gnostiques, et plus tard contre les manichéens, il fallut insister sur l’origine divine du mariage chrétien. 151en plus, saint Augustin eut lui-même à défendre la sainteté du mariage contre sa propre doctrine du péché originel, que les pélagiens trouvaient déshonorante pour la vie conjugale, propagatrice de la faute héréditaire. L’efficacité des sacrements a dû être défendue par l’Église au moment de la controverse baptismale, au temps de saint Cyprien, de la controverse donatiste, au ttmps de saint Augustin, et plus tard, au sujet des réordinations. Si les sacrements d’eucharistie, de confirmation et d’extrême-onction paraissent échapper, dans les premiers siècles de l’Église, aux attaques de l’hérésie, il n’en sera pas de même dans la suite et, là encore, un progrès dogmatique s’affirmera, en raison des négations hostiles.

Le progrès s’affirme donc, en matière sacramentaire, d’une façon indubitable. On peut également faire état des modifications importantes introduites au cours des siècles dans l’administration des sacrements. L’onction de la confirmation ne semble pas avoir été une cérémonie primitive, pas plus que la porrection des instruments dans l’administration du sacrement de l’ordre, pas plus que diverses formules que certains, aujourd’hui, disent appartenir à l’essence même du sacrement. Ce nouvel aspect du progrès en matière sacramentaire s’apparente intimement au premier, car, dans l’un comme dans l’autre, se pose la question de l’institution divine à laquelle il semble que l’Église ne puisse substituer ses initiatives humaines. Les théologiens auront à résoudre ce problème assez complexe du progrès en matière sacramentaire. Nous rappellerons et étudierons les solutions après avoir exposé la doctrine du concile de Trente. Voir col. 564.

3. Parallèlement à ce progrès en matière sacramentaire s’affirme un progrès dans la connaissance du dogme du nombre septénaire. À vrai dire, les Pères ne se sont jamais préoccupés du nombre des sacrements : « L’Église s’est empressée de se servir de ces moyens de salut, mis par le Christ à sa disposition pour convertir et sanctifier les hommes. Ce n’est que plus tard — nous ne saurions trop le remarquer - — qu’elle a eu le temps et la pensée d’en dresser l’inventaire, lorsqu’une étude synthétique des sacrements eut étéfaite, qui permit de les considérer tous dans une vue d’ensemble, de déterminer leurs caractères communs et de les compter. » P. Pourrat, op. cit., p. 235 ; cf. Franzelin, De sacramentis in génère, th. xviii.

Les Pères n’ont parlé des sacrements que dans un but essentiellement pratique. On l’a vu dans la seconde partie de cette étude : tout d’abord, c’est le baptême et l’eucharistie qui retiennent presque exclusivement l’attention des Pères apostoliques et apologistes. Puis, les crises montaniste et novatienne mettent en relief la pénitence, sans qu’on attribue encore à la discipline pénitent ielle le nom de sacrement. Au ive siècle, les nécessités de l’initiation chrétienne obligent les Pères à poser les bases d’une première liste : baptême, confirmation et eucharistie sont étudiés simultanément pour l’instruction des néophytes (en Orient, saint Cyrille de Jérusalem, Théodore de Mopsueste : en Occident, saint Ambroise et le pseudo-Ambroise du De sacramentis). Saint Augustin, dont la doctrine sacramentaire est déjà cependant assez développée, ne donne nulle part une énumération complète des sacrements. Il indique, à propos des sacrements, le baptême et l’eucharistie, et si quia aliud in scripturis canonicis commendatur. Epist., i.iv, c. i, voir col. 542.

Dans le sermon ce.xxviii, n. 3, il déclare avoir enseigné « aux enfants (c’est-à-dire aux néophytes, quel que soit leur âge) le sacrement du symbole, qu’ils doivent croire, le sacrement de l’oraison dominicale, qui leur apprend à prier, le sacrement du baptême. (, )uant au sacrement de l’autel, ces enfants n’en ont pas encore entendu parler. » P. L., t. xxxviii, col. 1102. Pour expliquer que les sacrements, même administrés par des hérétiques, sont validemenl administrés, il donne l’exemple des prières validemenl récitées sur l’eau du baptême, sur l’huile (de la confirmation), sur L’eucharistie, ou sur la tête de ceux à qui l’on impose les mains (pénitence). De baplismo, t. V, n. 28, t. xliii, col. 190.

Outre l’imprécision du sens alors accordé au mot sacramentum, certains théologiens ont invoqué, pour expliquer les imperfections de l’enseignement patristique en matière sacramentaire, la discipline de l’arcane. Cette discipline imposait sur bien des points un silence prudent, pour ne point dévoiler aux profanes la doctrine sacramentaire. Voir ici Arcane, t. I, col. 1738. Il ne semble pas toutefois que cette explication puisse être admise pour justifier l’apparition tardive de la liste des sacrements. Voir Pourrat, op. cit., p. 250. Nous devons dire cependant que cette opinion de Batifïol et de Pourrat n’est pas admise par tous. Cf. F.-X. Funk, Theolog. Quartalschrift, Tubingue, 1903, p. 09 sq.

4. Des difficultés sont soulevées du fait que quelques Pères rangent parmi les sacrements proprement dits, des rites que le magistère n’a pas reconnus comme tels. Il s’agit surtout du lavement des pieds, que saint Ambroise indique comme le sacrement institué pour remettre le péché originel, tandis que le baptême remettrait simplement les péchés personnels : Planta ejus (Pétri) abluitur. ut heredilaria peccata tollantur, noslra enim propria per baptismum relaxantnr. De mijsteriis, c. vi, n. 32, P. L., t. xvi, col. 398. Voir aussi De sacramentis, t. III, c. i, n. 7, col. 433, et comparer S. Bernard, Sermo in ccena Domini, n. 4, P. L., t. clxxxiii, col. 373 ; Arnauld de Bonneval, sous le nom de saint Cyprien, Z)e cardinalibus operibus Cliristi, P. L., t. clxxxix, col. 1610-1078. Voir la réponse à cette difficulté, ici même, t. ix, col. 31-30.

5. Le haut Moyen Age accuse un certain progrès dans les listes de sacrements. La numération des sacrements étant subordonnée au développement de la définition et de la doctrine des sacrements, elle ne pouvait atteindre sa perfection dernière tant que la définition et la doctrine n’étaient pas sanctionnées par l’enseignement commun des théologiens.

On a vu plus haut que saint Isidore de Séville, au viie siècle, avait entrevu la méthode à suivre pour produire la liste des sacrements. Il ne nomme que trois sacrements, le baptême, la confirmation, le corps et le sang du Christ, quæ ob id sacramenta dicuntur, quia sub tegumenlo corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur, unde et a secretis virtutibus, vcl a sacris sacramenta dicuntur. Etymol., t. VI, c. xix, n. 39-40. Sans ignorer les autres rites sacrés qui plus tard devaient être appelés sacrements, Isidore, partant d’une définition discutable, ne pouvait donner qu’une liste défectueuse. Et comme la définition isidorienne fut acceptée par les auteurs des viiie et ixe siècles, nous ne trouvons aucun progrès à cette époque. Cf. Baban Maur, De institutions clericorum, t. I, c. xxiv, P. L., t. cvii, col. 309 ; Batramne. De corpore et sanguine Domini, n. 46, P. L., t. cxxi, col. 140. Pour Pascase Badbert, nous avons vu que, grâce à la définition isidorienne du sacrement, il insérait dans sa liste non seulement le baptême, la confirmation et l’eucharistie, mais encore l’Écriture sainte et l’incarnation.

