Dictionnaire de théologie catholique/RÉSURRECTION DES MORTS IV. Les spéculations des théologiens 1. Maintien de la doctrine traditionnelle chez les théologiens de la préscolastique

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 567-569).

IV. Les spéculations des théologiens.
Après un court aperçu du maintien de la doctrine traditionnelle cheI. les théologiens de la préscolastique, nous ferons le bilan des spéculations théologiques relatives au problème principal de l’identité des corps ressuscites et à certaines questions subsidiaires.

I. MAINTIEN DE LA DOCTRINE TRADITIONNELLE CHEZ LES THÉOLOGIENS DE LA PRÉSCOLASTIQUE.

Suite de l’enseignement traditionnel.


Malgré la croyance explicite, nettement affirmée depuis près de

dix siècles, le dogme de la résurrection de la chair trouvait encore, au ixe siècle et dans les siècles suivants, des contradicteurs. Jonas d’Orléans intercale tout un chapitre, le c. xvi, dans son De insliiutione laicali, pour répondre à ces détracteurs, P. L., t. cvi, col. 265. Mabillon signale qu’au xe siècle, un certain Walfrid aurait attaqué ce dogme. Prsefaliones et dissertaliones, Trente, 1724, Præf. in ssec. v ord. S. Benedicti, § 3, p. 407408. Au xi° siècle, l’usage de la dialectique dans les écoles devait fatalement occasionner, contre la possibilité de la résurrection, de vives attaques d' ordre philosophique. Manegold de Lautenbach nous en avertit expressément dans son Libellas adversus V olfelmum, c. xxii, P. L., t. et v, col. 170. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle un certain nombre de conciles de cette époque prescrivent aux évêques et aux clercs d’inculquer ce dogme aux fidèles. Cf. concile de Mayence de 847, c. ii, dans Mon. Germ. hisl., Capitularia, t. ii, p. 176. Voir d’autres textes dans Mon. Germ. hisl., Concil., t. ii a, p. 200.

Les théologiens, de leur côté, s’en tiennent à l’affirmation traditionnelle : nous devons tous ressusciter, à la fin du monde, avec les mêmes corps que nous aurons eus en cette vie. Voir : Alcuin, De fide sanctæ et individus Trinitatis, t. III, c. xx, P. L., t. ci, col. 52 ; Raban Maur, In Ezech., I. XIII, c. xxxvii, P. L., t. ex, col. 862 ; In Eccl., t. X, c. ii, t. cix, col. 1083-1084 ; et les commentaires in I Cor., c. xv, t. cxii.col. 137 sq. ; voir aussi De fide catholica rylhmo carmen composilum, strophes 79 et 80, dans Mon. Germ. hisl., Poet. lat. Medii JEvi, t. ii, p. 202 ; Paschase Radbert, Expos, in Matth., t. XI, c. xxiv, P. L., t. cxx. col. 816, et De corpore et sanguine Domini, c. xi, ibid., col. 1310 ; Walafrid Strabon, dans la Glossa ordinaria, In Tob., c. IV, ꝟ. 3 ; In Apoc., c. xx, ꝟ. 13, P. L., t. cxiii, col. 727 ; t. exiv, col. 745 ; Rémi d' Auxerre, Expos, in Apoc., c. xx, ꝟ. 13 (dans les œuvres d’Haymon d’Halberstadt), P. L., t. cxvii, col. 1192 ; Expos, in I Cor., c. xv ; Ad Phil., c. iii, ꝟ. 21, ibid., col. 600 sq., 749 ; Atton de Verceil, Expos, in I Cor., c. xv, P. L., t. cxxxiv, col. 404 sq. ; S. Rruno, Expos, in I Cor., c. xv ; in I Thess., c. iv, P. L., t. cliii, col. 204 sq., 408.

Le xiie siècle pourrait fournir maints témoignages en faveur d’une croyance si fermement tenue. Abélard n’a aucune hésitation sur ce point et se réfère à la doctrine et aux comparaisons de saint Grégoire le Grand. Inlrod. ad theologiatn, t. II, § 3 ; cf. Ad virg. Paracl., serm. xmetserm.xvi.P.L., t.cLxxviii, col. 1050, 488, 499. Bien qu’ils n’aient rien écrit ex professo sur le sujet, saint Anselme et saint Bernard peuvent être invoqués comme des témoins de la foi de l'Église, le premier dans YHomil. vi de transfiguralione, P. L., t. clviii, col. 607, le second dans le sermon In die sancto Paschæ P. L., t. clxxxiii, col. 278. Le disciple de saint Anselme, Eadmer, affirme la résurrection à propos de

I Cor., xv, 52 dans le Liber de bealitudine cieleslis patriæ, c. ii, P. L., t. clix, col. 589. L'émule de saint Bernard, Pierre le Vénérable, invoque le dogme de la résurrection pour justifier le culte des reliques. Serm., iv, P. L., t. clxxxix, col. 998 sq.

