Dictionnaire de théologie catholique/RUSSIE (Pensée religieuse) I. Avant le Saint-Synode 1. Introduction. Aperçu historique sur la conversion de la Russie

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 111-193).

RUSSIE (Pensée religieuse) :
I. Jusqu’à l’établissement du Saint-Synode.
II. Depuis l’établissement du Saint -Synode.

I. JUSQU’A L’ÉTABLISSEMENT DU SAINT-SYNODE.


I. Introduction. Aperçu historique sur la conversion de la Russie.
II. Polémique anti-latine avant l’invasion des Mongols (col. 216).
III. Polémique anti-juive jusqu’à l’invasion des Mongols (col. 221).
IV. Traités doctrinaux et oratoires, canoniques et historiques composés à la même époque (col. 224).
V. L’invasion des Mongols et le synode de 1274 (col. 232).
VI. Les premiers métropolites de Moscou (col. 235).
VII. L’hérésie des strigolniki (col. 239).
VIII. Le con cile de Florence et l’autocéphalie moscovite (col. 242 1.
IX. L’hérésie judaïsante : conciles de 1490 et 1503 (col. 249).
X. Maxime le Grec et le métropolite Daniel (col. 262).
XI. Les conciles d’Ivan le Terrible ; Litté rature religieuse (col. 262).
XII. L’institution du patriarcat moscovite (col. 272).
XIII. Le concile de 1620 et la rebaptisation des latins (col. 276).
XIV. Les controverses avec les protestants (col. 281).
XV. Le patriarche Nikon ; le schisme des starovières ; les conciles de 1653, 1654 et 1666-1667 (col. 292).
XVI. Les théologiens kiéviens en Moscovie et le débat sur la forme de l’eucharistie ; concile de 1690 (col. 304).
XVII. La suppression du patriarcat (col. 324).

I. Introduction. Aperçu historique sur la conversion de la. Russie.

Observations préliminaires.

Nous nous efforcerons, dans cet article, de tracer le développement de la pensée religieuse en Russie depuis les origines jusqu’à l’établissement du Saint-Synode. Nous nous intéresserons à la théologie et à la littérature religieuse en général beaucoup plus qu’à l’histoire. On ne trouvera ici ni tables chronologiques, ni listes de sièges ou d’évêques. Nous donnerons simplement les aperçus historiques nécessaires pour comprendre l’évolution de la pensée religieuse. Nous ne ferons que de rares allusions, bien entendu, aux auteurs ascétiques et mystiques. Deux auteurs, surtout nous ont précédé en Occident. Ce sont Aurelio Palmier ! et le P. M. Jugie, A. A. ; le premier dans sa Theologia dogmalica orthodoxa ad lumen catholicm doctrines examinata, 2e éd., Florence, 1911-1913 ; cl son Nomenclaior Uiterarius theologiæ russicic ac greea récent ioris, 1908-1911 ; le second dans sa Theologia dogmalica chrisiianoruin orientalium ab Ecclesia catholica dtssideniium, t. i, Paris, l<>2t>, p. 546-592.

La pensée théologique de l’ancienne Russie ne s’est pas formée dans les écoles. À l’époque où, en Occident, les universités se multipliaient et où la théologie scolastique brillait d’un vif éclat, la Russie tombait sous le joug des Mongols ; aussi presque tous les traités théologiques dont nous aurons à nous occuper ne sont pas le fruit de paisibles recherches ; ce sont des traités de polémique suscités accidentellement au cours des siècles par diverses controverses : les uns sont dirigés contre les adversaires classiques de l’orthodoxie pravoslave, les latins, les juifs, les protestants : d’autres, plus spécialement russes, ont pour but de réfuter les diverses sectes nées de l’orthodoxie elle-même, comme celles des strigolniki, des judaïsants, des starovières. Certains événements politico-religieux, la chute de Constantinople venant après le concile de Florence, le sacre d’Ivan le Terrible sont à l’origine de plusieurs traités assez caractéristiques. L’union religieuse des Ruthènes (1595-1596) et les polémiques qu’elle suscita furent à la base d’une renaissance intellectuelle qui se lit vivement sentir en Russie septentrionale au cours des xviie et xviii siècles.

Il y eut pourtant une certaine évolution et un progrès positif ; les polémistes postérieurs se servaient des travaux de leurs prédécesseurs et ajoutaient à leurs arguments. La polémique antilatine du xviie siècle est un peu moins primitive que celle du xiii°, encore que la profession de foi rendue populaire par le patriarche Philarète soit bien dans les mêmes lignes que le LTepl twv <PpàyY wv - La production théologique de la fin du xviie siècle, née elle aussi de la polémique, compte cependant des ouvrages remarquables où la doctrine est exposée avec ordre, sérénité, esprit de suite, et même avec une certaine ampleur.

On trouvera des indications bibliographiques à la fin de chaque paragraphe plus important. Un grand nombre des études que nous citerons ont paru dans les diverses collections scientifiques de Russie ; pour les désigner, nous emploierons les abréviations suivantes :

Bog. Vêsi. = Bogoslovskij Vêslnik (Le messager théologique). Revue de l’académie ecclésiast qu - de Moscou, ou plus exactement de Scrgiev Troitsa.

Ctenija = Ctenija v imperalorskom obScestvê islorija i drevnoslej rossiiskikli (Lectures de la société impériale d’histoire et d’antiquités russes). Cette société était rattachée à l’université de Moscou. La collection des Ctenija est de toute première importance pour notre étude.

Izv. Otd. ----- Izvestija otdêlenija russkago jazyka i slovesnosti (Nouvelles de ht section de langue et de littérature russes), de l’académie des sciences de Saint-Pétersbourg.

Khr. ("lien. = Khristjanskoe Clenie (Lecture chrétienne). Revue de l’académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg.

Lêt. zan. = Lêtopis’zanjatii arkheograflàeskoj Kommissii ( Annuaire des travaux de la commission archéographique), de l’académie des sciences de Saint-Pétersbourg.

Prav. Sob. — Pravoslannyj Sobesednik (L’interlocuteur orthodoxe). Revue de l’acadé î.ie théologique de Kazan.

Russ. Jst. Bibl. Russkaja istoriëeskaja biblioleka

(liibliothèque d’histoire russe), publiée par l’académie des sciences de Saint-Pétersbourg.

Sbor. Otd. -- Sbornik nUlclenija russkago jazgkai slovesnosti (Recueil de la section de langue et de littérature russes), de l’académie des sciences.

Trudg Trudg (Travaux), de l’académie ecclésiastique de Kiev.

Zwn. Miit. Nar. Pr. = Ëurnal ministerstva Narodnago ProsvéSlenija (Journal du ministère de l’Instruction publique).

Toutes ces collections, sauf Izv. Otd., Sbor. Otd., et Russ.

ht. Bibl. ont cessé de paraître depuis la révolution communiste.

On est toujours embarrassé quand on doit écrire sur la Russie. Il y a, en réalité, trois Russies plus ou moins distinctes et les esprits sont extraordinaircment divisés sur le degré de diversité qui les sépare : la Russie du Nord ou Grande-Russie avec Moscou pour capitale ; la Russie du Sud ou Petite-Russie qui est désignée aujourd’hui sous le nom d’Ukraine ; et la Russie de l’Ouest ou Russie-Planche. Il y aurait encore d’autres divisions à faire : nous pouvons les négliger. Jusqu’à l’invasion des Mongols et la chute de Kiev (1240), ces trois Russies étaient assez unies sous le sceptre du grand prince de Kiev qui exerçait une autorité nominale sur les autres princes locaux. Après l’invasion des Mongols, la Russie du Nord ou Grande-Russie fut centralisée peu à peu autour de Moscou. La Russie méridionale ou Ukraine et la Russie-Blanche firent partie de la République polonaise (composée après l’Union de Horodlo, du royaume de Pologne et du grand-duché de Lithuanie). L’Ukraine passa sous le sceptre moscovite un peu après le milieu du xviie siècle et perdit peu à peu son autonomie ecclésiastique. La Russie-Blanche fut annexée lors des partages de la Pologne durant la seconde moitié du xviii c siècle, sauf pour quelques-unes de ses provinces orientales acquises déjà par Alexis Mikhailovifi et Pierre le Grand. Aujourd’hui, il est difficile de parler, même en historien, de ces pays ou de ce pays, sans mécontenter les Grands-Russes, ou les Ukrainiens, ou les Blancs-Russiens, ou tous les trois à la fois. Nous avons décidé, dans cet article, de ne pas faire de distinction entre ces divers territoires jusqu’à l’invasion des Mongols et la chute de Kiev (1240). Aussi, la conversion de la Russie y trouvera place ; ainsi de même, l’ancienne littérature prémongolienne qui se développa surtout autour de Kiev. À partir de l’invasion des Mongols jusqu’à Pierre le Grand, nous parlerons exclusivement de la Russie du Nord ou Grande-Russie, souvent appelée Moscovie, surtout jusqu’au xvii c siècle. L’évolution de la pensée religieuse chez les Petits-Russiens ou Ukrainiens et chez les Blancs-Russiens, qui doit être traitée per modurn unius revient à l’article Ruthène (Église).

Aperçu historique sur la conversion de la Russie.


La première évangélisation de la Russie propremen ! dite date de 861 ou de 862. Le 18 juin 860, les Russes attaquèrent Constantinople. La ville fut sauvée, s’il faut en croire le patriarche Photius, par un miracle. Il plongea la tunique de la Vierge dans la mer ; l’eau s’agita, la tempête se leva et les Russes s’enfuirent. Ils firent pourtant d’affreux dégâts dans le voisinage. Revenus dans leur pays, ces barbares demandèrent an évêque et embrassèrent la religion chrétienne.

L’attaque des Russes est décrite par les chroniqueurs byzantins. Voir aussi : C. Boor, Der Angrifj der lihds auf Byzanz, dans Byzantin. Zeitselirijt, t. iv, 189."), p. 445 sq. ; E. Gerland, Photios und tler Angriff der Russen auf Byzan-, fis juni 860), dans Neue Jahr bûcher fur dus klass. Alterlum, t. ii, 1903, p. 718-722 ; Franz Cumont, Anecdota Bruxellensia. Chroniques byzantines, Gand, 1894. M. Cumont a fixé la date jusqu’alors très controversée de l’attaque des Russes contre Byzance. Cette découverte fut aussitôt communiquée à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg dans Vizantijskij Vremennik, 1. 1 (1894), p. 238 ; Papadopoulos-Kérameus, L’acathiste de la Mère de Dieu, la Russie et le patriarche Photius (en russe : Akaftst Boziej Materi), dans Vizantijskij Vremennik, 1903, 3 ; du même, Deux homélies du patriarche Photius à l’occasion de l’attaque des Russes contre Constanlinople (en russe : Dve besedy) dans Khr. Cten., 1882, 2 ; A. Palmieri, La conversione dei Russi al cristianisimoe la testimonianza di Fozio, dans Studi religiosi, t.n (1901). Photius parle de la conversion des Russes dans son Encyclique, et les chroniqueurs byzantins donnèrent la notice.

Avec le baptême d’Olga, nous sommes sur un terrain plus solide, quoiqu’ici encore les questions soulevées soient nombreuses. Olga était la veuve du prince Igor, lui-même petit-fils de Rurik. Certains auteurs, Golubinskij par exemple, ont cru qu’elle fut baptisée en Russie. D’autres opinent pour deux oyages à Constantinople. Mais Olga se mit aussi en rapports avec l’Occident. En 959, d’après les Annales d’Hildestieim : Legali Helenæ (Olga reçut au baptême le nom d’Hélène) reginæ Rugorum, quæ sub rnmano imperalore Constant inopoli baplizata est, ficle, ut post claruil, ad regem venientes episcopum et presbyleros eidern genli ordinari pelebanl. Adalbert, ex cœnobilis sancti Maximi, fut destiné bien contre son gré à cette mission

dont il revint au bout d’une année en se plaignant amèrement de l’inutilité de son séjour en Russie et des difficultés du voyage et il reçut alors une prébende plus attrayante. Olga mourut chrétienne à un âge très avancé.

Voir sur cette question : K. Golubinskij, Histoire de V Êijlise russe (en russe) t. i a ; Vlad. Parkhomenko, La sainte isapnstole d’ancienne Russie, Olga. La question de son mariage (en russe, Drevnerusskaja…), Kiev, 1911 ; il suppose deux voyages à Constantinople ; Schlumberger, L’épopée byzantine, t. i, Paris, 1928, p. 969-989.

Son (ils, le belliqueux Svjatoslav, célèbre pour les échecs qu’il infligea à Byzance et pour la description que laissa de lui Léon le Diacre, resta païen tout en pratiquant la tolérance la plus large envers les variagues convertis. Il se moquait d’eux. Sous son règne, plus encore sous celui de son fils Jaropolk, les chrétiens se multiplièrent à Kiev. Ils jouissaient d’ailleurs depui 1 - : l’époque d’Igor, de plusieurs églises dont un sobor (cathédrale, ou simplement église plus spacieuse ?) dédié à saint Élie comme l’église du quartier russe de Constantinople.

La Russie fut baptisée de façon définitive : ous le règne de saint Vladimir, mais l’histoire de cet événement a été tellement défigurée par des historiens intéressés, qu’il est presque impossible aujourd’hui d’affirmer avec quelque certitude sous quelles influences la Russie reçut la foi chrétienne. La cause en est dans la narration, incorporée à l’ancienne chronique dite de « Nestor » et qui en fit disparaître (si jamais elle exista) une histoire plus ancienne et plus véridique. Malgré les arguments sans cesse croissants apportés par les savants russes et étrangers depuis près d’un siècle contre la valeur de cette narration telle qu’elle existe aujourd’hui, certains auteurs récents, et même très récents, s’en servent encore pour décrire les origines du christianisme en Russie. En voici un court résumé : Vladimir vivait dans l’orgie et la débauche quand il reçut la visite de divers missionnaires qui lui proposèrent chacun leur foi ; ils avaient été envoyés par des Bulgares mahométans, les Khazars juifs, les Allemands latins, enfin un philosophe grec du nom de Constantin lui fit une prédication impressionnante sur toute l’histoire de l’humanité en commençant par la création. Puis Vladimir envoya ses ambassadeurs enquêter chez les Bulgares, les Allemands et les Grecs. Ceux-ci furent préférés. Vladimir décida d’embrasser leur religion ; il commença donc par attaquer la ville impériale de Cherson en Tauride, la relâcha moyennant la main delà sœur de l’empereur (ou des empereurs byzantins), la porphyrogénète Anne, se lit baptiser par les prêtres grecs qui accompagnaient la princesse, prononça une terrible profession de foi antilatine (et même semiarienne ! ) et revint à Kiev où il fit baptiser son peuple. De toute cette histoire, que Bclajev avait caractérisée dès 1847 comme « inventée par un Grec », tant elle est pleine de contradictions et d’impossibilités, on ne peut guère retenir que ce qui est prouvé par ailleurs… Depuis bien des années les érudits russes étaient divisés : les uns disaient, avec Golubinskij, que cette narration était une invention pure et simple de quelque Grec intéressé, d’autres soutenaient avec Elpidiphore Bar sov que c’était une légende populaire, brodée sur un fondement historique. C’est en 1882 que les deux savants russes curent cette controverse ; mais en Occident on cite encore « l’invention pure » ou la « légende populaire » comme un document sérieux I Comme le faisait remarquer l’historien le plus récent de saint Vladimir, le baron de Baumgarten, « plus une légende est fausse, plus fortement elle s’enracine dans l’histoire d’un peuple », malgré les efforts des érudits pour l’en extirper.

Laissant de côté le roman tardif du pseudo-Nestor, voici que] semble avoir été le cours des événements. Converti en 987 à la foi chrétienne. Vladimir reçut, peu avant son baptême (ou aussitôt après), une ambassade byzantine qui demandait un secours militaire contre le rebelle Bardas Phocas. Vladimir accepta d’aider les Byzantins à condition de recevoir la main de la sœur des empereurs, la porphyrogénète Anne. Il y a certainement un lien entre le baptême du prince russe et son mariage avec la porphyre génète, car il (ùl élé absolument impossible de faire entrer la princesse byzantine dans l’ample harem du prince païen ! Byzance accepta les conditions du prince russe. Vladimir condui.it ses troupes à Constantinople, épousa Anne, battit les révoltés (988-989), mais, quand la révolte fut domptée, il se vit refuser la princesse. Dépité, il attaqua la ville de Chcrson en Crimée et força la main aux empereurs. Anne lui fut envoyée ; il restitua la ville, vint à Kiev avec son épouse et fit baptiser son peuple.

Il nous est impossible de donner ici une bibliographie sur Nestor, ni même sur les chroniques russes dont l’édition par l’Académie des sciences de Russie es ! encore en cours de publication (elle a déjà 24 volumes). On trouvera une excellente bibliographie dans N. de Baumgarten, Saint Vladimirel la conversion de lu Russie, dans Orientaliachristiana, . xxvii, 1932 ; voir aussi Schlumberger, op. cit. ; Golubinskij, Hist. de l’Église russe (en russe), t. I a.

En allemand : G. Lælir, Die An/ange îles russischen Heiehes, Berlin, 1930. En anglais : Mann, 771e eurlu Russian Chnrch and Ihe Papacy, Catholic Truth Society, Londres, 1926. Nous renvoyons les historiens en quête île bibliographie à N. de Baumgarten. Mentionnons pourtant la Disserlalio de conuersione et fuie Russorum du P. Slilting, Acta sanciorum, sept. t. ii, vieillie, il est vrai, mais contenant des choses précieuses. On ne cite jamais cette Disserlatio dans les travaux sur la conversion de la Russie. Pour l’époque de.laropolk, voir V. Zaikin, Le christianisme en Ukraine à l’époque du prince Jaropolk I", dans Analecta ordinis S. Basilii Magni, t. iii, 1928-1930, n. 1 et 2.

Bien plus importante que la conversion individuelle de saint Vladimir fut la conversion de la Russie. Ici encore l’histoire a élé faussée. On a voulu voir, dans cette œuvre, le travail exclusif des Byzantins. C’était la version officielle. Néanmoins, on remarque ces dernières années, une évolution considérable.

D’après Michel Priselkov, dont les conclusions ont été en grande partie acceptées par A. -A. Sakhmatov, l’évangélisation fie la Russie fut l’œuvre de prêtres bulgares. Vladimir, qui s’était converti par politique, aurait placé la Russie récemment convertie sous la juridiction du patriarche (ou de l’archevêque autocéphale ) d’Ochrida. Tel aurait été le statut canonique de l’Église russe jusqu’à l’érection de la métropole de Kiev en 1037 par Jaroslav le Sage. Cette hypothèse, qui causa beaucoup de mécontentement dans les sphères orthodoxes lors de son apparition, n’a pas été accueillie avec faveur ; la partie essentielle, à savoir qlie les influences bulgares se tirent vivement ressentir à l’époque de Vladimir, semble être restée. Ainsi, Istrin reconnaît qu’avant 1037 « les Bulgares exercèrent une influence prépondérante sur les affaires religieuses de Russie » (Esquisse de l’hist. de Vont-, littér. russe, Pétrograd, 1922, p. 1-3). On peut même dire que, soit à cette époque, soit a une époque plus tardive, toute la production littéraire bulgare du siècle de Siméon est passée aux néochrét ieus de Russie. I.a langue ecclésiastique de l’ancienne Russie est l’ancien bulgare à peine changé. À peu près toutes les anciennes traductions des saints Cyrille et Méthode, toute l’œuvre littéraire de leurs disciples semble être passée en Russie : livres liturgiques, traités juridiques, iv CUeils de sermons, I raducl ions de l’Écriture sainte, des Pères de l’Église, etc. Peu -i peu, cependant, la langue évoluait, quelques lettres disparaissaient et la langue ecclésiastique, nettement bulgare à ses débuts, prenait une tournure indigène plus accentuée. Il faut relever que la production théologique bulgare de cette première époque ne semble pas avoir contenu de traces de la polémique entre Orient et Occident. Bien au contraire ! Les Vies des saints Constantin (Cyrille) et Méthode qui entrèrent par cette voie en ancienne Russie (en dehors d’une pointe assez vive contre les évêques bavarois et de leur < hérésie » hyopatérique), montraient un grand respect vis-à-vis de Vapostolicus de pape) : la traduction méthodienne du Nomoranon contenait une protestation contre le 28e canon de Chalcédoine et une affirmât ion aussi énergique qu’inattendue de la primauté du pape. La Bulgarie ne deviendra antilatine que sous l’influence de Grecs comme Léon d’Ochrida et Théophylaclc.

M. Priselkov, Essais sur l’hist. polit.-relig. de la Russie kié vienne, Pétersbourg, 1913 ; voir les recensions de V. Zavitnevië, dans Trudy, avril 191 1, p. (128 sq. ; Titlinov, dans Khr. C.ten., dée. 1913, p. 1 I 18, 1 170 ; A.-A. Sakhmatov, dans Journal historique scientifique (Nauc. lsi.’Zurn.), avril 191 1, p. 30-61 ; et de A.-U. Kozosev, dans Zurn. Min. Nar. l’r.. octobre 191 1. La recension de VI. Parkhomenko, qui était un des adversaires les plus résolus de Priselkov a paru sous le titre de’l’rnis moments de l’histoire primitive du christianisme en Russie, dans Izv. Otd., avril 1913, p. 371-380. Voir encore du mè i e, Réponse à la recension de M. Priselkov, dans Izv. Otd.. 1914, p. 257-259. Priselkov avait jugé très sévèrement [e Début du christianisme en Russie (Nafalo…), Poltava, 1913, de Parkhomenko ; V.-M. Istrin, Esquisse d’une histoire de l’ancienne littérature russe, Pétrograd. 1922. Pour les scholia de l’ancien Nomocanon slave, voir la bibliographie cyrillo-méthodienne.

D’autres auteurs ont souligné les influences occidentales dans la conversion de la Russie. Tout récemment, M. Nikolskij a écrit un travail quelque peu sensationnel, où il établissait que les Slaves de la vallée du Dniepr, avant la conversion de saint Vladimir, avaient subi de fortes influences moraves et étaient devenus chrétiens sous l’influence de disciples de saint Méthode. Saint Vladimir reçut une série d’ambassades romaines, Un des plus célèbres visiteurs à la cour de Kiev fut saint Bruno (appelé aussi saint Boniface). Dans une lettre qu’il écrivit vers 1006 au roi Henri II d’Allemagne, Bruno décrit la magnifique hospitalité qu’il reçut du Senior Rulorum, magnus regnn et divitiis rcrum, durant l’espace d’un mois. Mais le vaillant missionnaire voulait aller chez les Pétchenègues, les fameux Petzinaces, qui infestaient les steppes de la Bussie méridionale. Vladimir l’accompagna jusqu’à la frontière. Bruno chantait nobilr carmen : l’elre. amas nie ? Pasce oves meas. Vladimir chercha à le détourner de cette mission qu’il jugeai ! inutile et dangereuse. Bruno lui répondit : Aperial tibi Deus paradisum, sieut nobis aperuisli viam ad paganos, Bruno convertit une trentaine de Pétchenègues et laissa un évêque latin parmi eux. Rien de celle activité n’est resté dans les chroniques russes, mais on a trouvé des médailles attestant le passage de Bruno chez les l’él ehenègues.

Aussi ne faut-il pas s’étonner de rencontrer beaucoup de traces d’influence occidentale dans la littérature religieuse d’ancienne Bussie. En Moravie, d’où l’héritage des saints Cyrille et Méthode n’avait pas été totalement banni, il y avait eu une littérature slave de quelque importance. La langue écrite y était la même qu’en Bulgarie avec, en plus, quelques « moravismes … plutôt dans le vocabulaire que dans la syntaxe. M. Nikolskij a eu le mérite de mettre en relief les restes d’influences occidentales que l’on peut discerner encore aujourd’hui dans l’ancienne littérature kiévienne. M. Istrin s’est plaint dans son Essai sur l’histoire de l’ancienne littérature russe (Pétrograd. 1922), que l’histoire des relations entre la Russie et les Slaves occidentaux n’ait pas encore été suffisamment étudiée, mais il croyait pouvoir conclure qu’à l’époque de Vladimir ces relations furent plus étroites que dans la suite. On a remarqué l’influence de la Vie de saint Vencestas de Bohême sur celle des saints Boris et Gleb. M. Sobolevskij a publié toute une série de documents d’origine occidentale qui furent introduits en Russie, sinon durant le règne de saint Vladimir, à tout le moins à l’époque prémongolienne. Nous omettons la Vie de saint Benoît qui existe aussi en grec ; mais la Vie de saint Apollinaire de Ravenne a été traduite immédiatement du latin ; celle de saint Guy, inconnu chez les Grecs, mais célèbre en Bohême, a été éditée par le même savant d’après un manuscrit du xiie siècle ; il a donné aussi de vieux textes slaves de la Vie de sainte Anastasie la Romaine, de la Vie de saint Clirysogone, les Actes du pape saint Etienne, tous directement traduits du latin, ainsi qu’une série de prières remarquables qui connurent une vogue considérable en ancienne Russie. Ainsi, il imprimait en 191 une curieuse Prière contre le diable tirée d’un manuscrit du xme siècle où, entre autres saints, on invoquait l’aide des saints Guy, Laurent, Florian, Chrysogone, Zoilé, Boniface. Parmi les évêques, il y avait Clément de Rome, Sylvestre, Ambroise, Jérôme (sic ! il y était même deux fois, par lapsus), Martin, Cyprien et, parmi les vierges, il y avait Agathe, Lucie, Cécile Félicité, Walpurge. Dans la Prière à la sainte Tiinilc, qui date de la même époque et dont il existe de nombreuses variantes, on nomme, après les apôtres « le saint chœur des papes », et avec eux quelques autres saints occidentaux dont les saints Magnus, Canut, Alban. Un peu plus tardive sans doute et se ressentant déjà de fortes influences polonaises est une traduction en vieux-russe de la Messe latine de la sainte Vierge où nous avons les prières au bas de l’autel, l’Introït, la Collecte (Concède), la Préface (Et te in jestivilale) et le Credo (avec Filioque).

Il ne faut pas exagérer la portée de ces témoignages littéraires comme l’a fait jadis M. Korobko. On ne peut en déduire que la Russie fut convertie par des missionnaires occidentaux à l’époque de saint Vladimir ou avant. Plusieurs des saints commémorés attestent une origine plus tardive de ces documents. Mais ce qui en ressort de façon inévitable, c’est qu’à côté des influences byzantines et bulgares, il faut aussi admettre une influence occidentale dans la formation de la pensée religieuse de la Russie primitive. On s’expliquerait bien difficilement une forte influence occidentale au xiiie siècle et plus tard, si, longtemps auparavant, il n’y avait eu en Russie que des missionnaiies antilatins. Dans son ouvrage récent, N. de Baumgarten affirmait, avec réserves bien entendu, que la première hiérarchie en Russie avait été non byzantine, mais occidentale. C’est une hypothèse qu’on aimerait voir discutée.

La lettre de saint Bruno, découverte par A. Hilferding et publiée par lui en 1856, se trouve dans A. Bielowski, Monum. Poloniæ hist., t. i, et dans Monum. Hungarise hist., t. vi. Voir aussi V.-G. Ljaskoronskij, Dans quelle partie de la Russie méridionale se trouve le district où prêcha l’évêque Bruno au début du XI’siècle ? (K voprosu o mêstopolozenii. ..), dans Éurn. Min. Sur. Pr., août 1916 ; i ! est difficile, après l’étude du savant historien de la Russie prémongolienne, de rejeter l’authenticité de la lettre de Bruno ; N. Nikolskij, Le récit des temps écoulés, source pour l’hist. de la première période de l’hist. et de la civilis. russes f PovesV oremennykh…), Leningrad, 1930 (cf. Orientalia christiana, t. xxxii, 1933, p. 180-21 1).

Les textes slaves directement traduits du latin dont nous avons parlé au cours de ce paragraphe ont été publiés par A.-I. Sobolevskij, dans Izv. Otd., Matériaux et éludes dans te domaine de la philologie et l’archéologie slave, janv., fév., avril 1903 ; janv., avril 1905. Voir aussi Sborn. Otd., mars 1910, p. 88 ; Les plus anciennes traductions des catholiques russes, ibid., p. 193. Il y eut à ce sujet une polémique entre lui et M. Korobka : Korobka, Sur les origines du christianisme en Russie, dans Izv. Otd., février 1906 ; Sobolevskij, Deux mots sur les anciennes traductions slaves faites sur le latin, dans Izv. Otd., avril 1906 ; cf. V. Zaikin, Nicolas Korobka et son enquête sur les origines du christianisme en Russie, dans Bogosiovija, t. iv, avril 1926.

Saint Vladimir mourut en 1015 laissant à la Russie le glorieux héritage de la foi chrétienne. Après sa mort il y eut parmi ses fils de graves discordes, qui eurent pour résultat l’assassinat des princes Boris et Gleb, une invasion polonaise conduite par le roi Bolestas et une guerre civile. Enfin Jaroslav (baptisé sous le nom de Georges), le plus brillant des fils de Vladimir, monta sur le trône de son père et ce fut, pour reprendre l’expression du P. Pierling, « le siècle des lumières ». Car Jaroslav aimait beaucoup les livres « et les lisait souvent, nuit et jour ; il rassembla beaucoup d’écrivains ; il fit des traductions du grec dans la langue et l’écriture slave. Il écrivit et rassembla beaucoup de livres » (Chronique dite de Nestor, édit. L. Léger, p. 128). Le vieux chroniqueur russe place cet éloge en l’année 1037, quand Jaroslav fonda le siège métropolitain de Kiev et quand le premier métropolite, le Grec Théopempte vint de Constant inople. On ne sait rien de certain sur la hiérarchie russe avant l’arrivée de Théopempte. Deux ans après, en 1039, celui-ci consacrait l’église métropole, la fameuse cathédrale de Sainte-Sophie de Kiev.

Voir N T. de Baumgarten, Chronologie ecclésiastique des terres russes du A" au XIII’siècle, dans Orientalia christiana, t. xvii, 1930. fasc. 58. Cet ouvrage est un excellent résumé des chroniques russes pour l’époque indiquée et pour ce qui a trait à l’histoire ecclésiastique. On y trouvera une excellente bibliographie.

Les Grecs, s’ils apportèrent en Russie beaucoup delivres à traduire, ne surent pas se faire aimer. Théopempte n’était pas en Russie depuis longtemps quand la guerre éclata entre Kiev et Byzance. Théopempte devint insupportable. Les Grecs affichaient une morgue extraordinaire vis-à-vis des nouveaux chrétiens ; ils faisaient continuellement remarquer aux Russes que la lumière venait de Byzance et que les Russes n’étaient, en somme, que des néophytes. Ainsi de même, presque deux siècles auparavant, ils s’étaient rendus insupportables à Boris de Bulgarie. C’est alors qu’une tendance nouvelle se manifesta en Russie : l’autocéphalie. Le successeur de Théopempte, le métropolite Hilarion, était russe. Il fut choisi par les évêques russes (ou par leur souverain Jaroslav) sans recours à Constant inople ; il était connu par un magnilique éloge du kagan Vladimir, d’une haute portée oratoire, où il chantait les louanges du prince russe, second Constantin, qui avait donné la foi au peuple russe — mais le moine devenu métropolite se gardait bien de faire la moindre allusion à l’œuvre des missionnaires grecs en Russie. Il est important de relever qu’à l’époque où Cérulaire rompit avec Rome, Hilarion siégeait à Kiev ou venait à peine de mourir. On trouvera la bibliographie sur Hilarion, col. 223.

Jusqu’à la fin du xie siècle, les relations avec Rome subsistèrent. On sait comment le grand-prince Izjaslav de Kiev, chassé de son pays, envoya son fils Jaropolk-Pierre à Rome implorer l’aide de Grégoire VII et placer la Russie sous la protection du prince des apôtres. Voir la lettre de Grégoire dans P. L., t. cxlviii, col. 423-426. Avec l’aide du pape et du duc de Pologne, Izjaslav et Jaropolk revinrent à Kiev et bâtirent, sur l’emplacement où les Kiéviens avaient été baptisés en 989, une église dédiée à saint Pierre. Quand Jaropolk-Pierre fut tué en 1086, on amena son corps à Kiev au monastère de Saint-Dimitri et on l’ensevelit dans l’église Saint-Pierre qu’il avait bâtie. En 1128 le nom de l’église avait déjà été changé et il semble que l’on se disputai ! à ce sujet. Nous lisons à cette date dans la chronique : « Cette année, les moines des Cryptes s’emparèrent de l’église de Di nitri et l’appelèrent l’église de Pierre, commettant ainsi un grand péché ». N. de Baumgarten, Chronologie ecclé iaslique, dans Orientalia christiana, t. xvii, 1930, n. (13. Ils s’efforçaient simplement de revenir à l’ancienne tradition et le parti adverse protestait. Les deux prologues du xiiie siècle découverts et décrits par P. -A. Lavrovskij {Description de sept mss de la biblioth. publique de Saint-Pétersbourg (Opisanie…), dans Clenija, avril 1858, p. 7 ; q.), parlent toujours d’une église Saint-Pierre à l’endroit où la Russie avait été baptisée, mais au xve siècle le vocable avait disparu et l’église était dédiée aux saints Boris et Gleb. Jaropolk-Pierre, le pèlerin de Rome, est vénéré comme saint par les orthodoxes de Volhynie. Il y avait aussi une église latine dans la forteresse même de Kiev durant toute l’époque prémongolienne — signe manifeste qu’elle y fut bâtie par un souverain catholique.

Un autre sanctuaire de Russie où l’influence occidentale se fît sentir est le vénéré monastère des Cryptes de Kiev, centre de pèlerinages non seulement pour les Ukrainiens, mais pour tous les Russes. Ce Pater ik des Cryptes nous parle des relations entre les saints Antoine et Théodose et le variague Simon. Parmi les favoris de saint Théodose, il faut compter le voévode de Kiev, Jan, et sa femme, Marie. L’influence variague (occidentale et latine) dans la fondation du célèbre monastère kiévien a été relevée par de nombreux historiens. Sans doute, le Palerik nous avertit que le variague Simon (appelé ensuite Siméon), qui avait été en rapports si étroits avec tous ces événements, abandonna le latinisme et fut converti à l’orthodoxie par saint Théodose ; mais on s’explique l’anachronisme de cette supposition en se rappelant que ce passage du Palerik ne date que du xiii c siècle.

Sur les rapports de la Russie avec l’Occident après Cérulaire, voir surtout li. Leib, Home, Kiev et Byzance à la fin du XI’siècle. Rapports religieux des Latins et des Gréco-Russes sous le pontificat d’Urbain 11 (1088-1099), Paris, 1924 ; D.-N. Egorov, Rapports des Slaves et des Allemands au Moyen Aye, 2 vol., Moscou, 1915 (Slavjano-germanskija olnoscni]ii…) ; Th. Ediger, Russlands atteste Beziehungen ru Deulschland, Frankreich und zur rômischen Kurie, Halle, 1911 ; I.-A. Linniëenko, Rapports mutuels de lit Russie et de la Pologne jusqu’à lu fin du XIIe siècle ( Vrajmnyja otno.senija. ..), dans Kicvskie univcrsitelskije izvestija, 1882-1883 ; I.-A. Ljaskoronskij, Hist. <le la terre de Pcrejaslavl depuis l’époque la plus reculée jusqu’au milieu du XII f siècle (Istorija Perejasliwskoj…), 2e éd., 1030 ; du même, La citadelle de Kiev à l’époque des principautés et de la Vice (Kievskij vuigorod), dans F.urn. Min. Nar, Pr., avril 1913, étude précieuse ; VI. Abraham, Origine de l’organisation de l’Église lat.cn Russie (en polonais. Pwstanie organizacyi…), Lwow, 1904 ; M. von Taube, Rom und Russland in der vormongolisehen Zeit, dans le recueil Ex Oriente, Mavenee, 1027.

Voir aussi II. -V. Snuerland et A. HaselolT, Der l’saller Erzbischo/ Egbcrts von Trier (Codex Gerlrudianus in Cividale), Trêves, tooi, et l’Importante recension decet ouvrage dans Viiantljskij Vremennik, 1902, ». 108-210 ; II. Woroniecki, Papst Gregor VII. und dus junge Russland, dans Ex Oriente, Mayence, 1027 ; N. Kondakov, Une famille princière de Russie représentée dans des miniatures du XIe siècle (en russe : Izobraïcnie russkoj…), Pétersbourg, 1906 ; S.-X. SeverianOV, Codex Gerlrudianus, dans.S7>or. Otd., t. xcix, 1923.

L’Influence occidentale sur le droit primitif de Hussie, tant ecclésiastique que civil, a été relevée par beaucoup d’historiens. Pour le droit civil, citons L’ouvrage classique de I..-K. Goetz, Dus russische Rechl, t. i-rv, Stuttgart, 19101913 ; une édition phototypique de la Russkaja Pravda a été faite récemment par Ë.-F, KarsUij, RlUtskaja Praoda d’après le ms. le plus ancien (en russe), Leningrad, 1930. Pour le droit ecclésiastique, voir la polémique entre Suvorov et Pavlov au sujet du Nomocanon (sic) de saint Vladimir : N.-S. Suvorov, Traces du droit canonique occidental et catholique dans les monuments île l’ancien droit russe, Jaroslav, 1888 (en russe : Slédy zapadno-knl…) ; A. Pavlov, Fausses traces du droit… (en russe : Mnimge slêily zapadno-kat…), Moscou, 1892 ; réplique de Suvorov : À propos de l’influence occidentale sur l’ancien droit russe (K viiprosu o zapadnom…), .laroslavl, 1893 ; N. Nikolskij, .4 propos de l’influence occidentale sur l’ancien droit canonique russe (K voprosu…), dans Bibliografléeskaja létopis, t. iii, 1917, p. 110-124. L’édition la plus récente du Nomocanon de saint Vladimir a été faite par V.-N. BeneSevic, dans Russ. Ist. Bibl., t. xxxvi, 1920.

Il y a une abondante bibliographie sur le monastère des Cryptes, particulièrement pour l’époque prémongolienne. Citons.1. Martynov, De P. Aretlia monacho Cryptensi Kioo’ur in Russia, dans Acla sunct., octobr. t. x, p. 863-883, où l’on trouvera aussi tout un traité sur Simon, évOque de Vladimir, un des auteurs du Palerik ; L.-K. Goetz, Das Kiever Hôhlenkloster <ds Kullurzentrum des vormongolisehen Zeit, Passau, 1904 ; D. Abramovic, Élude sur le Palerik de Kiev en tant que document historique et littéraire (en russe Izsledovanie…), dans l-.v. Otd., 1001-1902. Une bonne édition du Palerik a été publiée avec l’aide de la Commission archéographique de Saint-Pétersbourg, en 1911, par D.-I. Abramovic. Nous donnerons ailleurs quelques renseignements bibliographiques sur Saint-Théodose des Cryptes.

Longtemps après Cérulaire, le peuple russe ignorait qu’il y eût un schisme entre l’Orient et l’Occident. Les prélats russes s’en rendaient peut-être compte, mais les métropolites grecs installés en Russie par le patriarche de Constant inople menaient une vigoureuse polémique antilatine et défendaient énergiquement à leurs ouailles de permettre des mariages entre latins et orientaux. Personne n’y prenait garde 1 Les mariages princiers (avec des étrangers ou étrangères) au cours du xiie siècle furent en immense majorité des mariages occidentaux. Cf. Baumgarten, Généalogies et mariages occidentaux des Rurikides russes, dans Oricnlalia christiana, t. ix, 1927, n. 35. D’ailleurs en Occident aussi à cette époque, il arrivait que papes et antipapes s’excommuniassent sans que les fidèles en fussent troublés outre mesure. Mais cet état de chose ne pouvait durer. Avant l’invasion des Mongols, Russes et Occidentaux se rebaptisaient déjà.


II. Polémique antilatine avant l’invasion des Mongols.

Avant de parler de la polémique antilatine, quelques remarques générales sont nécessaires sur la littérature russe prémongolienne.

Il s’est produit une controverse assez importante à ce sujet entre MM. Nicolas Nikolskij et E. Golubinskij. Nikolskij soutenait que cette période peut se caractériser par un développement assez notable de la culture littéraire en ancienne Russie. Golubinskij soutenait plutôt le contraire. Les remarques que nous ferons sur différents ouvrages littéraires au cours de ce paragraphe et des deux suivants montreront, croyons-nous, que la littérature russe connut alors une splendeur qu’elle ne devait plus retrouver pendant plusieurs siècles.

E.-E. Golubinskij, Hist. de l’Église russe (en russe), t. i « ; P.-V. VTadlmirov, L’ancienne littérature russe de la période kièvienne ( XI C -XI / Psiècles) (en russe : Drcvnaja russkaja. ..), Kiev, 1001° ; recension ne V. Istrin, dans 2urn. Min. Sur. Pr., mars et août 1902, p. 213-244, 400-130 ; N.-V. Volkov, Statistique des livres écrits en russe ancien aux xP-. l V siècles qui nous ont été conservés (Slatisliëeskija svedenlfa… Ldans Pamjatniki drevnej pis’mennostl, t.cxxiii, Pétersbourg, 1897 ; V.-M. Istrin, Études dans le domaine de l’ancienne littérature russe, Pétersbourg, 1900, travail paru d’abord dans ?.um. Min. Sur. Pr., 1003-1906 ; le môme auteur, qui est peut-être le meilleur connaisseur des chronographes d’ancienne Russie, a aussi publié une Esquisse de l’histoire île l’ancienne littérature russe, Pétrograd, 1922. qui a été très appréciée (en russe : Oèerk istorii…) ; N. Nikolskij, Matériaux pour un catalogue provisoire des écrivains russes et de leurs ouvrages, Pétersbourg, 1906, nous a rendu les plus grands services ; du même, Matériaux pour l’histoire de ta littérature ecclésiastique en ancienne Russie (en russe : Materialy…), dans Izv. Odt., 1902-1903 ; autre édition (Izsledovanija…), dans Sbor. OUI., t. lxxxii, 1907 ; A.-I. Sobolevskij, a publié beaucoup d’études sur cette période dans Jzv. Otd., ou Sbor. Otd-, ce sont là ses meilleures études, plus fouillées que celles qu’il imprima au début de sa carrière dans le Husskii filolog. Vêstnik de Varsovie ; citons en particulier ses Matériaux et remarques sur l’ancienne littérature russe, dans Izv. Otd., 1912-1916 ; ses Matériaux et recherclies dans le domaine de la philologie et l’archéologie slaves, dans S60r. Otd., t. lxxxvii, 1910 ; A.-I. Jatsimirskij, Petits textes et remarques sur la littérature slaroslave et russe, dans Izv. Otd., févr. 1897, avril 1898, févr. 1899, avril 1900, janv. 1902, févr. 1906, janv., févr. 1916. Cette période est également traitée avec plus ou moins de détail par tous les historiens de la littérature russe, Porfiriev, Pypin, Sevirev, etc.

Pour la polémique antilatine proprement dite, consulter : A. Popov, Bévue hislorico-liltéraire des travaux polémiques staro-russes contre les latins, Moscou, 1875, et A. Pavlov, Essai critique sur l’histoire de l’ancienne polémique grécorusse contre les latins, Pétersbourg, 1878 ; Pavlov avait commencé à écrire une recension du livre de Popov, mais son ouvrage prit de telles proportions qu’il en fit une brochure. Voir aussi M. Cel’tsov, Polémique entre grecs et latins au sujet des azymes (en russe : Polemika mezdu…), Pétersbourg, 1879.

Nous examinerons brièvement :
1° la chronique primitive ;
2° l’épître de l’archevêque Léon sur les azymes ;
3° les discours antilatins attribués à saint Théodose Piô-’rskij ;
4° la lettre du métropolite Georges :
5° celle du métropolite Jean ;
6° celles de Nice’phore, enfin
7° divers écrits c’esxiie et xiiie siècles.

La chronique primitive.


D’après la Chronique dite de Nestor, le philosophe grec qui vint prêcher la religion chrétienne à saint Vladimir ne reprochait aux latins que l’usage des azymes : « Il n’y a pas une grande différence entre leur religion et la nôtre, dit-il ; dans la liturgie, ils se servent de pain non fermenté, c’est-à-dire d’azymes. » Lors du baptême de saint Vladimir à Chcrson, toujours d’après la même source, les prêtres grecs l’avertirent sérieusement de ne pas accepter les erreurs des latins, et à cette occasion, ils dressèrent un catalogue d’erreurs… Ils inventèrent le pape Pierre le Bègue qui était destiné à avoir une vogue incomparable en Russie. Il est manifestement impossible de considérer l’une et l’autre affirmation comme étant de 087 et de 988. Le catalogua d’erreurs latines dépend d’ailleurs du Ilept tô>v (DpàYycov. un écrit polémique composé durant la seconde moitié du xie sièc’e. Golubinskij a attribué tout le récit sur la conversion de saint ladimir que nous lisons aujourd’hui dans Nestor à un Grec du xiie siècle. Nikolskij, Matériaux pour un catalogue provisoire…, p. 16-40 ; Golubinrkij, H isl. de l’Église russe, t. i a.

Épitre de l’archevêque Léon sur les azymes.


Ce Léon, parfois appelé archevêque de Russie, ou encore de Prestav en Russie, n’a pas été identifié jusqu’ici. Quelques savants exclusivement russes, égarés par le titre de Russie qu’on donnait à l’occasion, paraît-il, aux archevêques de Bulgarie orientale, ont traduit Prestav par Penjislav sur le D.iicpr (petite forteresse, renouvelée par Vladimir, qui défendait les terres des princes kiéviens contre les incursions pétt henègues), y envoyèrent ce Léon qu’ils crurent pouvoir identifier avec un métropolite Léont. envoyé par Fhotius (sid) à saint Vladimir, d’après la chronique primitive. La gloire d’avoir eu en Russie le premier pol miste antilatin sur la question des azymes leur fit manquer quelque peu de sérénité. Après le Russe C l’tsov et le Grec Dimitracopoulo, le Bulgare Tsukltv et le P. Leib, S. J., reconnaissons que l’auteur de ce traité sur les azymes fut métropolite en Bulgarie et écrivit en grec à une époque plus tardive, certainement après Léon d’Ochrida et Cérulaire. Nous

n’avons donc pas à nous en occuper. Il convient cependant de noter que BenfSiVÎC qui fit une édition critique de cette lettre en 1920, la datait encore de l’an 1000. Cf. Nikolskij, Matériaux…, p. 43-47 : V. BemS vie, Monun enls de l’ancien droit canonique russe, t. n a, dans Russ. Isl. Bibl., t. xxxvi, 1920.

Saint Théodose Pcô’rskij.


On a attribué au célèbre fondateur du monastère des Cryptes de Kiev deux écrits antilatins. Izjaslav, grand-prince de Kiev, aurait demandé au saint moine ce qu’était la foi variague. Théodose aurait répondu en faisant un catalogue d’erreurs latines. Mais il nous semble impossible d’attribuer ces écrits à Théodose qui resta fidèle à Izjaslav au moment où ce dernier afficha sa foi catholique en envoyant son fils Jaropolk implorer l’aide du pape Grégoire VII à Rome et mettre la Russie sous la protection de Saint-Pierre. L’adversaire d’Bjaslav d’ailleurs, le grand-prince Svjatoslav, recevait alors comme ambassadeurs des prélats allemands qui étaient ses parents par alliance. Un examen sérieux de l’écrit principal de Théodose (dont la recension la plus ancienne — il y a quatre recensions différentes de cet écrit extraordinairemeni rép ;.n : lu à une époque plus tardive — est connue par un manuscrit du xive siècle) démontre qu’il ne peut être attribué au troisième quart du xie siècle. I es sources en sont Fhotius, Cérulaire, le LTepl tSv OpàyytoV ct le Ta oà-n.à(J.aTa r7 ; ç Xa-n.vt, x9 ; < ; êy.x), r, aéaç qui dépend à son tour eiu Ilepî tcTjv Ipâyycov. Aussi la plupart des chercheurs plus récents, Gulubinskij, Sakhinatov, Nikolskij attribuent ces écrits au xii*e siècle. Voir Nikolskij, Matériaux…, p. 157-197. surtout p. 188-194 ; A. Ljasdeiko, Remarques sur les œuvres de Théodose, écrivain du XIIe siècle (en russe : Zamelki o sd nenijakh), Pétersbourg, 1900 ; A. -A. Sakhinatov, Le Paterik des cryptes de Kiev et la chronique des cryptes (Kiev-P, c : rskij), dans Izv. Otd., 1897, p. 827-833.

Le métropolite Georges.


Il nous est difficile d’admettre l’authenticité de la Dispute avec un latin attribuée au métropolite Georges qui ne siégea à Kiev, semble-t-il, que durant l’année 1072. Georges lui-même, venu de Byzancc, devait sans doute partager les idées qui étaient en vogue alors à Constant inople ; il n’eut guère en tous cas la faveur du prince Iziaslav qui le chassa bien vite quand, avec l’appui du Saint-Sié ge, il se trouva de nouveau en possession ele sa capitale. La Dispute a vingt-huit griefs contre les litins (quoique le titre exact soit Dispute, avec un lit in : 70 accusations). Les sources sont C’-rulaire pour la maji ire part ie eles grie fs, le LTepi to>v <r>pàyycûv, Théodose, Ta aÎTtà[i.aTa et épie Ique source non encore ielentifiée. La seule énumération eles sources renel difficile l’attribution ele la Dispute à l’année 1072. On a remarqué aussi une parenté textuelle entre cet ouvrage et une lettre du métropolite Nicéphore à Vladimir Monomaque. Il est vrai que la plupart des savants russes ont admis l’authenticité ele l’écrit ele Georges, mais depuis l’énergique négation ele Pavlov qui voulut en faire un écrit du xiie siècle tout au plus, on a commencé à hésiter davantage. Voir N. Nikol kij, Matériaux. .., p. 201-202, qui donne bien l’état de la question sur l’authenticité du document ; édit. V. Ben, swè, Monum. de l’une, droit canon, russe, t. n a, Pétrograd, 1920, dans Russ. Isl. Bibl., t. xxxvi.

Le métropolite Jean.


Plus connue et beaucoup plus importante est la lettre du métropolite Jean à l’antipape Clément III (1080-1100) en réponse à un appel à l’union. Le métropolite, un Grec (comme tous les auteurs antilatins cités jusqu’ici), au lieu de multiplier les « erreurs romaines » n’en donne que « quelques-unes choisies parmi beaucoup » : il parle des azymes, du jeûne du samedi, de l’omission du jeûne durant la première semaine du carême, du célibat des prêtres, de la confirmation conférée par un simple prêtre que les latins’refusent de reconnaître comme valide et. enfin et surtout, du Filioquc. Le ton est modéré. Jean invile Clément à écrire au patriarche de Constantinople.

Quand plus tard on traduisit cette lettre slave et qu’on en fit une recension à l’usage exclusivement indigène, on enleva tous ces ménagements. Jean montre une intolérance plus marquée dans ses Réponses canoniques au moine Jacob. Non seulement il interdit la communicaiio in sacris, mais, à moins de scandale ou d’inimitié, il défend même de manger en commua avec les latins. Cependant il montre un esprit plus large que les antilatins futurs. Sa treizième réponse est sévère : « Il est indigne et tout à fait inconvenant que les filles des nobles princes soient données en mariage à ceux qui communient in azymis. Ceux qui font cela devront Être excommuniés. » La menace du métropolite n’eut aucun effet. Les mariages mixtes continuèrent encore longtemps. C’est que les laïques ne partageaient pas l’exaltation antilatine de leurs hiérarques. Le métropolite Jean siégea jusqu’en 1089 (on ne sait quand son pontificat commença, ce fut après 1072). Or, durant le dernier quart du xie siècle, il y eut trois alliances princières avec les cours allemandes, un mariage suédois, un hongrois, un polonais et un poméranien. Il n’y eut pas une seule alliance byzantine. Nikolskij, Matériaux…, p. 21 1-225. La lettre a été éditée par Pavlov, Essais critiques sur l’histoire, Pétcrsbourg, 1878, p. 169-186. Les Réponses canoniques se trouvent dans Monuments de l’ancien droit canonique russe (Pamjatniki drevne-russkago…), dans Russ. Isl. Bibl., t. vi (2 « éd., 1908), n. 1, et dans le dernier supplément de ce même ouvrage, p. 321.

6° Le métropolite Nicéphorc (1104-1121). —

Il vint lui aussi de Grèce. Il nous a laissé deux écrits antilatins qui semblent avoir l’un et l’autre d’excellentes garanties d’authenticité : d’abord son épître à Vladimir Monomaque (1113-1125), qui ressemble tellement à la Dispute du métropolite Georges que l’on se demande quelle est au juste la relation mutuelle de ces deux documents. Nous n’avons ici que vingt erreurs latines ; il en manque donc huit par rapport à l’écrit de Georges. On a remarqué aussi que Nicéphorc suivait bien plus rigoureusement l’ordre de la lettre de Michel Cérulaire à Pierre d’Antioche. Cette double raison nous porte à conclure que la Dispute de Georges est postérieure à l’écrit de Nicéphorc. Une seconde lettre, semblable à la première, est adressée à Jaroslav de Volhynic.

Nicéphorc donc (si l’on exclut l’épître du métropolite Jean qui est d’un ton plus calme) aurait fourni le premier traité à peu près sûrement daté.

Tous ces écrits, sans exception, sont d’origine grecque. Les auteurs russes : Théodosc (au moins dans ses ouvrages qui ont quelque probabilité d’authenticité), Cyrille de Turov, Clément de Smolensk, Nestor, l’hagiographe des Cryptes, Ililarion, ne soupçonnent pas, semble-t-il, l’immense tragédie qui vient de déchirer l’Europe chrél ienne. Au cours des événements sanglants qui se déroulèrent en Russie au milieu du xiie siècle, les princes (surtout ceux de la maison régnante de Kiev) ne semblent passe douter qu’ils ont une autre religion que les Hongrois et les Polonais, leurs alliés. Le prince de Vladimir-sur-Kliazma. André Bogoliubskij, fort irrité contre Constantinople, parle de proclamer l’aulocéphalie en Russie. Le peuple ne croyait pas encore a une scission ecclésiasl ique, l’n bel exemple de cette union, qui régnait encore entre les cœurs, nous est donné par riiigoumènc de la terre lusse, Daniel, qui nous a laissé un délicieux Itinéraire en Terre sainte. Nous le voyons recevoir l’hospitalité des croisés (dont les chefs étaient d’ailleurs cousins des princes de Kiev), îles moines latins, des moines grecs. des évêques… et en même temps que l’hospitalité, il recevait également les bénédictions des uns et des autres. « Dans ce contact des pèlerins slaves avec les Francs, l’entente paraît régner sans ombre (nous avons relevé cependant l’un ou l’autre indice qui manifeste les préférences de l’Église russe pour la liturgie grecque : l’allusion aux azymes, les lampes allumées). Daniel est reçu à la métochie de Saint -Sabas, un monastère de rite grec, mais nous le voyons, lui et ses compagnons, fraterniser avec les Latins, soit au Thabor, soit à Jérusalem ». Lcib, op. cit., p. 284 ; < f. A. Leskien, Die l’ilgerfarlirtdes russischen Alites Daniel ins Heilige Land, dans Zeitschrifl des Deutsch-Palæstina Vereins, t. vii, Leipzig, 1884 ; Malinin, Vie et pèlerinage de l’higoumène de la terre russe, Daniel, dans Trudy, janvier 1884. Une excellente édition aété publiée par.M. Vcnevitov, dans Pravoslavnyj Palestinskij sbornik, fasc. 3 (1883), 9 (1885), compte rendu dans Zarn. Min. Nar. Pr., août 1884, p. 248-258.

Niphon et autres.


Un des premiers auteurs de polémique antilatine qui fut peut-être russe est l’archevêque Niphon de Novgorod (1130-1156). Il fut le champion du parti grec en Russie et reçut pour cette raison le titre d’archevêque du patriarche de Constantinople. Les Novgorodiens l’accusèrent continuellement d’avoir envoyé de l’argent à Constantinople et même d’avoir dépouillé Sainte-Sophie à cet effet. Ce Niphon est l’auteur d’une série de réponses canoniques faites à un certain Kirik qui cherchait à s’instruire non seulement auprès de Niphon, mais aussi auprès du pire ennemi de l’archevêque de Nogvorod, le métropolite Clément de Smolensk, et de quelques autres encore. Ces Réponses canoniques donnent un tableau vivant des mœurs de l’époque. On y trouve de tout : des coutumes intéressantes observées dans l’administration des sacrements, les purifications rituelles qui ne manquent pas d’une certaine saveur hébraïque, des indications sur ce qu’on peut manger à différents jours (c’était là la grande préoccupation des Russes d’alors), les restes de superstition, etc. Voici, d’après Niphon, la manière de recevoir les latins qui veulent se faire orthodoxes : « 10. (Que faut-il faire) si quelqu’un qui a été baptisé dans la foi latine désire se joindre à nous ? Réponse : Qu’il aille à l’église durant sept jours, tu lui donneras d’abord un nom, tu feras les prières des catéchumènes sur lui quatre fois par jour durant trois jours ; il gardera le silence ; il ne mangera pas de viande et il ne boira pas de lait ; le huitième jour il prendra un bain et il viendra vers toi ; tu feras sur lui les prières rituelles ; tu lui mettras des habits (littéralement : des pantalons) propres (ou il le fera lui-même) ; tu lui mettras l’habit baptismal et la couronne ; tu l’oindras du saint chrême et tu lui donneras un cierge. Pendant la liturgie, tu lui donneras la communion et il suivra les pratiques des néobaptisés jusqu’au huitième jour. » On ne rebaptise donc pas encore, mais peu s’en faut. Toutes ces pratiques semblent Incompréhensibles à Novgorod, car l’influence latine y est puissante à cause des relations commerciales avec un grand nombre de villes allemandes. .Mais Niphon n’est pas Novgorodien. Il a été envoyé de Kiev par le métropolite Michel qui aimait placer des Grecs à la tête des évêchés russes (Manuel à Smolensk, Théodose à Vladimir de Volhynic). Aussi plus d’un savant russe, Ikonnikov en particulier, avance, au moins comme une hypothèse bien fondée, quc Niphon était grec. Dès lors tout s’explique. Les auteurs russes sont toujours unanimes à ne pas s’occuper du schisme grec et il y a un Grec de plus à ajoutera notre liste de polémistes. Les Réponses de Niphon se trouvent dans les Monuments de l’ancien droit canonique russe, dans Russ. Isl Bibl., t. VI (2 « éd., 1908), n. 2.

Mais déjà les écrits antilatins se font de plus en plus nombreux. Après l’invasion des Mongols, ils vont entrer jusque dans les recueils juridiques de l’Église russe. Les quelques Kormcija de l’époque prémongolienne (ms. de la bibliothèque synodale du xiie siècle, ms. du musée Rumjantzev du xiiie que l’on croit être une copie du Nomoranon de saint Méthode) ne contiennent pas de traités antilatins. L’EIremovskaja Kormcaja contient des traités contre les bogomiles et les autres hérétiques, une profession de foi pour les convertis du judaïsme, de l’islam, « de ceux qui ont été baptisés dans l’hérésie », mais rien au sujet, des latins, sauf la lettre du métropolite Jean à l’antipape Clément III et les réponses de Niphon.

C’est des Balkans que vinrent les Kormcaja antilatins. Le premier qui parut en Russie, fut, ce semble, celui qui fut envoyé par le despote Jacques Svatoslav de Bulgarie au métropolite Cyrille en 1262. Il disparut, mais nous avons quatre autres Kormcaja de cette même fin de siècle : l’un de rédaction serbe (serbskago pis’ma) de 12C2, celui de Rjazan de 1284, celui de Novgorod de 1280 et celui de Volhynie de 1286. Ici nous avons déjà toutes les productions classiques : lettre de Cérulaire à Pierre d’Antioche, lettre de Léon d’Ochrida, AiccXeÇiç de Nicétas Stéthatos, Ilepl tô>v Œpàyywv, etc. Dès lors, la Russie devient de plus en plus antilatine. V.-I. Sreznevskij, Examen des anciens manuscrits russes de la Korméjja, dans Sbor. Old., t. lxv, 1899, n. 2.


III. Polémique antijuive jusqu’à l’invasion des Mongols.

On sait que l’influence juive se lit sentir fortement en ancienne Russie jusqu’au règne de Vladimir Monomaquc (c’est-à-dire jusqu’au pogrom de Kiev de 1113). Sans nous arrêter ici aux hypothèses de Firkovic et de Daniel Chwolson sur l’existence de larges colonies karamites en Crimée et sur les documents vrais ou faux, découverts (ou fabriqués ) en 1839 par le même Firkovié, rappelons qu’avant l’avènement d’Oleg, une grande partie de la Russie méridionale, Kiev en particulier, se trouvait sous la domination khazare. Or, les Khazars étaient juifs : c’était le seul peuple qui ait été converti au judaïsme depuis la prise de Jérusalem. Aussi l’influence juive se fit-elle fortement sentir partout où leui empire s’étendait. Un savant juif converti à l’orthodoxie, G. Baratz, a fait paraître une série de brillantes études sur les rapprochements littéraires à faire entre certains ouvrages de l’ancienne Russie et tel passage du Talmud. Nous sommes loin de partager toutes ses hypothèses, en particulier quand il affirme que la chronique primitive de Russie (Nestor, ou son prédécesseur ) et la Vie de saint Vladimir sont des documents littéraires basés presque uniquement sur des sources juives, mais il semble avoir démontré que plusieurs ouvrages, notamment la parabole de l’aveugle et du boiteux (ou dans sa forme plus abrégée, la parabole du corps et de l’âme) attribuée à saint Cyrille de Turov est prise directement du Talmud. On peut en dire autant du Discours à un certain caloyer sur la lecture des livres, et d’autres ouvrages encore.

G.-M. Baratz, Parallèles biblico-agadiques avec la narralion de la chronique sur saint Vladimir (en russe : Biblejskongadiéeskija Paralleli…), Kiev, 1908 ; du même. Les compositeurs du « Récit des années écoulées » et ses sources surtotit juives (en russe : O sostaviteljakh…), Berlin, 1921, cet ouvrage tut très critiqué pur B. Salomon dans Jinzanlinisclie Zeitschrifl, t. xxvi, 1926, p. 418 ; cf. A. Bruckner, dans Archiv f. slav. Philologie, t. XL, 1926, p. 141-148 ; G.-M. Baratz, Questions cyrillo-méthodiennes, dans Trudy, août 1891, p. 606-680.

Aussi ne nous étonnons pas de remarquer une forte influence juive à Kiev. Dans la Vie de saint Théodose des Cryptes, il est rapporté que celui-ci avait l’habitude de sortir en secret de sa cellule et du monastère, le soir, pour aller chez les juifs et disputer avec eux sur le Christ ; il les réprimandait et les appelait apostats, car, ajoute son biographe, « il désirait être tué pour la confession du Christ… » Théodose était obligé de se limiter à des désirs, car les juifs d’alors étaient aussi inoffensifs que ceux d’aujourd’hui, mais il est manifeste qu’ils exerçaient alors à Kiev une. influence considérable.

Sous Svjatopolk Izjaslaviô, l’influence juive augmenta encore. « Svjatopolk, rapporte TatiSêîV dans son histoire, était fort avaricieux, aussi il donna aux juifs beaucoup de privilèges au détriment des chrétiens dont beaucoup perdirent leur commerce et leur industrie, » À la mort de Svjatopolk il y eut un pogrom, le premier signalé dans l’histoire de Russie (1113). Les Kiéviens commencèrent par attaquer les liait isans de Svjatopolk, ils dévastèrent la maison d’un certain Putiata Tysetskij, puis se portèrent aux maisons des juifs « car ceux-ci avaient causé beaucoup de torts aux chrétiens dans les marchés ». Les juifs se retirèrent dans leur synagogue, et se défendirent comme ils purent. La noblesse de Kiev envoya un exprès à Vladimir (Monomaque) pour le faire venir et arrêter les désordres. Le prince fut accueilli par la ville comme un sauveur. On lui demanda de proclamer un édit contre les juifs ; il refusa d’abord de le faire, alléguant que les juifs avaient été tolérés par d’autres princes et que c’était leur faire une injustice que de les dépouiller. Il promit cependant de réunir les princes russes pour discuter à ce sujet. Le meeting princier promulgua la loi suivante : < ; On chassera maintenant tous les juifs de toute la Russie avec toute leur propriété et on ne les laissera plus s’y établir, et s’il y en a qui viennent en secret, il sera permis de les tuer et de les piller. » En 1151, on parle encore des portes juives à Kiev, mais c’est la dernière notice.

La polémique antijuive, à l’inverse de la polémique antilatine, n’intéresse pas les prélats grecs, mais elle constitue un des lieux communs de la littérature nationale.

Pour le xe -xi c siècle, voir toujours N. Nikolskij, Matériaux. .. ; Dr Levitskij Jaroslav, Les premiers prédicateurs ukrainiens et leurs œuvres, L’viv, 1930 (en ukrainien : PerSi ukrains’ki…).

Le métropolite Hilarion.

Ce premier métropolite de nationalité russe qui ait siégé à Kiev écrivit, entre 1037 et 1050, sou fameux discours.Sur la loi et la grâce. Ce discours, le monument de la littérature russe du xie siècle le plus universellement connu et apprécié, est divisé en deux parties : la première démontre la supériorité de la foi chrétienne sur la loi juive ; l’auteur, s’inspirant de l’épître aux Romains, développe la comparaison d’Agar et de Sara ; il nous parle ensuite des deux fils de Joseph : Éphraïm et Manassé. Gédéon commanda qu’il y ait rosée sur la toison et il en fut ainsi ; seul le peuple juif reçut la rosée divine ; puis le peuple juif se dessécha et toute la terre fut baignée de rosée. Puis l’orateur décrit le mystère de l’incarnation : une personne en deux natures, les attributs de l’une et de l’autre depuis la naissance du Sauveur jusqu’à la résurrection ; enfin, il traite de la réprobation des juifs du fait qu’ils crucifièrent le Sauveur. La doctrine d’Hilarion sur l’incarnation est parfaitement orthodoxe. Nous connaissons d’ailleurs une profession de foi du même auteur qui est également catholique.

Le Discours sur la loi et la grâce ne dépend pas des écrits byzantins antijuifs dont quelques-uns (Dispute de Gregenlios, évêque de Tarphar avec U juif Herban

— Vie de Jacques le Juif — Sermons de saint Jean Chrysoslome contre les juifs) furent traduits en slave à une époque plus ou moins reculée. Il n’exerça pas une influence très notable sur la polémique juive postcrie ure.

N. Nikolsl<ij, Matériaux, p. 75-90, décrit le*, éditions de ce document, p. 81-82 ; cf. G.-M. Baratz, Sources du discours sur la loi et la grâce (on russe : Istoàniki…), Kiev, 1916 (compte rendu dans Bibliografifeskaja lêlopis, t. viii, 1917, 54) ; I.-N. L<l ; mo, Discours sur ta toi et la grâce et éloge du kagan Vladimir (en russe : Slovo o zakone…), dans Œuvres complètes, l. i, 1904, p. 1-80 ; N.-K. Nikolskij, Rédaction commentée du Discours sur la loi ci la grâce > avec îles fragments du Commentaire des Prophéties d’L’pir Likhov (en russe : Tolkovaja redaklsija…), dans Sbor. Otd., t. l.xxxii, 1907, p. 28-55 ; M.-N. P-ij, Hilarion, métropolite de Kiev et Domenlian, liiéromoine de Khilandur, dans Izv. Otd., t. xiii, 1008, p. 81-133 ; Th.-M. Pokrovskij, Fragment du discours du métropolite Hilarion sur la loi et la grâce dans un ms. du XII’-XIl Psiècle (en russe : Olryvok slova…), dans Izv. Otd., t. xi, 1000, p. 412-117 ; B.-M. Sokolov, Au sujet du « Discours sur la loi et la grâce d’Hilarion (en russe : Po povodu…), ibid., t. xxii, 1017, p. 314-310. On consultera aussi les historiens Golubinskij, Istrin, etc.

La polémique antijuive postérieure fut influencée davantage par un Commentaire des prophètes, avec réfutation des juifs, anonyme, qui contient des passages de la Genèse, d’Isaïe, de Baruch, de Daniel et d’Ézéehiel commentés dans un sens antijuif. D’après Evseev, la source principale de cet ouvrage serait dans les Prophéties commentées (Tolkomjja pron c ; slva) composées en Bulgarie sous le règne de Siméon. Les autres sources du traité russe seraient la Dispute de Gregentios avec Herban que nous avons déjà nommée et les Paroles des saints prophètes.

Evseev attribue une grosse importance à ce traité et le donne comme la première rédaction d’une partie de la Tolkovaja Palea, ce recueil massif de polémique antijuive dont nous reparlerons. Il le fait sans doute avec prudence et n’avance son affirmation que comme « une opinion non sans fondement ». Quoi qu’il en soit, l’hypothèse ouvre de vastes aperçus.

I.-E. Evseev, Remarque sur l’ancienne traduction slave de la sainte. Écriture (en russe : Zametka…), dont la publication a commencé dans Izvestija lmpcrat. Akad. Nauk, t. viii, 1898 ; t. x, 1899 et s’est terminée dans Izv. Otd., t. v, 1900, p. 788-823, rous n’avons utilisé que ce dernier fascicule ; du même, Commentaires de quelques passages des prophètes avec incrépalions contre les juifs (en russe : Tolkovanija…), dans Izv. Otd., 1900.

Saint Cyrille de Turov.


On trouve des traces de polémique anti juive dans les sermons de saint Cyrille, évêque de Turov (en 1130-1182), en particulier dans son sermon sur les Rameaux, dans celui du dimanche après Pâques, l’éloge de Joseph d’Arimathic et ailleurs. On peut dire que, dans toute l’œuvre de i’évêque de Turov, on peut discerner un courant de polémique antijuive d’autant plus frappant qu’il n’y a pas de trace de sentiment antilatin, pas même là où le célèbre orateur parle des azymes… Fort intéressant est le sermon pour le sixième dimanche de Pâques (guérison de l’aveugle de la piscine de Siloé) où, ayant rapporté une longue controverse entre les juifs et l’aveugle, l’orateur conclut : « Nous autres, ayant laissé la malice juive, louons l’homme dont Dieu a eu compassion. » Nous donnerons la bibliographie sur Cyrille de Turov dans le paragraphe sur les traités oratoires et doctrinaux.

On trouve encore dans un recueil du xiii° siècle un Sermon sur l’incarnation adresse à un juif. Dans la fameuse épître du métropolite Clément de Smolensk au prêtre Thomas, on trouve aussi un fragment anti juif ; en liii, dans les Bylines, les poèmes épiques populaires de l’ancienne Russie qui oui survécu dans la tradition orale avant d’être consignés par écrit au cours du siècle dernier, on voit constamment apparaître le juif dans les rôles ingrats.

La Tolkovaja Palea.


L’ouvrage monumental de polémique antijuive est la Tolkovaja Palea qui est une sorte d’encyclopédie historique à l’usage des Musses pieux du xiii c siècle et d’une époque plus tardive. Il y a plusieurs recensions de la Palea : il y a celle qu’on est convenu d’appeler la Palea islor, ë : skaja dont l’original grec a été identifié et dont le texte slave a été publié par Popov dans les Lectures de la Société impériale d’histoire et d’antiquités russes, de Moscou. Mais beaucoup plus importante pour l’histoire (le la pensée religieuse de Russie est la Tolkovaja Palea eni la Palea avec commentaires, dont il convient de distinguer diverses formes : il y a celle du manuscrit de Kolomna (Kolomenskaja Palea), éditée par les élèves du professeur Tikhonravov ; elle est probablement le type primitif : c’est une histoire de l’Ancien Testament arrangée de façon à réfuter les prétentions juives. La SinodaV naja Palea est déjà postérieure ; l’intérêt antijuif étîit tombé et l’ouvrage ressemblait davantage à un immense recueil historique où l’on traitait de l’histoire de l’Ancien Testament. Plus tard on y ajouta l’histoire byzantine et la conversion de la Russie. On trouvera dans Istrin les autres types ou sous-types de la Tolkovaja Palea ainsi qu’une excellente étude sur leurs relations mutuelles.

On a beaucoup étudié la Palea et ses rapports avec d’autres documents. Sakhmatov l’appela une. « encyclopédie bulgare du xe siècle », mais c’est là une opinion extrême. Depuis les études de Mikhailov et d’Istrin, indépendantes les unes des autres, mais parvenant aux mêmes conclusions, on est à peu près d’accord pour dire que la Palea ne fut pas écrite en Russie avant le xiiie siècle, mais probablement vers la fin de ce siècle ou plus tard encore. Mikhailov a proposé récemment comme auteur le moine Barsanuphe qui vécut à la fin du xive siècle, mais ceci n’est qu’une conjecture. L’existence et la popularité de cet énorme recueil (il en existe un grand nombre de manuscrits) semble indiquer que la polémique antijuive était assez bien accueillie à l’époque de la formation de l’État moscovite.

Nous reparlerons de la polémique antijuive à l’occasion de la querelle des judi.ï.ants.

Il y a une abondante bibliographie spéciale sur la Palea : V. Adrianova, L’histoire littéraire de la Palea (en russe : K literal urnoj…), dans Trudꝟ. 1909, n. 9 et 10 (excellent article ) ; K.-K. Istomin, Au sujet des rédactions de la Tolkovaja Palea (en russe : K voprosu), dans Izv. Otd., 1905-1913 ; du même, Réponse à M. Istrin, dans Ëurn. Min. Nar. Pr., nov. 1906 ; V. Istrin, Remarques sur la composition de la Tolkovaja Palea, dans Izv. Otd., 1897-1808, ou encore Sbor. Otd., t. lxv, 1899, n. 6, et la recension qui en parut dans tiyz. Zeitschrijt, t. vil, 1898, p. 226 et t. viii. 1809, p. 230 ; du même, Les rédactions de la Tolkovaja Palea ( Redaklsija), dans Izv. OUI., 1905-1906, ou séparément, Pétersbourg, 1 907 ; du même, La Tolkovaja Pcdeæt la Chronique de Georges Hamartolos, dans Izv. Otd., 1921 ; A.-IJ. Karneev, Sur les relations mutuelles entre la Tolkovaja Palea et la Zlalaja Matitsa, dans Zurn. Min. Nar. Pr., févr. 1900 f K voprosu…) ; M. Mikhailov, De l’origine et des sources littéraires de la Tolkovaja Palea (K voprosu), dans Izv. OUI., janv. 1928 ; A.-V. Kystenko, Matériaux pour l’histoire littéraire de la Tolkovaja Palea (Malerialy), dans Izv. Otd., tévr. 1008 ; A. Sakhmatov, l’ne encyclopédie bulgare ilu x’siècle, dans X’izantijskij’remennik, t. vii, 1900.

La Palea istoriccskuja a élé publiée par A. Popov élans Ctenija, janv. 1881, sous le titre de Kniga bytija nebesi i zemli ; par les élèves de Tikhonravov, Moscou, 1892-1896 ; en partie à Pétersbourg, 1802.

IV. Traités doctrinaux et oratoires, canoniques ET HISTORIQUES COMPOSÉS A LA MÊME ÉPoQUE. —

Cyrille de Turov est l’orateur le plus connu de l’époque prémongolienne et peut-êlre de toute l’ancienne Russie. Né a Turov au début élu xiie siècle, il s’appliqua de bonne heure à l’élude, entra au monastère de Zaruba, puis, suivant l’attrait caractéristique des moines orientaux pour la solitude, monta sur une colonne et vécut quelque temps en stylite (la chose est rare en Russie où les hivers sont rigoureux), « jeûnant, priant et travaillant et écrivant beaucoup sur les divines Écritures ». Il devint bientôt fameux dans la région et fut consacré évêque de sa ville natale. Il écrivit divers ouvrages, mais il est surtout connu par ses sermons dont un certain nombre nous est parvenu.

On lui en attribue beaucoup. ; il y a tout d’abord ceux qu’il composa pour le temps liturgique qui va du dimanche des Rameaux jusqu’au dimanche des 318 Pères de Nicée, donc une série de beaux discours pour la semaine sainte et. le temps pascal. Reaucoup d’autres lui ont été attribués par divers auteurs. Ainsi, il y a un sermon sur l’Epiphanie, attribué par d’autres, plus justement peut-être, à Jean, l’exarque de Rulgarie : il y a aussi le célèbre sermon sur « la sortie de l’âme et les douze épreuves » que l’âme doit subir avant d’arriver à la gloire.

Cyrille de Turov, suivant l’exemple des auteurs byzantins de la dernière époque, est un symboliste qui aime surtout à commenter les détails. Ainsi, dans son sermon sur le dimanche des Rameaux, après avoir décrit la glorieuse et honorable maison du Christ (l’Église), bâtie par les « patriarches, métropolites, évêques, higoumènes, prêtres et tous les docteurs de l’Église », il commente l’évangile du jour : les « filles de Jérusalem » sont les âmes ; I’ânon sur lequel monte Notre-Seigneur représente les gentils et, à cette occasion, Cyrille lance aux juifs la pointe accoutumée ; les habits que les apôtres jettent devant Notre-Seigneur symbolisent les vertus chrétiennes ; ceux qui arrachent les branches des arbres sont les pécheurs et les humbles qui préparent la voie du Seigneur par leur contrition et leur pénitence ; enfin, c’est une description lyrique de tout Jérusalem qui va au-devant du Seigneur. Dans son sermon du dimanche après Pâques, il y a toute une allégorie sur le printemps spirituel : le ciel, ce sont les apôtres qui, ayant laissé de côté leur frayeur, illuminés par l’Esprit-Saint, prêchent la résurrection contre les juifs ; la lune (l’ancienne loi) fait place à la loi nouvelle ; le printemps ensoleillé, c’est la foi au Christ ; les vents sont les mauvaises pensées ; la terre, la nature humaine qui a reçu la semence de la parole divine d’où fleurit l’esprit de salut. N’allons pas croire que Cyrille de Turov se soit uniquement arrêté à ces considérations subtiles qui nous semblent exagérées. Il a de belles envolées oratoires comme par exemple quand il célèbre les grandeurs du jour de Pâques. Ailleurs, il s’adresse à ses auditeurs avec une simplicité qui rappelle la belle époque des orateurs byzantins ; il sait rabrouer son auditoire pour son manque d’exactitude ; puis il recommande à ceux qui sont venus de répéter aux absents ce qu’ils viennent d’entendre : « La reine de Saba est venue voir Salomon, ajoute l’orateur non sans mélancolie…, si tous les jours je vous distribuais de l’or ou de l’argent, ou même de l’hydromel (med) ou de la bière quvoj ne viendriez-vous pas ? » (ve dimanche après Pâques.)

Le contenu théologique des sermons n’est pas remarquable. Cyrille est plus orateur que théologien. Nous avons relevé son allusion à la hiérarchie ecclésiastique. Sa doctrine sur l’incarnation ne diffère pas de l’exposé traditionnel. À l’occasion du sermon sur les 318 Pères (de Nicée), il transmet la doctrine classique sur la Trinité, sans se douter qu’à cette heure il y avait de farouches écrits publiés contre les latins et le Filioque. Il trouve le moyen de parler longuement des azymes sans faire une allusion à la pratique de l’Église latine ; il se limite à réfuter les juifs.

On a attribué aussi à Cyrille de Turov une série de prières qui doivent être récitées après l’office les divers jours de la semaine. Il y en a plusieurs à Noire-Dame qui sont très belles. Le jeudi, après matines (utreni), il y a une prière aux apôtres, en particulier une éloquente invocation de Pierre « solide rocher de la foi, inamovible fondement de l’Église, pasteur du troupeau spirituel (slonesnago) du Christ, porte-clef du royaume des cieux », etc.

On trouvera un nombre important des sermons de Cyrille dans Jar. Levickij, Les premiers prédicateurs ukrainiens et leurs ouvrages, Léopol, 1930 (en ukrainien), voir aussi K. Kaljadoviê, Monuments de la littérature russe du A’//e siècle (en russe : Pamjatniki…), Moscou, 1821 ; une traduction russe sans nom d’auteur a été publiée par I.-I. Malysevskij, Ouvrages de Cyrille, évêque de Turov… (en russe : Tvorenija. ..), Kiev, 1880 ; V.-P. Vinogradov, Le caractère de l’oeuvre oratoire de Cyrille, évêque de Turov (en russe : O kharaktere…), Sergiev Posad, 1915.

Toutes les histoires de l’ancienne littérature russe parlent de ce fameux évêque qu’on a nommé le C.hrysostome russe. Voir aussi : L.-K. Goetz, Die Echtheit der Mônchsreden des Kyrill von Turov, dans Archiv fur slavische Philologie, t. xxvii, 1905, p. 181 sq. ; I.-P. Eremin, La parabole de l’aveugle et du boiteux dans l’une, littér. russe (Pritéa…), dans lzv. Otd., 1925, p. 323 sq. ; Khr. Loparev, Sermon pour le samedi saint (en russe : Slovo v Velikuiu Subbotu), dans Pamjatniki drevnej pis’mennosti, t. xcvii, 1893 ; N.-K. Nikolskij, Vie de Cyrille, évêque de Turov, dans Sbor. Otd., t. lxxxii, 1907, n. 4, p. 62 sq. ; E. Petukhov, Les auteurs du nom de Cyrille dans l’anc. littér. russe (K voprosu o Kirillakh avlorakh…), dans Sbor. Otd., t. xi.m, 1887, n. 3 ; I. Platonov, Étude sur les apologues ou proverbes de saint Cyrille ( Izsledovanie…), dans Éurn. Min. Nar. Pr., mai 1868 ; M.-I. Sukhomlinov, Les œuvres de Cyrille de Turov (en russe : O soéinenijakh…), dans Sbor. Otd., t. lxxxv, 1908, p. 273-349.

Clément de Smolensk (en russe : Klim Smoljatiô). —

Il fut choisi comme métropolite sur la demande du grand-prince de Kiev, Izjaslav IL La chronique dite de Nikon rapporte qu’il fut un écrivain fécond. Nous connaissons de lui une épître au prêtre Thomas commentée par le moine Athanase. La première partie de l’épître qui donne un vif tableau de la culture russe à l’époque d’Izjaslav II (milieu du xiie siècle) est certainement de Clément. Il connaissait non seulement ses recueils liturgiques, mais aussi (au moins de nom) Homère, Aristote et Platon. La seconde partie de l’épître, de style presque illisible et de contenu vague et désordonné, est sans doute liée à la première, mais il est malaisé de déterminer ce qui est de Clément et ce qui appartient à Athanase. Les sources de cette seconde partie sont Jean, l’exarque de Rulgarie, la Théologie de saint Jean Damascène, le Testament apocryphe du patriarche Juda, enfin et surtout les huit questions-réponses de Théodoret de Cyr sur le Pentateuque. Quant aux sermons qu’on a voulu lui attribuer, il n’y en a pas un qui ait une probabilité sérieuse d’être authentique.

Pour l’épître de Clément, voir Khr. Loparev, Êpîlre de Clément au prêtre de Smoleitsk Thomas (en russe : Poslanie…) dans Pamjatniki drevnej pis’mennosti, Pétersbourg, t. xc, 1892 ; elle a été éditée en même temps par N. Nikolskij, Les travaux littéraires du métropolite Clément de Smolensk, écrivain du XIIe siècle, Pétersbourg, 1892 (en russe : O lileraturnykh trudakli…) ; voir la recension de Vladimirov, dans les Izvestija de l’université de Kiev, t. i, 1893, p. 15-31. Golubinskij, dans son Histoire de l’Église russe, 1. 1, s’attaque énergiqticment à Nikolskij. Du même Nikolskij, voir A propos d’une homélie inédile du métropolite Clément de Smolensk, dans lzv. Otd., t. i, 1891, par Levickij, Les premiers prédicateurs… (K voprosu…), qui s’efforça en vain d’attribuer quelques homélies au métropolite de Smolensk.

Saint Théodose des Cryptes.


On a attribué toute une série d’homélies à l’higoumène des Cryptes, saint Théodose qui vécut au xie siècle. Il y en a d’abord cinq qui furent prêchées au cours de la troisième semaine du carême (elles traitent surtout de la patience), il y en a d’autres sur les châtiments divins, et sur divers sujets. Le contenu dogmatique de ces sermons n’est pas intéressant.

Vers 1143, un moine grec des Cryptes, nommé lui aussi Théodose, traduisit, pour le. prince Svjatoslav Davidoviô, devenu moine sous le nom de Nicolas (après la mort de son épouse Anna Svjatopolkovna), l’épître de saint Léon le Grand au concile de Chalcédoine ; il y ajouta une préface et une conclusion. Dans l’introduction, il explique qu’une lettre sage et dogmatique est venue « de Rome, pour notre foi », qu’elle est « pleine de l’Esprit-Saint, pleine de sagesse, et qu’elle fut appelée conseil ci colonne de l’orthodoxie par le IVe concile œcuménique ». La phrase est obscure : elle peut signifier que la lettre fut composée à Rome (par Léon le Grand) ou encore, ce qui est une interprétation plus vraisemblable, que la lettre fut envoyée de Rome en Russie » à cause de la foi ». De la conclusion, ajoutée par le même Théodose, nous retiendrons simplement qu’ « il convient de remarquer que le pape Léon n’alla pas en personne au concile ; il ne le fit que par cette épître, étant en possession du trône apostolique suprême ». Cette phrase, qui contient un témoignage implicite en faveur de la primauté romaine nous empêche d’attribuer à ce même Théodose les écrits antilatins composés par un Théodose à l’adresse d’un prince Izjaslav. Voir supra, col. 218. Le texte russe de l’épître de saint Léon avec la préface et la conclusion de « Théodose » a été imprimé dans Clenija, 1848 (3e année, n. 7), par O. Bodianskij.

Pour être complet, il faudrait encore déterminer l’origine et faire l’analyse de nombreux sermons composés, traduits ou recopiés à l’époque prémongolienne. On avait déjà beaucoup publié de textes de sermons semblables sans encore les étudier suffisamment. Le désordre survenu dans les bibliothèques de Russie depuis la révolution de lit 17, retardera ces études de plusieurs générations.