L’activité intellectuelle qui reprend au xie siècle porta les auteurs à entreprendre des travaux d’ensemble sur les sacrements : doctrine sacramentaire et règles à suivre dans l’administration des dits sacrements. Mais, comme la signification du mot sacrement n’était pas fixée, dans ces listes entraient bien des rites qui n’avaient qu’une analogie lointaine avec les sacrements proprement dits. La définition sur laquelle ces listes se fondaient n’était autre que la formule augustinienne : Sacramentum est sacrum signiun. Or, ce n’était là que l’élément générique du sacrement véritable, qui devait fatalement faire considérer comme sacrements des rites qui, en réalité, n’en sont pas.

Saint Pierre Damien († 1072) compte douze sacrements : le sacrement de baptême, de confirmation, de l’onction des infirmes, de la consécration des pontifes, de l’onction des rois, de la dédicace de l’église, de la confession, des chanoines, des moines, des ermites, des moniales, du mariage. Serm., lxix, P. L., t. cxi.iv, col. 897 sq. Et dans cette liste ne figurent ni l’eucharistie, ni l’ordre qui sont pourtant, au dire du même auteur, avec le baptême, les « sacrements principaux » de l’Église. Cf. Opusc, vi, Liber qui dicitur Gratissimus, n. 9, t. cxlv, col. 109.

Saint Bernard, dans son sermon déjà cité. De cœna Domini, parle de plusieurs sacrements, sans en donner la liste ; il en énumère dix, parmi lesquels le lavement des pieds, l’investiture des chanoines, des abbés et des évêques.

D’ailleurs, la liturgie de l’époque qui s’est conservée jusqu’à nos jours emploie encore le mot sacramentum dans son sens large. Le voici appliqué au carême dans la secrète de la messe du mercredi des cendres : ipsius venerabilis sacramenti celebramus exordium. Et au graduel de la messe de la Dédicace, le lieu saint, a Deo factus est, inœstimabile sacramentum…

2° Deuxième période : de l’énumération définitive des sept sacrements (XIIe siècle) au concile de Trente.—

Cette période comprend deux étapes. La première s’étend jusque vers le milieu du xiiie siècle ; on y relève les premières affirmations nettes du septénaire, concurremment avec d’autres énumérations trop courtes ou trop longues, héritées des siècles précédents. La seconde étape, du xiiie siècle au concile de Trente, est celle de la paisible possession. Pendant cette période, un certain nombre de documents ecclésiastiques commencent à se faire l’écho de la doctrine définitive sur le septénaire. Des définitions sont portées contre les premiers négateurs de l’institution divine de sept sacrements. Période intéressante entre toutes,

1. Première étape. —

a) La distinction des « sacramenta majora » et des « sacramenta minora ». —

Nous avons vu plus haut que les auteurs de cette époque recherchèrent tout d’abord une meilleure définition du sacrement (col. 529). Le sacrement ne fut plus seulement un signe sacré, mais un signe sacré efficace, producteur de la grâce. Cette définition, formulée en vue du baptême, type du sacrement, devint le critérium permettant de distinguer, parmi tous les rites sacrés, ceux qui sont, non seulement signes de la grâce, mais signes producteurs de la grâce. Cette méthode rigoureuse aboutit à un résultat définitif.

L’école d’Abélard, on l’a vii, fut l’initiatrice. Comme on n’avait qu’un seul mot pour désigner les vrais sacrements et les rites qui n’en sont pas, Abélard distingua ceux qui sont spirituels, c’est-à-dire utiles au salut, et ceux qui ne le sont pas. Ces premiers sont les sacrements majeurs. Horum sacramentorum alia sunt spiritualia, alia non. Spiritualia sunt illa majora, quæ scilicet ad salutem valent. Epitome, n. 28, P. L., t. clxxviii, col. 1738. Cette expression, sacramenta spiritualia, ad salutem valentia, devait avoir une fortune considérable chez les théologiens et les canonistes du xiie siècle. Bestait, pour Abélard, à dresser la liste des sacramenta majora. L’Epitome mit au nombre des sacrements principaux, outre les trois sacrements de la liste isidorienne (baptême, confirmation, eucharistie), l’onction des malades, dont l’efficacité est comparée à celle de l’eucharistie, n. 30, et le mariage, dont le symbolisme est très élevé et qui remédie puissamment à la concupiscence.

Pour Hugues de Saint-Victor, comme pour Abélard, il y a aussi les sacrements principaux, in quibus principaliter sains constat et percipitiw, et les sacrement s de moindre importance, sacramenta minora, destinés à accroître la dévotion des fidèles (eau bénite, imposition des cendres) ou à fournir les objets nécessaires au culte. C’est la première distinction des sacrements et des sacrameutaux. Voir ce mot, col. 469. Comme exemples de sacramenta majora, Hugues cite le baptême et la communion. L’expression qu’il emploie : sicut aqua baptismatis et perceptin corporis ri sanguinis Domini, montre qu’il y a d’autres sacrements majeurs. Cf. De særamentis, I. I. part. IX, c. vu ; I. II, part. I, c. i. P. L., t. clxxvi, col. 327, 471. Mais la place assignée à la confirmation entre le baptême et l’eucharistie. t. II, part. VII, col. 459-462, et sa comparaison avec le baptême, c. iv, col. 461, l’importance attribué à l’ordre, t. II, part. III, col. 421-131, au mariage, t. II, part. XI, col. 479-520, à la pénitence, 1. II. part. XIV, col. 549-578, à l’extrême-onction, t. II, part. XV, col. 577-580, les mettaient à part des sacramentaux. Voir ici Hugues de Saint-Victoh, t. vii, col. 280-281.

L’auteur de la Summa sententiarum franchit une étape nouvelle. Sans dire expressément qu’il y a sept sacrements, la Summa traite des sacrements en général et des sacrements de l’ancienne Loi, tr. IV, c. i-ii, P. L., t. clxxvi, col. 117-120 ; puis successivement des sacrements du baptême, tr. V, col. 127-138 ; de la confirmation, tr. V, c. i, col. 137-139 ; de l’eucharistie, tr. V, c. n-ix, col. 139-146 ; de la pénitence, tr. V, c. x-xiv, col. 146-153 ; de l’extrême-onction, tr. V, c. xv, col. 153-154 ; de l’ordre, mentionné d’un mot, c. xv, col. 154, probablement parce que l’auteur n’a pas eu le temps de terminer l’ouvrage ; le traité du mariage qui termine la Summa sententiarum, tr. VII, col. 153-174, est de Gautier de Mortagne. Voir ici t. vii, col. 281 et 251.

Robert Pull, dans ses livres de Sentences (vers 1111), traite de tous les sacrements, sauf de l’extrême-onction, Sententiarum, 1. V-VIII, P. L., t. clxxxvi, col. 829-1010. Les rites secondaires sont laissés, pour marquer leur distinction d’avec les véritables sacrements. Un autre disciple de l’école abélardienne, Roland Bandinelli (futur Alexandre III), expose aussi exclusivement la doctrine des sept sacrements, dans le même ordre que la Summa sententiarum. Il ne parle du sacrement de l’ordre qu’à propos de la rémission des péchés. Et, de plus, Roland applique encore le terme sacrement à l’incarnation.