Il est étonnant qu’Hugues de Saint-Victor, à qui nous devons le premier traité d’eschatologie, voir ici t. vii, col. 283, n’ait dit que quelques mots personnels sur la résurrection, De sacramentis, t. II, part. XVII, c. xiii, où il se réfère surtout à Augustin et à Grégoire le Grand, P. L., t. clxxvi, col. 601 sq. Cf. S. Augustin, Enchiridion, c. lxxxiv, P. L., t. xl, col. 272 ; S. Grégoire, Moralium, t. XIV, c. lv-lvi, P. L., t. lxxv, col. 1076-1077. Honorius Augustodunensis, vulgairement appelé Honoré d’Autun, semble plus personnel.

II esquisse une explication de la transformation glorieuse des corps par une sorte de spiritualisation. Voir ici t. vii, col. 156. Mais ce qui est étrange, c’est qu’il

DICT. DE THÉOL. CA.THOL.

étend cette spiritualisation aux corps des damnés : Post ullimam resurrectionem, omnium hominum sive bonorum sive malorum corpora erunt spiritualia et nihil poslea corporale erit, cum Deus omnia in omnibus erit ut lux in aère, ut jerrum in igné. Est-ce donc une sorte de résolution cosmique dans le sein du grand tout ? Interprétation possible, probable même, mais en partie cependant infirmée par l’expression manente propria subslanlia qui précède. Cf. Endres, Honorius Augustodunensis, Kempten et.Munich, 1906, p. 152. On se rappelle que saint Jérôme lui-même avait admis que les corps glorifiés seraient spiritualisés et ressembleraient aux anges sans perdre leur substance. In Isaïam, t. XVI, c. lviii, P. L., t. xxiv, col. 575. Voir ci-dessus, col. 2540.

Nous pourrions ainsi parcourir la liste innombrable des théologiens depuis le xine siècle jusqu'à nos jours et nous trouverions toujours le dogme affirmé par eux, dans les trois points où la foi est engagée : le fait d’une résurrection des morts — universelle — les morts reprenant les mêmes corps qu’ils auront eus en cette vie.

Présentation des arguments.

Au point de vue

dogmatique, le travail des théologiens a consisté à faire la synthèse des arguments proposés par les Pères en faveur de ce dogme. De toute évidence, l’argument contraignant ne peut être, en pareille matière, que l’argument d’autorité. Autorité de la sainte Écriture, tout d’abord ; autorité de la tradition des Pères, ensuite. C’est le double argument que l’on a développé ici même dans les parties II et III de cet article. On devra simplement observer que, sous la plume des théologiens, certains arguments scripturaires prennent, par la force même de la tradition qui les emploie, un sens dogmatique qu’ils n’ont peut-être pas littéralement. On doit faire cette observation principalement pour Job, xix, 25-27, et, à un degré moindre, pour Is., xxvi, 19, Ez., xxxvii, 1 sq., et Dan., xii, 1 sq. Sur cette interprétation dogmatique de Job, voir Knabenbauer, Commentarius in librum Job, Paris, 1886, p. 247 sq. ; Hurter, Theologiæ dogmaticce compendium, t. iii, Inspruck, 1903, p. 665-666.

Mais, en raison de l’introduction de la philosophie aristotélicienne dans l’exposé des dogmes, les théologiens ont développé considérablement l’argument de convenance, que les Pères n’avaient fait qu'ébaucher. Saint Thomas a présenté cet argument sous un triple aspect, aspect métaphysique, aspect moral, aspect surnaturel.

1. Aspect métaphysique.

L'âme est destinée à vivre unie au corps. Cette union est donc conforme à la nature humaine ; c’est donc un désir naturel de l'âme de retrouver son corps, une fois la séparation de la mort accomplie. Reprenant son corps, l'âme verra ce désir satisfait et, de plus, reconstituera la nature humaine dans son être complet. En bref, ce n’est qu’accidentellement et pour ainsi dire contrairement aux exigences de la nature, que l'âme peut vivre séparée du corps. Il est donc de toute convenance, au simple point de vue philosophique, que l'âme ne demeure pas perpétuellement séparée du corps ; son immortalité réclame en quelque sorte la résurrection corporelle. Cf. S. Thomas, Compendium theologiæ, c. cli ; Cont. genl., t. IV, c. lxxxix ; In 7Vum Sent., dist. XLIII, q. i, a. 1, qu. 1-3 (Suppl., q. lxxv, a. 1).