A.-K. Arkhangelskij, Les œuvres des Pères de l’Église dans l’ancienne littérature russe (Tvorenija otsou…), 4 vol. dont les deux prem’ers réunis, Kazan, 1889-1890 ; Bene-Sevic, « Les commandements des saints Pères » de la période prémonijoliennc (Zapovedi…), dans Izo. Otd., t. xxii, 1917, p. 10-15, BeneseviÈ l’attribue à Grégoire de Novgorod (1186-1193) ; G. -A. Il’inskij, L’importance du Mont Athos dans l’histoire de la littérature slave (Znacenic Athona…), dans Zurn. Min. Nar. Pr., nov. 1908, p. 1-11 ; A. Nikolski.j, Matériaux pour l’histoire de l’ancienne littérature russe, dans lzv. Otd.., 1903 ; seconde édition dans Shorn. Otd., t. lxxxii, 1907 ; du même, Matériaux pour un dictionnaire des propriétaires de manuscrits, des copistes, traducteurs, correcteurs et bibliothécaires du XI" au XVIIe siècle, I (A-B), dans Izdanja drevnej pis’mennosti, t. c.x.xxii, 1913 ; M. l’-ij, Discours sur la nativité de la Mère de Dieu, dans lzv. Otd., mars 1902, p. 115 Sq. ; A. -S. Pavlov, Documents inédits du ilroit ecclésiastique russe du XIIe siècle : Homélie de l’éoêque de Novgorod, Èlie-Jean (en russe : Neizdannyj…), dans’Luni. Min. Nar. Pr., oct. 1890 ; A.-f. Ponomarev, Monuments île l’ancienne littérature doctrinale ecclésiastique de Itussie (Pantjatniki dreone-russkoj tëerkoono uCitel’noj literaturg), t. i-iv, Pétersbourg, 1891-1898 ;  ! ".. Petukhov, Anciennes homélies pour les dimanches du grand carême (en russe : Drevnija poucenijn. ..), dans Sborn. Otd., t. xi., 1886, n. 3 ; du même, Matériaux et remarques sur l’histoire île l’ancienne littérature russe (Materialy i zamelki…), dans Izn. Otd., t. ix, 1904, p. 1 11-172, n. 4 ; la première pari le de cet le étude (i-m), parut sous le même titre, Kiev, 1894 ; A.-I. Sobolevskij, Dans le domaine île l’ancienne prédication slave ( / : oblasti…), dams Izn. OUI.. 1903-1906 ; M.-X. Speranskij, Sur les rapports entre les littératures russe et jugoslaoe, dans Izo. Otd., t. xxvi, 1921, Pétrograd, 1923 ; [.-A. Sllapkln, Homélie russe du A’/ 1’siècle à l’occasion de la translation des reliques de suint Nicolas le Thaumaturge, dans Pamjatniki drevnej pis’mennosti, xix(x), Pétersbourg, 1881 ; A.-I..lalsimirskij.

Menus textes et remarques sur la littérature staroslave et

russe, dans lzv. Otd., 1899-1910.

4° Recueils mi Sborniki.

Les Russes cherchèrent longtemps leur nourriture théologique ou ascétique flans des recueils de morceaux choisis plutôt que dans des ouvrages déterminés. Les deux plus anciens recueils que nous connaissons nous sont parvenus sous le nom de Recueils de Svjatoslav. Il y en a deux : l’un, daté de 1073 et dont nous avons une magnifique édition phototypique, avait été traduit du grec pour le prince bulgare Siméon, puis copié pour le prince russe Izjaslav I er, dont le nom fut efïacé ensuite pour faire place à celui de Svjatoslav Jaroslaviô, son frère et heureux rival. Le texte grec de ce recueil, publié par Barsov dans les Clenija de Moscou, existe dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris. Le recueil est composé en grande partie des Réponses d’Anastase le Sinaïte ; il contient aussi quelques extraits du livre V de saint Rasile contre Eunome, quelques passages du Dialogue de saint Cyrille avec Hermias, la profession de foi de Michel le Syncelle (dont une traduction, défigurée dans un sens semiarien, devait entrer dans l’ancienne chronique russe), un opuscule sur « les six saints conciles », où l’activité des pontifes romains reçoit un relief extraordinaire et quelques autres fragments (p ; eudo-Ju ; tin, S. Maxime, S. Athanase, S. Grégoire de Nysse, S. Jean Chrysostome). Le second Recueil de Svjatoslav dont l’origine est disputée, date de 1076. Au xiie siècle nous avons déjà une quantité intéressante de ces recueils dont le contenu est varié : fragments de Pères de l’Eglise, sermons, textes hagiographiques, etc. Ainsi, un sbornik du xiie siècle, de caracièr ? plutôt hagiographique, celui-là, contient le texte le plus ancien que nous ayons de la « légende pannonienne » de saint Méttiode et l’office liturgique des apôtres des Slaves.

En dehors de ces recueils, plus ou moins vagues, il en est d’autres dont le contenu peut être déterminé avec plus de précision et dont l’origine remonte au xiie, au xiiie, au xive siècle ou encore plus tard, quoiqu’il soit difficile de leur fixer une date plus exacte.

Mentionnons en particulier la Chaîne d’or (Zlalaja Tsêp) ; c’est un recueil de sermons pour le carême. On y a découvert les discours du seul écrivain russe qui ait prêché des sermons qui nous soient parvenus de la lin du xiiie siècle, l’évêque Sérapion de Vladimir. Beaucoup plus important est le Zlatoust (Bouche d’or, Chrysostome) ; il y en a deux espèces : Le Chrysostome abrège est composé des sermons pour les dimanches du carême (à l’instar de la Chaîne d’or), des sermons pour Pâques et pour les dimanches après Pâques jusqu’à la fête de tous les saints. Le compilateur pouvait quelque peu varier les sermons ; le titre du recueil venait de ce que la plupart des sermons étaient pris aux œuvres (authentiques ou non) de Jean Chrysostome. On y trouvait aussi des serinons d’autres prédicateurs. Le Chrysostome complet (prostrannyj) contenait des sermons pour toutes les fêtes de l’année ; il se subdivisait à son tour en plusieurs catégories. Ces recueils servaient aux services liturgiques publics et ils doivent être considérés comme l’expression de la prédication officielle. Du même genre étaient l’Évangile commenté (Evangelie ulUel’noe) et les recueils pour solennités (TorSestvenniki).

A ces recueils de caractère officiel il faut en joindre d’autres destinés à l’usage privé des fidèles : les Zlatoslmj (Onde d’or), recueils de sermons tirés aussi en grande part des œuvres de Jean Chrysostoms. Le premier de ces recueils remonte au tsar bulgare Siméon qui, suivant quelques historiens — surtout bulgares aurail non seulement choisi les sermons <le son recueil mais les aurait lui-même traduits du ne Du même genre que le Zlalostruj, sauf que la variété de son contenu est plus grande, est Y Izmaragd (Émeraude). Le sujet des sermons varie peu : il s’agit surtout de la pureté du cœur, de l’obéissance, de la patience, etc. Le Zlalostruj suit plutôt l’ordre de l’année liturgique tandis que Y Izmaragd groupe les sermons suivant les matières. L’Émeraude, recueil à l’usage des gens du monde, semble avoir été compilé par un laïc. Ceux-ci, d’ailleurs, comme on le voit par les écrits du prince Vladimir Monomaque, étaient non seulement aussi (et souvent plus) cultivés, mais ils étaient tout aussi bons théologiens, quand ils le voulaient, que les moines eux-mêmes.

Plus tardive est la Mnrgaril (Pierre précieuse) traduite vers la fin du xiiie siècle. Nous avons encore la Source d’or, la Pierre précieuse, la Profondeur, le Livre de la colombe, etc. La plupart de ces recueils ont été étudiés du point de vue littéraire, artistique et philologique. Sobolevskij, Petukhov, Nikolskij, Pypin, Arkhangelskij et d’autres se sont rendus célèbres pour leurs études sur les anciens monuments littéraires de Russie. Une étude d’ensemble sur le contenu doctrinal de ces écrits reste encore à faiie. Ce serait un travail minutieux, difficile aujourd’hui après que les bibliothèques ont été en partie désorganisées, très intéressant au point de vue psychologique, qui apporterait sans doute de jolies contributions à la théologie ascétique et peut-être mystique, mais nous croyons que l’apport dogmatique serait peu considérable.

Pour les recueils de Svjatoslav, voir : Recueil de 1073, édition phototypique, Izdanja drevnej pis’mennosti, Pétersbourg, 1880 ; une autre édition (textes grec et slave) avec introduction, a été publiée dans les Ctenija de Moscou, 1882, ms. n. 4.

A. Rozenfeld, La langue de l’Izbnrnik de Svjatoslav de 1073 (Jaztjk…), dans Russkij filologic. véstnik, 1899, D. 1, 2 ; Leonhard Masing, Studien zur Kenntnis des Izbornik Svjatoslava vorn Jalire 1073 nebsl den Bemerkungen zu den junrjeren Ilandschriflen, dans Archiv jiir slavische Philologie, t. viii, 1885, p. 337 sq. ; A.-A. Sakhmatov, Zur Texlkrilik des Codex Svjatoslav vont Jahre 1073 nacli der photolitliogr. Ausgabe, ibid., t. vi, 1882, p. 599 sq.

Recueil de 1076 : V. Simanovskij, Sbornik Svjatoslava de 1076, Varsovie, 1894 ; recension de Nekrasov, dans 2 uni. Min. Nar. Pr., oct. 1897 ; et de S. Kulbaken, fév. 1892 ; Bobrov, Hist. de l’étude du « Sbornik de Svjutoslav » de 1076 (en russe : Islorija izueenija…), Kazan, 1902 ; V. dagic, Die Ausgabe des altruss. Codex vom Jalire 1076 uebst den Berichtingungen Simonij’s, dans Archiv jiir slavisclie Phil., t. xi, 1888, p. 233 sq. ; 368 sq.

On trouvera de précieux renseignements sur les sborniki en général dans : V.-M. Istrin, Esquisse de l’hist. de l’une, littér. russe (en russe : Ocerk…), Pétrograd, 1922, que nous avons souvent citée ; voir aussi A.-G. Il’inskij, Le » ’Llalostruj "de Th. Bychov du XI’siècle, éd. de l’Acad. des sciences de Bulgarie, Sofia, 1929 ; V.-M. Istrin, Le livre appelé « Kaath », c’est-à-dire « Sobornik » (en russe : Kniga naritsæmaja. ..), dans Izv. OUI., 1897 ; I. Zdanov, La conversation des trois évêques et les Joca monaclioruin (Beseda…), dans Zurn. Min. Nar. Pr., janv. 1892 ; V. Malmin, Élude du « Zlalostruj » d’après un manuscrit du XII’siècle (en russe : Izsledovanie…), Kiev, 1878 ; P.-A. Lavroskij, Description île sept manuscrits de la biblioth. publ. irnpér. (Opisanie…), dans Ctenija, avril 1858 ; V. Moculskij, Analyse historico-littérairedu « Livre de la colombe », Varsovie, 1887, recension dans Zurn. Min. Nar. Pr., oct. 1888 ; I.-I. Streznevskij, « Zlalostruj », notices et remarques, xxi, xxii (t. i, p. 1 sq.), Pétersbourg, 1867 ; A.-A. Sakhmatov et P.-A. Lavrov, Izbornik du XII’siècle de la cathédrale de l’Uspenskij à Moscou, dans Ctenija, fév. 1899, éd. de la plus grande partie de ce recueil fameux, d’importance surtout hagiographique ; on y trouvera la vie de saint Théodose de Kiev, des saints Boris et Gleb et de saint Méthode.

Littérature juridique.


Le droit canon, en ancienne Russie, tut une importance secondaire pour la théologie. Nous avons dit comment le Nomocanon original ne contenait pas de littérature antilatine. Nous n’avons pas à nous arrêter aux diverses traductions du Nomocanon apportées ou faites en Russie. De l’époque primitive semble dater le novau de ce qui canon de saint Vladimir dont l’importance historique ne peut être sous-estimée. Le texte latin du Nomocanon ressemble beaucoup à des textes analogues d’origine latine et occidentale. Reaucoup de personnes et de causes étaient réservées ù la juridiction épiscopale : ainsi les évêques jugeaient des litiges au sujet des héritages, géraient les établissements de charité et de bienveillance, s’occupaient des orphelins, des veuves et des pauvres, surveillaient les poids et les mesures. Leur pouvoir dépassait largement celui de leurs confrères de Dyzancc. Le Nomocanon de saint Vladimir ne nous est pas parvenu dans sa forme originale. Jaroslav Vladimiroviè laissa lui aussi un Statut ecclésiastique semblable à celui de son père. L’un et l’autre documents illustrent les influences occidentales sur la constitution du droit russe.

Mentionnons aussi les Réponses de Niphon de Novgorod aux questions de Kirik de Saiwa et d’Élie (quoique plusieurs réponses soient d’autres personnages), document embrouillé, mais qui connut une grande vogue et que Herberstein publia en appendice à ses Herum Moscovitarum comiuenlarii, Râle, 1556, pour l’édification de l’Occident. D’intérêt secondaire pour les théologiens, le document jette une vive lumière sur l’état de la Russie au xiie siècle, ses coutumes plus ou moins chrétiennes, sa discipline ecclésiastique, son code pénitent iel extraordinairement sévère pour des faut es surtout extérieures, les rapports entre catholiques latins et orientaux qui faisaient le désespoir de certains prélats, les pratiques liturgiques d’ordinaire semblables aux pratiques byzantines. L’inlluence grecque semble peser si lourdement sur ce document que M. Zernin a cru devoir avancer l’hypothèse (qui n’appartient d’ailleurs pas à lui seul) que Niphon était d’origine grecque. C’est une confirmation de ce que nous disions ailleurs au sujet de ce prélat.

La grande préoccupation qui tenait constamment en éveil les intelligences russes au xii c siècle semble avoir elé celle du jeune. Déjà dans divers documents canoniques, on voit que les esprits étaient inquiets de ce qu’on pouvait ou l’on ne pouvait pas manger à certains jours. Mais cette question obtint un grand retentissement après que i’évêque de Rostov eut défendu de manger de la viande tous les mercredis, même si ces jours coïncidaient avec une fête de Notre-Seigneur ou de la Vierge. Ce même Léonce, s’il faut en croire l’historien Tatygcev, qui eut a sa disposition des chroniques qui ont disparu depuis lors, était partisan du célibat ecclésiastique. On lui causa de graves difficultés, d’abord a Rostov, puis a Kiev, enfin ; ï Constantinople où il faillit être mis à mort. Ses doctrines furent reçues en Russie par un certain nombre de personnes et, en 1169, un grand concile se réunit à Kiev pour discuter du jeune monastique. Le concile fut réuni par le prince Mstislav 11 ; c’est le seul concile (on ne peut guère appeler de ce nom quelques autres réunions privées d’évêques, comme celle île 1072 pour la translation des reliques des saints Boris et Gleb) de la Russie prémongolienne sur lequel nous ayons quelques détails. Tant évêques, qu’higoumènes, prêtres et m -ines, il y eut environ cent cinquante ecclésiastiques. Les princes locaux se passionnèrent, et quand on parla d’en référer à Constantinople, u.i des plus puissants d’entre iuk, André Rogoliubikij, prince de ladimir, s’écria que de Constantinople ne venaient que des malheurs, et il proposa franchement d’établir I autocéphalie en Russie. Les avis furent très partagés (au sujet du jeune), trois évêques s’en allèrent bruyamment ; le concile ne prit aucune décision.

Nous avons donné col. 216 quelques notes bibliographiques sur le Nomocanon de Vladimir. Voir aussi A.-A. Pas-lov et V.-N. Benesevié., Monum. de Varie, droit canon. russe (en russe : Pamjatniki…), dans Russ. Ist. liibl., t. VI (2 « éd., Pétersbourg, 1908).

Histoire ecclésiastique.


Nous n’en dirons que quelques mots, laissant l’étude de détail aux dictionnaires spécialement consacrés à l’histoire. Rappelons tout d’abord la chronique, ou plutôt les chroniques dont nous avons déjà eu l’occasion de parler en étudiant l’authenticité de la profession de foi antilatine proposée a saint Vladimir lors de son baptême. La Chronique de « Nestor » donne d’abondants détails sur la vie monastique à Kiev et de temps à autre contient d’amples développements édifiants sur la Providence, le châtiment des pécheurs, etc. Il y a d’autres chroniques aussi, généralement plus sobres, importantes cependant elles aussi pour l’histoire ecclésiastique. D’autres ont disparu. La littérature hagiographique est intéressante. Il y a l’éloge de sainte Olga et de saint Vladimir par le moine Jacob, les vies des saints martyrs Boris et Gleb (martyr, ici, veut dire simplement tué injustement : l’idée de témoignage de la véritable religion n’est même pas sous-entendue) assassinés par leur frère Svjatopolk, la vie de saint Théodose des Cryptes, la vie de saint Abraham de Smolensk qui date déjà du xiiie siècle..Mentionnons aussi le Puterik du monastère, des Cryptes ou recueil hagiographique des moines considérés comme saints au xiiie siècle.

Nous renverrons seulement à Y. -S. Ikonnikov, Essai sur l’historiographie russe (en russe : Opyt russkoj…), 2 vol., Kiev, 1891-1898, ouvrage extrêmement précieux, quoiqu’un peu vieilli. Voir aussi V. Istrin, Esquisse de ihisl. de l’une, lillér. russe (Ocerk islorii…), Pétrograd, 1922.

La première période de l’histoire littéraire de Hussie se termine avec l’invasion des’Mongols ; telle est du moins la division classique que l’on retrouve chez tous les historiens, mais elle nous semble un peu artificielle. Nous dirions plutôt qu’une nouvelle période s’ouvre dès le milieu du xiie siècle avec l’hégémonie de Vladimir.

Tant que Kiev resta la capitale des Hurikides, la littérature religieuse de Russie connut un vif éclat. On attendra longtemps, à Moscou, avant de retrouver une pléiade d’auteurs comme Hilarion et Théodose, Nestor et les chroniqueurs Clément de Smolensk et Cyrille de Tuiov, pour ne nommer que les plus connus. Le fonds théologique durant cette période prémongolienne est constitué par ce qui a été reçu des Grecs ; les dogmes principaux sont rappelés (non étudiés ou discutes) dans les œuvres des auteurs russes. C’est la doctrine sur la Trinité, l’incarnation, les sacrements, mais proposée avec simplicité. Le monachisme, surtout celui qui a Kiev pour centre, paraît être le foyer principal d’où jaillit presque toute l’activité religieuse et littéraire. Les relations fréquentes avec l’Occident donnent aux auteurs russes une attitude parfois sympathique, jamais hostile aux latins. Tout a l’ait caractéristique est la polémique antijuive, si commune alors comme dans la suite, a tous les auteurs lusses.

Mai ;, après le sac de Kiev par les troupes d’André Bogoliubski] et ses alliés barbares (1169), on prévoil les divisions futures, l’hégémonie du Nord avec son isolement culturel. La Russie européenne > (le-saint Vladimir et de Jaroslav le Sage disparail et l’on voit surgir deux Russies ; celle qui dans la suite tombera sous la domination polono-litbuanienne et se ressent ira des Influences occidentales ; l’autre, celle du Nord, qui s’enfermera dans un cercle (le 1er. resserré encore par la domination mongole d’une part et l’impérieux (les potisme des prélats byzantins de l’autre. C’est a cette dernière que nous allons désormais conserver toute notre attention. Nous verrons comment ce peuple. extraordinairement tenace, tombé dans une servitude humiliante à l’époque où le este de l’Hurope développait ses universités, saura, malgré tout, créer une civilisation qui, malgré les emprunts étrangers, n’en reste pas moins son grand litre de gloire.


V. L’invasion des Mongols et le synode de 1274.

Situation de la Russie sous les Mongols.

Lors de la prise de Kiev par les Tartares (1240), le métropolite Joseph, un Crée qui était arrivé en Russie en 1237, mourut ou plus probablement encore s’enfuit ; en tout cas il disparut sans laisser de traces. Les chro niques russes lai sent le siège vacant jusqu’en 1248 ; mais les sources occidentales connaissent un « Pierre, archevêque de Russie », rpii vint avec le prince Michel (de Cernigov ?) au concile de Lyon (1245). Un savant ukrainien récent a cru pouvoir identifier cet archevêque de Russie avec un métropolite. Pierre de. Kiev (1241-1245), inconnu jusqu’aujourd’hui. Ses arguments rencontrèrent de la faveur ; on l’écouta moins quand il ajouta que ce métropolite était le boiar Pierre Akeroviè dont parle la chronique laurentienne en 1230. Ce métropolite, d’après son attitude à Lyon, fut catholique, probablement russe. Il accepta donc l’union à Lyon. Nous ne savons rien d’autre à son sujet.

Voir S. T >ma5 vs’kij, Un prédécesseur d’Isidore : Pierre Akerovië, un métropolite inconnu de Russie (1241-1245), dans Analecla ord. S. Basilii Magni, 1927 (en ukrainien : Predleca Isidora…) ; du même, Boiar ou higoumène ? Ibid., 1928. (Ce dernier article est une réponse à la critique du baron de Taube.)

En 1248, huit ans après la chute de Kiev, le prince Daniel de Galicie, tout en maintenant les relations les plus cordiales avec Rome, envoyait à Nicée le moine Cyrille pour y être consacré métropolite de Galicie. Le nouveau prélat était à peine rentré que Daniel, ayant accepté l’union, se faisait couronner roi de Galicie par les légats du pape. Cyrille aimait trop peu les latins pour rester auprès d’une cour catholique. Il partit donc pour « au delà des forêts », vint à Yladimir-sur-Kliazma, où en 1274 il réunit un concile.

L’invasion des Tartares avait laissé la Russie dans un état déplorable : la fleur de la vieille noblesse variague disparut sur le champ de bataille de la Kalka au cours d’une première rencontre. Lors de l’invasion définitive de 1237, un grand nombre de princes périrent : d’autres se soumirent et cherchèrent à la Horde, en y mettant le prix, la confirmation de leur dignité de prince local ou encore de grand-prince. Car la poussée tartare, après les massacres des premiers moments, n’avait pas détruit l’ancien système politique et social de l’époque antérieure. L’ancienne distribution du pays en apanages restait et nous y retrouverons des princes locaux à Vladimir, à Suzdal, à Tver, à Niznij-Novgorod et ailleurs. On comprend la possibilité d’intrigues et de meurtres que cet état de choses signifiait. Tour reprendre l’expression du P. Pierling, c’était ordinairement le prince le plus riche et le inoins fier qui obtenait gain de cause. Ajoutons aussi que c’était le moins scrupuleux dans le choix des moyens : en fait, c’est bien grâce à l’appui tartare que les princes de Moscou, souvent plus riches et toujours moins fiers et moins regardants que leurs compétiteurs, finirent par s’en débarrasser. Les métropolites russes qui jouirent d’une considération exceptionnelle auprès des envahisseurs jetèrent tout le poids de leur influence du cô’ié de Moscou et c’est pour cette raison que deux d’entre eux, Pierre et Alexis furent canonisés. Ce fut le malheur de l’Église russe.

Nous renvoyons aux historiens pour une bibliographie sur l’invasion mongole. Voir J. I lainnier-Furgstall, Gesch. der goldenen Horde in Kiptschak, tins ist : der Mongolen in Hussl /uut, Pesth, 1840 ; V. Tizenhausen, Recueil de matériaux ayant trait à l’histoire de la Horded’or, l’etersbourg, 1881. 1. 1 (en russe : Sbornik matcrialov…) ; G. Soranzo, II Papalo, l’Europa cristiana c i Tartari, Milan, 1930, excellent ouvrage avec abondante bibliographie, on y trouvera aussi une littérature considérable sur le moine franciscain Giovanni del Piano Carpine (.Jean de Plan-Carpin) ; voir C. Pullc, Hist. Mongolorum. Viaggio di fra Giovanni <lal Pian (Ici Carpine ai Tartari nel 1245-1247, Florence, 1913 ; Matrod, Noies sur le voltage du frère Jean de Plan-Carpin, dans Éludes franciscaines, t. xxvii, Paris, 1912.

Un des premiers princes russes à faire sa soumission aux envahisseurs fut Jaroslav VsevolodoviS, grandprince de Vladimir-sur-Kliazma ; aussi nous le voyons durant les années mêmes de l’invasion en lutte avec l’Occident. Son fils, Alexandre Nevskij, l’année même de la chute de Kiev, partait en guerre contre les Suédois et les mettait en déroute dans la bataille historique qui lui a valu son surnom de Nevskij.

Jaroslav mourut peu de temps après sa soumission, empoisonné, dit-on, par les Tartares, et — du moins Jean de Plan-Carpin rapporta le fait à Innocent IV — après avoir fait sa soumission au pape. Ses deux fils Alexandre Nevskij et André allèrent chercher à la Horde l’héritage de leur père empoisonné. André, le cadet, reçut Vladimir. Alexandre, l’aîné, dut se contenter de Kiev, et du reste de la Russie. Il en fut mécontent et en voulut au prince de Vladimir. Il commença par armer les Tartares contre son frère.

Quelle étrange figure que celle d’Alexandre Nevskij pour peu qu’on la dégage de l’auréole dont une légende tardive l’a entourée ! L’année même de la chute de Kiev, nous l’avons dit, il se battait contre ses voisins occidentaux. Il fut aussi le premier prince russe à amener une bande de Tartares contre un autre prince russe : son propre frère André. Le motif de la lutte était pure convoitise, car dès que l’aîné eut dépouillé le cadet, il se réconcilia avec lui. On a voulu faire de Nevskij le farouche défenseur de l’orthodoxie dissidente et c’est peut-être son plus grand titre de gloire pour tant de Russes contemporains, mais on connaît deux lettres d’Innocent IV adressées à ce prince : la première est une invitation à l’union, et la seconde le félicite d’avoir fait sa soumission au Saint-Siège et d’avoir promis, en signe de fidélité, de bâtir une cathédrale latine à Pskov. La Vie d’Alexandre, qui, nous dit-on, fut écrite par un « contemporain », nous montre les Tartares épouvantés au seul nom du redoutable prince russe, et les mamans effrayant leurs bébés en disant "Alexandre arrive, Alexandre arrive », alors que les relations d’Alexandre avec les Tartares ne pouvaient pas être plus cordiales. N’est-ce pas Alexandre lui-même qui amène une bande de Tartares à Novgorod pour y lever le tribut ? I"t quand les libres citoyens de la Hère république qui n’avait jamais connu la honte de l’invasion bondissent sous l’outrage, n’est-ce pas encore Alexandre qui les châtie horriblement, coupant le nez aux uns, arrachant les yeux aux autres, et qui protège les percepteurs ? Il y a encore aujourd’hui des historiens qui prétendent que Nevskij eut une vision de génie en forçant Novgorod à accepter le tribut tartare ; on dit que c’est en faisant sa soumission aux envahisseurs que cette ville resta liée avec la Russie de Vladimir et de.Moscou, tant il est vrai que cette Russie du Nord doit son évolution historique à l’influence mongole. C’est là l’immense différence entre la Russie de Moscou et celle de Kiev. La Russie de Moscou ne connaîtra jamais l’union avec l’Église catholique. La barrière que les Tartares auront élevée contre l’Occident fermera la Russie du Nord aux influences de la civilisation occidentale. C’était alors, à l’Ouest, la période glorieuse des universités médiévales : la théologie et la philosophie y arrivaient aux plus hauts sommets qui furent jamais atteints par la pensée humaine. La Russie du

Nord, humiliée, démoralisée par la dure servitude que lui imposèrent ses conquérants barbares fut totalement écartée de ce splendide mouvement d’idées. Seuls les eurasiens farouches peuvent y voir un avantage.

On trouvera les lettres d’Innocent IV dans A. Turgenev, Historien Russise moninienta, 1. 1, Pétersbourg, 1841, p. 68-09, et dans Theiner, Mon liment a liisloricaPolonio’et Mai/ni Ducatus Lilhuania’…, t. f, p. 40. Voir aussi S. -A. Rugoslavskij, Sur le texte original de la vie du grand-prince Alexandre Nevskij (en russe : K voprosu…), dans Izu. Otd., janv. 1914 ; M. Khitrov, Le saint, pieux grand-prince Alexandre Jaroslavic Nevskij (en russe : Svjatyj blagovernyj…), Moscou, 1893 ; voir surtout l’ouvrage classique de V. Mansikh, Vie d’Alexandre Nevskij (en russe : 21tie Al. Nev.), dans Parnjalniki drevnej pis’mennosli, t. c.lxxx, 1913 ; La brochure de N.-A. Klepinin, Le saint et pieux prince Alexandre Nevskij (en russe : Svjatyj i blagovernyj), Paris (s. d.), est écrite du point de vue eurasien et a peu de valeur scientifique.

2° Le synode de Vladimir (1274). —

En 1274, le métropolite Cyrille retiré, comme nous l’avons dit, à Vladimir-sur-Kliazma, réunit en cette ville un synode, l’un des rares de la Russie mongole sur lequel nous ayons quelques détails. Les évêques de Novgorod, Rostov, Perejaslavl, Polotsk, s’étaient réunis pour consacrer Sérapion, évêque de Vladimir. Dans un court préambule, le métropolite fait allusion aux nombreux abus qui ont pénétré en Russie par le fait de l’ignorance des canons, qui, jusqu’alors, étaient o obscurcis par les nuages de la langue grecque ». Cyrille annonce qu’il a une traduction non seulement des canons eux-mêmes, mais aussi de leurs commentaires. Il s’agit de la Kormôaja qui venait d’être apportée de Bulgarie en 1262 et qui semble être à l’origine des commentaires antilatins introduits dans les recueils canoniques d’ancienne Russie.

Après cette introduction, il y a neuf chapitres :
1. Contre la simonie, et à cette occasion on énumère tant les qualités requises pour recevoir le sacerdoce que les pèches qui en écartent ; le confesseur doit se porter garant du candidat, ce qui laisse à entendre que la loi sur le secret de la confession ne recevait pas une application universelle ; on parle aussi des interstices à observer ; enfin, et c’est la partie principale du canon, les tarifs de la métropole devront être appliqués à toute la Russie. Cette question des tarifs pour l’administration des sacrements semble avoir été une des plus importantes.
2. Du baptême, ou plutôt des différentes onctions à faire lors du baptême. Relevons celles de la confirmation qui se font « sur le front, les yeux, les oreilles, les narines, la bouche et nulle part ailleurs ». La formule est < Sceau et don du Saint-Esprit ». La communion subséquente est considérée comme une partie intégrale du rite : « Qu’on ne baptise jamais sans communion » et l’on défend de baptiser à l’avenir par infusion. Cette prohibition ne peut être considérée comme absolue, car les rituels des XIVe et XVe siècles semblent envisager le baptême par infusion comme une pratique courante. Dans un document presque contemporain (1278), le patriarche de Constantinople lui-même autorisa l’évêque Théognoste de Saraj à baptiser parfois par infusion : « Question : Si quelqu’un vient des Tartares et veut être baptisé, et s’il n’y a pas de bassin assez grand, où faut-il le baptiser ? » Réponse : » Verse de l’eau sur lui trois fois en disant : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » On comprend cette attitude plus large de Constantinople en se souvenant qu’en Occident les deux manières de baptiser étaient alors usuelles. Le baptême par infusion n’était pas encore la manière spécifiquement occidentale, pas plus que le baptême par immersion n’était la propriété exclusive de l’Orient.

Les autres canons de 1274 n’ont pas d’importance dogmatique ;
3. Des superstitions et jeux diaboliques ;
4. De* diacres qui entrent dans le sanctuaire et reçoivent la communion avant les prêtres ;
5. De l’ivrognerie du clergé ;
6. De l’abus qui permet à des laïques de bénir des fruits ou autres comestibles apportés à l’église, le même canon détermine les attributs du diacre, du clerc ftliak) et du bedeau ( ponomar) ;
7. De certaines coutumes bizarres observées à Novgorod à l’occasion des mariages ;
8. De certains actes immoraux ;
9. De la coutume de tracer une croix sur la terre ou sur la glace.

Les actes du concile de Vladimir se trouvent dans A. l’avlov et V. Benesevié, Monuments de l’ancien droit canonique russe, dans Russ. Ist. Bibl., t. VI, Pétersbourg, 10(18, n. 0. Les réponses du patriarche de Constantinople ; i Théognoste se trouvent dans le même recueil, n. 12.

Le métropolite Cyrille, antilatin et malheureusement à l’écart des grands mouvements d’union religieuse qui remuaient l’Occident, était un prélat consciencieux qui visitait son territoire. Chose vraiment extraordinaire, si nous interprétons correctement le silence des chroniques, il ne se mêla pas aux dissensions politiques et aux guerres qui occupèrent alors Alexandre Nevskij et ses fils. Cela seul lui mériierait une gloire immortelle. Il fut aussi le premier prélat russe à partir pour la Horde et obtint des empereurs tartares le premier de ces classiques jarlyki ou privilèges qui devaient consacrer les droits de l’Église orthodoxe. Les Tartares laissèrent à l’Église une indépendance et une liberté qu’elle ne connut jamais et qu’elle ne connaîtra pas sous la tutelle des souverains orthodoxes.

E.-E. Golubinskij, Hist. de l’Église russe, t. n a ; V.-V. Grigoriev, .Sur l’authenticité des jarlijks donnés par les khans de la Horde d’or au clergé russe (en russe : O ilostovèrnosti…), Moscou, 1812 ; M.-D. Priselkov, Les jarlijks des khans concédés aux métropolites russes (en russe : Khanskie jarlyki., .), Pélrograd, 1916 ; voir la recension sévère de Veselovskij, dans Zurn. Min. Nar. Pc, marsavril 1917, p. 118-130. Nous n’avons pas eu accès aux travaux récents de A.-N. Samojlovic, Quelques corrections à l’édition et à la traduction des jarlyki de Tokhlamys, Simféropol, 1927.


VI. LES PREMIERS MÉTROPOLITES DE MOSCOU.

Le successeur de Cyrille (12411-1281) fut un Grec du nom de Maxime (1283-1305) ; il transféra le siège métropolitain de Kiev à Vladimir-sur-Kliazma (1299). Constantinople n’autorisera cette translation que quarante ans plus tard, quand la métropole aura été fixée depuis longtemps à Moscou. Maxime n’a pas laissé d’autre souvenir dans l’histoire de Russie.

Son successeur fut « saint » Pierre (1308-1321)), un Russe de Galicie. Il avait été envoyé de Galicie à Constantinople pour y ètr" consacré métropolite des évêchés relevant du prince de Galic. L’union du roi Daniel avec Rome n’avait pas duri et Constantinople avait déjà autorisé la création d’un métropolite de Galicie (dont le nom ne nous est pas resté) quelques années auparavant, l’.ntrc temps, le prince Michel Jaroslavid de Tver, grand-prince de Russie de 1304 à 1319, avait lui aussi envoyé à Constantinople son candidat à la succession de Maxime, le moine Géronte. Pierre obtint d’êlre nommé métropolite de toute la Russie, mais on n’est pas sûr que ce fût sans simonie. Quand il arriva en Russie, il fut traduit devant un concile réuni a Pcrejaslavl (1309) el accusé précisé ment de ce délit. Toutes les chroniques passent cette histoire sous silence, et l’on n’y trouve que quelques rares allusions dans la Vie de saint Pierre écrite par le métropolite Cypricn dans un but d’édification. Même la chronique de Tver est silencieuse… Cet épisode d’histoire ecclésiastique semble devoir être certainement relié à’a lutte séculaire qui s’engageail entre

Moscou et Tver pour la suprématie. Le droit était manifestement du côté des princes de Tver, qui d’ailleurs montrèrent plus de noblesse de cœur et d’attachement à la religion orthodoxe que leurs adversaires moscovites. Michel Jaroslaviô de Tver fut assassiné sur ordre du prince de Moscou, puis canonisé. Pierre se rangea néanmoins du côté de son rival, le prince Juri de Moscou ; il transféra le siège métropolitain de Vladimir à Moscou. Ce fut là son titre principal à la canonisai ion. Nous dirons plus bas quelques mots de ses épîtres.

Son successeur était grec. Il venait de Constantinople et s’appelait Théognoste (1328-1353). Il jeta lui aussi son influence du côté de Moscou. Il excommunia le prince Alexandre de Tver dont le seul crime avait été d’infliger une sanglante défaite aux Tartares qui avaient voulu forcer les Tvériens à abandonner leur foi. Ce sont là des pages peu glorieuses dans l’histoire de Moscou, des pages bien sombres dans l’histoire ecclésiastique de Russie. Le malheur de l’invasion mongole ne fut pas tant la perte immense de matériel et de vies humaines ; ce fut surtout la démoralisation d’une grande partie du peuple russe et de presque tous ses princes, en dehors de. ceux de Tver qui nous paraissent à travers l’histoire comme auréolés de gloire et de noblesse.

Avant la mort de Théognoste, le prince de Moscou, Siméon Ivanoviè (1340-1353), méditait déjà sur les moyens à prendre pour assurer la primauté religieuse à son apanage agrandi. Le 6 décembre 1351, le métropolite grec consacrait comme é.vêque de Vladimir un fils de noble famille, devenu moine sous le nom d’Alexis, et qui jouissait de la confiance totale du souverain. Le nouveau prélat était considéré comme vicaire de Théognoste avec future succession et on avisa Constantinople de ne pas envoyer d’autre candidat. En fait, Théognoste était à peine mort qu’Alexis partit se faire consacrer à Constantinople. Le prince lithuanien Olger y envoyait lui aussi son candidat, ou plutôt ses candidats successifs, Théodorct et Romain. Il n’avait pas tout à fait tort, car Alexis, devenu régent de Moscovie durant la minorité de Dmitri Donskoj (1362-1389), s’occupait davantage d’étendre l’hégémonie moscovite que de gouverner l’immense territoire qui relevait de lui comme métropolite. Alors commença une période encore plus sombre de l’histoire ecclésiastique de Russie : excommunications, guerres civiles, invasions, trahisons, envoi d’apocrisiaires en Russie de la part de Constantinople, envoi d’argent (et quelles sommes !) tant de Moscou que d’autres parties de Russie. Après la mort d’Alexis (1378), la situai ion s’embrouille tellement que nous ne pouvons songer à la résumer ici ; elle ne se clarifia qu’en 1390 quand, par la mort du prince de Moscou, Dmitri Donskoj (1389), et de divers candidats à la métropole (Pimin en 1389 et Denis en 1385), il ne resta plus qne le Bulgare (ou Moldave ?) Cypricn qui avait déjà été plus ou moins métropolite depuis 1378 ; il obtint alors juridiction sur toute la Russie et l’on commença quelque peu à respirer.

On comprend quc la production théologique et littéraire de cette période extrêmement troublée ait été a peu près nulle, ’fout au début de l’invasion mongole, nous avons un prédicateur, l’évêque Sérapion qui axait clé élu au siège de Vladimir par le synode de 1274 (ci dessus col. 234). Il nous a laisse sepl courtes homélies dans lesquelles il tonne contre les péchés, rappelle les sévérités de la justice divine cl invite ses auditeurs a la pénitence. Les sermons sont bien faits, ne manquent pas d’élégance et ont fait naître chez quelques-uns la supposition que Sérapion avait été formé en Galicie chez des maîtres latins, mais, l’historien Golubinskij le note avec un profond regret, Sérapion est le seul évêque prédicateur que nous connaissions, après l’invasion des Mongols, pour une période d’environ trois siècles (Hist. de l’Église russe, t. ii a, p. 146-151). Voir aussi E.-V. Petukhov, Sérapion de Vladimir, prédicateur russe du XIIIe siècle. Élude et édition en supplément des « Homélies de Sérapion de Vladimir » d’après le plus ancien manuscrit, Pétersbourg, 1888.

Nous omettons un court document canonique attribué au métropolite Maxime : l’activité du métropolite Pierre semble avoir eu quelque importance : il y avait au xvie siècle un livre qui était intitulé Pierre de Russie (Petr Russkij). Il ne reste que peu de chose de ces écrits du premier métropolite moscovite. Mentionnons tout d’abord son encyclique aux prêtres et laïques où il empêchait les prêtres veufs de continuer à célébrer : « Si la femme d’un prêtre vient à mourir, qu’il entre au monastère et il conservera sa dignité sacerdotale : s’il veut rester dans l’état de faiblesse et s’il aime les joies du monde, qu’il ne chante pas ; s’il n’obéit pas à mes paroles, qu’il soit maudit (c.-à-d. non béni) lui et tous ceux qui communient de sa main. » Désormais les prêtres veufs, en Moscovie, seront dépotés au rang de sacristain, à moins qu’ils n’entrent au monastère. Les deux autres érîlres de saint Pierre au clergé de Russie ne présentent pas d’intérêt. En 1909, M. Nikolskij a publié un autre petit sermon du même métropolite, où il encourageait les fidèles à respecter le clergé, à faire pénitence et où il leur faisait un très bref commentaire des béatitudes. Voir Golubinskij, op. cit., t. n a, p. 11C-120 et A. Nikolskij, Matériaux pour l’histoire de l’ancienne littérature religieuse russe, dans Klir. Clen., 1909, n. 2. L’épîtrc sur le clergé veuf se trouve dans A. -S. Pavlov, Monum. de l’ancien droit canonique russe, dans liuss. Isl. Bibl., t. vi, n. 17.

Le métropolite Alexis écrivit une épître à tous ses fidèles lors de son accession au siège métropolitain où il leur rappela les devoirs de bons chrétiens ; il écrivit aussi deux autres lettres : l’une aux habitants de Niznij-Novgorod et une autre aux habitants de Cervlenyj-Jar dont le contenu est assez semblable à celui de son encyclique. On lui a attribué aussi une traduction du Nouveau Testament, qu’il aurait faite quand il était simple moine au couvent des C.udov ; en tous cas on ne connaît pas d’autre manuscrit qui ait conservé cette recension. Voir Lcontij, métropolite de Moscou, Le Nouveau Testament de N.-S. Jésus-Christ, traduction du métropolite Alexis (en russe : Novyj Zalêl. ..), édition phototypique, Moscou, 1892.

La littérature hagiographique, pour cette période, n’est guère plus abondante. Depuis l’invasion des Mongols jusqu’au concile de Florence, il n’y eut guère que sept et peut-être huit Vies de saints dont la .majorité furent d’ailleurs écrites sous le pontifical île Cyprien. Une série de récits, dont quelques-uns sont fort bien composés, se trouvent encore dans les recueils manuscrits ; d’autres ont été incorporés dans les chroniques.

En 1343, l’archevêque novgorodien Basile (on était toujours si positiviste à Novgorod !) s’efforça de prouver l’existence d’un paradis terrestre matériel à l’évêque Théodore de Tver. Les arguments de Basile sont tirés des apocryphes ou de Vies de saints ; ainsi, « Saint Macaire habita à 20 popr^Sc du paradis terrestre ; saint Euphrosine fut au paradis terrestre et il en rapporta trois pommes du paradis qu’il donna à son higoumène Basile, et elles firent beaucoup de guérisons » ; il y a aussi un argument ex ralione theologica : tout ce que Dieu a créé reste sans être détruit jusqu’à la création d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle. Enfin, et c’est l’argument final, des marchands novgorodiens ont vu le paradis terrestre ;

c’étaient Moislav et ses fils. Partis en mer avec trois bateaux, ils furent longtemps ballottés par les tempêtes et arrivèrent enfin au pied d’une très haute montagne ; une lumière extraordinaire baignait tout le paysagel on entendait des voix angéliques. On envoya un homme au sommet de la montagne, afin de voir et de revenir ensuite. Il monta, battit des mains et s’enfuit de l’autre côté. On envoya un second qui fit de même. Moislav et Jacob en envoyèrent alors un troisième, mais par prudence, ils lui mirent une corde aux pieds. Arrivé au sommet de la montagne, ce troisième explorateur se réjouit lui aussi, battit des mains et voulut s’enfuir. On tira sur la corde et il mourut. Ce qui restait des Novgorodiens revint à Novgorod et, conclut l’archevêque, « les enfants et petits-enfants de ces hommes, ô frère, sont encore vivants et en bonne santé ». C’est là l’unique ouvrage religieux entre l’invasion des Mongols et le concile de Florence, indiqué par Golubinskij dans son Recueil de littérature théologique ; il était difficile de trouver un exemple plus saisissant pour faire comprendre combien l’invasion mongole et les luttes intestines qui s’ensuivirent apportèrent de malheurs à la Russie. Voir Golubinskij, op. cit., t. n a, p. 208-21O.

Sous le pontificat de Cyprien, nous relevons l’activité liturgique de ce métropolite, une renaissance littéraire due aux influences bulgares et la lutte contre l’hérésie des strigolniki ; cette lutte fera l’objet d’un paragraphe spécial.

Tout en continuant à recevoir de Constantinople et des Balkans les divers livres liturgiques, on avait gardé en Russie le vieux tgpicon studite, délaissé depuis longtemps dans le Sud pour celui de Jérusalem. Aussi, les livres liturgiques ne répondaient plus aux indications des vieux typica ; d’où une série de difficultés et de confusions qu’on ne pouvait enlever qu’en mettant le typicon d’accord avec les livres liturgiques. Au lieu de prendre cette mesure radicale, on préféra résoudre les diverses questions individuellement. Cyprien travailla beaucoup, mais, soit impossibilité, soit manque de courage, il ne put faire une réforme d’ensemble.

Son euchologe est intéressant : il ne contient pas seulement le missel, mais aussi le rituel ; le théologien y glanera plus d’une indication importante. Cyprien donne le texte de trois liturgies, celle de saint Jean Chrysostome, celle saint Basile et celle des présanctifiés ; il n’y a pas d’épiclèse ; il est indiqué simplement que le prêtre « prie en lui-même » et après cette prière (sans paroles déterminées), on parle déjà de la sanctification des dons. L’intérêt théologique de ce détail n’échappe à personne.

Quelques particularités dans l’administration des sacrements ont aussi une importance dogmatique ; le rite du mariage, par exemple, est longuement décrit ; mais il n’y a pas de paroles rituelles prononcées lors de la transmission des anneaux ; le prêtre ne pose pas de question pour s’informer s’il existe un empêchement de lien : les paroles » le servit( ur de Dieu se marie… la servante de Dieu se marie » (litt. est couronné[e]) manquent également ; il n’y a qu’une formule déprécatoire. L’euchologe ne contient pas le rite du baptême ; mais Cyprien nous a laisse sa doctrine dans une Réponse qui réprouve le baptême par infusion, classé comme pratique latine. Cyprien exagère. Le baptême par infusion était répandu à cette époque, surtout pour ce qui concerne les enfants, en particulier les enfants faibles : « On tient l’enfant avec la main gauche, déclarent les rituels, et avec la main droite on prend de l’eau tiède et on la verse sur la tête, car, l’enfant étant faible, on observe l’infusion. » À ce témoignage qui suit à un peu plus d’un demi-siècle de distance la Réponse du patriarche de Constantinople à l’évêque de Saraj dont nous avons parlé plus haut (col. 234), on pourrait en ajouter d’autres.

I.-D. Mansuetov, I.r métropolite Cgprietl ri son activité liturgique, Moscou, 1882 ; ce travail parut aussi à la même époque dans la revue de l’académie ecclésiastique de Moscou, Pribavlenija 1 ; izdaniu tttorcnii si>. Otsov ; deux importantes recensions de E.-V. Barsov, dans Clenija, mars 1882, et de I. Pomjalovskij, dans Éurn. Min. Xur.."r., mai ISSU. L’euchologe de Cyprien est décrit dans le Catalogue des manuscrit* de In bibliothèque synodale de Gorskij et Nevostrncti, part. III, Livres liturgiques, i, n. 344. Sur l’évolution de la proscomédie à cette époque voir les deux notes de Belokurov dans GolubinskiJ, op. cit., t. n b, p. 12(3-127.

Dès le milieu du XIVe siècle, c’est-à-dire dès l’arrivée de Cyprien comme apocrisiaire, on commence à noter en Russie un renouveau d’influence bulgare. Nous avons parlé ailleurs des rapports entre l’ancienne Russie et la Bulgarie. Après la conquête de la Bulgarie par Basile le Bulgaroctone, les relations entre les deux pays s’étaient d’abord amoindries, puis avaient presque totalement cessé. Les traductions russes et les œuvres russes des xie -xme siècles, hormis quelques rares exceptions, restèrent inconnues en Bulgarie ; de même le peu qui parut dans les Balkans au cours des xiie -xme siècles ne passa pas dans le Nord. Mais, vers la fin du xiiie siècle, alors qu’en Russie, par suite de l’invasion mongole et des discordes entre les princes, les ténèbres s’amoncelaient, dans le Sud au contraire on assistait à une véritable renaissance ; on se mettait à reviser les anciennes traductions de l’Écriture sainte et des Pères, on en faisait de nouvelles, non pas seulement de livres religieux, mais de presque toute la littérature grecque ; le vocabulaire s’enrichissait, parfois un peu maladroitement ; quelques écrivains de valeur, Euthyme de Trnovo en particulier, écrivaient des livres originaux. Parmi les traductions, qui parurent les unes après les autres, citons les œuvres ascétiques de saint Basile, d’Isaac le Syrien, de D trothée, de Grégoire le Sinaïte, de Siméon le Nouveau Théologien ; les ouvrages de polémique antilatine de Grégoire Palamas, de Nil Cabasilas, de Nicétas Stéthatos, du patriarche Germain, etc. Ces traités, traduits par les moines bulgares, soit dans leur propre pays, soit encore et surtout à Constantinople et à l’Athos trouvèrent vite le chemin de la Russie. C’est là un fait de toute importance dans l’histoire de la pensée religieuse en Russie, car

— M. A. Sobolevskij l’a remarqué — les traductions ont occupé une place plus importante en ancienne Russie que les travaux originaux. L’immense multitude d’apocryphes cpii pullula en Russie à cette époque n’eut-elle pas elle aussi une origine bulgare ? En tous cas, le métropolite Cyprien composa une liste d’apocryphes prohibés et l’on se demande si l’hérésie des slrigolniki dont l’origine est si mystérieuse ne doit pas être mise eu rapports avec les sectes bulgares dont les adhérents, sous le nom de « bougres » avaient déjà envahi l’Occident.

VII. L’hérésie des Strigolniki.

Le premier renseignement que nous ayons sur elle date de 1375. En cette année, les hérétiques Nikita le Diacre, Karp (probablement diacre lui aussi) et un troisième, dont le nom est resié dans l’oubli, furent précipités dans la Volkhov du haut d’un pont. C’était la manière traditionnelle de châtier les hérétiques à Novgorod. Nous apprenons un peu plus de détails sur leur hérésie par des lettres qui furent écrites contre eux par le patriarche Nil de Constanl inople (vers Kî.S’J), le métro poli le Photius de Russie (141 6 et 1427) et surtout par la lettre de l’évêque Etienne « Peremyskij dans laquelle on est à peu près unanime à reconnaître le célèbre missionnaire des /viians, saint Etienne de Perin, l’Illuminateur du nord de la Russie. Dî tous les traités antistrlgolnikiens, le sien est certainement le meilleur.

Slrigolnik, paraît-il, veut dire barbier ; c’était la profession des fondateurs de la secte ; leur nom passa à leurs adhérents. Ils n’étaient pas strictement des hérétiques : ils protestaient plutôt contre la conduite de leur clergé. La simonie, en fait, semble avoir pris alors des proportions inquiétantes : on ne pouvait se faire ordonner diacre ou prêtre, tonsurer moine, encore moins aspirer à quelque higouménat sans payer comptant de fortes sommes. Les protestations contre la simonie sont trop fréquentes dans la littérature de l’époque et dans les conciles subséquents pour que l’on puisse mettre en doute l’exactitude des plaintes des « barbiers ». Le clergé, surtout les hiérarques, réunissait d’immenses biens fonciers et les monastères, au moins les principaux d’entre eux, étaient en passe de devenir d’énormes exploitations agricoles. Cyprien le métropolite avait bien cherché à réagir contre cette tendance trop répandue, mais ses efforts allaient trop à rencontre de la voie plus facile pour être couronnés de succès. Ceci n’allait évidemment pas sans exciter de graves mécontentements, surtout à Novgorod où la vêc>. (assemblée populaire) avait habitué les citoyens à avoir des idées nettes et à les défendre énergiquement. Les uns parlaient même de passer aux « latins » ce qui « attrista profondément » le patriarche Nil de Constanl inople ; les autres, avec un radicalisme encore plus outré, nièrent la légitimité de la consécration des patriarches, des métropolites (il est vrai que lors des troubles ecclésiastiques de tout ce xive siècle, on avait levé des sommes folles dans toute la Russie pour appuyer à Constantinople les divers candidats au siège métropolitain), des évêques et des prêtres ; en un mot, ils niaient toute la hiérarchie. Ce n’est pas sans raison que ce mouvement éclatait à Novgorod et à Pskov. Nous avons déjà fait allusion aux habitudes d’indépendance acquises à la vêci ; Pskov dépendait ecclésiastiquement de Novgorod dont l’archevêque regardait Pskov comme une excellente prébende. Novgorod, d’autre part, on l’avait bien vu lors des difficultés qui éclatèrent pendant la visite du métropolite Cyprien à Novgorod, fournissait à Moscou le plus clair de ses revenus. Pskov, à plusieurs reprises, avait cherché à obtenir son propre évêque et Novgorod s’était non seulement mise en relations directes avec le patriarche de Constantinople et parlait à l’occasion de passer aux latins, mais elle était allée jusqu’à se révolter ouvertement contre l’autorité judiciaire du métropolite de Moscou afin de ne pas avoir à lui payer les droits importants de justice. Si le métropolite de Moscou et les évêques (surtout l’archevêque de Novgorod) étaient les gros percepteurs, la même rapacité se révélait à tous les échelons de la hiérarchie. Il y avait là un grave abus contre lequel on réclamait depuis longtemps, mais personne n’y trouvait un remède efficace.

Les strigolniki savaient lire ; ils citaient volontiers l’Evangile pour réprouver la conduite de leurs supérieurs hiérarchiques. N’ayant plus de clergé, ils ne pouvaient plus croire que les sacrements fussent nécessaires : plus de communion, plus de confession, sauf peut-être un rite bizarre de confession faite à la terre ; plus d’extrême-onction, plus d’enterrements religieux. Ils sont les précurseurs des futurs bezpopovtsg. Ajoutons que leur conduite morale était reconnue comme excellente, si bien que leurs adversaires les plus acharnés ne pouvaient que les accuser d’hypocrisie ; et l’on comprendra facilement que leur hérésie se soit rapidement propagi

Car l’exécution de Karp et de ses compagnons ne mit pas fin aux mécontentements et par conséquent à l’hérésie ; au contraire, elle semble n’en avoir marqué que le début. Sept ans après (1383), le patriarche de Constant inople envoyait à Pskov et à Novgorod l’archevêque Dsnys de Suzdal, un des protagonistes dans les troubles ecclésiastiques qui avaient surgi entre la mort du métropolite Alexis (1378) et celle de prince Dimitri Dnnskoj (1389). Denys vint dans les deux villes et s’acquitta de sa mission. Plus tard, cependant, un métropolite de Moscou trouvera mauvais que Denys, quoique légat de Constantinople et venant à un moment où la situation ecclésiastique de Moscou était à tout le moins peu éclaircie, se soit ingéré dans les affaires de Novgorod et de Pskov ; mais l’hérésie durait toujours. On en parle encore en 1427. Cette année-là on organisa une battue générale contre les slrigolniki et le métropolite Photius félicita les Pskovicns de leur zèle à châtier les hérétiques, tout en leur recommandant de ne pas les tuer. Nous retrouverons encore des slrigolniki à Novgorod plus d’un siècle après.

Malheureusement, nous ne connaissons la doctrine de ces singuliers hérétiques que par les écrits de leurs adversaires, en particulier par la lettre d’Etienne, évêque de Perm. Cette épître est fort intéressante au point de vue théolngique, car l’évêque missionnaire, non content de réprouver simplement la doctrine adverse, donne aussi les arguments de la doctrine orthodoxe. C’est ainsi qu’il développe la doctrine sur le sacrement de l’ordre : les slrigolniki, sans consécration ni mandat, n’ont pas le droit d’enseigner. « Car le Christ, notre Sauveur, choisit douze disciples, les nomma apôtres. Après avoir prié Dieu son Père, il leur imposa les mains et leur commanda d’aller enseigner le peuple ; les apôtres, voyant que la foi au Christ se propageait et que l’enseignement de la parole divine prenait de plus grandes proportions, lirent un choix entre leurs disciples et nommèrent 1 s uns piètres, les autres évêques, les autres patriarches et établirent le canon : deux ou trois évêques instituent un évêque… Ainsi il faut que nous considérions tous les prêtres comme les apôtres du Christ. Quand le prêtre célèbre la liturgie, il faut le considérer comme le Christ lui-même, célébrant, sur la montagne de Sion, la cène avec ses apôtres, et il faut communier de sa main comme de la main du Christ. »

Après avoir accusé les slrigolniki de pharisaïsme, l’évêque reprend : « Vous, ô strigolniki, vous accusez les évêques et les prêtres de manger et de boire ; c’est ainsi que les Juifs accusaient le Christ : « Cet homme « mange et boit, il est l’ami des publicains et des « pécheurs » ; et vous, ô strigolniki, vous dites : Ces « docteurs sont des ivrognes, ils mangent et boivent « avec des ivrognes, ils prennent de l’or, de l’argent et « des vêtements, ils pillent les vivants et les morts, « et par ces paroles insidieuses vous I rompez le « peuple. » Etienne répète alors à leur adresse toutes les accusations évangéliques contre les pharisiens : orgueil, désir de paraître pieux, jeunes en publie. Les slrigolniki se réclamaient ete saint Paul pour permettre aux laies ele prêcher ; Etienne leur réplique qu’une discipline permise « quand tous étaient infidèles » ne l’est plus aujourd’hui.

Il parle ensuite de la nécessité de la confession : « Comme un malade montre ses plaies au médecin, et le médecin lui donne le remède suivant la qualité du mal, et le malade guérit ; ainsi l’homme accuse ses péchés à son père spirituel emi lui enjoint ele ne plus pécher, lui impose une pénitence à faire et, par ce fait, Dieu lui pardonne ce péché. » Pour prouver la nécessité de prier pour les défunts, l’auteur apporte une série de jolies historiettes comme celle du moine qui mourut dans la laure de Saint-Antoine à Kiev. Il mourut en état de péché ; on l’ensevelit élans la crypte : « Il exhalait une mauvaise odeur et il y eut une apparition à son sujet ; l’higoumène commanda de retirer son corps et de le donner aux chiens ; mais dans la suite, par les prières des saints Pères Antoine et Théodose et des autres saints déposés dans cette crypte et par les prières des autres saints Pères vivant dans cette crypte, il lui fut pardonné et la mauvaise odeur se transforma en parfum. » On pensera tout ce qu’on voudra ele cette anecdote copiée d’ailleurs dans le Palerik des Cryptes : il n’était pas inutile de la rappeler à ceux qui croient qu’aucun péché, pas même véniel, ne peut être pardonné après la mort.

Les slrigolniki, tout comme plus tard les disciples de Nil Sorskij, étaient adversaires des grandes propriétés ecclésiastiques. Ce n’est pas le seul trait par lequel ils ressemblent aux moines d’au delà de la Volga. Comme eux, ils étaient dans l’ensemble plus cultivés que leurs compatriotes, lisaient volontiers et raisonnaient sur ce qu’ils lisaient. Aussi quelques auteurs, rejetant l’explication que nous avons donnée des hérésies ele la secte, y voient plutôt l’effet d’un rationalisme semblable à celui qui éclatait alors en Occident. D’autres les mettent en rapports avec Grégoire Palamas, ce qui est plus difficile ! On pourrait les rapprocher davantage des vaudois occidentaux et autres sectes anticléricales, qui eux aussi, scandalisés par les mauvaises coutumes du clergé, voulaient nier tout sacerdoce. II serait peut-être intéressant de chercher à rattacher les uns aux autres ces mouvements hétérodoxes populaires reliés entre eux par une idéologie peu raffinée, mais toujours violente et extrémiste. Tout ce que nous savons des slrigolniki peut s’expliquer par une simple protestation, mais profonde et poussée jusqu’à ses dernières conclusions, contre la cupidité du clergé et son inconduite. Ce sont des anticléricaux qui, l’Évangile en main, fulminent contre les abus et en introduisent de’pires, quoique leur conduite privée, d’une rigidité parfois farouche, soit au-dessus de tout blâme.

Les documents sur l’hérésie eles strigolniki ont été publiés de nouveau par Pavlov et BeneseviC, Monum. de l’une, driiit canon, russe, dans Russ. Ist. Ilibl., 1908, t. vi. Kn plus des histoires générales de l’Église : Macaire, Golubinsklj, voir encore E, Vorontsov. Le mouvement des sectes dans la liussie du Xord au XIV siècle (en russe : Sektantskoe dinïcnie. ..), dans’ent i razunt, 1900, n. 18, lil ; cet auteur rejette les influences bogomiles et considère ce mouvement comme une chose locale, Influencé par les inquiétudes religieuses de l’Occident catholique et par la peste qui avait éclaté a cette époque. Th.-I. l’spenskij, .Sur l’origine de l’hérésie des strigolniki (O proiskhoidenie), dans Istoriâeskoe obozrênie, t. iii, 1891, p. 214.

VIII. Le concile de Florence et l’autocéphalie moscovite.

Au métropolite Cyprien, qui gouverna toute l’Église ele Russie (du Nord, ele l’Ouest et du Sud) de 1389 à 1406, succéda le Grec Photius, qui occupa le siège de Mose-e>u jusqu’en 1 431. Ce patriarche marque un dernier effort de la part de Constantinople pour garder la suzeraineté sur l’Église moscovite.

Depuis longtemps — depuis les origines — la Russie s’efforçait de s’affranchir de la tutelle grecque. Un regard jeté sur la table eles métropolites depuis l’invasion des Mongols jusqu’au concile de Florence montrerait que, normalement, Crées et Russes alternaient. Constantinople pourtant sentait bien que la Russie lui échappait. En 1393, le patriarche Antoine écrivit à Moscou pour protester contre l’omission élu nom de l’empereur dans les ecténies. En 1415, les évêques ele Russie occidentale, réunis en concile à Vovogrodek, se séparèrent a nouveau ele Moscou et élurent un métropolite dissident, le fameux Grégoire Tsamblac qui accepta l’union de Constance, puis disparut mystérieusement ; mais le métropolite moscovite Photius, après avoir récupéré son territoire, fit inclure dans le serment que les évêques devaient prononcer lors de leur consécration épiscopale « qu’ils promettaient de ne pas accepter de métropolite sinon celui qui serait institué par Constantinople, comme nous les avons acceptes li-s l’origine » (Pavlov, Monum. de l’une droit canon, russe, dans litiss. /st. liibl., t. VI, n. 52, col. 454). Photius mourut en 1431 et Basile l’Aveugle, grand-prince de Moscou, dépêcha à Constantinople l’évêque de Riazan, Jonas, pour le faire consacrer métropolite de Moscou et de toute la Russie. A Constantinople, on avail décidé <le ne nommer que des partisans de l’union avec Rome. Le grec Isidore fut donc consacré et.louas revint avec un vague espoir de lui succéder en cas d’accident : telle est. du moins, la version moscovite de l’affaire. À peine arrivé à Moscou, où il fut d’ailleurs bien reçu, Isidore parla de se mettre en route pour le concile de Florence. La chronique rapporte que Basile hésita longtemps avant de donner son consentement. Isidore partit cependant ; il était accompagné d’une suite brillante parmi laquelle se trouvaient l’évêque de Suzdal, Avraamij, dont le nom se retrouve au bas de l’acte d’union de Florence, et un pope, Siméon de Suzdal qui nous a laissé un joli compte rendu de ses impressions de voyage. Sur la participation d’Isidore au concile de Florence, voir P. Picrling, La Jiussic et le Saint-Siège, t. i, Paris, 189C ; G. Mercati, Scritti d’isidoro il cardinale Ruleno, dans Sludie Testi, fasc. 46, Rome, 1926.

Après que l’union fut conclue et signée à Florence, les pèlerins repartirent pour leur pays. Isidore vint d’abord à Cracovie, puis à Przemysl, où il trouva la cathédrale aux mains des Polonais latins ; de là, il passa à Galiè, dont le siège était vacant depuis 1428, puis à Chelm ; partout il proclama l’union ; ce n’est qu’à Vilna qu’il rencontra des résistances. Kiev se prononça pour lui et il se mit en route pour Moscou. où il arriva le 19 mars 1441. La ville avait pourtant déjà été alertée, ce semble, par Avraamij de Suzdal et d’autres qui avaient précédé Isidore en Moscovie. A peine arrivé, le métropolite se rendit à la cathédrale de l’Assomption où il entonna un service solennel d’action de grâces ; puis il célébra la liturgie au cours de laquelle il commémora le pape ; enfin, la liturgie terminée, il envoya son diacre à l’ambon lire l’acte d’union signé à Florence le 5 juillet 1439. C’est la seule fois qu’un métropolite de Moscou commémora le Saint-Père solennellement dans la capitale du monde orthodoxe slave. Les boiars se taisaient, dit la chronique, de même tous les évoques russes, silencieux, somnolaient et dormaient. L’union, semblc-t-il, allait être acceptée. Basile, le prince défenseur de l’orthodoxie, veillait : trois jours il garda le silence lui aussi ; puis il fit mettre le métropolite en prison, le qualifia d’hérétique et de loup ravisseur couvert d’une peau de brebis et décréta la réunion d’un concile pour le condamner. » Alors, rapporte la chronique de Nikon, tous les évêques russes s’éveillèrent : les princes, les boiars, les nobles et la multitude des chic tiens orthodoxes se rappelèrent alors et comprirent l’ancienne religion grecque ; ils citèrent les paroles des Pères <t qualifièrent d’hérétique Isidore. » Peu après le malheureux métropolite s’enfuit du couvent des Miracles (Cudov) où il avait été emprisonné, prit la route de Tver et de Vilna, mais partout rejeté, il liait par revenir à Rome. L’union avait dé rejetée a MOS-COU. Ce rejet, dû exclusivement au prince Basile, in t une portée historique incalculable.

Il devait dominer l’idéologie de Moscou pour longtemps. Il ouvre une période nouvelle dans l’histoire religieuse de la Russie. Pour Moscou, l’orthodoxie byzantine a failli ; l’empereur de Constantinople ci son patriarche oui manqué a leur mission historique. Après la première Rome, l’ancienne, celle des césars et des papes, c’est la seconde. Constantinople, qui vient de s’écrouler. I.a ruine de 1453, interprétée en Occident comme un châtiment divin infligé aux Grecs pour avoir rejeté l’union de Florence, sera pour les Moscovites un châtiment infligé aux Grecs pour leur apostasie. Il ne reste donc qlie la troisième Rome : Moscou. Ces idées se font déjà jour dans les écrits du pèlerin de Florence, Siméon de Suzdal. C’était l’impression qui devaii rester : Moscou devenait le centre de l’orthodoxie dissidente, mais la figure, principale de la troisième Rome était maintenant le grand-prince, plus tard le tsar, enfin l’empereur, en tous cas, toujours un laïque.

Moscou était alors en pleine anarchie. Le prince Rasile y perdit la vue et y gagna son surnom d’Aveugle ; ses compétiteurs les princes Scmjako y Pissèrent la vie. Pendant longtemps on fit traîner les affaires d’Église, quoique l’évêque de Riazan, en vertu de son ancienne candidature et de la faveur dont il jouissait auprès du prince Rasile, semble avoir été considéré comme le chef hiérarchique de l’Église russe. Basile enfin eut raison de ses adversaires et la paix revint ; on décida de se passer de Constantinople ; un concile fut réuni ( I 148) et Jonas fut élu. Le consentement de Constantinople ne semble même pas avoir été demandé, car les ambassades que Moscou aurait envoyées sur le Bosphore à ce sujet semblent avoir été inventées après coup. On aimerait avoir quelques détails sur la procédure de l’élection et de la consécration. Une soixante d’années plus tard, Joseph de Volokolamsk, en rupture avec son archevêque, citera pour se justifier l’exemple de l’higoumène saint Paphnuce de Borovsk, un des saints les plus vénérés d’ancienne Russie, qui « ne voulut pas appeler Jonas… métropolite » ; néanmoins l’autorité de Basile était irrésistible et Jonas fut bientôt universellement reconnu.

Documents officiels. — La correspondance (authentique ? ) entre Moscou et Byzance au sujet de l’élection du métropolite.louas a été publiée dans Pavlov et Benesevic, Monum. de l’une, ilroit canon, russe, dans Russ. Ist. Iiibl., t. vi, n. 62 et 71.

Documents littéraires. — Avraam de Suzdal ( ?), Voyage d’Avraam de Suzdal au VI IIe concile avec le métropolite Isidore ( Iskhoidenie…), dans Drevnaja RossijskajaVivIioteka de Novikov, t. xvii, p. 178-19."> ; ce document se trouve aussi dans Popov, Revue hist.-liltér. des ouvrages polémiques contre les latins en ancienne Russie (Ohzor…), Moscou, 1895, p. 400 sq. ; Siméon de Suzdal, Voyage du métropolite Isidore au VIIIe eoneile en 6045, dans Drevnaja Koss. Vivl., t. vi, p. 27-71 ; Récit tin moiue prêtre Siméon de Suzdal : comment le pape romain Eugène convoqua le VIIIe concile d’accord avec ceux qui pensaient comme lui (InoUa Simeona…), dans Popov, (ibzor…, p. 344 s(|. ; du même Siméon, Recueil choisi des saints Pères contre les latins, et comment on célébra le VIII’concile, comment le trompeur Isi<lorc fut renversé el comment on étulilit îles métropolites en Russie ; la première partie est la même chose que le travail précédent ; la deuxième partie raconte la consécration de.lonas et de son successeur Théodose avec la participation du prince Basile, dans Popo. op. cit., p. 360 sq. ; on clerc d’Ostrog, Hist. du concile Listrikskij, c’est-à-dire du brigandage de Ferrure ou île Florence, écrite brièvement mois de façon véridique. (Khrik Ostrozski) istorija o Listrijskom stboré..), publu ; dans Apocrisis, Ostrog, 1598, réimprimée dans Russ. Ist. Ilibl., I. XIX, sous le litre de Histoire du concile de brigands à Florence. Voir : nissi les chroniques russes, surtout Sofijskaja ei Voskresenskaja ; Nikonovskaja donne quelques détails complémentaires.

Travaux. li. BuCinskij, Traces des ouvres littéraires au sujet du concile de Florence…, dans l’Hist. du concile de Florence de tS98 (en ukrainien : Slidi vi -likorus’kikh…), (Lias Zapiski tov. im. Sevlenka, fasc. 115, 1913, p. 23 sq. ; Th.-I. Delektorskij, Examen des récits sur l’union de Florence (en russe : Obzor skazanii…), dans Y.urn. Min. Nar. l’r.. Juillet 1895 ; du même, L’union de Florence (en russe : Florentijskaja unija), dans Strannik, 1893 ; ces articles de Delektorskij doivent être encore aujourd’hui consultés ; P.-P. Sokolov, Isidore fut-il légat ù Moscou (en lusse : ligl /il, dans Ctenija obsc. Xestora letopistsa, 1908, n. xx ; A.-D. Scerbin, Histoire littéraire des récits russes sur le concile de Florence (en russe : Lileraturnaja istorija…), dans Let. ist. filolog. obsc. pri Nonorossijskom Unirersitete, t. x, Odessa, 1902, p. 138-186 ; Hild. Schæder, Die russischen Erzdidungen vom Florentiner Konzil, chapitre de son ouvrage Moskau dus drille Rom, Hambourg, 1929, p. 15-28.

On accepta Jonas aussi en Pologne. Le 31 janvier 1451, Casimir Jagellon lui donnait tous les privilèges que Ladislns Jagellon et Vitovt avaient concédés à ses prédécesseurs ; il commanda à tous ceux qui avaient la « foi russe » d’obéir à Jonas. Le métropolite aussitôt nomma des vicaires. L’année suivante. Daniel, évêque de Vladimir et Brest, demanda pardon d’avoir osé « se laisser nommer au siège de Vladimir par le métropolite Isidore et les autres métropolites en communion avec lui et avec le concile réuni à Constant inople ».

Mais bientôt Pic II divisait la métropolie d’Isidore. Isidore restait titulaire de Moscou : Kiev était donnée à son disciple Grégoire surnommé le Bulgare, qui vint en Pologne, fut reconnu par Casimir et rétablit l’union. Jonas bien entendu tonna contre lui et réunit à Moscou un synode composé de Théodose de Rostov, Philippe de Suzdal, Géronte de Kolomna, Vasian de Saraj et Jonas de Perm. Après avoir déploré l’arrivée de Grégoire en Ruthénie, ils signèrent un serment de rester fidèle à Jonas de Moscou et après sa mort à celui qui serait élu sur le choix de l’Esprit-Saint, suivant les canons des saints apôtres et des saints Pères et sur l’ordre de notre seigneur le grand-prince Basile Vasilevic, aulocrale russe. On le voit, c’est toujours le pouvoir civil qui décide des destins de l’orthodoxie. Ceci est tellement vrai que, pour les successeurs do Jonas au trône de Moscou, ils ne seront pas seulement nommés sur l’ordre du grand-prince, mais on verra aussi qu’ils seront déposés, dégradés, emprisonnés, assassinés même comme de simples fonctionnaires (quitte à être peut-être canonisés dans la suite comme saint Joasaph ou saint Philippe !). Des quatorze successeurs de Jonas jusqu’à l’institution du patriarcat moscovite, cinq seulement mourront sur leur siège, les neuf autres seront ou déposés (la plupart) ou devront se retirer. Philippe fut tué.

Mais en même temps que l’on brisait avec Constantinoplc, que les évêques, lors de leur consécration, prêtaient serment de ne pas recevoir de métropolite venant de Constant inople (même après que Constantinople se fut de nouveau séparée des latins) et que le grand-prince de Moscou défendait à l’archevêque de Novgorod de recevoir les légats du patriarche de Constantinople, Moscou gardait contact avec l’Orient orthodoxe par le mont Athos et surtout par Jérusalem.

A Moscou, on se persuadait de plus en plus que le seul territoire vraiment orthodoxe était la Russie moscovite. Soumise aux Turcs, Constantinople ne pouvait désormais se vanter de conserver la foi orthodoxe dans toute sa splendeur : ses églises étaient tournées en mosquées ; le son des cloches — et comment concevoir des fêtes sans sonneries ? — était interdit. Le mariage d’Ivan III avec Sophie Paléologue, s’il causa une profonde déception à Rome, apporta du moins à Moscou un peu de la vieille gloire byzantine : les artistes italiens qui suivirent la princesse dans sa nouvelle patrie donnèrent à la ville russe un éclat incomparable. C’était vraiment la capitale d’un empire, de cet empire que lentement, habilement, les « assembleurs de la terre russe », dont un des plus opiniâtres était bien Ivan III, avaient créé autour de Moscou. Déjà, tant qu’il pouvait, car l’entreprise n’était pas facile, Ivan se faisait appeler tsar par ses diplomates. Le métropolite Zosime l’appelait « le nouveau tsar Constantin de la nouvelle Constantinople », tandis que le moine Joseph de Volokolamsk, un des grands théoriciens du ( ésaropapisme moscovite, le décorait du 1 Ltre de Dsrzavnyj (autoci ate) et lui appliquait toutes les at tributions de défenseur de la foi que Justinien avait prodiguées à l’empereur byzantin. L’archevt’eiue Vassian de Rostov, en invitant Ivan à lutter contre les Tait ares, en le gourmandant même, car Ivan ne se elistinguait pas par sa bravoure sur le champ de bataille, lui elonnait ouverte nient du « tsar fort et brave » ou élu « tsar aimé ele Dieu » ou encore élu « grand tsar chrétien des terres russes ». Ce n’est pas encore d’un patriarche que Moscou a besoin pour réaliser l’idéal de la troisième Rome ; mais il lui faut l’empereur orthodoxe, le basileus, le tsar.

En 1512 parut une chronographie ou histoire du monde qui se elistinguait des vieilles chroniques en ce sens qu’elle’était divisée en chapitres et contenait de longs récits pris d’un peu partout. Il est intéressant ele remarquer la conclusion que son auteur tire de la chute de Rome et ele celle de Constantinople. Après ia chute de Rome (455), l’auteur (il s’agit de Constantin Manassès, un Grec du xiie siècle, une des sources élu chronographe) remarque : « Ces choses arrivèrent donc à l’ancienne Rome ; mais ne>tre Rome nouvelle, Constantinople, fleurit, grandit, est jeune et forte. Qu’elle croisse éternellement, ô empereur, souverain du monde 1° Après la chute de Constantinople (1453), l’auteur du chronographe écrit : « Car tous les pieux empires, celui de Serbie, de Bosnie, d’Albanie et beaucoup d’autres, à eause de nos péchés et par la permission ele Dieu ont été conquis, dévastés et assujettis à leur puissance par les Turcs infidèles, mais notre terre russe, par la miséricorde divine et les prières de la très pure Mère’de Dieu et ele tenis les saints thaumaturges, croit, est jeune et s’élève. Que le Christ miséricordieux lui donne de croître, de s’élever cl de s’élargir jusqu’à la fin eles sièeles ! « Cette dernière phrase rappelle celle de Constantin Manassès. Jælis on disait que Constantinople avait succédé à Home. prise par Genséric ; on dira désormais que Rome, la première Rome, est tombée élans l’hérésie apolliuarienne (Filioque !) et que la seconde Rome, saccagée par les Turcs, est encore en captivité ; il ne reste que la troisième Rome, Moscou.

Le théoricien classique de cette doctrine est un moine, sans grandes prétentions intellectuelles il est vrai, mais dont les écrits sont encore aujourd’hui cités élans tous les manuels : « Je suis un villageois, disait Philothée de Pskov ; j’ai appris à lire et à écrire, mais je n’ai pas examiné les subtilités grecques ; je n’ai pas lu les rhéteurs astronomes, je ne suis pas né à Athènes et je n’ai pas conversé avec les sages philosophes, mais j’ai lu les livres ele la loi sainte. » Ceci pour bien mettre en relief qu’il ne s’agit pas ici ele ectte seience mondaine dont Philothée, comme tous les moines ele son époejue, avait horreur, mais de dogme. Il parle « ele l’empire actuel orthodoxe ele notre Sérénissime et Éminentissime Souverain, qui, dans tout l’univers, est le seul tsar chrétien, qui tient les rênes de tous les sièges divins ele la sainte Église œcuménique, laquelle au lieu d’être à Rome ou à Constantinople, se trouve élans la ville ele Moscou gareléede Dieu « …Car, dit-il ailleurs, bien que les murs et les colonnes et les palais de la grande Home ne soient pas en captivité, l’âme des Romains est prisonnière du démon à cause eles azymes ; bien cjue les Hagarènes (les Sarrasins) aient conquis l’empire grec. ils n’ont pas ruiné sa foi et n’ont pas forcé les Grées à apostasier ; ainsi l’empire romain est indestructible, car la puissance romaine est une figure du Seigneur. >

Dans sa lettre adressée au prince’Basile Ivanovié, il lui rappelle que « l’ancienne Rome tomba dans l’hérésie apollinarienne ; les Hagarènes ont taillé les portes de la seconde Rome avec leurs haches et leurs cognées ; mais la troisième Rome, celle d’aujourd’hui… brille comme le soleil » : puis il invite le tsar à considérer « que tous les empires de la foi chrétienne orthodoxe se sont conjoints dans ton seul empire, tu es le seul tsar sous le ciel o. Ou encore la phrase fameuse que les enfants russes apprenaient dans tous les manuels : « D ux Romes sont tombées, la troisième es1 debout et il n’y aura pas de quatrième. »

Cette doctrine, d’après Philothée, est tirée des livres prophétiques. Voici son commentaire du célèbre passage de l’Apocalypsexii, 1 sq. : « La femme vêtue de soleil, ayant sous ses pieds la lune et sur la tèie une couronne de douze étoiles, c’est l’Église chrétienne, dont Jean dit qu’elle dut s’enfuir devant le dragon dans le désert. Elle quitta la vieille Rome à cause des azymes, car Rome la Grande tomba dans l’hérésie apollinariste ; la femme s’enfuit alors à la Rome nouvelle, la cite de Constantin, mais là aussi elle ne trouva pas la paix, car ils s’unirent aux latins dans le VIIIe concile (le VIIIe concile dans les sources russes est toujours le concile de Florence) ; elle s’enfuit alors à la troisième Rome qui se trouve dans la nouvelle grande Russie ; elle resplendit maintenant, l’Église une et apostolique, plus brillante que le soleil, dans tout l’univers et le pieux tsar seul la dirige et la protège. » Ces idées sur la Russie seule dépositaire de la vérité et de son souverain, le tsar aimé de Dieu, seul protecteur et dirigeant de l’Église sont à la base de la fierté et de l’orgueil que les Russes affichaient vis-à-vis des étrangers au cours du XVIe siècle. Elles connurent une vive popularité ; elles subirent des modifications quand le raskol éclata : elles sont aujourd’hui à la base de certain messianisme russe que plus d’un moderniste orthodoxe affiche.

Sur Philothée de Pskov, voir surtout V. Malinin, Le starels Philothée du monastère de Saint-Êléazar et ses lettres, Kiev, 1901 et les importantes recensions de A. Sobolevskij, dans Zurn. Min. Nar. Pr., déc. 1901 ; de Smirnov, dans Bog. Ve’st., fév. 1902, et de Kazanskij, dans Zurn. Min. Nar. Pr., oct. 1902. Quelques lettres de Philothée avaient été déjà éditées dans Prav. Sob., fév. 1861, janv. 1863.

Voir encore : A. Kadlubovskij, Vie du bienheureux Paphnucc de Borovs écrite par Vassian Sanin, Nezin, 1898 ; A.-A. Sakhmatov, De l’origine du chronographe (en russe : K voprosu o), dans Sbor. Old., t. i.xvi, 1900 ; du même, Pacôme le logothète et le chronographe, dans Zurn. Min. Nar. Pr., janv. 1899 ; du même. Le voyage de M.-G. Misura Munekhin en Orient et le chronographe de 1512 (Puteàestvie. ..), dans Izv. Old., janv. 1899 ; V..Jablonskij, Le Serbe Pacôme et ses travaux hagiographiques, Pétersbourg, 1908. La recension qui devait paraître dans Khr. C’Acn., janv. 1909, p. 114-ia.î, et qui avait été préparée par Nikolskij fut écartée par la censure ; voir une recension dans’Zurn. Min. Nar. Pr., juin 1909, de A. Sobolevskij ou l’auteur est appelé.lavorskij.

Le meilleur ouvrage sur la question de Moscou, troisième Rome, est celui de Hildegard Schæder, Moskau dus dritte nom, Hambourg, 1929.

Tout au cours de ce même siècle il y eut une littérature abondante pour démontrer aux Russes que leur Eglise était l’héritière de Rome et de Constantinople ; mais la personne toujours mise en vedette est celle du souverain ; l’Église reste toujours à l’arrièrc-plan. Rappelons en premier lieu la légende du bonnet de Monomaque et des insignes impériaux envoyés en Russie par Constant in Monomaque ( Mnô I), mais qui n’apparaissent en Russie qu’au xvie siècle. Il y a celle de l’origine romaine des Rui’ikides. Ils descendent d’un certain Prus qui lui frère d’Auguste et l’ancêtre de la fouille impériale de Russie.

Il y a encore d’autres récits plus ecclésiastiques mais pour trouver leur origine, il faut toujours aller, ce semble, à.Novgorod. Il y a l’histoire de l’icône de Notre-Dame de Tikhvin. Elle avait été peinte a Constantinople par ordre du patriarche Germain ; lors de l’hérésie iconoclaste, il l’envoya à Rome où elle resta cent trente ans ; puis elle revint à Constantinople, mais, soixante-dix ans avant la chute de la capitale byzantine, l’image s’enfuit miraculeusement à travers les airs et, après s’être posée en diverses localités du territoire de Novgorod, resta définitivement à Tikhvin. Il serait intéressant d’examiner s’il n’y a pas quelque rapport entre ce récit et l’histoire de Lorctte.

C’est alors aussi qu’on développa l’histoire de la visite et de la prédication de l’apôtre André, à Novgorod, afin de donner une origine apostolique à l’Église de Russie, histoire qu’Ivan le Terrible citera un jour au jésuite Antonio I’ossevino, quand celui-ci cherchera à le persuader de laisser les Grecs pour Rome. Depuis longtemps. Moscou n’avait rien à envier à la cite du Bosphore.

Une des légendes les plus caractéristiques de l’époque traite d’une mitre blanche donnée par Constantin au pape Sylvestre, c’est l’adaptation slave de la célèbre « Donation de Constantin ». L’histoire de la mitre blanche fbélyj klobuk) suit de très près la Donalio jusqu’au baptême de Constantin. Puis, une fois baptisé, l’empereur voulut faire des dons au pape, en particulier, il tenait à lui olïrir une couronne royale. Le pape refusa en alléguant qu’il avai. fait la profession monastique. Constantin, attristi, reconduisit le pape et alla se coucher. Il eut durant la nuit une vision des saints Pierre et. Paul qui lui montrèrent une mitre blanche. Constantin fit donc faire la mitre suivant le modèle qu’il avait vu en songe, et la donna au pontife « qui s’en servait seulement pour les fêtes du Seigneur ». Les autres jours, le klobuk blanc restait à l’église sur un plat d’or orné de pierres précieuses. Constantin laissa Rome à Silvestre et partit pour Constantinople comme il est écrit, dans la Donalio. Longtemps après la mort de Sylvestre, les papes et les évêques orthodoxes honorèrent la mitre blanche, mais ils cessèrent de le faire quand le tsar Charles (Charlemagne ) et le pape Formose défaillirent dans l’hérésie apollinarienne et se servirent d’azymes. Dès lors la mitre blanche resta dans l’oubli. Après des péripéties extraordinaires, accompagnées de miracles et de visions, la mitre blanche dut être abandonnée par les Romains et vint à Constantinople, mais le patriarche Philothée, à qui elle arriva, reçut l’ordre de la transmettre a Novgorod ; une vision lui apprit quelamitre blanche avait laissé Rome à cause de l’hérésie apollinarienne, et qu’elle devait laisser Constantinople à cause de l’imminente invasion turque : « Dans la troisième Rome, qui est la Russie, la grâce de l’Esprit-Saiul rayonne ; sache donc, o Philothée (nous citons les paroles de la vision au patriarche de Constantinople), que tous les empires chrétiens arrivent à leur terme et s’unissent entre eux dans le seul empire de Russie (on dirait que ces expressions ont été copiées dans Philothée)… Car la grâce et la gloire et l’honneur ont été enlevés à l’ancienne Rome ; ainsi de même la grâce de l’Esprit-Saint sera ôtée à la ville impériale qui sera conquise par les infidèles et toutes ses choses saintes seront livrées par Dieu à la terre russe au moment opportun : le Seigneur élèvera le tsar russe au-dessus de toutes les nations et beaucoup de tsars d’autres nations seront sous son empire. La dignité patriarcale sera transmise à son tour de cette ville impériale a la terre de Russie pour y être sous sa domination, et le pays s’appellera la sainte Russie. » Sous une forme quelque peu rajeunie, celle doctrine que dans les mêmes termes, est formulée par plus d’un slavophile.