L’influence d’Hugues de Saint-Victor se fait sentir à la même époque, sur les canonistes du xii° siècle, dans la specics quadriformis sacramentorum, ou quadruple division des sacrements, qui se rencontre chez un groupe de glossateurs du Décret. Cette répartition distingue les sacramenta salutaria, les ministratoria, les veneraloria, les prxparatoria. Les principaux auteurs qui l’emploient sont Rufin, Etienne de Tournai, Jean de Fænza, Sicard de Crémone, la Summa Lipsiensis et Huguccio, tous canonistes, auxquels il faut joindre un théologien, Simon de Tournai, et un annotateur anonyme de Pierre Lombard. Voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, Paris, 1914, p. 359 sq. ; Gillrnanu, Die Siebenzahl der Sakramente bei den Glossatoren des Gratianischen Dekrets, dans Der Katholik, 1909, Lu, p. 182-214. Tous ces auteurs ne font entrer dans les sacrements salutaires que le baptême, la confirmation et l’eucharisl le. Seul Huguccio de l-’crrare y ajoute la pénitence et l’extrême-onclion. L’ordre est rangé dans les sacramenta prœparatoria, avec Les consécrations d’églises et des vases sacrés. Ces divisions n’ont d’ailleurs aucun but théologique ; elles servent d’introduction à la troisième partie du Décret, De consecralione, pour en exposer la

répartition des matières. Mais les sept sacrements sont implicitement reconnus. Cf. Gillmann, op. cit.

b) Les premières listes du septénaire. —

Après la Summa sententiarum. il ne restait plus qu’à affirmer le nombre septénaire des sacrements. Quel auteur a, le premier, fait cette énumération ? Plusieurs noms ont été mis en avant. Schanz indique Otto de Bamberg († 1121) dans un sermon publié par l’auteur de sa vie ; voir Acta sanctorum, julii t. i, p. 390 sq. ; cf. Kirchenlexicon, t. vu. p. 912 ; P. Schanz, Die Lehre von den heiligen Sacramenten, Fribourg-cn-B., 1893, p. I 98. (Le texte se trouve dans la P. L., t. clxxiii, col. 1357-1300.) D’autres citent l’auteur des Sententi ; e iliuinilatis, P. L., t. clxxvi, col. 127 sq. ; édit. B. Gever, dans les lieilrage, t. vii, 2-3, p. 119, et J. de Ghellinck, À propos de quelques affirmations du nombre septénaire des sacrements au xue siècle, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, p. 493-494.

Mais c’est à Pierre Lombard qu’il faut rapporter l’honneur d’avoir introduit le premier l’enseignement théologique du septénaire sacramentaire. Son grand mérite fut d’insister tellement sur la distinction qui existe entre les sacrements proprement dits, signes efficaces de la grâce, et les autres rites, simples signes sacrés, que désormais le mot sacrement devait être exclusivement réservé, dans le langage théologique, à désigner nos sept rites sacramentels. Au lieu de se contenter, comme ses devanciers, de traiter des sept sacrements, le Maître des Sentences commence par en donner la liste : Jam ad sacramenta novse Legis accedamus, quæ sunt : baptisma, confirmatio, panis benedic.tio, id est eucharislia, psenilentia, unctio extrema, ordo, conjugium. Quorum alia remedium contra peccatum preebent, et gratiam adjutricem conferunt, ut baptismus ; alia in remedium tantum sunt, ut conjugium ; alia gratin et virtute nos fulciunt, ut eucharislia et ordo. Sent., t. IV, dist. II, c. i. Par cette énumération, l’on voit que Pierre Lombard, tout en considérant le mariage comme un véritable sacrement, ne lui indique, à l’égard de la grâce, qu’un rôle négatif, réprimer la concupiscence. Les théologiens de l’époque de saint Thomas et saint Thomas lui-même rappelleront que le mariage ne peut remédier à la concupiscence que s’il produit la grâce dans l’âme. S. Thomas, In IV am Sent., dist. II, q. il.

Dans la deuxième moitié du XIIe siècle, le traité De cseremoniis, særamentis, officiis… ecclesiasticis, t. I, c.xii, attribué faussement à Hugues de Saint-Victor, et qu’on doit plus probablement restituer à Robert Paululus, donne aussi une liste exacte des sept sacrements, fondée sur la distinction abélardienne des sacrements principaux et des sacrements moindres. Sur ces sept sacrements principaux, cinq doivent être dits généraux, parce que personne n’en est exclu, ni par l’âge, ni par le sexe, ni par sa condition, mais deux sont particuliers, parce qu’ils ne peuvent être conférés à tous indistinctement, mais seulement à certains hommes déterminés : le mariage et l’ordre. P. L., . ci.xxvii, col. 388.

c) Les premiers documents officiels. —

Les premiers documents officiels de l’Église présentent encore quelques expressions imprécises. Dans son canon 7, le llf’concile du Latran, condamnant la vénalité de certaines Églises, déclare qu’on ne doit rien exiger pro episcopis vcl abbatibus, seu quibuscumque personis ecclesiasticis ponendis in sede, seu introducendis presbt /teris in ecclesiam, neenon pro sepulturis et exequiis mortuorum, et benedietionibus nubentium, seu aliis særamentis. Cf. Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, I. v b. p. 1093. Le mot aliis særamentis affecte-t-il uniquement le sacrement de mariage qui précède dans l’énumération, ou toutes les cérémonies qui ont été énumérées ?

Au concile de Vérone (1184), le pape Lueius III. dans la constitution Ad abolendam, condamne tous ceux qui de sacramento corporis et sanguinis Dominé noslri Jesu Christi, vel de baptismale, seu de peccatorum confessione, matrimonio, vel reliquis ixclesiasticis sacramentis, aliter sentire aut docere non meluunt, quam sacrosancta romana Ecclesia pnrdicat et observât. Denz.-Bannw., n. 402. Voir ici t. ix, col. 1060.

Mais Innocent III, dans la profession de foi adressée aux évêques des provinces où habitent les vaudois et qui devait être imposée aux hérétiques désireux de rentrer dans le sein de l’Église, décrit nettement les sept sacrements et réprouve les erreurs enseignées sur chacun d’eux. Denz.-Bannw., n. 424. Cette profession de foi, contenue dans la bulle Ejus excmplo, du 18 décembre 1208, montre que, si le IVe concile du Latran, en 1215, dans son premier rapitulum, ne contient pas une énumération complète des sept sacrements, ce n’est pas, de la part du magistère, incertitude ou hésitation. On pourrait en dire autant des déclarations du IIIe concile du Latran et du concile de Vérone. Le IVe concile du Latran reprend simplement les erreurs les plus graves des albigeois et des autres hérétiques : erreurs concernant le sacrement de l’autel (à propos duquel il est fait mention du prêtre rite ordinatus), et aussi le baptême et la pénitence. Denz.-Bannw., n. 430.

L’énumération complète des sept sacrements se retrouve dans les conciles provinciaux de l’époque : Durham (1217) et Oxford (1222), Mansi, Concil., t. xxii, col. 110, 1173.

2. Seconde étape : paisible possession de la doctrine.

a) L’œuvre des grands théologiens du XIIIe siècle. —

Les théologiens du XIIIe siècle considèrent comme un article de foi, sans discussion possible, le nombre septénaire des sacrements. Ils n’en cherchent même pas la justification dans une étude de la tradition ; ils se contentent d’exposer les raisons de convenance qui rendent « nécessaires » les sept sacrements. L’idée générale est que les sacrements sont nécessaires pour remédier au péché. Mais dans les applications particulières de cette idée générale à chaque sacrement, souvent interviennent l’arbitraire et la subtilité.

Albert le Grand énumère les sept sacrements et s’efforce de démontrer qu’ils ont été institués pour remédier aux sept péchés capitaux. In lV am Sent., dist. II, a. 1. Saint Bonaventure voit une correspondance dans le nombre des sacrements avec les sept vertus chrétiennes (trois théologales et quatre cardinales) et avec les sept maladies (septifortnis morbus) causées par le péché. Bonaventure développe cette idée dans le Breviloquium, part. VI, c. in.

Dans le Commentaire in /Vum Sent., dist. II, a. 1, q. ii, Bonaventure considère les sacrements comme les armes de l’Église contre ses ennemis. La meilleure démonstration de la convenance des sept sacrements est à coup sûr celle de saint Thomas, que nous avons résumée au début de ce paragraphe. Voir col. 538-539.