2. Aspect moral.

Cet argument développe sur le plan moral la raison tirée du désir que l'âme possède de retrouver son corps : la possession du corps ressuscité complétera et parfera le bonheur de l'âme. Suppl., q. lxxv, a. 1. Et c’est toute justice. Saint Thomas reprend ici l’argument maintes fois invoqué parles Pères : « L'âme, dit-il, est au corps non seulement ce que l’agent est à l’instrument, mais encore ce que la forme

T. — XIII.

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    1. INSURRECTION##


INSURRECTION. SPECULATIONS THEOLOGIQUES

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est à la matière. D’où il suit que l’action appartient… aux deux parties de l’homme et non pas seulement à son âme ; et, comme la récompense de l’action est due à l’agent, il s’ensuit que c’est l’homme tout entier, composé d’un corps et d’une âme, qui doit recevoir la récompense de ses actions. » Id., ad 3um.

3. Aspect surnaturel.

C’est l’aspect développé par saint Paul montrant que la victoire du Christ sur la mort ne saurait être complète si la mort n’est pas vaincue, chez les hommes rachetés, par leur résurrection glorieuse. « La mort corporelle, dit saint Thomas, a été introduite dans le monde par le premier péché ; mais elle n’existe pas éternellement, parce que la mort du Christ a détruit le péché dont elle est la peine. Id., ad 5 ura. Pour les diverses formes que prend cet argument dans la tradition catholique, voir E. Mersch, S. J., Le corps mystique du Christ, 2e éd., Paris, 1936, Table alphabétique des matières, au mot Résurrection et C. M., t. ii, p. 482. L’eucharistie, gage de la résurrection future, n’est qu’une forme particulière de cet argument. Voir Hurter, op. cit., t. iii, n. 355, 7.

Un certain nombre d’auteurs modernes et contemporains préfèrent énumérer les convenances de la résurrection : ex parte Dei (sa justice, sa sagesse, sa puissance), ex parle Christi (corps mystique, rédemption parfaite, victoire totale sur la mort), ex parte naturæ humanæ (nature composée d'âme et de corps, dignité de cette nature en raison de l’incarnation, effets des sacrements et notamment de l’eucharistie). Cf. Hurter, op. cit., n. 705 ; Tanquerey, Synopsis theol. dogm., t. iii, n. 1174(b). Hervé, Manuale, t. iv, n. 631, suit davantage saint Thomas.

Remarque. — Il faut se garder de donner à cet argument de convenance plus de force qu’il n’en a réellement. Quand les théologiens parlent parfois (l’expression se trouve chez saint Thomas) de la « nécessité » de la résurrection, il ne peut être question que d’une nécessité au sens très large du mot : « les choses naturelles ne font pas connaître les choses surnaturelles par des raisons démonstratives, mais par des raisons simplement persuasives. » Suppl., q. lxxv, a. 3. Pareillement, en marquant ce que la résurrection a de conforme aux aspirations de la nature humaine, les théologiens n’entendent pas affirmer qu’elle est purement et simplement naturelle. La résurrection, en effet, n’a pas son principe dans la nature ; donc, absolument parlant, elle est un fait miraculeux ; toutefois, parce que, dans son terme, elle reconstitue la nature, on peut la dire relativement naturelle, naturelle secundum quid. Id., a. 3, corp.

II. LES SPÉCULATIONS THEOLOGIQUES.

1° Le

cadre tracé par le Maître des Sentences. — Pierre Lombard est ici très peu personnel. S’inspirant de saint Grégoire et de saint Augustin, il est un témoin sûr de la tradition, n’affirmant que ce que les Pères affirment et dans la mesure même où ils l’affirment ; hésitant sur toutes les questions que n’a pas tranchées saint Augustin, dont il reproduit les opinions exprimées dans YEnchiridion, c. lxxxviii et lxxxix. C’est au IVe livre des Sentences que Pierre Lombard expose la doctrine de la résurrection ; son exposé deviendra le canevas obligé des théologies postérieures.