A.-I. KirpiCnikov, Un récit russe sur la vierge de Lorelle (en russe : RttSSkoe skir.anic…), dans Ctenija, niais 1896 ; ce récit devint fréquent dans les manuscrits du xvii » siècle ; il arriva en Russie en 1528 ; I. Zdanov, Récits sur Babglone, dans iurn. Min. Xar. Pr., juill., sept. 1891, où il est question des légendes sur la famille impériale de Russie. Il existe une édition des œuvres complètes de Zdanov ; A. Jatzimirskij, Échos moldaves des légendes moscovites sur les dons de Monomaque (en russe : Moldavskie otgolosku…), dans Zurn. Min. Nar. Pr., oct. 1903 ; A. -S. Arkhangelskij, Éducation et littérature en Moscovie, de la fin du XVe au XVII’siècle, 3 fasc, Kazan, 1898-1901 ; V. Savva, Les tsars de Moscou et les basileis de Byzance, Kharkov, 1901 (en russe : Moskovskic tsari…) ; cf. recension dans Bijzant. Zeitsehrift, t.xii, 1903.

La légende sur le Bèlyj klobuk (la mitre blanche) a été publiée par M. Kostomarov, dans Monum. de l’une, littér. russe, t. i, Pétersbourg, 1860, p. 287-303 ; voir aussi A.-S. Pavlov, La fausse donation de Constantin le Grand au pape Sylvestre, dans le texte complet de sa traduction grecque cl slave (en russe : Podloinaja…), dans Viz. Vremennik, 1890, p. 19 sq.

Le couronnement impérial d’Ivan le Terrible était l’aboutissement logique de toute cette évolution qui s’était faite dans les esprits moscovites depuis le concile de Florence et la chute de Constantinople. Cet événement, qui ne fut au début qu’un événement local, célébré avec une pompe extraordinaire, devait être gros de conséquences pour tout l’Orient orthodoxe. Ivan le Terrible fut couronné tsar par son métropolite Macaire le 16 janvier 1547. Tout le rituel de ce couronnement, autrement pompeux que celui des empereurs byzantins, insiste sur le caractère sacre de la cérémonie et les prérogatives de l’autocrate oint de Ditu. Après son couronnement, Ivan partit en guerre contre les Tartares de Kazan et ajouta un nouvel empire à sa couronne. C’était un gage de la bénédiction divine sur le nouveau souverain orthodoxe. Ce n’est qu’en 1556 qu’il commença à s’intéresser à Constantinople. Un métropolite grec était venu mendier à Moscou ; on le pourvut d’argent et on le renvoya dans son pays, avec des aumônes destinées à diverses personnes, pour demander la reconnaissance par Constantinople du fait accompli ; il était spécifié qu’on voulait une reconnaissance conciliaire, que celle du patriarche seul ne suffisait pas. La réponse vint en 1561 ; elle fut composée par le patriarche Joasaph et par le métropolite Joasaph ; mais sur les trente-sept signatures apposées au document, il n’y en avait que deux d’authentiques (celles des deux Joasaph ; c’est Regel qui a démontré ce fait extraordinaire ! ), cf. Analecta byzant.-slav., Pétersbourg, 1891, p. liii-lvi ; voir aussi la reproduction de ce document à la fin de l’ouvrage de Hegel. Le légal devait cependant couronner à nouveau Ivan le Terrible au nom du patriarche, car seuls, disait-il, les patriarches de l’ancienne et de la nouvelle Rome ont le droit de couronner les empereurs. On ne prêta aucune attention à ces exigences.

Dès lors le tsar était vraiment le chef polit ique ele toute l’orthodoxie et l’on enjoignit à tous les métro polites des quatre patriarcats grecs ele faire eominémoraison de lui dans les prières liturgiques sous peine d’excommunication. Mais ce n’est qu’un demi-siècle plus tard que le patriarcat moscovite sera institué.

E.-V. Barsov, Documents d’ancienne [iussic sur le sacre des tsars (Dreune-russkiepamjatniki…), darisCtenija, }anv. 1883 ; on trouvera dans cette étude les textes du cérémonial poulie sacre d’Ivan le Terrible et d’autres souverains ; Esquisse historique du cérémonial du sacre impérial en Russie et ses rapports avec le développement de l’idée impériale en Russie, ibid. (en russe : JstoriCeskij ocerk…) ; il y eut toute une littérature à ce sujet en 1896. Voir en particulier K. Popov, Le cérémonial du couronnement impérial, dans Bon. X’êst., avrilmai 1896 ; Y. Einhorn, Le sacre impérial des souverains russes, Moscou, 1896 (en russe : Vcncunie…), recension dans îurn. Min. Sur. Pr., nov. 1896, p. 151.

IX. L’hérésie judaisante. Conciles de 1490 et de 1503.

Malgré la bibliographie considérable ciui a été consacrée à l’étude de cette curieuse hérésie, il faut reconnaître encore aujourd’hui que bien eles problèmes n’ont pas encore trouvé leur solution.

On lui a assigné les origines les plus diverses. Malheureusement, iei encore nous n’avons que des documents de l’Eglise officielle et il est presque impossible, avec eux seulement, d’écrire une histoire impartiale des événements. Nous croyons cependant qu’il est impossible de considérer cette hérésie comme une chose homogène. Nous dirions volontiers qu’on a groupé toute une série ele manifestations politicoreligieuses sous ce titre général. La passion s’en mêla et l’on en lit une question dogmatique.

Gennade à Xovyorod.

Quand Ivan III vint à Novgorod en 1479-1 480 pour en finir avec les eler nières franchises de la vieille ville républicaine, il lit une gigantesque confiscation ele biens d’Église (la mense épiscopale y perdit 87 ° de ses terres), et emmena à Moscou l’archevêque Théophile (24 janvier 1480) qui, au bout de deux ans de prison dans le monastère des Miracle s, Unit par signer son abdication. Il fut le dernier prélat élu librement à Novgorod. Son successeur. Serge, fut élu suivant le vieux rite novgorodien, il est vrai : on choisit trois noms et l’on tira au sort ; mais la cérémonie se fit à l’Uspenskij (l’Assomption ) deMoscou et Serge venait de SergievTroitsa. Il fut le premier archevêque moscovite de Novgorod. Il fut consacré le 4 septembre 1483. Le clergé novgorodien lui lit grise mine, si bien cju’au bout de quelques mois il donna sa démission. On ne passa même pas par la formalité d’une élection et d’un tirage au sort pour lui donner un successeur. Gennade, archimandrite du monastère des Miracles du Kremlin de Moscou, l’ancien geôlier de Théophile, fut purement et simplement désigné pour prendre la succession. On ne se trompera pas en affirmant que ce n’était pas le métropolite Géronte qui l’avait nommé. Gennade était l’envoyé d’Ivan III. Il devait aider le bras séculier à assujettir Novgorod et l’un de ses mérites est précisément d’avoir introduit à Novgorod le culte des saints moscovites Pierre et Alexis.

Gennade était déjà une personnalité influente élans la politique ecclésiastique du Grand-Duché de Moscou. Né autour de 1410 — mais s’agit-il ici ele notre Gennade ? II donnera en tous cas des preuves d’énergie qu’on n’associe pas ordinairement à une vieillesse avancée — il avait été dès son jeune âge disciple de saint Sawathce, le célèbre cofonelalcur du monastère ele Solovki. On le perd de vue jusqu’en 1477 quand il fut consacré archimandrite des Miracles a Moscou. Dès lors son autorité s’affirme ele plus en plus. En 1479, lors ele l’âpre dispute entre Ivan 1Il et le métropolite Géronte sur la manière ele faire les processions (l’un élisait qu’il fallait tourner selon, l’autre contre le cours du soleil), Gennade fut un des deux ecclésiastiques cqui s’opposa au métropolite. Les esprits furent vivement agités par ce problème. Géronte se retira dans un monastère et donna sa démission. Ivan III élut s’humilier devant lui, le prier ele reprendre son trône et ele faire les processions comme bon lui semblait. Mais le métropolite garda une furieuse rancune contre l’archimandrite clés Miracle s. En 1 482, pour une vétille. Gennade était arrêté. Il chercha d’abord à se cacher dans le palais d’Ivan ; le prince 1, connue d’habitude, céda devant l’énergie du métropolite qui, semble-t-il, savait affirmer son autorité avec une fermeté a laquelle les princes moscovites n’étaient pas accoutumés. Gennade fut mis aux fers et ne fut libéré epje sur une nouvelle intervention du prince qui exhorta le métropolite au pardon eles injures. L’année suivante. Gennade partait pour Novgorod.

Il était a peine arrivé que le prince Loris Vasilevic de Yologda se permit de remarquer — et l’on avouera que ce n’était pas sans ele bonnes raisons — que Gennade avail été consacre avec « l’appui des puissants tic ce monde ». Il s’attira une verte réplique du nouvel archevêque qui lui rappela ses devoirs de soumission à l’autorité ecclésiastique. Entre temps les choses s’aggravaient a Novgorod. Ivan III y avait envoyé comme lieutenant un certain Jacob Zakhariô dont les exactions réduisirent les Novgorodiens à l’exaltation du désespoir. On voulut le tuer, mais il fut assez habile pour écarter le danger et se livra alors à d’épouvantables représailles. Ivan III, las de tant de résistances, transplanta une partie considérable de la population de Novgorod en Moscovie : à Moscou, Vladimir, Murom, Niznij-Novgorod, Perejaslavl, Jur’ev, Rostov, Kostroma, etc., dispersant ainsi les derniers survivants de l’ancienne aristocratie et de la bourgeoisie de l’antique république. En même temps il envoyait ses soldats, qu’il n’avait pas payés depuis longtemps, hériter des terres des exilés. Or, Jacob Zakhariô, le Cromwell moscovite à Novgorod, fut l’intime collaborateur de Gennade dans toute cette affaire de l’hérésie judaïsante.

Il était nécessaire de rappeler l’état de surexcitation des esprits de Novgorod ; toutes les condamnations de l’hérésie novgorodienne nous viennent de Moscou ou de personnes absolument dévouées à l’idée moscovite. Sans vouloir insinuer quoi que ce soit, on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas de documents novgorodiens sur ce pénible incident.

Gennade était par ailleurs un esprit cultivé. En collaboration avec le dominicain Benjamin, dont la présence au palais épiscopal d’un archevêque orthodoxe n’a pas encore été expliquée par les historiens, il prépara une traduction nouvelle de la Bible en slave, inspirée de la Yulgate, traduction qui, nous disent les savants modernes, fit époque. Il aimait aussi à se mettre eu contact avec les étrangers. Il envoya une ambassade à Rome. C’est vers cette époque que se propagea à Novgorod la légende sur la mitre blanche dont nous avons parlé au paragraphe précédent. En 1 48(5, il causa longuement avec l’ambassadeur de ]’(inpcreur d’Allemagne à Moscou, Nicolas Poppel, et fut émerveillé d’apprendre comment le roi d’Espagne avait « nettoyé » son pays d’hérétiques. Il en dressa même un compte rendu pour l’édification de son métropolite. Gennade, néanmoins, eut maille à partir avec tous ses supérieurs ecclésiastiques. Nous avons vu comment il avait souffert aux mains de Géronte. Il refusa de signer une nouvelle profession de foi quand Zosime fut nommé métropolite et allégua (faussement d’ailleurs) que (-’était contre la coutume. Le successeur de Zosime, Siméon, déposa et emprisonna Gennade. En somme, c’est avec Zosime que Gennade se tira le mieux d’affaire, ce métropolite que, sur la foi d’un seul témoin, passionné à l’extrême, le violent Joseph de Yolokolamsk, l’on accuse couramment d’hérésie. Mais Ivan III qui appréciait les services de Gennade à Novgorod ne voulut jamais le voir à Moscou. Deux métropolites et plusieurs évêques furent élus sans le suffrage de Genn ide et les conciles passèrent leurs décrets sans lui (il est curieux de noter l’absence si fréquente des archevêques de Novgorod aux conciles de Moscou). Gennade en fut profondément mortifié, car, on le voit bien par ses épilres, il se sentait une véritable vocation d’être le champion de foi orthodoxe dans toutes les affaires de l’Église russe.

L’hérésie. Une chance lui fut offerte en l 187, à l’époque justement OÙ les esprits eiaieid surexcités à l’extrême : un prêtre du nom de Naum apporta a son archevêque un psautier ijudaïsant », qui servait aux offices de quelques prêtres, coupables, disait-il, d’une combinaison de juiverie et de messaliauisme. En fait, on les accusait surtout d’avoir bu et mangé avant de célébrer la liturgie et d’avoir commis des malpropretés sur des icônes et des crucifix. On ouvrit une enquête, mais les accusés protestèrent si vigoureusement de leur orthodoxie qu’on n’en retint que quatre qui furent d’ailleurs laissés en liberté provisoire. Dans l’espoir de trouver aide à la cour, ils s’enfuirent à la capitale où ils furent arrêtés. Gennade envoya alors son acte d’accusation, appelé le podlinnik, et écrivit en même temps à l’évêque Niphon de Suzdal pour l’intéresser à la cause. Gennade n’avait évidemment aucune confiance dans son métropolite et il n’en avait guère plus, avec raison ce semble, dans le prince Ivan III, dont le rôle dans toute cette affaire est énigmatique. En même temps, il lui décrivait par le menu de nouvelles horreurs : « Ils attachent des croix aux corbeaux et aux corneilles ; beaucoup l’ont vu. Le corbeau vole et il porte une croix de cuivre ; le corbeau vole et il porte une croix de bois. Ou encore cette autre profanation : le corbeau et la corneille se posent sur charogne et ordures et trainent la croix là-dessus. »

A Moscou il ne semble pas qu’on se soit inquiété outre mesure. Pour le chroniqueur officiel, il s’agissait simplement de quelques popes novgorodiens qui, en état d’ivresse, auraient profané des icônes. Trois d’entre eux fuient trouvés coupables, knoutés et renvoyés à Gennade. Le quatrième, un certain Gridia, contre lequel il n’y avait que le seul témoignage de Naum, fut acquitté par le concile et renvoyé à Novgorod pour supplément d’instruction. Gennade devait réunir son clergé, convaincre les hérétiques, pardonner aux pénitents et remettre les obstinés à Jacob Zakhariô qui avait instruction de les châtier. Puis un rapport devait être fait et expédié à Moscou.

C’était beaucoup trop peu pour Gennade qui se croyait le sauveur de l’orthodoxie. Il se mit pourtant à l’œuvre avec zèle ; la torture fut libéralement appliquée par les bourreaux de Zakhariô et Gennade avait toujours parmi eux un homme de confiance, pour qu’il n’y eût pas de corruption. C’est juste vers cette époque qu’eurent lieu les terribles représailles de Zakhariô contre les Novgorodiens… L’hérésie pourtant (mais s’agissait-il vraiment d’hérésie ?) se développait. L’higoumène du monastère de Gorneôno, Zacharie, accusa à son tour l’archevêque Gennade. Mais l’archevêque eut vite raison de l’higoumène. Sur plainte des moines, dit Gennade, Zacharie fut arrêté. Il paraît qu’il avait détaché quelques nobles de la suite du prince Théodore Belskij, qu’il leur avait donné la tonsure monastique, puis qu’il leur refusait la communion. Gennade lui demanda pourquoi il refusait la communion. « Je suis un pécheur », répliqua l’higoumène. « Mais alors pourquoi as-tu détaché des nobles du service de leur seigneur et leur refuses-tu la communion ? », poursuivit l’inquisiteur. Alors « Zacharie manifesta son hérésie… Chez qui communier ? dit-il, car tous les popes ont été ordonnés simoniaquement et de même La métropolite et les évêques… » Je répondis : « Le métropolite n’a pas été simoniaquement ordonné. » Il répliqua : « Jadis nos métropolites payaient de l’argent au patriarche de Constantinople, mais maintenant, il donne des pourboires aux boiars en secret. » Zacharie était doue un slrigolnik. Gennade l’enferma, mais sur instances d’Ivan 1 1 1 le fit de nouveau libérer. Désespérant de convaincre le métropolite, qu’il soupçonnait alors et qu’il accusera plus tard de tiédeur dans l’exercice de sa charge, il écrivait à l’archevêque déposi de Rostov en l’excitant au zèle.

Le métropolite Zosime.

Entre temps Géronte mourut et Zosime tut du sans l’intervention de l’archevêque de Novgorod (Zosime fut consacré le 26 février 1490 et laissa son trône malgré lui le 17 mai 1494). Dès que Gennade fut au courant des événements, il écrivit de longues lettres tant à Zosime qu’au concile pour les engager à sévir. Ces documents sont importants car ils nous donnent des renseignements plus concrets et plus dignes de foi sur l’hérésie judaïsante que les diatribes postérieures de Joseph de Yolokolamsk. Voici quelle aurait été la genèse de l’hérésie, surtout d’après ces documents.

Quand Michel Alexandrovic" (Olclkoviê) vint à Novgorod en 1470, il était accompagné par un juif nommé Skharij qui était originaire de Kiev et se distinguait par ses connaissances astrologiques et cabalistiques. Skharij convertit bientôt deux prêtres novgorodiens, Denis et Alexis, qui plurent tellement à Ivan III, quand il vint à Novgorod (1480), qu’il les emmena à Moscou. Denis devint protopope de la cathédrale de l’Assomption et Alexis celui de l’église de l’Archange.

Puis Gennade décrit l’irruption de l’hérésie judaïsante à Novgorod, sa démarche auprès du métropolite que nous connaissons déjà et la futilité de l’enquête menée par Géronle. Quand les judaïsants novgorodiens surent qu’ils pouvaient trouver protection à Moscou, ils s’y enfuirent tous et y commirent d’autres horreurs. Gennade apprenait à Zosime, par exemple, que Denis, dans l’église de l’Archange, au Kremlin de Moscou, aurait dansé sur l’autel… Ils sont donc coupables, coupables aussi ceux qui ont concélébré avec eux, coupable aussi celui qui ne les a pas excommuniés (Géronte !). Gennade invite donc le métropolite Zosime à réunir les évêques, à condamner a l’anathème les hérétiques déjà défunts, puis à maudire « tous ceux qui sont dans l’acte d’accusation, tous ceux qu’ils ont induits à leur manière de voir, tous ceux qui se portent caution d’eux, tous ceux qui intercèdent pour eux, tous ceux qui tomberont dans leur hérésie » et Gennade demande à être chargé de l’exécution du décret. Il écrivait en même temps au concile et donnait toutes les précisions sur le moine Zacharie.

Le samedi 16 octobre 1490, les évêques. après avoir chassé de la cathédrale de l’Assomption le protopope Denis qui voulait célébrer avec eux, se réunirent tous au palais du métropolite. En plus îles évêques présents (il manquait comme toujours l’archevêque de Novgorod), des archimandrites, higoumènes, protopopes et moines qui avaient droit à assister aux sessions, on invita aussi les deux moines célèbres Paise Jaroslavov et Nil Sorskij. On recueillit des dépositions. Rapport est envoyé à Ivan Yasilieviè, qui vient au concile. Enfin les accusés furent condamnés, dégradés et maudits. Voici le texte du décret de condamnation qui précise quels furent les griefs. Il est d’importance capitale pour l’histoire de l’hérésie. « Beaucoup d’entre vous ont profané l’image du Christ et l’image de la Très Pure peintes sur icônes, d’autres ont profané la croix du Christ, d’autres ont blasphémé contre de nombreuses saintes icônes et d’autres ont craché sur des icônes ou les ont brûlées ; d’autres ont déchiré avec les dents des croix faites de bois d’aloès et d’autres ont jeté à terre croix et icônes et jeté des ordures sur elles ; d’autres les ont jetées dans des cuveaux et vous avez fait beaucoup d’autres profanations contre les saintes images peintes sur icônes. Et d’autres ont prononcé des insultes nombreuses contre Notre-Seigneur Jésus-Christ et contre sa Très Pure Mère, d’autres ont refusé d’appeler Notre-Seigneur le Fils de Dieu, d’autres ont dit des paroles insolentes contre les grands évêques thaumaturges et les nombreux saints Pères, et d’autres ont insulté les sept conciles des saints l’éres ; d’autres ont mangé de la viande, du fromage, des œufs et du lait durant tout le carême, et durant le carême, vous avez mangé de la viande et du fromage, des œufs, du lait le mercredi et le vendredi et tous vous avez préféré le samedi au dimanche. D’autres parmi vous nient la Résurrection et la sainte Ascension du Christ. Vous avez fait tout cela selon la coutume juive, contrairement à la loi divine et à la foi chrétienne. »

Le recours de Gennade avait donc été couronné de succès. On ne pendit néanmoins personne. Quelquesuns des coupables, après un châtiment sommaire, furent envoyés en prison dans différents monastères, les autres furent expédiés à Novgorod, où Gennade était autorisé à les punir sans leur infliger pourtant la peine de mort.

Le récit que nous venons de reproduire, pris des actes même du concile, se trouve plus ou moins dans toutes les chroniques. Celle dite de Nikon ajoute que Joseph, higoumène de Volokolamsk, écrivit un ouvrage contre les judaïsants. C’est aussi la seule chronique qui porte une accusation grave contre Zosime. Relevons ce détail dès maintenant, afin d’en tirer plus tard les conclusions nécessaires. Entre temps, Féodor Kuritsyn, un noble qui jouissait de la confiance du souverain, protégeait les hérétiques. On ne reparlera de l’hérésie qu’après sa mort quand, en novembredécembre 1503, on réunira un concile contre les judaïsants. » En cet hiver, rapporte la chronique, le grandprince Ivan Yasilieviè avec son fils le grand-prince Vasilij Ivanoviô et son père le métropolite Siméon, avec les évêques et tout le saint concile enquêtèrent au sujet des hérétiques et commandèrent de les faire mourir. Volk Kuritsyn, Michel Konoplev et Ivan Maximov furent brûlés vifs le 27 décembre ; Nekras Rukavov eut la langue arrachée et fut ensuite brûlé à Novgorod ; ce même hiver on brûla Cassien, archimandrite de Juriev et son frère Ivan le Noir et beaucoup d’autres hérétiques ; d’autres furent envoyés en exil ou dans les monastères. » D’après Joseph de Volokolamsk on arracha la langue à beaucoup d’entre eux avant de les envoyer en exil. Ce fut la fin de cette hérésie.

Zosime fut-il hérétique ?

Entre 1490 et l’autodafé de 1503, de graves événements s’étaient déroulés. Le métropolite Zosime avait dû donner sa démission en 1494. Depuis lors, à peu près tous les historiens russes l’accusent à l’envi d’hérésie et de crimes contre nature. Or, toutes ces accusations, reçues dans l’historiographie officielle de Russie, reposent uniquement sur le témoignage de Joseph de Volokolamsk ; une seule chronique, celle dite de Nikon, rapporte que Zosime fut déposé à cause de sou ivresse et de sa vie indigne ; mais cette chronique, nous l’avons dit plus haut, connaissait le Prosvêlitel de Joseph de Volokolamsk, qui semble être la source unique de toutes les accusations dirigées contre Zosime ; on cite encore une lettre de Joseph de Volokolamsk à Niphon de Suzdal sur l’hérésie du métropolite, et ou date cette lettre de 1 493, car elle semble supposer que Zosime siégeait encore a l’Assomption ; mais il nous paraît invraisemblable qu’on ait pu lancer publiquement de telles accusations en 1493, car il est impossible de supposer que Zosime ait été l’objet d’imputations si graves, surtout de la part d’un homme comme l’higoumène de Volokolamsk, sans que Gennade de Novgorod en ait été averti. Or, quand Zosime fut chassé l’année suivante, Gennade en communiquant son adhésion à l’élection du successeur, ne saura rien d’un tel scandale. Pour lui, Zosime aura simplement déclaré qu’il ne pouvait continuer à siéger sur le trône métropolite et aura donné sa démission en public. Comment, l’année précédente, Joseph aurait-il pu écrire à Niphon que « maintenant se trouve sur le trône (de l’Assomption) le loup impur et mauvais, déguisé en pasteur, évêque suivant l’ordre hiérarchique, mais le traître Judas lui-même d’après

on origine ; qui salit le grand trône pontifical enseignant

le judaïsme aux uns, corrompant les autres par sa sodomie, serpent de perdition », etc. ? Et l’ardent Gennade qui s’était fait le champion de l’orthodoxie dès le début en aurait été paisiblement ignorant ? L’invraisemblance dépasse toute mesure. Il est plus facile de supposer que nous sommes en présence (l’un faux ou encore que Joseph de Volokolamsk a simplement antidaté une de ses lettres…

Quant à l’introduction au Prosvêtilel, où l’higoumènc de Volokolamsk fait à sa manière l’historique de l’hérésie judaïsante, voici quelques-unes des conclusions établies par X. Popov en 1913 :
" 4. La première rédaction du Prosvêlitel ne savait pas que Zosime avait participé au mouvement hérétique. —
6. La rédaction postérieure de ce récit, paraissant à un moment où son auteur est surexcité au suprême fleuré par le fanatisme qu’il avait déployé dans sa lutte contre ses adversaires, répond moins à la réalité que la première rédaction. —
7. …Ce n’est qu’avec la plus grande réserve que nous pouvons nous servir des autres indications historiques de ce document. Si la haine put changer radicalement, à brève échéance, l’idée que Joseph avait de Zosime, n’avons-nous pas le droit de nous attendre à davantage pour ce qui est de l’idée de Joseph sur l’hérésie des judaïsants ? —
8. Le récit du Prosvêlitel de la dernière rédaction n’obtint évidemment pas beaucoup de faveur, même, au xvi c siècle, et cela non seulement auprès des moines d’au-delà de la Volga, mais même chez les partisans de Joseph parmi lesquels il faut compter le métropolite Macaire. —
9. Le bienheureux Joseph classa comme hérétiques tous ceux qui parlaient de traiter les hérétiques avec miséricorde, en particulier Nil Sorskij ». N.-P. Popov, Le récit sur l’hérésie des judaïsants écrit par Joseph de Volokolamsk d’après les manuscrits des grandes Menées, dans Izv. OUI., t. XVIII, 1913, p. 173197. Ces thèses de Popov viennent de recevoir une confirmation du travail récent de V. Perets, Le Prosvêlitel de Joseph Sanin dans une traduction ukrainienne du début du XVIIe siècle, dans Sborn. Old., 1928, p. 108167. Il manque aussi à cette traduction les invectives contre le métropolite Zosime.

Les conclusions de Popov sont accablantes pour l’higoumènc de Volokolamsk. Mais dès 1905, un professeur de l’académie ecclésiastique de Sergiev Troitsa, Th. -M. llinskij. avait innocenté Zosime et accusé Joseph, dans un article du Bogoslovskij Vêstnik de son académie, 1905, 3 octobre CLe second article, quoique annoncé, n’a jamais paru.)

La polémique anti judaïsante.

D’après les développements historiques que nous venons de faire, il apparaît difficile de classer cette hérésie. II nous semble impossible d’y voir une seule hérésie, c’est-à-dire un groupe homogène de doctrines. Il est manifeste que des juifs convertis y prirent part et que par conséquent l’influence juive s’y manifesta. D’autres auteurs y ont reconnu des apports bogomiles. Récemment, M. Félix Koneczny, professeur à Vilna, décrivant le voyage à Moscou d’Hélène la Moldave, fiancée du lils d’Ivan III, crut que dans son entourage il y avait plusieurs bogomiles ; de fait, les livres dont se servaient les judaïsants manifestaient des préoccupations de ce genre. Féodor Kuritsyn, l’homme d’État qui semble avoir été un des principaux appuis ([île les hétéro doxes trouvèrent à Moscou, avait beaucoup voyagé à l’étranger. Il avait été ambassadeur en Hongrie et était revenu par la Moldavie et la Crimée. On reconnaît assez volontiers dans la littérature judaïsante des livres de cabale et d’occultisme. Il y a le Sestokrul (les six ailes), le Mystère des mystères, attribué à Aristote, et d’autres encore. L’attitude du prince Ivan III semble a peu près inexplicable. On condamne les popes novgorodiens accusés d’actions orduriercs. mais le mouvement persévère parmi les chefs. Nous croyons qu’Illovajsl ij fut bien inspii. quand il ci ut que I lu r. sic judaïsante était surtoul faite de pratiques d’astrologie. On comprendrait alors plus aisément l’attitude d’Ivan et de Kuritsyn.

En tout cas les judaïsants semblent avoir été des personnes cultivées. Dans sa lettre à l’ancien archevêque de Rostov, Gennade de Novgorod demande qu’on lui recherche < au monastère de Saint-Cyrille (c’est-à-dire de Belozero) ou de Spassokamennyj : Sylvestre, pape de Rome (la Donatio Conslanlini), le discours du prêtre Coinc contre l’hérésie bogomile, l’épître de Photius au prince Boris de Bulgarie, les Prophéties, la Genèse, les Bois et les Proverbe. Ménandre, Jésus de Sirach et la Logique et Denys l’Aréopagite ; car tous ces livres se trouvent dms les mains des hérétiques. > Sobolevskij a depuis identifié cette Logique avec une œuvre du rabbin Maimonides.

On a beaucoup écrit sur le Psautier judaïsant dont parle Gennade dans sa lettre à Joasaph. En 1907. Speranskij publia un Psautier traduit durant le pontificat du métropolite Philippe par un « Théodore baptisé d. Il ne s’agit pas ici de psaumes, mais de prières dont se servaient les Juifs dans leurs services litur giques. Ces « psaumes », inspirés d’ailleurs du livre de David, ne contiennent pas les prophéties messianiques. Il y avait aussi quelques cantiques. Plusieurs auteurs ont identifié ce Théodore avec l’auteur d’une épître au peuple juif, baptisé durant le gouvernement de Basile Basilievié par le métropolite Jouas (donc de 1448 à 1461 1. L’auteur de l’épître semble sincère dans son attachement à l’orthodoxie. Comment put-il donc traduire un livre de prières juives de 1401 à 1473 ? Les uns ont cru que Théodore était un hypocrite, d’autres qu’il avait traduit le psautier avant son baptême. Speranskij penche à croire que Théodore se convertit sincèrement, mais, quand l’hérésie éclata à Novgorod, et quand Skharij qu’il avait connu dans le grandduché de Lithuanie ou à Kiev vint en Bussie, il aurait appuyé en sourdine ses anciens coreligionnaires.

Or, tout cela tombe par la base si l’on se souvient que, d’après Gennade, ce psautier contient la doctrine (littéralement tradition, predanie) des « hérétiques Aquila, Symmachus et Théodotion ». Or, Sobolevskij en a fourni la preuve, le seul commentaire des Psaumes qui contienne des fragments de ces trois auteurs est celui de Théodoret de Cyr qui existe précisément dans une vieille traduction slave. Gennade ne savait donc pas que le psautier en question était l’œuvre du « bienheureux Théodoret o et il cria au judaïsme.

De tous les ouvrages que l’on a pu démontrer comme étant reliés à l’hérésie judaïsante, il n’en est pas un seul qui défende des doctrines juives.

Des polémistes orthodoxes contre l’hérésie judaïsante, nous ne retiendrons que trois noms : l’higoumènc Sawa, Joseph de Volokolamsk et le métropolite Daniel.

Nous ne nous at tarderons guère à la lettre de Sawa à D.nitri Yasilicviè Sehcin. L’auteur s’inspire presque uniquement de la Palea avec quelques citations de l’Évangile et du métropolite Ililarion. Sa contribution théologique n’est pas intéressante et a passé ina perçue jusqu’au début de ce siècle.

L’ouvrage classique de la polémique antijudaïsante est r Illuminaient- (Prosvêlitel) ou Lucidarius du célèbre bigouniène Joseph (h-Volokolamsk. Cet ouvrage connut longtemps une vogue extraordinaire dans l’ancienne Russie et conserve encore l’estime des historiens de la littérature religieuse archaïque russe. Malheureusement nous n’avons à notre disposition que l’édition bien imparfaite de Kazan (1857). l’opov (dont nous avoir, rapporté plus haut les conclusions ) exprimait en 1913 le désir qu’une nouvelle édition critique en fut préparée.

Nous connaissons déjà l’introduction du Prosvêtilel. On » parle du juif Skharij. de la perversion des prêtres Denis et Alexis, de leur fuite à Moscou. Dès lors, du moins d’après l’édition de Kazan qui représente la rédaction postérieure, Zosime entre en ligne comme le grand protecteur des hérétiques et, chaque fois que Joseph écrit le nom de Zosime, il l’accompagne des invectives les plus violentes qu’il puisse trouver dans l’opulent vocabulaire moscovite du xvi c siècle. Géronte était alors métropolite, mais il ne fit rien contre les hérétiques.

Après cette introduction vient l'Illuminateur lui-même composé, dans sa rédaction actuelle, de seize discours :

1. Doctrine de la Sainte-Trinité ; l’auteur s’inspire presque uniquement de l’Ancien Testament et il prouve l’existence du Fils et du Saint-Esprit.

2. Le Christ est venu : il est Dieu. La naissance du Christ est prouvée par les prophéties de Jacob et de Daniel ; à cette occasion, l’auteur donne les dynasties et fail le compte des années ; ainsi il lixe la date du baptême du Sauveur. Il allègue Is., lui, pour prouver le crucifiement du Sauveur. D’autres textes prophétiques annoncent la résurrection et l’ascension.

3. La loi de Moïse a passé : il ne faut plus offrir de victimes ; la circoncision n’est plus obligatoire. L’auteur note la caducité des diverses étapes de la Loi (de Noé à Abraham ; d’Abraham à Moïse).

4. Sur la rédemption et comment Dieu, ayant usé de subterfuge envers le démon, sauva le monde et le sauve encore. Les hérétiques trouvèrent cette explication indigne de Dieu : Dieu peut faire toutes choses par sa sagesse ; mais il est indigne de lui que de le faire par subterfuge et de vaincre le démon par tromperie. Joseph réplique que Dieu ordonna à Moïse de tromper les Égyptiens : Samuel trompa Saul pour couronner David ; Judith trompa Holopherne. Joseph fait allusion à d’autres exemples encore. Il ne faut donc pas se scandaliser des ruses divines. Joseph rapporte donc comment l’un des anges tomba et s’appela le diable. Dieu alors créa l’homme et le plaça dans le paradis ; l’homme était libre : « Le feu ne pouvait le brûler, ni l’eau le noyer, ni les bêtes féroces le déchirer : il était orné de toute vertu et de toute gloire. Dieu le nomma roi (tsar) de toutes les choses visibles. » P. 181 182. Vient ensuite la créât ion de la femme, le précepte, la chute et la condamnation du genre humain. Dieu voulant enrayer le mal, envoya le déluge ; mais la corruption revint pire qu’auparavant. Dieu envoya la Loi, puis les prophètes, mais tout cela fut inutile. Or, si Dieu avait écrasé le diable par sa puissance, celui-ci aurait pu dire : « Dieu n’est pas plus juste que moi, mais il fait toutes choses par force et par violence, tout comme moi, j’ai été par force vainqueur de l’homme. » P. 184. Alors voici ce que Dieu fit (l’auteur cite ici Jean Chrysostome) : « Dieu prit notre chair afin de purifier notre âme par son âme, notre corps par son corps, etc. » Puis est rapportée la naissance du Sauveur, ses miracles et sa prédication. Le diable s’étonna de voir un homme accomplissant les merveilles d’un Dieu. Il excita contre lui les prêtres et les scribes qui le firent mourir, mais la divinité restait toujours cachée et ainsi l’âme du Christ fut conduite « par la mort et le diable » en enfer. Dieu alors leur montra sa divinité et leur parla terriblement, épouvantablement comme le tonnerre : « Je suis Dieu du Dieu éternel, je suis venu du ciel et je suis devenu homme, montrez-moi mon péché pour lequel vous m’avez tué et pourquoi vous avez conduit mon âme ici. » Épouvantés et étonnés, ils ne purent rien répondre. Dieu alors « les condamna, les envoya au feu, leur lia les mains avec des chaînes de fer », p. 18(i, délivra les captifs, monta au ciel, envoya l’Esprit-Saint qui illumina les apôtres, lesquels prêchèrent l’évangile. Ainsi l’homme fut sauvé « comme le pêcheur prend le poisson en mettant un ver pour couvrir l’hameçon ». Dieu ainsi couvrit sa divinité avec son humanité et captura l’ennemi.

Le reste du « discours » traite de choses diverses. Quelques-uns prétendaient qu’il n’y avait plus de miracles. Joseph répond qu’ils n’étaient pas nécessaires au salut et fait une description élogieuse de la pénitence. Avant l’incarnation il y eut peu de saints (il les énumère) ; maintenant il est plus facile de compter le sable et les étoiles que le nombre des saints et de ceux qui se sauvent par l’incarnation. « Il n’y a ni île, ni ville, où la prédication du Christ ne soit annoncée, comme ceux qui l’ont vu en témoignent : les Hellènes et les Romains, les Égyptiens et les Ethiopiens, les Indiens, les Babyloniens et les habitants de la grande île Apravanskij ( ?), la Médie, la Perse et la Russie, toutes les villes et tous les lieux sous le ciel ont reçu la prédication divine. » P. 197. Tel est, brièvement, le contenu de ce fameux quatrième sermon dont le contenu théologique faisait l’admiration des historiens de Joseph de Volokolamsk…

5. Il convient de peindre la Très-Sainte-Trinité sur icônes. Les judaïsants disent que Dieu apparut à Abraham entouré de deux anges. Joseph leur réplique qu’il s’agit ici d’une vision de la Trinité et cherche à concilier les divers témoignages des Pères. La fin de ce « discours » est intéressante, car Joseph nous donne les règles de l’iconographie de la Trinité : sur trônes. avec auréoles, car le cercle représente l’infinité, avecailes et sceptres. 6. Culte des icônes et de la croix, et des autres objets sacrés. Évangile, les saints mystères vivifiants du Christ (la sainte eucharistie), les vases sacrés, reliques et églises. La prohibition de l’Ancien Testament ne s’applique pas aux icônes. Il y eut des objets sacrés dans l’Ancien Testament : les juifs les vénérèrent ; il en est ainsi a plus forte raison dans le Nouveau. Nous honorons aussi les reliques et la poussière du tombeau, sanctifiées par la grâce de l’Esprit-Saint et glorifiées par des miracles.

7. Il faut donc vénérer l’image de la Sainte-Trinité, l’image du Christ imprimée sur le voile envoyé à Abgar, l’image de Notre-Dame « proclamée par les apôtres, prophètes et justes, vraie Mère de Dieu car pure de mur et de corps, elle engendra l’Emmanuel sans être corrompue, car si Dieu n’avait pas trouve cet asile pur et immaculé, nulle chair n’aurait été sauvée, car toute gloire et honneur et sainteté lui sont donnés depuis le premier Adam jusqu’à la fin des siècles par les prophètes, les apôtres, les martyrs, les justes, les bienheureux et ceux qui sont humbles de cœur ». P. 294. Luc en lit la première image. On doit aussi vénérer la croix, sanctifiée par le sang et la sainteté du Verbe de Dieu crucifié sur elle. Le culte ne s’adresse pas seulement à la vraie croix, mais à toutes celles qui sont faites à son image. On vénère aussi le livre de l’Évangile « D.’même qu’en honorant l’icône, je n’honore pas la planche sur laquelle elle est peinte… mais l’image du corps du Christ, de même en honorant l’Évangile, je n’honore pas le papier ou l’encre, mais le récit de la vie du Christ, o P. 298. Il faut aussi vénérer i les saints mystères ». Joseph nous donne la doctrine classique sur l’eucharistie. La parole « transsubstantiation » n’y est pas, mais la chose y est : elle s’opère par la vertu de l’Esprit-Saint. Comme le feu change la cire en lumière, « ainsi l’action du Saint-Esprit se mêlant ( primêsivjascisja) au pain, au vin et â l’eau, les transforme â la chair et au sang du Christ ». P. 302. La transsubstantiation s’opère donc par la vertu de l’Esprit-Saint. Joseph semblerait plutôt indiquer qu’elle s’opère à l’épiclèse, car « avant la sanctification, il y a pain, vin et eau, mais après la sanctification par les prières du prêtre et la venue de l’Esprit-Saint (les dons) sont sanctifiés et changés et transformés dans la chair et le sang du Christ ». P. 302-303. On vénère aussi les vases sacrés, en particulier ceux de la nouvelle loi ; les icônes des saints, surtout celles de saint Jean-Baptiste, puis « elles des vertus célestes, Michel, Gabriel et des autres guerriers, ils sont nos médiateurs, nos gardiens, ils portent nos prières à Dieu, prient pour nous, nous défendent du diable surtout à l’heure de la mort et portent nos âmes eil haut, des prophètes et autres justes de l’Ancien Testament… des apôtres, des saintes femmes fmironosilsy), des martyrs, des pontifes, des femmes martyres et des bienheureuses. À l’occasion de chaque groupe, Joseph fait un court panégyrique… On vénère aussi les reliques, les églises. Puis l’auteur parle du culte rendu au temple de l’Ancien Testament et aux églises du nouveau. Il interprète dans le sens d’édifice matériel le Tu es Petrus et la persécution contre l’Église de Jérusalem. Quelques-uns veulent que nous vénérions les images seulement quand elles sont tournées vers l’Orient. Ceci semble absurde à Joseph : on ne salue pas le tsar seulement quand il est à l’Orient. D’autres voudraient supprimer les églises et citent Jean Chrysoslomc pour qui l’église n’est pas un bâtiment, mais la communauté des fidèles. L’un n’exclut pas l’autre, réplique Joseph. Il ne faut pas seulement bâtir des églises, mais aussi se sanctifier. Ces dernières polémiques montrent des adversaires non judaïsants, mais plutôt rationalistes.

Joseph explique alors comment nous devons nous saluer les uns les autres, comment honorer les souverains (et il rappelle à ce sujet les obligations des princes). Il faut honorer et servir Dieu de façon toute spéciale. Puis il répète sa doctrine sur la Trinité et la ehristologie : « Le Christ est consubstantiel au Père suivant la divinité, consubstantiel à sa mère suivant l’humanité. » P. 330. À propos de l’Esprit-Saint, l’auteur trouve occasion d’attaquer longuement les latins sur le dogme de la procession. Il produit contre eux les arguments qu’on peut déjà appeler classiques : Joa., xv, 26 ; xiv, 14-16, 25-26, et donne l’exégèse de ces textes suivant la tradition des dissidents byzantino-slaves ; il cite à ce sujet d’abondants passages des Pères (avec la critique qui existait en Moscovie au xvie siècle).

De là il passe aux règles pour prier : recueillement, il faut prier non seulement des lèvres, mais des profondeurs de l’âme « comme les arbres qui ont des racines profondes ne sont pas secoués par le vent ». P. 345. Quand on ne peut prier à l’église, il faut le faire chez soi. Puis il termine ce long discours en énumérant ce qu’il faut faire pour plaire à Dieu : « sois juste, sois sage, sois le consolateur des affligés, nourris les pauvres… », etc. P. 362 sq.

8. Sur la parousie : contre les hérétiques qui pré tendent qu’il n’y aura pas de seconde venue du Christ. Le monde doit finir au bout de 7 000 ans, disaient ils. Or les 7 000 ans sont révolus et le monde dure encore ; il n’y aura donc pas de seconde venue du Christ, l.a Russie a toujours été le pays apocalyptique par excellence. On croyait alors que le monde devait finir en 1491-1492, c’est-à-dire en l’an 7 0110 de la création. Les judaïsants s’occupèrent aussi de ce point de doctrine. Joseph eut raison de leur dire que nous ignorions le moment de la seconde venue du Christ. Mais, reprennent les hérétiques, les Pères de l’Église se sont trompés en disant que le monde Unirait après 7 000 ans ; il faut donc brûler leurs ouvrages. Joseph réplique que les Pères (commentant Eccl., XI, 2) ont dit que le monde durerait sept siècles, mais ces textes doivent être interprétés dans un sens mystique. !). Traite du même argument. 10. Discute la doctrine de saint Kphrcin sur la parousie.

11. Sur la vie inonasl iqtic : l’auteur commence par donner les arguments des hérél iques. < Les moines oui abandonné les commandements de Dieu : l’Évangile H la doctrine des apôtres (ceci au moins n’est pas judaïsant), et ils ont inventé el composé eux-mêmes ce genre de vie et ils observent des traditions humaines. » P. 451. Si la vie monastique était louable, le Christ et les apôtres seraient peints revêtus de l’habit monastique, mais on les voit toujours habillés en séculiers. Ce n’est pas un ange (créature de lumière) qui a donné l’habit monastique (noir) à saint Pacôme. Les perturbateurs des derniers jours (I Tim., iv, 1-2) sont les moines. Là-contre Joseph donne plusieurs exemples de vie monastique dans l’Ancien Testament : Melchisédech avant la Loi ; sous la Loi, Élie et Elisée, les trois enfants de la fournaise de Babylone ; Jérémie et Daniel ; puis Jean-Baptiste, fl rapporte ensuite l’enseignement du Christ sur la pauvreté et l’abandon des parents ; plusieurs apôtres furent vierges : Jean, Jacques son frère, Paul, André, Philippe, Thomas. Les autres apôtres laissèrent tout. L’institution de la vie monastique par les apôtres est décrite d’après les apocryphes. Le Christ est peint en laïque parce qu’il n’est pas moine et n’a pas de péchés à pleurer. « L’habit monastique est l’image de la pénitence et des larmes. » P. 484. Le Christ fit d’ailleurs beaucoup de choses que nous ne devons pas imiter : circoncision, sabbat, Pàque juive ; nous en faisons plusieurs que le Christ ne pratiqua pas : symbole de la foi ; renoncement au démon lors du baptême. Les apôtres qui sont la lumière du monde sont bien au-dessus des moines.

12. Quelques citations pour expliquer qu’une excommunication prononcée par un prélat hérétique n’est pas confirmée par le tribunal de Dieu. Ceci est manifestement contre l’archevêque Sérapion de Novgorod qui ne fut certainement pas hérétique.

13. Sur le châtiment des hérétiques. Ceci est dirigé contre les moines d’au delà de la Volga, surtout contre Nil Sorskij qui voulait traiter les hérétiques avec douceur. Quand ils ne font pas de mal on les traite doucement, réplique Joseph ; mais dès qu’ils deviennent dangereux, il faut sévir. 14. Il ne faut pas seulement châtier les hérétiques manifestes ; il faut aussi démasquer les hérétiques occultes. 15. Les hérétiques novgorodiens (ici il faut lire Nil Sorskij et son école) prétendent qu’il faut admettre à la communion les hérétiques pénitents. Joseph se refuse à admettre la sincérité de ces conversions. Puis il refait l’histoire de l’hérésie judaïsante et la continue en citant beaucoup d’horreurs. Ce chapitre montre aussi jusqu’où allait la passion aveugle de l’higoumène de Volokolamsk. 10. Il ne faut pas pardonner aux hérétiques, même quand ils sont condamnés à mort. Il y a grande différence entre eux et les pécheurs sincèrement repentis qui se sauvent en restant fidèles à leur pénitence jusqu’à la mort.

Tel est, très brièvement résumé, le Prosvêlitel de Joseph de Volokolamsk. Récemment encore les historiens russes ne trouvaient pas assez de superlatifs pour chanter ses louanges. Voir par exemple Golubinskij, Histoire, de V Église russe, t. il b, p. 219-220. Il est certain que l’ouvrage joui ! d’une grande vogue en Moscovie au cours du xvi 1’siècle. Cette vogue était-elle méritée’.' Peut-être, et justement parce qu’il n’y avait pas mieux. Toutefois avec la meilleure volonté du monde il est impossible d’établir même une comparaison entre l’higoumène de Volokolamsk et les théologiens qui représentaient alors la science sacrée dans les pays catholiques.

Le métropolite Daniel (1522-153 !)) vint du monastère de Volokolamsk, où il avait été higoumène après la mort du bienheureux Joseph. Nous dirons ailleurs quelques mots sur lui. Pour ce qui touche à l’hérésie des judaïsants, disons seulement que Daniel est l’auteur d’un recueil de seize sermons, encore inédits et fort peu intéressants. Joseph de Volokolamsk eut aussi une controverse très importante avec Nil Sorskij sur les propriétés monastiques, mais bien qu’elle ait été au centre île la vie intellectuelle et religieuse de la Moscovie à cette époque, cette controverse ne touche guère à la théologie.

Pour l’histoire de l’hérésie des judaïsants voir les chroniques russes, en particulier celle dite de Nikon et les documents édités par Pavlov dans ses Monum. de l’anc. droit canon, russe, dans Russ. Ist. Bibl., t. vi (2e éd., Pétersbourg, 1908), p. 114 sq. On se servira avec encore plus de prudence de Joseph de Volokolamsk, Prosvèlitel, Kazan, 1857. L’introduction avuit été publiée par Novikov dans Drevnaja Ross. Vivlioteka, 2e éd., t. xix ; V.-N. Perets, L’illuminateur de Joseph de Volokolamsk dans une traduction ukrainienne du début du XVII’siècle (en russe : Prosvèlitel losifa Sanina…), dans Sbornik po russkomu jazyku, t. I, Leningrad, 1928.

()iu>ra(ies contemporains. — S. -A. Belokurov, S.-O. Dolgov, I.-F. Evseev, M.-I. Sokolov, L’hérésie des judaïsants (en russe : O eresi zidovstvujuslikh), Nouv. matériaux, dans Ctenija, mars 1902, recension dans 2urn. Min. Nar. Pr., oct. 1902. Belokurov a édité l’ouvrage antijudaisant du moine Savva ; Dolgov, les actes du concile de Moscou de 1490 ; Evseev, la traduction judaisante du prophète Daniel ; Sokolov la lettre du juif Théodore ; M.-N. Speranskij, La prière hébraïque de Juda ( XV-XVI’siècle), dans Ctenija, févr. 1908 ; du même. Le psautier des judaïsants dans la traduction du juif Théodore (Psallyr zidoi>slvujuscikh), ibid., 1907, mais il se trompait en pensant qu’il s’agissait du psautier dont Gennade s’était inquiété. La porte d’Aristote ou le mystère des mystères (Aristoleleuy…), dans Pamijatniki drevnej pis’mennosti, Pétersbourg, 1 908.

A.-I. Sobolevskij a consacré d’importants paragraphes à la littérature judaisante dans son ouvrage classique, Les traductions dans la littérature de la Russie moscovite aux XIV-XVII siècles, Pétersbourg, 1903 ; voir en particulier La littérature des judaïsants, p. 396-401 ; du même, Matériaux et remarques sur l’ancienne littérature russe, t. iv, Le psautier des judaïsants, dans lzv. OitL, t. xvil, 1912, n. 3, p. 92-94 (en russe : Psallyr zidovstvujuëéikh).

Sur Joseph de Volokolamsk il faut encore se référer à I. KhruScov, Étude sur les ouvres de Joseph Sanin, le bienheureux higoumène de Volokolamsk, 1866, et a la recension de v 71gt pages qu’en lit O.-Th. Miller, dansZwn. Min. A : or. Pr., févr. 1868, cet ouvrage serait pourtant entièrement à revoir ; N.-P. Popov, Le récit de Joseph sur l’hérésie des judaïsants d’après les manuscrits des grandes Menées (en russe : losijovo skazanie…), dans lzv. Otd., t. xviii, Janv. 1913, p. 173-197 ; F.-N. Popov, La vie Savvino de Joseph de Voloyda dans un remaniement du XVIe siècle, (Savvino iitir…), dans Bibliografiieskaja lêtopis, t. i, 1914 ; S. Ivanov, À jiropos de l’histoire littéraire du l’rosvêtitel » du bienheureux Joseph de Volokolamsk ( K literaturnoij. ..).

Sur le métropolite Daniel, nous avons les éludes de V. Zmakin, L’attitude tlu métropolite Daniel, vis-à-vis des hérétiques (en russe : Vzgljad milropolita…), dans 2urn. Min. Sur. Pr., mai 1879 ; du même, Le métropolite Daniel et ses œuvres, dans Ctenija, 1881, 1 ; voir surtout les indications sur les discours vi et vu du métropolite, fournies par Zmakin, dans Ctenija. 1881, 2, p. 342-361.

Voiraussi P. Bedrzitskij, L’activité littéraire des judaïsants, dans iurn. Min. Nar. Pr., mars 1912, p. 106 sq., l’auteur est bien documenté sur la bibliographie du sujet, mais ses hypothèses reçurent un accueil si mauvais qu’un second article, quoique promis, ne vit pas le jour ; V.-G. Druzinin, L’épître du juif Théodore sur te baptême et la foi orthodoxe (Postlanie Feodora…), dans Lêtopis zanjatij arkheogr. Kommissii, t. xxi, 1909. Le rapport de D.-E. Ilovaiskij, L’hérésie des pseudo-judaisants, lu au congrès archéologique d’Odessa, 1884, et publié ultérieurement dans son Histoire de Russie, t. ii, Moscou, 1884, p. 5(18-522 et 580-582, eut pour conséquence une vive polémique avec A. -S. Pavlov, Th. Il’inskij, Le métropolite Zosime et le diak Théodore usilevié Kuritsyn (Milropolit Zozima…), dans Bog. Vest., oct. 1905 ; Il’inskij lava le métropolite Zosime de l’accusation d’hérésie, mais la suite de son article ne vil pas le jour ; du mèm, Les libres penseurs russes du XV siècle, ibid., 1905, 2, p. 436 sq. ; du même. Le diacre Théodore Kuritsy, dans Russkij Arkhiv, 1895 ; N. Kostonarov, Gennade, archevêque de Novgorod, dans Russk. istor. v ïizneopisanijakh, t. i, c. xiv ; V.-N. Peretz, Nouveaux travaux sur l’hérésie

judaisante et sa littérature, dans Izvestija de l’université de Kiev, oct. 1908 (Novye trudy…), p. 1, 40 ; Th.-M.-I., La pseudo-hérésie du métropolite moscovite Zosime (O mnimom ereticrstve…), dans Russkij Arkhiv., 1900, 1, j’aime à croire que Th.-M.-I. n’est autre que Th. Il’inskij.

X. Maxime le Grec.

Le célèbre théologien grec, formé en Occident et appelé fortuitement en Russie, est l’intellectuel le mieux doué que Moscou ait connu durant la première moitié du xvie siècle.

Il polémiqua contre tous les adversaires de l’orthodoxie : juifs, musulmans, païens, arméniens, latins et peut-être encore luthériens. Il lutta contre les superstitions locales et contre les prétentions anticanoniques de l’Église de Moscou ; il s’efforça de relever le niveau moral et religieux auquel la conquête tartare et la domination des premiers princes moscovites avaient réduit la Russie, il finit par être anathématisé dans deux conciles, jeté dans un cachot monastique comme hérétique, libéré enfin, et puis, au cours des temps, vénéré en plusieurs endroits de Russie comme un bienheureux sans être pourtant formellement canonisé. La place de Maxime le Grec dans la littérature de Russie est fort importante ; mais elle a été suffisamment indiquée a l’article Maxime l’Haghiorite, t. x, col. 4C0-463.

XI. ַ֣Les conciles d’Ivan le Terrible ; Littérature religieuse.

Le métropolite Macaire : les conciles de 1547 et 1549.

Le couronnement d’Ivan le Terrible (16 janvier 1547), nous l’avons dit plus haut (col. 249), donna un nouvel essor à la croyance populaire que Moscou était devenue l’héritière de Rome et de Byzance. La « troisième Rome » fut admirablement servie par le métropolite Macaire (15421563), dont le long pontificat, durant la première moitié du règne d’Ivan le Terrible, a été très loué par la plupart des historiens de l’Église russe, en particulier par Golubinskij.

Alors qu’il était archevêque de Novgorod, Macaire avait eu l’idée géniale de réunir en une gigantesque compilation tous les ouvrages religieux qui avaient été jusqu’alors écrits en Russie. C’était doter son pays d’une véritable littérature. Il y travailla douze ans. Le résultat de cette œuvre immense est connu sous le nom des Grandes Menées de Macaire. Dans ces douze énormes in-folio (un pour chaque mois de l’année), on trouve un peu de tout : vies de saints grecs, russes, et autres ; les courtes vies sont tirées des Prologues, les vies plus longues sont prises d’ailleurs (Métaphraste a été mis à contribution pour les vies grecques) ; (lies sont classées suivant le calendrier liturgique. On trouve à côté des Vies des saints, les écrits des mêmes saints : des homélies et parfois même des ouvrages plus étendus. On devine qu’il y a là des richesses encore inexplorées pour les anciennes traductions slaves des oeuvres des Pères ; à la fin de chaque mois, Macaire fit ajouter les œuvres religieuses d’autres ecclésiastiques non canonisés.

La Commission archéographique de l’académie des sciences de Pétersbourg (Pétersbourg, 1868-1915), a publié intégralement les Menées pour les mois de septembre, octobre, novembre (1-25), décembre, janvier (1-1 1) et avril ; une excellente description de ce recueil a été publiée par A.-V. Gorskij et K.-I. Nevostruev (avec prélace et suppléments de K.-V. Barsovl, dans Ctenija, 1881, 1, et 1886, 1, sous ie titre de Description des Grandes Menées de Macaire, métropolite de toute la Ittissie. L’archimandrite losif, Description détaillée des Grandes Menées de Macaire, conservées dans la bibliothèque patriarcale de Moscou (aujourd’hui bibliothèque synodale), Moscou, 1892 (en russe : Podrobnoe oylavienie…). À propos des Menées (O C.eliikh Mincjakh), dans Pamjatniki drevnej pis’mennosti, t. LU, 1879, p. 39-95. Sur le métropolite Macaire voir en plus des histoires générales, les monographies suivantes : K. Zaustsinskij, Macaire, métropolite de toute la Russie (Makarii milropolit…), dans iurn. Min. Nar. Pr., nov.-déc. 1881 ; G. KuntseviC, Récit sur les derniers jours de lu vie du métropolite Macaire ( i", sept.-31 ilrc 1563) (en russe : Skazanie o poslednikh…), diins /ru. OUI., I. i.iv, 1909, 1 ; X. Lebedev, Macaire, métropolite de toute la Russie, Moscou, 188t (ce travail a paru d’abord dans les Ctenija obSfestva liubitelej dukhovnago prosveScen ija, 1 88( l- 1 88 1 >.

Au jeune empire il fallait un chœur de saints nationaux. C’est ce qui décida le souverain à procéder à une canonisation en niasse des saints de Russie. C’était là d’ailleurs une idée chère au métropolite Macaire. Jusqu’alors il n’y avait que peu de saints russes célébrés dans tout le territoire soumis au prince moscovite. Jusqu’au métropolite Macaire, il n’y en avait que sept : quinze autres curent leur culte étendu à toute la Russie par ce métropolite avant le concile de 1547 : beaucoup avaient reçu un culte local. La pratique avait varié suivant les cas : quelques saints avaient obtenu un culte autorisé par suite d’une intervent ion de l’autorité suprême dans l’Église, soit de Russie (les saints Boris et Gleb), soit de Constantinople même (saint Pierre de Moscou). Plus souvent on ignore tout de l’origine du culte qui semble avoir été surtout d’inspiration populaire et approuvé par l’autorité ecclésiastique locale. Un certain nombre de ces saints anciens sont légendaires, on se demande pourquoi certains autres ont reçu les suprêmes honneurs. D’autres enfin, on l’a vu lors de la dispute entre Vassian et Joseph de Volokolamsk, étaient acceptés par les uns et rejetés par les autres.

Quoi qu’il en soit, au début du règne d’Ivan le Terrible, surtout après les grands efforts littéraires de Macaire à Novgorod, il y avait en Russie nombre de personnages dont les vies avaient été écrites, qui recevaient un culte local et jouissaient d’une réputation de thaumaturge. Macaire décida d’étendre leur culte à toute la Russie. Cinq des nouveaux saints de Macaire, d’ailleurs, n’avaient pas encore eu de culte auparavant.

La plupart des auteurs russes parlent donc d’une canonisation en masse (de fait, dans les deux synodes de 1547 et 1549 on canonisa trente-neuf personnages). Le P. Peeters, dans son étude sur les saints dans l’Église russe, a trouvé l’expression de canonisation abusive. Il suflit de s’entendre. Manifestement les synodes de 1547 et de 1549 n’ont pas « canonisé » les saints russes comme on le fait en Occident, surtout depuis les réformes qui ont introduit la pratique actuelle. Le P. Peeters écrit : « Macaire a, par ordre du tsar, élevé au rang de culte liturgique le culte populaire dont jouissaient déjà plusieurs saints personnages. Mais s’il l’a rendu obligatoire, il n’en a modifié en rien le fondement traditionnel. Les saints qu’il a canonisés ne se distinguent pas de ceux qui sont montés sur les autels par simple prescription. Comme ces derniers, ils sont invoqués par l’effet d’une persuasion qui existe dans l’âme (lu peuple fidèle et non en vertu d’une décision péremptoire et indéformable qui serait devenue proprement le titre juridique de leur culte. » Analecta bolland., t. xxxiii, p. 398-399. Il suflit de noter que Macaire et son concile rendirent « liturgique » et « obligatoire » un culte qui auparavant n’était que « populaire ».

Il y eut deux conciles. Le premier, célébré le 2 février 1547, est connu surtout par l’acte officiel qui en fut envoyé à l’archevêque de Novgorod qui, comme toujours, semble n’avoir pas élé invité au concile. On y lit vingt-trois noms : vingt et un saints devront être célébrés avec office chaulé dans toute la Russie ; deux seulement. Procopcet Jean d’Ustiug ne seront célébrés qu’à l’stiug.

En 1549 un second concile fut réuni : » Les canons des nouveaux thaumaturges, leurs légendes, leurs miracles furent exposés devant l’assemblée, on produisit des témoignages de tous les saints conciles et il fut ordonné aux Églises de Dieu de chanter les offices liturgiques en l’honneur de ces saints. » C’est la la seule indication historique que nous ayons sur ce second concile. Une Vie de « saint » Jonas, le hiérarque moscovite rebelle aux décisions de Florence, contient les noms de ceux qui furent canonisés dans les conciles de Macaire. Lu soustrayant les noms de ceux qui lurent canonisés en 1547, ou obtiendrait la liste de ceux qui le furent en 1519. Le procédé ne nous autorise pas à des conclusions certaines sur les noms de ceux qui furent canonisés au second concile. Il y a des variantes notables dans les différentes listes qui nous sont parvenues des saints canonisés en 1547.

Il ne faut pas attacher d’importance juridique a ces conciles. L’un et l’autre restèrent pratiquement sans effet. On continua à éciire les livres liturgiques comme auparavant, sans trop tenir compte des nouvelles recommandations, tant et si bien que plusieurs saints, même des « grands thaumaturges », alors canonisés, ne se retrouvent pas dans les livres liturgiques du xvii c siècle. D’autres s’y introduisirent. Golubinskij va jusqu’à admettre que l’insertion des « saints » dans les livres liturgiques ou leur omission tout au cours du xviie siècle dépendait purement et simplement des… typographes. Le culte des saints in génère fait partie du dépôt doctrinal de l’Église russe. Mais il est manifeste que l’Église orthodoxe, durant de longs siècles, n’a pas considéré comme une chose touchant au dogme l’acceptation de tel ou tel saint in individuo dans ses listes de personnages canonisés et proposés au culte des fidèles.

Une copie authentique du décret du synode de 1517 a été découverte par <.-L. Kuntsevic, Liste authentique îles nouveaux thaumaturges (envoyée à) Théodose, archevêque de Novgorod et Pskov (Podlinnyj spisok…), dans Izv. Otd., t. XV, 1910, 1, p. 252-257. Une autre liste se trouve dans la lettre du métropolite.Macaire au clergé de Vologda et Belozero, Actes de la commission archéo graphique, t. i, n. 213, p. 203-20 1 ; cette liste a été traduite en français par le I’. Peeters (infra). La oie de saint Jonas se trouve en appendice dans V. Kliucevskij, Les anciennes’ics des saints russes considérées comme source historique (l)rcvnerusskija iilija…), Moscou, 1871. On trouvera d’autres indications dans la’ie d’Alexandre Xcvskij des Menées de Macaire (23 nov.), Moscou, 1916, col. 3225, et dans la Narration sur l’institution du pairiarcat moscovite écrite en 1629. Voir Supplément aux actes historiques (Dopolnenija k Aid. istor.), ii, p. 189. Pour les éditions du Sloglav, voir infra, col. litin.

V. Vasil’ev, Les conciles de 1547 et 1549 ( Soborg 1~>47 i 1549), dans Khr. C’.len., janv. 1889 ; du mé e. Histoire de lu canonisation îles saints russes ( Istorija Kanonizatsii…), dans ( l : ni !., IN !.-, ouvrsge trop diffus 1 1. (r ::lubinski.j, peu satisfait de ce travail, écrivit son Histoire de la canonisation des saints dans PÉglise russe ( Istorija Kanonizatsii…), dans /vie/, l’esL, juin-sept. 1894 ; une seconde édition entièrement refondue parut dans Ctenija, 1903, 1 ; c’est l’ouvrage capital sur la question ; voir les critiques de Suvorov dans iurn. Min. Sur. l’r., 1903, 7, p. 263-308, et du 1’. Peeters, dans Analecta bollandiana, t. xxxiii, 1914, p. 380-420, et noie complémentaire, ibid., I. xxxviii, 1920, p. 176.

Le concile des Cent chapitres (Sloglav) (1551).

C’est, de tous les conciles de l’ancienne Russie, le plus célèbre et le plus important, quoique, fait curieux, les chroniques contemporaines l’aient totalement passé sous silence. On en connaît les « actes » (si l’on peut appeler de ce nom les chapitres assez informes qui nous ont élé transmis) ; quelques documents contemporains font allusion à une législation conciliaire de date récente ; on a aussi les Sakaziuje spiski, trois mandements qui contiennent de larges extraits du Sloglav, parfois en reproduisant littéralement le texte de ces actes, parfois eu lui empruntant des idées exprimées sous une autre forme. Enfin, une lettre du métropolite Macaire au monastère de Simonov invite les moines à transcrire les chapitres xi.ix-i.n (dans le recueil actuel, ce sont les chapitres ayant trait à la réforme monastique), lxvii-lxviii (sur le jugement ecclésiastique) et la xxxie question du tsar (probablement de la seconde série, où il est question des services religieux à célébrer dans les monastères), les chapitres lxxv et lxxvi (domaines monastiques et obligations de célébrer les offices pour les morts, condamnation de l’usure). On voit que ces chapitres sembleraient répondre à la division que nous avons aujourdhui. La lettre de Macaire est de juillet 1551.

On a reconnu aux actes du concile une telle importance qu’un des savants russes qui s’en est occupé le plus sérieusement, Dimitri Stefanovic, en trouva soixante et un manuscrits complets et sept fragments, nombre qu’il faudrait au moins doubler, pour ce qui est des manuscrits complets.

L’objet du Sloglav était de réformer l’Église de Russie, dépeinte dans les actes du concile sous des traits effrayants. Les décrets sont donc surtout disciplinaires. Il est malaisé de discerner l’apport des divers membres du synode, car. en dehors de trois ou peut-être de quatre prélats, les membres du concile ne se distinguaient ni par leur science, ni par leur intelligence.

Voici un court résumé du livre tel qu’il existe aujourd’hui, et tel qu’il semble avoir commencé à exister dès 1551.

Les premiers chapitres servent d’introduction : occasion du synode, membres qui y prirent part, court résumé ; une introduction plus ou moins poétique due probablement à la plume de quelque diak, un petit discours d’Ivan IV ; deux écrits du même, où le tsar fait l’historique des années précédentes et encourage les évêques au zèle.

Avec le e. v nous entrons en matière avec une liste de trente-sept questions posées par le tsar au synode. Il est cependant intéressant de noter quelques variantes : la plupart des questions sont vraiment adressées par le tsar aux évêques ; ainsi la première : Macaire, mon père, métropolite de toute la Russie, et vous archevêques et évêques, jetez les yeux… » ; les trois suivantes sont impersonnelles, mais la Ve, où il est question des incorrections dans la transcription des livres liturgiques, contient ces paroles : « Qu’est-ce que Dieu réserve, d’après les saints canons, à cette négligence et à notre grande incurie ? » On dirait que c’est le tsar qui se frappe la poitrine ? La question suivante est claire : « Les élèves apprennent négligemment à lire et a écrire, mais l’Écriture sainte contient des avertissements contre cela et nous, pasteurs, devrons répondre entièrement de cette négligence. »

Au c. vi nous avons une introduction entièrement nouvelle et le décret sur l’institution de doyens ecclésiastiques (popovskie slarosly) ; suivent une série de décrets d’ordre principalement liturgique (c. vii-xxv : puis c. xxvi-xxx), des instructions aux protopopes auxquels on confie plusieurs charges auparavant réservées aux doyens, enfin, c. xxxi-xi.. des prescriptions diverses. Plusieurs de ces chapitres répondent a quelques-unes des questions posées par le souverain au c. v.

Le c. xli contient une série de trente-deux nouvelles questions du tsar ; celles-ci sont d’ordre surtout liturgique ou encore ont trait à des superstitions. Les réponses ici suivent immédiatement les demandes. Le concile publie ensuite des instructions, des exhortatiers du tsar, des demandes d’ukazes, des décrets conciliaires ; il s’agit surtout de la répression de la simonie, c. xliv-xlviii, de la réforme des monastères, c. xlix-lii, du tribunal ecclésiastique, c. liii-lxv, du soin des pauvres, c. i.xxi-i.xxiii, des biens monastiques, c. lxxv-lxxvi, et des prêtres veufs, c. i.xxviilxxxi. Suivent d’autres décrets sur divers sujets. Reaucoup de ces décrets donnent réponse aux doutes soulevés dans la première série de questions proposées par le tsar.

Le c. xcix raconte comment les décrets du concile furent portés à l’ex-métropolite Joasaph lequel se trouvait au monastère de Sergiev Troitsa ; et le c. c contient les corrections suggérées par ce même Joasaph ; le c. ci est une addition d’importance capitale qui traite des biens d’Église.

On remarque le plus grand désordre, tant dans la distribution des chapitres, qui est arbitraire, que dans la rédaction elle-même. Parfois c’est tout le concile qui parle et tout à coup, sans transition, les paroles sont mises dans la bouche du souverain. On recommande ici au clergé, là au tsar, de prendre les sanctions nécessaires ; parfois les « doyens » et parfois les « protopopes » sont chargés de l’exécution des décrets. Les répétitions abondent et les contradictions ne manquent pas.

Le Sloglav ne contient aucune déclaration de portée dogmatique. Les historiens russes diront que sa décision sur le triple alléluia et sur la manière de faire le signe de la croix ont un intérêt doctrinal, car c’est sur ces deux points et en s’appuyant sur l’autorité du Sloglav, qu’un siècle plus tard les starovières se sépareront de l’Église nationale.

Les canonistes se disputent pour savoir quelle est la portée de ce synode. L’opinion la plus courante défend l’authenticité du livre tel que nous le possédons aujourd’hui. À titre d’exemple, voici Golubinskij : « Aujourd’hui, on ne peut en douter ni même discuter la chose, le concile n’a pas seulement écrit ses décisions, mais les a confirmées et les a publiées en code législatif et c’est précisément cette collection et ce code que nous avons dans le livre appelé le Sloglav. » Hist. de l’Église russe, t. n ii, p. 783-784. Les nakaznye spiski, et la lettre du métropolite Macaire au monastère de Simonov sont des arguments très forts en faveur de cette théorie. Il reste pourtant à déterminer quelles sont les parties qui proviennent du concile et quelles sont celles qui proviennent de sources diverses ; on pourrait apprécier avec plus de précision l’apport du souverain ; il faudrait expliquer convenablement les doublets et, l’argument est classique, donner une raison suffisante de l’immense désordre des « actes » tels que nous les possédons aujourd’hui.

Golubinskij compare le Sloglav au concile de Trente ; c’est comparer une session de semi-lettrés réunis sous la houlette d’Ivan le Terrible à la lignée des brillants théologiens qui se succédèrent à Treille durant une longue période d’années ; c’est comparer une compilation enfantine à un recueil théologique l’ait avec un beau plan et une clarté incomparable. Golubinskij admire aussi comment l’Église russe se mit « volontairement » à sa réforme tandis qu’en Occident tout se taisait par la volonté de l’autorité. Loc. cit., p. 780. Le Sloglav ne semble avoir exercé aucun effet réformateur.

La première édition du Stoglav a été faite à. Londres en 1860 el lut très critiquée ; Kozaneikov en lit une autre en 1863 ; voir Remarques xur l’édition du Stoglav, laites par M. Kozaneikov, dans Prtw. Sob., 1863, n. 2 (y.aiiièëanija…). L’édition la plus répandue en Russie est celle de Kazan, 1802 (2e éd., 1887), souvent réimprimée. N. Subbatin en fit une autre, Moscou, 1860. E. Duchesne publia une traduction française : Le -Sloglav ou les Cent chapitres, Paris, 192(1 ; mais on note chez cet auteur un manque de familiarité avec la théologie et la liturgie pravoslaves. Il n’y a pas encore de bonne édition critique du Stoglav.

Pour les Nakaznye spiski (mandements, cf. col. 2<>1), voir Iv.-D. Befjær, J.e Stoglav et les mandements île la législation conciliaire de îria 1 (en russe : Stoglao i nakaznye…), dans Prav. Sob., t. xi, Moscou, 1863 ; Les mandements du métropolite Maraire sur le Stoglao (Nakaznaja gramala…), dans Prao. Sob., 1863 ; A. Pavlov, Un nouveau mandement du Stoglao, dans Zapiski de l’université de Novorossojsk, t. ix, 1871°.

V. Bockarev, Le Stoglav et l’histoire <ln concile de 1661 (Stoglao…), Jukhnov, 1(106 ; II. Heljacv, Sur le Stoglao contre les schismatiques ((> sloglaoi), dans Ctenija obSCestva liubltelej dukhovn. prosoescenija, nov., déc, 1875 ; le prêtre I.-M. Dohrol vorskij a publié une série d’importants articles sur le Stoglav dans Prav. Sob., 1862-1863 ; N.-N. Durnovo, l’ne des sources du Stoglao (Odin i-…), dans iurn. Min, Nar. Pr., fév. 1904 ; M. -A. Djakonov, Remarques complémentaires sur les réformes moscovites du milieu du XVIe siècle, ibid., avril 1894 ; I.-N. Zdanov, Matériaux pour l’histoire du Stoglao ( Matcriuly), ibid., juill.-aoûl 187(i ; du même, .Le a Zcmskij-sobor’ecclésiastique de 1661, dans lst. Vést., fév. 1880 (TSerkovno-zemskij sobor…) ; Zdanov défend la thèse que le Stoglao fut un zemskij sobor, c’est-à-dire ce qui correspondait aux États généraux de l’ancien régime en France ; sa thèse a rencontré peu de laveur ; X. Kononov, Examen de quelques questions se rapportant au Stoglao (Razbor…), dans Bog. Vist., 1904, n. 1 ; L. I., Un nouveau manuscrit du Stoglao, 1596 (Noooe otkrytngj. ..), ibid., 1899, n. 3 ; A. l’okrovskij, Pierre le Grand et le Stoglao ( Pclr Vclikij), dans Ctenija, 1910, n. 3 ; I). Stefanovic, Le Sloglao, son origine, ses rédactions, son contenu (O StogUwè), Pétersbourg, 1909, p. 11-320, c’est I ouvrage principal sur le Stoglav, présenté comme thèse à l’acad. ecclés. orthodoxe de Pétersbourg ; voir les jugements des professeurs dans Khr. Cten., nov. et déc. 1910, p. 311-320 ; 321-321 ; A. Spakov, Le Stoglav ; son origine officielle ou non officielle (Sloglao. K ooprosu…), dans Milanges Vladimirskij Budanov, Kiev, 1901, p. 299-330.

Les conciles de 1553-1554.

Nous omettons l’affaire assez ténébreuse du diplomate Jean Viskovatyj, accusé par le métropolite Macaire d’hérésie « galate », pour avoir protesté contre certaines icônes peintes à Moscou après le grand inc. ndie de juin 1547. Viskovatyj fut absous de l’accusation d’hérésie, mais condamné à faire pénitence pendant trois ans pour ses imprudences de langage. Une intrigue de palais dirigée par Viskovatyj contre le fameux protopope Silvestre pour des motifs probablement plus politiques que religieux semble mêlée à cette discussion Ihéologique.

Les conciles île MOSCOU contre les hérétiques du XVIe siècle (Moskooskie sobory…), dans Ctenija, 1817, n. 3 ; O. Bodjanskij, Enquête ou liste des blasphèmes ou îles doutes concernant les saintes icônes émis par le diak Ivan Mikhailooic Viskovatyj en 7062, ibid., 1858, 2 ; plusieurs documents ayant trait à Viskovatyj avaient déjà été publiés dans Akly Arkheograf. Kommissii, t. i, 1836, p. 241-219 ; N.-E. Andreev, L’affaire du diak Viskovatyj (O dêlè…), dans Seminarium Kondakovianum, I. v, 1932, p. 191 sq.

Nous sommes sur un terrain plus théologique avec Matthieu BaSkin. Durant le carême de 1553, ce personnage, qui semble avoir été une bonne àmc, religieuse et un peu inquiète, se présenta au prêtre Siinéon de l’Annonciation et lui demanda de bien vouloir entendre sa confession : « .le suis chrétien, dit-il, je crois en Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit », etc. Puis, tant en cette occasion qu’en diverses rencontres qui furent arrangées dans la suite, il lit part à son confesseur des doutes qui le tourmentaient quand il comparait les préceptes de la charité évangéliqtle avec les

pratiques qui existaient alors en Russie. Le servage surtout le scandalisait et il était offusqué de constater que le clergé qui aurait dû donner l’exemple, suivant !. précepte du Sauveur, était loin de le l’aire. Il raconta enfin à son confesseur comment lui. Mat 1 hieu, avait libéré tous ses serfs, afin d’obéir au précepte évangclique. Siméon, probablement, dut reconnaître dans ces affirmations de son pénitent quelques traces de la terrible hérésie anti-joséphienne ; BaSkin, d’ailleurs, avait fréquenté les moines d’au delà de la Volga. Il S’Inquiéta et, au lieu de conseiller sou pénitent comme c’était son devoir de le faire, il s’empressa d’aller raconter l’incident au protopope Sylvestre qui jouissait alors d’un crédit illimité auprès d’Ivan le Terrible dont il était le confesseur. Sylvestre et Siméon firent une dénonciation en règle au tsar. L’autre favori, AdaSev et le protopope André assistèrent à cette démarche. Ivan qui revenait du pèlerinage de Bclozero et devait repartir incessamment pour Kolomna confia BaSkin a deux moines joséphiens, Gérasime Leonkov et Philothée Polev et les pria d’enquêter sérieusement sur leur prisonnier.

Le malheureux BaSkin, au début, proclama énergiquemenl son innocence, tuais il tomba bientôt dans une maladie inexplicable et commença à déraisonner. Il entendait la voix de la Vierge qui lui commandait de révéler les noms de ses complices et dès lors il ne déraisonna plus : il déclara avoir reçu son hérésie « des La1 ins, de l’apothicaire lithuanien Matthieu et d’André Choteev ». Puis il était allé soumettre ses doutes aux moines « d’au delà de la Volga », qui, au lieu de le remettre dans le droit chemin, l’avaient encouragé dans son hérésie. II accusa encore deux autres complices, en particulier : Grégoire et Ivan Borisov. Le concile se réunit alors contre lui, en décembre 1553, et découvril que le malheureux était plongé dans les hérésies les plus néfastes. Il aurait déclaré que Notre-Seigneur Jésus-Christ (en tant que Dieu, évidemment !) « n’élait pas égal à son Père », il aurait nié la présence réelle dans le sacrement de l’eucharistie en affirmant qu’il n’y avait là que du pain et du viii, nié l’utilité d’églises eu affirmant que l’Église est seulement la multitude des fidèles et que les constructions visibles ne méritent pas ce nom ; il aurait appelé idoles les icônes de Noire-Seigneur, de Notre-Dame et des saints ; il aurait nié le sacrement de pénitence en disant que, dès que l’on cesse de pécher, le péché est enlevé sans qu’on passe chez le prêtre ; il aurait rejeté la tradition et les saints conciles en disant que tout cela avait été écrit pour autoriser le tsar et les évêques à s’emparer de tout et dominer sur tout ; il aurait en lin rejeté les commentaires de l’Écriture faits par les Pères pour en proposer de nouveaux.

Telle fut l’accusation. BaSkin fut trouvé coupable, condamné et emmené au monastère de Volokolamsk. Il nous semble difficile d’admettre que le pauvre malheureux ait été véritablement coupable de ces hérésies. BaSkin, nous dira plus tard l’higoumène Artème, agissait en enfant et ne savait guère ce qu’il faisait. Sa démarche auprès de Siméon durant le carême de 1553 ne laisse pas soupçonner ces graves accusations. On remarque aussi que les hérésies dont il fut accusé sont en grande part ie les mêmes que celles qui avaient été réfutées un demi-siècle auparavant par Joseph de Volokolamsk, dont le livre fut porté au concile de 1553 et honoré par le tsar et par tous les évêques à la seule exception de l’évêque Cassien ; on a aussi l’impression que, dans ce concile, ce n’était pas tellement BaSkin qui préoccupait les inquisiteurs ; ils étaient bien plus préoccupés de trouver et châtier ses complices. Kurbskij nous indique où ceux-ci furent trouvés : dans les monastères d’au delà de la Volga. Ces modestes skites (ermitages) étaient d’ailleurs pour les moines de tendance joséphienne l’origine de toutes les calamités qui fondaient sur la Bussie.

Parmi ces moines de l’école de Nil Sorskij, le plus célèbre alors était l’ancien higouniènc de la Troitsa, le moine Artème, qui avait été chassé de son monastère peu de temps auparavant après un supériorat de six mois et avait repris sa vie de solitaire dans le Zavoliie (pays d’au delà de la Volga).

Artème devait alors avoir un peu plus de cinquante ans. Ne dans le pays de Pskov, il avait embrassé la vie monastique dans le Zavoliie, au monastère de SaintCorneille de la Komel, puis il était allé au skite de Porphyre et de là, nomade comme tant de moines de son pays et de son époque, il était revenu à Pskov, où, semble-t-il, il jouissait d’une certaine réputation de lettré. Une fois, il poussa jusqu’à la ville livonienne de Neuhausen pour y disputer avec quelque « romain », mais bientôt il revint à la solitude de sa préférence, au skite de Porphyre dans le Zavolzie, où il se lia d’amitié avec plusieurs moines, dont le célèbre Théodoret, l’apôtre des Loparej et devint un des plus fervents adeptes des doctrines de Nil Sorskij. Il semble avoir été en correspondance avec Ivan le Terrible à l’occasion du Sloglav et dès lors on le voit adversaire manifeste des propriétés monastiques. Il le faisait par motif religieux et il se défendit d’avoir jamais encouragé le tsar à procéder à des mesures arbitraires. Puis Ivan le fit venir à Moscou et peu après le fit nommer higoumène au monastère de la Troitsa.

Le riche monastère, fondé jadis par Serge de Radonège dans le dénuement le plus absolu, était alors le plus opulent des monastères de Russie. On comprend que le pauvre solitaire, placé soudainement dans cette administration exceptionnellement compliquée, ayant affaire à des moines qui se trouvaient parfaitement satisfaits de cet état de choses et n’entretenaient visà-vis des solitaires du Zavolzie qu’inquiétude et aversion, se soit vite rendu la situation intenable. Au bout de six mois, il s’en retourna dans son cher ermitage de Porphyre. Il avait laissé un mauvais souvenir à la Troitsa et, plus tard, on trouvera plusieurs de ses anciens sujets parmi ses accusateurs les plus acharnés.

On fit venir à Moscou Artème, pour y discuter avec BaSkin ; celui-ci semble avoir accusé l’ancien higoumène de la Troitsa. Artème flaira un piège et repartit pour son ermitage. Ce fut là sa faute la plus grave. On comprend pourtant son hésitation à paraître devant un synode où la majorité était composée de ces joséphiens qui avaient déjà découvert et châtié tant d’hérétiques et qui, surtout, s’étaient toujours montrés si intolérants vis-à-vis des moines de l’autre école. En tous cas, on fit chercher Artème, on l’arrêta, on l’amena à Moscou et on le traduisit devant le concile en janvier 1554. Ses accusateurs furent Nectaire, higoumène de Thérapontov, .lonas, ancien higoumène de la Troitsa, Adrien, cellérier delaTroitsa, Ignace, moine de la Troitsa, Siméon, higoumène de Saint-Cyrille de Belozero, Nicodème du même monastère et enfin le métropolite Macaire lui-même.

On lui reprocha son voyage en Livonie qui devint alors une louange de la foi latine. On l’accusa d’avoir violé le jeûne du carême et même, une fois qu’il dînait chez le tsar, il aurait mangé du poisson pendant le carême. On lui fit des reproches encore plus graves sur sa doctrine : il aurait dit à Nectaire que Joseph de Yolokolamsk avait mal commenté la vision d’Abraham (quand la Trinité lui apparut sous la forme de trois anges) ; il aurait dit au moine Jonas, ancien higoumène de Sergiev Troitsa, que le signe de la croix est inutile (encore faudrait-il voir quelle était la pensée d’Artème : ne voulait-il pas simplement condamner une multiplication de rites extérieurs non conjoints à l’esprit de mortification et de vie intérieure ? ) ; à un autre il aurait déclaré qu’il était inutile de faire chanter des services funèbres pour ceux qui étaient morts dans leurs péchés (on reconnaît ici la ressemblance avec la doctrine de Maxime le Grec sur le purgatoire). Artème aurait marqué l’incompatibilité entre chanter des canons « au très doux Jésus » et violer ses commandements ; ainsi de même, disait-il, on chante des acathistes en l’honneur de la pureté de la Vierge et l’on ne réforme pas sa vie. Il fut accusé encore d’avoir douté de la justice des condamnations prononcées contre les hérétiques novgorodiens. Artème nia toutes ces accusations, sauf celle d’avoir mangé du poisson pendant le carême et s’excusa en disant qu’il dînait alors avec le tsar. On fit venir un groupe de moines d’outre-Volga qui justifièrent Artème. II fut pourtant condamné et envoyé au monastère de Solovki. Théodose Kosoj subit la même sentence. Le bienheureux Théodoret fut envoyé à Saint -Cyrille de Belozero ; Savva Sakh, qui était connu comme « habile écrivain », fut dirigé sur un monastère de Rostov ; l’évêque Cassien qui avait cherché à défendre les accusés dut renoncer à son évèché et s’en aller ; d’autres enfin furent dispersés dans divers monastères. On le voit, la répression avait été rude.