Ces travaux des théologiens sur les convenances rationnelles du nombre des sacrements indiquent que le dogme a trouvé, au xiiie siècle, son développement le plus complet. C’est alors que les conciles, dont l’œuvre aura été préparée par les théologiens, définissent authentiquement la doctrine traditionnelle contre les hérésies.

Une double série de définitions conciliaires se produit dans l’Église à partir du xiiie siècle. D’une part, il s’agit d’affirmer à l’égard des Orientaux la doctrine des sept sacrements, en éliminant les incorrections qui s’étaient glissées dans leur théologie sacramentaire. D’autre part, un enseignement plus complet devra être formulé à l’égard des prolestuiUs.

Nous n’en exposerons ici que ce qui concerne l’institution divine et le nombre des sacrements.

b) L’œuvre du magistère à l’égard des Orientaux. —

a. Les grandes lignes de lu doctrine sacramentaire des Orientaux, du Ve au XIIe siècle. — Ce qui avait été fait en Occident, à l’époque carolingienne, pour la formation des clercs, avait déjà été tenté, en Orient, par le pseudo-Denis, dans sa Hiérarchie ecclésiastique. où il explique les cérémonies du baptême, de l’eucharistie, de la confirmation, des ordinations, de la profession monacale et des funérailles à ceux qui sont chargés d’enseigner et d’administrer aux autres les saints mystères. Eceles. hier., i, § i, P. G., t. iii, col. 372. Dans cette liste des six i mystères n’entrent, on le voit, que quatre sacrements proprement dits. Ces quatre sacrements sont désignés par le pseudo-Denvs de divers noms : Ta îîpxpyt.xà u.u<ttt)pia, ibid., i, § i, t. ni. col. 372 : txç aladr^ràç elxôvaç tcôv’JTro’jpavîtov, ibid., 1, § v, col. 370 D ; -à Œîaxal îepà ai>fi.60Aa, ibid., II, i, col. 392 H ; xà aEerOYjrwç lepà tcôv vor ( Tcôv 7.-£ix.ovto(xaTa y al en’aùxà /eipocYcoYÎa xoà ôSôç, sensibilia simulacra sacra intelligibilium, ad quæ munudueunt ac viam sternunt, ibid., II, iii, § ii, col. 397 C ; Tàç is-papyixàç teætoo ;, ibid., III, i, col. 425 A. L’eucharistie est.spécialement appelée rà TsXeoTLxà [i.uGT7 ; p’.a ; Ta Œapy ixà xal TEXcicorixà pvua-TY ; pta ; tsàetcov TeXfTTj, ibid., col. 424-125..Mais on constate qu’en Orient le mot ii, uav/jp’ov, comme sacramentum en Occident, n’a pas encore une signification précise. Denys réserve la même appellation aux sacrements et aux sacramentaux. Parmi les qufffrjpia et les Lepà aûu.60Xa, il recense la consécration du saint chrême et de l’autel, le rite de la sépulture qui comportait jadis une onction sur le corps du défunt, le rite de la consécration monacale. Cf. Jugie, Theologia dogmatica christianorum arientalium, t. iii, Paris, 1930, p. 9.

Jusqu’au XIIIe siècle — on notera la correspondance entre les deux Églises — la signification du mot musterion demeurera imprécise chez les Orientaux. Au début du ix p siècle, nous retrouvons sous la plume de Théodore le Studite la liste des quatre « mystères » dionysiens. Episl., t. II, clxv, P. G., t. xcix, col. 1524. Et pourtant, cet auteur connaissait les trois autres sacrements : avant de mourir, en effet, il reçut l’extrême-onction, tov £Ù/sXai.ov. Theodori Studitse vila (II), n. 07, P. G.. ibid., càl. 325 B ; cf. col. 1815 A. Lui-même, dans ses écrits, témoigne de l’usage fréquent de la confession chez les fidèles, Epis t., t. II, ci. xii, ibid., col. 1504-1510. Et il est pareillement très certain qu’à cette époque les Byzantins entouraient la célébration du mariage des rites et des prières de la liturgie, ce qui indique que le mariage était considéré comme sacrement. Cf. J. Pargoire, L’Église byzantine de 527 à 847, Paris, 1905, p. 338.

Il fallait le contact de l’Église romaine avec l’Église d’Orient pour amener chez celle-ci l’évolution qui s’était produite en Occident, la nette distinction (les sacrements et des sacramentaux.

b. Une instruction du pape Innocent IV à Odon, cardinal de Tuseulum, légat du Saint-Siège près des Grecs dans l’île de Chypre (1254). —

Il s’agit des Grecs qui veulent vivre en communion avec l’Église romaine. Le pape donne ses instructions au sujet du baptême, de la confirmation, de la pénitence, de l’extrêmeonction, du sacrifice de la messe et de l’eucharistie, du sacrement de l’ordre (le pape demande que désormais les sept ordres soient conférés, bien qu’on puisse tolérer, en raison de leur grand nombre, les prêtres qui ont été ordonnés différemment). Enfin, Innocent IV demande aux Grecs d’accepter les secondes et même les troisièmes noces entre personnes qui peuvent licitement les contracter, bien que la bénédiction nuptiale ne puisse être accordée aux secondes noces. Denz.-Bannw. (17e édition), n. 3040-3046.

c. La profession de foi de Miehel Paléologue au IIe concile de Lyon (1274). —

Cette profession de foi, imposée par le pape Clément IV et acceptée des Grecs sans difficulté, a été intégralement reproduite ici, t. ix, col. 1384. Le passage concernant les sacrements en général est ainsi libellé : « La même sainte Église romaine lient aussi et enseigne qu’il y a sept sacrements ecclésiastiques : l’un est le baptême dont il a été parlé pi us haut, un autre est le sacrement de la confirmation, que les évêques confèrent par l’imposition des mains, en oignant de chrême les baptisés, un autre est la pénitence, un autre l’eucharistie, un autre le sacrement de l’ordre, un autre est le mariage, un autre est F extrêmeonction, qui, selon la doctrine de saint Jacques, est appliquée aux malades. » Cf. Denz.-Bannw., n. 165.

La profession de foi du concile de Lyon fut suivie d’une déclaration du patriarche Jean Beccos (avril 1277). Cette déclaration admet pleinement le septénaire sacramentel, dans les termes mêmes où l’enseigne le concile de Lyon. Le patriarche ajoute simplement quelques explications concernant les différents usages reçus dans l’une et l’autre Église au sujet de l’administration des sacrements.

Il est utile de noter que, dans la version grecque de la profession de foi de Michel Paléologue, certaines expressions latines ont été traduites littéralement. Le sacrement de confirmation est appelé ii, ijo"nf)piov Pe60au>aeo>< ; et l’extrême-onction, xo ëo-ya-rov ypîap : a. Cf. A. Theiner et F. Miklosich, Monumenta spectantia ad unionem Ecclesiarum græcse, et lalinæ, Vienne, 1872, p. 17-18. Beccos reprend les mêmes expressions, sauf en ce qui concerne l’ordre, qu’il nomme rà (X’jfTTYjpiov TÎjç îepa-uxîjç ysipo-rovtaç au lieu de tj îspà Tâ^iç. Expliquant le texte de sa confession, le patriarche déclare que la confirmation, to |jwcr-rr)p !.ov ttJç p£6a<, ojo-£a>ç, est conférée indifféremment par les évêques ou par les prêtres, roxp’ïjpùv 8k àSiaçoptoç oî àp/tepsïç xat repeaë’rrepot toûto Troioûmv. De même, il dit que l’extrêmeonction est appelée par les grecs to é7rTa7rat7rx80v, c’est-à-dire le sacrement administré par sept prêtres. Dans l’un et dans l’autre document, le mot latin transsubstantiari est rendu en grec par le mot [zstoocioûffOai, jusque là inouï chez les Orientaux. Id., ibid., p. 27-28.