1. Distinction XLIII.

Sept paragraphes, dont le premier est précédé de quelques mots significatifs : omnibus quæslionibus quæ de hac rc moveri soient salisfacere non vales. — a) Il est de foi néanmoins (nullatenus ambigere débet christianus) que tous ceux qui sont nés et naîtront dans cette chair, qui sont morts et mourront, ressusciteront à la fin des temps. Cette croyance s’appuie sur Is.. XXVI, lit et I Thess., iv, 2. — b) La cause immédiate de la résurrection sera la voix de la trompe t le, Joa., v, 28. La trompette est prisa ici au sens figure pour montrer que la voix de l’archange

ou du Christ lui-même sera entendue de tous. — c) Le juge doit venir au milieu de la nuit. Matth., xxv, 6. Il s’agit, ici encore, d’un symbole, pour marquer que le juge viendra au moment où on ne l’attendra point. A sa venue, non seulement les ténèbres de l’air seront illuminées, mais les consciences seront éclairées ; élus et damnés se connaîtront d’eux-mêmes. — d) A ce jugement, il est plus probable que les élus auront connaissance et souvenir des péchés passés, mais ce sera, comme dit saint Grégoire, pour chanter éternellement les miséricordes divines. Cf. Moralium, t. IV, c. xxxvi, n. 72, P. L., t. lxxv, col. 678. — e) Quel sera le sort de ceux qui pour lors seront encore en vie ? Le Maître estime qu’ils mourront et, aussitôt après, ressusciteront ; il s’appuie sur I Cor., xv, 22, 36. — f) Le Christ viendra juger les vivants et les morts, c’est-à-dire ceux que le dernier jour trouvera encore en vie et ceux qui seront décédés auparavant ou bien, d’une manière symbolique, les justes et les pécheurs. — h) Enfin tous ressusciteront incorruptibles, quoique non impassibles en ce qui concerne les damnés, et avec l’intégrité de leurs membres.

On le voit, seules la première et la dernière assertion se rapportent à la résurrection et la première s’en tient au dogme lui-même.

2. Distinction XLIV.

C’est surtout dans la distinction XLIV que se fixe le cadre des spéculations théologiques. Ici, huit paragraphes : a) De l'âge et de la stature des corps ressuscites. — b) Tout ce qui fait partie de la substance et de la nature du corps vivant ressuscitera et dans la même partie du corps. — c) Les saints ressusciteront sans la moindre déformité. — d) Les impies garderont-ils les déformités qu’ils avaient ici-bas ? — e) Les corps des damnés ne sont pas détruits (consumés) en brûlant en enfer. — f) Les démons sont-ils brûlés par le feu corporel ? — g) Les âmes séparées souffrent-elles du feu corporel ? — h) En quel état ressusciteront les fœtus abortifs et les monstres ? — Sur la plupart des points les solutions sont empruntées à saint Augustin. Voir ci-dessus, col. 2542 sq.

Ce plan du Maître des Sentences est fidèlement suivi par la plupart des commentateurs. Le dogme fondamental de la résurrection future et de la résurrection de tous les hommes est ordinairement exposé en deux articles, la question de la résurrection de tous les hommes étant posée principalement en raison des impies auxquels le psalmiste semble refuser la résurrection. Ps. i, 6. Saint Thomas, que tous suivent ici, déclare que la justice exige la résurrection de tous, annoncée d’ailleurs par Joa., viii, 24 et I Cor., xv, 51. Sur le sens exact de ce dernier texte, voir col. 25 17. Mise à part la question de l’action du feu infernal sur le corps des damnés, sur les âmes séparées et sur les démons, voir Feu de l’enfer, t. v, col. 2226 sq., les autres questions de la dist. XLIV jointes à la dernière de la dist. XLIII constituent le champ propre où s’est exercée la spéculation théologique.

Afin de ne pas disperser les données de cette spéculation, nous les ramènerons à quatre chefs principaux : les causes de la résurrection ; l’identité numérique des corps ressuscites ; les propriétés des corps ressuscites ; les circonstances de la résurrection.

Causes de la résurrection.

L’enseignement de

saint Paul, voir col. 2514 sq., est à la base des spéculations théologiques ; les auteurs s’efforcent de développer cet enseignement en fonction de leur philosophie du composé humain.

1. Tout d’abord la résurrection est-elle naturelle ? — L’union de l'âme et du corps étant conforme aux exigences de la nature, il semble que la réunion de l'âme au corps, pour assurer à celui-ci une vie perpétuelle, soit nécessaire.