Il n’est pas aisé de déterminer au juste quelle fut l’hérésie d’Artème. Il nous semble pourtant qu’il fut condamné par un de ces excès de zèle que l’on rencontre trop souvent, hélas, dans l’histoire des joséphiens.

Artème et son compagnon Théodose Kosoj s’enfuirent de Solovki et vinrent en Lithuanie. Artème y devint un des principaux champions de l’orthodoxie et s’engagea dans de brillantes controverses avec les protestants. Théodose Kosoj tourna mal. Il renia ses vœux, prit femme et abandonna sa religion. Artème lui écrivit une lettre touchante pour le ramener dans le droit chemin.

Les documents de l’affaire BaSkin, Artème, etc., ont été publiés par Stroiev dans Akty arkheograf. expeditsii, t. i, n. 238, 239. La lettre d’Ivan IV a Maxime le Grec sur Baskin se trouve dans Akty istoriCeskie, t. i, n. 101 ; voir encore O. Bodianskij, Les conciles de Museau contre les hérétiques tin XVIe siècle (Moskovskie sobory…), dans Ctenija, t. iii, 1843, n. 3 ; ajouter encore [’Annaliste russe ( Lêlopisets russkij), 1895, n. 3, p. 7, et l’Hist. ilu royaume de Moscovie écrite par A. Kurbskij, dans Russ. Ist. Bibl., t. xxxi, 1914. Les lettres de I’higoumène Artème ont clé publiées ibid., t. iv, col. 13f>9 sq.

S.-G. Vilinskij, Les lettres ilu moine Artème (Poslanija…), Odessa, 1906 ; I. Emel’janov, L’hérésie de BaSkin et de Théodose Kosoj, dans Trudꝟ. 18f>2 (divers titres » ; P.-M. Zaknov, Le starets Artème, écrivain du XVIe siècle (Starets Artemijl, dans Zurn. Min. Nar, l’r., 18X7, n. Il ; S. Sadkovskij, Artème, higoumène de la Troitsa, dans Clenija, 1891, n. 4 ; N. Kostomarov, Mathieu BaSkin et ses associés, Hist. russe en biographies, t. i, c. xix.

Nous ne connaissons L’hérésie de Théodose de Kosoj que par les travaux qui furent écrits contre lui. Il y en a deux : la Longue épîlre (Poslanie mnogoslovnoe) d’un auteur inconnu, mais qui est peut-être le fameux moine Zénobe Otenskij, et surtout la Démonstration de la vérité ( Pokazanie isliny) qui est certainement de ce moine.

La Longue épître fut écrite en réponse à une lettre envoyée à l’auteur par certains Lithuaniens orthodoxes, que les hérésies de Kosoj avaient émus. D’après ces Lithuaniens, Kosoj aurait nié l’utilité des églises matérielles, des icônes du Christ et de sa mère, des anges, des martyrs et des saints Pères. Les arguments de Théodose Kosoj sont les mêmes qu’on avait jadis attribués aux judaïsants : la prohibition du culte des idoles dans l’Ancien Testament. Il aurait aussi nié l’utilité de la prière, surtout vocale (des ecténies, etc.) et n’aurait admis que les métanies spirituelles en rejetant les corporelles. « Qui donc, s’écriait-il, a fait la division des jours, en jours de jeûne et jours gras ? Dieu a créé tous les jours égaux. » La distinction entre aliments permis et aliments interdits certains jours offusquait aussi notre novateur comme étant une « tradition humaine ».

Donnait-il aussi dans le libéralisme religieux ? Il semble avoir affirmé en tous cas que « tous les hommes, Tartares, Allemands et autres nations sont une seule chose devant Dieu », mais peut-être ne rejetait-il que l’orgueil démesuré des tenants de la troisième Rome. Il niait aussi la présence réelle de Notre-Seigneur dans le Très Saint-Sacrement ; la profession monastique était rejetée comme tradition humaine ; aussi bien que la pratique de se purifier après avoir eu contact avec les femmes. Ailleurs il disait : « Il ne convient pas de lire des Actes des martyrs, car cela scandalise les gens : il est écrit dans les Actes que les martyrs réprouvaient les persécuteurs, mais cela n’est pas bien : ainsi de même il ne convient pas de lire les vies des Pères… on y lit des miracles et des prophéties, alors que le Christ dit que la prophétie a cessé avec Jean, et pour cette raison les prophéties faites après le Précurseur ne viennent pas de Dieu ; ainsi de même après les apôtres il n’y a plus de miracles. » Théodose accu sait encore le clergé de pharisaïsme et d’hypocrisie et lui reprochait « d’avoir violemment persécuté ceux qui possédaient la vérité.

Ce sont là les points principaux auxquels l’auteur de la Langue épîlre répond. Ses arguments sont à peu près les mêmes que ceux du moine Zénobe et c’est la raison principale pour laquelle on a attribué à ce dernier la Longue éptlre.

La « Démonstration de la vérité » (Istiny pokazanie), de Zénobe Otenskij. L’ouvrage est assez mal ordonné : il est divisé en dix parties fort inégales qui correspondent aux dix visites que les clercs (klyrosanie : deux moines du monastère du Sauveur à Staronus et un laïque) tirent à Zénobe pour l’interviewer sur l’hérésie de Kosoj. La première visite fournit a Zénobe de la matière pour 1X7 pages (p. 11-198) ; la seconde est beaucoup plus brève (p. 199-215). Ces visites elles-mêmes sont partagées en cinquante-six chapitres dont les dix derniers n’ont rien à voir ni avec Kosoj ni avec les klyrosanie. L’énorme « visite huitième (p. 525-868) et le commencement de la suivante sont un commentaire du sermon de saint Basile sur la foi, que Golubinskij trouve excellent. Zénobe se répète beaucoup ; il est diffus, souvent difficile à lire : ses titres ne donnent aucune idée du contenu : « Dans la plus grande partie de son ouvrage, a remarqué Golubinskij, il se répète beaucoup trop, il parle comme s’il faisait la leçon à de petits enfants, tellement qu’il en devient ennuyeux et même, on peut le dire, insupportablement ennuyeux. » Hist. de l’Église russe, t. lia, ]). 230. Ce sont la les mauvais côtés ; mais, nous l’avons dit, Zénobe est théologien ; il n’est pas un næetëik comme l’higoumène de Volokolamsk ; aussi les historiens de la littérature russe aiment à dire que la Istiny pokazanie est supérieure au ProsvSlilel.

Zinovij, inok Otenskij, Démonstration île la vérité (Istiny Pokazanie), Kazan, 1863 ; N. Nikolævskij lit paraître une longue étude dans le Dukhovnyj Vistnik, 1865, p. 19-54, à l’occasion de cette publication ; Th. Kalugin, Les travaux homiléliques du moine Zénobe Otenskij (Gomiletiàeskie…), datis’/uni. Min. Nar. l’r., 189 : s, n. 2,."> ; du même, Zénobe, le moine Otenskij, ses œuvres île théologie polémique et ses discours (Zinovij inok Otenskij…), Pétersbourg, 1894 ; V. lîots.janovskij a lait paraître une recension plutôt sévère de cet ouvrage dans Zurn. Min. Sur. l’r., 1894, 11.

A.-N. Popov, " Lu longue épttre île Zénobe Otenskij (Poslanie mnogoslovnoe…), dans Ctenija, 1880, n. 2 ; S.-G Yilinski.j, La question île l’auteur île l.a longue éptlre t ( Vopros oh avtore… <, dans hv. oui., 1905, n. 2.

Pour être complet. nous devrions dire quelques mots de l’activité littéraire d’Ivan le Terrible lui-même. Ses deux lettres à Kurbskij et son épttre aux moines de Belozero n’ont pas seulement un intérêt historique et psychologique ; elles nous montrent, sous un aspect quelque peu bizarre, il est vrai, la physionomie l’eli gieiisr de cet homme cxl raord inaire. Il se piquait aussi de théologie. Nous avons parlé ailleurs de ses enntro verses avec le P. Possevino. Voir ici, t. XII, col. 2649. Il se disputa aussi avec les protestants.

I.-N. Zdanov, Les œuvres du tsar Ivan Vasilevic (Soôinenija. ..), t. i, Pétersbourg, 1904 ; N.-K. Nikolsktj, Quand fut écrite l’épttre de réprimande au monastère de Saint-Cyrille BéloSerskij’.' (Kogda bylo…) dans Klir. C.ten., janv. 1907.

L’influence religieuse de A. Kurbskij, connu par son duel littéraire avec Ivan le Terrible, s’est exercée surtout parmi les Ruthènes. Ses œuvres ont été éditées dans Ituss. Ist. Ilibl., I. xxi, 191 I. Voir aussi I. lu. Bartosevic, Le />rince Kurbskij en Volhynie (Kniaz Kurbskij…), Ist. Vêst., septembre 1881 ; P.-V. VilkhoSevskij, Les rédactions de ta première lettre d’Ivan Groznyj à A. -M. Kurbskij, dans Lêt. zan., I. xxxiii, 1926 (K voprosu…) ; A. Jasinskij, Les œuvres du prime Kurbskij comme matériel historique I Sorinrniju … I, dans Izvestia de l’université de Kiev, octobre, novembre 1899 ; P.-V. Vladimirov, Données nouvelles pour l’étude de l’activité littéraire tlu prince Kurbskij (Novyja dannyja.., ), I. ii, .Moscou, 1897 (Travaux du IM 1, congrès archéologique tenu à Vilna en 1893).

Nous ne parlerons pas du premier essai d’imprimerie ; voir M.-P. Pogodin, Ivan Fedorov, premier imprimeur moscovite, dans Zurn. Min. Xar. l’r., avril, juin 1870.

XII. L’institution du patriarcat moscovite.

La troisième Rome possédait déjà son empereur, mais à côté de lui, pour diriger l’Église, il n’y avait encore qu’un simple métropolite. Vis-à-vis des autres Églises orthodoxes, elle se trouvait dans une situation par trop humiliante.

Le 17 juin 1580, Moscou accueillit le patriarche d’Antioche Joachim. Souvent, surtout depuis deux siècles environ, les prélats orthodoxes étaient venus quêter dans la riche et accueillante Moscovie, en laissant, en échange des dons qu’ils recevaient, des bénédictions, des indulgences et des reliques plus ou moins authentiques. Mais jamais encore on n’avait vu de patriarche a Moscou, .loachim avait besoin de 8 000 zolotykh. Il fut reçu avec respect, mais non pas sans précautions. Il eut son audience chez le tsar Théodore Ivanovic" le 25 juin, et aussitôt après fut reçu à la cathédrale par le métropolite Denys, qui s’empressa de bénir le premier le vieux patriarche, au mécontentement de celui-ci qui voyait dans cette démarche un manque d’égards flagrant. C’est que le riche métropolite de la troisième Rome se considérait comme hiérarchiquement supérieur au besogneux patriarche d’Antioche. Denys, d’ailleurs, n’agit pas en l’occurrence par une initiative personnelle. Tous les détails d’étiquette axaient été longuement et savamment prévus au Kremlin à cette époque.

Après ces démarches officielles, Boris Godunov. beau-frère du tsar Théodore Ivanovic et tout puissant régent de Moscovie, vint proposer à l’illustre visiteur d’instituer le patriarcat moscovite. Joachim s’y refusa, en alléguant que le concile de l’Église entière devait intervenir dans une affaire de celle importance. On le combla de dons et on le laissa partir en le priant de traiter l’affaire à Constantinople. On envoya aussi un courrier, Michel Ogarkov, porter d’abondantes aumônes aux divers patriarches. Bientôt, une véritable procession de dignitaires grecs, serbes et bulgares apparut sur les frontières de l’empire moscovite. On prévoyait la convocation d’un concile et les prélats se rendaient compte que leurs services pouvaient être requis par Moscou dans un prochain avenir.

L’affaire pourtant traînait. A Moscou, le métropolite Denys était chassé et remplacé par une créature de Boris Godunov, .Job, qui axait été récemment promu du siège de Kolomna à l’archevêché de Rostov. A Constant inople. Jérémie 1 1 venait de remonter, pour la troisième fois, sur le trône patriarcal après avoir évincé son compétiteur Théolepte. La lutte avait été ardente et le patriarche se trouvait à court de fonds. Il prit à son tour le chemin de Moscou. Il y arriva le 13 Juillet 1586, accompagné du métropolite de Monembasie, Hiérothée (parfois appelé Dorothée), un sympat ique grognon, qui nous a laissé une description savourelise de ce voyage historique, et de l’archevêque d’Élasson, Arsène, qui était déjà venu mendier à Moscou, mais qui s’était établi à Léopol durant son voyage de retour et maintenant se trouvait enchanté de partir, cette fois pour y rester longtemps, dans l’Eldorado des prélats byzantins. Vingt-trois autres ecclésiastiques composaient la suite brillante du patriarche œcuménique.

A Moscou, on croyait toujours que Théolepte était encore patriarche et Jérémie faisait quelque peu mine d’intrus. On le garda révérencieusement à l’écart pour la semaine d’attente qui précédait d’ordinaire l’audience du tsar. Jérémie fut reçu le 21 juillet, l’uis. Boris Godunov. c’est toujours lui qui apparaît dans cette affaire, car le malheureux tsar Théodore n’était guère bon qu’à sourire et à sonner les cloches, vint l’interroger sur l’état du patriarcat byzantin. Une fois qu’il fut assuré que Jérémie était vraiment patriarche, il lui proposa d’instituer le patriarcat moscovite. Jérémie commença par refuser ; cette démarche, pensait-il, ne pouvait se faire sans le consentement du synode de Constantinople. L’affaire traîna donc tout le reste de cette année 1586. Les négociât ions

e prolongèrent, mais le malheureux patriarche n’était

guère en état de lutter contre ses bienfaiteurs, contre Godunov, en particulier, qui mettait une ténacité de Tartare à réaliser ses desseins. Les (liées étaient soigneusement gardés - c’est lliérothée qui nous en fait la confidence — avec les plus grands honneurs. Au bout de quelque temps, Jérémie parla de fonder un archevêché autocéphale « comme à Achrida ». Hiérothée protesta. Un concile était nécessaire à cet effet, et « nous ne sommes que trois », trois Grecs bien entendu car pour lliérothée, ce semble, les Moscovites n’existaient pas ! Ceux-ci. d’ailleurs, qui étaient devenus autocéphales presque un siècle et demi auparavant, à la barbe du patriarche œcuménique, n’étaient guère disposés à se contenter d’une telle solution, lui fin quelques subalternes — non parmi les dignitaires de la cour, mais parmi les officiers qui tenaient nos Grecs dans un emprisonnement honorifique — supérèrent à Jérémie de rester lui-même à Moscou, lliérothée se chargea bien de lui rappeler qu’il ne savait pas la langue du pays, qu’il était habitué a d’autres coutumes : Jérémie harcelé, fatigué, consentit. On accueillit cette décision avec enthousiasme. Mais comment écarter Job du siège de Moscou ? C’eût été commettre un adultère spirituel. On oubliait fort à propos cpje l’immense majorité des métropolites moscovites, depuis le concile de Florence, avaient été remplacés de leur vivant, souvent pour ele simples caprices des souverains. Job lui-même avait déjà été évêque de Kolomna (1581-1586), puis archevêque de Rostov (janvier-décembre 1586), avant de venir à Moscou prendre la place du métropolite Denys, chassé comme tant de ses prédécesseurs, pour des raisons demeurées obscures. Quoi qu’il en fût, Moscou était scandalisée à la pensée que Job pût être écarté du sie^e qu’il possédait alors. Il fallait tirer pourtant tout le parti qu’on pouvait de la concession patriarcale. On suggéra donc à Jérémie de rester, mais d’établir sa résidence dans l’ancienne capitale, à Vladimir-sur Kliazma, un endroit, disait le métropolite Hiérothée, qui était pire que Koukos ! Mais depuis qu’il avait commencé à céder, Jérémie était perdu. Il finit par se déclarer vaincu sur toute la ligne ; il promit de consacrer Job patriarche de Moscou et de toute la Russie, puis de repartir pour Constantinople.

Le 17 janvier 1589, on réunit les ecclésiastiques moscovites qui furent enfin mis au courant de ce que le tsar, ou plutôt Godunov, avait tramé jusqu’alors. Le souverain les invita à donner leur opinion sur les moyens à prendre en vue d’établir le patriarcat, mais, prudemment, ils lui laissèrent le soin ele toute l’affaire. On pria donc Jérémie de rédiger le rituel de la cérémonie ; mais comme celui-ci ne proposait que le rituel byzantin, beaucoup trop simple pour la circonstance, on chargea le diak Scelkalov, secrétaire aux Affaires étrangères, de rédiger quelque chose de suffisamment solennel. On y prévoyait une élection, puis une nouvelle consécration de l’élu (ce sera la troisième fois que Job recevra la consécration épiscopale I). Jérémie accepta ce rituel. Enfin, le 23 janvier, on procéda à l’élection. On désigna trois noms, mais, évidemment, c’est Job qui sortit. On désigna aussi, d’après la même manière, les titulaires des métropoles nouvellement fondées de Novgorod et de Rostov. Le 20 janvier, Job fut solennellement consacré patriarche par Jérémie, d’après le rituel établi par Sôt’Ikalov. Le malheureux patriarche byzantin dut rester à Moscou jusqu’au mois de mai suivant, afin de signer l’acte synodal qui consacrerait cet événement. On y parla abondamment de la « troisième Rome ». On reconnut à Moscou le droit d’avoir un patriarche, élu par ses propres évêcjues. La nouvelle élevait être ensuite communiquée à Constantinople. Puis on établit une nouvelle distribution territoriale en métropoles, archevêchés, évèchés, qui ne sera mise que partiellement en pratique. Viennent enfin les signatures. Hiérothée de Monembasie. protestant jusqu’à la dernière minute, refusa longtemps d’apposer la sienne au bas de ces « lettres bulgares », mais quand on l’eut menacé de le jeter dans le fleuve, il finit par obtempérer. Son compatriote, Arsène d’Élasson. epui nous a laissé des récits dithyrambiques, en vers et en prose, sur ces événements ne semble pas avoir éprouvé tant de scrupules.

Jérémie put alors quitter la Russie. Il vint dans le grand-duché de Lithuanie, où il déposa le métropolite, en promut un nouveau, se choisissant en même temps un exarque qu’il exemptait de la juridiction métropolitaine, donna les plus amples pouvoirs aux confréries laïques, rendit en un mot la position des évêques orthodoxes tellement intenable que ceux-ci en vinrent à se rapprocher des évêques latins avec lesquels, au bout de quelques années, ils devaient finir par conclure l’union religieuse de Brest-Litovsk. Enfin, abondamment chargé d’aumônes, Jérémie revint à Constantinople après une absence qui avait duré deux ans.

Il réunit un synode (mai 1590). Il décrivit son voyage à Moscou, l’état merveilleux de l’orthodoxie russe, la munificence du tsar orthodoxe. Il rappela « lis crètement la pression qui avait élé exercée sur lui, ses résistances à accomplir la volonté du souverain : enfin, il raconta l’élection et la consécration de Job. Il demanda au concile d’approuver son action. On rédigea donc une lettre synodale signée par les trois patriarches (le siège d’Alexandrie était alors vacant), quarante-sept métropolites, cinquante archevêques et quelques employés de la chancellerie patriarcale. Après avoir multiplié les louanges à l’égard du potentat moscovite, on approuva l’érection du cinquième patriarcat (on voit que la fondation du patriarcat de la troisième Rome laissait intacte la conception de la Fentarchie) et l’on donna au titulaire ele Moscou le cinquième rang après Jérusalem. L’ancienne Rome était considérée comme entièrement et définitivement déchue. L’acte synodal fut porte a Moscou par l’archevêque ele Tirnovo, Denys Cantacuzène Paléologue, un rejeton des illustres familles qui avaient jadis gouverné Ryzance, mais le besogneux prélat devait laisser un bien mauvais souvenir en Lithuanie lors de son passage.

Moscou le recul à peine. Il est vrai qu’on y était terriblement déçu. On avait pourtant bien spécifié que le patriarche russe devait avoir le troisième rang, entre Alexandrie et Antioche et on avait cru que Jérémie avait promis de faire droit à ces revendications. Aussi Denys dut-il longtemps attendre son audience auprès du souverain. Il ne rencontra le patriarche Job que par hasard et longtemps après son arrivée. Pourtant, au bout de quelque temps, on trouva cette solution : un nouveau synode devait être convoqué à Gonstantinople, car le patriarche d’Alexandrie, « pape et juge œcuménique », avait manqué au premier, l’eut-ôtre avait-on appris à Moscou que Mélèce Pigas, le nouveau titulaire d’Alexandrie, ne ménageait pas ses critiques à l’égard de Jérémie qu’il trouvait trop autoritaire. Ce nouveau synode avait pour but de donner le troisième rang à Moscou. On dépêcha d’abondantes aumônes aux patriarches. Le 12 février 1593, un nouveau concile, bien moins nombreux que celui de 1590 fut réuni à Constantinople. Mélèce Pigas en fut l’âme. Il critiqua Jérémie, mais la même décision fut prise qu’en 1590. On reconnaissait le patriarche moscovite en lui donnant la cinquième place, après Jérusalem. Les légats de Mélèce furent jetés en prison dès leur arrivée en Moscovie.

Les sources principales sur l’Institution du patriarcat moscovite ont été éditées par A. -.la. Spakov. Fondation du patriarcat en Russie, Odessa, l’.)12 (Mém. de Vuniv. de Xovorossijsk ; fac. de droit, t. vt), ce sont les trois Greceskie statejnye spiski, n. 1, 2 et 3 ; il y a aussi le rituel composé par le diak Scelkalov et la lot Ire synodale écrite à Moscou. l’n autre appendice contient aussi la Kalhidrusis d’Arsène et le livre du diak Ermolajev. Une autre édition de la Kathidrusis d’Arsène, et le Chronographe de Hiérothée (ou Dorothée), ont été édités par K.-N. Sathas. Biofpapcx’ov iyj.f J !.-j.’7).-x -kiçi’i. toû Kv.-tJi-j.yPi-j’IepEjXiOii B, Athènes, 1870. L’épîtrc du concile de Constantinople célébré en 1590 a élé éditée par V. Regel, dans ses Analecla Ryzant.-Slav., Pétersbourg, 1891, p. 8.V91 ; en appendice, à la fin de l’ouvrage, on trouvera une table photographique contenant les signatures apposées à ce document. Les Actes du synode de 1593 ont été édités par Porphyre Uspenskij, dans Trudu, oct. 1865, p. 237 s(f. La lettre de Mélèce Pigas se trouve dans les Anal. Byzant.-Slav. de Regel, p. 92-115 ; ibid., les lettres de Joacbim d’Antioche et de Sophrone de Jérusalem.

Voir encore A. Dmitrievskij, Arsène, archevêque d’Élasson rt ses mémoires récemment découverts, dans Trudu, 1898-1899 ; li.-Th. Nikolævskij, Les relations des Russes avec Constantinople à propos du rang hiérarchique du patriarche moscovite (SnoSenija Russkikh…), dans Khr, C.len., 1880, n. 1 ; du même, Institution du patriarcal en Russie, ibid., 1X79-1880 ( Ucreidenie…). L’ouvrage de Spakov qu’on aurait désiré écrit avec un peu moins d’àprcté contre les prélats hyrantins peut presque suffire à lui seul.

Durant les années qui suivirent l’institution du patriarcat moscovite, se tint un concile qui passa un décret presque incroyable sur la matière de l’eucharistie. Il y avait disette de vin liturgique en Moscovie. On devait le faire venir « de chez les païens qui ne connaissent pas le vrai Dieu » ou l’acheter « chez les Latins qui ont rejeté la grâce de Dieu et sont tombés dans de multiples hérésies ». Les marchands mêlaient d’autres substances avec le vin qu’ils vendaient à un prix énorme et faisaient remarquer aux Moscovites que, sans eux. ils n’étaient même pas capables de célébrer leur liturgie. Il était impossible, ajoute le préambule du concile, de faire venir le vin de Grèce ou de Jérusalem à cause de. la distance ou de l’insécurité des chemins.

Il fallait supprimer cet abus. Le tsar (était-ce bien Théodore, ou plutôt l’esprit fertile de son ministre qui eut cette idée ?) décréta que dans son territoire on devait célébrer avec du vin extrait « de baies données de Dieu, non souillées par des païens et croissant dans son propre territoire ». Il communiqua son dessein à la tsaritsa, à ses boiars et aussi au patriarche -lob et à ses évêques. On décida d’enquêter à travers toute la Moscovie pour trouver les baies convenables. On s’arrêta aux cerises ! Le concile passa un décret ordonnant de choisir des hommes de confiance pour en extraire le « vin » et le préparer pour le culte. Le décret ajouta que Dieu, qui avait changé l’eau en viii, changerait ce vin en son Précieux Sang. Suivent une série de textes plus aptes à prouver la vérité du sacrement de l’eucharistie qu’à légitimer le vin nouveau. Voir V.-N. von Bene-Seviô, Un concile de Moscou de la fin du XVIe siècle, sur le vin d’Église (Moskovskij sobor…), dans Izv. Otd., t. xxii, 1917, p. 1-9.

XIII. Le concile de 1020 et i.a rebaptisation des Latins. Job n’était pas destiné à mourir sur le trône de Moscou. Les premiers titulaires de la dignité patriarcale furent entraînés dans la terrible tourmente révolutionnaire qui jeta la Russie du xviie siècle dans les convulsions les plus graves jusqu’à l’avènement de la dynastie des Hnmanov.

Après la mort du tsar Théodore Ivanoviô (le dernier des Hurikides de la famille d’Alexandre Nevskij), ISoris Godunov lui succéda comme tsar. Bientôt, un célèbre prétendant faisait son apparition en Pologne. Un jeune homme qui se disait Dimitri, fils d’Ivan le Terrible et de sa dernière épouse Marie Nagoj, échappé par miracle aux sieaires de Godunov, parlait de chasser l’usurpateur et de reconquérir le trône de ses aïeux. Dimitri, vrai ou faux, peu nous importe ici, fit en secret profession de foi catholique dans la résidence des jésuites de Cracovic et, puissamment aidé par la noblesse polonaise, partit pour Moscou. Le patriarche Job multiplia contre lui les anathèmes en disant que le véritable Dimitri était mort et que ce prétendant n’était qu’un défroqué du nom de Grégoire (GriSka) Otrepiev. Il en faisait même une question dogmatique, car, si l’on acceptait Dimitri, le dogme de la résurrection des morts était en danger.

Ces anathèmes n’arrêtèrent pas la marche du prétendant à travers un pays qui l’acclamait avec enthousiasme comme le fils de ses tsars. Bientôt Boris Godunov mourait, son fils Théodore Borisoviè le suivait prématurément dans la tombe. Dimitri arriva à Moscou, déposa le patriarche qui l’avait maudit et lui désigna un successeur (qui fut du reste élu aussi canoniquement que de coutume !) dans la personne de l’archevêque de Riazan, le Grec Ignace, qui dans la suite devait mourir catholique. Dimitri fut accueilli avec enthousiasme par toutes les classes de la société russe à la seule exception de Basile Sujskij (lui même prétendant au trône) et de ses amis qui conspirèrent contre lui dès le début. Pourtant sa cour polonaise pas toujours très discrète, la présence des jésuites qu’il avait introduits à Moscou, son mariage avec la fameuse Marina, qui, malgré son ambition démesurée, tenait énergiquement à sa religion catholique et l’affichait en pleine cathédrale de l’Assomption, lui aliénèrent une partie de la sympathie populaire. Il fut renversé par une émeute de palais et assassiné une semaine après son mariage. Ignace fut emprisonné et le nouveau tsar Basile Sujskij, se choisit un patriarche à sa dévotion dans la personne du métropolite I lermogène, un vieux soldat devenu métropolite de Kazan, d’esprit plutôt borné, mais légendaire en Hussie pour sa résistance, d’ailleurs très exagérée par l’historiographie officielle, aux autorités polonaises qui devaient dans la suite s’établir à Moscou, l’n nouveau » Dimitri Ivanoviè > apparut bientôt, d’au 1res prétendants se levèrent dans divers endroits et la Hussie, divisée, fut mise à l’eu et à sang, lai même temps que deux empereurs (Dimitri II et Basile Sujskij) il y eut aussi deux patriarches, car Dimitri avait fait venir à sa capitale de TuSino l’ancien boiar Théodore Homanov (le chef de la dynastie future des Homanov). tonsuré moine par Boris Godunov et devenu métropolite de Hostov sous le « premier » Dimitri. Sujskij et Dimitri furent déposés par leurs partisans respectif ». Hermogène fut emprisonné peu après la disgrâce de Sujskij. Le fils du roi de Pologne, Ladislas, fut élu tsar de Moscovie. Les Russes, conduits par Hermogène, lui jurèrent fidélité. Il ne régna jamais, car au lieu de venir de suite prendre possession de sa capitale, comme on l’en implorait, il fut retenu par son père Sigismond, qui était occupé à conquérir Smolensk pour la Pologne. Moscou envoya une grande ambassade à Smolensk. Elle était conduite par Philarète, qui fut retenu en captivité par les Polonais. L’armée polonaise qui occupait Moscou s’y rendit vite impopulaire. Une insurrection victorieuse, conduite par les célèbres héros Minin et Pozarskij, chassa les Polonais de la capitale et présida aux États généraux de 1613 qui élirent comme tsar le premier Romanov, Michel Feodoroviô, le fils de l’ancien « patriarche » de Tusino retenu alors en Pologne comme prisonnier. De 1613 (année où mourut Hermogène) jusqu’en 1619, quand revint Philarète, échangé contre d’autres prisonniers de guerre, le siège resta vacant.

Le long séjour des Polonais à Moscou eut un double résultat au point de vue religieux. Chez quelques-uns il développa l’indifférence religieuse. Tel fut le cas du prince Jean Khvorostinin qui fut accusé d’avoir douté de la résurrection des morts et de la nécessité du jeûne. Il est difficile de contrôler la vérité de ces accusations, formulées par des adversaires. Il semble certain pourtant qu’il gardait chez lui des images et des livres catholiques. Le patriarche Philarète sut vite réagir contre cet état de choses. Khvorostinin fut envoyé en pénitence dans un monastère. Au bout de quelques mois il fut assagi par la discipline monastique ; il fit une profession de foi acceptable, rétracta ses erreurs et fut remis en liberté.

V.-I. Savva, Les ouvrages du prince Khvorostinin (dans Ouvrages récemment découverts du XVIIe siècle contre les hérétiques, Vnov otkrytija…) Lêt. zan., 19(17 ; S. -Th. Plalonov, .Sur les ouvrages du jirinee l.-A. Khvorostinin (K uoprosu…). Art. sur l’Iiist. russe, Pétersbourg, 1903 ; E.-V. Petikhov, Pages de l’hisl. russe du XVIIe siècle. Le truite sur le royaume des deux et sur l’éducation des enfants ( / : istorii…), dans Pamjatniki drevne) pis’mennosti, t. xc.m, 1893. Comparer au prince Khvorostinin le prince Katyrev Rostovskij, cf. S.-Th. Platonov, Traité contre les iconoclastes et toutes les hérésies néfastes (Socinenie…), dans Lêt. zan., 1907.

Mais l’ensemble du pays, surtout après le retour de Philarète, donna plutôt dans la tendance contraire et manifesta un vif acharnement contre les catholiques que l’on considérait comme les grands responsables des désastres qui avaient désolé la Russie durant les treize premières années du xviie siècle. le sentiment antilatin trouva son expression dans le concile de 1620.

Ce concile fut convoqué au mois d’octobre 1620 pour juger le métropolite des KrutiCy, Jonas, qui avait été gardien du siège patriarcal durant l’exil de Philarète. Jonas avait autorisé deux prêtres à donner la communion à deux Polonais, passés à l’orthodoxie, sans les avoir rebaptisés. Il y eut d’abord discussion entre le patriarche et le métropolite, mais Jonas, les canons à la bouche, refusa de se laisser convaincre. Il fut donc suspendu etu : i concile fut réuni pour confirmer la sentence patriarcale. Il y eut deux métropolites (Novgorod et Rostov), trois archevêques (Vologda, Suzdal et Tver) et l’évêque de Kolomna. Dans un long préambule, Philarète. retraça l’histoire des années précédentes : il parla de Dimitri, du patriarche Ignace, des immenses malheurs que ce prélat causa à l’orthodoxie en refusant de baptiser Marina « , une hérétique de la foi latine », et c’est là la raison pour laquelle il fut déposé, nous dit Philarète, par les évêques de Russie. Puis, passant sous silence son propre séjour dans le camp de Tusino, Philarète chanta les gloires de son ancien rival, le « bon pasteur » Hermogène qui, en l’envoyant comme ambassadeur à Smolensk après la débâcle de Tuâino, lui confia un mémoire composé d’extraits des saints canons pour insister sur le baptême de Ladislas, car les hérétiques doivent être baptisés. « Mais parmi les hérétiques, les plus immondes et les plus féroces sont les latins papistes, qui ont accepté dans leur religion les hérésies maudites des Hellènes, des juifs, des Hagarènes et de toutes les sectes hérétiques. » Aussi les latins « évidents ennemis de Dieu et indignes comme des chiens » doivent être baptisés.

Philarète décrit alors les erreurs latines. sa méthode est uniforme : il indique d’abord l’hérésie, cite ensuite les canons des conciles qui s’y rattachent, enfin donne de larges commentaires, puis passe à une autre hérésie et procède de même manière. Les latins sont donc melchisédéchiens, juifs et arméniens parce qu’ils jeûnent le samedi ; ils sont montanistes parce que leurs prêtres, rejetant le mariage, se choisissent des concubines ; ils ont aussi changé le temps de la Pâquc ; ils sont manichéens parce qu’ils règlent toutes leurs actions sur le cours du soleil et des étoiles, etc.

Ils ont de plus changé le symbole et proclamé deux principes dans la Sainte Trinité. À cette occasion, Philarète reproduit les textes classiques cités par les grecs dans la controverse du Filioque et ne manque pas de dire que c’est là le péché contre l’Esprit. Les latins baptisent par infusion ; ils ont changé la formule du baptême, car au lieu de dire : < Le serviteur de Dieu est baptisé », ils disent : « Moi, pope, je te baptise. » À la place des onctions, ils emploient du sel ; ils n’exigent pas de pénitence avant l’absolution. Il y a aussi, naturellement, les références aux azymes et au purgatoire. On condamne le nouveau calendrier, d’après lequel la l’àque se célèbre parfois avant, parfois après, parfois en même temps, que celle îles orthodoxes, mais en tous cas, i elle coïncide souvent avec celle des juifs ». Le concile cite alois des extraits d’une « épître contre les latins au sujet des azymes, donnée comme venant du VU* concile, que nous n’avons pas pu identifier. Enfin, le concile rapporte l’histoire du pape Formose et celle de Pierre le Bègue, si populaire en Russie depuis L’époque prémongolienne ; il cite un court passage de l’épître du métropolite Jean de Russie à l’archevêque de Rome, l’antipape Clément III, enfin le Ilepi twv OpâyYwv avec ses vingt-sept chefs d’accusation antila 1 ines.

Le 16 octobre 1620, Jonas de Sarai et Podon (des Kruticy) fut convoqué devant le concile et son cas fut examiné de nouveau : audition des témoins, confrontations, reproches. Jonas s’avoua coupable ; il lit pénitence, pleura, demanda pardon, et Philarète le releva de sa suspense.

Deux mois plus tard’, il y eut un nouveau décret conciliaire. Jonas, cette fois, siégea avec les autres. Il y avait en plus l’archevêque de Sibérie, Cyprien, qui d’ordinaire siégeait à Tobolsk. Il s’agissait cette fois de régler le passage des Blanc-Russiens dan., l’Église orthodoxe. Si les Blanc-Russiens venant de Pologne ou de Lithuanie se disent chiétiens, il faudra commencer par les examiner : ceux qui ont été baptisés par infusio î ou qui ne sont pas certains d’avoir été baptisés par triple immersion devront être baptisés et oints ; ceux qui ont été baptisés pa. triple immersion, mais par un prêtre qui commémore le pape dans la liturgie, devront elle baptisés eux-aussi, puis oints du chrême et de l’huile sainte, puis ils devront abjurer la religion latine. Enfin, ceux qui ont été baptisés par immersion et oints avec le chrême et l’huile devront jeûner durant une semaine comme font les Moscovites lorsqu’ils s’approchent des sacrement-, puis ils se confesseront et dans la confession ils devront affirmer fie nouveau qu’ils ont été légitimement baptisés. Le confesseur enverra son rapport au patriarche, ou au métropolite, ou à l’évêque suivant le cas ; alors le Blanc-Russien pourra recevoir la communion. Ceci, ajoute le patriarche. n’est pas une législation nouvelle, ce n’est que la confirmation de la législation antique des sainis apôtres et « les saints l’ères. Cette discipline devait durer jusqu’au concile de 1<>(>7. Alors on introduisit en Russie la pratique grecque de recevoir les latins sans les soumettre à un nouveau baptême.

Il sera utile (le parcourir l’acte d’abjuration imposé aux latins quand ils passaient à l’orthodoxie russe pour se l’aire une Idée des préjugé ; moscovites à l’égard de l’Occident. Cette formule existait déjà à l’état de manuscrit au XVIe siècle, mais Philarète en a étendu l’emploi en la faisant imprimer dans son Potrebnik. Désormais, elle fit partie du rite du baptême de « ceux qui venaient de l’hérésie ». On s’en servit tout au cours du xviie siècle. Le candidat à l’orthodoxie devait, la lire ou, s’il ne savait pas lire, il devait la répéter mot à mot après le prêtre, ou encore, s’il ne savait pas le russe, après l’interprète. Cette monumentale abjuration comprend quarante-quatre malédictions différentes. On maudit le tsar romain Charles et ses latins qui vinrent à Rome et pervertirent la foi, les prêtres de Chai les qui, au lieu de se soumettre au pape de Home, propagèrent en secret leur hérésie, on maudit Formose, le premier hérétique parmi les papes, et ses successeurs Boniface, Etienne, Romain, Théodore, Jean, Benoît et Léon qui propagèrent l’hérésie en secret. Puis c’est le tour du pape Christophe qui propagea ouvertement l’hérésie et fut maudit pour cela par les patriarches orientaux. On maudit enfin le célèbre « Pierre le Bègue », pape romain, qui propagea beaucoup d’hérésies, permit aux prêtres d’avoir sept femmes sans que les concubines ne commettent de péché, permit aussi d’installer des orgues et des « tympans « dans les églises, de se raser la barbe et la poitrine (lono), de manger et de boire des choses impures. Ce n’est pas la seule fois qu’on parle du fabuleux Pierre le Bègue dans cette abjuration. Il semble incroyable que Philarète, qui avait fréquenté des milieux cultivés en Pologne, qui était lui-même intelligent et érudit pour son époque, ait lancé cette profession de foi qui devait si longtemps faire loi en Russie.

Puis on rejette les autres « hérésies ». Le l’iliaque et les azymes sont évidemment rejetés. On passe alors en revue les coutumes latines, vraies ou fausses, locales ou universelles, importantes ou secondaires et elles sont toujours précédées du terrible : « Je maudis. » Ainsi quand les latins disent la messe, un seul prêtre communie ; les autres, au lieu de communier se donnent un baiser. On reproche aussi aux latins de célébrer plusieurs messes successives sur un autel ; parfois aussi le même prêtre (est-ce une allusion à la coutume de célébrer trois messes le jour de Noël) célèbrent plusieurs messes sur divers autels. Ils célèbrent la messe en chemise, avec des boucles d’oreilles, foulard autour du cou, couronne sur la tête et anneau au doigt. Parfois les prêtres sortent quelque part sans avoir fini la liturgie, puis ils reviennent et finissent l’office sans avoir ôté et remis leurs ornements. Il est d’autres pratiques plus réalistes encore qu’on nous dispensera de répéter.

L’orthodoxie moscovite, sous Philarète. devin ! très ombrageuse vis-à-vis de tout ce qui venait d’au delà des frontières ; ainsi les livres liturgiques : qui sortaient des imprimeries pravoslaves de Pologne ou du grandduché de Lithuanie n’étaient pas acceptes, du moins en théorie, dans le territoire soumis à sa Juridiction. En 1627 on trouva beaucoup d’hérésies dans le Commentaire sur l’Évangile de Cyrille Tranquillion.

Les discussions sur le catéchisme de Laurent Zizanij nous renseignent sur l’orthodoxie moscovite à l’époque de Philarète. Laurent était le frère du fameux Stéphane connu par divers ouvrages et surtout pour l’agitation qu’il ciéa à Yilna contre l’union religieuse de Brest-Litovsk. Laurent était lui aussi un des plus éminents parmi les orthodoxes. Il fit une comte visite à Moscou en 1626-1627 ; il apportait un catéchisme qu’il voulait faire imprimer. Cet ouvrage était divisé en trois parties : la foi, où Laurent commentait le Symbole des apôtres en suivant d’assez près le catéchisme romain ; l’espérance, où ilétudiail le Pakr ; enfin la charité, où il développait les préceptes du Décalogue. Le catéchisme fut examiné par une commission patriarcale, abondamment censuré, puis imprimé ; le tout était fini le 29 janvier IG27. Le mois suivant, il y eut trois conférences entre Zizanij et quelques savants moscovites sur les corrections introduites par Philarète. Laurent reconnaissait à peine son ouvrage. Il ne devait pas rester longtemps à Moscou ; l’année suivante (août 1628), il prit une part importante au concile orthodoxe de Kiev qui condamna, dans des circonstances brutales, VApologia de Mélèce Smotrycki,

Malgré ces corrections, le catéchisme de Laurent ne fut pas répandu en Moscovie. Presque tous les exemplaires de l’édition de 1627 ont disparu. Philarète doit en avoir arrêté la circulation. Plusieurs copies de ce catéchisme existent à l’état manuscrit. Une édition en fut faite plus tard à Grodno.

On refusa aussi une ambassade du roi de France Louis XIII. afin de ne pas autoriser l’érection d’une église catholique à Moscou.

Occupés à faire d’abondantes éditions de livres liturgiques (l’imprimerie de Moscou allait alors grand train), les lettrés moscovites s’occupaient peu de théologie et de polémique. Pourtant, quand le prince Valdemar de Danemark, à l’occasion de ses fiançailles avec une Mikhailovna. vint y causer théologie, on sentit le besoin d’arguments plus précis, sinon savants. Le protopope de l’église de l’Archange, Michel Bogov, composa alors un livre nommé Kniqa Kiritovskaja (le livre de Cyrille) qui devait dans la suite acquérir une grande célébi ité pour des raisons inattendues. C’est qu’au lieu de servir d’arsenal contre les diverses hérésies, suivant l’intention de son compilateur, cet ouvrage devait devenir, aux mains des « vieux croyants », l’arme principale confie l’orthodoxie officielle.

Après les préfaces, Rogov dresse le canon des livres reçus par l’Église orthodoxe. C’est le canon ordinaire, sauf qu’en plus des livres d’Esdras et de Néhémie, il y a un IIe et un IIIe livre d’Esdras. Il y a encore le IIIe livre des Machabécs. L’orthodoxie ne rejetait pas encore les livres « deutérocanoniques ». Parmi les l’ères de l’Église dont les noms s’alignent après le canon des Écritures, nous noterons trois Basiles (Parijskij. d’Amasia et Basile le Grand), le « pape romain » saint Hippolyte, Jean, l’exarque de Bulgarie, Grégoire Tsamblak (qu’on anathématisait pourtant le dimanche de l’orthodoxie), Cyrille le Slovène. On y trouve encore » Siméon qui reçut Dieu » (e.-à-d. le saint vieillard du Xune Dimitlis), Maxime le Grec, Daniel (le métropolite de Moscou), Nil (Sorskij ?) et plusieurs recueils comme la (’.lutine d’or, etc. On y trouve aussi les fameuses Menées du métropolite de Moscou. Macaire. Après les l’ères. ce sont les apocryphes, complétés par les ouvrages de magie et d’astrologie, d’histoire naturelle et de superstitions. Vient ensuite le Livre de Cyrille proprement dit. C’est une traduction en russe du commentaire de la XVe catéchèse de sain ! Cyrille de Jérusalem, publié par Etienne Zizanij à Vilna en 1596. Ce commentaire tend à prouver que la fin du monde est proche et que l’Antéchrist n’est autre que le pape. Après le Livre de Cyrille, nous avons un recueil d’écrits de beaucoup de saints l’ères… contre les blasphémateurs latins et autres hérétiques, quarante-huit chapitres, inspiré d’un ouvrage composé lui aussi en Russie lithuanienne et connu dans la tradition manuscrite sous le nom d’Exposition de la foi.

Le Livre de la foi (Kniga o vêrê), composé par l’higoumène de Saint-Michel à Kiev en 1614 et imprimé à .Moscou en 1648, nous intéresse moins car il est essentiellement une compilation d’ouvrages qui parurent chez les Ruthènes. De ses trente chapitres, onze sont pris textuellement de la Palinodie de Zacharie Kopytenskij, dix d’un livre sur la foi, écrit par le hiéromoine Arsène X, c’est-à-dire par Zacharie lui-même qui se cachait parfois sous ce surnom. Quatre chapitres, en tout ou en partie, sont pris d’ailleurs, si bien que l’auteur ne peut revendiquer pour lui que cinq chapitres sur trente, et même là il manque d’originalité. Le but de cet ouvrage, comme du Kniga Kirilovskaja était de mettre dans les mains moscovites les arguments nécessaires pour lutter contre les uniates. Comme le Livre de Cyrille, le Livre de la foi, bientôt condamné par [’orthodoxie officielle, resta dans les mains des starovières qui le. réimprimèrent plusieurs fois dans la suite ; un des ouvrages de référence les plus employés contre l’orthodoxie officielle.

Les actes du synode de 1620 ont été imprimés dans le Potrebnik, Moscou, 16 : 51), et furent souvent réimprimés ensuite. Al. Grenkov, Le concile de Moscou sous le patriarcal de Philarèle en 1620 et ses décisions dans Prav. Sob., 1864, n. 1.

Sur l’attitude de Moscou envers les livres imprimés dans le grand-duché de Lithuanie voir K.-V. Kharlampoviè, L’influence malorusse sur la nie ecclésiastique en Grande-Russie, t. i (Malorossijskoe vlijanie…), KaLan, l’Jl 1, c. ii, p. 95 sq. Sur Laurent Zizanij en particulier, voir M. Yo/njak, Introd. à l’étude île Laurent Zizanij (Priëinki do sludii…), dans Mém. de la Soc. Sevcenko, t. i xx.xiii, 19118 ; Th. Il’inskij, Le granit catéchisme de Laurent Zizanij (Rol’soj Katikhizis), dans Trudꝟ. 1808, n. 1, n ; session du 18 février 1627 dans la Kniznaja palata pour la correction du catéchisme de Laurent Zizanij (en russe : Zasètlanic v km naj.), dans Famjatniki drevnej pismennosti Pltersbourg, t. xvii, 1878.

A. Lilov, Le livre dit de Cyrille (en russe : lak nazyvæmyj. ..), Kazan, 18.">8 ; Leonid, archini., Remarque sur un vieux livre (Livre de la foi) (en russe : Ziunêtku…), dans Ctenija, 1880, n. 1 ; E.-I. Kaluznjackij, Le < Livre de la foi » </c Vhigoumine Nathanæl, ses sources et son importance pour l’histoire de la littérature polémique de Russie méridionale, dans Ctenija, 1886, n. I.

XIV. Les controverses avec les protestants.

— La Réforme protestante se lit beaucoup moins sentir en Russie qu’en Occident : elle se propagea rapidement parmi les orthodoxes du giand-duché de Lithuanie, de Finlande, des provinces baltiques et des provinces strictement russes qui passèrent à la Suède par la paix de Stockholm (1617) : elle ne pénétra guère en Moscovie. Quelques ouvrages dont certains furent publiés y furent pourtant composés pour réfuter le protestantisme.

Maxime le Grec, on le répète habituellement, inaugura la polémique antiluthérienne en Moscovie. Ses éditeurs (Kazan, 1859-1862 ; 2e éd., 1895-1897) affirment que cinq de ses « discours » étaient dirigés contre les luthériens ; ils ne font que répéter ce qu’avait déjà dit le métropolitain Philarète et d’autres. Dimitri Tsvêtaêv, dans son ouvrage classique sur le protestantisme en Russie (Moscou, 1890) est plus sceptique : « En somme, il n’y a guère que ceci de certain : Maxime se tint dans une attitude négative vis-à-vis du rationalisme occidental et indigène, et un de ses ouvrages, le J)iscours sur le culte des icônes, servit à ses disciples immédiats dans la polémique antiluthérienne. » (P. 537.) C’est là une opinion extrême. Plus récemment, et c’est l’opinion qui est de plus en plus reçue, Serge Belokurov a rangé deux traités de Maxime sous la rubrique Polémique antiluthérienne. Ce sont le Discours contre i iconoclaste Luther, qui apparut en Allemagne, sur le aille des icônes et le Discours contre ceux qui blasphèment lu 1res pure Mère de Dieu. Nous avons parlé de l’un et de l’autre dans notre article sur Maxime le Grec.

A l’époque de Maxime (première moitié du xvi c siècle), architectes, artisans, médecins, commeiçants, aventuriers, venaient nombreux chercher fortune à Moscou. Basile Ivanoviô avait organisé pour eux le faubourg de Nalejka aux portes mêmes de la capitale. Plus tard on fonda les colonies de Bogdanovka et le célèbre < faubourg allemand ». Parmi ces étrangers beaucoup appartenaient à la religion réformée. Cette population étrangère s’accrut encore à l’occasion des guerres de Livonie ; ainsi, durant l’hiver de 1559, l’évêque catholique de Dorpat, Herman von Wesel, le pasteur protestant Timan Brackel (c’est le premier pasteur protestant qui ait vécu en Russie : il fonda la colonie protestante moscovite : il fut libéré l’automne suivant | et un certain nombre de personnes y furent transportés ; l’année suivante, l’ancien grand-maître de Torche teutonique Guillaume Furstenberg était fait prisonnier : trois pasteurs protestants l’accompagnèrent dans son exil de Liubim ( Kostroma). lui 1564, plus de trois mille personnes (dont le célèbre pasteur YVettermann qui fut libéré plus tard) furent dispersées en Russie. La première église protestante fut bâtie à Moscou en 1575-1 576, durant le règne éphémère de Siméon Bekbulatoviè. Démolie quelques années api es, quand Ivan IV détruisit le quartier allemand, elle fut rebâtie sous Godunov qui donna le clocher et les cloches. Dès lors, la communauté protestante, malgré des vicissitudes, se maintiendra à Moscou. D’autres villes de Russie eurent bientôt leurs églises protestantes. On voit combien la situation des protestants était plus privilégiée que celle des catholiques qui durent encore attendre plus d’un siècle avant d’avoir une église à Moscou pour les catholiques étrangers.

Il n’y eut pas que des luthériens : les réformés. Anglais et Hollandais, apparurent à Moscou sous Ivan IV le Terrible. On ne connaît pas l’existence d’églises réformées avant le XVIIe siècle. Dans l’ensemble, le gouvernement moscovite favorisait les protestants. Ivan IV aimait à discuter avec eux et avait choisi parmi eux plusieurs de ses conseillers dont le célèbre Gaspard Everfeld. Après la conquête des provinces baltiques, Ivan y pratiqua une politique assez tolérante. Aussi, en Occident, les protestants nourrissaient de grands espoirs de propager la Réforme en Moscovie.

Ouvrages généraux sur le protestantisme en ancienne Russie : C.-H. Buscb, Matcriulen zur Geschichte und Statislik des Kirchen-und Schulivesens der ev. luth. Gemeinden in Russland, 3 vol., Pétersbourg, 1862-1867 ; Iv. Sokolov, Le protestantisme et la Russie aux X Vl’et X 71 l’siècles (en russe : OtnoSenie …), Moscou, 1880 ; Dm. Tsvétaèv, Épisodes historiques des confessions étrangères en Russie uur a iv et XVZI’siècles (en russe ; 1 : istorii… !, Moscou, 1886 ; du même, La polémique avec le protestantisme dans V Liât moscovite (en russe : l.ileralurnaja bor’ba…), Moscou, 1887. Le même auteur, qui s’était l’ait une spécialité de l’histoire du protestantisme à Moscou au XVIIe siècle, écrivit à ce sujet plusieurs articles qui entrèrent plus tard dans son ouvrage classique Le protestantisme et les protestants en Russie avant l’époque de la transformation (en russe ; Protestanstvo. ..), 2 vol., Moscou, 1888-1890. L’ouvrage parut d’abord dans les Ctenijr de Moscou (1888, 1889, 1890). À noter quelques-unes des recensions les plus saillantes : [.-A. Lebedev dans Znrn. Min. Nar. t’r., juill. 1890, p. 151-163 ; V.-Z. Zavitnevic, dans Trudy, sept. 1811(1, p. 148-155 ; A. Briickner, Russische Revue, 1891, n. 1, p.l2°J-l 18 ; Amph. Lebedev, dans Znrn. Min. Nar. Pr., mars 1802, p. 17.">228 ; Tsèvtacv a répondu à Lebedev dans le même Znrn. Min. Nar. Pr., mars 1891, p. 213-261 ; A.-YV. l’echner, Chronick der evangelischen Gemeinden in Moskau, t. i b, Moscou, 1876.

Le prédicant Jean Rokita, d’origine tchèque et ancien membre de la communauté fies frères moraves de Poznan (consenior in unitate jralrum confessionis Bohemicse) vint à Moscou en 1570, nourrissant de grands espoirs d’y faire fleurir son Église fraternelle. Il fut pourtant déçu. Il obtint une audience solennelle le 10 mai 1570, juste quand Ivan le Terrible revenait des épouvantables tueries de Novgorod. Rokita n’ayant pas clairement défini à quelle dénomination religieuse il appartenait, Ivan attaqua surtout les doctrines luthériennes, au sujet desquelles, il faut le reconnaître, il avait acquis des idées assez claires dans ses discussions avec ses favoris luthériens. Il repiocha d’abord aux protestants la multiplicité de leurs sectes : « Des schismes et des confusions incessantes vous ont tellement brouillés les uns avec les autres que presque toute l’Europe se trouve bouleversée par vos dogmes. » La raison fondamentale de tant de désordres est que » Hus et Luther » enseignent sans mandat. Interpellant son adversaire, Ivan lui jette à la figure : « Toi aussi tu enseignes non suivant la vérité, tu ne peux pas faire de miracles, et tu n’as pas le droit de poser en serviteur de l’Évangile car tu n’as pas reçu de l’autorité légitime la faculté de te livrer à ce ministère. » Ivan n’admet pas la doctrine de la justification par la foi seule à l’exclusion des bonnes œuvres, « alors que le Seigneur, quand il viendra juger les vivants et les morts, rendra à chacun selon ses œuvres » ; puis il parle du jeune ; les prières des protestants, non animées de pénitence, sont « un marmottage vain et totalement inutile » ; enfin il les reprend en termes sévères de leur iconoclasme et de l’immoralité de leur clergé. Cette dernière accusât ion qui ne laisse pas de surprendre, quand on se rappelle ce qu’Ivan disait de son propre clergé au Stoglav, quelques années auparavant, n’est qu’une répétition de l’attaque classique contre le célibat du clergé latin. En somme, si le style est cru et la manière souvent inconvenante, il faut reconnaître qu’Ivan touche au fond de la question : il parle du principe du libre examen, de la justification par la foi seule, de la hiérarchie.

Il encouragea Rokita à lui répondre avec audace et avec entière liberté. On comprend que le prédicant polonais, qui savait devant qui il parlait, ait mesuré ses paroles avec une prudence consommée. Au lieu de parler de l’Église orthodoxe, il parla des latins auxquels il reprocha précisément ce qu’il désapprouvait chez les Moscovites : « Nous avons laissé l’Église romaine et nous rejetons les rites et les enseignements de ces perdus qui honorent des dieux faux et imaginaires » (l’objection classique contre le culte des images !) * Ils (les Romains, bien entendu I) nous reprochent la multiplicité de nos sectes et de nos divisions, alors qu’ils sont en état continuel de séparation avec l’Église orientale dont ils sont divisés à cause de leur orgueil. » Ayant rappelé la multiplicité des ordres religieux chez les catholiques, « ils prêchent de sévères pratiques et se couvrent du nom des saints Pères ; en réalité, ils ne sont que des loups en peaux de brebis et ils ne se soumettent à la loi divine que par avarice ». Ayant tracé un sombre tableau des vices du clergé : « Ce n’est pas des mains de telles personnes, ajoute-t-il, que nous acceptons l’ordination de prédicants, dignité reconnue par les païens eux-mêmes comme honorable et d’accès difficile, mais nous sommes députés par la communauté chrétienne elle-même. » Comme « miracle ». il avance le l’ait que lui-même, < un homme très humble », ait pu parler avec le tsar. La tin de sou discours est une attaque très vigoureuse contre le culte de Rome. Tel est le résumé du discours de Rokita ; nous ne le connaissons que par la réfutation qu’en fit Ivan le Terrible, mais nous sommes certains que le savant consenior polonais dut présenter ses thèses avec plus de profondeur. D’après ce résumé, il aurait plutôt attaqué les aspects extérieurs de l’orthodoxie et son manque de vie intérieure.

Rokita avait été habile, mais avec Ivan le Terrible, l’habileté et la finesse comptaient peu. Le tsar ne répondit rien ; il voulut avoir par écrit le discours de Rokita. Puis, il en écrivit une longue réfutation, la fit élégamment relier, orner de pienes précieuses et, peu avant le départ de l’ambassade qu’accompagnait le prédicant, la lui fit transmettre en en gardant copie. Cette Réplique du souverain est le monument le plus important de la polémique moscovite antiprotestante du xvie siècle ; disons aussi du xviie siècle. Elle fut imprimée alors en latin ; il y a une soixantaine d’années, le texte russe fut découvert et publié à Moscoi. L’ordre des chapitres varie un peu ; le « style » russe (si l’on peut se servir de cette expression pour désigner les éclats de voix d’Ivan le Tenible) est autrement nerveux que la traduction latine. Nous suivrons le texte slavon, quoique, pour la division des chapitres nous donnions les numéros de la traduction latine plus accessible.

Ivan le Terrible fait preuve de verve, de mémoire, d’abondantes lectures, d’une connaissance assez étendue de l’Écriture sainte. Il s’excite aisément et tombe alors dans l’invective et même dans l’insulte. Il ne faut pas lui demander de profondeur ni d’esprit de suite, car il était bien trop agité pour méditer longuement sur un sujet abstrait, mais son esprit est rapide et pénétrant. Il commence en interpellant son adversaire : Je te l’ai dit et je te le répète maintenant ; je ne veux pas discuter avec toi. Tu n’interroges pas pour chercher la vérité ni pour croire. Ainsi Notre-Seigneur nous a enseignés : « Ne donnez pas les choses sacrées aux < chiens, ne jetez pas les pierres précieuses aux porcs, ’c’est-à-dire ne livrez pas la parole sacrée aux chiens < infidèles. » L’exorde est ex abrupto, certes ! Pourtant, afin cpie Rokita « ne croie pas que je suis si ignorant des saintes lettres que je ne puisse le réfuter », Ivan a écrit ce traité monumental en quatorze chapitres. Tout Ivan tient dans cette phrase. Ici, comme lorsqu’il polémisait avec Kurbskij, il voulait à tout prix poser comme écrivain et comme théologien. Il était l’un et l’autre, mais en même temps d’une verdeur insupportable. Peu après ce premier paragraphe où il parlait de < chiens » et de « porcs », Ivan fait un calembour sur Luther : « Liut » en russe veut dire féroce : « C’est chose féroce que de s’insurger contre le Christ, pierre angulaire, que de mettre à néant ses préceptes divins, de découper l’enseignement de ses disciples et de ses apôtres. » Le ton varie peu. Un peu plus loin : « De même que le chef des démons s’appelle Satan, ainsi votre chef s’appelle Luther ; comme ses anges s’appellent démons, ainsi vous vous appelez prédicants. » Telle est la manière d’Ivan.

Il reproche volontiers aux protestants d’enseigner sans mandat ; ils ne sont donc pas des pasteurs. « N’étant pas entrés par la porte, vous vous êtes insclemment arrogé l’office de prêcher, aussi vous êtes des voleurs et des brigands. » (’, . n. Immédiatement avant cette apostrophe, sans se douter, bien sûr, de la portée de ses paroles, il avait écrit : « Il (le Christ, Bon pasteur ) a dit au suprême apôtre Pierre : « Je te donnerai i les clefs du royaume du ciel ; ce que tu lieras sur la i terre sera lié dans le ciel ; ce que tu délieras sur la « terre sera délié dans le ciel. » Plus tard, le divin apôtre Pierre reçut le pouvoir du suprême Seigneur de l mit es choses, le Christ : il l’a transmis à ses disciples et il a constitué par les villes des évêques, c’est-à-dire des visiteurs, qui parvinrent jusqu’à nous. » C. II, Il fallait que ce fût Ivan qui nous rappelât que les évêques d’aujourd’hui reçoivent leur autorité de Pierre I Plus loin, il affirme la nécessité de la tradition : Le Christ, en effet, sera avec ses apôtres jusqu’à la consommation des siècles. Matth., xxviii, 18-20. Il a prié non seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront à la suite de leur apostolat, Joa.. xvii, 20 ; cet apostolat est confirmé par des miracles. Marc, xvi. 17. Or, les saints Pères, successeurs des apôtres dans l’apostolat, firent de nombreux miracles. Cette idée que la véritable Église doit être confirmée par des miracles revient souvent dans la polémique moscovite antiprotestante. Ni les voyageurs catholiques (comme Possevino), ni les protestants, comme Massa, Olearius, ne font grand crédit aux merveilleux récits de miracles moscovites.

Puis Ivan, et ce n’est pas sans mérite pour un laïque, aborde les grands problèmes de la médiation du Christ, de la justification par la foi et de la nécessité des bonnes œuvres. Le fond de sa pensée se trouve surtout aux chapitres vi et xii de sa Réplique. Il proclame lui aussi sa foi dans la médiation du Christ que Rokita rappelait incessamment. Puis Ivan décrit la création de nos premiers parents, leur chute et la domination de la mort et du péché jusqu’au Christ, domination si absolue que même les justes de l’Ancien Testament (ces justes qui par la foi conquirent des royaumes !) moururent et descendirent en enfer. Vinrent alors l’incarnation et la rédemption. Les hommes furent délivrés par la grâce du Christ de la mort du péché et de la puissance du diable… Jésus-Christ, par son incarnation, sa mort sur la croix et sa résurrection, devenu pour nous malédiction (Gal., m. 13), détruisit la malédiction ; ayant détruit l’antique colère causée par Adam, il anéantit l’empire du démon, rendit à l’homme la liberté de faire le bien et le mal, comme avant le péché d’Adam ». En montant au ciel, il envoya ses apôtres et leur commanda de transmettre son message aux autres. C’est en ceci que consiste la médiation du Christ. C. xii.

Ivan trouve des expressions touchantes pour affirmer sa foi dans la médiation de la très sainte vierge Marie : « Sur la très sainte et très pure et toujours vierge Marie : ayant été trouvée digne de servir à l’accomplissement d’un tel mystère, elle retint dans ses entrailles, sans en être consumée, le feu de la divinité ; elle a contenu l’immensité divine ; par elle, nous avons été réconciliés avec Dieu ; elle a apaisé la colère de Dieu contre Adam. Mère, reine de toutes choses, et mère de Dieu, jouissant d’une confiance maternelle auprès de Lui, elle remplit notre insuffisance avec la grâce du Christ (comme dit le divin apôtre Paul : « la puissance du Christ se parfait dans l’infirmité », II Cor., xii, 9). « À elle, donc, protectrice et médiatrice de tout le peuple chrétien, nous adressons nos prières et nous implorons son aide, afin qu’elle supplie son Créateur et Fils, notre Dieu, pour nos péchés, pour que le Christ notre Dieu, par son intercession, nous concède de faire notre salut et de recevoir la récompense des biens éternels. » C. vi.

Les apôtres, les saints martyrs, les saints Pères intercèdent pour nous et c’est là la raison fondamentale de leur culte. Vers la fin de ce même chapitre vi, Ivan revient à la nécessité des bonnes œuvres et fait ce commentaire de Matth., x, 37, qui, dans sa bouche, ne manque pas de saveur :. La croix, c’est être crucifié au monde et aux choses de ce monde ; le crucifiement, c’est abandonner tous les désirs de ce monde : les bourgs (c.-à-d. les grands domaines peuplés de serfs), les propriétés et les richesses, la nourriture et la boisson, ne rien demander et ne rien choisir, mais se contenter de ce qui arrive avec une grande continence, avec force et prière ininterrompue ; c’est aimer ses ennemis et tous ceux qui nous ont fait du mal, prier pour ceux qui nous offensent et ne pas nous soucier à leur sujet. » Ici, comme dans sa fameuse lettre aux moines de Belozero, quand Ivan se piquait de prêcher la vertu, il arrivait à des hauteurs inattendues.

Mais il ne reste pas dans l’abstrait en parlant des bonnes œuvres. Les réformateurs attaquaient surtout la pratique du jeûne. Ivan en démontre la nécessité et décrit à cette occasion les jeûnes de son pays. Les protestants citaient volontiers les textes de l’Ancien Testament où Dieu réprouve les jeûnes hypocrites des juifs, par ex. Is., lviii, 3 sq. Ivan lui aussi réprouve les vaines pratiques des pharisiens.

Les raisons du culte de Notre-Seigneur et de la Vierge ont été indiquées. Ivan parle aussi du culte des images au c. xiii. Ayant rappelé les anciennes luttes iconoclastes il pose ensuite la difficulté classique : la prohibition de l’Ancien Testament, Ex., xx, 3-4. Il avait déjà longuement établi que l’Ancienne Loi était abrogée. S’impatientant maintenant, il envoie Rokita se faire circoncire. Puis il décrit l’idolâtrie, réprouvée dans l’Ancien Testament, et proteste contre la comparaison que l’on ose faire entre Notre-Seigneur et Apollon, entre la vierge Marie et Diane. Viennent ensuite les textes classiques et, ici encore, Ivan s’inspire manifestement de la tradition moscovite : Volokolamsk et Otenskij. Il y a les chérubins, l’arche d’alliance, la verge d’Aaron, les tables de la loi. Il y a encore l’image du Christ envoyée à Abgar d’Édesse. « L’hémoroïsse guérie de la blessure, elle coula en bronze une image (une statue évidemment !) du Christ à la mesure de sa taille ; cette image opéra beaucoup de miracles. » D’autres exemples encore. Il distingue ensuite entre idoles et images : « On érigeait des idoles en l’honneur d’impudiques, d’adultères, d’ivrognes, de brigands, de voleurs et d’autres ; les images chrétiennes représentent au contraire Jésus-Christ, la Vierge et les saints. Ivan avait déjà indiqué au cours de ce même chapitre que le culte se rend non pas à l’icône, mais à la personne représentée. Ici, pourtant, comme ailleurs, Ivan est loin de montrer la profondeur d’un Zénobe Otenskij par exemple ; il est trop nerveux, trop inquiet pour approfondir son sujet ; mais quelle verve et quel entrain ; quelle passion, même ! En recevant le riche manuscrit, Rokita devait se dire que toute dispute avec un pareil homme était inutile.

Au dernier chapitre de cette Réplique, il est question de chasteté, de vœux et de moines : « Ni le Christ, ni les apôtres ne furent mariés. Pierre eut une belle-mère, mais ce fut avant de suivre le Christ. À partir du moment où ils suivirent le Christ, les apôtres vécurent dans la chasteté. » La vie monastique tire aussi son origine des apôtres, Matth., x, 37-38 ; Marc, viii, 34 : Luc, xiv, 25-28, 33. Ivan cite encore Rom., vi, 3-14 et I Cor., vi, 12-20.

Le tsar avait permis à Rokita de parler en toute liberté. Il s en souvient maintenant et annonce solennellement au consentir qu’il ne le punira pas, mais, comme ses enseignements sont contraires à ceux du Christ, il lui est interdit de les propager en Moscovie. Nous laisserons de côté la Lettre à un inconnu contre Luther, éditée par l’archimandrite Léonide (Pamjatniki drevnej pis’mennosli, t. lx, 1886), et attribuée par lui à Parthène le fou, moine de Spaso-Evthimiev à Suzdal, vers le milieu du xvi » siècle. Le savant archimandrite n’a pas soupçonné que cette Lettre n’était qu’une rédaction de l’épître d’Ivan à Rokita. Nous laissons à d’autres le soin de comparer les deux écrits et de tirer les conclusions, peut-être intéressantes, d’une étude qui dépasse de beaucoup le cadre de cet article.

.1. Lasicki, De Russorum Moscovitarum et Tcirlurorum reliç ione. Spire, 1382 ; P. Oderborn, Joannis Basilidis magni Moscovite ducis vita, YVittenberg, 1585 (nouv. édit. de cet ouvrage dans Starczewski, Hist. ruthen. script, exleri sæc. XVI, Berlin et Pétersbourg, 1811) ; And. Popov, Réplique tin tsar Ivan Vasilevic le Terrible ù Jan Rokita (en russe : Otvêt), dans Clenija, 1878, n. 2. Jaroslav Bidlo, l’r. Jean Rokila chez le tsar Juin : le Terrible (en tchèque), dans Cesky Casopis Historicky, t. ix, 1903, p. 1-2.").

Les conditions des protestants, nous l’avons indiqué, s’améliorèrent encore sous Boris Godunov. Ils bâtirent une école qui, le 25 novembre 1602, comptait déjà 30 élèves. L’enseignement s’y donnait en allemand. Il est malaisé de suivre le mouvement protestant en Hussie. durant la crise révolutionnaire : on sait seulement que, parmi les Polonais qui suivirent Dimitii. se trouvaient un certain nombre de protestants. L’armée suédoise conduite en Moscovie par Pontus de La Gardie était, de toute évidence, entièrement protestante. Après l’avènement des Romanov, la communauté protestante connut des jours plus tranquilles. Les registres de baptêmes et de mariages commencent en 1620. L’église et l’école luthérienne existaient de nouveau à Moscou en 1621, peut être même avant, lai 1623. on ramassa parmi les étrangers la somme de 63 roubles pour bâtir une église commune à tous les étrangers protestants, luthériens et réformés, mais, dès l’année suivante, un pasteur anglais faisait bande à part et constituait sa propre communauté, lai 1629 les réformés ont déjà une église (mais sans école) et des communautés protestantes s’organisent dans toutes les villes principales de Hussie.

Les Moscovites, pourtant, regardaient les protestants avec une défiance d’autant plus éveillée que les Suédois faisaient alors d’énergiques efforts pour établir la Réforme dans les provinces (baltes, finnoises et russes) acquises par la paix de Stockholm. On imprimait des livres protestants en slavon. Sans doute, les vieilles éditions yougoslaves de Primus Truber (Urach, Tubingue, 1561, 1562), le catéchisme du calviniste devenu antitrinitaire Siméon Budny, imprimé à Nieswiez en 1562 et dédié au prince Nicolas Radziwill et d’autres écrits de ce genre semblent n’avoir guère inquiété les esprits dans l’empire des tsars ; il en fut autrement quand les Suédois imprimèrent à Xarva, en 1611 (1616’?), une Courte exposition de noire foi chrétienne el de noire service liturgique, écrite par J. Rubbeck et I. Palma. On établit une imprimerie slavonne à Stockholm en 1625 ; le catéchisme de Luther y fut imprimé en 1628. En 1633, les Suédois s’efforcèrent de constituer dans leurs provinces une métropolie autocéphale.

A Moscou, d’autre part, les étrangers devenus propriétaires ou patrons faisaient parfois travailler leurs serfs et leurs ouvriers les jours chômés (qui d’ailleurs étaient abondants !) et les empêchaient ainsi d’aller aux offices. Telle est du moins l’accusation qu’on leur faisait. On fit donc une loi interdisant aux « Allemands » de posséder des serfs et des terres ; ou détruisit aussi leur église qui était à l’intérieur de la ville el on leur donna l’ordre de bâtir plus loin. Ces étrangers vivaient à l’écart des Musses dont ils ne pouvaient visiter les églises : circonscrits dans leur ghetto (un ghetto bien tenu, sans doute I) ils ne pouvaient porter le costume national. Pour s’assimiler, depuis le concile de 1620, ils devaient se faire baptiser, mais alors ils entraient d’emblée dans la société russe qui se faisait très accueillante à leur égard. Si l’un des conjoints seulement se faisait baptiser, l’autre l’était également, de gré ou de force.

Nous avons rappelé le concile de 1620. À cette occasion aussi le rituel pour la réception des protestants dans le giron de l’Église oit hodoxe fut revu. Ils étaient baptisés de nouveau. I.a profession de foi qu’ils devaient prononcer, si elle était moins âpre que (elle des néophytes qui venaient de l’Église catholique, était pourtant complète et longue elle aussi. Ils devaient rejeter YYiclyfï, Jean Mus, Martin Luther avec leurs écrits, leurs conciles et leurs écoles, Calvin, Servel et leurs disciples Œorges Blandrata (unitaire, 1515 1585), Paul (Gregorius Pauli, anabaptiste), Alsted (Jean, 1588-1638). Lelius ( ?). Sotsinus (Fauste Socin, fondateur île l’hérésie socinienne), Frantseska (probablement Francesco Stancaro), les Davidovici (c.-à-d. les disciples de Franz Davidis) et les ministres de Seniigrad (en Transylvanie, centre îles antitrinitaires polonais ) : ils devaient maudire le synode de Lublin (lequel ? ) et ceux qui en acceptaient les décisions ; Yalentin Entilis qui est venu d’Italie (’?) : et encore rejeter les disciples de Luther et de Calvin comme Xcika et Gliana (probablement Zwingle dont le nom fut coupé en deux !).

Api es les personnes, les hérésies : la négation du monachisme, du sacerdoce, le mariage du clergé. Le néophyte doit encore rejeter « leur célibat et leurs concubines, toutes les kirki luthériennes et les curki calvinistes, dans lesquelles les uns font des diableries en se tournant vers l’Orient, d’autres en se tournant vers l’Occident, et d’autres prient couchés parterre. On maudit encore les azymes, le baptême par infusion, l’hérésie de regarder le cours des astres, la suppression des jeûnes, l’orgue dans les églises, le nouveau calendrier, l’iconoclasme. On reproche aux protestants de ne pas admet Ire le culte des saints, la confession, les prières pour les morts, les communions sans purification, etc.

Parmi les écrits composés en Moscovie vers cette époque (patriarcat de Philarète) citons le traité Contre les iconoclastes et contre toutes les hérésies perverses qui ont iu le jour à noire époque, composé par un certain Joannes Dux que Serge Platonov a identifié, assez heureusement, ce semble, avec le prince Ivan Mikhailovic Katyrev Rostovskij, connu par d’autres écrits sur la crise révolutionnaire. L’ouvrage, qui nous est parvenu dans un seul manusetit, a été édité par Pla-Innov en 1907. Il est rl’in’érèl secondaire. Un peu plus de la moitié traite du culte des images et de la sainte croix. Comme date de composition, Platonov suggère 1624-1633. Le même savant a noté, sans d’ailleurs s’y arrêter davantage, la ressemblance entre cet ouvrage et divers passages du Kniga Kirilovskaja. Il y a manifestement une source commune aux deux écrits. Faut-il l’identifier avec le Litovskij Prosvêlilel dont parle Kaptcrcv (Pravoslavnoe Obozrênie, 1887, n. l, p. 156-159, dans Tsvêtaêv, Protestantstvo, p. 646, note). Nous n’avons pas en main les éléments suffisants pour hasarder une solution de ce problème.

V.-I. Savva, S. -Th. Platonov et V.-G. Druzinin, Ouvrages polémiques contre les hérétiques du XVII’siècle, récemment découverts (en russe : Vnov otkrjftija…), dans l.èt. zan. (1905), t. xiii, Pétersbourg, 1907 ; on y trouve les écrits du prince Khvoroslinin, d’Ivan Katyrev Kostovskij.

Plus important est le rôle joué par le prêtre Ivan Yasil’cvic Nasedka. Moine à la laure de la Troilsa, il cou i ri hua a délivrer la Moscovie des armées polonaises. Après l’avènement des Romanov, il travailla avec son archimandrite Denys à la correction des livres liturgiques. Nous ne décrirons pas ici les fameuses controverses dans lesquelles il fut entraîné pour avoir supprimé dans la formule de la bénédiction de l’eau les paroles ; oanem (cl pai le feu). Il fut excommunié, emprisonné, mais, plus heureux que son supérieur Denys, il réussit à se faire rapidement libérer : il fut absous parmi nouveau concile et écrivit deux traités pour jus-I ilier sa correct ion.

En 1622 il lil partie d’une ambassade envoyée en Danemark et cul l’occasion de voir les protestants elleL eux. De retour en Moscovie, il rédigea sa volumineuse Expesition contre Luther (Izloienie nu Liutory) encore inédite. Il s’était inspiré sui tout d’auteurs occidentaux, blanc russiens et ukrainiens, car ici, tout comme pour la polémique antilatine, les occidentaux avaient ouvert la voie aux Moscovites. Le prêtre Basile d’Ostrog avait consacré aux protestants une partie importante de son ouvrage sur l’unité et la vérité de la foi orthodoxe. Cet ouvrage, bientôt traduit en russe, devint accessible aux savants moscovites. En 1602, un anonyme publia à Vilna un traité sur les images, la croix, la louange de Dieu, la louange et l’invocation des saints et sur d’autres articles de foi de la seule véritable Église en douze chapitres, dirigés surtout contre les différents « iconoclastes et ariens », c’est-à-dire contre les protestants de toute secte qui s’étaient multipliés en Pologne et en Lithuanie. L’ouvrage fut bientôt traduit en russe, peut-être par Nasedka lui-même, mais il ne fut pas publié tel quel. Nasedka lui ajouta trente-cinq chapitres tirés de diverses autres sources (psautier commenté, Flavius Josèphe, d’autres ouvrages de Russie occidentale). Nasedka avait beaucoup ajouté de son propre fond. Moins homogène et serré que le Traité sur les images, le nouvel ouvrage avait plus de variété. Ainsi Nasedka parlait de l’invocation des saints (c. xiii), du monæhisme (c. xiv), des églises et des mystères (c.-à-d. des sacrements) (c. xv), du clergé luthérien (c. xvi), des fêtes en l’honneur des saints (c. xvii), de la manière de compter les années, du canon des Livres saints et de la tradition (c. xxin), du baptême (c. xxiv), de la hiérarchie (c. xxv), du pain dans le sacrement de l’eucharistie (c. xxvi-xlv), de l’autorité des saints Pères et des conciles œcuméniques (c. xlvi), de la supériorité de l’Église orthodoxe (c. xlvii), du serment (c. xi.vin), et de la prosphora dans le sacrement de l’eucharistie (c. xlix). On remarque l’importance donnée à la sainte eucharistie dans cette étude. De fait, c’est là une différence fondamentale entre l’orthodoxie et le protestantisme. Vingt chapitres traitent de la seule question des azymes, ceci contre les catholiques ! Les arguments sont classiques. Les latins et les luthériens, paraît-il, reprochaient aux orthodoxes l’usage de la prosphora en disant que Jésus avait donné à ses apôtres du pain, non un sceau. Le polémiste explique que les souffrances de Notre-Seigneur, prédites dans l’Ancien Testament, furent rappelées au moment de l’institution par le Sauveur lui-même (Tsvêtaêv, Protestantstvo…, p. 618-619)- Tsvêtaêv nous dit aussi que Nasedka traita du moment de la transsubstantiation, mais il n’a pas cru utile de nous donner des détails à ce sujet.

L’Exposition contre Luther ne fut jamais imprimée, mais elle circulait en grand nombre de copies quand parut un Sobornik ou Recueil de discours choisis sur le culte et la vénération des icônes. Ce traité semble bien être le premier ouvrage de polémique antiprotestante qui soit sorti des presses moscovites. Il contient douze chapitres tirés presque uniquement d’anciens auteurs : Constantin l’orphyrogénète sur l’image achéropite ; deux lettres du pape Grégoire à Léon l’Isaurien sur les saintes images : le discours de Germain de Constantinople au même empereur sur le culte des images et de la sainte croix ; quatre écrits de saint Jean Damascène ; le Rouleau multiple (mnogosloznyj svilok) adressé a l’empereur Théophile, un récit sur les miracles de l’image de la Mère de Dieu appelée Romaine. Le seul slovo russe qui ait trouvé place dans ce recueil est un chapitre de Zénobe Otenskij que nous avons analysé ailleurs.

Deux autres recueils rendirent service aux polémistes antiluthériens : ce furent le Kniga Kirilovskaja dont nous avons déjà parlé, basé en grande partie (pour ce qui est de la polémique antiluthérienne) sur l’Exposition contre Luther. Nasedka prit une part importante à la rédaction de cet ouvrage. L’autre livre, le Livre sur la foi, était, nous l’avons dit, d’inspiration surtout occidentale.

Sur Nasedka, en plus des ouvrages généraux de Tsvêtaêv (voir col. 282) : A.-l Golubtsov, Sur l’auteur, ta date de composition, te but et le contenu de « V Exposition contre Luther (en russe : K uoprosu…), suppléments à l’édit. des ouvrages des SS. Pères f Pribavlenija…), 1888, t. XLII, p. 152 sq. ; A. Silov, Iurli ilei Nasedka (Ivan VasiieuiS), dans le Dictionnaire biographique russe (l’article est de 1914).

Les fiançailles de la princesse russe Irène Mikhailovna avec le prince Valdémar de Danemark furent l’occasion de nouvelles polémiques. Valdémar venu à Moscou (1641) pour affaires commerciales était renlré chez lui sans rien obtenir. On avait décidé à Moscou qu’il ferait un parti convenable pour la Mikhailovna. On s’empressa d’envoyer des ambassadeurs au Danemark pour demander le jeune prince en mariage, ce qui ne fut accordé qu’après l’assurance formelle de la part de Michel Feodorovic que Valdémar ne serait pas gêné dans la pratique de sa religion. Le prince danois s’était à peine installé au Kremlin (21 janvier 1644) qu’on lui proposa de passer à l’orthodoxie (8 février). Il refusa, allégua le traité et demanda à rentrer dans son pays. On lui répondit que l’ambassadeur qui avait négocié le traité n’avait pas eu d’instructions sur la question religieuse et qu’on ne pouvait, sans se déshonorer, renvoyer Valdémar chez lui. Il valait donc mieux, pour lui, se mettre simplement à l’étude et discuter avec des ecclésiastiques. Valdémar, qui partageait les vues de ses coreligionnaires sur la capacité intellectuelle des Moscovites, aurait répliqué. « Je suis plus instruit que tous vos popes ; j’ai lu cinq fois la Bible et je la sais par cœur ; mais si le tsar et le patriarche désirent une discussion, je suis prêt à les écouter. » Cinq jours après, le prince était convoqué chez le tsar et on l’invitait à obéir au souverain. Il répliqua qu’il était prêt à obéir jusqu’à l’clïusion du sang, mais qu’il ne pouvait être question de changer de religion. Trois jours après, Valdémar écrivit au tsar en l’accusant de manquer à la parole donnée. Michel subtilisait sur la lettre des conventions passées et Valdémar s’inquiétait. Le 21 avril, il reçut une lettre formelle du patriarche Joseph qui l’invitait, avec île nombreuses raisons à l’appui, à se faire baptiser. On passait à la polémique écrite 1

Cette lettre du patriarche fut rédigée, ce semble, par Ivan Nasedka qui se servit, en l’occurrence, de la lettre du métropolite Jean de Russie, du fameux et inépuisable 1 Iepi. Tojv pâyyo>v et enfin de sa propre Exposition contre Luther. Cette lettre fut souvent recopiée et courut en beaucoup de mains : le patriarche invite Valdémar à obéir au souverain et à se faire orthodoxe. Il rappelle l’union primitive des Romains avec les Grecs, la défection du pape suivie de la chute de tout l’Occident, enfin l’avènement de Luther et de Calvin, leurs écrits contre les évangiles et les conciles. Puis il aborde le point brûlant : il n’y a qu’un baptême qui se fait par triple immersion. Ainsi Jean-Baptiste baptisa le Sauveur, de même l’apôtre Pierre, suivant la description circonstanciée de saint Clément de Rome, baptisa les Romains. Il y a d’autres références encore à Clément de Rome et à Denys l’Aréopagite. Il ne peut donc pas être question d’un second baptême, puisqu’il n’y a qu’un seul baptême, mais Valdémar ayant été imparfaitement baptisé, doit l’être maintenant par triple immersion. Il n’y a pas de péché à cela ; mais si le prince est inquiet, « moi, l’humble patriarche avec tout le concile, je prends ce péché sur moi, et ce prétendu péché sera sur nous et non sur toi ».

Parmi les trois cents personnes de la suite du prince danois, se trouvait le pasteur Matthieu Velhaber. Ce fut lui qui rédigea la réponse du prince : il le lit dans un docte traité, précis, documenté, autrement serré et logique que l’écrit moscovite. Son travail était accompagné d’une lettre courtoise, où le prince rappelait les conventions passées, protestait de son obéissance visà-vis du tsar Michel, mais proclamait qu’il fallait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Afin que le patriarche ne crût pas que les protestants ignoraient leur religion, il présentait cette exposition en vingt et un chapitres.

La réponse russe, écrite encore par Nascdka, porte la date du 23 mai 1644 ; elle est fondée sur le Livre de Cyrille, le décret du synode de 1C20 que nous connaissons déjà, VExposilion contre Luther que nous avons étudiée, et quelques écrits des Pères. Les manuscrits en sont nombreux. Elle est loin d’avoir la précision et la science de l’écrit du pasteur protestant. Nasedka ne touche pas plus que celui-ci la question essentielle : le libre examen des textes bibliques.