H est remarquable que, pendant et après le concile de Lyon, aucun des adversaires de l’union ne réclama jamais contre la liste septénaire des « mystères ; mais eux-mêmes, depuis cette époque, ont constamment enseigné le septénaire sacramentel.

d. L’enseignement îles Orientaux, entre le IIe concile de Lyon et le concile de Florence. —

La plupart des théologiens enseignent nettement le septénaire.

Ainsi, le moine Job, qu’il faut très probablement identifier avec Job Jasitès, controversiste de la seconde moit ié du xiiie siècle, semble être l’auteur d’un curieux traité des sacrements, adressé aux habitants de Phocée. Sur ce traité et son texte authentique, voir t. viii, col. I 188-1 189. Or, dans ce traité, Job énumère les sept sacrements. Toutefois, comme il est moine, il ne veut pas exclure l’habit monastique du nombre des sacrements et il énumère en les fusionnant la pénitence et l’extrême-onction, eù)(éXa’ov, è’680{zov^TOt 7) uxT<£voioc. Cod. 64 Supplem. greeci Paris., fol. 239. Et cependant, un peu plus loin, il dist ingue assez nettement l’extrême -onct ion de la pénitence, le premier sacrement ne dispensant pas de recevoir l’autre. Ibid., fol. 243 b. Voir les textes dans.Itigic, Theol. orient., t. iii, p. 17-18. L’œuvre de Job est intéressante à un autre titre. L’auteur, en effet, se demande si d’autres rites doivent être appelés sacrements. Sans trancher directement la question, il rattache la virginité à l’habit monastique, la consécration des églises à la confirmation, la consécration du saint chrême à l’eucharistie, la consécration solennelle de l’eau qui se fait à l’Epiphanie et que les grecs appellent tov fxéyav àylaouôv, au baptême, tandis que la petite consécration qui peut se faire en n’importe quel temps, n’est rattachée à aucun sacrement, mais relève de la miséricordieuse puissance et protection de la Mère de Dieu. Id., ibid., fol. 253 b. Enfin, l’élévation de la « toute-sainte », ûtj’wo-îç -ôjç uavayîaç, est rapportée à l’eucharistie.

La classification du saint habit parmi les sacrements eut peu d’écho dans la théologie orientale. Les auteurs du xive et du xv siècle se contentent communément de l’énumération latine du septénaire. Ainsi Michel Calécas, De principiis fidei eatholicæ, c. vi, P. G., t. ciii, col. 597-610. Calécas appelle le sacrement de l’ordre xô jj.ucrrjpiov twv toc^scùv, col. 008 C. Ainsi également Joseph Bryennios († 1435), Sermo i de mundi consummatione. Opéra, édit. Bulgaris, Leipzig, 1709-1784, t. ii, p. 198 : (jiuoTYJpia -rîjç’ExxXïjaîaç £7T-a’pâ7rao|i.a, ypÏGiç, fzûpou, ayiov ëXouov, èv Kupicp yâiioç, ^eipoTovta, èi ; ou.oX6y7)(nç xal uxTàXy)<J>iç. Enfin, S>méon de Thessalonique († 1429) a écrit un traité des sacrements ainsi que des offices et rites de l’Église, P. G., t. clv, col. 170-090. Cet auteur semble avoir connu l’écrit du moine Job, car il le corrige dans sa nomenclature des sacrements, supprimant le « saint habit » pour y substituer la pénitence, distincte de l’extrême-onction. Dans son ouvrage, et comme d’ailleurs l’indique le titre, il aborde la question des sacramentaux, qu’il se garde bien d’assimiler aux vrais sacrements : consécration du chrême, consécration de l’autel et dédicace de l’église, sacre de l’empereur, oraison dominicale et heures canoniques, rite de la TOcvaytaç, office des funérailles, etc.

Quelques auteurs cependant ont encore une doctrine moins ferme. On peut citer le hiéromoine et protosyncelle Joasaph, qui devint métropolite d’Éphèse (t vers 1 437) et qui compte dix sacrements de l’Église : en plus des sept sacrements authentiques, la consécration des églises, le rite des funérailles, l’habit monacal. Œuvres (publiées en grec et en russe), Odessa, 1903, p. 38. Sur ce Joasaph, voir Bévue de l’Orient chrétien, t. i, p. 691-692 ; Jugie, op. cit., p. 20.

Chez les Arméniens, quelques hésitations sont également à relever. Un théologien monophysite de la deuxième partie du xiiie siècle, Vartan le Grand († 1271), énumère ainsi les sacrements. Le premier est le baptême ; le second, le sacrifice de la messe ; le troisième, la bénédiction de l’huile que les latins appelle le saint chrême ; le quatrième est l’ordre ; le cinquième est le mariage ; le sixième est l’huile dont on oint les malades et les pénitents ; le septième est le rite funéraire sur les défunts, auquel les latins ont substitué la pénitence, tandis que l’huile dont sont oints les malades et les pénitents, voilà la pénitence. Mon i ta ad Armenos, c. vi, dans Galano, Conciliatio Ecclesise armenæ cum romana, t. iii, Home, 1658, p. 439-440. On rapprochera cette doctrine de celle de Job.lasilès, col. 551.

Chez les nestoriens, le nombre septénaire ne s’introduit qu’au xiii° siècle, vraisemblablement sous l’influence latine. Mais, dans ce nombre, il y a des variantes. Le métropolite de Nisibe, Ébedjésiis († 1318), admet bien le septénaire, mais, s’inspirant des saintes Écritures, il énumère ainsi les sepl sacrements : le premier est le sacerdoce, qui fait tous les autres sacrements ; le second est le saint baptême ; le troisième, l’huile de l’onction ; le quatrième, l’offrande du corps et du sang du Christ ; le cinquième, la rémission des péchés ; le sixième, le « ferment sacré. le septième, le signe de la croix vivifiante. l"-t il ajoute : ceux des chrétiens qui n’ont pas le ferment sacré, considèrent le mariage, conclu selon la loi du Christ, comme le septième sacrement. Liber Margarita ?, tract. IV, c. i, dans Mai, Script, vet. nova collectio, t. x b, p. 355. Le « ferment sacré » n’est autre que le levain dont doit être fait le pain qui est changé au corps du Christ. Un contemporain d’Ébedjésus, le patriarche Timothée II († 1332) donne une nomenclature différente : le sacerdoce, la consécration de l’autel, le baptême, l’huile sainte (confirmation), les saints mystères du corps et du sang du Christ, la bénédiction des moines, l’office pour les défunts, le sacrement de mariage. En fin du livre, il ajoute un chapitre sur la pénitence et la rémission des péchés. Dans Assémani, Eibliolh. orientalis, t. iii, 2e part., p. 240. Cf. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. v, Paris, 1935, p. 281.

Les hésitations et divergences des Arméniens furent-elles dénoncées au pape Benoît XII ? Toujours est-il qu’une enquête fut faite et qu’il en sortit une sorte de questionnaire auquel le catholicos des Arméniens devait répondre. L’acte d’accusation transmis aux Arméniens ne porte aucune précision sur le nombre septénaire, mais uniquement sur la vertu sanctificatrice des sacrements et leur validité en fonction de la foi ou de la sainteté du ministre. Prop. 42, 68. Denz.-Bannw., n. 51(1, 545. Toutefois, le document pontifical provoqua une réponse intéressante : l’Église arménienne, celle de Cilicie surtout, a toujours admis sans restriction les sacrements de l’Église romaine. Elle voit dans les sacrements des remèdes spirituels qui servent à notre salut et en reconnaît la vertu sanctificatrice. Tous les sacrements se rattachent à la tradition primitive de l’Église arménienne, seule l’extrême-onction fait quelque difficulté, si l’on considère la pratique, mais les évêques sont prêts à se conformer de plus en plus, sur ce point particulier, à l’usage de l’Église romaine. Voir Hefele-Leclcrcq, Hist. des conciles, t. vi b, p. 853.

e. Les documents du concile de Florence. —

Le principal document est le célèbre décret Pro Armenis, emprunté presque littéralement à l’opuscule de saint Thomas, De fidei arliculis et seplem sacramentis. L’assertion qui concerne le nombre de sacrements se retrouve identique chez saint Thomas et dans le texte conciliaire : Ntvse Legis seplem sunt sacramenta : videlicet baptismus, confirmatio, eueharistia, psenitentia, extrema unclio, ordo et matrimonium… Denz.-Bannw. , n. 695. Sur l’autorité du décret, voir Ordre, t. xi, col. 1310 sq. Dans le décret Pro jacobitis, il est dit que l’Église croit fermement, professe et enseigne que les cérémonies légales de l’Ancien Testament (parmi lesquelles les sacrements de l’Ancienne Loi) ont cessé d’exister à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et que les sacrements du Nouveau Testament ont commencé. Denz.-Bannw., n. 712.

Au XVIIIe siècle, dans la profession de foi prescrite par Benoît XIV aux maronites, l’Église romaine n’aura qu’à reprendre les formules de Florence. On y ajoutera cependant quelques précisions s’inspirant du concile de Trente : Item (profiteor) septem esse novee Legis sacramenta a Christo Domino nostro institula ad salutem humani generis, quamvis non omnia singulis necessaria, videlicet baptismus, etc.

La doctrine est, même en Orient, définitivement fixée, et les dissidents qui veulent en nier quelque partie se mettent aujourd’hui en contradiction avec l’enseignement traditionnel de leur Église.

I. Les Orientaux après le concile de Florence.

La doctrine générale des Orientaux sur les sacrements, après le concile de Florence, est pour ainsi dire calquée sur la doctrine catholique. Lt patriarche Jérémie II, dans sa première réponse aux luthériens (15 mai 1576), justifie l’appellation de (xuar^pia, « parce que sous des signes sensibles, ils ont un effet spirituel et occulte. Chaque sacrement a été consacré par les saintes Écritures. Ils ont une matière et une forme déterminées, une cause efficiente ou plutôt instrumentale. » Cf. Gédéon Cyprios, Kpizqç, tîjç ricXTjôeîaç, t. i, Leipzig, 1758, p. 36 ; Gabriel Severos, SuvTayji.aTi.ov Trepl tcôv àyftov xal îepcôv fj.uaT7)pt<ov, Venise, 1600 (édit. de 1715, p. 17) ; Meletios Pigas († 1601), ’OpOô-SoEoç SiSaaxaXla, Jassꝟ. 1769, p. po ?)’. On se reportera surtout aux professions de foi : Moghila, part. I, q. xcix, dans Kimmel, op. cit., p. 170 ; Dosithée, c. xv, id., p. 448-451 ; synode de Constantinople contre les articles de Cyrille Lucar, p. 404 ; synode de Jassy contre les mêmes erreurs, xv-xvii, p. 414. On peut cependant signaler des infiltrations protestantes chez Métrophane Critopoulos, voir Kimmel, op. cit., t. ii, p. 89-90, Théophylacte Gorsky († 1788), Ecclesiæ orientalis orthodoxa dogmata, Moscou, 1831, a. 8, p. 236, et quelques autres. L’enseignement des Églises d’Orient demeure néanmoins dans l’ensemble très ferme, tant sur la nature que sur le nombre, l’institution divine et les effets des sacrements. Voir sur tous ces points M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. iii, p. 12-32.

c) L’œuvre du magistère à l’égard du protestantisme.

La controverse sacramentaire entre catholiques et protestants dépasse de beaucoup la question de l’institution de sept sacrements par Jésus-Christ. C’est dans le paragraphe suivant, sur l’efficacité et la causalité des sacrements que nous devrons l’aborder dans toute son ampleur. Nous n’envisagerons ici que le sujet abordé par le concile de Trente dans le canon 1 sur les sacrements en général : l’institution des sept sacrements par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

a. Les négations protestantes. —

Si Luther avait été logique avec ses principes sur la justification, il aurait dû supprimer tous les sacrements et ne garder que le sacrement de la parole. Mais il fallait compter avec les habitudes cultuelles enracinées dans le peuple. Et le réformateur émet, tout au début de son Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église, une affirmation tranchante que les théologiens et les Pères de Trente retiendront sous cette forme pour la condamner : Sacramenta Ecclesiæ non esse seplem, seà vel plura vel pauciora, gaie vere sacramenta dici possunt. Pour justifier leur imputation à Luther d’une semblable assertion, les Pères du concile renvoient à trois ouvrages du réformateur. D’abord à la Captivité de Babijlone (1520), dont la phrase est presque littéralement extraite : Principiu neganda mihi sunt seplem sacramenta, et tria pro tempore concedenda, seiliect baptismus, eucharistia, pœnitenlia. Opéra, édit. de Weimar, t. vi, p. 501. Plus tard, Luther ne garde que deux sacrements : Duo rémanent vera sacramenta, baptismus et ccena Domini una cum evangelio. Les actes renvoient ici au « Testament ». Il faut lire : Vom Abendmal Christi, Bekenntnis (1528) : Dass die zivey sacrament bleiben, taufje und abendmal des Herrn neben dem Evangelio. Opéra, t. xxvi, p. 508. Enfin, sous le prétexte qu’aucun « sacrement » n’est nommé ainsi dans l’Évangile, Luther veut réserver ce terme à Jésus-Christ lui-même : Nullum sacramentorum septem in sacris libris nomine sacramenti censetur. Vnum solum habent sacrée litterx sacramentum, quod est ipse Christus Dominus. Disp. (1520), prop. De fide infusa et acquisita, 17, 18, Opéra, t. vi, p. 86.

Les actes du concile ne font appel qu’aux textes de Luther. On peut y ajouter ceux de Mélanchthon. La confession d’Augsbourg parle du baptême, de la cène, de la confession, de la pénitence, de l’ordre ecclésiastique, sans employer le mot sacrement, a. 912, a. 14. J.-Th Muller, Symbolische Bûcher, p. 41, 42. Mais dans V Apologie, l’article xiii (vu) pose la question De numéro et usu særamentorum.

Si aacramenta vocamus ritus, qui habent mandatum Dei et quibus addita est promissio gratis, facile est judicare quæ siut proprie sacramenta. Nam ritus ab hominihus iustituli non erunt hoc modo proprie dicta sacramenta… Vere igitur sunt sacramenta baptismus, cnena Domini, absolutio quæ est sacramentum peeraitenffse. Nam lii ritus habent mandatiun Dei et promissionem gratis-quæ est propria N. T… (p. 202). Confirmatio et. exlrema unctio sunt ritus ncccpti a patribus, quos ne Ecclesia quidein lancpiam nccessarios ad salutem requirit, quia non habent mandai uni Dei. Propterea non est inutile hos ritus discemcrc a Superioribus. .. (p. 203). Sacerdotium intelligunt adversarii… de sacrificio… Nos docemus sacrificium Christi morientis in cruce satis fuisse pro peccatis totius mundi… Ideo sacerdotes vocantur non ad ulla sacrificia… facienda, …sed… ad docendum cvnngelium et sacramenta porrigenda populo… Si autem ordo de ministerio verbi intelligatur, non gravatim vocaverimus ordinem sacramentum. Nam ministerium verbi habet mandatum Dei et habet magni ficus promissiones (Rom., i, 16 ; Is., i.v, 11)…. Si ordo hoc modo intelligatur, neque impositionem manuum vocare sacramentum gravemus… (p. 203). Matrimonium non est primum institutum in Novo Testamento et statim initio creato génère humano. Habet autem mandatum Dei, habet et promissions. .. Quare si <[uis volet sacramentum vocare, discernere taxiien a prioribus illis débet, quæ proprie sunt signa N. T. (p. 20 I).