Il affirme la nécessité de la tradition pour des raisons bizarres. Il faut accepter tout ce que disent les Pères, dit-il, car « l’Esprit-Saint agit sur eux comme sur les apôtres ». Ils firent « de grands prodiges et miracles, et sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, ils dirent beaucoup de choses extraordinaires et admirables, et l’opération du Saint-Esprit se manifesta en eux en toutes choses exactement comme chez les apôtres ». Nous avons là un critère qui nous mène loin. L’estime des protestants pour les conciles n’est pas suffisante. Les sept cornes et les sept yeux de l’agneau de l’Apocalypse qui sont les sept esprits de Dieu sont précisément les sept conciles. En plus de l’Écriture sainte, il faut aussi admettre des traditions orales, I Cor., xi, 2 ; IIThess., ii, 15 ; Tit., i, 5 ; saint Basile et d’autres (c. iv). On reprend quelques points de détail : les mariages mixtes étaient permis au début du christianisme afin de ne pas révolutionner l’ordre social (c. i) ; quant à l’eucharistie, il faut se servir de pain (khlêb) et non d’azymes qui ne sont pas du pain, puisqu’il leur manque le ferment qui représente l’âme et le sel qui représente l’esprit. La nécessité de l’eau dans le calice est prouvée par I Joa., v, 6 et Joa., xix, 34. Lors de l’institution de l’eucharistie, le Christ n’était pas encore crucifié ; son côté n’avait pas été ouvert et le mystère de l’eau n’avait pas encore été accompli (c. v). Le chapitre sur le culte des images est dans la tradition moscovite : distinction (peu clairement établie) entre icônes et idoles ; on reparle des images plus ou moins authentiques du Nouveau Testament (c. vin). Laissons de côté d’autres remarques et donnons la pensée de Nasedka sur le baptême. Les arguments de Velhaber ont porté et l’écrivain moscovite est embarrassé. Il s’obstine à prouver que le Christ fut trois jours et trois nuits dans le tombeau ; voici comment : le vendredi saint, de la sixième à la neuvième heure, ce fut la nuit (les ténèbres couvrirent la terre) ; puis ce fut le jour jusqu’au coucher du soleil. Il y a ensuite la nuit et le jour du samedi ; enfin, la nuit du dimanche fut transfigurée en jour par la Résurrection. Jean plongea le Christ dans le Jourdain, sinon, il aurait dû le baptiser sur la rive. Il cite Denys l’Aréopagite (c. xiii-xix). Au chapitre xx, il décrit le baptême (par immersion) de Constantin et de saint Vladimir.

Il y eut ensuite des disputes orales entre Vclhaber et Nasedka, d’autres encore entre Yelhaber et deux archimandrites grecs de passage. Il est difficile de se lier aux comptes rendus de ces joutes théologiques ; ceux de Vclhaber semblent moins embarrassés et plus sincères. Les (irecs tirent de la philologie allemande et soutinrent que tau/en voulait dire plonger dans l’eau par immersion totale. Vclhaber « répondit plus de cent fois que ce n’était pas vrai, et qu’il espérait savoir son allemand mieux qu’eux », que taufen vient de l’hébreu lava qui veut dire « poser un fondement ». Ces disputes étaient inutiles ; le pasteur protestant, désespérant d’ébranler les idées arrêtées de ses adversaires, de manda de ne plus continuer la discussion. Certains los covites semblent avoir été pourtant impressionnés : le

prince Siméon Sakhovskoj fut accusé d’avoir dit et même écrit qu’Irène pouvait épouser Valdémar sans péché. Il fut condamné pour cela à être brûlé vif, mais, suivant la miséricordieuse pratique du souverain, il fut seulement déporté dans un monastère. Le mariage n’eut pas lieu. Michel Feodoroviê mourut et Valdémar put enfin rentrer dans son pays.

A. -P. (iolubtsov, Les disputes religieuses suscitées par l’affaire du prince royal Valdémar et de la tsarevna Irène Mikhailovna (en russe : Prenija o vêre…), Moscou, 1891 ; du même, Monuments des disputes religieuses, dans Glenija, 1892, 2, p. xxvi-350 ; C. Nyrop, Nogle Oplysninger om Grei) Valdémar Krislians Ruslandsfærd (164$1-$2645), Copenhague, 1801.

Nous parlerons ailleurs (col. 308) des polémiques de Siméon de Polock contre les protestants.

Vers la fin du xviie siècle, alors que les protestants se multipliaient en Russie, d’autres écrits furent composés contre eux. Lebedev a fait une édition (d’ailleurs critiquée) de deux de ces écrits : le premier, attribué à Ignace, archimandrite de Novo-Spass (1684-1692) avant d’être archevêque de Tobolsk (1692-1701), se distingue par un ton décidément grossier. Pour le fond, c’est le traité classique sur le culte des saints et des images avec une addition (peu intéressante) sur la vie érémitique et la liberté humaine. Le second est plus intéressant, plus éloquent surtout. C’est un Discours contre les latins et les luthériens ; comment il ne convient pas de bâtir des églises et des kirki hérétiques pour eux dans le territoire de Moscou et dans toute la terre russe. Il exprime bien les inquiétudes des Moscovites de la vieille école à la vue des nombreux étrangers admis dans leur pays par Pierre le Grand et qui multipliaient, sous la conduite du jeune despote, les profanations les plus scandaleuses. Voir A. -S. Lebedev, Travaux polémiques anlilulhériens récemment découverts, dans Glenija, 1884, 3.

Il faudrait, pour être complet, parler encore des infiltrations protestantes dans la théologie russe par le moyen des prélats grecs ou des livres grecs envoyés à Moscou ; celles-ci se manifestèrent surtout après l’avènement de Pierre le Grand (1682), dans la seconde période de l’histoire de la pensée religieuse en Russie. La confession de Cyrille Lucar semble avoir eu peu d’influence en Moscovie. Pas davantage celle de Métrophane Critopoulos. Le seul épisode significatif doit être rattaché à la venue en Moscovie des frères Likhudi dont nous parlerons tout au long.

Outre les travaux déjà indiqués au cours de ce paragraphe, voir Joli. Uothwidus, Thèses de quiestione : utrum Muschovitie sint christiani, Leipzig, 1750 ; H. Dalton, Geschichle : derreformierten Kirche in Russland, Gotha, 1865 ; du même, Beitrâge zur Geschiehte der eoangelischen Kirche in Russland, 4 vol., Gotha, 1867, 1860 ; Berlin, 1898, 1905 ; Joli. Lasicki, De Russorum Mosconitarum et Tartarorum religione. Spire, 1582 ; N.-P. LikhaCev, Un étranger bienveillanl envers la Russie au XVI Ie siècle (en russe : Inostranets dobroielatel’…), dans Ist. Vest., juill. 1808, il s’agit de Johann Gottfried Gregori, pasteur protestant de Moscou ; A. Xikol’skij, Matériaux pour l’histoire de la polémique antiluthérienne en Russie du Nord-Est aux XVI* et XVII’siècles, dans Trndꝟ. 1864, n. 1, 2 ; M. Siricius, Religio Moscovitica, Giessen, 1661 ; Joh. Schwabe, Tsukrov Moskonskij sive dissertatio theologica de relig. ritibusgue Moscoinlarum, léna, 1665.

XV. Le patriarche Nikon ; le schisme des starovières (vieux-croyants). Concile de 1666-1667.

Une grave scission se produisit dans l’Église orthodoxe de Russie au milieu du xvir 3 siècle. L’occasion en fut la correction des livres et cérémonies liturgiques entreprise par le patriarche Nikon.

Api es la consécration du patriarche Philarète par Théophane de Jérusalem (1619), les hiérarques de l’Orient turc vinrent de plus en plus fréquemment quêter en Moscovie. Les simples moines ou dignitaires inférieurs et aient arrêtés à la ville frontière de Putivl, recevaient une aumône suivant leur rang et étaient renvoyés chez eux. Les patriarches, métropolites, archevêques et évêques, archimandrites et higoumènes et ceux qui savaient se tirer d’affaire arrivaient à Moscou où ils étaient les bienvenus, surtout sous le règne du pieux Alexis Mikhailoviè (1645-1676) dont la piété allait parfaitement d’accord avec de larges visées politiques sur tout l’Orient. Ces prélats affichaient assez volontiers un dédain hautain vis-à-vis des Russes qu’ils traitaient de grossiers, d’ignorants et d’incultes. A Moscou, un groupe, petit par le nombre, mais puissant à la cour, donnait raison aux prélats grecs et croyait qu’une réforme s’imposait. Le clergé inférieur, campagnard surtout, convaincu que Moscou était la troisième et dernière Rome depuis que les Grecs avaient perdu l’intégrité de la foi, se méfiait de ces visiteurs dont la conduite n’était pas toujours édifiante.

Depuis l’établissement définitif d’une imprimerie à Moscou (début du xviie siècle), les éditions des livres liturgiques s’étaient multipliées mais pas toujours avec l’uniformité requise ; les correcteurs avaient grande liberté (sauf pour le cas retentissant auquel nous avons fait allusion col. 279) dans le choix et l’impression des textes ; ils décidaient, par exemple, quels Russes pieux devaient être admis dans les diptyques ! Entre ces livres et ceux des visiteurs grecs, qui apportaient des euchologes imprimés à Venise ou ailleurs, les différences, quoique d’ordre secondaire, étaient nécessairement multiples. Nombreuses aussi les pratiques différentes qu’un trop long isolement par rapport à Constantinople ou un désir immodéré de pompe et de splendeur avait introduites en Russie. Tout un petit groupe, en Russie, désirait réformer l’orthodoxie moscovite en la rapprochant de la manière grecque. C’était la rendre plus œcuménique. Telle était en tous cas l’idée du tsar et de son confesseur. Nikon fut nommé patriarche (1652) précisément parce qu’il avait adopté les vues de son souverain et qu’il était homme à les mener à bout.

Quand Nikon eut abandonné le patriarcat ( nous avons traité de la question de Nikon dans un article séparé, t. xi, col. 646-655 ; on trouvera au même endroit une bibliographie suffisante sur l’illustre patriarche), et que la lutte entre le tsar Alexis Mikhailovic et lui s’accentua, Alexis crut bien faire en appelant à Moscou quelques-uns des anciens adversaires du patriarche déchu. Ainsi, le protopope Awacum qui, dans son exil de Sibérie, s’était fait une auréole de martyr, fut reçu à Moscou comme « un ange de Dieu » et logé… à l’imprimerie ! Sa prédication passionnée, le récit de ses terribles souffrances (enjolivé pourtant quelque peu), lui créa vite une très grande popularité. Il eut beaucoup de disciples, même dans la haute noblesse, et la femme du tsar passait pour lui être favorable. Parmi ses disciples les plus exaltés il faut compter les princesses Urusova et Morozova qui devaient acquérir une gloire impérissable dans la secte, pour la constante fermeté avec laquelle elles subirent les tourments pour leur conviction religieuse. Il faut d’ailleurs reconnaître que les starovières montrèrent souvent un courage magnifique. Parmi ces opposants moscovites, un des plus remarqués fut le protopope Nikita Pustosviat de Suzdal qui écrivit une longue réfutation du Skrizal ou recueil des réformes imposées par Nikon. Son écrit qui circula longtemps en manuscrit avant d’être saisi par la police défendait, entre autres doctrines, deux thèses qui valent d’être signalées : contre le Skrizal il maintenait la doctrine de l’immaculée conception avec des arguments quelque peu bizarres, nettement moscovites et tout à fait différents des arguments latinisants qu’on peut ire chez les théologiens kiéviens de cette époque. Il essaya aussi de démontrer que la transsubstantiation s’opérait, non pas par les paroles du Christ comme il l’avait cru lire dans le Skrizal, ni par l’épiclèse comme le prétendaient d’ordinaire les pravoslaves grecs, mais durant la proscomédie. C’était là, de fait, une opinion beaucoup plus répandue parmi les anciens Russes qu’on n’est porté à croire. Les premiers starovières, pour la plupart, y tenaient beaucoup. Ils n’étaient pas les seuls.

Concile de 1666-1667. —

Parmi les prélats qui y siégèrent se trouvaient Païse Ligaridès, le métropolite Théodose de Serbie et, à partir de la fin de 1666, deux patriarches de l’Orient turc et de nombreux métropolites et archevêques. Aussi on l’appela le Grand concile de Moscou. La première session eut lieu en février 1666. Le concile proclama tout d’abord que les patriarches grecs, quoiqu’ils vécussent sous la domination turque, n’avaient pas perdu l’orthodoxie ; puis on accepta comme orthodoxes les livres liturgiques grecs ; enfin on approuva le synode de 1654. C’était approuver l’œuvre de Nikon. C’était aussi porter un coup pénible à la thèse classique de Moscou la troisième Rome.

A partir de la troisième session, les chefs du schisme starovière furent successivement convoqués devant le concile. L’évêque Alexandre de Viatka qui avait relevé toutes les variantes entre le missel du patriarche Philarète et celui de Nikon fut’éclairé » et lit « sincèrement pénitence ». Awacum, lui, fut condamné et dégradé. Nikita Pustosviat, l’auteur de l’écrit contre le Skrizal, fit pénitence et fut pardonné jusqu’à sa prochaine révolte (il mourra exécuté lui aussi !). Le diacre Théodore et le moine Lazare se révoltèrent et furent condamnés à avoir la langue coupée, ce qui ne les empêcha pas, miracle ou non, de continuer à prêcher le raskol.

Le concile en même temps avait chargé le métropolite de Gaza, Païse Ligaridès, d’écrire une réfutation de l’écrit de Nikita Pustosviat contre le Skrizal. Ce travail de Ligaridès ayant déplu, la même commission fut donnée à Siméon de Polock. Celui-ci écrivit alors sa Verge de direction dans laquelle, entre autres choses, il défendit l’immaculée conception de la vierge Marie. Sur la transsubstantiation, il soutenait l’opinion catholique, quoiqu’à la fin de son paragraphe il ait aussi ajouté quelques mots sur l’utilité de l’épiclèse. La Verge de direction fut approuvée par le concile, et fut réexaminée l’année suivante, publiée au nom de tous, et solennellement recommandée par le patriarche.

Car, dès le début de novembre 1 666, deux patriarches orientaux (Antioche et Alexandrie) vinrent à Moscou, convoqués par le tsar pour procéder à la déposition du patriarche Nikon et en même temps pour délibérer sur la réforme liturgique. En plus des deux patriarches déjà nommés, cinq métropolites représentaient le patriarcat de Constantinople ; pour Jérusalem, il y avait Païse Ligaridès, métropolite de Gaza, et l’archevêque du Sinaï ; en tout vingt-neuf hiérarques, sans compter, bien entendu, les archimandrites, higoumènes, etc. Réunion imposante en vérité. Jusqu’au 12 décembre, il y eut huit sessions, toutes ayant trait à la déposition du patriarche Nikon : puis, on suspendit le concile.

Le 26 février 1667, il se réunit à nouveau, cette fois avec le nouveau patriarche de Moscou, Joasaph. Nous n’avons pas le procès-verbal des séances ; mais les décisions finales ont été conservées. L’intérêt théologique du concile est presque nul 1 On réprouva certaines pratiques introduites par Nikon (il avait interdit, par exemple, de donner les derniers sacrements aux malfaiteurs condamnés à mort et il avait introduit des miroirs dans les sacristies et les sanctuaires pour mettre barbe et cheveux en ordre…). On approuva de nouveau les livres liturgiques des conciles précédents. Le missel de 1667 fut examiné et approuvé officiellement par tout le concile et confirmé comme prototype de tous les missels futurs : « Et si un ange vient après nous dire autre chose, ne le croyez pas » (n. 24). On verra ce que le patriarche Joachim fera de cette interdiction. On approuva le Skrizal et on ordonna de l’avoir « en grand honneur à cause des nombreux raisonnements théologiques et mystères ecclésiastiques qu’il cou tient ». Cependant sa lecture n’est pas recommandée à tous, car les ignorants comme Nikita, Avvacum et Lazare s’y perdraient. On approuva de même la lettre de Païsc de Constanlinoplo à Nikon, imprimée dans le SkriZal et la Verge de direction (n. 27). Pour donner plus de force à ses décrets, le concile lit d’autres références encore à cet ouvrage, en sorte qu’on peut le considérer comme l’expression du grand concile de 16661667. On renouvela de même les prescriptions sur le signe de la croix, sur le nom de Jésus (Jisus et non Isus), le triple Alléluia, le nombre et la forme des prosphoræ. On approuva encore la correction (izpravlenie) du symbole, toutes les autres réformes, enfin, que le patriarche Nikon avait introduites. On condamna les écrits qui justifiaient l’attitude starovière : la légende du klobuk blanc (voir col. 218) dont ils se prévalaient pour mettre en doute l’orthodoxie des Grecs, le Sloglav (voir col. 264), la Vie de saint Euphrosyne de Pskov où il était question du triple Alléluia.

Parmi les décrets disciplinaires, le plus important était celui qui supprimait le Bureau des monastères (Monaslyrskij prikaz), établi en 1649 en dépit des saints canons. On supprima aussi la rebaptisation des latins. On fit comparaître encore les principaux dissidents devant le concile, et il y eut des scènes orageuses quand Avvacum, par exemple, se mit à maudire les patriarches orientaux et les évêques russes. Les principaux des réluctants furent envoyés en captivité au monastère de Pustozero, sur l’Océan arctique.

L’opposition à la réforme s’accentuait. Fameuse surtout fut la résistance du monastère de Solovki. Dès le 30 août 1657, les nouveaux livres avaient été introduits dans l’antique monastère, mais les moines, fidèles aux anciennes traditions, refusèrent de les accepter. Les pourparlers traînèrent jusqu’en 1066. En 1667, le tsar envoya une terrible lettre au monastère, le dépouillant de tous ses domaines et de tous ses privilèges et annonçant l’arrivée d’une compagnie de soldats (slrellsi). Les moines se proclamèrent confesseurs et martyrs, s’armèrent et, durant huit ans, jusqu’en 1676, opposèrent une résistance héroïque aux troupes de plus en plus nombreuses qui les assiégeaient. Les milliers de pèlerins qui venaient, durant ces huit ans, de toute la Russie pour faire leurs dévotions au sépulcre des fondateurs du monastère virent de leurs yeux les exploits formidables de ces moines incorruptibles qui voulaient conserver l’héritage de leurs aïeux sans se laisser corrompre par les « suppôts de l’Antéchrist » comme ils appelaient les nikoniens. Des réchappes du monastère parcouraient les rives de la mer Blanche, prêchaient leur évangile avec une ardeur de martyrs cl jetaient les fondements de ces nombreuses chrétientés starovières qui devaient se développer sur la triste Pomorie, sur les rives de la mer I Manche et de l’Océan arctique. Le monastère tomba enfin par trahison et les moines furent massacrés.

Les doctrines des starovières : Moscou, troisième Rome. — Ces dissidents tiraient les conclusions logiques de ce qu’on leur avait appris. Les Crées, leur avait-on répété, depuis la chute de Constant inople, avaient perdu la fleur de l’orthodoxie qui s’élail réfugiée dans l’empire moscovite. Avvacum s’écriait en parlant au tsar : « Laisse donc ce Kyrie eleison ; c’est ainsi que parlent les Grecs, crache sur euxl Toi, MikhailoviC, lu n’es pas grec, lu es russe ; parle ta langue natale. Comme Dieu nous a enseigné, ainsi il faut parler. Dieu ne nous aime pas moins que les Grecs. Par sain ! Cyrille et son frère, il nous a donné les livres saints dans notre langue. » Œuvres d’Awacum, dans Monuments…, col. 475. Les Russes, autocéphales depuis longtemps, méprisaient les prélats grecs qui scandalisaient la Moscovie avec leur trafic d’indulgences, de reliques, de fourrures aussi, par le désordre de leur vie privée et leur insatiable soif d’argent. Il était intolérable d’abandonner la glorieuse orthodoxie des thaumaturges de la terre russe pour se mettre à telle école. Au concile de 1667, Avvacum avait été vivement offensé d’entendre un évêque russe s’écrier : « Nos saints étaient des sots et ne savaient ni lire ni écrire, comment les croire ? »

On avait, de même, appris aux Russes que tout est immuable dans l’orthodoxie et que l’on ne peut en aucune façon introduire des nouveautés dans la forme extérieure des cérémonies. Le grand grief des grecs contre les latins avait été l’addition du Filioque au symbole, malgré les prescriptions du IIIe concile oecuménique (la question dogmatique ne venait qu’en second lieu). Or, ici, on avait bel et bien corrigé le symbole de l’aveu même des nikoniens. Les catalogues d’erreurs latines que chaque prêtre russe pouvait lire dans son Trebnik ne contenaient ordinairement que des pratiques externes sans grande importance ; ici, on touchait au nom de Dieu, au signe de la croix, à la croix elle-même, au sacrifice liturgique… Manifestement la foi venait de défaillir en Moscovie. Mais alors ? D’épouvantables conséquences se tiraient logiquement de ces prémisses. La troisième et dernière Rome est tombée. C’est maintenant le règne de l’Antéchrist.

L’eschatologie starovière. —

Malgré les brillantes études de Scapov et de ses disciples qui voient dans le raskol de 1666 un phénomène d’ordre social, nous sommes convaincus que, jusqu’à l’avènement de Pierre le Grand, ce fut un événement exclusivement religieux. La doctrine centrale était une croyance absolue à la venue prochaine de l’Antéchrist. Vers 1669, alors que les esprits à Moscou étaient surexcités par les rumeurs de plus en plus inquiétantes sur la fin du monde, le diacre Théodore, au nom de tous les prisonniers de Pustozero (Avvacum et les autres) écrivit une longue lettre à la communauté moscovite starovière pour préciser l’état de la question : il est prédit, disait-il en substance, que l’orthodoxie restera à Moscou jusqu’à la fin dos temps ; ainsi le veulent les éloges des patriarches grecs (Jérémie de Constantinople et Théophane de Jérusalem) et la légende du klobuk blanc. Aujourd’hui, ce n’est certes pas encore le dernier jour, mais c’est bien l’apostasie générale qui doit précéder la lin du monde. Mille ans après l’incarnation, le diable fut déchaîné, le dragon fut jeté du ciel en Occident et par sa queue (le pape) il entraîna dans sa chute le tiers des croyants (Apoc, xx, 2, 7 ; cf.xii, 4). Six cents ans après, la Petite-Russie laissa la foi. C’était l’union de lires ! (1596) et 1’ « hérésie n des « uniates ». Encore soixante ans, et Satan par son suppôt Nikon détruisit la foi en ( Irande -Kussio. Cette exégèse du chiffre de la bête apparaît dans fous les premiers théoriciens du raskol. Avvakum eut une vision de l’Antéchrist.

De là à préciser la personne de l’Antéchrist, la distance n’était pas grande. Nikon fut désigné par beaucoup comme remplissant ce rôle. On trouva dès lors un nombre infini de racontars à son sujet. Un Tartare lui avait prédit sa future destinée ; des saints moines avaient vu (1rs serpents rôder autour du palais patriarcal. Quand Nikon étail moine à Anzer, saint Éléazar avail eu de terribles visions a sou sujet. Nikon, on le racontait à voix basse, sortait tous les soirs avec le diable sur le lac de Thérapontov, près du monastère où il était enfermé captif, et causait avec lui. Même avant le concile de 1666, le moine Éphrem Potemkin avait annoncé que l’Antéchrist était déjà né », que le sceau sur les prosphoræ était le sceau de l’Antéchrist » et que le patriarche Nikon était « le mauvais lui-même ». Moscou était pleine de ces rumeurs, et on interrogea les « Pères » de Pustozero. Cette fois, ils répondirent séparément, car une brouille épouvantable y avait éclaté entre Avvacum et Théodore et les gros mots accompagnaient les anathèmes quand les deux chefs se causaient… Théodore répliqua donc que l’Antéchrist n’était pas encore venu et que Nikon n’était que son « proche précurseur ». Avvacum répondit dans le même sens. Nikon, disait-il, est né d’un Tartare et d’une femme de mauvaise vie. Or, les Tartares sont de la tribu d’Agar, tandis que l’Antéchrist doit naître de la tribu de Dan. On lança aussi, mais avec peu de succès, l’idée que l’Antéchrist était le tsar Alexis Mikhailoviè. En tous cas, presque tous les premiers starovières crurent fermement à un Antéchrist individuel.

D’autres crurent que l’Antéchrist était une abstraction, quelque chose de spirituel et d’intangible. Avvacum polémisa longtemps contre cette idée, manifestement entretenue par quelques inconnus et qui se fit surtout jour au concile starovière de Novgorod (1C94), où il fut décrété que « nous devons croire sans aucun doute et enseigner aux autres que, à cause de nos péchés, nous sommes arrivés à la fin du monde, que maintenant l’Antéchrist règne dans le monde, mais règne spirituellement dans l’Église visible ; il est assis sur le trône du Dieu vivant sous le nom de Jisus et il se montre comme Dieu ».

On attendit alors la fin du monde. Des calculs, plus ingénieux les uns que les autres, fixèrent la fin du monde pour 1674 ; un autre précisa 1(391 ; un troisième enfin, qui avait dans sa possession « un autographe écrit par le doigt de Dieu avant la création du monde », calcula 1692. Il s’appelait Cosme Kosoj. Il rassembla une armée pour « purifier la terre », fut pris, envoyé à Moscou et exécuté. Les passions étaient surexcitées par ces délires apocalyptiques. Les manuscrits les plus extraordinaires, où le dragon et ses œuvres étaient peints en couleurs flamboyantes (quelques-uns se trouvent aujourd’hui à la bibliothèque de l’Institut oriental de Rome), circulaient de main en main. On en arriva à la pratique la plus extraordinaire que des illuminés inventèrent jamais.

Le suicide collectif. —

C’est la même idée que celle de la fin du monde. Les temps sont arrivés : mieux vaut mourir que servir l’Antéchrist. Il est impossible de vivre au milieu d’apostats, de procréei des enfants qui seront en danger de se damner. Le gouvernement, d’autre part, appliquait déjà des sanctions brutales aux dissidents. « A Kazan, écrivait Avvacum, les nikoniens ont brûlé trente personnes, autant en Sibérie, six à Vladimir, quatorze à Borovsk. A Niznij-Novgorod, ce fut magnifique… Ils se précipitèrent eux-mêmes dans les flammes afin de conserver leur orthodoxie entière et immaculée et, ayant brûlé leurs corps, ils livrèrent leurs âmes à Dieu ». Le 6 janvier 1679, dix-sept cents personnes se brûlèrent vives à Tobolsk ; le 24 octobre 1C87, plus de trois cents s’enfermèrent dans les environs de Tiumen et, quand la police vint les sommer de se rendre, ils incendièrent leur refuge et périrent dans les flammes. Vers 1680 ou un peu plus tard, quatre ou cinq mille firent de même dans le gouvernement de Jaroslav, près de la bourgade de Romanov. Ces horribles pratiques commencèrent aussi dans le territoire de la Pomorie. Le 4 mars 1687, le moine Ignace se brûla avec deux mille sept cents personnes ; la même année, un autre moine du nom de Pinin en réunit un millieret se brûla avec elles. Il est difficile de préciser le nombre de ceux qui périrent ainsi. D.-I. Sapoznikov compta 8 834 personnes depuis le début du raskol jusqu’à la fin du xviie siècle, mais on note dans son étude une constante préoccupation de diminuer l’ampleur de ce phénomène ; d’autres ont parlé de cent mille, mais c’est là un autre extrême. Il est difficile d’établir des comptes même approximatifs.

Il va sans dire qu’une telle folie trouva bientôt des adversaires, même parmi les dissidents, d’autant plus que ceux qui la prêchaient ne la pratiquaient pas toujours. Un concile starovière réuni en 1691, auquel participèrent environ deux cents moines et beaucoup de laïques, condamna énergiquement tous ceux qui oseraient « se tuer par le feu, se noyer dans l’eau, s’égorger avec un couteau, ou se si icider de quelque manière que ce fût ». On interdit de les commémorer dans la liturgie, dans les pannikhides, dans les autres prières : on ne pouvait observer leurs anniversaires ou les inscrire dans les livres synodiques. L’adversaire principal des prédicants du suicide volontaire fut le moine Euphrosyne qui laissa un mémoire quelque peu confus, mais de style vivant contre ces abominables abus.

Il distingua entre les martyrs pour la foi et les suicidés. Le suicide est « > un acte diabolique », pratiqué par les seuls donatistes, « comme on peut lire chez Baronius ». Puis Euphrosyne examine les exemples allégués par ses adversaires. De fait, certains martyrs dans l’antiquité se donnèrent la mort de leurs propres mains, mais ce sont là des exceptions qui ne peuvent passer en règle générale. Puis, les objections réfutées, il passe a l’offensive. On l’attaquait à l’aide des écrits d’Avvacum ; mais c’était justement la mode, alors, de composer des écrits apocryphes et de les faire circuler sous le nom de l’illustre martyr. Il décrit ensuite, et avec quelle vivacité, l’immoralité de certains brûleurs qui commettaient des infamies sur leurs victimes en leur persuadant que tout serait purifié par le feu. Il tourne en dérision ceux qui ne pratiquaient pas ce qu’ils prêchaient, mais s’enrichissaient de l’héritage des brûlés, cai il ne manqua pas de gredins qui surent profiter de cette folie qui souillait alors sur le raskol. Reconnaissons pourtant que beaucoup de chefs se suicidèrent avec leurs ouailles.

Les controverses de Pustozero. — Nous avons rapporté comment Avvacum, Théodore, Lazare et Épiphane avaient été envoyés à Pustozero, où ils vécurent dans de grandes privations. Ils jouissaient cependant d’une certaine liberté et continuaient à envoyer de nombreux écrits à Moscou pour diriger les communautés naissantes du raskol. Bientôt, pourtant, une brouille violente les divisa. Voici comment le diacre Théodore qui est, de tous les intéresses, celui dont le compte rendu est le plus calme, raconte l’incident : < Le protopope Avvacum et le diacre Lazare commencèrent à confesser que la Trinité était sur trois trônes, et qu’il y avait trois dieux et trois essences ; Lazare disait qu’elle était en trois personnes et en trois substances. Ils disent que le Christ est un quatrième dieu, assis sur un quatrième trône ; mais ils nient en lui l’essence même de la divinité disant qu’une vertu descendit de l’hypostase dans le sein de la Vierge, mais que la nature même du Fils et du Saint-Esprit ne descendirent jamais du ciel ». Il n’était pas dans le caractère d’Avvacum de se laisser attaquer sans riposter. Il écrivit donc d’épouvantables invectives contre Théodore. Théodore essaya de se justifier. Il écrivit un cahier dans lequel il rassembla sa doctrine sur les points controversés. Ce n’était pas un petit mérite, car les livres n’étaient pas abondants à Pustozero. Avvacum, profitant du fait que le geôlier, pour une raison ou pour une autre, était monté contre l’infortuné Théodore, le fil arrêter : « Ils me saisirent, dit le diacre, et se mirent à me frapper violemment, sans miséricorde, avec deux grandes verges. Ils fouettèrent jusqu’au sang tout mon corps nu. Puis ils m’attachèrent les mains derrière le dos et me laissèrent dans la neige pendant deux heures. » Avvacum et ses amis regardaient et se moquaient du malheureux 1 Pendant ce temps on fouilla sa cellule et on lui vola son cahier.

Awacum en prit quelques passages seulement et, avec ces éléments, composa un violent écrit contre Théodore et répandit dans toute la Russie la nouvelle que le malheureux diacre était tombé dans l’hérésie, et qu’il étau", par conséquent, excommunié. Théodore chercha à se défendie. Il est franchement difficile de se faire une idée exacte de ces controverses, car Awacum ne se sentait pas à l’aise dans la terminologie théologique. Théodore est autrement précis et exact.

Sur l’eucharistie. —

Awacum et Lazare soutenaient que la transsubstantiation s’opère au début de la proscomédie ; Théodore développa au contraire la thèse catholique que la transsubstantiation s’opère lors des paroles de l’institution. À l’objection tirée des prostrations faites lors de la Grande entrée, Théodore répond : « Pendant la Grande entrée, on doit s’incliner, non pas devant la parcelle de pain, et devant le vin et l’eau, mais devant le Christ, Agneau vivant, invisiblement porté par les anges. » Il réprouve les nikoniens qui refusaient de se prosterner alors « à cause de leur orgueil diabolique ».

Sur la Sainte Trinité. —

C’était la controverse principale. Souvent, Awacum se sert de termes inadmissibles. La Trinité, dit-il, c’est « trois tsars indéfectibles, trinité de divinité égale, assise sur trois trônes, trois images, une nature, natures égales, trois natures, trois natures éternelles, trois hypostascs, trois rayonnements ». Monuments, col. 586. Comment discuter avec un homme qui se contredit si allègrement.

Ce qu’il dit des trois trônes semble bien être inspiré par une conception matérialiste de la Trinité. Pourtant, on ne sait jamais avec Awacum. Il ajoute plus loin : « Comme le Père est Père par sa personne, ainsi le Fils, ainsi le Saint-Esprit ; la Divinité n’est pas chose charnelle : je parle comme je le fais parce que j’ai une langue humaine ». Jbid., col. 589. Ailleurs pourtant il affirme : « Les trois personnes sont en toutes choses égales entre elles comme Pierre, Paul et Jean le Théologien ; ils sont trois, l’un à côté de l’autre, unis entre eux par l’amour de Dieu. » Col. 617. Plus loin, il précise davantage sa pensée qui devient intolérable : i Comme Pierre et Jean et Paul, trois hommes, n’ont qu’une nature humaine, ainsi Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit ; les trois ont une nature et essence divines. » Ce serait donc une unité spécifique, non une unité numérique ! Awacum, d’autre part, accusait Théodore de confondre les personnes, dans un seul mélange. Un peu plus tard, col. 631, il donne ses définitions d’essence, connature, nature, et substance. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il manque de clarté.

La christologie. —

a) L’incarnation. —

Awacum décrit comme suit la pensée de Théodore : « Il parle ainsi de la conception du Christ : le Christ entra dans la Vierge pai - l’oreille ; nous, au contraire, nous croyons ainsi au sujet de la conception du Verbe de Dieu suivant l’Écriture. Le prophète Gédéon (sic !) vit à l’Orient une perte fermée ; personne ne passait à travers cette porte sauf Dieu qui la scella en sortant. » Subbotin, Matériaux, t. vi, p. 349. Théodore n’est certainement pas responsable d’une sottise pareille. Peut-être avait-il dit que la sainte Vierge conçut à la suite de la parole de l’ange ; Awacum avait d’ailleurs l’habitude de mal comprendre ou de mal interpréter son adversaire qui, de son côté, résuma ainsi sa doctrine : « Un de la Trinité, le Fils de Dieu, descendit lui-même du ciel sur la terre dans sa propre nature Ineffable et. dans toute son immensité, il habita dans le sein de la très sainte Vierge Mère, prenant la nature humaine : et de la Vierge naquit le Christ, Dieu parfait et homme parfait ; à ce moment-là et toujours, il restait ru ciel, inséparable du Père. » Matériaux, t. VI, p.’. » 7. Awacum, au contraire, semble bien s’être exprimé comme le lui reprochait Théodore : « Le Fils, dit-il, sans se séparer du Père par sa nature, descendit du ciel par la vertu de sa qràce tout entier dans la Vierge pure ; il descendit par la grâce ; par sa nature, il était tout entier en haut, inséparable du Père. » Monuments, col. 618-619.

b) La descente aux enfers. —

Théodore se t ient à la doctrine catholique : après la mort du Christ, l’âme unie à la divinité descendit aux enfers et le corps, uni à la divinité, fut mis au tombeau. Awacum accusa donc Théodore de couper la divinité en quatre et d’en mettre partie au tombeau, partie en enfer, « partie au paradis avec le larron, et partie sui le trône avec le Père >. Ibid., col. 618. Évidemment, Awacum tenait à conserver les trois personnes sur les trois trônes 1 Pour lui, après la mort du Christ, l’âme s’en alla au Père, car on ne peut admettre que « l’âme sans le corps ait été en enfer ». Le samedi soir, la chair et l’âme réunies descendirent en enfer, en rompirent les portes et, le dimanche matin, le Christ sortit de l’enfer et en délivra les âmes des justes. Pour donner une idée du langage d’Awacum, voici la conclusion de cet écrit théologique : « Mais Théodore le Radoteur et tous ceux qui pensent avec lui, il est maudit, et il le sera, il le sera pour les siècles, le chien, le fils de p…. — -Awacum protopope. » Monuments, col. 649.

Awacum, de même, voulant à tout prix que le Saint-Esprit restât sur son trône au ciel, semble bien avoir cru que le jour de la Pentecôte il ne descendit sur les apôtres que par sa grâce.

L’altitude des starovières vis-à-vis des sacrements nikoniens. — Deux courants sont à distinguer : les uns admettent la validité des sacrements nikoniens. les autres la rejettent. De cette distinction naîtra la grande division de la secte en « sans prêtres » (bezpopovlsij ) et « avec prêtres » ( popovtsij). On sait qu’aucun évêque (sauf Pau] de Kolomna qui disparut bientôt ) ne suivit les raskolniks dans leur opposition aux réformes nikoniennes. le seul recrutement possible était parmi les transfuges du camp adverse qu’ils attiraient comme ils pouvaient. Ce n’est qu’au xixe siècle qu’une hiérarchie starovière stable put enfin se constituer à Relokrinitsa en Bukovine.

Le baptême nikonien rencontra vite des adversaires. Le diacre Théodore que nous connaissons déjà fut le premier à le rejeter : « On ne peut recevoir le baptême d’un hérétique ou d’un apostat de la vraie foi, parce que l’Esprit-Saint n’agit pas par des mains et des langues hérétiques ; le baptême hérétique n’est pas un baptême, mais une souillure. » Subbotin, Matériaux, t. vi, p. 202. Il explique ailleurs que les prêtres ordonnés par Nikon après la peste ou après le concile de 1666 ne peuvent administrer un baptême valide, « parce qu’ils font partie de l’armée de l’Antéchrist » ; aussi les prêtres nikoniens, ordonnés d’après le nouveau rituel, doivent-ils être rebaptisés quand ils viennent à la « vraie foi ». En même temps que le baptême, le sacerdoce disparaît. Il n’y a plus de fidèles sauf les quelques-uns qui se cachent « dans les déserts et les montagnes ». Il ne reste donc plus qu’à attendre la fin du monde. Théodore peut être considéré comme le >. sans prêtre » le plus résolu des origines.

Awacum fut plus large. Au début, sans doute, il avait approuvé la lettre de Théodore. Il avait écrit lui-même « aux malheureux de Moscou » : « On ne reçoit pas le baptême d’un prêtre ordonné d’après l’ancien rituel niais baptisant d’après le nouveau, ou celui d’un nouveau prêl re baptisant d’après l’ancien rituel ». Subbotin, Matériaux, t. v, p. 221 : Monuments, col. 825826. Sa doctrine évolua suivant les cas ; ainsi, il écrivait au prêtre Etienne que les enfants baptisés par les nikoniens ne devaient pas être rebaptisés, mais qu’on devait simplement suppléer les prières omises ; si pourtant on avait omis l’abjuration durant la première cérémonie, tout le baptême était à répéter. Enfin, dans une autre lettre, il accepte le baptême et le mariage conférés par les nouveaux prêtres ; il surfit de compléter les cérémonies omises en se servant des anciens livres. Lettre à Isidore, dans Monuments, col. 942-943. lême les laïques, en cas de nécessité, peuvent baptiser. L’eucharistie. — Il n’était pas facile de trouver des prêtres fidèles aux vieux livres. Avvacum fixa donc un rituel pour les laïques : « Allume un cierge devant l’image de la Vierge, mets sur la table une nappe, et mets-y un vase avec du vin et de l’eau dans lequel tu poseras une parcelle du corps du Christ. Prends l’encensoir, dis la prière de Jésus (Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur), encense l’image, les saints dons, toute la maison ; baise les icônes et la croix, et, te prosternant jusqu’à terre, récite la confession des péchés ; dis ensuite la prière : Perceplio corporis et Sanguinis lui, Domine Jesu Christe, quod ego indignus sumere præsumo… (il donne le texte slave), demande pardon en répandant ton âme, et ensuite, avec la bénédiction de Dieu, reçois le saint sacrement et prie Dieu pour toi-même et pour nous. » Monuments, col. 421-422. Ailleurs il donne un rite plus « oriental » car celui que nous venons de transcrire semble avoir été composé sous d’inexplicables influences latines. Ceci supposait que les rares prêtres starovières consacraient de grandes quantités de pain et que les parcelles sacrées allaient loin. On eut beaucoup recours à Solovki, par exemple, tant que le monastère tint bon et l’on trouvait dans toute la Russie des parcelles consacrées dans le fameux monastère. Sur le Don, un certain Dosithée consacrait des quantités immenses, car environ une trentaine d’années après sa mort, lors d’une perquisition faite sur les lieux où il avait vécu, la police trouva d’immenses quantités de prosphorse consacrées par le malheureux, et ses moines répétaient que Dosithée avait déclaré qu’il « y aurait assez de ce sacrement pour cent mille hommes pour cinq mille ans ». Dans les sectes qui n’avaient plus de prêtres, il arrivait que des laïques prenaient une petite parcelle du sacrement, la mettaient dans la pâte et recommençaient…

La pénitence. —

Avvacum recommanda la confession faite aux laïques, au cas où les prêtres manquaient : « Si, en cas de nécessité, vous ne trouvez pas de prêtre, confessez-vous à votre frère expérimenté et Dieu vous pardonnera, voyant votre pénitence’: communiez alors aux saints mystères ayant observé les saintes prescriptions ; gardez toujours les prosphoræ nécessaires. » Autobiographie, dans Monuments, col. 30.

Le mariage. —

Nous rencontrons toujours la même tendance ; les uns refusent tout ce qui vient du camp nikonien : croyant que l’on était arrivé à la fin des temps, ils refusaient de permettre aucun mariage. Avvacum se trouva dans la nécessité d’infliger une terrible pénitence à une certaine Hélène qui avait séparé Xénie Khrusèova de son second mari. Au prêtre Isidore, dans une lettre que nous connaissons déjà, il recommanda de reconnaître les mariages célébrés par les nikoniens, tout en infligeant une pénitence suivant leur force aux nouveaux convertis. Telle était l’opinion plus modérée. Mais les intransigeants, qui ne reconnaissaient la validité d’aucun sacrement célébré par les nikoniens, n’avaient plus de sacerdoce et de prêtres, tombèrent dans les plus graves erreurs à ce sujet. Un des documents les plus extraordinaires de ce groupe est le concile de Novgorod de 1694, qu’on trouvera dans l’ouvrage de Smirnov, Questions intérieures dans le raskol au XVIIe siècle, Pétersbourg, 1898, p. 41 sq.

Le concile de Novgorod de 1694. —

Ses actes furent signés par vingt-cinq « Pères spirituels » évidemment laïques, dont deux ne savaient pas écrire. Il promulgua vingt canons : après avoir proclamé que le règne de l’Antéchrist était arrivé, qu’il règne spirituellement et qu’il s’appelle Jisus et qu’il détruit l’Église, le concile proclame la nécessité de baptiser tous ceux qui viennent de chez les nikoniens. (Can. 2.) Ayant décrit le rite du baptême (can. 3), le concile passe au mariage et aux péchés charnels, ce qui constituait la plus grave de ses préoccupations. (Can. 4-17.) Les néophytes doivent être instruits que « notre véritable Église ne reçoit pas les gens mariés qui pratiquent la vie commune » ; ils devront vivre comme frère et sœur ; de même ceux qui se sont mariés avant le concile ; les Pères spirituels doivent veiller à cela. Ceux qui vont se marier chez les prêtres nikoniens ou qui, sans mariage, s’unissent avec la bénédiction des parents, sont excommuniés.

Les péchés charnels sont traités avec plus d’indulgence que le mariage. À la première naissance, il y a quarante jours de pénitence avec 400 métanies par jour ; la seconde faute est punie par un an, et la troisième par six ans de pénitence. Puis, c’est l’excommunication. Il y a aussi de longues purifications nécessaires pour purifier les aliments achetés au marché, le contact inévitable avec les nikoniens, etc.

Ces « sans-prêtres », privés de toute hiérarchie et de toute vie spirituelle basée sur la hiérarchie, tombèient bientôt dans les aberrations les plus fantasques d’un illuminisme grossier. Il serait intéressant d’étudier les rapports entre ce bezpopovstvo et les sectes mystiques qui ont souillé la Russie des xviiie et xixe siècles, quoique plusieurs de ces sectes étrangères semblent remonter à des époques bien plus reculées. Mais même parmi ces bezpopovtsy beaucoup gardèrent intactes leur piété et leurs bonnes mœurs. Ils colonisèrent de vastes provinces pour la Russie. Ils existent encore aujourd’hui.

La polémique antistarouière. —

Depuis le concile de 1666 jusqu’à nos jours, ce grand schisme de l’Église russe a servi d’occasion à la plupart des polémiques qui se sont développées en Russie. Les ouvrages écrits contre les starovières sont innombrables. Au début, pourtant, l’orthodoxie officielle sembla plutôt préférer avoir recours aux mesures de police qu’aux arguments. Parmi les traités écrits contre les starovières, nommons la Réfutation de la supplique des moines de Solovki du prêtre catholique Juri (Georges) Krizanic qui ne fut publiée qu’au courant du siècle dernier et la Réfutation de la supplique de Nikila Pustosviat duc à la plume de Païse Ligaridès, publiée en 1895. La Verge de direction de Siméon de Polock fut éditée en 1666, mais dès la fin du xviie siècle était tombée en défaveur. L’Exhortation spirituelle publiée au nom du patriarche Joachim par Athanase de Kholmogory en 1682, à la suite de la révolte des strellsi, connut un succès plus durable (éditions successives en 1751, 1791, 1882). L’ouvrage piincipal contre le raskol est le Rozijsk ou enquête, du fameux Dimilri de Rostov qui a connu beaucoup d’éditions jusqu’à nos jours. Il est à noter que les starovières ne pouvaient jamais répondre aux polémiques. Jusque vers le milieu du xixe siècle, ils n’imprimèrent que de rares ouvrages à l’étranger. Vers cette époque, ils établirent secrètement une lithographie et ainsi purent publier quelques traités. Ils ne purent ouvrir d’imprimerie qu’après l’édit de tolérance de 1905.

Documents.


La plupart des documents, historiques et littéraires ayant trait aux premières années du raskol ont été publiés par N. Subbotin, Matériaux pour l’histoire du raskol dans la première époque de son existence (Materialy dlja istorii raskola…), t. i-ix, Moscou, 1875-1895, dont nous nous sommes abondamment servis. Voir aussi.la. Harskov et P. Smirnov, Monuments de l’hist. des starovières au XVIIe siècle (Pamjatniki istorii…), dans liuss. Ist. Bib…, t. xxxix, Leningrad, ’1927 ; Ja. Harskov, Monuments des premières années du vieux-ritualisme russe ( Pamjatniki…), dans Liêt. zan., t.xxiv, 1911 ; Alex. B(rovkovic), Descripf.rfe quelques travaux écrits par les raskolniks russes (Opisanie…), Pétorsbourg, 1861 ;.la. Barskov, Monuments des premières années du mouvement vieux-croyant en Russie ( Pamjatniki…),

191 : 2 ; A. BoroSdin, Sources pour la première époque de l’htst. du raskol (Istorniki), dans Khr. Cten., 1888, n.1, 2, i’t 1889) n. 1 ; V. Driiz.inin, Écrits des starovières russes ; catalogue îles manuscrits établi d’après 1rs catal. imprimes îles collections de manuscrits (Pisantja russkikh), dans Lêt. tan., t. xv, 1912 ; 1*. Liubopytnyj, Calai, ou biblioth. de l’Église starovière, dans Ctenija, 1863, n. 1 ; P.-Th, Nikolavskij, Matériaux pour l’hist. du raskol (Malerialy…), dans Khr. Cten., 189°), n. 2 ; E.-V. Barsov a publié beaucoup de documents sur le raskol au xvir siècle dans les Ctenija de Moscou, surtout de 1889 a 1886.

Les manuels d’histoire du raskol.


Ils sont très nombreux. Nommons surtout I. Ivanovskij, .Manuel pour l’hist. et la réfutation du raskol des vieux croyants (Rukooodstvo. ..), 2e éd., Kazan, 1887 ; Mgr Macaire, Ifist. du schisme russe eonnii sous le nom de vieille foi ( Istorija russkago. ..), Moscou, 1855 (2° éd., 1858), souvent cité, mais vieilli ; [.-Th. Nil’ski.j, Leçons d’hist. sur le raskol russe (Lektsii…), Pétersbourg, 1886 ; K. Plotnikov, llist. du raskol russe île la vieille foi, 1° éd., ihiil., 191 I ; P. -S. Smirnov, llist. du raskol russe de la vieille foi (Istorija…), ildd., 189.") (c’est de beaucoup le meilleur manuel que nous connaissions).

En français, il faut avoir encore recours à A. LeroyBeaulieu, L’empire des tsars et les Musses, I. iii, Paris, 1889. En anglais, la monographie bien médiocre de F. Conybearc, Russian dissenters, Cambridge, 1921. Ne savant orientaliste a démontré encore une lois qu’on peut se permettre bien des négligences en parlant de la liussie, sans qu’on s’en aperçoive beaucoup dans le monde lettré en Occident.

.’i° Recueils bibliographiques. —

Nous n’en connaissons que deux : A. -S. l’rugavin. Le raskol et 1rs sectes : 1. BibliOQT. <le la vieille foi ri île ses dérivations (Raskol sektantstvo, I. Bibliogr…), Moscou, 1887 ; Th. Sakharov, Bibliogr. île l’hist. et de lu réfutation du raskol russe ( l.ilrralura islorii…), t. i, Tainbov, 1887 ; t. m et iii, Pétersbourg, 1892, 1900.

Questions particulières.


Les premiers docteurs du raskol : le protopope Awacum. Son autobiographie a été souvent publiée ; la meilleure édition es ! Bars ko V, Monuments. .., Leningrad, 1927, voir ci-dessus ; A. Borozdin, Le protopope Ai’næum (Prolopop A.), 2° éd., Pétersbourg, 1990 ; V.-A. Mjakotin, Le protopope Awacum, sa vie et son activité (Prolopop A.), ibid., 189 1 ; A. Spakovskij, Le docteur schismatique Awacum et ses ouvrages (Raskolniiilik. ..), Kisinev, 1870 ; Rud. Jagoditsch, Dus Lehen des Profopopen Avvakum, Berlin, 1930.

.Sur Néronov : Ph. -Grégoire Klipunovskij, Jean Neronov, dans ïzvestija de l’univ. de Kiev, 1886, n. 7.

Sur ikit i 1 ustosviat Supplique du docteur schismatique Nikita de Suidai (Celobitnaja), dans Ctenija, 1992, n. 2 ; N.-A. Dobrotvorskij, Le lieu de la sépulture de Nikita Pustosuiat, dans Ist. Vêst., janv. 1887 ; I. Rumjantsev, Nikita Kons. Dobrynin Puslosviat, Sergiev Posad, 1917, p. 658-385.

Sur Daniel : A. Yedenski.j, Daniel, protopope de KOStroma ( Kostromskij), dans Bog. Vêst., 1913, p. 811-8.") !.

Sur les moines de Solovki et leur révolte : les documents principaux ont été publiés, pour la première époque de la révolte, dans Subbotin, Matériaux, ci-dessus, et dans E.-V.

BarSOV, Documents ai/an.’Ira il a la révolte de Solovki (. kty…), dans Ctenija, 18811, n. I ; ceux-ci ont trait a la dernière période du siège ; Siméon Denisov, Lu vigne russe fVinograd. ..), Moscou, 1906 ; André Denisov, Histoire des Pères et <les martyrs de Solovki (Istorija…), Moscou, 1913. Comme élude, voir les grandes histoires de Soloviev ou de Mgr Macaire ; voir aussi la monographie de M. -.la. Syrtsov, La révolte des moines starovières de Solovki au XVIIe siècle (Vozmusrrnir…), l’ouvrage a paru dans le PraD. Sob., de Kazan, 1889-1881, et fut critiqué très sévèrement dans Khr. Cten., L883, n. 1, p. 7.". I sq.

5° Le suicide il lu première époque ilu raskol. E.-V.

Barsov, Rapport du vorvodr luri Solivanov d’Ustiug sur les suicides des raskolniks dans diverses localités du territoire

d’Vstiug (Donesenie…), dans Ctenija. 1882, n. : t ; Khr.

Loparev, le moine Euplwosyne : réfutation de la voie nouvellement trouvée du suicide ( Dlritsalrl’noe), dans Pamjatniki

drevnej pis’mennosti, t. cviii, 1895, recension de KliucevskiJ

dans Bog, Vêst., mars 1896. p. 190-199 ; I. Nil’ski.j, Quelques mots sur le suicide des raskolniks par le jeu (Néskol’ko slovo), dans Khr. Cten., 186’, n. : i ; D. I. SapoLnikov,

Le suicide par le jeu dans le raskol russe (Samosozzenic…), dans Ctenija, 1891, n..’i ; P. -S. Smirnov, L’origine du suicide par le feu dons le raskol russe ( Proiskhoïdenie…), dans Khr. Cten., 1895, n. 1, 2, cette étude entra plus tard dans le travail du même auteur. Dis< lissions intérieures dans le raskol au xvw siècle (Vnutrennye voprosg…), 1898 ; I.-Ja. Syrtsov, Le suicide par le jeu des starovières sibériens aux X VII’cl A" vil Ie siècles (Samosoïïigatel’stvo…), Tobolsk, 1889 ; Iv.FUipov, llist.de l’ermitage de Vygovsk (Istorija…), Pétersbourg, 1862.

La théologie primitive du raskol.


Voir surtout les articles de P. -S. Smirnov parus d’abord dans Khr. Cten., 1895-1897, puis repris dans l’ouvrage capital. Discussions intérieures dans le raskol au XVII’siècle.

Divers sur le raskol au XVli’siècle.


D.-S. Varakin, La correction des livres un XVIIe siècle sous l’ex-palriarche Nikon ( lspravlenie…), Moscou, 1910, ouvrage starovière ; V. Veriuzskij, Alhanase, archevêque de Kholmogorg (Athanasij. ..), Pétersbourg, 1908, le chapitre de cet ouvrage ayant trait au raskol se Irouve aussi dans Khr. Cten., 1900, n. 2 ; Gr. lleiden, De l’origine du raskol sous le patriarcal de Nikon ( 1 : istorii), Pétersbourg, 1886 ; E. Golubinskij, A propos de notre polémique avec les starovières (K naSej…), 2° éd., Moscou, 1905, dans Ctenija ; V.-G. Druzinin, Le raskol sur le Don « la fin du XVII’siècle (Raskol au Donu…), Pétersbourg, 1889 ; S. Kniazkov, Comment commença le schisme de l’Église russe (Kak nacalsja…), ibid., 1911 ; A.-N. Pypin, Le sgnodik des starovières (Staraobrjadreskij ), dans Sborn., f. XXI, 1881 ; V. Dmitrevskij, Le raskol de la vieille foi dans le pags de Rostov et Jaroslav avant l’i/mque île l’évêque Dimitri, métropolite de Roslov (Raskol staroobrjadëestvo…), .laroslavl, 1909. — Voir encore la bibliographie donnée à la fin de notre article spécial sur le patriarche Nikon, t. xi, col. 655.

XVI. Les théologiens kiéviens en Moscovie et LE DÉBAT SUR LA FORME DE L’EUCHARISTIE.

Durant la première partie du règne d’Alexis Mikhailovic, les influences grecques se font vivement sentir en Moscovie. Les prélats grecs — patriarches, métropolites, archevêques, moines de toute provenance — y viennent en véritable procession et y reçoivent, en échange de reliques plus ou moins authentiques, de substantielles aumônes. Sous leur influence, d’accord avec son patriarche Nikon, le tsar inaugure une correction des usages liturgiques et des livres sacrés qui, conduite maladroitement, donne origine au raslwl. Il permet aux prélats grecs de s’immiscer à leur guise dans les affaires de l’Église russe. Jamais l’Église de Moscou ne mont ratant d’humble soumission vis-à-vis de Constantinople que durant le règne d’Alexis. Mais, vers la fin de sa vie, tombé sous d’autres influences, celle de la famille de sa seconde femme surtout, Alexis, quelque peu désenchanté des Grecs, favorise tellement les idées occidentales que le bruit se répand en Occident que le tsar était prêt à travailler à l’union religieuse de l’Église russe avec l’Église catholique. Le 20 septembre 1682, l’envoyé de Pologne, rappelant sa mort survenue quelques années auparavant (1676), écrivait : « Au lit de mort, il se repentit que l’union avec l’Église romaine n’ait pas été consommée durant sa vie ; mais les prêtres schismatiques couvrirent de leurs murmures désapprobateurs ces désirs exprimés par l’agonisant. » Nous parlerons, dans ce paragraphe, de quelques mus de ces influencer théologiques occidentales.

Parmi les voyageurs étrangers qui exercèrent quelque influence catholique et occidentale sous Alexis .Mikhailovic. nommons d’abord Païse Ligaridès et.luri Kri/aniè. Païse Ligaridès (voir son article, t. ix, col. 7 l9-7.">7 1 lut pendant quelque temps l’ecclésiastique le plus en vue a Moscou et Alexis Mikhailovic se ser il de lui pour faire déposer le patriarche Nikon, En dehors de cet épisode qui contribua beaucoup à conso lider le césaropapisme en Moscovie, l’influence intellectuelle de Païse semble avoii été à peu près nulle. Il étaii d’ailleurs un sujel peu recommandable ; changeant « le religion suivant les pays et les circonstances, cet aventurier, d’une conduite douteuse, laissa mauvais souvenir en Moscovie comme partout ailleurs. Les ouvrages qu’il écrivit alors restèrent à l’état manuscrit. Ses réponses au boiar Stresnev, son histoire du concile de 1666-1667 et sa réfutation du traité starovière de Nikita Pustosviat ne virent le jour que dans la seconde moitié du xixe siècle.

Juri Krizanic. —

On a écrit beaucoup sur Juri Krizanié au cours du siècle dernier. Le célèbre panslaviste croate, qui persista dans ses idées à travers les vicissitudes les plus extraordinaires, a trouvé des admirateurs en France, en Allemagne, en Hollande, dans son propre pays, et surtout en Russie. Né en 1617, Krizanic’se fit admettre à Rome au collège grec de Saint-Athanase ; après y avoir terminé ses études, ayant ensuite fait un court stage dans son pays natal, il commença sa vie errante. On le voit d’abord en Russie, puis a Constantinople ; il revient à Rome, où il imprime sa Bibliotheca scliismaticorum universel, puis repart pour Moscou où il s’offre au tsar Alexis pour faire des travaux de philologie ; mais on se méfiait trep du prêtre catholique (Krizanic était autrement intègre que Païse Ligaridès) pour lui confier une mission comportant une telle responsabilité. Peu de temps après son ai rivée à Moscou, on l’envoya à Tobolsk, en Sibérie, où il passa quinze ans (1661-1676), fournissant une production littéraire des plus fécondes. En 1676, il fut transféré à Solovki, dont la résistance avait été enfin écrasée par les troupes de Mesèerinov. Les anciens moines, contre lesquels Krizanié avait écrit sa Réfutation étaient dispersés, et un personnel nouveau était installé dans l’antique monastère. Ceci lui sourit peu, aussi il demanda et obtint du tsar Feodor Alexeêviè, récemment couronné, de rentrer en Occident. II se fit dominicain en Pologne, niais, après peu de temps, son caractère trop indépendant lui causa de graves difficultés avec les supérieurs de l’ordre. Il se mit en route pour Rome, mais mourut pendant le voyage, on ne sait trop dans quelles circonstances (1682). Sis ouvrages n’ont vu le jour qu’au cours du siècle dernier.

P.-A. Bezsonov, 1.’fit al russe au milieu du XVIIe siècle (Russkoe…), 2 vol., c’est la Politika de Juri KriLaniê. Il revint sur ce sujet en une série d’articles dans Prav. Sob.. 1870 ; M.-N. Berezkov, Plan de la conquête de Crimée, élaboré par Juri Kriïanié, dans Ëurn. Min. Sur. Pr., oct., nov. 1891 ; V.-A. Bilbasov, Juri Krizanic : Données nouv. tirées des arch. de Home, dans Russ. Starina, déc. 1892 ; A. Brtickner, Juri Krizanië, sa vie et son activité litiêr., dans Bog. Vêst., 1887, n. 6, 7 ; S.- A. Belokurov, Juri Krizanic en Russie, dans Ctenija, 1903, n. 2 (p. 1-210) et 3 (p. 1-306) ; V. Val’denberg, L’idée politique de Juri Krizanic (Gosudarstvennaja. ..), Pétersbourg, 1912 ; P. Pierling, Données nouvelles sur Juri K. (Xovoe…), dans Russ. Starina, févr. 1901 ; V.-l. Piceta, Juri Krizanic. Ses vues économiques et politiques, Pétersbours, 1911 ; M. -G. Popruzenko, Quelques remarques sur les ouvrages de J. Krizanic, dans Izv. Otd., 1897, n. 2 ; S.-K. Smirnov, La réfutation de la supplique île Solovki » ar le pope serbe Juri Krizanic ( Serbskago popa…) dans l’ribavlenia k izd. tvorenji sv. Otzov, 18(>0 ; M.-I. Sokolov, (*/i nouveau travail de Juri Krizanic sur l’union des Églises I Xovo-otkrglnoe), dans iurn. Min. Nar. I-r., avr.-mai 1891 ; A. -A. Titov, La Sibérie au XVIIe siècle, Moscou, 1890 (Sibir…) ; Ph. Titov, Juri Krizanic n’était pas un slavophile, mais il n’était qu’un agent de la propai/ande catholique en Russie au milieu du XVII’siècle (Juri Krizanic…), dans Trudg, 1903, n. 1, cet ouvrage est une recension de Belokurov, La vie spirituelle de la société moscovite an XVII’siècle ( Iz dukhovnoj. ..), Moscou, 1903, où il était beaucoup question de Krizanic ; Bug. Smurlo, Jurij Krizanië ( 1618-1683), Panslavista o Missionario ? Rome, 192(5 ; V. Jagic, La vie et l’œuvre de Juri Krizanié (en croate : îivol i rad Jurja K.). Zagreb, 1917, ouvrage monumental de 510 pages, auquel le P. Pierling a consacré un chapitre dans le t. iv de son grand ouvrage, La Russie et le Saint-Siège. Voir enfin H.-J.-A. Van Son, Autour de Krizanic. Étude iiist. et linguist. , Paris, 1934.

Païse Ligaridès et Juri Krizanié étaient des isolés qui n’exercèrent pas une influence notable sur le développement de la pensée religieuse en Moscovie. Beaucoup plus importante fut l’action des lettrés ukrainiens ou blanc-ruthènes qui vinrent à Moscou, soit pour de brèves visites comme Gisel, Baranoviè, Galiatovskij, Monastyrskij, soit, surtout, pour y passer leur vie ou, pour nous approprier l’expression moscovite, « pour la vie éternelle ». Voir sur eux : H.-V. Kharlampoviè, L’influence malorusse sur la vie ecclésiastique de la Grande-Russie (Malorossijskoe…), 1. i (seul), Kazan, 1914 ; cet ouvrage capital est indispensable pour l’étude de ce paragraphe, comme pour le suivant : sur l’Église russe à l’époque de Pierre le Grand.

Parmi les plus fameux, nommons tout d’abord Épiphane Slavineckij et Siméon de Polock. Mais ces noms plus illustres ne doivent pas nous faire perdre de vue la multitude de moines, de chantres, d’artisans, de maîtres d’école, de prêtres qui vinrent en Moscovie et, plus cultivés que le clergé local, exercèrent sur lui une profonde impression.

Épiphane Slavineckij. —

On attend encore une bonne monographie sur Épiphane Slavineckij, car les travaux de Pevnickij et de Rotar sont loin d’être satisfaisants et Kharlampovic n’a pu encore résoudre tous les problèmes. On ne sait même pas exactement quand il naquit. Il étudia à Kiev, dit-on, mais avant la réforme de l’académie par Mohila. Il s’en alla ensuite, paraît-il, quelque part en Occident. Enfin il se fit moine, revint à Kiev et, en 1649, fut envoyé à Moscou où il lit excellente figure. Sa production littéraire est extraordinaire. On compte bien cent cinquante travaux qui lui sont dus, dont la plupart, il est vrai, ne sont que des traduct ions..Malgré l’indépendance de son caractère - - lors du premier procès conl re le patriarche Nikon (166U), il eut seul le courage île s’opposer à ceux qui, sous la pression du tsar, exigeaient la déposition et la dégradation du malheureux prélat tombé en disgrâce, et il sut faire prévaloir son avis — il n’eut jamais de difficulté à Moscou. C’est que, hormis ce cas exceptionnel, il faisait son travail sans s’occuper de polit Lque. Plus que théologien, il était philologue. Il fit d’abondantes traduit ions et il a laissé un dicl ionnaire intéressant (grec-slave-latin). Il fut orateur, mais le contenu dogmatique de sa prédication, d’après Pevnickij, semble avoir été maigre. Son disciple Euthyme rapporte une violente dispute entre lui et Siméon de Polock au sujet du moment précis de la transsubstanl iation, Siméon de Polock, nous y reviendrons, défendait la doctrine que les Russes appellent aujourd’hui occidentale, mais que nous qualifierions simplement de catholique : que la transsubstantiation s’opère par les paroles du Christ (nous parlons de sa cause formelle). Épiphane, toujours d’après Euthyme, répliqua que cette doctrine était fausse, car les Pères orientaux lui étaient contrains et il cita les liturgies de saint Basile et de saint Jean Chrysostome, « Siméon : « Est-ce un péché de < suivre renseignement occidental ? » (L’insistance à mettre ce terme dans la bouche de Siméon nous pousse à douter de la véracité d’Euthyme et même de l’authenticité de ce fragment.) — Épiphane : « Quiconque pense " ainsi est hérétique. » — Siméon : « .Mais à Kiev, tous « nos érudits russes pensent ainsi : que le pain et le vin " sont changés au corps et au sang du Christ par les « seules paroles du Christ. Commettent-ils un péché en « pensant ainsi ? » ----- Épiphane : » Nos Kiéviens ont « étudié et étudient encore seulement en latin, ils ne « lisent que les livres latins et c’est là la cause de cette « doctrine. Ils ne savent pas le grec et ils pèchent gravement à ce sujet ; c’est la une hérésie latine. » (Osten., p. 71-73). » Plusieurs savants russes, notamment Sliapkin ont douté de l’authenticité de cet épisode. Il est difficile d’imaginer une dispute aussi violente en 1675 ou 1676 (c.-à-d. sous le patriarcat de Pitirim). Euthyme, jusqu’à l’arrivée des Likhudi, défendait lui aussi l’opinion occidentale, aussi populaire alors à Moscou qu’à Kiev. Il est suggestif que dans la première rédaction de son Instruction aux prêtres il ait déclaré comme tout le monde que la forme de l’eucharistie consistai ! dans les paroles : « Prenez et mangez… » Nous ne pouvons pas imaginer qu’il ait abandonné son maître Épiphane et suivi Siméon de Polock, qu’il détestait d’ailleurs cordialement, afin d’embrasser sur une question théologique de toute première importance une opinion proposée « par les Latins » et qualifiée par Épiphane de « grand péché ». Il y a là une contradiction qui saute aux yeux. Plus tard. Euthyme, devenu champion de la doctrine likhudienne, publiera tout un traité sur la transsubstantiation, qu’il attribuera à Slavi neckij. Il n’est pourtant pas impossible, à cause d’une remarque de Silvestre Medvêdev, qu’Épiphane, à la lin de sa vie, se soit rallié à la thèse del’épiclèse (Manna, édition Prozorovskij, p. 504). Ceci, comme presque tout ce qui touche au savant kiévien, n’a pas encore été éclairci. Le désordre dans lequel les bibliothèques ont été plongées en U. R. S. S. ne permet pas de prévoir que cette lacune sera comblée dans un proche avenir.

K. Kharlampovië, L’influence malorusse… (supra, col. 306), p. 121-1 10 ; V. Pevnickij, Épiphane Slavineckij, un des écrivains principau.x de lu litlér. russe au XVIIe siècle, dans Trudij, 1861, n. 2 et 3 ; Iv. Rotar, Épiphane Slauineckij, écrivain du XVII’siècle, Kiev, 1901, ee travail a paru d’abord dans Kievskaja Starina, en général, il fut sévèrement critiqué (Kharlampovië, p. 122). — Le dictionnaire gréco-slave-latin a été décrit dans Isl. Otd., mai 1880, p. 216, comme rareté bibliographique ; Sobolevskij, dans Perevodnaju lileratura moskovskoj Rus., t. xiv-xvii, p. 121, a nié qu’il ait été composé par Épiphane. On trouvera la liste des travaux de Slavineckij dans la lettre du moine Euthyme (15 mai 1676) publiée par V.-M. Undolskij, dans Gtenija, t. ii, n. 4, p. 69-72.

Avec Siméon de Polock nous sommes sur un terrain plus sur. Celui-ci exerça, du reste, une influence plus profonde qu’Épiphane. Siméon naquit à Polock en 162 !), étudia à l’académie de Kiev, puis, suivant une habitude assez répandue parmi les élèves de l’académie kiévienne, il alla compléter ses études dans les écoles polonaises, peut-être chez les jésuites. Plus tard, on l’accusera d’avoir été uniate. Ses professeurs, en tous cas, furent les « Révérends Pères » Casimir Koratowiez. Z. Zaluski, Ladislas Rôdzinski. Il semble avoir obtenu le grade de docteur en théologie. Le fait est que, toute sa vie, il montrera une vive sympathie pour la théologie catholique. Il prit l’habit monastique à Polock en 1656 et enseigna dans l’école adjointe au monastère de l’Epiphanie. Il y salua le tsar Alexis Mikhailovië, quand le souverain moscovite promena ses armées victorieuses en Russie Blanche. Vers la lin de 1659, il mena douze élèves visiter Moscou où il revint en 1663, cette fois « pour la vie éternelle ». Il exerça bientôt une profonde influence sur la vie inlel lectuelle de la Russie. Deux ans après son arrivée a Moscou, il y ouvrit une école (1665) où i 1 n’eut au début que quatre élèves, dont l’un, Siméon Medvêdev, alors jeune employé dans les chancelleries du tsai, (levai I plus tard s’illustrer sous le nom monastique de Sil vestre. On y faisait du latin, de la poésie, de l’élo quence. On s’y initiait aux disputes théologiques a la mode occidentale. Sous l’influence de Siméon, Medvè dev prit goût aux mystères de la théologie scolastiquc et lit la connaissance des ouvrages théologiques des maîtres occidentaux qui devaient donner une tournure si catholique à sa pensée. Siméon, en même temps qu’il était maître d’école et une sorte de poète lauréat. acquit une place plus en vue en devenant l’interprète de l’aise I.igaridès en diverses circonstances Importantes. Au concile de 1666 dont il nous a laissé une histoire précieuse écrite en polonais, il eut l’occasion d’exercer une influence décisive sur la théologie moscovite, en écrivant contre la supplique de Nikita Pustosviat, sa Verge de direction qui marque une date dans l’histoire de la théologie en Moscovie. Voir ci-dessus, col. 302.

Vers la fin de sa vie, surtout en 1677, Siméon écrivit un certain nombre de tiaités contre les protestants : sur les âmes des saints, sur l’invocation des saints, le culte dû aux icônes, aux reliques, à la croix, sur l’aide à procurer aux défunts, sur la tradition ecclésiastique et la lutte contre les démons. Aucun de ces traités, que je sache, n’a encore été publié. Siméon n’a pas, à ma connaissance, écrit de traité antilatin. Intéressante, au point de vue dogmatique, est sa Couronne de la foi catholique encore inédite, qui est une exposition des principaux dogmes orthodoxes et dont on a dit que « si Siméon ne tombe pas dans le latinisme, il ne l’attaque guère ». Siméon composa aussi un abrégé de cette Couronne de la foi sous le titre de Petit catéchisme.

II fit beaucoup pour mettre la prédication en honneur. Ses recueils de sermons, Soirées spirituelles (Moscou, 1683) et Repas spirituel (Moscou, 1681), publiés après sa mort par Medvêdev révèlent un beau talent oratoire, une sûreté de doctrine peu commune chez un orthodoxe de cette époque et, autant que nous pouvons en juger, un style brillant. Le Repas spirituel est un recueil de sermons De tempore ; les Soirées spirituelles sont des panégyriques pour les jours de fêles. On remarquera surtout, parmi ces dernières, les magnifiques panégyriques sur la sainte Vierge qui mériteraient une étude spéciale. L’orateur russe, se rapprochant d’auteurs occidentaux, plane à des hauteurs peu communes. L’œuvre imprimée et manuscrite de Siméon fut condamnée presque entière par le patriarche Joachim au concile de 1690.

K. Kharlampovië, L’influence malorusse (supra, col. 306), surtout p. 379-393 ; A. Beleckij, Les premières années de l’activité littéraire de Siméon de Polock (Iznacal’nukh têt…), dans Sbornik, t. ci, 1928, n. 3 ; V. Popov, Siméon de P., prédicateur (S. P. kak propovédnik), Moscou, 1886 ; I. Tatarskij, Siméon de Polock, Moscou, 1886, cet ouvrage est la meilleure monographie à ee sujet, il parut d’abord en série d’articles dans la revue de l’académie ecclési istique tic Moscou, Pribavlenija k izdaniu…, 1886, 1887 ; parmi les recensions, nommons surtout Vladimirov dans 2urn. Min. Nar. Pr., avr. 1XS7, et la brochure de G.-Ja., La personnalité et l’activité de Siméon de P. (en marge de l’ouvrage de I. Tatarskij), Kiev, 1887 ; Tatarskij répliqua très aigrement dans sa revue Pribavlenija, 1888, p. 602 ; on comprend l’initation de Tatarskij, car son contradicteur anonyme l’avait accusé de manquer d’orthodoxie.

Siméon (Silvestre) Medvêdev. —

Mais c’est surtout par son disciple Medvêdev que Siméon exerça une influence presque décisive sur la pensée russe durant la seconde moitié du xviie siècle. Siméon Medvêdev naquit à Kursk le 27 janvier 1641 d’une famille de diaks ou secrétaires de chancelleries. Il servit lui-même au département des affaires étrangères jusqu’au jour où Siméon ouvrit son école. Il en suivit les cours jusqu’en 1672, où il se retira dans un monastère pour étudier sa vocal ion dans le calme et le recueillement. Ceci n’arriva pas sans l’influence de Siméon de Polock cjui était convaincu que « la vie dans le monde, surtout la vie de famille, était absolument incompatible avec l’inclination au travail scientifique ». Medvedev, dans son monastère, suivait tous les exercices de communauté. Il mit ses talents d’écrivain au service de l’higoumène, planta des arbres au jardin et chanta a l’église. En 1674, après un séjour de deux ans au monastère, il rompit tous les liens qui le rattachaient an monde et, sous le nom de Silvestre, fit la profession monastique, Il revint à Moscou en 1677 et logea de nouveau chez son ancien maître dont il partagea l’intimité. Ce fui la période la plus heureuse de la vie des deux amis. Silvestre lut alors beaucoup et, comme son maître, chercha son inspiration dans les théologiens occidentaux. Ses adversaires diront que c’est là ce qui le perdit, car Siméon « était un disciple des jésuites, un uniate de l’Église romaine ». Il est certain que Silvestre était attiré non seulement par les théologiens catholiques, mais aussi par la sûreté de leur doctrine. Un fait se mble significat if : dans un manuscrit où Siméon de Polock expliquait la différence entre ex Filio et per Filium, Silvestre ajouta en marge que « le grec Sià veut dire aussi « de » (ex) et non pas seulement « par ». Si les deux moines étudiaient avec une ardeur toute bénédictine, ils étaient également assidus aux exercices de piété propres à leur état. Tous les jours, en plus des prières du matin et du soir et de celles qu’ils faisaient à l’église, ils récitaient trois acathistes : au très doux Jésus, à la très sainte Mère de Dieu, et celle du jour ; ils disaient aussi le " canon pour l’heure de la mort ». Le dimanche, ils récitaient en outre le c canon au Saint-Esprit » et parfois celui pour le départ de l’âme. Durant le carême, ils multipliaient les jeûnes et les mortifications

Un an après son retour à Moscou, Silvestre fut nommé correcteur à l’imprimerie, où il dut sans doute se rencontrer avec son futur adversaire, le hiéromoine Euthyme. Après la mort de Siméon de Polock, il lui succéda comme supérieur de l’école du Sauveur. En 1682, il obtint de la régente Sophie Alexeêvna le décret de fondation de l’académie gréco-latine qui devait lui causer tant de déboires. Le nombre des étudiants s’accrut si bien qu’en 1686 Silvestre avait déjà vingt-trois élèves. Ce fut l’apogée de son succès ; mais c’était déjà le déclin car, l’année suivante, sous la violente attaque des Likhudi, l’école était fermée. Jusqu’à l’arrivée des Likhudi, Silvestre jouissait de la faveur pleine et entière de la cour. Théodore Alcxeêviè d’abord, puis Sophie furent toujours les protecteurs du moine érudit.

S. Belokurov, Silvestre Medvédev sur la correction des livres liturgiques, durant le patriarcat de Xikon et de Joachim (S. M. ob ispravlenii…), dans Khr. Cten., 1885 ; N.-N. Durnovo, Le salut nuptial de Silvestre Medvédev (Privêtstvie brænoe), dans Jzv. Otd., t. IX, 1904, n. 2, p. 303-350 ; P. Zubovskij, À propos de la biogr. de S. M. (K biografii), dans Zurn. Min. Nar. l’r., sept. 1890, p. 149-157 ; Iv. Kozlovskij, Silvestr M., Kiev, 1894 ; Al. Prozorovskij, Silvestre Medvédev, dans Ctenija, 1896, n. 2, 3, 4, étude magnifique de 606 pages contenant en appendice tous les écrits théologiques de Silvestre (sauf un autre déjà édité par S. Belokurov dans Ctenija, 1885, n. 4), ayant trait à la controverse sur la transsubstantiation. Recension de S. Brajlovakij, dans lurn. Min. Nar. Pr., oct. 1897, p. 371-387 ; A. Prozorovskij, Courte revue îles événements de 7190, 7191, 7192, par S. Medvédev ( Silvrslru Mcdvêdevu…), dans Ctenija, 1894, n. 4 et dans Itv. Otd., t. vi, 1901, n. 2, p 203-209, sous le titre de Passages obscurs dans la biogr. de S. M. (Temnyja mêsta…) ; E. Smurlo, Les mémoires de S. M. (O zapiskakh), dans 2urn. Min. ur. Pr., avr. 1889, 335-369 ; S. Bravlowskij, Lettres de Silvestre Medvédev (Pisma…), Pétersbourg, 1907.

Entre temps, la Russie septentrionale s’ouvrait de plus en plus aux idées de l’Occident. Après la révolte ukrainienne de Bogdan Khmelniekij, de larges territoires se détachèrent de la république polono-lithuanienne et leurs habitants passèrent sous le sceptre du tsar Alexis. L’éternel mirage de l’Occident, plus cultivé et policé, hantait les imaginations à Moscou. Déjà sous le patriarcat de Nikon, l’illustre prélat avait vigoureusement réagi contre la tendance de certains éléments parmi la noblesse — tendance qui au début du siècle s’était déjà manifestée, surtout à l’époque du premier Dimitri — à adopter certaines pratiques polonaises ou allemandes. Son att itude, plus énergique que prudente, causa des rancunes qui influèrent sur sa disgrâce. Mais quand les Ukrainiens, soumis désormais à Alexis, commencèrent à affluer à Moscou, les influences latines qui avaient pénétré dans les milieux intellectuels de la capitale méridionale et, par là, dans certains milieux moscovites, devaient aussi, beaucoup plus énergiquement qu’auparavant, se faire sentir à Moscou. Nikon montra une grande faveur aux moines ukrainiens ou blanc-rut hènes dont il admirait la fidélité aux traditions liturgiques grecques. Son monastère de Notre-Dame dlbérie sur le lac Valdaï fui peuplé par eux, et ils y installèrent une imprimerie. Mais un peu dans tous les monastèies de Moscovie, moines et moniales ruthènes introduisirent les coutumes de leurs pays, ce qui parfois causa des difficultés avec l’élément local. Par eux, mais beaucoup plus encore par les moines qui restaient à Moscou dans l’entourage immédiat du patriarche ou du tsar, les idées latines qui avaient pénétré parmi les orthodoxes de Kiev se répandirent en Moscovie.

Car les théologiens kiéviens devaient beaucoup à la pensée catholique. Qu’il nous suffise, ici, de noter que plusieurs doctrines catholiques, notamment celle de la forme de l’eucharistie, avaient été expliquées à Kiev avec une terminologie tout occidentale qui fut ensuite acclimatée à Moscou. Prozorovskij, que nous avons déjà nommé, nous explique que l’inclination de tête du prêtre après les paroles de l’institution se trouvait déjà dans un missel grec du xv » siècle. Nous n’en doutons pas, car c’est là une expression de la doctrine catholique et universelle. Mais ces mots, dans le missel de Vilna de 1617 et dans celui du métropolite Pierre Mogila, sont appelés la forme tout comme chez les théologiens latins. Au concile de Kiev, célébré en 1640, on décida, après dispute, d’écrire au patriarche de Constant inople, à ce sujet.

Les textes liturgiques eux-mêmes, loin d’avoir cette fixité rigide qu’on a coutume de leur attribuer, connurent, surtout au xviie siècle, une évolution intéressante : a Dans tous les missels imprimés avant Nikon, il manque au texte de la liturgie de saint Basile le Grand les paroles qui parachèvent le sacrement de la liturgie, « les transformant (les éléments) par ton Saint-Esprit ». Beaucoup d’anciens livres grecs n’ont pas ces paroles qui manquent aussi dans les plus anciens parmi les manuscrits. Dans quelques missels, sans doute, on trouve la prière : « Seigneur qui par votre Saint-Esprit… », mais la formule qui consomme la transsubstantiation est une grande rareté et ne se rencontre, que je sache, que dans un seul missel de la seconde moit ié du xviie siècle. » Prozorovskij, Silvestre Medvédev, p. 232-233.

Plus importante cpie la discussion spéculative sur la forme de l’eucharistie était, pour un esprit moscovite, la rubrique qui prescrivait au prêtre (et incidemment aux fidèles) de s’incliner après les paroles : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ; prenez et buvez, ceci est mon sang. » Nous avons remarqué, en traitant du raskol, que les signes extérieurs du culte étaient d’importance capitale dan :, cette société de demi-lettrés.

Ajoutons enfin, pour être complet, qu’avant l’arrivée des Likhudi (en exceptant toujours l’opposition plus que problématique cl’Épiphane Slavineckij), la doctrine catholique était devenue unanime en Bussie, sauf pour un petit groupe de starovières qui étaient convaincus que la transsubstantiation s’opérait non pas par les paroles de l’institution, ni par celles de l’épiclèse, mais par celles de la proscomédie. Nous avons rappelé ailleurs la dispute entre les pères de Pustozero à ce sujet (col. 299). À vrai dire, nous croyons même que cette persuasion de la valeur essentielle de la proscomédie fut assez longtemps répandue en Bussie et, ici encore, c’était surtout une question de rite extérieur. On faisait de grandes prostrations lors de la grande entrée, à l’offertoire, tandis qu’on ne rendait aucun culte au saint sacrement, pas plus après les paroles de l’institution qu’après l’épiclèse Jusqu’aux innovations empruntées par Joseph et Nikon à Mogila. Le P. Skarga témoigne que telle était aussi la pratique des Ruthènes prés d’un siècle auparavant. En tous cas, à pari ces quelques rares exceptions que nous avons indiquées, à peu prés tous les.Moscovites lettrés s’étaient. après 1 651, plus ou moins ralliés à la doctrine catholique. La métanie, après les paroles de l’institution, s’était acclimatée en Moscovie, et remplaçai ! avantageusement les prostrations de la grande entrée. Siméon de Polock lit formellement approuver la doctrine elle-même au concile de 1666-1667, quoiqu’avec une courte réserve sur l’utilité théorique de l’épiclèse. Euthyme, le fameux hiéromoine des Miracles qui devait plus tard condamner cette doctrine hérétique et latine » dans les termes les plus outrés, le patriarche Joachim lui-même, qui devait faire dégrader, torturer et exécuter Silvestre Medvêdev pour la même raison, partageaient, avant 1685, l’opinion de tout le monde.

Les choses commencèrent à changer avec la venue à Moscou d’un certain Jean Bielobodski (1081). Originaire du grand-duché de Lithuanie, Jean étudia d’abord chez un pasteur calviniste, puis à l’académie protestante de Torun en Pologne. Il eut ensuite (d’après son propre témoignage) maille à partir avec les jésuites qui l’appelèrent hérétique. C’est du moins ce qu’il racontait à Moscou, peut-être pour poser en martyr et se gagner des sympathies. Il semble plutôt être venu pour enseigner à l’académie que le tsar se proposait de fonder, mais on fut épouvanté à Moscou de l’hétérodoxie de sa doctrine. Il choqua davantage les âmes pieuses en proposant de se faire moine afin d’obtenir plus aisément le poste convoité de professeur à l’académie.

A peine arrivé, il se mit en rapports avec le moine Paul Negrcbedskij, qui semble avoir partagé les vues favorables à l’Occident qui couraient alors en Moscovie. Bielobodski lui expliqua que la foi grecque i était dans une position intermédiaire entre les calvinistes et la foi romaine ». Il accusait les Romains de tromperies au sujet de reliques (deux corps de saint Jacques, deux têtes de saint Jean-Baptiste) ; leurs prêtres, disait-il, prient pour les morts afin d’acquérir des biens fonciers. Devant l’archimandrite de Simonov, Gabriel Domeckij, qui, lui aussi, était d’origine ukrainienne et favorable aux doctrines occidentales, il nia l’eucharistie sous prétexte que les animaux pouvaient la manger et les vers en naître. Il rejetait explicitement la transsubstantiation, mais acceptait le Filioque. Negrcbedskij put lui dire que les grecs étaient d’accord avec les latins sur l’eucharistie sauf pour la question des azymes. On lui demanda alors pourquoi les jésuites lui avaient cherché querelle - tous, a Moscou, ne partageaient pas l’épouvante qu’aux illettrés causait le seul nom de jésuites I -C’est qu’ils prétendent que l’homme est libre. Negrebctskij. sans s’effrayer du nom de jésuites reconnut à son tour la liberté humaine, la prévision divine et la nécessité des bonnes œuvres.