Suit ici le texte relevé par les théologiens du concile, relativement à la possibilité d’appeler sacrements la prière et même les aumônes, les afflictions, etc. Voir plus loin.

Dans les Loci communes, Mélanchthon, traitant des « signes », déclare d’abord que deux signes seulement sont institués par le Christ dans l’Évangile, le baptême et la participation à la table du Seigneur. 7 a œtas, De siqnis, Corp. rejorm., t. xxi, col. 211. Dans la deuxième rédaction, un chapitre est consacré aux sacrements, un au nombre des sacrements. Nous trouvons ici la même doctrine que dans l’Apologie ; si, par sacrement, on entend toutes cérémonies et même toutes choses auxquelles sont attachées des promesses divines, les sacrements sont nombreux ; mais, si l’on entend par sacrement un rite institué dans l’Évangile, appartenant à la promesse propre à l’Évangile, il n’y a que trois sacrements : baptême, cène et absolution. On pourrait, à la rigueur appeler l’ordre un sacrement, en entendant ici le simple ministère de l’Évangile et l’appel à ce ministère. // a œtas, De sacramentis, ibid., col. 407, et surtout De særamentorum numéro, ibid., col. 469-470. Même doctrine, plus développée, dans la dernière rédaction. HI » aefas, De særamentis, ibid., col. 847 ; De numéro sacramentorum, ibid.. col. 848-850.

Zwingle affirme nettement que le Christ ne nous a laissé que deux sacrements ; le baptême et la cène. Les autres sacrements ne sont que de pures cérémonies, nullement instiluées par Dieu pour recevoir une initiation quelconque dans l’Église. De urra et falsa reliqione, De sacramentis. Opéra, t. iii, Zurich, 1832, p. 231.

Quant à Calvin, sa doctrine est développée dans YInstitution chrétienne, I. IV, c. XIV, Corp. rejorm., t. xxxii, col. 877 sq. ; cf. c. xviii, 19-20, col. 1077 sq. « Le sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle en no/, consciences les promesses de sa bonne volonté envers nous, pour conl’ermer l’imbécillité de nostre foy : et nous mutuellement rendons tesmoignage tant devant luy et les Anges que devant les hommes, que nous le tenons pour nostre Dieu, n N. 1, col. 878. Ils son ! institués par Dieu pour confirmer et provoquer notre foi : « Ils produisent lors leur efficace, quand le Maistre intérieur des âmes y adiouste sa vertu : par laquelle seule les cœurs sont percez, et les affections touchées pour y donner entrée aux

Sacrcmens. Si cestuy-là défaut, ils ne peuvent non plus apporter aux esprits, que la lumière du soleil aux aveugles ou une voix sonante à sourdes oreilles ». N. ! >. col. 886. « Il faut savoir de ces deux Sacremens, desquels l’usage a esté donné à l’Église ehrestienne dès le commencement du nouveau Testament, pour iusques à la consommation du siècle : c’est assavoir, afin que le Baptême soit quasi comme une entrée en icelle Église et une première profession de foy et la Cène, comme une nourriture assiduelle, par laquelle Iesus-Christ repaist spirituellement ses fidèles… » C. xviii, n. 19, col. 1077. Et l’Eglise se contente de ces deux « et non seulement n’en admette, approuve ou recognoisse pour le présent, mais n’en désire, n’attende iamais iusques à la consommation du siècle nul autre troisième. » Id., ibid., n. 20, col. 1078.

Les « Confessions de foi » protestantes ne reconnaissent, en général, que deux sacrements. Nous donnons les références d’après l’ouvrage de V.-K. MùIIer, Bekenntnisschriften der reformierten Kirche, Leipzig, 1903.

Confession de lîàle (1031), § v, p. 97 : In diser Kylchen brucht man einerley Sacrament, nemlich den Touff…, jm jngang der Kylchen, und des Herren Nachtmal… zu siner zyt. — Confessio helvelica prior (1536), § xx (xxi), p. 106 : Deren zeyehen, die man Sacrament nent, sind zwey, nam-Iich der Touff und das nachtmal des Herren. — Confessio rhœlica (1552), p. 167 : Signa externa a Domino instituta, Baptismum et Eucharistiam (tôt enim numéro tenemus sacramenta) retineri volumus al) Ecclesia. — Confessio helvelien posterior (1562), § xix, p. 205 : Novi populi sacramenta sunt Baptismus et Cœna dominica. Sunt qui sacramenta novi populi septem mimèrent. Ex quibus nos pæniteixtiam, ordinationem ministrorum, non papisticam quidem illam, sed apostolicam, et matrimonium agnoscimus instituta esse Dei utilia, sed non sacramenta. — Confession des Pays-lias (1566), a. 8, p. 937 : Wy bekennen… twee Sacramenten, het heylige Doopsel, ende het H.Nachtmæt.

— Confession de Genève (1536), § xiv, p. 114 : Et seulement en y a deux (sacrements) en l’Église chrétienne, qui soient constituez de l’auctorité de Dieu : le baptesme et la cène de nostre Seigneur ; pourtant ce qui est tenu auroyaulmedu pape de sept sacremens, nous le condemnons comme fable et mensonge. — Catéchisme de Genève (1515), p. 147 : Quot sunt christiana-ecclesia : sacramenta ? Duo sunt omnino… baptismus et sacra cœna. — Confession gallicane (1559), a. 35, p. 23(1 : Nous confessons seulement deux (sacrements) communs à toute l’Église, desquelz le premier, qui est le Baptesme, nous est donne pour tesmd ! gnage de nostre adoption… ; a. 36 : Nous confessons que la Cène (qui est le second Sacrement) nous est tesmoignage de l’unité, etc. — Confession belge (1561), a. 33, p. 246 : Sullicit nobis is Sacramentorum numerus, quem Christus, Magister noster, instituit : quæ duo duntaxat sunt, nimirum Sacramentum Baptismi et S. Cœnre Jesu Christi. — Confession écossaise (1500), a. 22, p. 250 : Nunc (moque, evangelii tempore, nos duo quidem sacramenta, eaque sola agnoscimus, atque a Cluisto instituta latemur. - Confession hongroise (1562), a. 30, p. 116 : Kjusmodi Sacramenta, quorum usus in Ecclesia sit perpetuus et mùversaUs, duo tantum esse censemus… Baptismum videlicet… el Cœna[m] Domini. — Les confessions et documents postérieurs reproduisent la même doctrine : confession irlandaise (1615), q. 86, p. 537 ; confession de Westminster (1647), c. xxvii, n. 4, p. 602 ; grand catéchisme « le Westminster (1617), q. 164, p. 637 ; petit catéchisme de Westminster, q. 93, p. 650.

b. La définition du concile de Trente. —

En retenant, pour la condamner, l’assertion luthérienne que « les sacrements ne sont pas au nombre de sept, mais qu’ils sont plus ou moins, qui peuvent être vraiment dits sacrements », les théologiens du concile de Trente estimèrent que la première partie de l’assertion devait être condamnée sans restriction. Quelques-uns pensaient qu’il valait peut-être mieux passer sous silence la seconde partie fvel plura. vel pauciora), ainsi qu’on l’avait fait à Florence. Dans les discussions qui s’ensuivirent, on trouve comme un écho de tout l’enseignement antérieur : enseignement spéculatif des théologiens du xiiie siècle, sur les convenances des sept sacrements, mais surtout enseignement positif, cherchant un point d’appui dans l’Écriture et dans la tradition. Deux documents surtout sont invoqués en faveur du septénaire : la décrétale de Lueius III Ad abolendam, et l’assertion d’Hugues de Saint-Victor. Les théologiens chargés d’examiner l’article hétérodoxe proposèrent de le compléter par l’addition de cette autre erreur : omnia sacramentel non esse a Christo instituta. Voir Concilium Tridentinum, édit. Ehses, t. v, p. 865, 867, et dans notre ouvrage : Les décrets du concile de Trente, Paris, 1938, p. 181. 185.

Nous avons déjà donné plus haut le texte du canon 1, anathématisant quiconque « dit que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas été tous institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou qu’il y en a plus ou moins de sept : savoir, le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrêmeonction, l’ordre et le mariage ; ou dit que quelqu’un de ces sept n’est pas proprement et véritablement un sacrement. » Denz.-Bannw., n. 844.

La première vérité affirmée en ce canon, c’est que tous les sacrements ont été institués par Jésus-Christ. Sans doute, ni au cours de la discussion, ni dans la rédaction définitive du décret, les Pères n’ont envisagé de définir l’institution immédiate des sacrements par le Christ. Cette vérité cependant, disent les théologiens, découle directement de l’assertion conciliaire. D’où, s’il est de foi que les sacrements ont été institués par le Christ, il est théologiquement certain que le Christ les a institués d’une façon immédiate. « Sans doute, pour des motifs particuliers, le concile n’a point fait entrer le mot immédiate dans la susdite déclaration ; mais que la déclaration doive être entendue en ce sens, c’est ce qui ressort et de la nature même du sujet et de la façon ordinaire de s’exprimer. En effet, au sens propre et rigoureux du mot — et le canon du concile prend évidemment le mot en ce sens — l’expression instituere ne s’applique qu’à celui qui, immédiatement et par lui-même, crée une institution quelconque, et non à celui qui se borne à donner à un autre la faculté de procéder à cette institution. Lors donc que Jésus-Christ est déclaré, simplement et dans tout le sens du mot, l’instituteur des sacrements, il est suffisamment affirmé qu’il les a établis, non point par d’autres ou médiatement, mais immédiatement par lui-même ou personnellement. Les institutions qui ne dérivent que médiatement de Jésus-Christ ne sont jamais, dans le langage de l’Église, simplement attribuées au Sauveur, mais aux apôtres ou à l’Église. Une comparaison éclairera la question. Les rites si pleins de signification, les cérémonies que l’on emploie dans l’administration des sacrements, ne viennent pas immédiatement ou directement de Jésus-Christ, mais de l’Église ou des apôtres : aussi leur institution n’est-elle pas rapportée au Sauveur, bien qu’elle puisse lui être attribuée au moins médiatement, en tant qu’il a donné aux apôtres et, dans la personne des apôtres, à l’Église le pouvoir surnaturel d’établir ces rites et ces cérémonies. Cette différence, l’Église elle-même l’atteste, lorsqu’elle déclare que son autorité ne s’étend qu’aux pratiques et aux prières accidentelles de l’administration des sacrements, mais nullement à la substance même du sacrement (cf. Conc. Trid., sess. xxi, c. ii, Denz.-Bannw., n. 931 : salva illorum subslanlia). La raison propre de cette distinction dans l’autorité de l’Église ne peut évidemment être que celle-ci : la substance des sacrements, c’est-à-dire tout ce qui constitue l’essence des sacrements, la forme et la matière essentielle, vient, non point de l’Église, mais immédiatement de Jésus-Christ lui-même ; et, par conséquent, tout cela est soustrait à l’autorité de l’Église. Ce que Jésus-Christ a établi doit toujours être observé invariablement, tandis que l’Église peut, dans certaines circonstances et pour de sages motifs, modifier ou même abroger les institutions dont elle est l’auteur. » N. Gihr, op. cit., t. i, p. 161-162. Ajoutons que, si l’intention des Pères de Trente n’avait pas visé une institution immédiate, le concile n’aurait pas enseigné que Jésus-Christ a institué le sacrement de pénitence principalement quand, après sa résurrection, il souflla sur ses apôtres, leur disant : Recevez le Saint-Esprit, etc., et surtout il n’aurait pas précisé que Jésus-Christ a institué l’extrême-onction, dont il attribue à l’apôtre Jacques la promulgation seulement. Sess. xiv, c. i, De pœnitentia et can., De extrema unctione, Denz.-Bannw., n. 894, 926.

La seconde vérité, c’est qu’il y a sept sacrements, ni plus, ni moins. Comme on l’a dit plus haut, l’argument de convenance a été invoqué au cours des débats ; mais l’argument d’autorité a été, lui aussi, mis en relief. La décrétale Ad abolendam énonce le principe général. Mais la détermination des sept sacrements avait déjà été faite avant le concile de Trente. Nous l’avons vu plus haut et, au cours des discussions, les Pères ne manquent pas de se reporter aux documents antérieurs, principalement au concile de Florence.

Enfin, le concile détermine une troisième vérité : ces sacrements sont proprement et véritablement des sacrements : le mot est entendu ici au sens strict que la théologie lui reconnaît depuis le xiii c siècle : signe efficace de la grâce qu’il produit. Les canons suivants développeront à ce sujet la pensée du concile.


IV. LES EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES RELATIVES A L’INSTITUTION DES SACREMENTS PAR LE CHRIST ET AU NOMBRE SEPTÉNAIRE.

Nous pouvons considérer :
1° les explications hétérodoxes ;
2° les explications catholiques.

I. explications hétérodoxes.

Elles partent toutes d’un principe identique : les sacrements n’ont pas été, du moins dans leur totalité, institués par le Christ ; ils sont, tout au moins pour un certain nombre d’entre eux, le fruit d’une évolution naturelle du sentiment religieux. Nous trouvons, sur ce thème fondamental, trois variations : l’explication protestante, l’explication moderniste, l’explication rationaliste.

L’explication protestante.


C’est celle qui, dans l’ensemble, s’éloigne le moins de la doctrine catholique, les protestants admettant l’institution de quelques sacrements par le Christ. Le critérium de l’institution, c’est l’Évangile. Or, dans l’Évangile, deux sacrements seuls sont indiqués comme voulus et institués par le Christ, le baptême et la cène. Tous les autres rites sacrés, que l’Église catholique appelle sacrements, ne sont donc, en réalité, que des cérémonies religieuses, plus ou moins respectables sans doute, auxquelles l’Église catholique a attaché une valeur qu’ils ne possédaient pas.

Ainsi, dans la Captivité de Babylone, Luther montre son dédain pour le sacrement de confirmation. Un sacrement devrait rappeler une promesse du Christ ; or, dans la confirmation, il n’y a aucun rappel d’une promesse du Christ. Ce n’est pas un sacrement, mais une simple cérémonie extérieure. Elle n’a aucun droit d’être rangée parmi les sacrements de la foi. « On se demande, écrit-il, ce qui leur a passé par l’esprit de faire de l’imposition des mains un sacrement de confirmation. » Et il insinue que c’était pour fournir aux évêques une occasion de parader ! Opéra, Weimar, t. vi, p. 549. Et Mélanehthon, dans l’Apologie de la confession d’Augsbourg, affirme que tant la confirmation que l’extrême-onction sont des rites humains introduits par les Pères ; qu’en conséquence, il est indispensable de distinguer ces rites des vrais sacrements qui ont reçu de Dieu une destination expresse