D’après toutes ces conversations, il semble bien que Bielobodski ait été un protestant opportuniste, également prêt à défendre des opinions contradictoires et même à se faire moine dans le but de se faire une carrière. Negrebedskij et son ami Gabriel Dometski] dénoncèrent donc le Polonais suspect au patriarche. On réunit un concile (1681) et Bielobodski ne se lira pas avec honneur d’une discussion sur la nécessité de l’Église. Il récita le symbole en latin et en polonais, bredouilla quand il arriva au Filioque, promit alors d’écrire une abjuration et une profession de foi qui ne Semble pas avoir satisfail tout le monde, car Silvestre Medvêdev se crut obligé ilvn écrire une réfutation, P. Negrcbedskij, Supplique adressée au tsar Théodore Alexeévit contre.l<m Belobodxklj (Celobttnaja…), dans D. Tsvêtaôv, Le protestantisme et les protestants… (supra, col. 282), t. ii, Documents, n. 1888, p. 196 sq. ; Le concile du 18 mai 1681, ibid., p. 215 ; N.-I. Subbotin, Jan Belobodskij et Paul Neqrebedskij, Pribavlenija k izd. tvor. s. Ot., t. xxi, 1862, p. 569-614.

La venue en Russie des deux frères Likhudi (voir leur art., t. ix, col. 757), Joannicc et Sophrone, troubla profondément les esprits et causa une véritable révolul ion. Neuf jours après leur arrivée ((S mars 1C85), donc le 15 mars, ils eurent une dispute retentissante avec Jean Bielobodski sur la forme de l’eucharistie. L’ancien calviniste polonais avait accepté maintenant la doctrine catholique qui était alors universellement reconnue à Moscou, tandis que les Likhudi venaient de Constantinople d’où ils apportaient la doctrine de la transsubstantiation par l’épiclèse. À la première question, Bielobodski sombra. On avait beau le presser, disent les Likhudi, !  ! ne répondait rien. Il finit par avouer son impuissance en théologie, tout en se donnant comme un spécialiste en philosophie. On lui posa alors une quest ion sur la création de l’âme humaine et le même sort lui arriva.

Est-il exagéré de dire que cette dispute fut une manœuvre combinée par les Likhudi afin d’attirer sur eux l’attention’? On ne parlait plus à Moscou de Bielobodski, écarté depuis cpiatre ans. Les Likhudi, en tous cas, réussirent admirablement à jeter le trouble dans les esprits et à se mettre en évidence. Peu après leur arrivée et leur dispute, parut à Moscou le premier travail sur la question de la forme de l’eucharistie. C’était le Pain vivant de Silvestre Medvêdev.

Après une introduction et une préface, Silvestre développe son sujet par questions et réponses. Le pain vivant, c’est le Christ lui-même, Dieu éternel, mystérieusement donné à son Église et aux chrétiens fidèles pour que, en le recevant, ils sanctifient leurs âmes et leurs corps. Les autres questions de ce petit traité ont pour objet le sacrement de l’eucharistie, où et quand il s’opèie ; la liturgie et où celle-ci doit être célébrée. Il y est beaucoup question de la prosphora. Medvêdev réprouve l’habitude de se prosterner devant les dons lors de la grande entrée à l’offertoire, afin de ne pas se rendre coupable d’adoration du pain. Le mot devait faire fortune, mais, par un singulier retour des choses, il devait servir précisément à condamner la doctrine que défendait Medvêdev : que la transsubstantiation avait lieu avant l’épiclèse. La transsubstantiation, disait-il, s’opère par les paroles de l’institution, sinon les paroles du prêtre ne seraient pas vraies. Saint Jean Chrysoslome est cité à l’appui. Puis Medvêdev se pose la difficulté classique. Mais, alors, pourquoi l’invocation a l’Esprit-Saint ? Les paroles de l’épiclèse, répond-il, ’. n’ont pas pour objet de changer le pain et le vin au corps et au sang du Christ, mais elles ont trait à notre communion pour notre salut », car on lit immédiatement après elles dans le missel : « afin de fortifier les âmes et remettre les péchés à ceux qui communient ». Prozorovskij, Silvestre Medvêdev. p. 415-430.

L’écrit de Medvêdev, simple, clair, concis, ne nommait personne. Il provoqua pourtant une violente réplique de la part du moine Kulhyme, l’ancien adversaire de Siméon de Polock. Nous n’avons pas de monographie sur ce fougueux polémiste, aussi nous est-il impossible de dire quelque chose sur ses origines et sur sa formation théologique, sinon qu’il fut ami et disciple d’Épiphane Slavineckij. Son caractère présente encore plus d’un côté énigmat ique. L’évolution de sa’pensée théologique est intéressante et aurait besoin d’être éclaircie. Quand Siméon de Polock vivait encore, Euthyme, jaloux de lu laveur dont il jouissait à la cour et irrité au suprême degré par ses » syllogismes latins », n’en défendait pas moins la doctrine catholique sur l’eucharistie. Si nous osions hasarder une hypothèse, nous le prendrions assez volontiers pour l’homme de confiance de Joachim, qui voyait d’un mauvais œil, lui aussi, que Silvestre Medvèdev avait succédé à son maître dans les bonnes grâces de Sophie. Les Likhudi surent admirablement exploiter cette situation. C’est à ces mesquines jalousies et à ces intrigues méchantes qu’il faut faire remonter, au moins en grande partie, la raison des indignités commises contre Silvestre Medvèdev qui, Prozorovskij l’a admirablement mis en lumière, dominait intellectuellement et moralement ses adversaires.

S. Brajlovskij, J^es rapports d’Eulhyme, moine de Cudov, avec Siméon de Polock et Silvestre Medvèdev (O tnosenija. ..), dans Iiusskij Filologiëeskij Vêstnik, t. XVII, 1899, p. 262-290 ; du même, Sermon d’Eutliyme, moine de Cudov, sur la charité, dans Pamjatniki drev. pis’mennosti, t. ci, 1894.

Euthyme répliqua tout d’abord en protestant énergiquement contre la doctrine du Pain vivant et en affirmant — tout aussi énergiquement — la doctrine opposée. Cette courte Déposition ( Pokuzanie na podverg), qui n’était guère qu’une série d’insultes contre Medvèdev, appelé « uniate, jésuite, ou quelque chose de semblable », ne semble avoir eu aucun effet. Prozorovskij, op. cit., p. 430-434.

Avec l’aide des Likhudi, Euthyme se remit à la besogne et produisit une Réfutation de la doctrine latine un peu plus étoffée que son factum précédent (Oproverzenie latinskago ucenija, ibid., p. 434-450). Il commença par poser l’état de la question : quelques-uns disent que la transsubstantiation s’opère par l’invocation du Saint-Esprit, d’autres se sont égarés à cause du catéchisme de Pierre Mogila. Les livres : La Clef de l’intelligence (de Joannice Galjatovskij), Paix avec Dieu (d’Innocent Gisel), disent que les paroles de l’institut ion : <. Prenez et mangez, ceci est mon corps », etc., sont la forme de l’eucharistie. Ils citent à leur appui Jean Chrysostome, Jean Damascène, Siméon de Thessalonique et Ambroise. À ces théologiens, Euthyme répond en se couvrant de l’autorité d’Épiphane Slavineckij qui s’était fait le champion de l’orthodoxie orientale. L’opinion latine tire son origine dii fait que les latins, n’ayant plus d’épiclèse dans leur liturgie, se sont vus forcés d’en venir aux paroles de l’institution. Ambroise est rejeté comme occidental et parce que, suivant le témoignage de Nil Cabasilas, ses écrits ont été corrompus par les latins. Siméon de Thessalonique laisse entendre que les paroles de l’institution sont une commémoraison de la mort du Christ. Puis Euthyme cite un certain nombre d’auteurs, patristiques et récents, et cherche à tirer de son côté la Verge de direction de Siméon de Polock.

Le catéchisme de Pierre Mogila, dit-il en substance, fut d’abord expurgé en Moldavie ; c’est alors seulement qu’il fut approuvé par les quatre patriarches orientaux et leur concile. La Paix avec Dieu de Gisel est entièrement traduite du latin. Euthyme alors s’étend sur le concile de Florence, les violences faites aux grecs pour qu’ils acceptent la procession du Saint-Esprit ex Paire Filioque, la primauté du pape, le feu du purgatoire, la doctrine sur le pain fermenté et non fermenté, la transsubstantiation par les seules paroles du Christ. Puis, ayant fait l’éloge de Marc d’Éphèse, il conclut : « Jusqu’ici, notre réponse a été tirée des œuvres du philosophe et théologien, Père Épiphane Slavineckij ». Prozorovskij, op. cit., p. 449.

La parole était à S lvestre. Il répliqua par sa volumineuse Manna, dédiée à Sophie qui, durant la minorité des héritiers au trône Jean et Pierre, gouvernait l’empire russe. La jeune impératrice, toute dévouée aux idées occidentales, regardait l’Église catholique avec sympathie. Depuis 1084, les jésuites s’étaient installés à Moscou (ils étaient les premiers prêtres catholiques à s’y établir d’une façon stable pour y exercer le ministère) et ils avaient acquis les bonnes grâces tant de Sophie que de son tout-puissant ministre Galitzin. Silvestre Medvèdev, nous l’avons dit, était lui aussi sympathique aux idées occidentales. Il était même plus que sympathique, et plus d’une de ses expressions semble insinuer qu’il s’était rallié à d’importantes thèses catholiques. Joachim et Euthyme étaient à l’autre pôle. Profondément moscovites, ils n’avaient que de la défiance pour l’Occident. Sophie appuyait Silvestre, mais elle n’était pas parvenue à donner à son moine et poète favori la direction de l’académie gréco-latine qui s’ouvrait à Moscou. Dès le début de 1080, forts de la protection patriarcale, les deux Grecs à peine arrivés faisaient déjà la classe dans les bâtiments qu’on venait de leur construire et, en 1087, ils élargissaient leur académie tandis que l’école de Silvestre se fermait. Cette rivalité ajoutait au feu des controverses Lhéologiqu38.

La Manne (Manna) date de novembre 1C87. D’après Prozorovskij, ses sources principales sont les Commentaria et Disputaliones de G. de Coninck, le De sacramentis d’Adam Opatovius et surtout Y Euchologe de (ioar (édition de 1047). Mais l’ouviage révèle une connaissance approfondie des Pères grecs dont Silvestre a dressé une liste parmi ses sources.

Après une courte introduction et la dédicace à Sophie Alexeèvna, l’auteur démontre, dans la préface à un orthodoxe, la nécessité d’observer les préceptes du Christ, en particulier celui qui a pour objet de consacrer le pain et le vin par les seules paroles de l’institution, il énumère les conséquences terribles des violations des commandements du Christ, rapporte les origines et les développements de l’opinion likhudienne, détourne les orthodoxes de l’infidélité « causée par le maudit Judas » au sujet de la transsubstantiation et annonce son dessein de la confondre.

Puis, ayant divisé la Réfutation d’Eutliyme en soixante-cinq paragraphes, il s’applique à les réfuter l’un après l’autre. Il se lie ainsi à l’ordre posé par son adversaire, ce qui embarrasse sa synthèse. Nous ne pouvons qu’admirer sa loyauté, d’autant plus méritoire que ce n’était pas une vertu fort en honneur chez ses adversaires. Il affirme avec beaucoup d’énergie que la Russie a toujours été tidèle à la doctrine du Christ. Puis, après avoir longuement discuté le texte des paroles de l’institution comme de l’épiclèse, il cite ses autorités nationales. Les troubles ne datent pas de l’impression du catéchisme kiévien (1019) comme l’avait dit Euthyme. Il y avait auparavant le catéchisme (de Laurent Zizania) imprimé sous le patriarche Philarète ; le psautier avec prières avant la communion, imprimé en 1035, les homélies sur l’Évangile, traduites du grec sous le grand prince Basile Joannovic en 7102 (1594) ( !) et imprimées à Moscou en 1664 (50e et 52° homélies), le Sobornik de 1047, le Livre de Cyrille (1043), saint Éphrem (1047). Le commentaire de Théophylacte sur l’Évangile dont l’édition fut faite récemment était basée sur les traductions faites sur des parchemins grecs et non d’après des livres récemment imprimés en Allemagne. Puis Silvestre cherche à justifier ou à excuser Slavineckij (supra, col. 306).

Mais, s’objecte-t-il ensuite, c’est là une doctrine latine ? Il rejette cette difficulté avec beaucoup d’élégance. En ce cas, dit-il, « nous ne devons pas croire à l’incarnation du Fils de Dieu, ni administrer le baptême ; on ne peut se prosterner devant les icônes, ni prier pour les défunts, on doit rejeter encore bien d’autres pratiques que les latins observaient quand ils étaient en communion avec l’Église orientale et qu’ils continuent d’observer. Ayant rétabli l’autorité de saint Ambroise, il reproche à Euthyme d’avoir tronqué les témoignages des autorités qu’il alléguait. Il réprouve avec énergie le nouveau ratéehisme, confirmé en Moldavie par Porphyre de Nicée et Mélèce Syrigos : i Ce eatéehisme est un livre grec, récemment édité, non pas sur le fondement solide des saints apôtres et des saints Pères, mais sur le sable de l’enseignement humain ». La Paix avec Dieu de Gisel est traduite, il est vrai, du latin. Viennent ensuite les appendices : une poésie, un petit traité sur la métanie à faire après les paroles de l’institution, une dissertation sur Gabriel de Philadelphie, la solution des difficultés, de larges extraits de Y Euchologe gréco-latin de Goar « cpii se trouve dans la bibliothèque du très saint patriarche ».

Kn même temps que Silvestre écrivait sa Manna et la présentait à Sophie, les Likhudi, tout aussi actifs, écrivaient leur Akos. Cet ouvrage eut une influence décisive sur la pensée moscovite. L’introduction rappelle la chute de l’Église occidentale, ses attaques contre l’Orient, les livres imprimés en Pologne, à Kiev (quoique souvent les livres imprimés ailleurs étaient donnés comme imprimés à Kiev). Sous le règne de Théodore Alexeêviô, on demanda à Constantinople « deux ou plusieurs maîtres de l’Église orientale, personnes de conscience droite, exempts de toute nouveauté, non déformés par les doctrines étrangères, mais fidèles à la tradition de l’Église orientale ». Cf. Prozorovskij, op. cit., p. 539. Nous avons été envoyés, disent les Likhudi, en réponse à cette demande. On nous a interrogés sur la question présente. Il nous est impossible de garder le silence. Puis le traité se développe sous forme de dialogue entre le maître et l’élève.


1° Qu’est-ce qu’un sacrement ?
2° Que faut-il pour un sacrement ?
Il faut une cause efficiente : Dieu : une cause instrumentale (oryannaja) : l’évêque ou le prêtre ; la matière convenable : dans l’eucharistie, « la matière est le pain fermenté fait avec farine de froment et le vin pur aussi propre que possible. On ajoute l’eau durant la proscomédie ; la forme : ce sont les paroles qui sont le véhicule du Saint-Esprit ; ici ce sont les paroles : « Fais que ce pain soit le corps de ton « Christ et que ce qui est dans le calice, le précieux « sang de ton Fils, Amen, l’ayant transformé par ton « Saint-Esprit ; Amen, Amen, Amen » (ibid.) ; l’effet : la grâce du Saint-Esprit opérée par le sacrement, ici, c’est le corps et le sang de Notre-Seigneur ; la cause finale : de la part du prêtre, c’est l’intention ; de la part de l’Église, ce sont des buts surnaturels. »

3° Les ministres du sacrement : ce sont les prêtres, sauf pour le baptême en cas de nécessité.

4° Que penser de l’opinion latine et uniate sur le moment de la transsubstantiation ? Les Likhudi rejettent l’opinion catholique par la liturgie latine elle-même : après les paroles de l’institution, le prêtre parle encore de panem sanctum vitse œternæ et calicem salutis perpétuée. Le Christ agit aujourd’hui non par lui-même comme à la cène, mais par le prêtre qui a besoin d’avoir recours à la prière et d’implorer que le Saint-Esprit descende et opère le sacrement.

5° Quand le Christ institua l’eucharistie, quelle fut la forme du sacrement ? Ce n’étaient certainement pas les paroles de l’institution qu’il prononça simplement pour l’instruction de ses apôtres ; « Le Christ pria secrètement Dieu son l’ère et bénit le pain et le calice : ceci est évident, et personne ne sait ce qu’il a dit dans cette prière il par fjuelle forme de paroles il bénit le pain et le calice et fil son corps et son sang. Le mystère était déjà accompli avant les paroles : « Prenez et mangez, « Prenez et buvez. « Les paroles dont se servit le Christ sont connues de Dieu seul comme le déclare Théophylacte ». Telle est la doctrine des apôtres que l’Église (de Constantinople, s’entend, dont 1rs Likhudi Intercalent un panégyrique) a fidèlement gardée.

6° L’élève concède que les paroles : » Prenez et mangez » ne sont pas la forme : il demande des autorités patristiques. Le maître lui réplique qu’il y a une distinction à faire. Le Christ « dit et commanda », ou il « dit seulement sans commander », c’est-à-dire ses paroles sont efficientes et déclaratives ou simplement déclaratives. Il cite alors Jean Chrysostome, LXXX sermon, et lui fait dire qu’il s’agit ici d’un simple commandement donné par le Christ à ses apôtres ; le prêtre à la inesse ne fait que rapporter ces paroles du Christ. « Si le prêtre accomplissait le sacrement de l’eucharistie par les paroles du Seigneur, il faudrait dire qu’il possède un pouvoir plus grand que le Christ ce qui est inadmissible. Le Christ, avant de dire : « Prenez et « mangez, etc. », pria, rendit grâce alors que le prêtre ne fait rien de cela. » Viennent alors les autorités grecques contemporaines, Mélèce Syrigos, Porphyre de Nicée, Georges Coressios, etc., et un panégyrique des théologiens grecs en généra !. Pour montrer leur valeur, il rapporte comment « non pas nous, mais Dieu lui-même » a confondu un jésuite nommé Rutka, un très savant et grand théologien parmi les latins qui criait beaucoup alors que nous, « paisiblement et humblement » nous lui posions nos questions (nous reparlerons de cette dispute). La même chose arriva à Moscou « à un trompeur nommé Bielobodski ».

7° Si les paroles du Christ ne furent la forme, ni alors ni aujourd’hui, pourquoi le prêtre les prononce-t-il à haute voix, et pourquoi le peuple répond-il « Amen » ? C’est pour annoncer le mvstère qui doit s’accomplir. Les fidèles donnent leur assentiment aux paroles du prêtre.

8° Quel est le sens des paroles de l’épiclèse : suivant quelques maîtres de l’Église occidentale, les prêtres disent ces paroles pour la purification de l’âme et la rémission des péchés de ceux qui communient. Réponse : C’est vraiment une hérésie calviniste et luthérienne de dire que les paroles : « Faites que ce pain devienne votre corps », s’appliquent au moment de la communion. Suit une longue analyse du mot « le transformant » (preloziu).

9° Après les paroles du Christ, le prêtre doit-il se découvrir et le peuple s’incliner ? En aucune façon. Le prêtre alors parle « à Dieu le Père et non pas à nous et par conséquent nous ne devons ni nous incliner ni nous découvrir, mais attendre avec révérence le temps convenable et établi par l’ancienne tradition divine. c’est-à-dire au Svjalaja Svjaiym (Sancta Sanctis) ; alors on s’incline et on se découvre ».

10° Faut-il se découvrir à d’autres moments qu’au Svjataja Sujatym ? Réponse : Un typicon (Moscou, 1682) prescrit, il est vrai, de s’incliner aux paroles du Christ, mais ceci doit être corrigé. Les anciens typica grecs et un typicon russe (1640) recommandent aux moines et prêtres de se découvrir à l’évangile, à l’hymne des chérubins, au Notre-Père et au « Que mes lèvres soient remplies ». Se découvrir au Notre-Père est une prescription qui a trait au dogme. Il y a encore d’autres prescriptions de ce genre.

11° Peut-on s’incliner et se découvrir aux paroles du Christ par dévotion ? Non, l’Église ne le permet pas « car il y a différence sur ce point entre l’Église orientale et l’Église occidentale ».

12° L’élève demande un « catalogue des maîtres de l’Église occidentale » qui défendent l’opinion latine. On nomme dans la réponse : Thomas d’Aquin, Ambroise, Augustin, Suarez, le concile de Trente et celui de Florence, le Rituel, Cajétan et « les maîtres latins qui s’élevèrent au concile de Florence contre le noble Marc d’Éphèse et les autres maîtres de l’Église orientale i. Scotus est particulièrement signalé.

13°.Mais Jean Chrysostome n’a l-il pas dit que les paroles : i Ceci est mon corps » transforment, it-cy.p{>'>Qy.lÇsiv, les oblats ? Le maître, après une longue i explication de cette parole embarrassante développe sou argument en citant la liturgie de saint Jacques, celle de saint Marc, puis Basile le Grand, Jean Damascène, Denys l’Aréopagite, Nicéphore et Germain de Constantinople, Cyrille de Jérusalem, Éphrem, Nathanaël. Nectaire de Jérusalem, Grégoire le Protosyncelle, « le missel uniate composé par Jacob Goar à Paris », « l’occidental Jacob, le jésuite qui a enfin connu la vérité », Théophylacte de Bulgarie, tu fin les membres (nommés) du concile de Jassy de 1643.

14° Puis il s’efforce de résoudre la difficulté tirée du mot antilypos d’après Basile, Grégoire le Théologien et Cyrille de Jérusalem.

15° Le maître cite ses autorités russes : saint Jean de Novgorod, Cyprien de Bussie, le missel de saint Serge de Badonège, de saint Gérasime de Novgorod, saint Euthyme de Novgorod, deux imprimés de Kiev et un de Moscou, le missel de saint Joseph de Volokolamsk, où les paroles : « Prenez et mangez », sont simplement indiquées sans qu’on ait ajouté si le prêtre doit montrer le discos ou non.

16° Mais une édition de Siméon de Thessalonique contient des affirmations contraires. Béponse : c’est un faux, composé par un uniate.

17° Y eut-il discussion entre les Églises d’Orient et d’Occident au sujet de l’eucharistie ? Oui, beaucoup et en concile : au concile des 367 Pères (VIIe cecum.) et à celui de Florence.

Les questions 18-21 traitent de sujets divers qui ne nous intéressent pas ici. Vient enfin une récapitulation finale et une exhortation.

Édition de la Manna, dans Prozorovskij.op. ri(., p. 452 sq. L’édition n’est pas complète, mais les fragments principaux en sont donnés ; édition de l’Akos, ibid., p. 538 sq. h’Akos, précis, clair, d’allure savante, causa une profonde impression à Moscou. Pour un temps, on ne sut guère comment s’y prendre pour le réfuter. Un anonyme qu’on croit pouvoir identifier avec le diacre Athanase écrivit une vigoureuse réfutation des nouveaux loups secrets, qui circulent en vêtements de brebis, mais sont des loups rapaces… (Oblicenie na novopotænnykh…). Athanase était vivement offensé de ce qu’on appelât le parti de Medvêdev « des latins, des barbares, des uniates, des chiens, des gens au langage immonde, etc. » Il ne touche qu’à quelques passages de YAkos ; ses arguments ne valent absolument rien, mais quelle verve, quelle abondance d’invectives. Il s’en prend surtout « aux étrangers » qui critiquent les livres russes. « Et ils appellent le peuple de Dieu (voilà la Troisième Borne 1) des bêtes sauvages et des porcs et toutes sortes d’insultes, sous prétexte que Dieu n’a pas voulu que, dans notre pays moscovite, il y ait des écoles. » Il multiplie les injures à son tour ; une de ses tirades contient exactement vingt-trois insultes, allongées l’une après l’autre en file indienne. On croit entendre Athanase se disputant avec quelque Euthyme, les sortant toutes d’une traite et sans respirer. Ce genre d’arguments ne pouvait évidemment avoir grand effet parmi les cercles cultivés qui, sous la régence éclairée de Sophie, s’étaient multipliés à Moscou.

Silvestre Medvêdev écrivit une réfutation plus sérieuse dans son Izvestie istinnoe (Bécit véridique). Il fait tout d’abord un bel éloge de la vérité d’après David, Salomon, Platon et Aristote. Le mensonge, produit par le démon, est ce qu’il y a de pire. Les hérétiques « ont corrompu les écrits des saints Pères partout où ils l’ont pu, comme l’honorable Bessarion le prouva aux Grecs eux-mêmes dans sa lettre à Alexandre Laskaris et au concile de Florence. Quand, des deux côtés, on apporta les anciens livres grecs, on se rendit compte que beaucoup de livres grecs récents étaient en désaccord non seulement avec les livres apportés par les Latins, mais même avec les livres plus anciens et plus corrects que les Grecs apportèrent. Ces livres nouveaux avaient été diversement corrompus par divers hérétiques ; car le démon sema des hérésies graves dans toute la Grèce… Le trône patriarcal lui-même durant deux cents ans fut occupé par les hérétiques abominables, monothélites, nestoriens, iconoclastes ». Izv. istin., édition S. Belokurov, dans’Clenij a, 1885, n. 4, p. 3-4. D’où vient tout cela ? Du fait que beaucoup de Grecs sont « des gens injustes, plus attachés à l’argent qu’à Dieu, au mensonge qu’a la vérité ». Tous les malheurs actuels tirent leur origine des nouvelles éditions de livres grecs faites < dans les villes de la foi latine, luthérienne et calviniste ».

Puis Silvestre, et ici son témoignage a une singulière autorité, décrit la correction des livres sous le patriarcat de Nikon. Il copie avec quelques menus changements la préface du missel de 16.").") ; décrit le concile de 1654 et transcrit le discours de Nikon ; il ajoute de son propre fond des éloges pour les anciens livres grecs et des blâmes pour les récents ; il cite la décision du concile de réunir les livres anciens et les manuscrits ; rapporte la lettre de Païse de Constantinople et cite les passages où le patriarche loue les anciennes traditions. Cette lettre, dit-il, est à l’origine de la mission d’Arsène Sukhanov qui rapporta environ 500 livres ; les autres hiérarques grecs en envoyèrent de leur côté environ 200 en demandant de ne faire de corrections que d’après les livres anciens (il y a quelques inexactitudes dans ce récit).

Mais après ce concile de 1654, au lieu de faire les corrections et de préparer les nouvelles éditions d’après les anciens livres grecs et slaves, on le fit « d’après de nouveaux livres grecs imprimés chez les Allemands ». Silvestre ajoute une précision ( à l’exemplaire qui servit de base à la nouvelle édition manque le commencement et la fin) qui a permis d’identifier ce missel ; c’était un missel grec, imprimé à Venise en 1602. Dès lors, on imprima plusieurs missels, dit Silvestre, « qui n’étaient pas d’accord entre eux » et ceci dura jusqu’au concile de 1667. On prit alors le missel de 1658, on j corrigea une liste d’erreurs et l’on prononça une série de malédictions et d’anathèmes contre ceux qui feraient le moindre changement au nouveau texte imprimé ; on décréta d’en imprimer douze mille exemplaires pour que les livres restent sans le moindre changement durant un certain nombre d’années. Mais « l’instrument du diable », le correcteur Euthyme le moine, fut cause qu’on n’en imprima que 2 400 ; « sans craindre la malédiction du concile, il introduisit beaucoup de corrections, par inconstance et par folie ». Puis il en imprima encore 1 200. En 1675, il imprima un pontifical qui fut approuvé et confirmé. On ne pouvait y changer quoi que ce soit sous peine de malédiction. Or, dans ce livre que le concile sanctionna par tant de graves malédictions, il y a, dans la liturgie de saint Jean Chrysostome et dans celle de saint Basile, la métanie et l’amen après les paroles du Christ.

Ceci posé, Silvestre passe à la seconde partie de son traité. Maintenant, dit-il, en substance, « quelques ecclésiastiques russes », sous l’inspiration des hiéromoines Joannice et Sophrone qui sont venus avec une lettre du synode de Constantinople, rejettent tous les anciens livres russes. « En vérité, par leurs propres paroles et écrits, ils se sont révélés menteurs ; ils ne sont donc pas orthodoxes, mais ils ont été envoyés par les hérétiques luthériens et calvinistes ou par les Bomains pour troubler notre foi orthodoxe comme jadis Isidore le métropolite. » Ayant ainsi dit leur fait aux Likhudi, Sylvestre passe à YAkos : il veut juger les Likhudi par leurs fruits qui sont « l’orgueil car ils causent des désordres, la haine et la persécution (ils suivent le chemin de Caïn, la déception de Balaam).

Il expose ensuite leur doctrine sur la transsubstantiation (n. 2, 4, 5, 6, 8, 12, 15, 13) et y relève surtout les épithètes désagréables, À son tour, il donne la doctrine catholique et cite un certain nombre d’autorités. Il revient ensuite à la charge contre l’.lLo.s (q. xiv, v, vi, ix, x, iv), cite quelques lettres qui ont été écrites sur cette question en Ukraine (une de Mazeppa, deux d’Innocent Monastyrskij) où tout le clergé, nous le verrons à l’instant, avait été sérieusement alerté par les insistances du patriarche Joachim. Euthyme, pendant ce temps, opposait une réfutation à la réfutation d’Athanasc, auquel il reprochait son langage insupportable, mais, à vrai dire, il tombait lui-même dans les mêmes excès quoique, il faut bien le reconnaître, avec un peu moins de variété et de pittoresque.

S. Belokurov, Izvestie istinnoe, dans Ctenija, 188.~>, n. 3 ; du même, Silvestre Medvêdev sur la correction des livres durant les patriarcats de Nikon et de Joachim (S. M. <ib ispravletiii), dans Khr. Cten., 1885, 2 ; P. Zubwskij, Kontroversija, œuvre polémique du x VZI’siècle, dans Pamjatniki drevnej pis’mennosti, t. i.xxiv, 1888.

Entre temps, le patriarche Joachim, qui mettait toute sa farouche énergie à lutter contre Medvêdev, avait envoyé la Mature et l’Akos aux évêques ukrainiens en les priant de porter un jugement sur l’affaire. Il n’y eut pas de réponse. Lu mars 11)88, il expédia deux nouvelles lettres, l’une au métropolite de Kiev, Gédéon Cetvertinskij et l’autre à l’archevêque de Cernigov, Lazare Baranoviè ; il leur posait des difficultés sur le concile de Florence, d’où, suivant les Likhudi, l’opinion latine tirait son origine. II dut se contenter de la réponse que le concile de Florence n’était pas conforme à la doctrine orthodoxe. En septembre 1688, nouvelles lettres de Joachim sur la transsubstantiation qui restèrent, cette fois, sans aucune réponse. Ce n’était pas qu’on se désintéressât de la question. Loin de là ! L’hetman cosaque Mazeppa, en envoyant un rapport sur cette affaire à Théodore Saklovitoj. important personnage de la cour de Sophie et ami de Medvêdev, lui dit que tous étaient d’accord avec Medvêdev et prêts à mourir pour leur conviction. Le théologien le plus en vue — Lazare Baranoviè étant déjà un vieillard — était alors le moine Innocent Monastyrskij. Celui-ci, en même temps qu’il écrivait à Medvêdev en lui prodiguant les plus vifs éloges (non pas Sil-vester, mais Sol Vester), affirmait à l’hetman Mazeppa que « à Kiev, par la grâce de Dieu, depuis que le pays fut éclairé de la vraie foi, la piété resta toujours et es ! encore immaculée ». Il donnait en même temps la dernière main à son Livre sur la transsubstantiation qui s’accomplit par l’opération du Saint-Esprit par les paroles du Christ, écrit par l’higoumène du monastère de Saint-Cyrille à Kiev, Innocent Monastyrskij, contre les Likhudi, qui fut terminé durant le carême de 1680. Ce livre fut écrit sur l’ordre du métropolite de Kiev Gédéon. Toute l’Ukraine ici était unanime… Quand son manuscrit fut mis au point, Monastyrskij vint a Moscou prêter main forte à Medvêdev.

Mais, au moment même où il finissait son ouvrage, le 5 mars 1689, une autre lettre, péremptoire celle-là, partait de Moscou. Le patriarche Joachim, qui n’avait pas oublié ses anciennes manières de sous -officier, envoyait aux Ukrainiens une mise en demeure i de déclarer immédiatement leur accord avec la sainte Église orientale et leur unanimité avec notre humilité suivant ce que nous avons écrit auparavant ». Les évêques méridionaux trouvèrent le courage de lui répondre que la transsubstantiation s’opérait par les paroles du Christ » et ce n’est pas sculement [’Église malo-russe, mais toute l’Église de Russie qui a toujours cru ainsi et le croit encore maintenant : elle le confesse cl désire mourir dans cette confession », Joachim répondit par un ultimatum qui mit enfin au pas les prélats malo-russes, mais il est difficile de dire que leur obéissance fut durable. Longtemps encore, en Ukraine, on défendit la doctrine catholique sur ce point comme sur d’autres. En même temps, Joachim écrivait au patriarche de Constant inople Denys et lui demandait de lui envoyer direct entent une lettre n rédigée comme par un concile », en trois exemplaires : « l’un doit être adressé au clergé kiévien, l’autre au tsar, le troisième à lui-même ». Le patriarche était prié d’écrire comme si c’était de son propre mon veulent et recevait à ce sujet les instructions les plus précises.

Les choses se gâtaient rapidement à Moscou. Euthyme avait fait courir la rumeur que Medvêdev voulait assassiner le patriarche Joachim. Les slrellsi (gendarmes ) s’inquiétaient. Plus grave encore était la situation provoquée par le fait que le jeune Pierre Alexeèvic, le futur Pierre le Grand, trouvait trop pénible le joug de sa semr. En août 1689, il y eut une rupture ouverte entre Sophie et le jeune Pierre qui s’enfuit au monastère de la Troitsa. Peu à peu, les troupes jiassèrent du côté de Pierre et Sophie se trouva abandonnée. Au mois de septembre, on exigea d’elle qu’elle livrât Silvestre Medvêdev et Théodore Saklovitoj, son ancien chancelier. Elle consentit, et envoya arrêter l’infortuné à son monastère ; il s’était enfui. On le chercha durant toute une semaine et on le trouva le 13 septembre 1689 dans le monastère de Biziukov (territoire de Dorogobuz). On l’accusa d’avoir fait de la politique, en particulier d’avoir voulu assassiner le patriarche. Silvestre nia durant toute sa captivité d’avoir jamais entretenu un pareil dessein. En tout cas, on ne put trouver de témoignages sérieux pour le convaincre de ce crime. En constatant la tranquille assurance de Silvestre dans ses protestations d’innocence, en songeant que jamais, même par les tortures les plus savantes, on ne put lui arracher un aveu compromet tant, on est forcé de conclure que ce n’est pas Silvestre qui tenta d’assassiner Joachim, mais Joachim qui assassina Silvestre. Il y mit son temps. Le 5 octobre, Silvestre fut condamné à mort ; il attendit seize mois pour être exécuté.

Le patriarche Joachim prétendit encore que Silvestre, avant de mourir, avait rétracté ses « hérésies ». Il semblerait étrange que Silvestre, qui maintint cette doctrine avec tant de sereine énergie durant tant d’interrogatoires accompagnés de torture, se fût enfin rétracté. On a remarqué que la rétractation qui lui est attribuée ne porte pas sa signature. Prozorovskij en conclut que nous sommes ici en présence d’un faux, » P. cit., p., ’567 : tel est aussi notre avis. Cette Rétractation de Silvestre est bien dans la manière de Joachim ou d’Euthyme.

Tenant cette confession forgée en mains, Joachim crut pouvoir convoquer un concile. Il se réunit en janvier 1690 au palais patriarcal. Il y eut, en plus du patriarche, Adrien de Kazan, qui n’était que médiocrement partisan du patriarche trop militaire. Paul de Niznij Novgorod. Euthyme des Kruticy, Athanase de Kholmogor qui était un des partisans les plus décidés de Joachim, avec un certain nombre d’archimandrites et d’higoumènes. Le clergé moscovite était loin d’y èlre au complet. Il n’y avait pas un seul représentant du clergé ukrainien, car Monastyrskij, récemment arrivé à Moscou, avait clé prompleinent qualifié d’ « instrument du grand Satan » et chassé de la ville. Savva, le compagnon de Medvêdev, vint en personne lire la rétractation qu’il avait signée sous la torture. Medvêdev qui languissait encore en prison (il ne sera décapité que le Il février 1691) ne parut même pas devant le concile. Après lecture des rétractations, le patriarche prononça un discours dans lequel il lit l’hisi orique de ce1 1e con ! roverse. Puis il condamna un certain nombre d’ouvrages écrits par les théologiens russes de tendance latinisante :

Le Catéchisme de Siméon de Polock fut condamné propler doclrinam de obsccenis quæ inlervenire possunt inter uxorem et marilum ; la Couronne de la foi du même auteur pour « diverses inventions des Scotus, Aquins et Anselmes » et aussi pour un « symbole appelé apostolique », alors que l’Église orthodoxe ne connaît que le symbole de Nicée. Cet ouvrage contenait aussi des passages où Siméon expliquait certains problèmes d’astronomie, etc. Le Psautier du même auteur, pour des emprunts faits à l’écrivain polonais Jean Kochanowski. qui était « un latin ou un sectateur d’Apollinaire » ; les recueils de prédication, le Repas spirituel et les Soirées spirituelles, parce qu’ils contenaient « quelques hérésies latines », entre autres sur la forme de la transsubstantiation, sur la métanie à faire, après avoir prononcé les paroles du Christ, au pain et au vin non encore changés au corps et au sang du Sauveur, et sur la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils (sic !). Enfin, on condamna un Discours sur la bonne tenue à l’église du même Siméon, parce qu’il y insistait sur la métanie à faire après les paroles de la consécration.

Après avoir condamné Siméon de Polock, on condamna son disciple Silvestre Medvêdev « auteur d’un livre (évidemment la Marina) plein de mensonges et de tromperies et de mauvaises paroles et d’injures contre la sainte Église orientale, dans lequel il corrompait les écrits des saints Pères, « appelant bon ce qui « était mauvais et mauvais ce qui était bon », etc. Silvestre, « comme il le confesse lui-même », a été induit en erreur par les nouveaux livres kiéviens que Joachim s’empresse donc de condamner : c’est d’abord le Grand Trebnik de Kiev (1646 ; c’est le fameux Trebnik de Moghila) qui donne un certain nombre de rites latins comme orientaux : le baptême par infusion, la transsubstantiation par les paroles du Christ, les métanies à faire à ce moment. Semblables à ce Trebnik sont les Sluîebniki (missels) de Kiev (diverses éditions), de Wilno et de Strjatin. Joachim condamne encore trois ouvrages de Cyrille Tranquillion : son Commentaire des évangiles, son Miroir de la théologie et sa Perle précieuse ; puis les deux catéchismes édités aux Cryptes de Kiev (1645), l’un en polonais et l’autre en slavon (il s’agit du catéchisme de Pierre Moghila) ; il condamne encore le Lithos du même métropolite, La Paix avec Dieu de Gisel, les Trompettes de Lazare Baranovic (recueil de sermons imprimés à Kiev en 1074 : il avait voulu les imprimer à Moscou, mais Baranovic’s’étant montré un énergique défenseur de l’immaculée conception dans deux de ces sermons, malgré les instances de Siméon de Polock, Moscou refusa d’imprimer l’ouvrage), la Clef de V intelligence de Joannice Galjatovskij (Kiev, 1659, 1660) : Y Épée spirituelle de Lazare Baranovic (août 1 666, approuvée par le concile de Moscou de cette année, puis condamnée par Nikon), le Juste Messie de Galjatovskij (Kiev, 1 069) et enfin le traité de Kossov sur les sept sacrements. Ces livres, observe Joachim, sont en contradiction les uns avec les autres ; enfin et surtout, Joachim réprouve le fameux Vyklad de Théodose Safonoviô (Kiev, 1667 ; beaucoup d’éditions ensuite), où la thèse catholique sur la transsubstantiation avait été si énergiquement proposée et défendue. Silvestre Medvêdev, continue Joachim, a brûlé lui-même sa Marina. Ce livre est donc solennellement condamné et, avec lui, tous les autres écrits de Medvêdev contre les Likhudi.

Sans doute, il ne faut pas prendre cette interdiction trop au tragique. La théologie malo-russe, nous le verrons plus loin, se fit encore profondément sentir en Russie pendant presque un demi-siècle, mais l’interdiction était là et dans la suite devait peu à peu produire son effet.

Les Likhudi étaient en train de se compromettre très gravement aux yeux des Moscovites. Au début de 1688, un uniate arrivé de Pologne en Ukraine fut arrêté ; on trouva sur lui une série de documents qui établissaient que les Likhudi faisaient à Moscou les affaires du roi de Pologne. Nos deux Grecs en furent extrêmement inquiets et l’un d’eux, Joannice, tant pour ses négociations personnelles qu’ému par la tournure que prenaient ses affaires à Moscou, partit pour Venise. Il fut accompagné par un certain Pierre Artemèv. qui, devenu catholique durant son voyage, puis ordonné diacre par le patriarche Adrien, fut condamné en concile à son retour et enfin envoyé à Solovki. On le mit dans un cachot où il se consola comme il put en écrivant, sur les murs de sa prison, une admirable paraphrase de l’Ave Maria. D’après les sources russes, Pierre, catholique durant toute sa captivité, se serait confessé à un prêtre orthodoxe in arliculo morlis, mais n’aurait pas eu le temps (dans un monastère !) de recevoir le saint viatique. Nous n’avons aucune raison de croire qu’après avoir été si longtemps fidèle, il ait trahi la foi catholique à l’instant même de sa mort, d’autant plus qu’une confession faite à un prêtre dissident dans de telles circonstances n’engage certes pas la foi. Sljapkin parle d’Artemêv comme d’un fanatique. Saluons en lui un des premiers martyrs catholiques de Solovki.

Le voyage de Joannice fut très mouvementé. On l’accusa à Vienne d’avoir commis un incendie et il dut faire de la prison. D’autres histoires des mêmes Likhudi, plus sordides les unes que les autres, avaient surexcité contre eux l’opinion publique à Moscou quand le fils aîné de Joannice, Nicolas, fit un scandale avec une jeune fille de la plus haute noblesse. D’autre part, le patriarche de Jérusalem, Dosithée, écrivait de violentes lettres à Moscou et accusait les deux aventuriers d’avoir indignement détourné l’héritage d’un certain Mélèce. Tous les Likhudi s’enfuirent pour la Pologne, mais, arrêtés en route, ils furent ramenés à Moscou. De nouvelles accusations de tripotages financiers arrivaient incessamment. On les chassa de la capitale ; ils se trouvèrent un obscur asile à Novgorod où mourut Joannice. Sophrone finit par obtenir une archimandrie dans l’éparchie de Riazan, mais son influence s’était éclipsée depuis longtemps.

Sur les Likhudi, voir la monographie trop louangeuse de M. Smentsovskij, Les frères Likhudi (liratja Likhudi), Pétersbourg, 1899 ; cet ouvrage ignore beaucoup trop l’étude de Prozorovskij sur Medvêdev. Voir encore VI. Lettressur, La fuite des Grecs Likhudi de Moscou ( Gramoty…), dans Ùlenija, 1867, n. 2. Voir aussi la bibliographie que nous avons indiquée en parlant de S. Medvêdev et celle que nous donnerons col. 324.

Peu après ces événements, Euthyme composa son Aiguillon fOsten’) longtemps attribué au patriarche Joachim. C’est un recueil qui contient plusieurs documents dont nous nous sommes déjà servis au cours de cette étude. Une double préface, d’abord : l’une adressée aux évoques les encourage à frapper de leur « aiguillon spirituel » les « assassins des âmes », l’autre adressée au lecteur. Viennent ensuite les documents suivants : 1. la réfutation envoyée par le très saint patriarche Kir Joachim, patriarche de Moscou, de toute la Russie et de tous les pays du Nord, au métropolite Gédéon de Kiev, à l’archevêque Lazare de Cernigov et à d’autres, du livre récent appelé Exposition sur l’Église et les choses ecclésiastiques, imprimé à Kiev en 1067. C’est la réfutation du Vyklad de Safonoviè que nous connaissons ; 2. Le compte rendu, plus ou moins authentique, de la dispute entre Épiphane Slavineckij et Siméon de Polock sur l’eucharistie ; 3. Une note sur « le défroqué ancien moine Silvestre Medvêdev » : 1. Le procèsverbal de la manière dont la rétractation de Medvêdev, faite au couvent de la Trinité et de Saint-Serge, fut remise à l’archimandrite Vincent qui la transmit au patriarche et de la convocation par le patriarche du concile de 1690. 5. La rétractation de Silvestrc Medvèdev. Celui-ci y raconte comment, se trouvant dans le couvent de Sergiev Troitsa, il y reçut la visite de l’archimandrite Ignace de Novospass, de l’higoumène Éphrcm et du maître orthodoxe Sophrone (Likhudès) qui apportaient, de la bibliothèque patriarcale, un certain nombre d’anciens livres pour prouver que la transsubstantiation s’opérait par l’épiclèse. Ces livres démontrèrent à Medvèdev que la doctrine likhudienne était celle des anciens livres grecs et russes, défendue par les vieux saints de Russie, et provenant des apôtres. Les liturgies des apôtres (Jacques, Marc et Clément qui donne celle de Pierre) la contiennent ; après eux, les Pèles de l’Église la proclamèrent : Denis l’Aréopagite, Cyiille de Jérusalem, Basile le Grand, Éphrem, Jean Chrysostome, Sophrone de Jérusalem, Proclus de Constantinople, Jean Damascène, Théophylacte, Calixte de Constantinople, Siméon de Thessalonique, Nicolas Cabasilas archevêque de Dyrrachium, Marc d’Éphèse qui confondit les Latins au concile de Florence, Maxime le Grec, Georges Pachyméros qui écrivit un commentaire de Denis l’Aréopagite, Nectaire de Jérusalem et beaucoup d’autres, comme aussi les quatre patriarches, Parthène de Constantinople, Macaire d’Antioche, Joannice d’Alexandrie et Païse de Jérusalem. Beaucoup d’autres disent la même chose, en particulier les 307 Pères inspirés du VIIe concile oecuménique. Viennent ensuite les missels russes : celui de Cyprien, canonisé, métropolite de Moscou et de toute la Russie, le missel de saint Euthyme de Novgorod, celui de saint Serge de Radonège, celui de saint Sérapion, archevêque et thaumaturge de Novgorod, celui du bienheureux Joseph de Volokolamsk, un des tout premiers imprimés à Moscou, un autre jadis imprimé à Kiev sous l’archimandrite Elisée Pleteneckij. A ces livres, il faut encore ajouter le Nomocanon de Kiev. Accablé par tant d’autorités (qu’il avait pourtant jadis, pour la plupart, brillamment expliquées dans son propre sens), Silvestre déclare s’être trompé et demande humblement pardon. Il demande particulièrement pardon des insultes qu’il a prononcées contre le patriarche Joachim et les autres prélats : il proclame en pleurant sa douleur d’avoir écrit la Manne et multiplie ses demandes de miséricorde pour les multiples péchés qu’il a commis en exposant sa doctrine sur la transsubstantiation. Il fait enfin sa profession de foi. Viennent ensuite : fi. La rétractation, beaucoup plus brève, de Siméon Dolgoj ; 7. le discours du patriarche Joachim au concile de 1600 ; 8. sur la métanie au corps et au sang du Christ durant la liturgie ; 9. comment l’officiant tient la place du Christ : 10. sur les parcelles détachées durant la proscomédic : 11. sur les anlidora ; 12. il ne faut pas offrir le sacrifice pour les hétérodoxes ou pour ceux qui vivent en étal de péché sans pénitence ; 13. Credo de la liturgie d’après la tradition de saint Basile le Grand et de saint Jean Chrysostome.

Tel est YOsleri (Aiguillon) d’après l’édition de Kazan (1865). Les manuscrits en connaissent une autre rédaction en vingt et un chapitres. Quatre sont intioduits avant la dispute entre Épiphane Slaviucckij et Siméon de Polock, mais il ne nous semble pas, d’après la description du catalogue, qu’ils contiennent des éléments nouveaux. Après le dernier chapitre, nous avons encore : 16. sur le concile de Florence d’après un livre écrit à Paris : 17. sur le mariage dans les 3e et 4e degrés ; 18. hérésies luthériennes (il y en a 19) ; 19. hérésies latines (il y en a i£) ; 20. sur le nombre de clous dans la croix : 21. contre le purgatoire.

Nous ne nous arrêterons pas à décrire le Bouclier de la fol (Slit vêrtj) de l’archevêque Athanase de Kholmogory que nous ne connaissons que par les catalogues de manuscrits. Il ajoute à ce que nous connaissons déjà une importante lettre du patriarche Adrien, successeur de Joachim au trône patriarcal de Moscou. Adrien déclare avoir reçu des lettres des divers patriarches orientaux au sujet de l’épiclèse ; elles tranchent la question. Adrien a lu tout ce que fit Joachim ; il l’approuve et le confirme. Disons cependant qu’Adrien ne montra pas la même ardeur que son malheureux prédécesseur. Mais ceci touche déjà au paragraphe suivant.

Plus intéressante semble être le Glaive spirituel (Mec dukhovnyj) écrit en février 1690 par les Likhudi. Ce glaive est censé être le compte rendu d’une dispute entre les Likhudi et le jésuite Rutka à Lvov, en 1685, sur les différences entre les doctrines de « l’Église du Christ » et celles de « l’Église occidentale ». Il y a vingt et un chapitres dans cet ouvrage : 1. Sur la primauté du pape. 2. Sur les différences dans le baptême (infusion et formule indicative). 3. Sur les diOérences dans l’eucharistie (azymes et communion sub una specie). 4. Sur la récompense des justes et la punition des pécheurs avant le jugement général. 5. Sur le purgatoire. 7. Sur le célibat des prêtres. 8. Sur le nouveau calendrier. 9. Sur la lumière divine de la Transfiguration. 10. Sur l’immaculée conception. 11-18. Sur le Filioque. 19-20. Sur le moment de la transsubstantiation. Cette seule table des matières laisse à entendre que le Glaive spirituel pourrait peut-être nous donner beaucoup d’informations sur la pensée orthodoxe grecque au xviie siècle.

K.-V. Kharlampovif, L’influence malo-russe (supra, col. 306) ; V. Istrin, Introd. à l’hist. de la lillér. russe de la seconde moitié du XVIIe siècle (Vvedenie…), Odessa, 1903 ; N.-’l’h. Kapterev, Les écoles yreco-latines à Moscou au XVIIe siècle avunt l’ouverture de l’académie slavo-gréco-latine (O greko-latinskikh…), dans Pribavlenija k izdanilu, 1889, n. 4 ; du même, Les relations du patriarche Dosilhée avec le gouvernement russe (Snosenija…), dans Clenija, 1891, n. 2, ce sont 21 lettresde Dosithée à Pierre le Grand, aux patriarches .Joachim et Adrien. Le même auteur a imprimé une étude à ce sujet la même année dans les Clenija v obslestve liubilelej dukh. prosv., 1890-1891 ; L. Majkov, Esquisses d’Iiisl. de la liltér. russe aux XVIIe et XVIIIe s. (Ocerki…), Pétcrsbourg, 1889 ; Gr. Mirkovië, Sur le moment de la transsubstaidiulion des saints dons (O vremeni…), Vilna, 1886, excellent ouvrage ; l. Sljapkin, Sur la polémique entre les savants moscovites et malo-russes à la fin du XVIIe s. (K islorii…), dans Éurn. Min. Nar. Pr., 1885, n. 10 ; voir aus>i col. 309.

Pour la vie et l’oeuvre de l’archevêque de Kholmogory, Athanase, voir V. Veriuzskij, Athanase, archevêque de Kholmogory, sa vie et ses œuvres par rapport à l’hist. de l’éparchie de Kholmogory, Pétersbourg, 1908 ( Afanasij…).

Sur le patriarche Joachim voir A. Barsukov, Joachim Savelov, patriarche de toute la Russie (Vsêrossijskij…), ibid., 1890 ; S. Belokurov, Sur le patriarcat de Joachim (K patriar-Sestvn. ..), dans Khr. Clen., 1886, n. 1 ; La vie du patriarche Joachim, écrite comme monument hagiographique par l’extravaganl métropolite de Sibérie, Ignace Rimski-Korsakov, a été publiée clins la collection Pamjatniki drevnej pis’mennosti ; Nicanor, Serment de ceux qui aspirent au sacerdoce imposé par le patriarche Joachim ( Prisjaga…), dans Zurn. Min. Sur. Pr., 1915, n. 1 ; h. Savelov, À la défense du patriarche Joachim (K zailitu…), dans tiuss. Arkh., 1895, n. 1 ; P. Smirnov, Joachim patriarche de Moscou, dans Clenija v obsc. liub. dukh. prosv., 1879-1880.

XVII. La suppression du patriarcat.

Après la mort de Joachim. deux noms surtout furent mis en avant. Adrien, métropolite de Kazan, était appuyé par l’ancien entourage du patriarche défunt, le clergé séculier et régulier de traditions et d’idées moscovites : il eut aussi l’appui décisif de Nathalie Kirilovna, veuve d’Alexis Mikhailovicet mère de Pierre le Grand. Nathalie, quoique élevée dans une famille assez ouverte aux idées occidentales, semble avoir eu quelque inquiétude au sujet des tendances révolutionnaires du terrible volontaire qu’était son fils. Pierre, de son côté, aurait préféré Marcel, métropolite de Pskov, Ruthène d’origine et autrement lettré qu’Adrien, qui semble avoir été une nullité intellectuelle : mais, en cette occasion comme tant de fois jusqu’en 1694, Pierre s’effaça devant les désirs de sa mère.

Ignoiant et presque entièrement fermé aux questions intellectuelles, le nouveau patriarche, Adrien, chercha pourtant quelque peu à résister au torrent qui débordait sur la Russie. Dès le début de son patiiareat, il protesta contre certaines pratiques extérieures introduites par le nouveau tsar qui. adversaire résolu d’un passé qu’il méprisait, imitateur enthousiaste d’une Europe qu’il ne connaissait que pai son côté matérialiste et sensationnel, mais doué en même temps d’une vitalité exubérante et d’une énergie dont rien ne pouvait arrêter l’impérieux élan, entraînait son pays dans une transformation dont nul, alors, ne pouvait soupçonner la portée.

Né en 1672 d’un second mariage d’Alexis Mikhailovicavec Nathalie Kirilovna Naryâkin, Pierre perdit son père deux ans après. Durant le règne des enfants de la première femme d’Alexis, de Théodore d’abord, de Sophie ensuite, il connut une enfance assez orageuse. Quand sa soeur était au pouvoir, sauf pour de rares apparitions au Kremlin où il recevait les ambassadeurs étrangers, il vivait à Preobrazenskoe, où il poussait avec la vitalité d’une plante sauvage. Rompant avec toutes les traditions nationales, l’héritier du trône des tsars, laissé sans surveillance, cultive la société des valets, des étrangers, fréquente le célèbre faubourg allemand (la Nêmeckaja Slobnda) où il prend, sans aucun contrôle, ses premières leçons de liberté personnelle et d’activité débordante dans le travail comme dans la débauche. Il touche à tout, s’intéresse à tout, sauf, on serait tenté de le dire, à ce qui est national. Il s’empare du pouvoir en 1689 dans les circonstances que loi sait. Après la mort de sa mère (1694), le patriarche Adrien et tout le parti qu’il représente lui deviennent de plus en plus intolérables. Il favorise résolument les jésuites, encourage les catholiques, affiche un profond mépris pour son propre clergé qu’il trouvait ignorant et rétrograde et le tourne en ridicule par des cortèges burlesques et obscènes, par l’institution de son faux patriarcat, de son concile d’ivrognes et de débauchés. Par ces profanations, ordinairement grossières et multipliées sans l’ombre d’un scrupule, Pierre se rapproche des bolchévistes de l’heure présente dont, sous plus d’un rapport, il semble être un précurseur.

Dans la question dogmatique qui avait tellement agité les esprits durant le patriarcat de son prédécesseur, Adrien montrait un esprit plus conciliant. « Il paraît même qu’il aurait dit à Gabriel (Domeckij, partisan de Medvidev) que le patriarche Joachim regretlait de s’être mêlé de cette affaire, que souvent, en pleurant, il s’était plaint d’Euthyme qui l’y aurait poussé comme il l’aurait poussé à plusieurs autres ac es du même genre… » VoirSljapkin, Saint Dimilri de Roslou et son (en ps, p. 165-166. II décréta pourtant que, dans le serment épiscopal, tout comme dans celui que devaient prêter les aumôniers du tsar, il y aurait une formule contenant la doctrine de la consécration par l’épielèse. À part cela, et à part son empressement à faire condamner Pierre Artemêv dont nous avons parlé ailleurs, Adrien semble s’être peu occupé de questions dogmatiques.

Il était d’ailleurs une nullité. D’après les témoignages défavorables des jésuites qui étaient alors à Moscou et qui jouissaient de la faveur de Pierre, le patriarche ne se distinguait ni par 1 instruction, ni par le zèle ; il « dormait, mangeait et buvait sa vodka ». Le 21 février 1696, il fut frappé d’une attaque de paralysie qui le rendit impotent jusqu’à la mort et il abandonna toutes les affaires de l’Église à un personnage qui ne méritait pas sa confiance. Il ne sut ni collaborer à l’œuvre d’éducation que lançait le tsar, ni résister avec dignité à ses dévergondages. Quand, en 1698, après la dernière révolte des streltsi, Pierre en fit exécuter et en exécuta lui-même un nombre considérable, Adrien voulut intercéder pour eux. Le tsar le chassa brutalement et Adrien se retira. Pierre semble de plus en plus avoir perdu le respect pour ce malheureux qui ne savait ni se plier suffisamment pour collaborer à l’œuvre d’éducation qui s’imposait, ni résister avec courage aux excès de Pierre. Rien rares, il est vrai, furent les ecclésiastiques qui osèrent, comme Mélrophane de Voronège ou quelques autres, faire front au despote qui tenait en mains lesdestinées de la Russie. Adrien ne semble avoir eu que peu d’autorité sur les autres évêques : une seule fois, l’archevêque de Kholmogory, Athanase, qui semble, lui, avoir été d’une tout a-tre trempe que son patriarche, s’avisa de le consulter sur un point important. Adrien en fut tout ému et lui en exprima sa reconnaissante admiration. On voit bien qu’on le consultait peu. Il mourut en 1700. Pierre n’était pas alors à Moscou, mais les jésuites qui s’y trouvaient virent juste quand ils dirent que Pierre, très probablement, ne lui trouverait pas de remplaçant.

Un décret du 16 décembre 1700 détermina, au moins pour un temps, la situation ecclésiastique. L’administration temporelle des immenses biens fonciers qui étaient la propriété de l’Église fut confiée à la « chancellerie monastique » ( Monastyrskij prikaz), fondée en 1648, supprimée en L667 comme anticanonique et rétablie maintenant. Ivan Musin Puskin fut préposé à ce nouvel organe. Comme remplaçant du patriarche Adrien, sans pourtant lui donner la dignité et le titre de patriarche, Pierre désigna Stéphane Javorskij comme i gardien du siège patriarcal ».

Les lettres d’Adrien à Pierre le Grand ont été publiées par Leonid, Correspondance de Pierre I effet du patriarche Adrien, dans Russkij Arkhiv, 1878, i, 5 ; Clenija, 1870, 4 ; Lettres du pair. Adrien ri de l’archevêque de Kholmogory, Athanase, au sujet du monastère de Solovki ( Gramnudij…), dans Pamjatniki dreimej pis’menno.lti, 1879, 3. La seule monographie quelque peu intéressante que nous connaissons sur Adrien est celle de G. Skvortsov, Putriurkh Adrian, dans Prav. Sob., 1912-1913 ; I’. Nikolacvskij, L’archidiacre d’Adrien, patriarche de Moscou (Arkhidiakon. ..), dans Khr, Cten., 1891, n. 1 ; G. Popov, Note sur la mort du patriarche Atirien (Zapis…), dans Khr. Cten., 1892, n. 2 ; N. Travfietov, La suppression du patriarcat en Hussie (Prekrascenie…), dans Strannik, sept. 1897. On trouvera d’abondants détails sur la suppression du patriarcat chez tous les historiens de Pierre le Grand : Hruekner, Peter der Grosse, Berlin, 1879 ; Waliszewski, Pierre le Grand, Ie éd., Paris, 1897 ; St. Graham, Peler the Great, Londres, 1929, etc.

Sur le concile de 1098 et la condamnation du diacre catholique Pierre Artemêv, voir Nikolskij, Pétr Artemêi), dans Pravoslavnoe Ohozrênie, 1803 ; Skvorlsov en traite tout au long en sa monographie sur le patriarche Adrien, dans Prav. Sob., mai 1912, p. 013-619.

Siméon (Stéphane) Javorskij naquit en 1658 en Galicic, de parents orthodoxes qui émigrèrent en Ukraine russe après la paix d’Andrussov. Les biographes de Javorskij parlent, à cette occasion, de persécutions contre la religion orthodoxe en Pologne. L’enfant fit ses études à l’académie ecclésiastique de Kiev, puis, comme tant d’autres de ses camarades, il partit pour l’étranger ; il étudia à Lvov. Lublin, Vilna et Poznan, y conquit ses grades, se fit catholique et prit le nom de Stanislas — c’était la pratique constante des étudiants kiéviens de passer à l’union quand ils venaient étudier dans les écoles occidentales. — Puis il revint à Kiev en 1689 et fit sa soumission à l’Église orthodoxe. Ne nous scandalisons pas trop de ces changements de religion, si fréquents à cette époque, parmi ces étudiants. Siméon devint alors moine et prit le nom de Stéphane. Il vécut aux Cryptes : il se distingua vile comme prédicateur et devint professeur de philosophie et de théologie. Il s’intéressait surtout à la controverse et écrivit alors contre les protestants un Tractatus theologiæ controversée, Iradilus in collegio Kijowo Mohilœano a Revcrendissimo Paire Siephano Javorskij, encore inédit. Il donnait à ses élèves l’enseignement très traditionnel et catholicisant qu’il avait appris chez les jésuites. Il fut alors envoyé à Moscou pour diverses missions, encore qu’il ne semble pas y avoir causé beaucoup d’impression.

Il se trouvait de nouveau dans la capitale en février 1700. On y faisait les funérailles du général Chein et Javorskij fut chargé de l’oraison funèbre. Il eut parmi ses auditeurs le tsar lui-même qui, on le sait, était très sensible à l’éloquence. Pierre, comparant le lettré malo-russe dont il venait d’entendre l’éloquent discours avec ses pauvres hiérarques moscovites, fut enthousiasmé et il commanda au patriarche Adrien de nommer l’orateur à quelque évêché grand-russien, aussi près que possible de Moscou. Stéphane fut désigné pour Riazan. Adrien mourut le 15 octobre de la même année et, peu après, le métropolite de Riazan tout en gardant son titre fut nommé, comme nous l’avons dit, gardien du siège patriarcal.

La même année ou dès le début de l’année suivante, l’académie de Moscou qui languissait depuis le départ des Likhudi fut placée sous sa protection. Il s’empressa de faire venir de Kiev un certain nombre de professeurs et l’académie donna bientôt un enseignement occidentalisant, en tout semblable à celui de la fameuse école de Kiev. Le premier recteur de l’académie ainsi transformée fut Palladius Rogovskij qui avait d’abord été nommé préfet après la mort du patriarche Adrien. Disciple des Likhudi, Rogovskij avait complété ses études chez les jésuites de Vilna, puis était allé à Olomouc, à Vienne, à Venise et à Rome. Il se fit alors catholique ; il rentra dans le giron de l’Église orthodoxe en 1699 et, l’année suivante, il était préposé à l’académie. Le plus éminent de ses successeurs était sans contredit Théophylacte Lopatinskij, né et éduqué à Lvov. Théophylacte fut d’abord préfet (1706-1708), puis recteur de l’académie (1708-1722) et enfin archevêque de Tver. II fut l’adversaire le plus résolu des doctrines nouvelles lancées en Russie par Théophane Procopoviè. Beaucoup de professeurs vinrent aussi de Kiev. Il paraît même qu’on fit venir un certain nombre d’élèves. L’aristocratie moscovite envoyait ses enfants au collège des jésuites ; les fils de prêtres, sur lesquels on comptait pour fournir un auditoire aux professeurs, s’enfuyaient de l’école et Pierre le Grand était trop occupé à d’autres affaires pour les tenir en place. Javorskij, pour ne pas faire parler les professeurs dans des salles vides, recruta un certain nombre d’élèves à Kiev. L’influence kiévienne sur toute la pensée russe devait s’imposer encore pour de longues années ; durant toute la première moitié du xvine siècle, l’immense majorité des recteurs, préfets et professeurs de l’académie de Moscou était d’origine kiévienne. C’est assez dire quelles influences formèrent la pensée russe de cette époque.

Pour l’histoire de l’académie de Moscou, il faut encore avoir recours à S.-K. Smirnov, Histoire de V académie slavogréco-latine de Moscou (Istorija…), dans Pribavlenija I ; izd. tvor. sv. Otsev, 1852-1854 ; éditée aussi > part ; K.-V. KharlampoviC, L’influence malo-russe (supra, col. 306), p. 2, 644-668 ; M. (likoKkij, Grigorij Sklbinskij, dans Pravoslavnoe Obozrênie, L862, n. 11, 1863, n. 2 ; Just Juel, lin rejsc lit Rusland under Tsar Peter, Copenhague, 1893, une traduction russe de cet écrit a paru dnm Russkij Arkhlv, 1802. Sur Palladius Rogovskij voir t. Nikolskij, Émigrés russes îles écoles étrangères au AT// 1’siècle (Vgkhodtsy…), dans Pravosl. Obozrênie, 1863, n. 2 ; Lettres et rapports des jésuites sur la Russie à la (in du XVII" et au début du XVIII’siècle, Pétersbourg, 1901 (l’is’ma i donesenija…).

On trouve les mêmes tendances parmi les candidatures à l’épiscopat. Javorskij, il est vrai, fit aussi nommer quelques Grands-Russiens, mais il est manifeste que lui (ou plutôt Pierre le Grand) favorisèrent de beaucoup les Malo-Russes (Petits-Russiens) : le23 marsl701, Dimitri Tuptalo fut consacré métropolite de Tobolsk. mais il renonça à cette éparchie pour cause de santé et fut transféré à Rostov. On lui substitua Philothée Leszezynski, un autre Kiévien. En 1704, Justin Vasilicviè fut consacré pour Helgorod. En 1705, il y avait déjà six évoques malo-russes en Grande-Russie ; de 1700 à 1721 leur nombre monta à quinze. De 1700 jusqu’à l’avènement de Catherine II (1763), les Malo-Russes comptèrent soixante-dix évêques en Grande-Russie. La plupart d’entre eux étaient de tendance conservatrice et par conséquent, pour ce qui est de la théologie, catholicisant s.

K. KharlampoviC, oj>. cit., c. vu : Évêques malo-russes ; l’élément malo-russe dans l’administration éparchinle, p. 505-550 ; voir encore S.-G. Runkeviê, Les évêques de l’époque de Pierre et leur correspondance avec Pierre le Grand ( Arkhierei…), I’étersbourg, 1906 (voir aussi Strannik, 1904, n. 2) ; N.-Th. Kaptcrcv, Le patriarche de Jérusalem Dosilhée et ses rapports avec le gouvernement russe (Ierusalimskij…), dans Ctenija, 1891, n. 2, le patriarche de Jérusalem était très opposé à ces évêques malo-russes précisément à cause de leurs tendances catholicisantes.

Parmi les plus fameux de ces évêques, nommons seulement Javorskij et Dimitri Tuptalo. Javorskij est surtout connu comme orateur ; mais après sa mort parut son ouvrage La pierre de la foi (Kamen vênj) qui devait être d’importance capitale pour le développement de la pensée théologique en Russie. La pierre de la foi est un traité de polémique antiprotestante ; il y est question des saintes images ; de la croix ; des reliques ; de la sainte eucharistie ; du culte des saints ; des âmes saintes ; de la bienfaisance envers les défunts : des traditions ; de la sainte liturgie (c’est-à-dire du saint sacrifice) ; du jeûne ; des bonnes œuvres. Il y a enfin un épilogue sur le châtiment à infliger aux hérétiques. Javorskij était partisan de la manière forte.

Javorskij doit beaucoup aux théologiens catholiques, en particulier à Rellarmin. On trouvera dans l’ouvrage de I. Morev (p. 188 sq.) des tableaux synoptiques montrant les emprunts faits par le métropolite de Riazan au saint docteur de l’Église catholique. Parfois, la pensée seulement a été empruntée, parfois des phrases entières ont été incorporées dans la Pierre de la foi. La méthode de Javorskij est occidentale. Il donne d’abord en les développant longuement les arguments de la sainfe Écriture, ensuite les citations des Pères et des conciles, enfin, la raison théologique. La pensée est ordinairement précise ; les distinctions abondent. Toute la manière rappelle vivement les théologiens scolastiqucs occidentaux.

Le Kamen Vêrg, écrit en 1713, ne vit le jour qu’en 1729 (Moscou) ; une 2’éd. parut l’année suivante à Kiev. Quand Anne Joannovna vint au pouvoir, l’influence protestante de son gouvernement arrêta la vente du Kamen. On en saisit 455 exemplaires a l’imprimerie, 12 exemplaires à la bibliothèque synodale et quelques autres chez les marchands de Moscou. Cette captivité dura jusqu’à l’avéncment d’Elisabeth Petrovna. nés lors les éditions se multiplièrent : Moscou, 1710 ; I’étersbourg, 1839 ; Moscou, 1811, 1813, etc.

IMi. Ternovskij, Le métropolite S. Javorskij, dans Trudg, 1864, ! i. 1 ; II. Koeh, Die russische Orthodoxie im Petrinischen Zeitalter, Brestau, 1020 (compare les doctrines de Javorskij et Procopovif ; bonne exposition de la doctrine de ce dernier) ; Makarij, l.a lettre de Stéphane Javorskij… au sujet île l’enseignement du moine 1 héophane Proeopovic (1718), dans Ctenija, 1864 ; S.-N. Maslov, Bibliothèque de Stéphane Javorskij, Kiev, 1914 ; I.-V. Morev, Le Kamen 1° ; / du mélropol. Stéphane Javorskij (Kamen’…), Pétersbourg, 1904, ouvrage capital ; voir les recensions de A. Ponomarev, Quelques remarques et observations en guise de post-scriptnm au Kamen Vêrg de I.-V. Morev (Neskol’ko zamèèanij…), dans Khr. Cten., 1905 ; V. Pcvnicldj, Les discours de Stéphane Javorskij, métropol. de Riazan et Murotn (Slova…), dans Trudꝟ. 1874-1875-1877 ; In.Samarin, Stéphane Juvorskij et Théophane Procopoviè, 1840-1843. Œuvres complètes de Javorskij, 5 vol., Moscou, 1880.

Dimitri de Rostov est célèbre comme hagiographe. Ses Menées sont fameuses, mais il eut des difficultés à les éditer. Il s’était efforcé d’obtenir la permission du patriarche Joachim de Moscou pour procéder à l’impression ; comme il ne pouvait l’obtenir, on décida à Kiev d’aller de l’avant et de faire accepter ensuite le fait accompli. Le t. i fut donc imprimé en janvier 1089 et fut examiné par l’archimandrite des Cryptes, Barlaam, les moines du chapitre, le métropolite de Kiev et encore l’archevêque de Cernigov. Le livre fut alors envoyé à Moscou d’où vint une verte réprimande. On accusa surtout Dimitri d’avoir défendu l’immaculée conception, d’avoir imprimé une Vie de saint Jérôme en l’appelant docteur orthodoxe, enfin d’avoir imprimé la Couronne du Christ.

Dimitri cherchait à acclimatera Rostov les dévotions chères aux catholiques. Son commentaire de [’Anima Christi est très beau. Dans ses homélies au clergé de son diocèse, il trouve des expressions aussi touchantes qu’énergiques pour lui faire comprendre ce qu’est l’eucharistie. Il voulait que tous ses prêtres et leurs lidèles se prosternassent en entrant à l’église, et il composait pour eux d’émouvantes actions de grâce après la sainte communion. On voudrait transcrire ici les pages qu’il a écrites — pages très belles et profondément pieuses — sur le culte du Sacré-Cœur.

Sa pensée théologique est condensée dans ses Questions et réponses sur la foi et attires connaissances plus importantes pour un chrétien, dans Œuvres complètes, t. i, p. 59-91. La doctrine, en général, est sûre. On remarque qu’il s’est rallié à la doctrine moscovite sur la transsubstantiation par l’épiclèse. En dehors du Rozysk, écrit contre les starovières, dont nous avons parlé ailleurs, la plupart des œuvres que nous a laissées le pieux métropolite sont des sermons ou des écrits ascétiques. Il a laissé aussi un diaire et une histoire de Russie. Il mourut le 28 octobre 1709 ; on le trouva mort dans sa cellule, à genoux. Il fut canonisé le 22 avril 1757.

Une édition des œuvres de Dimitri de Rostov a été réimprimée en 5 vol. à Moscou, 1857 ; une autre à Kiev, 18911895 ; une autre à Pétersbourg (s. d. [après 1905]) ; cette dernière dont nous nous sommes servi ne contient ni le Rozysk (dont les éditions sont nombreuses), ni les Menées.

R. Dimitri, Instruction au moine Barlaam pour la visite d’Vgliiet du territoire adjacent, en appendice dans Sctaljapkin, Saint Dimitri de Rostov et son époque, Pétersbourg, 1891 ; P>. Dimitri, Mesures pédagogiques pour réprimer l’indépendance de ses écoliers ; Dimitri avait fondé une école à Rostov et ses jeunes gens montraient une indépendance bien moscovite à l’égard de l’instruction ; Dimitri les gourmande très énergiquement, texte dans Ctenija, 1883, n. 2 ; R. Dimitri, Le drame de l’Assomption, dans Clenija, 1907, n. 3, p. ix43 ; A. Nikolskij, Quelques mots sur la vie et les œuvres de Dimitri de Rostov, dans Izv. Otd., 1909, n. 1 ; P. Popov, Saint Dimitri de Rostov et ses travaux, Pétersbourg, 1910 ; A. Titov, Les sermons de l’évêque Dimitri, mélropol. de Rostov (en ukrainien : Propovedv…), Moscou, 1909 ; Th. Titov, Histoire de l’académie de Kiev aux XVIl’-XVIII’s. et saint Dimitri de Rostov, dans Trudy, oc t. 1909.

Mais si les évêques ukrainiens plaisaient à Pierre à cause de leur instruction, incomparablement supérieure à celle de leurs confrères moscovites, leur manque de souplesse vis-à-vis de l’autorité qu’il centralisait de plus en plus dans ses mains le fatigua vite. Pierre n’aimait guère de résistance, pas plus dans ses projets religieux que dans les autres. Javorskij n’était pas non plus l’homme de la situation. Il ne satisfaisait ni Pierre, ni les autres membres du clergé, ni sa propre conscience. Il était trop consciencieux pour faire en toutes choses la volonté de son souverain, il n’était pas assez courageux pour s’y opposer résolument. Bien des fois, quand les abus devenaient par trop criants, Javorskij élevait la voix, mais sur un signe du terrible despote, il s’humiliait, pleurait, demandait pardon et offrait sa démission en suppliant qu’on le laissât rentrer au monastère. Pierre, qui appréciait les efforts de Javorskij dans la fondation et la direction des multiples écoles qui s’ouvraient alors, se gardait bien de l’accepter. Il y eut de graves incidents. Quand en 1712 Pierre institua les fiscaux. Javorskij protesta éloquemment dans un sermon qui fut aussitôt dénoncé. Le malheureux métropolite dut se rétracter et faire des excuses. Il finit par perdre totalement la faveur du souverain par ses velléités de résistance et l’estime publique par son manque de courage lors de l’assassinat du tsarevic Alexis. Aussi Pierre, qui avait la volonté bien arrêtée de moderniser l’Église comme le reste du pays, dut-il chercher aide ailleurs. Il trouva l’instrument qu’il lui fallait dans la personne du moine kiévieii Théophane Procopoviè.

Né à Kiev le 8 juin 1681 (encore que tous les historiens ne soient pas d’accord sur cette date), Éléazar ProcopoviC était le neveu du recteur de la fameuse académie : il trouva aisément une place comme élève jusqu’en 1698. Il partit alors pour la Pologne, se fit catholique et moine basilien (il prit le nom d’Elisée) et fut professeur de rhétorique à Vladimir de Volhynie. De là il fut envoyé à Rome. Ses biographes disent couramment qu’il étudia au collège grec de Saint Athanase, encore qu’aux archives de ce collège nous n’ayons pas trouvé trace de ce passage. Il y lit, paraît-il, de brillantes études, puis revint en Russie, se refit orthodoxe et moine en prenant, cette fois, le nom de Samuel. Il fut nommé professeur à l’académie de Kiev (1704) : il ne prit le nom de Théophane, en l’honneur de son oncle, que l’année suivante et il commença à donner dans l’illustre académie cet enseignement protestant isanl qui devait alors causer tant de scandale parmi ses collègues.

Le 1 juillet 1706, il prêcha devant Pierre le Grand quand le souverain vint inaugurer une forteresse à Kiev. Autrement retentissant fut son panégyrique de 1709, prêché quand Pierre visita l’antique capitale de la Russie méridionale après la victoire de Poltava. Procopoviè est dès lors en vue. Mensikov, venu lui aussi à Kiev en décembre 1700, fut honoré à son tour d’un Éloge des actions glorieuses de l’illustre prince A. I). MenSikov. Quand Pierre se fatigua sérieusement de Javorskij, il fit venir Procopoviè à Saint-Pétersbourg. Dès lors sa carrière était faite et l’on s’attendait à chaque instant à sa nomination à quelque éparchie. Il prêchait à toutes les occasions politiques et religieuses : ses sermons s’imprimaient aussitôt. Lu 1718, Pierre voulut le nommer archevêque de Pskov. Cette nomination n’alla pas sans causer de graves inquiétudes au groupe de théologiens kiéviens établis à Moscou. Ils rédigèrent une protestation en règle que Javorskij signa et fit présenter au souverain. On accusait Théophane d’être hétérodoxe et Javorskij disait, assez judicieusement en somme, que, si Procopoviè tenait à sa doctrine, celle-ci devait être déférée aux patriarches orientaux, (pue, s’il y renonçait, il devait faire une abjuration en règle. Pierre n’était pas homme à se préoccuper d’orthodoxie ou d’hétérodoxie. Javorskij dut s’exécuter, faire consacrer son rival et lui présenter ensuite les plus plates excuses. Procopoviè n’alla jamais à Pskov. Il resta à Saint-Pétersbourg et dirigea l’Église de Russie. De concert avec le tsar, il élabora le règlement spirituel, fonda le Saint-Synode où, en dépit de la présidence purement nominale de Javorskij

qui hésita longtemps avant de signer ce règlement

violemment anticanon iqne). il gouverna et réforma l’Église russe. Il justifia la primauté absolue du pouvoir civil par plusieurs écrits et discours relent issants : i.a justice de la volonté du monarque ; Enquête sur les raisons pour lesquelles les anciens empereurs romains, païens et chrétiens, s’appelaient pontifes et sur le sens dans lequel les empereurs chrétiens ont ce litre. Il permit les mariages mixtes, introduisit le divorce : fut l’au teur de lois très graves contre le monachisme russe ; en un mot, il fut le bras droit de Pierre le Grand.

Après la mort de Pierre I effet jusqu’à l’avènement d’Anna Ivanovna avec son entourage protestant, tristement célèbre dans l’histoire de Russie sous le nom de Biron&cina, Procopoviè se maintint tant bien que mal, en se défendant énergiquement et parfois cruelement contre l’accusation d’hétérodoxie que les plus distingués parmi les prélats de Russie lui jetaient à la face sans se lasser. Sa défense était toujours la même ; les opuscules incriminés avaient été écrits sur l’ordre de Pierre le Grand et parfois avec sa collaboration. Quand Anna vint au pouvoir, ou plutôt quand Ernest von Riren dirigea les affaires de Russie, Procopoviè lui aussi retrouva son influence. Il en profita pour faire de vastes enquêtes contre ses adversaires théologiques, les faire emprisonner, exiler et parfois torturer. Il passa dans ces occupations policières les dernières années de sa vie.

Il faut distinguer, dans l’œuvre théologique île Procopoviè, deux catégories de travaux : ceux qu’il publia lui-même durant sa vie et ses grands traités théologiques qui ne furent publiés en Allemagne que longtemps après sa mort. Ces derniers eurent manifestement peu d’influence sur la pensée religieuse en Russie au xviii’siècle. Procopoviè publia lui-même un certain nombre d’opuscules : 1. Sur l’absolutisme impérial : Justice de la volonté du monarque, (l’ravda voli monarSej), Pétersbourg, 172(> ; Enquête sur le droit des anciens empereurs comme des empereurs eliréliens ù porter le litre de pontife (Rozysk…), 1726 ; plusieurs discours ; Le règlement ecclésiastique. - - 2. Sur le baptême par infusion (O kreScenii polivat’nom), Moscou, 1721 ; il fallait une certaine audace pour défendre cette thèse en.Moscovie. — -.’?. Sur le mariage d’orthodoxes avec des personnes d’autre religion (O brakakh…), Pétersbourg, 1721. Celui de ses ouvrages qui suscita peut-être le plus de commentaires désagréables fut son Commentaire sur les béatitudes du Christ (Krislovij o blazenslvakh…), Pétersbourg, mars 1722 ; 2 « éd., août 1722.

Les Christianæ orthodoxes theologise in Academia Kiowiensi. .. adornalæ et prapositiv lecliones de notre auteur OÙ sa doctrine très protestant isante était développée furent publiées d’abord à Kœnigsberg, 1773-177°). puis à Leipzig, 1782-1781. L’étude de cette doctrine, comme celle du précurseur de Prix opoviè. le Prussien Adam Zornikavins émigré à Ccrnigov, durant la Seconde moitié du XIV siècle, appartient plutôt à une période suivante, car ces grands traités restèrent inconnus à l’époque dont nous nous occupons.

I. CistovlC, Théophane Procopovit et son époque, Pétersbourg ! 1868 ; L’affaire ReSilovskoje, Théophane Procopovit et Théophulæte Lopalinskij, Pétersbourg, tsoi ; S.-N. BraJlovskij, A propos de la biogr. de Th. l’r. / K biografli…), dans Zurn. Min. <ir. l’r., juin 1893 ; G. t.ui’vië, La « Pravda voit monarëe) » de Th. Pr. et us sources occident., turlev, 1915 ; L’affaire de Th. Procopovit (Dêlo o Th. Pr.), dans

Cleniju, 18t12. Ce sont quelques-lins des documents avant

trait aux débats sur l’orthodoxie du personnage. On j trouvera la Vie de l’archev. de Novgorod, l’hérétique Th. Procopoviè, écrite p : ir Marcel liodyse -~ 1< i.î ; A. -Y. Kartoscv, Sur l’orthodoxie de Th. Procopoviè (K voprosu…), dans Mélanges Kobeko, Pétersbourg, 1913 ; I’. Morozov, Th. Procopoviè, écrivain, ibid., 1880, paru d’abord rians£urn. Min. A’or. Pr., (évr.-sept. 1880 ; I. MoroSkin, Théophylacte f.opatinskij, clans Russkaja Starina, janv.-févr. 18<S0 ; S. -G. Iiunkcvic", Th. Procopoviè dons su correspondance avec Pierre le Grand, dans Strannik, févr. 1906 ; Th. Tikhomirov, L’idée de l’absolutisme de Dieu et la scolaslique protestante dans la théologie de Th. Procopoviè (Ideja), dans Khr. Clen., 1884, n. 2. Pour son activité administrative, voir surtout les premiers volumes de la Description des archives du Saint-Synode (Opisanie…) ou de la Collection complète de* décrets et décisions ayant trait à lu religion orthodoxe dans l’empire russe ( Poinoe sobranie…).

Théophane Procopoviè exerça une inllucncc décisive sur la vie ecclésiastique de son pays par le concours qu’il prêta à Pierre le Grand dans l’institution du Saint-Synode. L’Église russe perdit alors les derniers vest iges de liberté qu’elle avait péniblement conservés durant sa lutte séculaire avec le pouvoir civil, lutte qui avait produit peu de héros. Le Saint-Synode, dans la conception de ses fondateurs, fut simplement l’organe par lequel le souverain gouverna l’Église de Russie. Les membres de ce collège ecclésiastique devaient jurer qu’ils reconnaissaient « comme juge suprême de ce collège notre monarque très clément de toute la Russie ».

Nous n’avons pas a analyser ici le règlement ecclésiastique de Pierre le Grand qui intéresse bien plus les canonistes que les théologiens. Il nous suffit ici de préciser les causes, indiquées par le Règlement ecclésiastique, de la transformation opérée dans le gouvernement de l’Église. Nous omettons celles qui nous semblent de moindre importance : Il y a plus de lumière dans les délibérations : " Là où un groupe nombreux s’efforce à examiner la vérité, celle-ci apparaît mieux et est plus certaine que si elle a été l’objet de l’examen d’un seul. » — Il y a plus d’autorité : « Et ceci est encore plus important dans l’Église oit le gouvernement n’est pas monarchique afin de ne pas dominer sur le clergé. » — Le Collège jouira de tout le prestige de l’empereur : « Nous sommes convaincus que le Collège aura nécessairement beaucoup d’autorité du fait qu’il dépend du monarque et qu’il en a reçu son origine. » — Les affaires seront expédiées plus rapidement, surtout si le « hiérarque » tombait malade ou « était occupe a d’autres affaires inévitables « ou retenu parla maladie et la mort. — Il y aura plus d’honnêteté, l’incorruptibilité d’un seul étant moins assurée que celle d’un groupe. Il y aura plus de justice, car le collège se laissera moins effrayer par les puissants qu’un seul. — Il n’y aura pas de difficultés avec le gouvernement de l’État, car le peuple ne se rend pas toujours compte de la différence entre le droit de l’Étal et celui de l’Église. Quand il voit la splendeur du pontife suprême, il est rempli d’admiration et va jusqu’à croire que ce pontife est égal à l’autocrate ou même son supérieur ». Pierre voulait à tout prix empêcher une seconde affaire Nikon, Le seul autocrate, c’était lui. — Il y aura plus de sûreté, car si quelqu’un des membres du synode, même son président (ceci pour Javorskij I), erre en quelque point, il pourra être corrigé par ses collègues au juge ment desquels il sera soumis. - Enfin, le Saint-Synode devait être un séminaire d’évêques. On voit ce qdl reste, dans cette conception inspirée visiblement de théologiens protestants, de l’institution divine de l’Église, de la constitution que lui a donnée.lésas Christ et de la place faite à l’Esprit-Saint dans SOI) gouvernement.

Reconnaissons pourtant que l’institution du Saint-Synode lit beaucoup pour l’instruction du clergé en Russie et aussi pour son maintien extérieur. Beaucoup de graves abus lurent corrigés, brutalement il est vrai, et l’Église, sous la surveillance plus continue du gouvernement, connut une splendeur qu’elle n’avait pas eue auparavant.

Le règlement ecclésiastique (Reglament dukhovnyj) a eu un nombre considérable d’éditions, Pétersbourg, 1721 ; Moscou, févr. 1722 ;.juin 1722 ; janv. 1723, etc. L’édition latine du Regulamentum (sic !) ecclesiasticum a été faite en même temps que le texte russe par le P. C. Tondini, Règlement ecclés. de Pierre le Grand, Paris, 1874 ; on la trouvera dans Mansi-Petit, Concilia, t. xxxvii. Il y a aussi une introduction et une traduction françaises.

P. Verkhovskoj, L’institution du collège ecclésiastique et du règlement ecclés., 2 vol., Rostov, 1916 (Ucreidenie…), capital ; T.-V. Barsov, Le Saint-Synode et son passé, Pétersbourg, 1896 (Sv. Sinoil…) ; le même auteur a publié beaucoup d’articles à ce sujet dans Khr. Cten., 1894-1897 ; V. Blagovidov, Les procureurs suprêmes du Saint-Synode au XV IIIe et dans la première moitié du XIX’siècle (Oberprokurory. ..), dans Prao. Sob., 1897 ; V.-V. Belogostinskij, La réforme de Pierre le Grand dans l’administration suprême île l’Église (Reforma…), dans Ëurn. Min. Nar. Pr., juinjuill. 1892 ; P. Verkhovskoj, Le règlement ecclésiastique fut-il falsifié ? (K voprosu…), ibid., déc. 1914 ; N. Vostokov, Le Saint-Synode et ses rapports avec les autres bureaux de l’Étal durant le règne de Pierre le Grand (Sv. Sinod…), ibid., juil.-déc. 1875 ; Th. Zordanov, Le Saint-Synode sous Pierre le Grand (Sv. Sinod…), Tillis, 1882 ; N. Kedrov, Le règlement ecclésiastique dans l’activité réformatrice de l’ierre le Grand (Dukhovnyj Reglament), Moscou, 1886 ; I.-.la. Obraztsov, Description des documents et affaires conservés dans les archives du Saint-Synode (Opisanie dokumentov…), Pétersbourg, 1868 ; voir aussi l’importante recension Zurn. Min. Nar. Pr., oct. 1868, p. 1 I 1-180 ; les volumes suivants de la même collection sont également utiles à consulter. V. Popov, Le Saint-Synode et les bureaux adjoints sous le règne de Pierre 1° (1721-1725) (() v. Sinode…), dans iurn., fév.-mars 1881 ; S. -G. Runkevië, Histoire de l’Église russe sous le gouvernement du Suint-Synode, t. i. Institution et organisation primitive du Saint-Synode, Pétersbourg, 1900, important, a paru d’abord sous forme d’articles dans Khr. Clenie, 1900 ; P.-V. Tikhomirov, Mérite canonique de la réforme de Pierre le Grand dans le gouvernement de l’Église (Kanoniéeskoe dostoinslvo…), dans Rag. Vist., 1904, n. 1.

J. Ledit.


II. LA PENSÉE RELIGIEUSE ET LA THÉOLOGIE EN RUSSIE DEPUIS L’ÉTABLISSEMENT DU SAINT SYNODE.

Comme on vient de le dire, la suppression du patriarcat et l’attribution de l’autorité suprême dans l’Église russe à l’organisme mi-partie ecclésiastique, mi-partie civil qu’est le Saint-Synode, marquent une date extrêmement importante dans la vie de cette Église. On n’entend pas étudier dans la présente section, pas plus qu’on ne l’a t’ait dans la première, l’histoire même de cette Église, depuis cette date historique jusqu’au moment actuel où elle tombe dans la cruelle et angoissante situation que l’on sait. On étudiera seulement ici le développement de la pensée théologique. Ce développement est beaucoup plus facile à marquer qu’aux époques précédentes, où ce sont les circonstances extérieures qui ont le plus souvent, on l’a vii, soulevé les divers problèmes. L’établissement dans la Russie du xviiie siècle de centres d’enseignement théologique a permis aux penseurs chrétiens de rattraper partiellement le retard dont souffrait l’Église russe. Mais le développement théologique ne s’y est pas fait en vase clos ; les influences venues des pays voisins s’y sont fait tour à tour sentir, souvent de manière très sensible.


I. L’enseignement religieux en Russie à partir du XVIIIe siècle.
II. Les académies ecclésiastiques (col. 335).
III. Les études théologiques dans les académies (col. 340).
IV. Les théologiens de l’école de Kiev (col. 345).
V. L’école prokopovienne (col. 351).
VI. Le retour à la tradition : la théologie de Macaire (col. 355).
VII. Les slavophiles (col. 359).
VIII. Les écrivains de la fin du xixe siècle (col. 363).
IX. Les théologiens contemporains (col. 364).



I. L’enseignement religieux en Russie a partir du XVIIIe siècle.

C’est le xviiie siècle qui inaugura l’enseignement ecclésiastique en Russie. Déjà les Russes occidentaux, qui vivaient sous la domination des rois de Pologne comptaient, à partir de la seconde moitié du xvie siècle, quelques collèges ecclésiastiques fondés par les monastères ou des archi-confréries, organisés selon le plan des collèges des Pères de la Compagnie de Jésus, des séminaires catholiques post-Iridentins et de l’académie ecclésiastique de Zamojskv. K. Kharlatnovic, Zapadnorusskija skoli xvi i nacala xvii vêka, Kazan, 1898, p. 38 sq., 185 sq.

La Grande-Russie, après l’annexion de Kiev, sous l’influence des anciens élèves de Kiev, vit nailre et se multiplier dans les villes principales, des collèges ecclésiastiques. Le premier et le plus ancien de ces collèges eut pour fondateur le célèbre métropolite Dimitri de Rostov, lequel, en 1702, ouvrit dans son palais épiscopal une école dirigée par trois professeurs formés à Kiev. Cette école réservait la première place dans l’enseignement à la langue latine (on s’y servait du livre du P. Alvarez, S.J.) ; mais on donnait aussi des cours de grec, de russe et de langue slave ecclésiasl [que, 1’. Znamenskij, Dukhovnyja Skoli v Rossii do reformi 1808 goda, Kazan. 1881. p. 21 sq. ; en 1709, on commença à expliquer la rhétorique ; mais c’est précisément cette même année que s’ouvre, avec la mort de Dimitri, une assez longue parenthèse dans l’école de Rostov, dont on ne parle plus que vers la fin du règne de Pierre le Grand.

L’exemple du zélé métropolite de Rostov eut bien des imitateurs. En 1703, Philothée Lescinskij fonda l’école de Tobolsk. sa ville épiscopale. La troisième école s’ouvrit à Novgorod, par l’initiative de l’évêque Job ; mais celle-ci ne suivit pas la direction de Kiev. Dans une lettre datée de la fin de 1709, Job prétendait qu’anciennement les écoles de Kiev avaient une renommée qu’elles ne méritaient plus dans le présent ; c’est pourquoi il préféra faire venir à Novgorod les frères Likhoudi pour diriger l’école slavo-hellénique. P. Znamenskij, op. cit., p. 30 sq. Quatre ou cinq années plus tard, vers 171 1-1715, Dorothée Korol’eviè, métropolite de Smolensk, fonda l’école de cette ville et la plaça sous la direction tic Joasaph Mævskij, formé à Kiev. Ibid., p. 41.

Ces écoles ecclésiastiques sont les seules de la Grande-Russie avant le règne de Pierre I er. Pendant son règne (1682-1725), surtout à partir de la mise en vigueur du règlement ecclésiastique dont nous parlerons plus tard, elles se multiplient rapidement. En 1721, nous trouvons les écoles archiépiscopales de Niznij Novgorod, Alexandre Nevskij, Irkutsk ; en 1722, celles de Tver et Bèlograd ; en 1723, nous devons ajouter à cette énumération celles de Kolomna, Kazan, Souzdal, Vjatka, Archangel : en 1721, Vologoda et Riazan ; en 1725, Ustiodj, Pskov…, et c’est ainsi que dans les années qui suivirent se continuèrent les fondations des écoles ou collèges ecclésiastiques destinés à la formalion des futurs prêtres ; de la sorte, en 173(1. à l’époque d’Anne Ivanovna, nous en trouvons dans quinze eparchies et dans le célèbre monastère d’Alexandre Nevskij, avec un total de 2 589 élèves. Dans tous ces centres d’études on donnait au moins la première formation ; mais plus tard, vers 1750, dans les séminaires de la laure Alexandre Nevskij, dans ceux de Kazan et de Novgorod et dans le collège de Kharkov, on donnait le cours complet de théologie, comme aux académies de Kiev et de.Moscou. N.-I. Petrov.’Lnacenie Kievskoi akademii v razvitii dukhovnikh ëkol i> Hossii s ucre&tenifa sv. Sinoda v 1721 goda i d<> polovini xviii vêka, dans TrudiI. 1904, t. i, p. 523-531. Pour toutes ces chaires. Kiev donna un grand nombre de pr ofesseurs.

Dans les toutes premières années du xixe siècle, avant 1808, on comptait en Russie 4 académies ecclésiastiques (à Kiev. Moscou. Saint-Pétersbourg et Kazan) : 35 séminaires : Arkhangel, Astrakhan, Vladimir, Vologda, Voronej, Jitomir, Vjatka, Ekaterinoslav, Irkutsk, Kaluga, Kostroma, Kursk, Minsk, Mogilev, Moscou (3 séminaires). Niznij Novgorod, Novgorod, Orel, Penza, Perm, Kamenetz, Poltava, Riazan (Kharkov), Smolensk, Tver, Tambov, Tulos, Tobolsk, Cernigov, Jaroslav, Orenburg ; et 76 collèges préparatoires. 7 à Novgorod, 3 a Moscou. 1 à Saint-Pétersbourg, 2 à Kazan. 5 à Tobolsk, 2 à Jaroslav, 5 à Tver, 2 à Mogilev, 9 à Kursk, 1 à Riazan. 2 à Vladimir, 1 à Vologda, 2 à Tula, 2 à Voronej, 2 à Irkutsk. 1 à Kostroma, 1 à Orenbourg, 18 à Kharkov, avec un ensemble de 29 000 élèves. B.-V. Titlinov, Dukhovnaja ëkola pered rejormi 1808 g., dans Khr. Cten., 1908, t. i, p. 110-111. I.e nombre d’élèves continue à augmenter jusqu’à arriver, en 1825, à 43 971 : en 18 : 58. à 62 143 ; en 1856, 4 à 50 574 : en 1853 à 52 963 ; en 1855, à 51 015 ; en 1*859, à 53 910 ; en 1860, à 54 374. B.-V. Titlinov, Dukhovnaja Skola v Rossii v.vLv stolcic. t. i. Vilna, 1908, p. 104 ; t. ii, Vilna, 10(19, p. 73. Il suffit de comparer ces statistiques aux plus récentes d’avant la Grande Guerre, pour cous tater qu’elles représentent la moyenne des centres de l’enseignement ecclésiastique et du nombre des étudiants qui les Fréquentaient. Ainsi, par exemple, en 1906, la Russie comptait un total de 48 987 étudiants qui se préparaient au ministère sacrédans 58 séminaires, avec 19 386 élèves, et 185 collèges ecclésiastiques, avec 29 601 élèves. A. Palmieri.Ln Chiesa russa. Le sue odierne condizionie il suo riformismo dottrinale. Florence, 1908, p. 557. Si nous voulons avoir un tableau complet de l’enseignement religieux dans l’empire russe, en plus de ces centres de formation pour le clergé, nous devrions tenir compte des écoles religieuses pour les laïques. En 1800, il y en avait 7 907 avec un total de 13 : 5 000 élèves ; en 1902. le nombre de ces centres dépassait les 30 000 avec plus d’un million d’élèves et 49 829 professeurs de religion. V. Davydenko, Cerkovngja ëkoli Rossiiskoi Imperii, dans Vêra i rczum, t. ii, 1904, p. 9 sq. Mais dans ces derniers centres, l’enseignement religieux était primaire et loin de l’étude approfondie de la théologie dont nous nous occuperons. Nous pouvons donc les passer sous silence et considérer seulement les centres de haute culture ecclésiastique.

II. LES ACADÉMIES ECCLÉSIASTIQUES. —

NOUS pouvons distinguer dans la formation du haut clergé russe les étapes suivantes : premièrement le collège où, en même temps que les premiers rudiments de religion, les élèves étudient les humanités ; le séminaire avec des classes de philosophie, de théologie et d’autres sciences ecclésiastiques : les académies ecclésiastiques ou instituts supérieurs de culture théologique, avec faculté de conférer des litres académiques ; c’est de ces académies que nous avons à traiter.

Les académies ecclésiastiques sont de vraies facultés de théologie. Aulant par leur litre d’ « académies a que par le genre et l’organisation de l’enseignement, elles trahissent clairement l’influence occidentale. Cf. Th.-I. Petrov, Preobrazovanie dukhovnikh akademii v Rossii, dans Trudꝟ. 1906. t. i. p. 622 sq. Leur nombre ne fut pas toujours Bxe. Généralement on en compte quatre : celles de Kiev, de Moscou, de Saint-Pétersbourg et celle de Kazan ; mais seules celles de Kiev et de Moscou conservèrent toujours le titre d’académie qu’elles eurent dès 1701.

L’académie de Kiev.

I.e métropolite Macairc. dans son llisluire de l’académie de Kiev, signale quatre périodes nettement différentes, quant a la vie et l’organisation de celle institution : l’école de Kiev (1589-1631) ; le collège Kiévo-moghilien (1631-1701) ; l’académie Kiévo-moghiliano-javorskienne (1701-1819) et l’académie ecclésiastique de Kiev (1819-1917).

Nous ne nous arrêterons pas à la première période, c’est-à-dire à l’école orthodoxe fondée par l’archiconfrérie de l’Epiphanie de Kiev en 1589. Cf. S. Golubev, Istorija Kievskoi dukhovnoi akademii, t. i, Perind do-Mogilanskii, Kiev, 1886 ; S. Golubev, O pervijkh vrcmenakh Kievo-bogojavlenskago bralstva i Skoli pri mm. dans Trudꝟ. 1882. t. i. p. 233-254 ; K.-V. Kharlatnoviè. Zapadno-Russkija cerkovnyja bralstva i ikh prosvëtitelnaja dêjatelnost v kontsê xvi i v natale Al n v., dans Khr. Cten., 1899. t. i, p. 372-390. Cette école se contentait d’un nombre restreint d’élèves, auxquels elle donnait une instruction élémentaire comprenant la grammaire, la rhétorique et quelque* fois les premières notions de logique, selon la Dialectique de saint Jean Damascène, traduite par Kurbikon. M. Linceskij, Pedagogija drevnikh bratskikh

Skol dans Trudy de Kiev, 1870, t. iii, p. 115 sq.,

133. Quand, au mois de novembre de 1627, Pierre Moghila fut nommé archimandrite de la Pecerskaja lavra, commença pour les études ecclésiastiques des orthodoxes à Kiev, une période de grande prospérité. Cette laure renommée exerça une influence considérable sur la culture ecclésiastique slave, surtout quand l’archimandrite Elisée Pletenetski y fonda, en 1606, une typographie. Th. Titov, Tipogra/ija Kievopecerskoi lavri, t. i, Kiev. 1916. p. 63 sq. Le caractère entreprenant de Moghila se manifesta bientôt dans l’édition des livres slaves qui sortirent des imprimeries de Kiev, à partir de 1627 jusqu’à 1646. Th. Titov, op. cit., p. 169-312. et surtout dans la fondation d’un collège en 1631. L’année suivante, ce collège absorbait le collège de l’archiconfrérie de l’Epiphanie et, en 1635, Moghila, déjà métropolite de Kiev, obtenait de Ladislas IV le « privilège royal ». A. Jablonowski, Akademia Kijowsko-Mohilanska, Cracovie, 1899-1900, p. 85 sq.

Le collège de Moghila se limita tout d’abord aux règlements propres des gymnases, comme les autres collèges latins qui existaient en Pologne, dirigés par les Pères de la Compagnie de Jésus, dont on imitait les manuels. À la fin du xviie siècle, la Poétique du P. Sarbicwski et la Rhétorique du P. Thomas Mlodzianovski continuaient à former les élèves de Kiev, ainsi que ks opuscules de Joasaph Krokovski et d’autres professeurs du collège moghilien. A. Jablonowski. o/>. cit., p. 170 sq. En 1672. pendant le rectorat de Barlaam Jasienskij, on commença à enseigner la philosophie aristotélicienne selon les manuels courants dans les écoles catholiques, spécialement d’après le Cursus philosophicus du P. Sébastien Kleczanski, professeur du collège de la Compagnie de Jésus de Lvov. Ce n’est qu’à partir de 1685-1686, que les professeurs de Kic : Joasaph Krokovskij, Silvan Ozierskij, Stéphane Javorskij, Procope Kolaczynski, Jérôme Sima rovskij. Innocent Popovskij, commencèrent à lire leurs propres cours (1080-1761). Cf. A. Jablonowski, op. cit., p. 177 sq. En 1690 fut inauguré l’enseignement de la théologie : cet le chaire fut successivement occupée par Joasaph Krokovskij. Stéphane Javorskij et Innocent Popovskij, lesquels, par imitation des établissements voisins, expliquaient la théologie scolastique cl les controverses, selon la méthode de saint Thomas d’Aquin et des grands controversistes catholiques.

Doté de ces nouvelles chaires d’enseignement, le collège de Kiev pouvait aspirer à occuper la première place parmi les écoles ecclésiastiques russes. En effet, grâce aux démarches de Stéphane Javorskij, Pierre le Grand lui conférait, le 26 septembre 1701, le titre d’académie : cf. Macairc. Istorija Kievskoi akademii, Saint-Pétersbourg, 1X13, p. 103 : A. Jablonovski, op. cit., p. 206 sq. Auparavant, on trouve déjà ce titre appliqué parfois à l’école de Kiev, comme dans l’oukase de l’an 1058-1659, lequel accordait à l’académie de Kiev les mêmes privilèges dont jouissait l’académie de Cracovie ; mais c’est à partir de 1701 que le collège moghilien commença à s’appeler officiellement académie. Sur cette période, cf. S. -M. Golubev, Kievskaia akademija v kontsè xvii i v nacalê xviii stol. ; dans Trudij. 1001, t. iii, p. 269-305 ; 1902, t. i, p. 17-60, 315-458 ; "t. ii, p. 96-133 ; N.-I. l’ctrov, Kievskaja akademija v tsarstvovanie imperatriisi Eka-Icnni II, dans Trudij. 1906, t. ii, 453-494, 582-609 ; t. m. p. 245-297 ; Y. Serebrennikov, Kievskaja akademija s polovini xviii v. do preobrazovania eja v 1819 g., Kiev, 1897 ; et aussi dans Trudij, 1896, t. ii, m ; 1897, t. i, ii, ni ; Th.-I. Titov, Kievskaja dukhovnaja akademija v epokhu reform, dans Trudij. 19101915 : D. Visnevskij, Kievskaja akademija v pervoi polovini xviii stol., Kiev, 1903, et aussi dans Trudij. 1902. t. m ; 1903, t. ii, m. Toute cette période, qui embrasse le xviii’siècle, est d’une grande splendeur. A la charge de recteur s’unissait celle de professeur de théologie ; à celle de préfet celle de professeur de philosophie. Les plus illustres professeurs occupèrent d’abord la chaire de philosophie et ensuite celle de théologie, tels par exemple Innocent Popovskij (17001705 : 1705-1706), Théophane Prokopovic (17081711 ; 1711-1715). Joseph Yolcanskij (1721-1727), Silvestre Kuljabka (1738-1740 ; 1740-1745) ; Georges Konisskij (1747-1751 ; 1751-1775), etc. Cette époque est caractérisée par les nombreuses tentatives de réforme, dont nous parlerons plus tard, et par l’augmentation du nombre d’élèves, qui en 1804 était de 1 158, et en 1808 de 1438. Th.-I. Titov. dans Trudꝟ. 1910, t. ii, p. 304.

La réforme de 1819 apporta de grands changements dans l’académie de Kiev. Après une interruption de deux ans, l’académie se rouvrit, le 28 septembre 1819, dans le monastère Bratskij. Se limitant à la formation supérieure des élèves qui avaient terminé leurs études dans les séminaires, elle établit un cours de quatre ans avec des classes de théologie, de philosophie, de sciences et de mathématiques, d’histoire ecclésiastique et de langues. V. Askoncenskij, Istorija Kievskoi dukhovnoi akademii pro preobrazovanii eja v 1X19 yodu, Saint-Pétersbourg, 1863, p. 37-39. 39 élèves terminèrent le premier cours (1819-1823) ; en 1851, des 61 inscrits, 45 furent approuvés. Plus tard, en 1859, au lieu de commencer le cours chaque deux ans, on fit les quatre années de théologie simultanément : le nombre des élèves augmenta ; ils étaient 204 en 1913 (57 en première année, 43 en seconde, 57 en troisième et 47 en quatrième) ; et en 1914 ils étaient 200 (dont 49 en première, 53 en seconde, 42 en troisième et 56 en quatrième). Le nombre de professeurs, pendant cette dernière période de l’académie, augmenta notablement ; les chaires se multiplièrent et, avec elles, les professeurs, qui en 1915 étaient 37, dont 9 surnuméraires, 3 ordinaires, 9 extraordinaires, 14 « enseignants » et 2 lecteurs (cf. les Actes de. l’académie, publiés comme appendice des Trudij, 1914, t. ii, p. 21 ; 1916, t. ii, p. 13-17). À partir de 1860 les professeurs de Kiev publiaient leur propre revue : Trudy Kievskoi dukhovnoi akademii, (citée ici simplement Trudy) qui a cessé d’exister, en même temps que l’académie kiévienne elle-même, après la révolution soviétique.

L’académie de Moscou.

Le germe de la future académie de Moscou fut l’école gréco-latine, fondée par le moine Arsène, sous le patriarcat de Philarète (1619). Quand Arsène fut exilé à Solovki, en 1649, Théodore Mikhailoviè RtiScev. le favori du tsar Alexis Mikhailoviè (1645-1676), fit venir au monastère d’Andreevskij quelques professeurs de Kiev : Épiphane Slavinetskij, Arsène Stanovskij et Damascène Ptutskij. Peu de temps après, le patriarche Nikon réunit dans son école patriarcale, qui se trouvait dans le monastère de Coudov, Épiphane Slavinetskij. qui fut nommé recteur. Arsène Stanovskij et le moine Arsène qu’il fit venir de Solovki ; ceux-ci, plus qu’à l’enseignement, s’appliquèrent à la traduction de livres et à la revision des anciennes versions slaves des ouvrages grecs. L’école de Coudov existait déjà en 1666. Peu après, le tsar Théodore Aleksieviô fonda une école grecque qui mérita, en 1679, une lettre pleine d’éloges de Dosithée, patriarche de Jérusalem. Mais Moscou désirait avoir sa propre académie et, déjà en 1681, par ordre du tsar. Jean Bêlobodskyn, calviniste converti, Gabriel Dometskij et Paul Negrebetskij mirent sur pied le projet de la future académie, comprenant l’étude de la grammaire, de la rhétorique, de la dialectique, de la philosophie et de la théologie. S.-K. Smirnov, Istorija Moskovskoi slavjano-yreco-lalinskoi akademii, Moscou, 1855, p. 4-15.

L’académie, sous le nom d’académie gréco-slave, fut enfin inaugurée, au printemps de l’année 1685, dans le monastère de l’Epiphanie, sous la direction des frères Likhoudi. Voir l’art. Likhoudi, t. ix. col. 757 sq., et ci-dessus, col. 316 sq. (1685-1700). C’est sous le rectorat de Pallady Rogovsky (1700-1703) que commence une nouvelle période dans l’enseignement de l’académie, qui prit le nom d’académie latine ou slavo-latine, et garda son caractère foncièrement latin jusqu’au métropolite Platon (1775), lequel fit prévaloir la culture slave dans l’académie. A. -A. Bèliæv, Mitropolit Platon kak stroitel nacionalnoi dukhovnoi skoli, dans Boy. Vêst., 1912, t. iii, p. 668-681. Celle-ci prend alors le titre d’académie slavo-gréco-latine. Cette troisième période s’étend jusqu’à l’an 1815, époque de la réforme du métropolite Philarète ; c’est alors quecomnicnccl’acm/cmie ecclésiastique de Moscou, laquelle se maintint jusqu’à la chute de l’empire en 1917. L’académie changea de siège plusieurs fois. Du monastère de l’Epiphanie, Platon la transporta au monastère de Nikolskij ; de là elle passa à la lame de Saint-Serge. Le nombre des élèves, très réduit au temps des frères Likhoudi, varia dans la seconde période entre 629 i I 725) et 200 (1750) ; et, pendant la troisième, on compte un minimum de 1 19 ( 1785) et un maximum de 1559 (1807). Mais la plupart des élèves fréquentaient les liasses de grammaire et de rhétorique : la théologie comptait seulement 3 élèves en 1717, Il en 1738 et arrivait à son maximum de 155 en 1805, S.-K. Smirnov, op. cit., p. 181, 341.

Au xix 1’siècle, lorsque L’académie fut entièrement adonnée aux études supérieures de philosophie et de théologie, le nombre total des élèves est plus réduit ; dans les derniers cours on compte 241 étudiants ( 1910191 11, 243(1912-1913). Le nombre des professeurs était de 31 dont 8 ordinaires, 8 extraordinaires, 12 « enseignants « et 3 lecteurs. Otëct o sostojanii Moskovskoi dukhovnoi akademii, 1910-1911, p. 13 sq. ; 1911-1912, p. 14 sq. ; 1912-1913, p. 12 sq. L’académie de Moscou édita, à partir de 1843 jusqu’à 1886, la publication périodique Pribavlenija k isdaniju tvorenij sviatikh Otsev v russkom perevodè (Supplément à l’édition des œuvres des saints Pères en russe) ; en 1892, commença la revue llogoslovskij Véstnik (Le messager théoligique).

L’académie de Saint-Pétersbourg.

Théodose. archevêque de Novgorod et archimandrite du monastère d’Alexandre Nevskij, érigea, le Il juillet 1721, dans ce célèbre monastère une école slave pour des enfants de cinq à treize ans ; ce tut le commencement de l’Académie de Saint-Pétersbourg. I. Cistovic, Istorija S. Peterburyskoi dukhovnoi akademii, Saint-Pétersbourg, 1857, p. 7-11. L’impératrice Catherine I re, le 10 novembre 1725, ordonna d’y introduire l’enseignement du grec et du latin ; ensuite clic changea le nom de l’école en celui de Séminaire slavo-gréco-latin et étendit le cercle d’études jusqu’à la philosophie et la théologie. 1(1., ibid., p. 13, 23. Sous le règne de Catherine II, un oukase du Saint-Synode du 27 juillet 1788 le transforma en Séminaire central d’Alexandre Nevskij ; des élèves choisis dans les séminaires de l’éparchie devaient y recevoir une formation plus complète. Ibid., p. 75 sq. Les étudiants du séminaire slavo-grécolatin étaient environ 70 (en 1711, ils étaient 74 dont 10 en théologie ; en 1702, 05 avec 7 théologiens) ; maintenant ils arrivent à 200. Ibid., p. 05. En 171)7, le séminaire, tout en conservant les cours d’humanités, prit le titre û’Académie d’Alexandre Nevskij ; il était à la hauteur des académies de Moscou et de Kiev. Ibid., p. 102. Les élèves passent de 157 en 1799 à 277 en 1807 ; les cours de théologie sont fréquentés par 15 étudiants en 1799, 19 en 1807. Ibid., p. 143. Enfin, en 1809, fut fondée V Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg, destinée exclusivement aux sciences sacrées. Parmi ses premiers recteurs, se distingue l’hilarète Drozdov (nommé recteur et professeur de théologie le Il mars 1812), qui travailla efficacement au développement de l’académie. I. Cistovic, op. cit.. p. 215 ; voir ici Philahète Drozdov, t. XII, col. 13761395. De 1809 à 1869, on y réunissait un peu plus d’une centaine d’élèves. Quand, en 1869. on établit le système des quatre années simultanées, les élèves de théologie devinrent plus nombreux ; L’année 1886 donne le chiffre le plus élevé ; 355. Cꝟ. 1. Cistoviè, St. Pclersburgskaja dukhovnaja dkademija za poslêdnija .30 Ici (1858-1888), Saint-Pétersbourg, 1889, p. 104-137. Selon la dernière statistique publiée, on comptait 280 élèves en 1912 et 271 en 1913. Les professeurs qui enseignaient dans l’académie pendant les dernières années étaient au nombre de 33 en 1912 et de 37 en 1913. Olcel o soslojanii imper. S. Petersburgskoi dukhovnoi akademii za 1912, p. 18, 25-38 ; id., za 191. !, p. 9, 14-28. À partir de 1821, l’académie publia sa revue : Khristianskoe Ctenie < La lecture chré tienne).

L’académie de Kazan.

Le 18 mars 1723. Tikhon, métropolite de Kazan, ouvrit dans la résidence épiscopale de Theodorovskij, hors de la ville, c école slavo-latine pour la jeunesse destinée au sacerdoce. Les classes commencèrent le 19 mars avec 52 élèves. A. EîIagovcSôenskij, Islorija Kazanskago dukhovnoi seminarii… za xviii-xix stol., Kazan, 1881, p. 13-17. Kn 1726 leur nombre était monté à 18(1. Le métropolite Hilaire Rogalevskij fonda le séminaire de Kazan en 1733 et l’organisa sur le plan de celui de Kiev, d’où le métropolite de cette ville. Raphaël Jaborovskij lui envoya comme professeurs Basile Putsek, Etienne Glovatskij, Germain Borutoviè et Nicolas Sokolovskij, lesquels furent chargés des cours. Au début, on enseignait uniquement la grammaire et la rhétorique ; en 1739. on commence à enseigner la philosophie, et, en 1751. la théologie, dont le premier professeur fut Théophile Ignatioviè. Id., ibid., p. 26 sq.. 36. Enfin, en 1797, sous l’épiscopat d’Ambroise Bodovêdov, et alors que Silvestrc Lebedinskij, était recteur du séminaire, l’oukase de Paul I er transforma l’établissement en une académie ecclésiastique de Kazan, dont la vie fut très courte. Cf. A. BlagOveScenskij, Islorija ttaroi Kazanskol dukhovnoi akademii, 17971818 g., Kazan, 1875. Ln 1807, elle subit une réforme, et bientôt elle lut fermée pour redevenir séminaire, conservant toutefois le plan d’études philosophiques et théologiques propre aux académies. Grâce a l’inté rêt du coin le l’rotasov, ober procureur u Saint Synode, le 21 septembre 1842, fête de saint Dimitri de Rostov, s’ouvrit une seconde fois l’académie ecclésiastique de Kazan, au monastère de Spasskij.

P. Snamenskij, Islorija Kaxanskoi dukhovnoi akademii (1842-1870), t. i, Kazan, 1891. p. 5-23. L’académie de Kazan. quant au nombre des élèves, professeurs, etc. alla de pair avec les autres académies de Russie ; mais elle se lit remarquer entre toutes par une plus grande (idélité à la doctrine orthodoxe, qu’elle défendait non seulement contre les doctrines musulmanes, mais aussi contre les courants libéraux qui prédominai ni dans les sphères théologiques de Russie. N. Pisarev en fait mention dans le discours qu’il prononça en 1917 à l’occasion iu 75e anniversaire de l’Académie. Voir N. Pisarev, Kazanskaja dukhovnaja akademija na sluzenii pravoslavnoi Cerkvi i russkomu narodu, dans Pravoslaonyi Sobesêdnik, 1917. p. 426-457. Cette dernière revue, organe officiel de l’académie de Kazan. fondée en 1855, dura jusqu’à l’année tragique de 1917. L’histoire des académies théologiques, que nous avons esquissée brièvement, offre un champ très vaste d’étude. Nous suivrons uniquement l’organisation et le développement des études théologiques, laissant de côté les autres questions administratives, politiques ou qui se rapportent à la formation proprement ecclésiastique du clergé russe.

III. LES ÉTUDES THÉOLOGIQUES DANS LES ACADÉMIES. —

Les débuts.

Dans les commencements de renseignement de la théologie, on voit dominer l’esprit que Pierre Moghila inspira au collège de Kiev. La pédagogie de Moghila est une copie fidèle du système pratiqué dans les collèges de la Compagnie de Jésus. Il est à la source de I’A nthologion, où Moghila réunit les règles et conseils pour la formation de la jeunesse studieuse, (cf. M. Linccskij, Pedagogija drevnikh bratskikh slwl i preimuiëestvenno drevnei Kievskoi akademii, dans Trudꝟ. 1870, t. iii, p. 562-563), confirmés et complétés dans les Leges académies docentibus et sludentibus observandæ promulguées, le 7 octobre 1734, par l’archevêque de Kiev, Raphaël Jaborovskij. Cf. N.-I. IV trov, Akti i dokumenli otnosjasciesja k istorii Kievskoi akademii, sect. ii, t. i, 1° part., Kiev, 1904, p. 214-219. Jaborovskij insiste sur la piété, la ponctualité, l’usage du latin dans la conversation, sur la soumission aux préfets et inspecteurs, sur la conduite qui convient aux candidats à la prêtrise. Mais c’est dans la partie didactique que la dépendance par rapport à la pédagogie occidentale se fait sentir le plus fort. Moghila fit sien le principe : non mulla sed mullum ; il divisa les classe^ et les exercices scolaires de façon à donner une solide formation aux élèves, pour ce qui concerne le latin et les langues slaves ; les déclamations, actes solennels, etc., complétaient l’enseignement, tout connut dans les collèges des jésuites.

Bien entendu, cette formation humaniste n’entre pas dans le cadre des études théologiques : cependant elle orientait vers l’étude des théologiens latins et elle préparait les intelligences à comprendre la scolastique. Il en fut ainsi quand, en 1689, fut fondée la première chaire de théologie à Kiev. Auparavant, dans les écoles des archiconfrénes. c’est à peine si la théologie est mentionnée et i ! s’agit alors d’un enseignement superficiel ayant pour base une traduction incomplète du livre De fi.de orthodoxa de saint Jean Damascène. K. Kharlatnoviè, Zapadnornsskyja pravoslavnyja Skoli.xi’i iiaculii xvti vêka, Kazan, 1808, p. 153 (la traduction russe contenait quarante-huit chapitres ; plus tard. Kurbikon traduisit les quatre livres, divisée en cent-cinq chapitres). On utilisait aussi le catéchisme de Stéphane Zizanij (éd. 1596), du livre Sertsalo bogoslovija de Cyrille Tranquilion, etc. Ibid., p. 151 158. I.e collège de Moghila suivit cette coutume, mais naturellement pour les cours de religion on employait de préférence le Catéchisme et la Confession du fondateur.’fout d’abord, tant à Kiev qu’à Moscou, l’enseignement théologique se réduisit à une chaire, dans laquelle un même professeur développait pendant quatre années tout le cycle des sciences théologiques. Les manuscrits de ces premiers cours dictés à Kiev indiquent la division générale de la théologie en spéculative ou scolastique et polémique. Le plan général qu’on suit est celui de l’Occident latin : la Summa theologica du Docteur angé’ique. A. Jablonowski. Akademia Kijowsko-Mohilanska, Cracovie, 1899-1900. p. 178. Et c’est tout naturel, puisque le premier professeur de théologie, I. Krokovskij, avait étudié à Rome sous la direction des jésuites au collège Saint-Athanase. Sur Krokovskij, cf. Th. Titov, Russkaja pravoslavnaja Cerkov v polsko-lilovskom gosudarstvê v xvii-xviii v., t. [I, p. 150-170.

Pour connaître l’extension et la distribution des matières pendant cette première époque de l’enseignement théologique dans les académies, examinons quelques traités ; par exemple le cours deThéophylacte Lopatinskij, élève de Kiev et ensuite recteur et professeur de théologie, à l’académie de Moscou de 1706 à 1710. Voir ici son article, t. ix, col. 933. Le cours, conservé dans de nombreux manuscrits de l’académie de Moscou, est intitulé : Scientia sacra, disputationibus et Patribus consentaneis, spéculative et controverse illustrata in collegio Petro Alexiewiano Mosquensi ann. 17061710. Pour chaque année il signale une ou plusieurs questions scolastiques, morales, ou polémiques : I n année : Doctrine scolastique de Dieu un en trois personnes ; des contrats en général et en particulier : de la procession du Saint-Esprit. — IIe année : Doctrine scolastique de l’incarnation et des anges ; de prœceptis ; de la vénération des images. — IIIe année : Doctrine scolastique de la grâce et des sacrements : des sacrements, spécialement du mariage et de l’eucharistie (azymes, épiclèse…). — IVe année : Sur les vertus théologales et sur la contrition ; sur la confession ; de l’Église et de son chef. Voir S. Smirnov, Istorija Moskovskoi slavjano-grcko-latinskoi academii, Moscou, 1855, p. 136-137 : cf. p. 139 sq. le plan et l’analyse de ces traités.

2° Le Règlement ecclésiastique de Pierre le Grand (21 janvier 1721)

élaboré par Théophane Prokopovid, ancien élève et professeur æ Kiev, où il avait enseigné « le 1705 à 1714, la poésie, la rhétorique, la philosophie et la théologie, quand il parle des académies, réserve les deux dernières années à l’enseignement théologique. Texte dans Mansi, Concilia, t. xxxvii, col. 53-64 : voir surtout col. 62. Il recommande au professeur de théologie renseignement du dogme et de la morale (enarret dogmata et legis divinæ præcepla), en suivant en lout la sainte Écriture et la doctrine des Pères de l’Église, usant discrètement des auteurs modernes hétérodoxes, lbid., col. 56-58. Le Règlement, flans quelques-uns de ses paragraphes, laisse peut-être sentir les nouvelles doctrines qu’introduisit Prokopovid dans la théologie russe (voir ci-dessous, col. 351 sq.) ; mais, quant à l’organisation des études, il n’altère pas, mais consacre plutôt la méthode qu’on employait à Kiev et à Moscou. Sur le Règlement, cf. P.-V. Verkhovskij, Vëreïdenie dukhovnoi collegii i dukhovnyi reglament, 2 vol., Rostov-sur-le-Don, 1916 ; voir t. i, p. 116 sq. Pour le curriculum vitæ de Th. Prokopnviè. voir ci-dessus, col. 3.^0.

Les réformes. — El.es commencent sous le règne de « l’impératrice philosophe » Catherine II et continuent pendant tout le xix 1 e siècle. La première réforme Tut celle du tsar Paul I" le 31 octobre 1798. Cf. Th.-I. Titov, Akti i dokumenti otnosjasciesja k istorii Kievskoi akademii, sect. iii, t. 1, Kiev, 1910, p. 97-104. Cette réforme, à laquelle aidèrent par leurs projets et leurs observations le métropolite de Novgorod. Gabriel Petrov, Platon LevSin, métropolite de Moscou, Ambroise, archevêque de Kazan. Hiérolhée Malitskij métropolite de Kiev, transforma la vie des académies, auxquelles furent soumis les séminaires diocésains. Th.-I. Titov, Kievskaja dukhovnaja akademija v epokhu reform, dans Trudꝟ. 1910-1915 ; cꝟ. 1910, t. 11. p. xx, 489-491. Quant aux études supérieures, on prescrivait le cours complet de philosophie et de théologie, qui devaient être enseignées en latin. Dans les deux années de philosophie on expliquait : l’histoire naturelle, la physique, l’histoire de la philosophie, la logique, la métaphysique et la morale. On consacrait trois années à la théologie, mais les élèves qui avaient fait des progrès suffisants pouvaient sortir de l’acadé mie au commencement de la troisième année. Th.-I. Ti tov, Akti i dokumentii, ’oc cit., p. 99. Les études théologiques comprenaient : l’histoire ecclésiastique, l’herméneutique, la théologie dogmatique, la théologie polémique, la morale, la lecture des saintes Écritures avec explication des passages difficiles, le droit canon et la théologie pastorale. Th.-I. Titov, dans Trudy, 1910, t. iii, p. 80.

Certainement, ce plan dénote un progrès ; mais bientôt commencèrent » surgir des désirs d’amélioration. Le premier qui réclama de nouvelles réformes fut l’évêque Eugène Bolkhovitinov, vicaire du métropolite de Novgorod, qui dès 1803 parla de cette affaire au métropolite Ambroisc. Le Saint-Synode (12 décembre 1804) chargea les métropolites Ambroisc de Novgorod. Sérapion île Kiev, Platon de Moscou et l’archevêque de Kazan, d’établir la réforme. Par ordre de cette commission, Eugène élabora un projet, qui fut à la base de la réforme de 1814. Yo r B.-V. Titlinov, Dukhovnaja Skola v Rossii v XIX slolèlii, t. 1, Vilna, 1908, p. 16 sq. Le 29 novembre 1807, l’ober-procureur du Saint -Synode, le prince A.-N. Galitzin, nomma le comité de réforme de l’enseignement ecclésiastique, composé de six membres : deux appartenaient à la hiérarchie : Ambroise, métropolite de Novgorod, et Théophylactc. évêque de Kaluga (plus tard de Riazan) ; deux faisaient partie du clergé blanc, l’aumônier de la cour. Serge, et l’archiprètre Jean ; enfin, deux étaient des séculiers, le prince Galitzin et le secrétaire d’Étal M. -M. Speranskij, l’homme indispensable dans toutes les affaires politiques et religieuses de cette période. M. Rogoslovskij, Reforma vyse dukhovnoi Skoli pri Aleksandrc 1, dans liog. Vëst., 1917, t. 11, p. 368.

Speranskij prit sur lui-même tout le poids du travail ; et dès le mois de février 1809 il présentait à la commission la première’partie de la loi qui traitait des académies comme des institutions d’enseignement supérieur ; bientôt il présenta la seconde et la troisième partie, avec les règles qui devaient diriger le travail de l’académie, quant à l’enseignement et la formation des élèves. La rédaction de la loi était terminée en 1810 ; Speranskij y avait mis son mysticisme et ses idées sur l’enseignement théologique, pas très favorables à !.i scolastique, qu’il définissait " un vol abstrait et hardi ». M. Rogoslovskij, loc. cit., p. 368-375. Mais, avant que le décret fût promulgué comme loi générale pour les académies, on le mit en vigueur à titre d’essai à l’académie de Saint-Pétersbourg, où enseignait alors le futur métropolite de Moscou, Philarète Drozdov, qui devint le principal auteur de la réforme.

Celle-ci ne prétendait pas seulement mieux organiser l’enseignement dans la partie didactique, mais surtout elle voulait lui marquer de nouvelles voies doctrinales, d’accord avec la pensée européenne de l’époque. Philarète remarqua que, si pour les sciences et les lettres le projet indiquait les différents auteurs qui devaient servir de guide et de norme pour l’enseignement, il n’indiquait pas suffisamment ce qu’il fallait faire dans les études théologiques. L’académie de Saint-Pétersbourg, sous la direction de Philarète. compléta le projet qui fut enfin sanctionné par Tempereur Alexandre I er, le 30 août 1814. M. Bogoslovskij, loc. cit., p. 380.

Les études théologiques, selon Ja loi de 1814, comprenaient les matières suivantes :
1. l’Écriture sainte, pour laquelle était recommandée l’Intraduction à la lecture des saintes Ecritures du métropolite Ambroise et les commentaires de Chrysostome et de Théodoret ;
2. l’herméneutique, selon le livre de Rambach, Institutioncs hermeneutieie sacrée ;
3. la théologie dogmatique, selon les manuels de Théophylacte (Gorskij), Orthodoxa doctrina de credendis ; Sylvestre (Lebedinskij), Compendium théologies ; Irénée (Falkovskij), Compendium theologiæ dogmatiese polemiese ;
4. la théologie morale, suivant Buddeus, Institutiones theologiæ moralis et Théophylacte (Gorskij), Orthodoxa doctrina de agendis ;
5. la théologie polémique, prenant comme auteur Schubert. Institutiones theologiæ polemicæ ;
6. l’homilétique avec I Ici 1er, Institutiones theologiæ homileticæ ;
7. le droit canon. Voir B.-V. Titlinov, Dukhovnaja Skola v Rossii v xix stolêtii, t. i, p. 122-125.

Dans la réforme de 1814, la Société biblique de Saint-Pétersbourg joua un rôle considérable. Elle ressemblait beaucoup à la Société biblique anglaise, et avait été fondée, en 1812, sous la présidence de Galitsin, qui, en occupant en 1817 le nouveau ministère des Cultes et de. l’Instruction publique, soutenait les tentances protestantisantes dans l’enseignement des saintes Écritures. Titlinov, op. cit., t. i, p. 127.

La réaction eut lieu quand le comte Nicolas Alexandrèv Protasov fut nommé procureur du Saint-Synode. Alarmé en voyant les progrès des nouvelles doctrines qui s’infiltraient chaque jour davantage dans la théologie russe, Protasov, à partir de 1837, multiplia les éditions des Confessions de foi de Moghila et de Dosithée, propagea l’ouvrage de Javorskij, Kamen vêry. et bannit des séminaires et des académies les manuels théologiques prokopoviens. Plus tard, quelques auteurs virent dans ces mesures de Protasov l’influence des catholiques, et en particulier celle des jésuites. Voir, par exemple A. Nadezdin, Istorija S. Petersburgskoi pravoslavnoi dukhovnoi seminarii, Saint-Pétersbourg, 1885, p. 289-290. En réalité, Protasov, malgré les obstacles qu’opposèrent à son œuvre des hommes aussi éminents que le métropolite Philarète de Moscou (voir son article), sauva en grande partie la foi orthodoxe du danger protestant et rationaliste. Mais son intervention dans l’enseignement théologique des académies, surtout l’oukase de 1840, n’occasionna qu’un changement Important, à savoir la créai ion de la chaire de palrologic, qui commença à être enseignée dans les académies à partir de 1814. 13. -V. Titlinov. Dukhovnaja Skola v Rossii v xix stolêtii, t. ii, Vilna, 1909, p. 26.

Une réforme plus complète des études théologiques eut lieu en 1867-1869. Par ordre de lober-procureur du Saint-Synode, le comte A. Tolsloi, et après consultation des académies, on nomma, le 15 juillet 18(17, un comité présidé par l’évêque Nectaire. Dans ce comité qui comptait neuf membres, les académies étaient représentées par le recteur (Janisev) et un professeur (Cislovic) de l’académie de Saint-Pétersbourg ; plus tard, en février 1869, la commission compta en plus les professeurs Gorskij de Moscou et Sokolov de Kazan. B.-V. Titlinov, Dukhovnaja ëkola v Rossii » ZIX stolêtii, t. ii, p. 382, 103. Dès les premiers travaux de la commission, on devinait déjà le but principal de cette réforme qui tendait à assurer la vitalité et l’indépendance des académies, en augmentant leurs ressources, en facilitant leur accès aux étudiants de toutes les classes sociales et en distribuant les matières qui surchargeaient le programme théologique, suivant un critérium de spécialisation. Th.-I. Titov, Preobrazovanie dukhovnykh akademii v Rossii v I. i.. dans Trudg, 1906, t. ii, p. 29. Pour réaliser ceci, on fit disparaître des académies l’étude des sciences naturelles, physiques et mathématiques, et on divisa les matières en générales, pour tous les élèves, et en spéciales. B.-V. Titlinov, op. cit., p. 381.

Le projet fut sur pied en juillet 1808 et fut communiqué aux métropolites de Kiev et de Moscou, Innocent et Arsène, à Macairc, alors archevêque de Lithuanie, à l’archevêque de Kazan, Antoine (Anflteatrov), à Eusèbe de Mogilev et à l’inspecteur général des académies, Léonce de Podolsk. Cf. Th.-I. Titov, loc. cit.. p. 112. La rigoureuse critique d’Antoine Anliteatrov, qui déplorait dans ce projet son esprit tendant au laïeisme, ne fit pas impression sur la commission. Par contre, les observations de Macaire au sujet de la division et du plan d’enseignement furent prises en considération et elles entrèrent dans la rédaction définitive de la loi académique sanctionnée par l’empereur Alexandre II le 30 mai 1869. Les matières obligatoires pour tous étaient : l’Écriture sainte, la théologie fondamentale, la métaphysique, la pédagogie et une langue classique ou moderne. Dans la section de théologie spéciale ou ecclésiasticothéorique étaient comprises : la théologie dogmatique, la théologie morale, la théologie polémique, la patristique, l’hébreu et l’archéologie biblique, la logique et la psychologie. La section théologieo-historique comprenait : l’histoire biblique, l’histoire générale de l’Église, l’histoire de l’Église russe, l’histoire du Raskol, l’histoire universelle, l’histoire russe. À la section théologico-pratique appartenaient : la théologie pastorale, l’homilétique, l’archéologie sacrée, la liturgie, le droit canon, la logique et la psychologie, la philologie slave, l’histoire de la littérature russe.

La loi de 1809 fut en vigueur un peu plus de vingt ans. En visitant les quatre académies en 1874-1875, l’archevêque de Lithuanie, Macaire (Bulgakov), eut l’impression que dans l’ensemble on aspirait à de nouvelles réformes. Le 19 novembre 1881, le Saint-Synode nomma une commission sous la présidence de l’archevêque Serge (plus tard métropolite de Moscou), dans laquelle il y avait quatre professeurs d’académie : I.-E. Troitskij, de Saint-Pétersbourg : B.-Th. Pèvnitskij, de Kiev ; V.-D. Kudrjatscv, de Moscou, et I.-S. Berdnikov, de Kazan. Voir Th.-l. Titov. Preobrazovanie dukhovnykh akademii v Rossii v xix v., dans Trudg, 19(10, t. ii, p. 57 sq. La commission dut réformer la loi de 1809 et parer aux inconvénients qu’avaient occasionnés l’indépendance des académies et le nombre réduit des matières obligatoires pour tous les élèves. Le nouveau projet était prêt pour 1881. Examiné et corrigé par le métropolite de Moscou. Ioannikij et par les archevêques Léonce de Varsovie et Sabba de Tver, il fut présenté à la signature du tsar Alexandre III le 20 avril 188-4. Cf. Th.-I. Titov, Inc. cit., p. 81. Les académies étaient ouvertes aux jeunes gens formés dans les séminaires et les lycées et étaient mises plus directement sous l’autorité diocésaine : quant aux études, on élargissait notamment le nombre des matières obligatoires et on diminuait les cours libres. À la première catégorie appartenaient les matières suivantes : propédeutique à la théologie. Écriture sainte, histoire biblique, théologie dogmatique, théologie morale, homilétique, théologie pastorale, dr >it canon, histoire ecclésiastique (universelle, orientale, russe), patristique, archéologie sacrée et liturgie, logique, psychologie, métaphysique et histoire de la philosophie. En plus de ces matières il avait une section historique où l’on faisait place à l’analyse des confessions occidentales, à l’histoire et à la réfutation du Raskol, à l’histoire universelle et russe ; et une autre section pratique avec rhétorique, histoire de la littérature, langue russe et paléoslavc, paléographie, histoire de la littérature russe, hébreu, archéologie biblique. Cf. A. Palmieri, La Chiesa russa, p. 587 sq. Il suflit de jeter un coup d’œil sur ce plan d’études pour constater que c’est un pas en arrière, qui nous ramène à la réforme de 181-4, comme le remarque Titov, toc. cit., p. 83.

On comprend que l’épiscopat, désireux de conserver l’ancien esprit de l’orthodoxie dans les nouvelles générations de théologiens russes, ait fait tout son possible pour conserver cette réforme. Il alla même plus loin en voulant réserver l’accès des académies aux élèves des séminaires, et en éloignant d’elles l’élément laïque des collèges ; de l’avis des prélats, l’académie était une institution pour des prêtres choisis, destinés au service de l’Église. Par contre, un grand nombre de professeurs n’y voyaient qu’un centre d’études supérieures qui avaient besoin, pour se développer, de la liberté des études profanes. De là le désir d’affilier ou agréger les académies aux universités, désir qui se laisse sentir sous Alexandre I er (cf. P. -S. Kazanskij, soedinenii diiklwvnykh akademii s universitetami, dans Prib. k isdan. tvorenij sv. Otsev, t. xxv, 1872, p. 71-102) et s’accentue surtout au commencement du xx’- siècle. Voir N. Glubokovskij, Po voprosam dukhovnoi Skoli, Saint-Pétersbourg, 1907. Ces tendances libérales, appuyées par les élèves, cf. A. Palmieri, La Chiesa russa, p. 590 sq., finirent par s’imposer, au moins en partie, au Saint-Synode. Son procureur, le prince A. Obolenskij, réunit en novembre 1905 les délégués des quatre académies ecclésiastiques et, le 21 février 1900, le Saint-Synode limita l’intervention de l’évêque diocésain dans les académies, accorda de nouvelles attributions au conseil académique et admit que les professeurs laïques pourraient arriver, au moins pour peu de temps, jusqu’au rectorat des académies.

Il y avait beaucoup de personnes qui auraient voulu qu’à ces modifications s’en fussent ajoutées d’autres de caractère scientifique et didactique. Mais les nombreuses propositions de réforme restèrent sans succès. Le plan d’études supérieures de théologie, comme on peut le voir dans les programmes des académies, était encore, en 1917, celui de 1881, lequel multipliait les sciences auxiliaires au préjudice de l’enseignement fondamental de la théologie dogmatique. Comme exemple, voici la distribution des matières pour l’année scolaire 1910-1917 dans l’académie de Saint-Pétersbourg :

Premier cours. — Théologie fondamentale (5 h. par semaine) ; histoire ancienne de l’Église (5 h.) ; Écriture sainte. Ancien Testament (5 h.) ; histoire de la philosophie : pédagogie (5 h.) ; philosophie systématique, logique (4 h.) ; langue grecque (2 h.) ; langues modernes (4 h.). — Matières libres : histoire russe, histoire biblique, langue russe, slavon et paléographie, histoire et analyse des confessions occidentales à partir de 1054 (5 h.).

Deuxième cours. — Histoire de l’Église russe (5 h.) ; patrologie (5 h.) ; Écriture sainte, Ancien Testament (5 h.) ; histoire et réfutation du Raskol (5 h.) ; psychologie (5 h.) ; langue grecque (2 h.). — Matières libres : Histoire de l’Église grecque ; slavon et russe, histoire et réfutation des confessions occidentales (5 h.).

Troisième cours. — Histoire et réfutation des sectes russes (3 h.) ; théologie dogmatique (5 h.) ; théologie pastorale (4 h.) ; patrologie (4 h.) ; Écriture sainte, Nouveau Testament (6 h.) ; ascétique (1 h.) ; liturgie (5 h.). — Matières libres (5 h.).

Quatrième cours. — Histoire et réfutation des sectes russes (3 h.) ; théologie pastorale (4 h.) ; Écriture sainte, Nouveau Testament (5 h.) ; droit canon (5 h.) ; théologie morale (5 h.) ; ascétique (1 h.) ; archéologie sacrée (5 h.).

IV. Les théologiens de l’école de Kiev.

L’enseignement des académies reflète l’activité littéraire des écrivains russes dans le domaine des sciences ecclésiastiques. À l’étude de la théologie dogmatique proprement dite, on adjoignit postérieurement toute une série de matières qu’il ne nous est pas permis de négliger, bien que nous concentrions spécialement notre attention sur les théologiens. Par ailleurs, les écrivains les plus notoires ont été ou seront l’objet ici d’articles spéciaux ; dans de nombreux articles, le R. P. Jugie a examiné l’enseignement de la théologie russe sur les données les plus importantes du dogme. On se limitera donc présentement au tableau de la théologie russe sous son aspect général.

Récemment, le R. P. Georges P’iorovskij, professeur à l’académie russe de Paris, dans son livre Les chemins de la théologie russe (Puti russkago bogoslovija), Paris, 1937, a recueilli et accentué la plainte, si générale parmi les théologiens russes modernes, que la théologie russe a vécu d’influences diverses et toutes étrangères au caractère national. L’influence byzantine, à laquelle l’auteur donne ses préférences, a inspiré les premiers traités de théologie russe et, pendant le patriarcat de Nicon, elle s’affirme à nouveau, au moins officiellement. Toutefois, malgré la communauté de croyances, on peut dire que l’influence de la théologie byzantine en Russie fut quelque peu superficielle. Beaucoup plus profonde fut l’action des deux grandes confessions occidentales, le catholicisme, représenté par les théologiens post-tridentins. et le protestantisme, qui introduisit d’abord chez quelques-uns ses opinions, puis, à travers la philosophie idéaliste, son esprit de liberté religieuse. Les alternatives de ces deux tendances qui se disputent successivement la priorité constituent la trame de la théologie russe depuis la fin du xvîie siècle jusqu’à nos jours.

La première école théologique qui mérite une attention spéciale est l’école de Kiev. On pourrait l’appeler plus exactement « école de Moghila », attendu qu’elle prospère non seulement à Kiev, mais aussi à Moscou et dans d’autres parties de la Russie ; d’autre part, Kiev a été aussi le berceau de la théologie protestantisante qui finit par supplanter la tendance moghilienne.

Moghila resserra, il n’en faut pas douter, les liens entre la théologie russe et la pensée catholique. Il est vrai qu’il soutint efficacement la cause de l’Église orthodoxe de Kiev contre les unionistes de Brest, non seulement par son action énergique sur le terrain politico-religieux (ici aussi les indices relatifs à quelques tentatives de rapprochement ne font pas défaut : cf. les lettres d’Urbain VIII à Alexandre Sanguszko, 10 juillet 1036, et à Pierre Moghila, 3 novembre 1643, dans A. Theiner, Vctera monumenta Poloniie, t. iii, p. 412, 425), mais aussi en tant qu’écrivain par son ouvrage de polémique : Aî60ç, abo Kamen z proeg pravdy Cerkvê svieleg pravoslavneg Ruskiey, publié à la Peèerskaja lavra de Kiev, en 1044, sous le pseudonyme d’Eusèbe Pimen, et édité de nouveau par S. Golubev dans les Arkhiv jugo-zapadnoi Rossii, t. ix, Kiev, 1893. Dans cet ouvrage, Pierre Moghila rompt des lances en faveur des coutumes et des croyances de l’Église orthodoxe. On ne peut toutefois nier qu’en écrivant sa Confession de joi et le Petit catéchisme, Moghila ait enseigné par son exemple jusqu’à quel point on pouvait et devait se servir de la théologie catholique. Cf. l’art. Moghila (Pierre), t. x, col. 2070-2076.

L’académie de Kiev garda l’esprit de son fondateur ; et, lorsque fut créée la chaire de théologie, les recteurs de Kiev chargés de cet enseignement introduisirent la méthode scolastique de saint Thomas, que Moghila avait étudiée directement, ainsi qu’en témoigne un des rares manuscrits sauvés de l’incendie de sa bibliothèque (1658 et 1665), avec citations de l’Ange de l’École sur les sacrements, recueillies par Moghila. A. Malvy-M. Viller, La confession orthodoxe de Pierre Moghila, dans Orienlalia chrisiiana, n. 39, Rome, 1927, p. xiv, note 1.

Un Corpus kioviense. qui aurait recueilli les traités théologiques de la première époque de l’académie, fait malheureusement défaut ; les manuscrits se trouvent en grande partie dans les anciennes bibliothèques. Nous ne possédons de ces traités que des descriptions et analyses que nous ont transmises les historiens de Kiev, principalement D. ViSnevskij, Kievskaja Akademija v pervoi polovinc xviii stol., Kiev, 1903.

Le cours théologique de Kiev le plus ancien remonte aux années 1693-1697 et comprend une série de douze traités de théologie scolastiquc et de polémique, sous le titre général de Traclatus Iheologici in collegio Kiiwo-mohileano traditi et explicati. Les manuscrits ne donnent que la liste des questions et la date du jour où se termina l’exposition ; on y trouve : deux traités sur l’incarnation, dont l’un théologique (18 octobre 1693) et l’autre de controverse (10 février 1694) ; deux autres sur les sacrements, l’un dogmatique (30 juin 1694), l’autre contre les Romains (azymes, communion sous une seule espèce) et contre les ennemis de la présence réelle (10 septembre 1694) ; un sur la pénitence (23 février 1695) ; deux sur les péchés (28 juin 1696) ; un autre sur l’Église et ses membres (commencé le 5 septembre 1696) ; un traité sur la vertu de justice ; deux sur Dieu un en trois personnes, l’un théologique et l’autre de controverse contre les gentils et contre les Romains, relatif à la question spéciale de la procession du Saint-Esprit (13 juillet 1697). Cf. Macaire, Istorija Kievskoi akademii, p. 69-74, note. Macaire, dans son histoire de l’académie de Kiev, attribue ce traité à Krakovskij ; mais celui-ci ayant terminé ses leçons exactement en 1693, il en résulte que le cours a pour auteur le plus célèbre des professeurs de Kiev, Stéphane Javorskij, qui lui succéda dans la chaire de théologie.

Visncvski, mentionne encore d’autres cours manuscrits de professeurs de Kiev, adeptes de la doctrine de Moghila : le Cursus biennalis théologies sacrosanctæ, d’Innocent Popovskij, recteur de 1704 à 1707 ; la Theologia scholastica, de Cristobal Ciarnuckij (17061710) ; la Theologia chrisiiana orlhodoxa pro diversilale materiarum in varios Iractalus, dispulaliones et quæsliones divisa, de Joseph Volejanskij (1721-1727) ; la Theologia scholastica de Hilarion Levickij (1727-1731) ; le Cursus quadriennalis theologiæ christianw orthodoxie pro varietale materiarum in varios Iractalus divisas de Ambroise Duvnevic (1731-1735) ; la Theologia scholastica de Hilarion Negrebetskij (1733-1735) ; la Theologia : sacræ summa posl quadriennalem Iheologicarum rerum solemncm hic perlraclalionem oculis deinceps animisque theologia’in academia hioviensi studiosorum subjecta de Silvestre Kuljabka (1740-1745) ; le Cursus theologiæ de Silvestre Ljaskoronskij (1746-1751) ; et enfin l’œuvre du hiéromoine Barlaam LjaSèenvskij (1747), Argumentatrix theologia sancta pro varietate materiarum varios in Iractalus divisa. Sur tous ces traités, voir D. Visncvski j, op. cit., p. 229 sq. ; cf. A. Palmicri, Theologia dogmalica orlhodoxa, t. i, Florence, 1911, p. 154-156 ; M. Jugie, ’theologia dogmalica < hristianorum orientalium, t. i, Paris, 1926, p. 585 sq.

Comme celle de Kiev, la théologie de Moscou, aux débuts du xviii siècle, se conforme à la tendance de Moghila, laquelle se manifeste dans les trois cours les plus anciens qu’on ait conservé : celui de Théophylacle Lopatinskij : Scientia sacra disputationibus llieologicis SS. Ecclesise orientait, Scripturee, conduis cl l’alribus consenlaneis, spéculative et controverse illustrata in collegio Petro-Alexieiviano Mosquensi ann. 17061710 : la Theologia theoretica de Deo uno et trino, commentariis et disputationibus scholaslicis illustrata, ingenuo Hoxolano audilori cxposila ab nnno 17 17 ad ann. 1719 ; et l’ouvrage de G. Florinskij : Theologia positiva et polemica, tradita in Mosquensi academia a Cyrillo Florinskij (1737-1740). Voir S. Smirnov, Istorija Moskovskoi slavjano-greko-lalinskoi akademii, Moscou, 1855, p. 136-138. L’influence exercée par l’école de Kiev sur Moscou cesse avec Florinski ;, dont le système représente le passage de la scolastique à la nouvelle méthode introduite par Prokopovic, malgré l’estime de Florinsk j pour Stéphane Javorskij, qu’il appelle theologorum phœnix, solidæ erudilionis vertex… S. Smirnov, op. cit., p. 154 sq.

Le « latinisme » de l’école théologique de Kiev est un lieu commun chez les auteurs. L’historien du collège moghilien, A. Jablonowski, va jusqu’à dire que l’académie de Kiev, de 1615 jusqu’à 1800, représente un médium quid entre la culture occidentale et la culture orientale, sans rien posséder d’original ou de personnel, si bien que l’on peut affirmer que « par son caractère, sa signification, son esprit, elle était un institut d’éducation latino-polonaise ». A. Jablonowski, W spraivie « Akademii Kijowsko-Mohilanskiej », wgdanie w 1900 r. ad honorent quingentesimi anniversarii almse malris Jagellonicse, dans Kwarlalnik historgezny, t. xvi, 1902. Pour réfuter Jablonowski, Th. Titov a écrit deux grands articles : K voprosu o znacenii Kievskoi Akademii dlja pravoslavija i russkoi narodnosli xvii-xviii w., dans Trudꝟ. 1903, t. iii, p. 375-107 ; 19 !) 1, t. i, p. 59-100. Son intention était de prouver que le collège de Kiev fut, dès ses origines, un collège orthodoxe et russe ; bien plus, si le latin y était à la base de la culture, cela tiendrait, d’après Silvestre Kossov, premier préfet du collège, à ce qu’en Pologne on employait le latin au lieu du grec, comme il l’eût préféré. Th. Titov, loc. cit., p. 398. Mais les arguments de Titov se réfèrent à peine à l’enseignement de la théologie, à propos duquel il parle seulement de Théophane Prokopoviô, loc. cit., p. 76 sq., sans rien dire des théologiens moghiliens. Le jugement que ceux-ci ont mérité, même de la part d’écrivains russes modérés, peut se déduire des pages que j. Florovskij a consacrées récemment à l’école de Kiev et au style « baroque », comme il dit, de ses théologiens, lesquels étaient profondément imbus de la scolastique de l’Occident catholique. G. Florovskij, Puti russkago bogoslovija, Paris, 1937, p. 45-50. Quoiqu’avec plus de modération, Macaire écrivait déjà : « Tous (les théologiens kiéviens) se ressemblent entre eu<c par l’absence de système, soit dans la scolastique, soit dans l’esprit d’orthodoxie. » Macaire, Istorija Kievskoi akademii, p. 138.

On ne peut sérieusement nier que la théologie catholique post-tridentine ait exercé une influence profonde dans l’école de Kiev. L’œuvre capitale de Moghila, sa Confession orthodoxe, se rattache si nettement à nos auteurs, que ce n’est pas sans raison qu’on peut parler d’une véritable infiltration latine. M. Viller, S. J., Une infiltration latine dans la théologie orientale : la « Confession orthodoxe » attribuée à Pierre Moghila et le « Petit catéchisme » de Canisius, dans Kecherches de science religieuse, t. iii, 1912, p. 159-168. Parmi les manuscrits de Javorskij, il s’en trouve un au séminaire de Kharkov qui porte le titre suivant : Abgssus inscrutabilium Dei arcanorum, liber mea mmu scriptus, compendium theologiæ, quam audioi Vilnæ cl Posnanise, c’est-à-dire dans les collèges de la Compagnie île Jésus ; notes qu’il serait intéressant de rapprocher des ouvrages de Javorskij. Cf. Philarjte (Gumilevskij), Obzor russkoi dukhovnoi literaluri, 3° éd., Saint-Pétersbourg, 1884, p. 268 sq. Et, à un point de vue plus général, on peut affirmer sans crainte que chercher dans la théologie latine la source de renseignement théologique est une vraie tradition parmi les docteurs de l’école de Kiev. Ils se font un point d’honneur de suivre la doctrine de saint Thomas d’Aquin ; et c’est ainsi que Théophane Prokopoviè lui-même trahissait, au moins dans ses formules, sa dépendance de l’Ange de l’École, comme le démontre la fin de l’introduction de son cours théologique : Nos universam theologiam diuidemus in tractatus et disputationes ; et anno præsenli, sequendo Thomam, agemus de Deo uno in essentiel et tri no in personis, atque de angelis. Cf. Macaire, Islorija Kievskoi akademii, p. 137. En môme temps que le Docteur angélique, les membres de l’école de Kiev citent fréquemment de nombreux auteurs scolastiques, principalement des théologiens jésuites. Toledo, Vazquez, Suarez, de Lugo, Grégoire de Valencia, Molina, Arriaga, Bellarmin, Pallavicini… sont des noms familiers aux écrivains et aux maîtres de Kiev. Cf. A. Palmieri, Theologia dogmatiea orlhodoxa, t. i, p. 157-159.

C’est pourvus de ce bagage d’érudition catholique que les membres de l’école de Kiev montaient dans les chaires de théologie. Comment dès lors s’étonner que leurs traités soient un reflet de la scolastique posttridentine, tant dans la forme que dans le fond, et qu’ils admettent la doctrine catholique sur la plupart des questions ? L’enseignement de l’école de Kiev est catholique en ce qui regarde la justification, la grâce et le libre arbitre, les sacrements, pour la matière et la forme desquels ils professent les mêmes opinions que nous, le caractère sacramentel, etc. Cet accord s’étend même à certaines questions de controverse. C’est ainsi que les théologiens de Kiev se montrent — c’est chose connue — les défenseurs convaincus du dogme de l’immaculée conception de Marie à rencontre de la théorie opposée soutenue à Constantinople. Ils sont également partisans de l’efficacité des paroles : Hoc est corpus, etc., comme forme de l’eucharistie, supposant ainsi à la doctrine sur l’épiclèse préconisée par les grecs ; ils s’expriment dans un style quasi-catholique quand ils parlent de la peine temporelle après la mort et ils ne se refusent même pas à adopter le mot de Purgatoire, que nous trouvons dans la Confession de Moghila ; Javorsk j estimait que sur ce point on ne devrait plus parler de différence entre catholiques et pravoslaves. Cf. A. Malvy-M. Viller, La confession orthodoxe de Pierre Moghila, dans Urientalia christiana, n. 39, Rome, 1927, p. xlvii, 163 ; A. Bukowski, S. J., Die Cenugtuung fur die Siinde nach (1er Auffassung der russischen Orthodoxie, Paderborn, 1911, p. 89 sq., 161-164.

Deux points seulement subsistent où les Kiéviens ne veulent pas suivre les latins : la primauté du pape et la procession du Saint-Esprit ; et encore, sur ce dernier, la théorie de Moghila est telle qu’elle exclut seulement le Fils de la spiration, en tant qu’il n’est pas principe sans commencement, comme le Père, à telles enseignes que les paroles de la Confessiu ftdei de Moghila pourraient offrir une certaine base de conciliation. Cf. V. de Buck, Essai de conciliation sur le dogme de la procession du Saint-Esprit, dans les Études, t. ii, 1857, p. 307351 ; M. Jugie, Theologia dogm. christ, orient., t. ii, p. 404. Ce n’est que plus tard que s’accentua l’intransigeance de Kiev contre le Filioque ; et ce fut l’œuvre d’Adam Zernicav, luthérien converti à l’orthodoxie, auteur d’un volumineux traité sur la procession du Saint-Esprit, dont les copies manuscrites exercèrent une influence considérable avant même l’édition donnée par Mislavskij à Konigsberg en 1774-1776, et les traductions faites en grec par Eugène Bulgaris, Saint-Pétersbourg, 1797, et en russe par Jérôme Konsevic. Voir M. Jugie, De processione Spiritus Sancti, Rome, 1936, p. 322, 346 sq.

Mais, en dehors de ces quelques questions, l’école théologique de Kiev suit assez fidèlement la doctrine catholique, ce qui explique les luttes qu’elle eut à soutenir contre les théologiens byzantins tenants de la doctrine orthodoxe. Les premières discussions avaient déjà commencé au temps de Pierre Moghila, le fondateur de l’école, dont le Catéchisme éveilla des soupçons parmi le clergé de Kiev au synode de 1640 et fut rectifié aux conférences de Jassi en 1642, où se fit jour le différend entre Mélèce Syrigos et les envoyés de Moghila. Cf. A. Malvy-M. Viller, La confession orthodoxe de Pierre Moghila, Rome, 1927, dans Orientalia christiana, n. 39, p. xlv-lii. Plus tard, s’engagea à Moscou la lutte au sujet de l’épiclèse. La controverse dans laquelle Medvêdev et les autres tenants de la doctrine latine étaient appuyés par Lazare Baranovic, Joannice Galjatovskij, Innocent Gizel, Barlaam Jasinskij, Théodose Safanoviê, tous de Kiev, a déjà été décrite dans l’article précédent, col. 304-324. Mais la condamnation prononcée par le concile de Moscou en 1690 apporta aussi un changement parmi les théologiens de Kiev qui commencèrent à enseigner la théorie grecque sur l’épiclèse. N. Russnak, Epiklizis, Presov, 1926, p. 190 sq. ; Th. Spacil, S. J., Doctrina theologiæ Orienlis separati de SS. eucharistia, n ; dans Orientalia christiana, n. 50, Rome, 1929, p. 23 sq. Ils se montrèrent plus constants dans leur défense du privilège de l’immaculée conception de Marie. Malgré les menées des hellénisants et les prescriptions du patriarche Joachim pour la faire disparaître des écrits de Dmitri de Rostov (voir ici-même art. Immaculée-Conception, t. vii, col. 970), la doctrine favorable à la pieuse croyance continua à être soutenue en chaire, à la seule exception de Joseph Volèjanskij, qui exprime une opinion douteuse au sujet du privilège mariai.

Toutefois, si l’école de Kiev tomba en disgrâce, ce fait est dû beaucoup moins à son opposition aux doctrines théologiques que les grecs avaient apportées en Russie, qu’à ses controverses avec les protestants. Ces derniers, par leur propagande écrite, et plus encore par les places qu’ils obtenaient, n’avaient pas cessé de progresser en Russie et d’exercer une inlluence grandissante sur la marche des idées. Cf. D. Tsveta v, Protestanti i Protestantsvo v Rossii do epokhi preobrazovanii, Moscou, 1890 ; le même, Iz istorii inostrannikh ispovêdanii v Rossiiv xvi-xvii vêkach, Moscou, 1886. Le théologien de Kiev le plus éminent était sans nul doute S ép tane Javorsk j, dont l’ouvrage : Kamen vêri, a été analysé précédemment, c d.326 sq. x’oirsurlu I.-V. Morev, Metropolit Stefan.lavorskij v borbè s protesiantskimi ideami svoego vremeni, dans Khrist. Cten., 1905, t. i, p. 254-267 ; cf. P. Savlucinskij, Russkaja dukhovnaja literatura pervoi polovini xviii vèka i eja otnosenie k sovremennosti (1700-1762 gg.) ; dans Trudij, 1878, t. ii, p. 128-190 ; 280-326. Le parti des protestants, puissant à la cour, s’opposa fermement à la publication de cet ouvrage ; et quand, finalement, en 1729, il fut imprimé, de fortes protestations s’élevèrent, non seulement en Russie, mais encore au delà des confins de l’empire. La même année, J.-Fr. Buddée mettait au jour son opuscule : Epistola apnloqetica pro ecclesia lutherana contra calumnias et obtrectaliones Stephani Javorskii, R. et MM., ai amicum Moscuæ degentem, scriptu a J. Fr. Buddeo, theolorjix D. Théophylacte Lopatinskij voulut prendre part à la dispute et écrire contre Buddée, mais le synode l’en empêcha. Buddée trouva même un défenseur dans l’auteur anonyme de VExamen Peine ftdei, ou, comme on lit dans d’autres manuscrits, Mallseus in Pitram fidei, dont la composition remonte à l’année 1731. Il trouva un contradicteur dans l’intrépide mStropolite de Rostov, Arsène Matseèviè, qui écrivit les Objectiones ad satyram lulheranam qwr vocatur M illse is in Petram fidei. Cf. I. Cistoviè, Theophan Prokopovic i ego vremja, Saint-Pétersbourg, 1868, p. 385-407.

Si, malgré cet.e vigoureuse apologie, l’œuvre de Javorskij et, avec elle, la théologie de l’école de Moghila, turent de plus en plus abandonnées parmi les écrivains russes, il ne faut pas en chercher la rauon dans les attaques des partisans déclarés de la doctrine luthérienne, mais bien plutôt dans le succès de la nouvelle école qui s’était formée autour de Théophane Prokopoviè.


V. L’École prokopoviexiie.

L’attitude de Prokopovic, principalement dans son cours de théologie, lequel, encore manuscrit, captiva si fortement les théologiens russes de la première moitié du XVIIIe siècle, était ouvertement favorable aux idées luthériennes et opposée aux vues catholiques.

On en trouve une preuve assez éloquente dans la bibliothèque de Théophane, léguée après sa mort au séminaire de sa ville épiscopale de Novgorod. Cf. P.-V. Verkhovskij, Ucreidenie dukhovnoi kollegii i dukhoonyi rcglament, t. ii, 5e part., La bibliothèque de Théophane l’rokopovic, Hostov, lOlfi. Prokopovic n’épargna ni roubles, ni travail, ni influence auprès de l’empereur pour acquérir, dans les principaux centres de l’Europe, ses 3 192 volumes. Sa bibliothèque est sa gloire et dans ses lettres à ses amis il en parle, les invitant même à la visiter. Epistolse illmi. ac revmi. Th. Prokopovitsch, Moscou, 1770, p. 31 sq. ; cf. Trudg, 1865, t. i, 1>. 293. Cette bibliothèque est bien fournie en livres théologiques, mais les trois quarts sont des œuvres d’auteurs protestants : M. Chemnitz, I.-I3. Carpzov, I.-F. Buddeus, etc. ; au contraire, les auteurs catholiques sont plutôt rares ; œuvres d’Arcudius, de S. Robert Bellarmin, de L. Carboni, de G. Cassandcr. Cf. P.-V. Verkhovskij, op. cit., t. i, p. 120.

Prokopoviè commenta sa bibliothèque certainement vers 1720, son enseignement théologique étant déjà terminé ; elle nous indique cependant quels étaient ses goûts, et comment il pratiquait le conseil que, dans son Règlement ecclésiastique, il donne aux professeurs de théologie : Quamquam theologiæ doctori a recenlioribus etiam helerodoxis doctoribus lieebil interdum mutuari subsidia, non iamen oporlet illum placilis eorum adhærere, nec narraliunrulis eorum acquiescere. Hoc non obstante, eorum manuduclioni, quibusdam illi ex Scriplura et ex antiquis Patribus desumplis documentis, prœsertim ad dogmala nobis et heterodoxis communia propugnanda ulantur, potest insistere, caute tamen fidem eorum allegationibus adhibebit… Fréquenter etenim hi domini hallucinantur, testimonia quic nusquam reperiuntur adducentes. Non raro etiam lextum sincerum delorquent. Habe vel unicum pro exemplo hoc Domini verbum ad Petrum : Ego oravi pro te ut non deliciat fides tua. Dictum est Pelro, quoad solam ipsius personam in individuo ; Romanenses vero ad suum pontificem detorquent, colligenles inde papam non posse, quamvis velil, in fidei articulis errare. Mansi, Concil., t. xxxvii, col. 58.

Comme on le voit, l’exemple vise la théologie catholique, presque totalement absente de la bibliothèque de Prokopovic, si riche par ailleurs en traités luthériens, calvinistes, anglicans.

Il est certain qu’à Kiev les auteurs catholiques ne manquaient pas. Quels étaient les sentiments de Prokopoviè envers eux, on peut le déduire de la manière dont il s’exprime sur leur compte : il les appelle animalia balantia, sots, Ihéologaslres, maie jerialas, semi-barbares… et encore de la violence de ses disputes avec les docteurs de la Sorbonne et avec le dominicain Bernarde Ribera. P. Plerling, l.n Russie et le Saint-Siège, t. iv, p. 262, 328 sq. ; Lu Sorbonne cl In Hussie (1714-17-17), Paris, 1882 ; Th. l’ikhomirov, Traktati Theofana Prokopoviëa o Bogi, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 12-13 ; cf. A. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t. i, Florence, 1913, p. PU.

Ses dispositions envers la réforme protestante lurent toutes différentes. Théophane a laissé, il est vrai, un opuscule pour la défense de l’orthodoxie contre les luthériens : Apologia jidei, in qua respondetur ad litteras doctissimorum quorumdam Lutheranorum, quas ad Palrem Michælem Schi monachum Pieczariensem Regiomonte dederunt, respondentes ad ejus litteras compellalorias quas ipse prius ad eos misit de vera fide orienlalis grseco-rutheniese aposlolicse Ecclesise, dans Miseellanea sacra Theophanis Prokopovitsch, Bratislava, 17 1°), p. 1-64. Mais la lecture de ces pages nous fait comprendre que, si Prokopovic maintient, contre les protestants, la doctrine « orthodoxe » sur la procession du Saint-Lsprit et le culte des images, il ne s’oppose pas à eux dans les autres questions qui forment le noyau de la doctrine protestante et ne s’élève pas contre leur manière de traiter la théologie. De fait, son cours de théologie reflète cette influence, soit dans la méthode et la division qu’il suit, soit dans l’esprit de son enseignement, soit dans les propositions qu’il défend. Prokopovic adopte la division de la théologie en deux parties : de eredendis et de agendis. Dans la première, il développe toute la partie dogmatique, considérant Dieu en lui-même, c’est-à-dire dans son essence, ses attributs, sa personne ; puis dans ses actions ad extra : il commence par l’étude des décrets divins, traite ensuite de la création du monde visible et invisible, de la providence divine envers les anges, les hommes et le monde. Dans ce traité sur la providence, il s’arrête sur les questions spéciales de la chute de l’homme, du péché originel, de l’incarnation, de la rédemption et de la médiation divine. Mais la grâce divine, dit-il, fruit de la rédemption, n’est pas, en fait, communiquée à tous ; et là se posent les problèmes de la prédestination et de la réprobation. Les moyens pour obtenir la grâce sont : la foi et les sacrements ; ses fruits : la justification, l’adoption divine, la glorification. Le dernier sujet traité est l’Église de Jésus-Christ, que Prokopovic considère dans ses quatre différents stades : avant la Loi, sous la Loi, dans le régime de la grâce, dans le royaume de la gloire.

A première vue ce système eût pu être trouvé original. Ce ne fut pas ainsi cependant qu’en jugèrent, non seulement les catholiques, mais même plusieurs écrivains russes, comme Platon A. Cervjakovskij, qui a consacré de nombreux articles à l’étude de la théologie prokopovienne et à sa comparaison avec les œuvres des auteurs catholiques et protestants. Ces derniers, principalement J.-E. Gerhard, auteur du Melhodus studii theologici (Iéna. 1654), ont déjà les grandes divisions de la théologie de Prokopoviè, que le P. Jugie regarde avec raison comme un essai russe de la scolastique de la Réforme. Cf. P. Cervjakovskij, Vvedenie v bogoslovie Theofana Prokopoviëa, dans Khrist. Cten., 1870, t. i, p. 32-86 ; le même, Islocniki « vvedenija v bogoslovie » Theofana Prokoviëa, ibid., 1878, t. i, p. 18-32 ; le même, O metode Vvedenija v bogoslovie Theojuna Prokopoviëa, ibid., 1878, t. i, p. 321-351 ; Th.’l’ikhomirov, Ideja absoljulizma Boga i protestantskii skholasticizm v bogoslovie Theophana Prokopoviëa, ibid., 1884, t. ii, p. 315-326 ; A. Arkhangelski.j, Dukhovnoe obrazovanie i dulthovnaja literalura v Rossii pri Pelrè Velikom, Kazan, 1883, p. 67-74 ; A. l’ai mieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t.&nbsp ; i, p.&nbsp ; 162 ; H. Koch, Die russische Orthodoxie im petrinischen Zeitalter, Brestau, 1929.

Et en réalité Prokopoviě entreprit l’étude de la théologie avec le même esprit que les protestants. Mans l’oratio ad studentes theologiœ, qui sert de prologue à son ouvrage, il insiste exclusivement sur l’Écriture dont il exalte la clarté : Hæc ita esse docet vel ipsa experientia, quod scilicet ea vis verbi divini sit, ut omnes sibi adversantes cogitationes convincat, suamque veritatem palam demonstret, et conscientiæ adversariorum ostendat vera esse quæ leguntur in sacris litteris. Cf. P. Cervjakovskij. op. cit., dans Khrist. Cten., 1876, t. i, p. 49-57. Considérant l’Écriture sainte comme unique règle de foi, il recommande à ses élèves de se défier des opinions des maîtres : Nam scio hominem non posse sanum esse, qui papee vecordiam imitons, errare se posse non putet ; et même il diminue la valeur dogmatique de la Tradition. Prokopovic a des paroles très louangeuses pour l’autorité des conciles et des saints Pères, sans toutefois attribuer proprement le caractère d’infaillibilité ni aux définitions conciliaires, ni à l’avis unanime des Pères. Leur tâche n’est pas de nous transmettre le trésor de la Tradition orale, mais uniquement de nous expliquer le sens de l’Écriture, unique source du dogme. M. Jugie, Theol. dogm. christ, orient., t. i, p. (144 sq. ; P. Cervjakovskij, Sv. Pisanie kak nacalo bogoslovija… po « Vvedeniju v bogoslovie » Theofana Prokopovica, dans Khrist. Cten., 1876, t. ii, p. 101-153 : cf. Acta VI conventus Velehradensis, Olomouc, 1933, p. 134-145.

Cette doctrine représente une concession d’importance capitale faite au protestantisme, dont les doctrines trouvent ainsi une voie facile pour s’insinuer dans la théologie russe. En effet, Prokopovic se fait le champion du canon hébraïque de l’Ancien Testament, duquel il exclut les livres deutéro-canoniques. Dans sa Prima instructio pro pueris voici comme il s’exprime sur la doctrine de l’Église : Ecclesia est uniformitas sensus inter christianos doctrinam Christi serrantes, prout hœe a Patribus et conciliis œcumenicis tradila est, essayant de se tenir dans un juste milieu, mais s’approchant plutôt de la définition classique chez les luthériens. On peut dire la même chose des autres questions, et principalement de l’erreur centrale de l’hérésie luthérienne : la justification. Dans ses traités De gratuita peccatoris per Christum justificatione et De homine lapso. il admet en substance la doctrine protestante sur la corruption radicale du libre arbitre et sur la justification par la foi seule ; il tâche cependant de sauver la nécessité des bonnes œuvres ad Dei cultum et ad exsolvendum quod Deo debemus, et il emploie la formule de la nécessité de la foi sola sed non solitaria, laquelle signifie que la vraie foi produit naturellement de bonnes œuvres, celles-ci naissant non de la foi elle-même, mais de l’objet de la foi, le Christ.

Il est certain que Prokopoviè cherche non sans habileté à éviter un langage ouvertement protestant, et à limiter les conséquences des principes protestants ; de sorte que P. Cervjakovskij. pour définir sa position doctrinale, lui applique les paroles que Martin Becan disait de Marc-Antoine de Dominis : Unum est te neque catholicum esse, neque lutheranum, neque calvinistam ; sed ab omnibus dissentire et novum doctrime symbolum, parlim ex aliorum scriptis, partim ex tuo cerebro consercivisse. Allerum duptici spiritu ad scribendum impulsum te esse : altero odii in pontificem, altero amore proprise exccllentiie. Cf. Khrist. Cten., 1878, t. i. p. 18. Mais les grands points de repère de la doctrine luthérienne se trouvent — en germe si l’on veut — dans l’œuvre théologique de Théophane ; ils ne feront que se développer dans les commentaires de ses disciples.

Le triomphe que Prokopovic remporta dans la sphère politico-religieuse servit aussi la cause de ses doctrines théologiques, qui s’imposèrent de plus en plus dans les chaires des académies théologiques. M. Jugie, Theol. dogm. christ, orient., t. i, p. 593-598.

A l’académie de Kiev, les successeurs de Théophane n’avaient pas accepté le nouveau système, par respect pour Stéphane Javorskij. Le premier qui s’en servit dans ses leçons fut Georges Konisskij, élève de Kiev, où il revint plus tard comme professeur et où il occupa les chaires de philosophie et de théologie (1751-1754). Macaire nous a conservé le titre de son cours, qui trahit clairement les préférences doctrinales de l’auteur : Christiana orthodoxa theologia, ductui ac magisterio veri et sotius sui doctoris Dei triunius…, a placitis quodlibelisque hominum plane hic cœcucientium libéra, etc. Georges consacre son second traité à la sainte Écriture, dont il parle sur le même ton que Prokopoviè, à qui il fut très sincèrement affectionné toute sa vie. Étant archevêque de Mogilev, Konisskij fera une nouvelle édition du catéchisme de Théophane. Cf. M. Pavlovic, Georgii Konisskii arkhiepiskop Mogilevskii, dans Khrist. Cten., 1873, t. i, p. 1-46.

Le changement opéré à Kiev par l’œuvre de Georges Konisskij se consolida quelques années plus tard par l’activité de Samuel Mislavskij, professeur et recteur de l’académie, et, en 1773, métropolite de Kiev. Mislavskij, éditeur de Prokopovic, donna un résumé en russe et en latin de l’œuvre de celui-ci, sous le titre : Dogmata præcipua fidei orthodoxie calliolicæ et apostolicæ Ecclesiæ orientalis, creditu maxime necessaria pro adipiscenda lelerna salute, et, comme protecteur de l’académie, il s’employa à en assurer le succès et à répandre la théologie prokopovienne dans d’autres centres d’enseignements, placés sous l’influence des professeurs de Kiev.

A l’académie de Moscou, le terrain avait déjà été préparé par Cyrille Florinskij. Le premier traité de tendance prokopovienne a pour auteur l’archevêque de Saint-Pétersbourg, Gabriel Petrov, recteur et lecteur de théologie à l’académie de Moscou de 1761 à 1763. Il est l’auteur de la Theologia christiana orthodoxa pro diversilate materiarum in varias traclatus ac paragraphes divisa, in imperiali Mosquensi Academia tradita et explicata, que Philarète (Gumilevskij) considère comme le meilleur compendium théologique de son temps. Le manuscrit qui se conserve dans la bibliothèque de l’académie de Moscou servit à un autre professeur de cette institution, Théophylacte Gorskij, pour son ouvrage : Orthodoxie orientalis Ecclesiee dogmata. seu doctrina christiana de credendis, usibus eorum qui studio theologico sese consecrarunt addixerunlque adornala accommodataque. La première édition est celle de Saint-Pétersbourg, de 1783 ; d’autres éditions suivirent, dans la même ville d’abord, puis à Leipzig, à Moscou, mais l’ouvrage avait été composé avant que Théophylacte eût quitté le rectorat de l’académie pour devenir évêque de Perejaslavl en 1776.

Cette même année, le siège métropolitain de Moscou était occupé par le plus célèbre des théologiens procopoviens, Platon Levsin. Dans les années 1761-1763, étant recteur du séminaire de la laure de Saint-Serge, Platon écrivit le traité : Theologia christiana super jundamentum verbi Dei extructa ad praxim pietalis et promotionem fidei Jesu Christi unice directa, qui resta manuscrit ; et le compendium, dédié au prince Paul Petrovic : Pravoslavnoe ucenie, ili sokrascennaja khristianskaia bogoslovija, publié pour la première fois à Saint-Pétersbourg en 1765, et traduit en latin par Damascène Semenov Rudnev : Orthodoxa doctrina seu compendium theologiie christiana, Saint-Pétersbourg, 1774, ensuite en grec, en français, en allemand, en anglais, en hollandais, en arménien et en géorgien ; ce succès est dû beaucoup plus à la réputation de l’orateur et du conseiller de cour qu’au mérite intrinsèque de l’œuvre. Cf. sur ces auteurs le livre de B.-V. Titlinov, Gabriel Petrov ( 1730-1801), Saint-Pétersbourg, 1916, recueil d’articles parus antérieurement dans Khrist. Cten., 1914-1915 ; et l’article de l’archiprêtre Y. Magnickij, Platon II (Levsin) mitropolit Moskovskii. dans Pruv. Sob., 1912, t. ii, p. 569-588, 837881. Pour la bibliographie antérieure, voir A. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t. i, p. 165-169. Les manuels de Platon et de Théophylacte curent des imitateurs. En 1799 paraissait à Saint-Pétersbourg l’œuvre du premier recteur de l’académie de Kazan, Silvestre Lebedinskij, Compendium theologiae clussiciim didactico-polemicum, doctrines orthodoxie christianæ maxime consonum et trois ans plus tard, en 1802, le recteur de Kiev, Irénée Falkovskij, faisait imprimer à Moscou son livre : Christianæ orthodoxse dogmatico-polemicæ theologiee, olim a clarissimo viro Theophane Procopovilch ejusque ùontinuatoribus adornatæ compendium, in usum russicie studiosee juventutis concinnatum, etc. Ce livre reçut les plus grands éloges des théologiens et les plus hautes recommandations du Saint-Synode.

Les manuels prokopoviens, adoptés comme livres de texte pour la théologie, propagèrent efficacement parmi les élèves des académies et des séminaires les idées de Theophane, dont l’œuvre était trop volumineuse pour être abordable aux jeunes gens. La tendance vers le protestantisme s’accentue de plus en plus en ces manuels ; presque tous complètent Prokopovic’par quelques autres auteurs protestants : Platon LevSin se sert de la théologie de Quenstedt ; Théophylacte Gorskij emploie de préférence les Institutiones theologiæ dogmaticæ de Jean-François Buddée ; Silvestre Lebedinskij utilise l’Examen theologicum acromaticum de D. Hollace et ses successeurs dans la chaire de Kazan, Épiphane, Athanase et Theophane, recourent à Buddée qui est l’auteur classique parmi les théologiens russes protestantisants depuis le temps de Prokopovic.

Certains dogmes plus traditionnels sont respectés : ceux notamment qui concernent le Saint-Esprit, l’eucharistie et les autres sacrements, etc. ; mais, quand ils traitent de la doctrine de l’Église, de la justification, de la sainte Écriture comme unique règle de foi, les disciples de Prokopovic ne se croient pas obligés de garder la même réserve que leur maître. Théophylacte Gorskij, par exemple, définit l’Église : Cœtus seu societas ex his conflala qui fide vera cum Christo ceu capile suo conjuncti sunt, nomenque adeo sanctorum promerentur ; il est évident pour lui que la justification se fait par la loi seule, laquelle n’est rien d’autre que la confiance avec laquelle nous faisons nôtres les mérites de Jésus-Christ ; cette foi suffit ut justitia et obedientia Christi nobis impulari queat, sans qu’il se produise, en fait, une vraie rémission des péchés. Cf. son œuvre Orthodoxse orientalis Ecclesiw dogmata, éd. de Moscou, 1831, p. 270, 191-197.

Ces quelques phrases suffisent pour faire connaître le caractère de la doctrine théologique enseignée par les disciples de Prokopovic. Cette doctrine n’était pas seulement dans les textes, elle se manifestait aussi dans les disputes scolastiques et obtenait, chose infiniment grave, l’appui de l’autorité ecclésiastique.


VI. Le retour a la tradition. La théologie de Macaire.

Les trente premières années du xixe siècle favorisèrent le développement et l’hégémonie incontestée du système prokopovien, qui trouva deux puissants alliés : la Société biblique pétropolitaine qui venait de se constituer, et la philosophie idéaliste d’Allemagne, qui se répandit très vite en Russie. Mais ce fut justement ce qui donna l’alarme et provoqua la réaction de 1836 ; réaction incomplète cependant, laquelle à son tour favorisa la naissance de plusieurs courants simultanés au sein de la théologie russe.

Tout ce drame se trouve résumé dans un nom illustre : Philarète Drozdov, d’abord professeur et recteur de l’académie théologique de Saint-Pétersbourg, puis archevêque de Tver et métropolite de Moscou ; à son sujet, le R. P. Jugie a écril ici même un long et érudit article, t. xii, col. 137° ; 1395. Au début, Philarète fut partisan décidé des idées prokopoviennes, dont son enseignement académique et sa prédication, spécialement à Saint-Pétersbourg et dans l’archevêché de Tver, sont inspirés. Cf. Prot. A. Smirnov, Godi ucenja i uëitelstoa Y. M. Drozdova (vposlêdstvii Philareta milrop. Moskovskago), dans Vèra i razurn, 1892, t. ii, p. 359-402 ; I. Korsunskij, Peterburgskii perioi propovêdniëeskoi dêjatelnosti Philaret, mèim recueil, 1885, t. i, ii, et aussi 1886, t. ii, p. 18 sq. Comma disciple, de Prokopovic, Philarète écrivit aussi un petit opuscule sur les différences existant entre les deux Églises orientale et occidentale, Izlozenie raznosli mezdu voslocnoju i zapadnoju Ccrkovju v ucenii vêri, dans Ctenija, 1870, t. i, fasc. 1, p. 31 sq., et plus tard son célèbre Catéchisme, publié pour la première fois à Saint-Pétersbourg en 1823 sous le titre : Khristianskii katikhizis pravoslavnija katholiceskija grekorossiiskija Cerkvi. Le Saint-Synode lui-même avait ordonné la publication de ce catéchisme ; mais le scandale qu’il provoqua le contraignit, l’année suivante, à le prohiber. Ce scandale fut suscité, non pas précisément par les opinions de l’auteur, mais par la traduction du Symbole et du Pater en langue russe. Pour la seconde édition, qui parut en 1827, on corrigea cet abus, et on ajouta quelques déclarations et de nouveaux textes qui augmentèrent le volume du catéchisme, appelé pour cette raison Prostrannii katikhizis (le caléchism’. développé). Mais le courant de retour aux traditions théologiques de Moghil i qui avait pénétré dans les hautes sphères ecclésiastiques, obligea l’auteur, à la prière du comte Nicolas Protasov, à corriger aussi le fond doctrinal du catéchisme dans la troisième et dernière édition, imprimée en 1839. Cf. M. Jugie, art. cit. ; I. Korsunskij, Sudbi katikhizisov Filareta, mitropolita Moskovskago, Moscou, 1883.

Cette troisième édition du catéchisme russe, traduite dans les diverses langues slaves et en langue roumaine, devint le manuel de religion employé dans les écoles russes, et trouva même des commentateurs, comme A. Gorodkov, dans sa théologie : Dogmiticeskoe bogoslovie po socinenjam Filareta mitr. Moskovskago, Kazan, 1883 ; Th. Titov, dans ses leçons sur le catéchisme : Uroki po Prostrannomu khristianskomu katikhizu, Moscou, 1901 et A. Tsarevskij, dans son traité Uroki po zakomj boziju sposobstvujuScie usvoeniju Prostr. Khrist. Katikh., Jurev, 1901. Dans les Églises slaves, le livre de Philarète est ordinairement considéré comme faisant partie des livres symboliques ; les grecs cependant ne le mettent pas de ce nombre, ni certains écrivains russes, comme N. Barsov, Kritika socinenii Filareta mitropolita Moskovskago, dans Khrist. <’: ten., 1887, t. i, p. 791, et Philarète (Gumilevskij), qui se plaint de la manière ambigui dont certains points de grande importance sont exposés dan-, le catéchisme.

Ce manque apparent de précision ne révèle pas une idée confuse ; elle provient plutôt de ce fait que, tout en se soumettant à la réforme, Philarète chercha à sauver tout ce qu’il pouvait du système prokopovien : le canon de l’Ancien Testament, duquel il rejette les livres deutéro-canoniques ; la doctrine de l’Église, corps mystique du Christ, qu’il explique en diminuant l’importance des liens extrinsèques, bien qu’il n’ose plus insister sur la définition prokopovienne que l’on a signalée plus haut, etc.

Mais a côté du Philarète du Catéchisme, il y a un autre Philarète qui saisit l’occasion pour dévoiler le fond de sa pensée dans ses prédications et dans ses lettres : là il se montre beaucoup plus libéral, surtout en ee qui regarde la constitution intime de l’Église et l’interprétation des saintes Écritures. Cf. I. Korsunskij, Opredêlenie ponjatija o Cerkvi v socinenijakh Filareta, mitropolita Moskovskago, dans Khrist. Clen., 1895 f t. n. p. 47-90 ; le même, Svjatitel Filaret Moskovskii, ego zizn i dèjalelnost na moskovskoi kathedrê po ego propovêdjami (1821-1867 gg.), Kharkov, 1894. C’est à ce Philarète que les partisans des nouvelles écoles de Russie font appel ; tandis que la théologie officielle reconnaîtra uniquement le Philarète du Catéchisme.

Une fois les livres à tendance prokopovienne proscrits, on éprouva un besoin urgent de textes théologiques répondant aux exigences du Saint-Synode, ou mieux de son procurateur. Comme exemple, il suffit de rappeler les cours de l’académie de Kiev, où la théologie fut enseignée, de 1830 à 1838, par l’archimandrite Innocent (Borisov), qui devint métropolite de Moscou, et par son disciple Dimitri Muretov. Dans leurs cours de dogmatique, ces professeurs suivent l’œuvre de Dobmayer, Systema theologiæ catholicæ, Solisbacii, 1807, tandis que pour la morale ils continuent de se servir des Institutiones de Buddée. M. -F. Jastrebov, Y isokopreosvjascennii Innokentii (Borisov), kak professor bogoslovija Kievskoi dukhovnoi akademija, dans Trudij, 1900, t. iii, p. 522-566 ; le même, Vysok. Dimitrii Muretov. Bibliograficeskaja zamètka, dans Trudtj 1899, t. ii, p. 85-112. Pour remédier à ce manque de textes théologiques, le professeur de Moscou Pierre Ternovskij publia dans cette ville, en 1838, un compendium de théologie, trop bref et superficiel : Bogoslovie dogmaticeskoe, ili prostrannoe izlozenie ucenija vêri pravoslavnoi katholiceskoi Cerkvi, et le comte Protasov ne cessa de stimuler les professeurs des académies à donner un cours plus digne et plus complet. Le premier traité de théologie qui parut fut le manuel d’Antoine (Anfiteatrov), recteur de Kiev, Dogmaticeskoe bogoslovie pravoslavnoi katholiceskoi voslocnoi Cerkvi, Kiev, 1848, dont les éditions se multiplièrent à Kiev, Moscou et Saint-Pétersbourg. Antoine se servit largement des auteurs catholiques, surtout des Institutiones theologicæ de Libermann, des Prœlectiones theologicæ du P. Perrone, et du Theologiæ cursus completus de Migne. Mais l’œuvre d’Antoine, au jugement du métropolite Philarète, n’était pas « assez puissante ». A. Nadezdin, Istorija S. Peterburgskoi prav. dukhovnoi seminarii, Saint-Pétersbourg, 1886, p. 365 sq. Voir sur cet auteur les deux volumes de l’archimandrite Serge, Antonii Anfileairov, arkhiepiskop Kazanskii i Svjazkii, Kazan, 18851886.

Mais à cette époque était déjà sur le point de paraître le plus célèbre des manuels théologiques russes, celui de Macaire (Bulgakov), élève de Kiev, recteur de l’académie de Saint-Pétersbourg, ensuite évêque de Tambov, de Kharkov, de Lithuanie, et enfin métropolite de Moscou, où il siégea de 1879 à 1882, année de sa mort. Sa vie a été écrite en deux volumes par Th. Titov, Makarii Bulgakov, mitropolit Moskovskii i Kolomenskii, Kiev, 1895, 1903. Parmi ses biographes plus récents, voir A.Vertelovskij, Ocerk ïizni i dêjatelnosii Makarija, mitropolila Moskovskago, dans Vêra i razum, 1917, t. i, p.’93-124, 232-249, 435-446, 718731.

Macaire a laissé de précieux travaux historiques sur l’académie de Kiev, sur le schisme des starovières et douze volumes sur l’Église russe jusqu’à 1667. Mais sa célébrité est fondée sur ses travaux théologiques, l’introduction, Vvedenie v pravoslavnoe bogoslovie, Saint-Pétersbourg, 1847 ; la dogmatique, Pravoslavnoe dogmaticeskoe bogoslovie en 5 volumes, Saint-Pétersbourg, 1849-1853 ; et la synopsis, Rukovodstvo k izuceniju khristianskago pravoslavno-dogmaticeskago bogoslovija, Saint-Pétersbourg, 1869. Les deux premières furent traduites en français : Introduction à la théologie orthodoxe, Paris, 1857 ; Théologie dogmatique orthodoxe, Paris, 1859-1860. Le Compendium eut une édition allemande, Moscou, 1875, et une grecque, Athènes, 1883.

Dans son ouvrage sur Macaire, op. cit., p. 19 sq., Titov recueille les témoignages d’admiration que rendirent à celui-ci ses contemporains, à commencer par le vieux professeur de Kiev, Innocent Borisov ; mais il ne manqua pas d’écrivains qui en jugèrent autrement, et leurs sentiments sont de plus en plus partagés par les modernes. Le P. G. Florovskij, Puti russkago bogoslovija, p. 222 sq., adopte l’opinion défavorable de Khomjakov et applique à la théologie de Macaire ce qu’Hilarion Platonov disait naguère de ses œuvres historiques : « La dogmatique de Macaire a toutes les apparences d’un livre théologique ; mais ce n’est pas de la théologie, c’est seulement un livre. » Paroles trop sévères, mais qui ont un certain fondement dans le caractère que Florovskij appelle « bureaucratique » de l’ouvrage de Macaire, trop attentif aux textes, aux petits détails, et pas assez aux vérités et aux grandes lignes de la théologie.

Macaire n’est certainement pas un auteur génial ; son œuvre n’est pas originale et tous aujourd’hui constatent qu’elle relève de VHistoire des dogmes de H. Klee et des traités théologiques du P. Perrone, auquel elle emprunte même les citations, d’une façon parfois inexacte. On ne peut cependant pas nier que les manuels de Macaire aient des qualités didactiques et se recommandent par la clarté et la précision, deux qualités qui sont peut-être peu goûtées par les censeurs modernes. Quant à l’autre accusation portée contre lui, que sa théologie n’est pas orientale, on pourrait la porter aussi contre ses prédécesseurs, qui tous furent tributaires, en des proportions variables, de la culture occidentale. Pour ce qui est de la doctrine, l’auteur garde fidèlement l’enseignement des livres symboliques, principalement du Grand catéchisme de Philarète.

A côté de Macaire, il faut placer Philarète (Gumilevskij ) archevêque de Cernigov. Philarète, qui déplorait dans le manuel de Macaire « un manque de logique et de profondeur dans l’argumentation », avait dicté un cours quand il professait à l’académie de Moscou. Quand il fut promu au siège de Riga en 1848, il fut prié par Protasov de publier ce cours, mais ce fut seulement en 1854 qu’apparut, à Cernigov, le premier volume de son Pravoslavnoe dogmaticeskoe bogoslovie ; le second volume suivit en 1865, un an avant la mort de l’auteur. Le livre de Philarète, que de nombreux auteurs, avec N. Glubokovskij, Russkaja bogoslovskaja nauka, Varsovie, 1928, p. 40, préfèrent à tous les autres, s’inspire lui aussi des auteurs catholiques Brenner, Klee et Perrone ; il a les mêmes tendances et contient les mêmes opinions que la théologie de Macaire, mais Philarète parle d’une manière plus moderne et plus hardie, qui révèle des vues plus élaborées et plus personnelles. Ceci n’a rien de surprenant, si l’on se rappelle que Philarète comme érudit n’a peut-être pas son pareil parmi les théologiens et les patrologues russes, comme on peut le constater dans ses œuvres Obzor russkoi dukhovnoi literaturi, Cernigov, 1859, 2 vol., et Istoriceskoe ucenie ob otsakh Cerkvi, Cernigov, 1859, 3 vol. Sur Philarète, cf. S. Smirnov. Filaret arkhiepiskop Cernigovskii, Tambov, 1880.

Macaire et Philarète donnèrent une règle de conduite aux nombreux auteurs de manuels et de compendiums de théologie dogmatique : Justin Poljanskij, Jean Sokolov, Alexis Gorodkov, Eugène Popov, Métrophane Jastrebov, Serge Nikitskij, N. Anickov, A. Kudrjatsev, P. Gorodtsev, N. Malinovskij, I. Vinogradov, etc., parmi lesquels ressort en premier lieu le manuel de Nicolas Malinovskij, recteur du séminaire de Podolsk, Pravoslavnoe dogmaticeskoe bogoslovie, 4 vol., t. i, Kharkov, 1895 ; t. ii, Stauropol, 1903 ; t. iii, et iv, Serghiev-Posad, 1909, et le compendium en 2 tomes, à l’usage des séminaires : Ocerk pravoslavnago dogmaticeskago bogoslovija, Kamenets-Podolsk, 1904. Ces manuels représentent la dogmatique officielle de l’Église russe, la théologie légitimement autorisée par la censure ecclésiastique. Tous ceux qui ont écrit sur la censure en Russie, comme A. -M. Skabicevskij, Ocerk istorii russkoi cenzuri (1700-1865), Saint-Pétersbourg, 1892 ; T.-V. Barsov. O dukhovnoi cenzurê v Rossii, dans Khr. Cien., 1901, t. i-ii : et principalement A. Kotoviè. Dukhovnaja cenzura v Hossii (1799-1855 gg.), Saint-Pétersbourg, 1909, reconnaissent la sévérité des tribunaux de la censure, établis auprès du Saint-Synode de Saint-Pétersbourg et dans les académies ecclésiastiques. Dans la première moitié du xix c siècle, ces tribunaux approuvèrent seulement quatre-vingt-deux ouvrages de théologie, apologétique et exégèse, et refusèrent à quarante-six autres le permis d’imprimer. Mais la rigueur des censeurs ne put empêcher la formation et le développement de nouvelles écoles, qui, sous l’influence de la philosophie idéaliste et du libéralisme théologique régnant dans l’Allemagne toute proche, rejetaient le joug de la théologie traditionnelle.,

VII. Les slavopiiiles. —

Dans la première moitié du xixe siècle, les philosophes allemands faisaient les délices de la jeunesse studieuse de Russie. Les étudiants, réunis dans l’association « Jeunes des archives », se montraient pleins d’enthousiasme pour Kant, Fichte, Schelling, Oken, c’est-à-dire pour l’idéalisme kantien, spécialement sous la forme plus esthétique qu’il revêt dans la doctrine de Schelling. Malgré les protestations du recteur de Kazan, Magnitskij, la nouvelle philosophie s’introduisit aussi dans les universités et dans les académies ecclésiastiques de Moscou et de Saint-Pétersbourg, où la philosophie de Frédéric-Guillaume Schelling était professée par Alexandre Ivanovic Galiè, M. D. Vellanskij, disciple de Schelling et ami de Oken, par Davidov, par M. Pavlov ; ce dernier, en même temps que l’idéalisme de Schelling et d’Oken, cultivait aussi le spiritualisme de Victor Cousin. A. Koyré, La philosophie et le problème national en Russie au début du.i.xe siècle, dans Bibliothèque de l’institut français de Leningrad, t. x, Paris, 1929, p. 37, 90 sq. D’ailleurs, le tempérament des philosophes russes ne pouvait demeurer dans les limites d’un système ; sous l’absolutisme de Schelling, on retrouverait dans leurs œuvres toute la philosophie postérieure à Deseartes : le criticisme de Kant, l’idéalisme de Fichte et de Hegel, le réalisme panthéistique de Spinoza, le spiritualisme de Cousin, etc. Cf. par exemple les articles de L. Linitskij, Osnovmjja certi/ ucenija ob Absoljulnom, dans Vêra i razum, 1889, t. n ; p. 197217 ; 234-246 ; Absoljutnoe samo v sebi i v otnosenii k koneenomu, dans ibid., p. 375-400 : Kritika naëal novoi filosofii. Absoliulnor est-li ideja, ili ze dèistvilelnoe susces’vo ? dans ibid., 1890, t. i, p. 1-27.

Mais ce qui attire plus fortement l’attention des penseurs russes, c’est le rapport entre la nouvelle philosophie et les problèmes religieux. Il suffit de citer quelques articles parus en divers recueils : A. Kiriloviè, sur l’ecclésiologie kantienne, Ucenie Kanta o Cerkvi, dans Ycra i razum. 1893, t. II, p. 2 : 5 sq. ; S. Glagolev, sur le concept de religion chez Kant, Religioznaja filosoftja Kanta, dans ibid., 1904, t. i, p. 91 sq. ; I. Prodak, Pravda o Kantê, dans ibid., 191 I, t. i. p. 733 sq. ; t. n. p. 28 sq. ; S. Glagolev, Religioznaja ftlosofija Fikhle, dans Bog. Vêst., 191 I, t. iii, p. 759 sq. ; T. Butkeviê, Ucenie Sellinga o suilnosti religija, dans ibid., 1902, t. i, p. 200 sq. ; T. Butkeviê, Vôenie Gegelja o religii i eja susrnosli. dans ibid., 1902, t. I, p. Il sq. Cette prédilection pour le côté religieux de L’Idéalisme se manifeste dès la première Influence exercée par la nouvelle philosophie en Russie ; elle fut l’origine du mouvement slavophile.

I’nc lettre de Pierre.1. Caadaèv, de l’année 1832, nous parle des espérances que le célèbre penseur russe mettait dans la philosophie religieuse de Schelling. L’abbé Ch. Quénet, dans son livre Tchaadæv et 1rs lettres philosophiques, Paris. 1931. cf. p. 204 sq., dépeint le milieu philosophique de Russie de 1832 à 1840. Il y montre combien ce sentiment était général. Mais quoique les partisans russes de Schelling fussent tous également pleins d’enthousiasme pour l’idéalisme, ils se divisaient cependant en deux camps : occidentaux et slavopiiiles. Et ceci était vrai aussi bien quand il s’agissait de questions politiques et sociales, où les premiers exaltaient Pierre le Grand et les autres Ivan le Terrible, que sur le terrain philosophique et religieux. Les « occidentaux », persuadés, avec Caadatv, que la nouvelle philosophie était le fruit de la culture latine, cherchaient à occidentaliser l’Église russe ; les « slavophiles » au contraire pensaient que les profondeurs de la conscience religieuse que couvre la philosophie idéaliste, étaient en opposition avec la religiosité de l’Occident ; seule, d’après eux, l’Église russe vivait pleinement ces principes. Telle est la base du slavophilisme théologique, que Bcrdjaèv. parlant du plus illustre des slavophiles, put définir comme un idéalisme concret, ou plutôt comme l’unique forme concrète qui répond pleinement aux postulats de la nouvelle philosophie. N. Berdjaêv, A. S. Khomjakov, Moscou, 1912, p. 117. À cause de cela, le slavophilisme, dans la pensée de ses propagateurs, fut éminemment national, malgré la critique tant de fois répétée que Paul Miljukov exprime ainsi : « Curieuse ironie de l’histoire ! La première et unique théorie nationaliste qui fût jamais élaborée en Russie était basée sur une pensée philosophique de l’Europe occidentale. » P. Miljukov, La crise russe, Paris, 1907, p. 35. Il est certain que les slavophiles trouvèrent les éléments de leur système dans la philosophie allemande ; mais cette philosophie, ajoutent-ils, est cependant l’expression fidèle et exclusive de l’Église russe.

Le mouvement slavophile eut pour initiateurs Novikov, Zukovskij et Jean Kireêvskij, lequel, après avoir suivi à Berlin le cours philosophique de Hegel et à Munich celui de Schelling, fonda, une fois retourné dans sa patrie, la revue Europwus, qui fut vite supprimée parla censure. Cf. A. Lisnikov, I. V. Kireêvskij. Ocerk ïizni i ucenija, dans Prav. Sob., 1914, t. ij 1915, t. m ; A. Koyré, La jeunesse d’Ivan Kireêvskij, dans Le monde slave, 1922, p. 213-237. Le grand théologien de la nouvelle doctrine fut Alexis Stepanoviè Khomjakov ; il est sans conteste le plus célèbre et le plus important. Cf. A.-L. Lusnikov, Istoriko-litcraturnaja poeva pervago slavjanofdstva, dans Prav. Sob. r 1913, t. ii, p. 180-193, 428-446, 625-032.

Khomjakov naquit à Moscou en 1804, d’une famille noble. Ses études universitaires terminées, il s’engagea dans la carrière militaire, mais ses profonds sentiments religieux et la nature de son intelligence lui firent changer de chemin et, se retirant de l’armée, il se consacra aux études théologiques, philosophiques et historiques. Les difficultés que ses théories soulevèrent en Russie l’engagèrent à se retirer à l’étranger, où il put les répandre plus librement. Il mourut en 1860. Sur Khomjakov, cf. Y.-Z. ZavitneviC, Alcksii Stepanovii Khomjakov, Kiev. 1902, 2 vol. ; N. Berdjaêv, A..S. Khomjakov, Moscou, 1912 ; G. Kolemine, Luz de Oriente : Khomiakoff, Madrid. 1912.

Khomjakov avait déjà jeté les bases de son système quand il écrivit, en 1840, la dissertation sur l’Église, publiée seulement après sa mort, Opit katikhiziskago izlozenija ucenija o Cerkvi. En juin 1811. J. Samarin, disciple de Khomjakov, défendit sa thèse sur Stéphane Javorskij et Théophane Prokopoviè, thèse où il entendait faire voir, en ces deux grands théologiens, l’unité (Javorskij) et la liberté (Prokopovic), qui intègrent le sentiment religieux de l’Eglise russe. Ch. Quénet, Tchaadæv, p. 320 sq. C’était la thèse fondamentale de Khomjakov, elle se trouve développée dans les lettres qui forment le volume L’Eglise latine et le protestantisme au point de vue de l’Église d’Orient, Paris, 1853 ; Leipzig, 1855, 1858 ; Lausanne, 1872. À cette œuvre fondamentale s’ajoutent d’autres traités réunis dans le second volume des Socinenija de Khomjakov, 4e éd., Moscou, 1900.

La théologie de Khomjakov est construite sur la philosophie de Schelling, complétée d’éléments pris à l’école de Victor Cousin. V. Soloviev, L’idée russe, Paris, 1888, p. 35, signale en particulier Bordas-Demoulin ; et certes, s’il n’est pas aisé de préciser la dépendance à l’égard d’un auteur, on ne peut cependant nier que la philosophie religieuse de Khomjakov ne réponde assez exactement aux idées des philosophes qui sont à la fois disciples de Cousin et de Schelling comme F. Ravaisson-Mollien et Charles Secrétan. Secrétan, par exemple, enseigne que les individus vivent étroitement unis en un organisme social, dans lequel la liberté et la solidarité sont unies par le lien de l’amour. Ce sont les mêmes expressions que Khomjakov emploie continuellement dans son système théologique et dans ce qui fait la question centrale de ce système : la nature de l’Église. Cf. M. Krasnjuk, Religiozno-filosojskoe ucenie preznikh slavjanofllov, dans Vêra i razum, 1900, t. ii, p. 93-121, 174-186 ; V.-Z. Zavitnevic, lz sistemi filosofsko-bogoslovskago A. S. Khomjakova, dans Trudy, 1906, t. i. p. 17-50 ; ci. ibid., 1913, t. i. p. 256-277, 382423 ; A. Gracieux, L’élément moral dans la théologie de Khomiakov, dans Bessarione, série III, t. vu (19091910), p. 358 sq.

Khomjakov est persuadé que sa conception de l’Église est totalement différente du concept catholique : « Une différence essentielle sépare l’idée de l’Église qui se considère comme une unité organique, dont le principe vivant est la grâce divine de l’amour mutuel, de l’idée des communions occidentales, dont l’unité toute conventionnelle n’est…, chez les Romains, que l’action collective d’un état semi-spirituel. » L’Église latine et le protestantisme, Lausanne, 1872, p. 118..Mais quelle est exactement l’idée de Khomjakov sur l’Église ? Jules Samarin, dans l’introduction aux œuvres de ce théologien, N. Berdjaêv, .V. S. Khomfakou, p. 88-93 ; A.-P. Kharsavin, A..S. Khomjakov : C.erkvi, Berlin, 1926, p. 45, recueillent diverses expressions qui traitent de la nature de l’Église, mais sont loin d’en être une définition : « L’Église est un organisme de vérité et d’amour, ou plutôt, elle est la vérité et l’amour comme organisme ; l’Église, au sens complet du mot, n’est pas un être collectif ou abstrait ; elle est l’Esprit de Dieu qui se connaît lui-même ; l’Église, c’est l’unité dans l’amour et dans la liberté, etc. »

Toutes ces phrases sont obscures et imprécises ; si nous voulons trouver plus de clarté, nous devons recourir aux explications que donne notre théologien de la sobornost, traduction — ni très ancienne ni très parfaite — du mot « catholicité » dans le symbole slave. Cf. La traduction du mol xaôoÀixï) dans le texte slave du symbole de Nicée-Constantinople, dans Orientalia christiana, n. 55 (1929), p. 54-56. Khomjakov prend la sobornost, ou catholicité, au sens intensif, la faisant dériver du grec xaO’ôXov. Voir par exemple, A. -S. Khomjakov, L’Église latine et le protestantisme, p. 397 sq., c’est-à-dire que dans la société de l’Église, les fidèles sont libres, sans nulle contrainte de liens juridiques qui seraient opposés à l’esprit de l’Évangile ; mais en même temps ils sont étroitement unis entre eux par l’amour mutuel, qui est la vie même, l’essence de l’Église, se communiquant dans sa plénitude, également et sans restriction d’aucune sorte, à tous les fidèles, qui, pour cette raison, sont non des serviteurs mais de vrais membres de l’Église. Ibid., p. 36. Le protestantisme possède la liberté sans l’unité ; le catholicisme a l’unité sans la liberté ; dans l’orthodoxie seulement ces deux extrêmes (la thèse et l’antithèse du système idéaliste khomjakovien) se réduisent à une synthèse merveilleuse qui rend l’Église toute spirituelle et sainte, et lui confère, en même temps que la sainteté, l’infaillibilité et toutes les autres prérogatives dérivant de la sainteté. Cf. N. von Arseniew, Die Lehre der russischen Slavophilen von der Kirche, dans Intern. kirchl. Zeitschr., t. xxxv, 1927, p. 156 sq.

L’ecclésiologie de Khomjakov suscita le plus vif intérêt et recueillit dès le début de nombreuses adhésions ; mais elle eut aussi à lutter contre une forte opposition. La censure défendit l’impression en Russie de ses ouvrages, dont les premières éditions furent publiées à Prague ; et, quand elle permit l’édition de 1879, elle ordonna d’y placer en tête une admonitio ad lectorem, ainsi rédigée : « Nous devons avertir le lecteur que l’imprécision et l’inexactitude qui se trouvent en certaines phrases doivent être attribuées à l’incomplète formation de l’auteur dans les sciences théologiques. » Polnoe sobranie socinenii A. S. Khomjakova, t. ii, 4e éd., Moscou, 1900. Il ne manqua pas de théologiens qui cherchèrent à corriger les excès de la doctrine slavophile, tels Katanskij et A.-V. Gorskij de l’académie de Moscou. Leur attitude envers les slavophiles se trouve décrite dans un érudit article de Th. Andreêv, Moskovskaja dukhoonaja akademija i Slavjanofili, dans Bog. Visl., 1915, t. iii, p. 563-644. A Saint-Pétersbourg, N. Barsov relevait les lacunes de la nouvelle méthode théologique, dans son livre Nooyi metod v bogoslovie, Saint-Pétersbourg, 1870 ; cf. Khr. Cten., 1869, t. i ; 1870, t. i ; znacenie Khomjakova v istorii otecestvennago bogoslovija, dans ibid., 1878, t. i, p, 303-320 ; Istoriceskie, kritiëeskie i polemiôeskie opijli, Saint-Pétersbourg. 1879.

Les théologiens opposés au courant slavophile, s’alarment principalement du fait que ces auteurs, trop confiants dans les principes de la philosophie idéaliste, négligent les documents positifs de l’Écriture et de la Tradition, uniques sources des vérités dogmatiques, et compromettent la position antique de l’Église orthodoxe concernant la hiérarchie et la visibilité de l’Église. Plus désagréable peut-être aux slavophiles fut l’attaque déchaînée contre eux au nom et avec les armes de la philosophie religieuse.

Le plus illustre des penseurs russes modernes, Vladimir Sergèvic Solovèv (v 1900), appelé par Alexandre Nikolskij VOrigène russe (cf. Vêra i razum, 1902, t. i, p. 407 sq.), s’était d’abord laissé captiver par les idées de Khomjakov ; mais plus tard il devint son adversaire le plus convaincu. Toute la vie de Solovêv est une ascension continuelle vers la vérité. Cf. M. d’IIerbigny, L’n Newman russe, Vladimir Soloviev, Paris, 1911. Sur le terrain purement philosophique comme sur celui de la dogmatique et spécialement dans l’ecclésiologie, il ne resta pas fixé à son point de départ. Durantles dix années 1881 à 1891, Solovêv s’éloigne de plus en plus de la thèse fondamentale de Khomjakov, et, intimement persuadé de la nécessité de l’autorité, il arrive finalement à reconnaître de manière explicite la primauté de Rome dans son livre La Russie et V Eglise universelle, Paris, 1889, et cela d’une manière si claire et si manifeste, que ses admirateurs orthodoxes se virent contraints à constater le fait. Cf. I.-A.. Y. S. Solovêv, kak zaicilnik papslva po kn. « La Russie et l’Église universelle », dans Yéra i razum, 1904, t. i. p. 614-638 ; t. ii, p. 13-35 : N. I. N., Yozzrènie V. S. Solovêua nu Katoliëestoo, dans ibid., 1914, t. ii, p. 49-71, 193-217, 483-525, 571-590, 720-746. Cette position place Solovêv en face du slavophilisme, qu’il combat ouvertement, au nom de la philosophie, du sentiment russe, de la tradition et de l’histoire, dans ses traités Slavjanoftlstvo i ego virozdenic ; Nooaja zaScila starago slavjanofllstua, dans Soëinenija, I. v, p. 1(11-222, 231242, et dans les chapitres v et vi du premier livre de La Russie et l’Eglise universelle. Malheureusement, l’attitude officielle de la Russie envers le catholicisme entrava l’influence de la thèse de Solovêv, qui, pendant plusieurs années, fut seulement l’apanage de quelques rares esprits plus cultivés.

VIII. Les écrivains de la fin du XIXe siècle.

Quoique la distance qui existe entre la théologie traditionnelle de Macaire et celle de Khomjakov soit fort grande, l’une et l’autre cependant se rencontrent, bien qu’en des proportions différentes, parmi les écrivains de la fin du xix° siècle, que G. Florovskij rassemble sous la dénomination d’e’cole historique. Ce sont en effet les sciences ecclésiastiques positives qui absorbent l’activité des professeurs des académies. L’histoire ecclésiastique en général fut cultivée par A. Gorskij, Al. -P. Lebedev, V.-V. Bolotov ; l’histoire de l’Église russe fut cultivée par E. Golubinskij ; I.-L. Janisev s’est fait un nom dans la morale ; S. Sagarda, N. Glubokovskij dans les commentaires de l’Écriture ; d’autres dans la patrologie, la liturgie, etc.

Mais en général toute cette période reflète l’influence qui se fit sentir également en Russie, du criticisme et du libéralisme théologique qui dominait pour lors dans les universités d’Allemagne. Qu’il suffise de rappeler une phrase du professeur de l’académie de Saint-Pétersbourg, V. Bolotov, lequel, dans son Histoire de l’Église antique et dans ses autres œuvres, avait fait tant de concessions aux catholiques sur le terrain de la primauté pontificale et du Filioque : « Si vous interrogez cent personnes, probablement quatre-vingt-dix-huit penseront que je suis plus proche du catholicisme que du protestantisme ; et cependant je suis plus près du protestantisme, malgré la liberté dogmatique dont il est pénétré, car il ne peut y avoir la loi que là où existe une persuasion personnelle. » V. Rolotov, Lektsii po istor. drevn. C.erkvi, 1. 1, p. 35 ; cf. A. Brilljantov, K kharakteristikê ucenoi dêjatelnosti prof. V. V. Bolotova, kak cerkovnago istorika, dans Khr. Clen., 1901, t. i, p. 496. Ce fond de libéralisme théologique qui entache plus ou moins la théologie russe à la fin du xix c siècle, explique la diffusion du slavophilisme et le développement de systèmes ouvertement hétérodoxes comme ceux de Tolstoï et de Rozanov, il détermine aussi la position de l’orthodoxie par rapport aux vieuxcatholiques et aux sectes protestantes d’une part, et au catholicisme d’autre part.

Le grand artisan du rapprochement de l’orthodoxie avec les vieux-catholiques et les anglicans, fut I.-L. JaniSev, qui prit part aux conférences de Bonn, en 1874, 1875, et demeura toujours fidèle à cette idée. Cf. I.-P. Sokolov, Prolopresbitcr I. L. Janisev, kak dèjalel po starokatoliceskomu voprosu, dans Khr. Clen.. 1011, t. i, p. 230-231. Plus tard, vint le général A. Kireèv, lequel, malgré l’insuffisance de sa préparation théologique, multiplia ses articles en faveur de l’union dans les revues russes et dans la Revue internationale de théologie. Po irtant à celle union s’opposent, non seulement les différences dogmatiques, comme par exemple celle sur le Filioque, que ni les conférences de Bonn, ni les thèses de Bolotov publiées en 1898 ne réussirent à surmonter ; mais aussi la concept ion que l’on se fait, de pari et d’autre, de l’unité nécessaire à l’Église. I.e système des protestants et des vieux-cal holiques se contentant de l’union des diverses Kgliscs « SŒUTS. se heurtait à la pensée traditionnelle de l’orthodoxie. Ce fut le général Kireèv qui proposa explicitement la théorie de l’Église universelle, laqucll embrasse, en plus de l’Église orthodoxe, les autres communautés chrétiennes. Cf. son écrit Slarokatoliki i vselenskaja Cerkov, Saint-Pétersbourg, 1903. Kireêv trouva des opposants dans le professeur de Kazan, A. Guscv, dans l’archiprêtre A. Maltsev, et en général parmi les théologiens les plus attachés à la tradition ; mais il pouvait au contraire compter sur le nombre toujours plus grand des écrivains libéraux, tels que Sokolov et Bêljæv de Moscou, Svêtlov de Kiev, Bolotov de Saint-Pétersbourg. .. Ainsi la tendance toujours croissante à établir des contacts avec les confessions occidentales, amena le relâchement des conceptions dogmatiques.

Comme par contre-coup, les théologiens russes se posent, à cette époque, en adversaires toujours plus résolus de l’Église catholique, qui avait défini en 1854 le dogme de l’immaculée conception et en 1870 celui de l’infaillibilité du pontife romain. Les écrits des vieux-catholiques : I. Dôllinger, A. Aberhard, I. Friedrich, contre Rome, pénètrent dans la polémique russe anti-latine, dans laquelle se distinguent Nicolas Jakovlêvic Bêljæv, qui consacra tous ses travaux à combattre la papauté (cf. E. Budrin, N. Ja. Bêljæv (Nekrolog ) dans Prav. Sob., 1894, t. iii, p. 259-265) et Alexandre Lebedev, qui écrivit successivement trois volumes sur les différences existant entre l’Église d’Orient et celle d’Occident : Raznosti Cerkvei Vostocnoi i Zapadnoi, à savoir, la conception immaculée de la Vierge, Varsovie, 1881, le culte du Sacré-Cœur, i Saint-Pétersbourg, 1886, et la primauté du pape, Saint-Pétersbourg, 1903.

IX. Les théologiens contemporains.

La chute de l’empire et l’avènement du bolchévisme marquent, sinon la fin, du moins la désorganisation des études théologiques dans l’Église russe. Les académies théologiques qui en étaient le vrai foyer ferment leurs portes : le souffle de la révolution disperse partout les hommes les plus illustres et les plus représentatifs. Plusieurs d’entre eux trouvèrent asile dans les facultés de théologie d’autres nations orthodoxes, ou dans des universités d’État ; d’autres poursuivirent leur activité littéraire à l’ombre des institutions unionistiques, érigées principalement parmi les anglicans et les protestants ; d’autres enfin, bénéficiant souvent d’une aide largement offerte par les associations protestantes, se réunirent dans divers centres où s’établit un travail théologique plus ordonné et plus constant : ainsi à Berlin, Prague, Varsovie, et à Paris, où, par décret du métropolite Euloge, se constitua l’académie ecclésiastique orthodoxe.

Nous devons donc chercher la pensée religieuse russe contemporaine hors de la Russie, dans des ouvrages et des articles souvent écrits en français, en allemand, en anglais…, langues dans lesquelles sont aussi traduits les livres les plus importants imprimés en russe. Ceci contribue à faire connaître davantage et à rendre plus accessible la théologie russe moderne, et sert à en étendre la diffusion et l’influence : les noms de N. Glubokovskij, N. von Arseniev, des princes Trubetskoï, G. Fedotov, V. Ilin, B. ViSestavtsev, V. Zênkovsk’j, N. Losskij, G. Florovskij, N. Berdjaêv, S. Bulgakov, etc., sont désormais très connus, et les œuvres de quelques-uns d’entre eux exercent un vrai charme parmi les lecteurs occidentaux, celles principalement qui développent des thèmes de philosophie religieuse, de sociologie et de théologie mystique, liturgique et dogmatique.

Dans le domaine du dogme, il est difficile de trouver de vrais représentants de l’école traditionnelle, même dans la forme plus mitigée inaugurée par Philarète. Les théologiens russes contemporains ont laissé en Russie une institution : la censure. Ils usent de la plus grande liberté de penser et d’écrire, de cultiver les systèmes Us plus originaux et les plus hardis. Les auteurs qui ont toutes leurs sympathies sont : A. Khomjakov, auquel ils ajoutent Th. Dostoêvskij, et V. Solovèv.

La doctrine de Khomjakov sur l’Église est fréquemment exposée et commentée. Cf. par exemple N. von Arseniev, Die Lehre der russischen Slavophilen von der Kirche, dans Internationale kirchl. Zeitschr., t. xxxv, 1927, p. 156-164 ; G.-V. Florovskij, The Church of God ; An anglo-russian symposium, Londres, 1934, p. 5374, etc. L’opuscule fondamental de Khomjakov sur l’unité de l’Église, Cerkov odna, est divulgué en allemand dans VŒslliches Christentum, t. ii, Munich, 1925, p. 1-27. La théorie de Khomjakov inspire aux auteurs récents l’aversion contre le « juridicisme » ecclésiastique ; elle leur permet d’opposer l’Église orthodoxe, qui est l’Église de Jean, tout mysticisme et amour, à l’Église de Rome, fondée, disent-ils, sur le droit et la force, et symbolisée par Pierre, lequel demande si deux épées suffisent… S. Bulgakov, L’orthodoxie, Paris, 1932, p. 113.

Parmi les éléments de l’ecclésiologie de Khomjakov, les modernes développent de préférence le concept de sobornost (voir ci-dessus, col. 361). Il en est qui prétendent réconcilier la pensée de Khomjakov avec l’idée traditionnelle de la théologie russe, comme fait I. Grabbc, Istinnaja Sobornost, Varsovie, 1931 ; mais l’interprétation la plus commune est bien plutôt celle qu’expriment L. Karsavin et les théologiens de Paris, S. Bulgakov par exemple, Das Selbstbewusstsein der Kirche, Orient und Occident, Leipzig, 1930, qui tend à accentuer toujours plus l’unité des fidèles dans la « conscience collective » du corps ecclésiastique et, en conséquence, à diminuer le caractère visible de l’Église. Cf. S. Tyszkiewicz, S. J., Die Lehre von der Kirche beim russischorthodoxen Theologen S. Bulgakov, dans Zeitschr. fur kath. TheoL, t. i.i, 1927, p. 82 ; A. Pawlowski, Idea Kosciola w ujeciu Rosyjskiej Teologji i Historjozofii, Varsovie, 1935, p. 124 sq.

L’ecclésiologie de Khomjakov trouve aussi, parmi les auteurs modernes, une confirmation dans la pensée de Théodore Dostoêvskij (tl881), qui est appelé « le prophète » de la nouvelle théologie. Dostoêvskij. moins théologien que Khomjakov, eut et continue d’avoir une influence énorme sur les penseurs russes. On fait valoir surtout son thème favori sur « l’héroïsme de la liberté » et « l’abjection de l’obéissance » à la hiérarchie ecclésiastique. Sa fameuse légende du « grand inquisiteur », cette page du roman Les frères Karamazov, où le pouvoir ecclésiastique est jugé incompatible avec le christianisme, a fourni un leit-motiv qui se trouve au fond des écrits russes modernes sur l’Église. L’influence de Dostoêvskij est évidente dans les auteurs qui, comme le métropolite Antoine, Slovar k tvorenjam Dosloèvskago, Sofia, 1921 ; V. Rozanov, Legenda o Velikom Inkvisitorê, Berlin, 1924 ; A. Zakrevskij, Religija, Kiev, 1913…, prennent ouvertement son parti. Mais ceux-là mêmes qui font ressortir le péril de son concept de la liberté ecclésiastique et cherchent à modérer ses théories, tels que D. Merejkovskij, L’âme de Doslojevsky, Paris, 1932 ; V. Zênkovskij, Russkie Misliteli i Evropa, Paris (s. d.), p. 274 sq. ; N. Berdjaêv, Die Weltanschauung Dostojewskijs, Munich, 1925, ceuxlà mêmes ne laissent pas d’en subir l’attrait.

Néanmoins le culte professé par les doctrines de Khomjakov et de Dostoêvskij n’exclut pas l’influence d’autres auteurs, spécialement du plus redoutable ennemi du slavophiiisme, Vladimir Solovêv, dont la réputation de philosophe et de penseur est si solide, et dont l’ouvrage, La Russie et l’Église universelle, avait été si goûté en Occident.

Solovêv considère l’Occident comme indispensable à la réalisation de l’Église universelle telle qu’il la rêve. Cf. F. Muckermann, S. J., Solovief et l’Occident, dans Irénikon, t. iii, 1927, p. 453 sq. L’universalisme de

Solovêv favorise donc la position conciliante de ses partisans, le prince E. Trubetskoi, Th. Losskij…, à l’égard des autres confessions chrétiennes, bien qu’assez souvent ils se contentent de consulter les premières œuvres du maître, retenant, dans ses lignes générales, la théorie exposée par lui dans Histoire et avenir de la théocratie et dans la seconde partie de La Russie et l’Église universelle, tandis qu’ils l’abandonnent à l’endroit même où Solovêv trouve la solution du problème angoissant de son ecclésiologie dans l’expression : Roma-Amor !

Ceci exclu, ’es écrits de Solovêv fournissent principalement le concept du « théandrisme » de la Bogocelovêcestvo, élément essentiel de la théologie moderne russe dans l’explication des rapports entre Dieu et le monde. C’est aussi de Solovêv que provient une idée qui a provoqué de grandes polémiques et de profondes dissensions : la doctrine de la Sophie. Ce système se trouve déjà dans les œuvres de l’illustre écrivain ; cf. L. Kolilinskij-Ellis et R. Knies, Gedichte von W. Solovief, Mayence, 1925, appendice ; mais le développement de cette idée est dû à P.-A. Florenskij, Stolp i ulverzdenie istini, dans Voprosi religii, 1907, 1908.

La doctrine de la Sophie a trouvé un admirateur ardent et convaincu dans le professeur de l’académie de Paris, S. Bulgakov, lequel, par son livre Lumière sans nuit, publié en 1917, s’en fit le propagateur. En riposte aux premières critiques violentes quilui avaient été faites, Bulgakov reprit le thème dans la trilogie Kupina neopolimaja, Paris, 1927 ; Drug zenikha, Paris, 1927 ; Lêstvitsa Iakovlja, Paris, 1929 ; et plus tard dans deux autres ouvrages : Agnets Bozii, Paris, 1933 et UtéSitel, Paris, 1936, qui devaient être suivis d’une autre œuvre consacrée à l’Église.

Nous ne pouvons entrer dans les détails. La doctrine de la Sophie consiste essentiellement dans l’établissement d’un être intermédiaire entre Dieu et les créatures. La Sophie, distincte des trois peisonnes divines, se trouve pour ainsi dire à la limite entre le divin et le créé, et participe de l’un et de l’autre. Par rapport à Dieu, elle est éminemment réceptive de toute perfection communicable aux créatures ; au sujet de celles-ci, elle est éminemment féconde, parce que les créatures reçoivent d’elle, comme d’un principe féminin, l’être, l’intelligence, tous les dons ; et la Sophie, comme âme du monde, continue à conserver les créatures. La Sophie, comme l’explique Bulgakov dans son écrit de 1925 : Hypostase et hypostaséite, n’est pas une personne mais une pure subsistance, bien que, elle aussi, ait eu ses manifestations et ses concrétisations dans la sainte Vierge, le Christ, les anges, comme l’indiquent déjà les titres mêmes de la trilogie de Bulgakov. qui veut être un commentaire théologique de la célèbre icône de la Sophie à la cathédrale de Novgorod. C’est peut-être d’ailleurs l’ardeur de la lutte autour du « sophianisme » qui a amené Bulgakov à faire de la doctrine de la Sophie le pivot de toutes les questions théologiques ; ce que lui reprochent plusieurs écrivains, même ceux qui, comme Nicolas von Arseniev, appartiennent à des cercles qui lui sont assez étroitement apparentés.

Il est facile de deviner que seul un jugement superficiel peut découvrir dans les théories sophianiques une source de nouvelle et plus haute théologie. Cf. hiéromoine Lev, Sedes Sapientiæ, dans Irénikon, t. iii, 1927, p. 262 sq. Nous pouvons, il est vrai, y voir un effort sincère et comme une soif de vérité ; cependant on ne peut nier qu’elles mettent sens dessus dessous tout le dogme, , au nom de l’intuition et de l’idéalisme platonicien, adopté par Bulgakov. C’est pourquoi des protestations se sont élevées hautement là contre, même dans le camp de l’orthodoxie. Le métropolite Antoine (Krapovitskij), résidant à Carlowitz (Yougoslavie), dénonçait en 1924, dans la revue Novoe Vremja, le sophianisme de Florenskij et de Bulgakov comme suspect d’introduire une quatrième personne en Dieu. Les explications de Bulgakov calmèrent cette première tempête. Mais dans le synode tenu à Carlowitz, les 18-31 mars 1927, Antoine publia la lettre sur le « modernisme » de l’académie théologique de Paris, dont une preuve est précisément la théorie de la Sophie. Voir M. d’Herbigny, S. J.. Évêques russes en exil, dans Orientalia christiana, n. 07, Home, 1931, p. 116-149. La condamnation eût pu sembler un épisode de la lutte engagée entre les métropolites Euloge de Paris. et Antoine de Carlowitz. Il n’en est rien ; et quand Serge, métropolite de Moscou, condamna solennellement, en septembre 1935. par l’intermédiaire d’Éleuthère, métropolite de Lithuanie, la doctrine de Bulgakov, Antoine n’était plus de ce monde. Pour confirmer la sentence, l’archevêque Séraphin (Sobolêv) publia un volumineux ouvrage contre la nouvelle doctrine de la Sophie : Novoe ucenie o Softi Premudrosli Boziei, Sofia, 1935, suivi, deux années plus tard, d’une réponse plus succincte aux défenses opposées par Bulgakov : ZaScila Sofianskoi Eresi Protoiereem S. Bulgàkovim pred lilsom Arkhierciskago Sobora Russkoi Zarubeznoi, Sofia, 1937.

La condamnation de la théorie sophianique ne lut pas bien accueillie à Paris. N. Berdjaêv y trouva l’ombre et l’esprit du grand inquisiteur ; S. Bulgakov ne manqua pas de repousser les considérants de la sentence, qui était, selon lui. le fruit d’un examen superficiel et incomplet ; au lieu de cesser d’écrire, il ajouta à ses précédents ouvrages sur la Sophie le livre sur le Paraclet, Paris, 1936, et publia en anglais un résumé de sa théorie, sous le litre The Wisdom <> God. A brief summanj of sophiology, New-York, Londres, 1937.

L’absence d’autorité doctrinale dans l’Église russe, plus que jamais sensible en ce temps d-crise, a été favorable à la résistance de Bulgakov : néanmoins. le sophianisme ne semble pas destiné à recueillir l’approbation de la théologie orthodoxe. On en eut la preuve dans le froid accueil fait aux professeurs de l’académie de Paris au I er congrès international de théologie orthodoxe, célébré à Athènes du 29 novembre au 3 décembre 1936. Dans ce congrès, la délégation russe put constater jusqu’à quel point leur position khomjako vienne et sophianique étail en opposition avec la pensée théologique dominante dans les autres Églises orthodoxes. C. Dumont, En marge du premier congrès de théologie orthodoxe, dans Russie et chrétienté, nouv. série, t. i, 1937, p. 54-77, voir surtout p. 61.

F. Sur le développement historique de l’enseignement ecclésiastique on a quelques brèves Indications dans A. Palmieri, La Chiesa russa, Florence, 1908, c. vin : Le scuole del cleroe le scienze sucre in Russia, p. 541 sq. Sur les premières écoles des archiconfréries, ont écrit : S, Golubev, 1. es premiers temps de l’archiconfrérie de Kiev, et ses écoles, dans Trudg, 1882, t. i, p. 233-25 I : X. Kharlatnovic, Les écoles pravoslaves dans la Russie occidentale au x VII’s. et au commencement du XVIII* s., Kazan, 1898, j>- 185-476 ; el AI. Linceskij, Ln pédagogie des anciennes écoles’les archiconfréries, dans Trudg, 1870, t. in. Pour le développement ultérieur, nous recommandons P. Znamenskij, Les écoles ecclésiastiques en Russie jusqu’à la réforme de l’année tox, Kazan, 1 SSII ; et pour la période plus récente, li.-Y. Til lino.

L’école ecclésiastique en Russie pendant le XIX’s., 2 vol., Vilno, 1908, 1909.

II. Académies ecclésiastiques. 1° Celle dont l’histoire esi le mieux étudiée est l’académie de Kiev. Le premier ouvrage es1 dC au métropolite Macaire (Bulgakov), Histoire de l’académie de Kiev, Kiev. 1843. Parmi ses continuateurs, il faut consulter V, AskoncenskiJ, Histoire de l’académie ecclésiastique de Kiev, Saint-Pétersbourg, 1863, qui concerne les années 1819-1851 ; V. Serebrennlkov, L’académie de Kiev depuis le milieu du XVIII* s. jusqu’à laréformede 1819, Kiev,

1897 ; A. Jablonowski, qui publia en polonais son livre L’académie kievo-moghilienne, Cracovie, 1889-1900, et deux ans après revint sur l’argument dans un article de la revue Kwartalnik Historgezng, I. x vi, 1 902, lequel souleva une vive critique de la part de Th. Titov, Au sujet des rapports entre l’académie de Kiev et l’orthodoxie, dans Trudg, 1903, t. m ; 1904, t. i ; I). ViSnevskij, L’académie de Kiev dans la première moitié du XVIII* s., Kiev, 1903.

Mais les auteurs les plus célèbres sont S. -T. Golubev, N. Petrov, et Th. Titov. Golubev consacra à l’académie kiévienne un premier ouvras » ’en 1886, Histoire de l’académie ecclésiastique de Kiev. I. Période pré-moghilienne, Kiev, 1886. I ami ses autres ; cnt>. veir Le eull ;./- kilvo-mojhilien pendant la vie de sun fondateur, dans Trudg, 1890, t. iii, p. 537 sq. ; L’académie île Kiev éi lu fin du XVII’s. et au commencement du XVIII’- s., dans Trudg, 1901, t. m ; 1902, t.I.ll ; et le livre : Quelques pages il’une histoire toute récente (novissima) île I acailiini : ecclîsiaslijue de Kiiv, Kiev 1307, qui est un ; polémique contre Th. Titov. X. Petrov dédia à l’académie de Kiev de très nombreux articles publiés dans les Trudg : Relations de l’académie de Kiev avec la diffusion des écoles ecclésiastiques en Russie, 1001, t. i et il ; L’académie de Kiev dans la première moitié du XIIIe s., 1905, t. ii, ni ; L’académie de Kiev sous le règne de l’impératrice Catherine II < 17621776), 1906, t. ii, m ; Contribution à l’histoire de l’académie ecclésiastique de Kiev au XVII’-XVIII* s., 1909, t. III. Le principal travail de Petrov es) la collection : Actes et documents concernant l’histoire de l’académie de Kiev, Kiev, 1904-1915, Il vol. ; Petrov dirigea lui-même la publication des quatre premiers volumes, qui comprennent la période de 1721 à 1769. Les sep) derniers tomes sont l’œuvre de Théodore Titov, auquel on doit en outre toute une série d’articles : L’académie ecclésiastique de Kiev à l’époque de lu n/urme, dans Trudg, 1010-1 01 I ; et le livre Contribution à l’histoire de l’académie ecclésiastique de Kiev aux XVIIe -XVIII

  • s., Kiev, 1913. Ses derniers écrits furent les deux

beaux volumes : L’imprimerie de la laure kiévienne Peccrskaja, Kiev, 1916, 1918.

2° Moins riche et plus ancienne, est la littérature sur les autres académies. Celle de Moscou eut comme principal historien S. Smirnov, Histoire de l’académie slavo-grécolatine de Moscou, Moscou, 1.S.V>. Pour l’académie de Saint-Pétersbourg, le principal auteur est I. Cistovic, Histoire de l’académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg, Saint-Pétersbourg, 1857, œuvre que le même auteur compléta par le volume : L’académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg pendant les trente dernières années ( 18ÔS-1888), Saint-Pétersbourg, 1889.

Sur l’académie de Kazan, voir A. Iilagovescenskij dans ses deux ouvrages : Histoire de l’ancienne académie de Kazan, 1797-1818, Kazan, 1875, el Histoire du séminaire ecclésiastique de Kazan… pendant /es x l’I II’et XIXe siècles, Kazan, 1881 ; 1’. Znamenskij, Histoire de l’académie ecclésiastique de Kuzun (1842-1891), Kazan, 1891 ; S. Ternovskij, Mémoires historiques sur l’élut de l’académie ecclésiastique de Kuzun après sa redonne, l, u-l'> :, Kazan, 1802.

III. Organisation des études ecclésiastiques. —

Sur l’organisation instaurée par le règlement de Pierre le Grand, l’ouvrage principal est celui de P. Verkhovskij, L’institution du collège ecclésiastique et le règlement ecclésiastique, Rostov-sur-le-Don, 1916, 2 vol., où l’on trouvera une étude très approfondie et une bibliographie très riche. Pour 1 es di lièrent es réformes, on peut consulter S. RozdestvenskiJ, Matériaux pour l’histoire des réformes dans l’enseignement en Russie pendant les A VIII* et X /Ae siècles, Saint-Pétersboiit g. 1910. Sur noire sujet, voir plus spécialement Th. Titov, Lu réforme des académies ecclésiastiques en Russie au XIX’s., dans Trudg, 1000, I. i, n ; el surtout l’ouvrage déjà cite de I !. Tillinov, l.’école ecclésiastique en Russie au XIX’S., 2 vol., Vilno, 1908, 1909. Comme derniers travaux, pour la réforme de 1908, X. Glubokovskij, Commencement de l’organisation des écoles ccclésiusligues, dans Rog. Vêst., 1917, t. II, p. 75 sq. ; pour celle de 1814, M. Uogoslovskij, Réforme des écoles supérieures ecclésiastiques sous le règne d’Alexandre l" et fondation de l’académie ecclésiastique de Moscou, dans Bog, Vêst., 1017, I. n. p. 356 sq.

IV. La théologie m ssi ioni RNE. Pour avoir des renseignements sur la théologie nisse, il faut encore consulter l’ouvrage fondamental de Philarète (Gumilevskij), Ri sunié de lu littérature religieuse russe, 1862-1863, 3e éd., Saint-Pétersbourg, 1881, avec des données bio-bibliographiques sur divers auteurs ; ci les articles épais dans le Dictionnaire biographique russe, Saint-Pétersbourg. 1896-1913, et dans l’Encyclopédie théologique pravoslave, dont seize volumes ont paru a Saint-Pétersbourg, 1900-1909, sous la direction des professeurs A. Lopukhin (t. i-v) et N. Glubokovskij ( L vl-x). À ces sources ont puisé principalement leurs notices sur la théologie russe : A. Palmier i, Theologia dogmatica orthodoxe !, t. i, Florence, 1911, p. 151-183, et M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium ab Ecclesia eatholica dissidentium, t. i, Paris, 1926, p. 546-031. Postérieurement, N. Glubokovskij a publié son livre : La science théologique russe dans son développement historique et dans son état actuel, Varsovie, 1928, dont il avait déjà donné un abrégé dans les Acta academiæ Velehratlensis, t. XI, Prague, 1921, traduit en franvais par Ph. de Régis, Un aperçu de la littérature théologique russe, cf. Recherches de science religieuse, t. xvii, 1927, p. 257-287. Le livre de Glubokovskij a surtout un caractère historique et bibliographique. Le tableau de la théologie russe est présenté dans un horizon beaucoup plus vaste et avec d’abondantes notes bibliographiques par le P. G. Florovskij, Les chemins de la théologie russe, Pai is, 1937.

V. L’école prokopovienne. — Xous omettons les références sur Moghila et son école, déjà indiquées dans l’article Moghila et dans la première partie du présent article.

Quant à Prokopovic, le livre fondamental pour connaître son activité est : I. Cistovic, Théophane Prokopovic et son époque, Saint-Pétersbourg, 1868, livre complété par les données plus récentes recueillies par P. Verkhovskij, L’institution du collège ecclésiastique et le règlement ecclésiastique, Rostov-sur-Don, 1916. Pour la théologie de Prokopovic, on peut en outre utiliser les travaux édités dans la revue Khristjanskoe Ctenie par P. Cervjakovskij, Introduction à la théologie de Théophane Prokopovic, 1876, t. I ; La sainte Écriture comme source île la théologie, d’après l’enseignement tics protestants orthodoxes du XVIIe s. et d’après » L’introduction éi la théologie » de Théophane Prokopovic, 1876, t. Il ; Doctrine de Th. Prok. sur les sources de la théologie, 1877, t. i ; Doctrine </< Th. Prok. sur la sainte Écriture, 1877, t. il ; Sources de L’introduction à la théologie de Th. Prok., 1878, t. i ; Sur la méthode de - L’introduction à la théologie > de Th. Prok., 1878, t. i. Voir aussi Th. Tikhomirov, L’idée de V absolutisme divin et la scolastique protestante dans la théologie de Th. Prok., dans Khr. (lien., 1881, t. n ; M. Savkevic, Doctrine d’Etienne Javorskij et de’Théophane Prokopovic : sur la sainte Tradition, dans Vêra i razum, 1893, t. r ; A. Arkhangelskij, Instruction religieuse et littérature religieuse en Russie sous Pierre le Grand, Kazan, 1883 ; H. Koch, Die russische Orthodoxie im petrinischen Zeitalter, Brestau, 1929.

Sur d’autres écrivains prokopoviens, cf. M. Pavlovic, I sanu irltico-ciblizgraphique des lirrours et îles sermons de Georges Konisskij, dans Khr. Cten., 1872, t. il ; le même, Georges Konisskij, archevêque de Moghilev, dans ibid., 1873, t. i ; B. Titlinov, Gabriel Petrov, .Saint-Pétersbourg, 1916 ; A. Nadezim, Le métropolite de Moscou Platon Levain, dans Pnw. Sob., 1882, t. i et L883, t. n ; Y. Magnickij, Platon II (Levsin), métropolite de Moscou, dans Prav. Sob., 1912, t. n ; X. Petrov, Mémoires autobiographiques de S. E. Irénée ovskij, dans Trudg. 1907, t. il.

VI. Le retoi’r a la tradition. — Sur la biographie de Philarète Drozdov, cf. A. Smirnov, Les années d’étude et d’enseignement de V. M. Drozdov, plus tarit Philarète, métropolite de Moscou, dans’éru i razum, 1892, t. u ; I. Kur-Sunsky, .S’a Sainteté Philarète de Moscou, sa [vie et son activité sur la chaire de Moscou 11821-1867), Kharkov, 1894 ; N. Romanskij, Pour mieux connaître le caractère de Philarète, mélro]>olite de Moscou, dans Bog. Vèsl., 1901, t. Il ; P.. Titlinov, .1 propos des rapports du métropolite Philarète avec le Raskol, dans X’éra i razum, 1902, t. I ; K. Kharalampovic, Pour la biographie de Philarète, métropolite de Moscou, dans Bog. Vèst., 1911, t. n ; et enfin M. Jugie, Philarète Drozdov, métropolite de Moscou ( 1782-1857). Sa vie, ses écrits, sa doctrine, dans Échos d’Orient, t. xxxii (.1933), p. 117-475, et ici même, t.xii, col. 1376-1395.

Dans l’article de M. Jugie on trouvera aussi l’examen de la doctrine théologique de Philarète, sur laquelle on peut Consulter également X. Barsov, Critique du recueil des >e ; n>res de Philarile, métropolite de Moscou, dans Khr. Cten., 1887, t. I ; I. Kosunskij, Définition de l’idée de l’Église dans les écrits de Philarète, métropolite de Moscou, dans ibid., 1895, t. Il ; Th. Titov, Prælectiones d’après le grand catéchisme chrétien de l’Église orthodoxe, Moscou, 1904.

Sur Macaire, voir Th. Titnv, Macaire Bulgakov, métropolite de Moscou et de Kolomensk, 3 vol., Kiev, 1895, 1898 ; le même. Le métropolite de Moscou, Macaire Bulgakov. dans

Trudg, 1902, t. m ; 1907, t. n ; le même. Correspondance du métropolite de Moscou, Macaire Bulgakov, dans Trudg, 1907, t. i-iii ; le même. Deux réponses de Macaire Bulgakov, à l’occasion de la loi des académies ecclésiastique :  ; de 1869, dans Trudg, 1906, t. I-II ; A. Vertelovskij, Résumé de la vie et de l’activité de Macaire, métropolite de Moscou, dans Vêra i razum, 1917, t. i.

Sur Philarète (Gumllevskij), voir S. Smirnov, Philarète archevêque de Cernigov, Tambov, 1880. Pour les auteurs des manuels, nous renvoyons aux ouvrages cités ci-dessus, col. 356.

VII. Le si.avopuilisme. — Pour ce qui concerne les débuts du slavophilisme, consulter A. Lusnikov, Fondements historico-littéraircs du vieux slavophilisme, dans Prav. Sob., 1913, t. Il ; le même, I. V. Kireèvskij. Résume de sa vie et de sa doctrine, dans Prav. Sob., 1914, t. i ; 1915, t. m ; Th. Andreèv, L’académie ecclésiastique île Moscou et le slavophilisme, dans Bog. Vêst., 1915, t. m ; A. Koyré, La philosophie et le problème national en Russie au début du X/X’s., Paris, 1929 ; Gh. Qllénet, Tchaadæv et les lettres philosophiques. Contribution a l’étude du mouvement des idées en Russie, Paris, 1931.

La vie de Khomjakov a été écrite par V. Z. Zavitncvië, Alexis Stepanovic Khomjakov, 2 vol., Kiev, 1912 ; G. Kolemine, Luz de Oriente : Khomiakoff, Madrid, 1912 ; X. Berdjaêv. A. S. Khomjakov, Moscou, 1912. Dans ce ? auteurs, on trouvera aussi un exposé du système de Khomjakov étudié, entre autres, par X. Barsov, .1 propos des rapports de Khomjakov avec l’histoire et de la théologie patristique, dans Khr. Cten., 1878. t. i ; Th. Smirnov, La question du protestantisme jugée par Khomjakov, dans Prav. Obozr., mars 1884 ; M. Krasnjuk, Doctrine philosophique et religieuse des anciens slavophiles, dans Virairazum, 1900, t.n ; V. ZavitneviC, Au sujet du système philosophique et théologique de A. S. Khomjakov, dans’Trudg, 1906, t. i ; le même, Gnosiologie de A. S. Khomjakov, dans Trudg. 1913, t. i ; A. Pawlowski, L’idée de l’Église d’après les théologiens et les historiographes russes (en polonais), Varsovie, 1935, p. ll-lll ; P. Linickij, Slavophilisme et libéralisme, dans i’rutlg. 1882, t. I, II.

Au sujet de VI. Solovêv, on peut consulter, pour sa biographie, la notice nécrologique de P. Tikhomirov, Vladimir Sergêvii Solovêv (f : 1 juillet 1900), dans Bog. Vêst., 1900,

t. u ; V. Vclisko, Vladimir Solovêr. Sa vie et ses ouvres, S a.nl-1 : ’- tersbourg, lm. : M. d Herblgny, l n : wman russe, Vladimir Soloviev, Paris, ion ; S. Lukjanov, VI.-S. Solovêv

dans ses années de jeunesse. Matériaux pour une biographie, dans Zurn. Min. Xar. Pr.. niiiiv. série, 1. i.xxi-i.xxii, 19151917 ; L. Serra/, Vladimir Solovêv, dans Échos d’Orient. t. win-w, 1916-1921 ; le hiérnmoine Lev, Vladimir Soloviol : le chrétien, l’homme, le philosophe, le Russe, dans Irénikon, t. i, 1926. Pour la philosophie de Solovêv, M. Tareèv, Lr système religieux dans la philosophie de’.-s. Solovêv, dans Khr. Cten., 1908, t. i ; prince Eugène Trubetskoi, La conception philosophique du monde chez I.-S. Solovêv, Moscou, 1912-1913, 2 vol. ; W. Se’lkarski, Solowiews Philosophie der All-Einheii, Kaunas, 1932. Sur son ecclésiologie, S-v,

Examen critique de l’ouvrage de VI. Soh>t>èv La Russie et l’Église universelle, dans’éra i razum, 1891, t. i ; I. Speranskij, ’l.-s. Solovêv, apôtre de l’idée chrétienne et altitude de la presse séculière et ecclésiastique envers lui. dans Vêra i razum, 1900, t. II ; I. A., V.-S. Solovêv, défenseur tir la

papauté, dans son livre La Russie et l’Église universelle, dans ihitl., looi, 1. 1, n ; S. Solovêv, L’idée de l’Église dans

les poésies de W Solovêv, dans Bog.’èst., 1915, t. I ; X. 1. N., Opinion de l’.-.S". Solovêv sur le catholicisme, dans’éra i razum, PMI, t. u ; L. Kobilinskij-EUis, Monarchia s. Pitri. Die kireliliehe Monarchie tles hl. l’tlrus, als jreie und universelle Theokratie, im I.ichte der Weisheit ans tien Hauptwerken von Wladimir Solowjew, Mayence, 1929 ; Y. Porizka, Solovêv et l’Église (en tchèque), Olomouc, 1935 ; A. l’awlowski, La sophiologie de Solovêv (en polonais), dans Miscellanea theologica, t. xviii, 1937.

VIII. Les écrivains de la ris. du xixe siècle. — Pour cet le partie, voir le tableau systématique de X. Glubokovskij Science thlslogique russs arsou 1928 Cst ::u vain s’arrête surtout aux auteurs les plus importants, mais à la fin, p. 70-95, il donne des indications nombreuses et ordonnées, aptes à enrichir les notices rassemblées par Palmieri et Jugie dans leurs ouvrages de théologie orientale.

Sur l’activité développée dans les tentatives d’union avec les vieux-catholiques, cf. Y. Kerenskij, Le vieux-catholicisme, Kazan, 1894 ; le même, La question des vieux-catholiques aux temps actuels, dans Prav. Sob., 1897, t. i ; A., Il vecchio cattoliccsimoe l’orlodossia russa, dans Bessarione, t. v, 1899 ; I’. Svêtlov, La question des vieux-catholiques dans sa nouvelle phase, dans Vira i raxum, 1904 ; I. Sokolov, Matériaux pour l’histoire de la question tirs vieux-catholiques

en Russie, dans Khr. C’.ten., ’., t. i. Dans l’impossibilité

d’indiquer on détail tons les travaux édités à l’occasion de

cette controverse, nous nous contentons de citer : I. Janisev,

La conférence de Bonn, dans Khr. Cten, 1874, t. m ; A.Katanskij, Sur la procession du Saint-Esprit (à propos de la question îles vieux-catholiques), dans Khr. Cten., 1893, t. i ; I. Sokolov, Correspondance de I. Janisev avec le général Kireiv, dans Khr. Cten., 1916, t. i ; A. Palmiori, Le teorie del générale Alessandro Kireev sulV unione ilclle Chiese, dans Bessarione, sér. III, t. ix, 1912 ; A. Brilljantov, Le professeur V.-V. Rolotov : sur la question du i Filioque », Saint-Pétersbourg, 1914. Le professeur do Kazan, Alexandre t.nsev, occupe la première place parmi les opposants ; il ne cessa de combattre le mouvement en question Jusqu’à sa

mort ( 199 t). Voir son article : Notre dernier moi sur les vieuxcatholiques et leurs apologistes russes, dans Prav. Sob., 1994, t. i.

IX. Les théologiens contemporains.

Pour la période contemporaine : lehiéromoine I.ev, Les orientations de la pensée religieuse russe contemporaine, dans Irénikon-Colleclanea, n. 1, 1920 ; K. Pfleger, La gnose orthodoxe de Rerdjæv, dans Irénikon, t. ix, 1932 ;.1. Danzas, Les réminiscences gnosliques dans la philosophie religieuse russe, dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. XXV, 1936 ;.1. Danzas, Les sources de la pensée théoloç/ique en Russie, dans Russie et chrétienté, 1937 ;.1. Danzas, La voie de la philosophie religieuse russe, dans Russie et chrétienté, 1933 ; (1. l’iorovskij, Chemins de la théologie russe, Paris. 1937, p. 452 sq.

Pour la controverse sur le sophianisme, on trouve les documents relatifs à la condamnation et à la première réponse de Bulgakov dans le fascicule Oriens und Occident. nouvelle série, fasc. 1, mars 1936. Sur la mémo controverse, C. Lialine, Le iléhat sophiologique, dans Irénikon, t. xiii, 1936, et 13. Schultze, Zur Sophiajrage, dans Oricnltdiu christiana periodica, t. iii, 1937.

M. GoRDILLO.


RUSTICUS, diacre romain du vr 8 siècle et défenseur acharné des Trois-Chapitres. — Neveu du pape Vigile, il accompagna son oncle à Constant inople lorsque celui-ci dut s’y rendre sui l’ordre de Justinicn ; et tout d’abord, il approuva complètement le Judicatum du Il avril 518, qui condamnait les Trois-Chapitres, non sans réserver les droits du concile de Chalcédoine. Sans même se préoccuper de l’assentiment de Vigile, il travailla à répandre ce document et en fit circuler des copies qui parvinrent en Occident et y provoquèrent des troubles. Bientôt cependant i ! passa parmi les adversaires du Judicalum ; et avec tout autant d’ardeur il s’efforça de représenter le pape comme un adversaire du concile de Chalcédoine, si bien que Vigile se vit contraint de l’excommunier et de le déposer du diaconat. On peut voir sur ces derniers événements les lettres de Vigile à l’évêque Valentinien de Tomi, du 18 mars 550, P. L., t. i.xix, col. 51-53, et à Rusticus lui-même, du 15 août 550, ibid., col. 41-51.

Lorsque le concile de 553 eut anathématisé les Trois-Chapitres, Rusticus publia, en collaboration avec l’abbé africain Félix, un ouvrage polémique contre les décisions conciliaires. Justinicn prit occasion de cel écrit pour exiler les deux auteurs avec quelques-uns de leurs amis dans les solitudes de la Thebaïdc. Victor de Tunnuna, Chronic., ad ami. 553. cite le livre en question, et ce n’est que par lui que nous eu connaissons l’existence, P. L., t. lxviii, col. 960.

Au cours de son exil ou après son retour, RustiCUS écrivit sous le titre de Contra acephalos disputatio un important ouvrage contre les monophysites, c’est-à dire contre les adversaires du concile de Chalcédoine et des Trois-Chapitres. Nous possédons encore cet écrit, sous une forme malheureusement forl Imparfaite. Une édition en fut donnée dès 1528 par.(. Sicbard. a Bâle ; elle a élé reproduite datis P. /…t. i.xvii. col 1 Kw 125 I. L’ouvrage se donne comme uni’discussion entre Hostie us et un monophysite ; il traduit fort exactement l’état d’esprit des partisans des Trois-Chapitres et constitue en même temps qu’un témoignage historique, un document de psychologie religieuse.

Après la mort de Justinicn, 14 novembre 565, Rusticus put rentrer à Constantinople. Il s’y installa au monastère des acémètes qui restaient, eux aussi, des défenseurs intraitables du concile de Chalcédoine. Les moines avaient une riche bibliothèque, dans laquelle on conservait les documents les plus précieux sur les controverses qui s’étaient déroulées en Orient depuis un siècle et demi. Rusticus fit son profit de toutes ces richesses. Il reprit la vieille traduction latine des Actes des conciles d’Ephèse et de Chalcédoine et la soumit à une revision attentive d’après les manuscrits grecs qu’il trouva chez les acémètes : il ajouta surtout à cette traduction un grand nombre de documents nouveaux, qu’il traduisit lui-même en latin. De ces documents, l’un des plus importants est l’ouvrage d’un ami de Nestorius, le comte Irénéc. que celui-ci avait rédige, sous le nom de Tragédie, pour prendre la défense de son ami et celle de ses partisans, pour justifier sa propre conduite et pour attaquer ceux qui, comme Jean d’Antioehe et Théodoret. avaient fini par abandonner Nestorius. Voir art. Irénée de Tyr, t. vii, col..533 ; art. Nestorius, t. xi, col. 81-82. Rusticus put ainsi publier un ensemble assez neuf, qu’il appela Synadicon. Dans sa pensée le Synodicon était autre chose qu’une simple collection conciliaire ; il devait servir surtout à défendre la cause des Trois-Chapities, et spécialement celle de Théodoret. Tandis qu’Irénée blâmait la versatilité de l’évêque de Cyr, Rusticus s’attachait à faire valoir sa parfaite orthodoxie et les documents lui rendaient facile cette démonstration. Le Synodicon nous a été conservé dans un manuscrit du Mont-Cassin. Publié une première fois, mais de façon partielle et fort défectueuse par Chr. Lupus en 1681, et reproduit tel quel par Baluze en 1683, puis par Mansi et par Migne, il a été édité enfin de manière définitive par E. Schwartz. dans les Acta conciliorum œcumenicorum, t. i, vol. iv, Berlin, 1922-1923 et vol. iii, Rerlin, 1929.

G. Bardy.


RUTEAU Antoine, Puleus, naquit à Mons dans la seconde moitié du xvie siècle. Entré dans l’ordre des minimes, il professa la théologie à Anvers, fut définiteur à l’université de Louvain et provincial des Pays-Bas. Il mourut au couvent d’Anderlecht, le 9 juillet 1657. Son œuvre littéraire, assez considérable, comprend un certain nombre de publications historiques locales, en particulier les Annales du Haynau, continuation d’un travail de F. Vinchant, Mons, 1648, et l’explical ion de certains points de la règle des minimes (abstinence perpétuelle) ou de divers usages monastiques (lettres de fraternité). Le théologien retiendra : De. fructu et applicatione sacrificii missæ et suffragio rnni libri III, Anvers. 1634, in- !, mais surtout un commentaire de saint Thomas : Commentariorum eldisputationum in 7 am partent I). Thomæ, t. i, De. Deo uno, in ijtiibtis imprimis inquiritur et discutitur doctrina et mens primarii Ecclesiæ doctoris, D. Augustini, Mons. 1653, in-fol. L’ouvrage n’a pas été continué.

I fin ter, Nomenclator, 3° éd., I. iii, col. 958 ; L. Devillers, dans Biographie nationale de Belgique, t. xx, 1910, col. 162.

É. A MANN.


RUTH (LIVRE DE).


I. Place dans le canon
II. Contenu.
III. But.
IV. Date et auteur.
V. Historicité.
VI. Enseignements religieux.
VII. Texte.

I. Place dans le canon. L’histoire de Ruth la Yloabite n’occupe pas la même place dans le texte hébreu et dans les versions. Dans les bibles hébraïques elle se trouve dans la troisième partie, les Kctoubim ou I lagiographes, tandis que le livre des Juges est dans la deuxième, les Xebiim ou Prophètes. Elle fail partie du