Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION III. Explication de la foi catholique 5. Synthèse de la rédemption : Raison de l'économie rédemptrice

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 281-284).

V. Synthèse de la rédemption : Raison de l'économie rédemptrice. —

Sa foi même en la révélation divine invite le chrétien à y voir un ordre dont il ne lui est pas interdit de percer le mystère. Avec le comment de la rédemption, à mesure surtout que l'économie en est plus riche, la spéculation théologique en a donc également abordé le pourquoi. Travail plus ou moins esquissé dès l'époque patristique, col. 1937, mais qui allait surtout devenir intense dans l'École depuis l’impulsion décisive que lui avait imprimée la puissante dialectique du Cur Deus homo. Voir 15. Dôrholt, op. cit., p. 171-301.

Deux tendances extrêmes se manifestent, à cet égard, dans la pensée chrétienne : celle des dialecticiens qui prétendent tout démontrer et celle des agnostiques pour qui tout serait pareillement impénétrable. Kntrc les deux s’ouvre une via média dans laquelle, renonçant à soumettre le plan du salut à la loi d’une stricte nécessité, on y cherche et on y trouve tout au moins de hautes convenances accessibles à notre raison de croyants.

1° Initiative du plan divin : Le décret primitif de rédemption. — A l’origine de l'économie rédemptrice il faut mettre le décret porté par Dieu de relever le genre humain après le désastre de la chute. La théologie n’a pas cru que ce fût excéder ses moyens ou manquer de respect à la mystérieuse transcendance des voies divines que d’en explorer le caractère initial.

1. Thèse de la nécessité.

Indépendamment de l’optimisme absolu, qui voudrait que toutes les actions de Dieu fussent commandées par la poursuite du plus parfait, quelques théologiens de marque ont pensé que la rédemption des pécheurs lui serait imposée comme une sorte d’obligation plus ou moins stricte par ses propres attributs.

Omnis disposilio salutis quæ circa homincm fuit, écrivait déjà saint [renée, Cont. hxr., III, xxiii, 1, P. G., t. vii, col. 960, secundurn placilwn fichai Palris uli non vinceretur Deus [a serpente] neque infirmarctur ars cjus. Principe d’où saint Athanase dégageait une loi supérieure de sagesse. « Il était inconvenant que des créatures douées de raison et admises à la participation du Verbe périssent et, par la corruption, retombassent dans le néant. Car il n'était pas digne de Dieu que ses œuvres fussent détruites par la fraude du démon… A quoi bon leur donner l'être au commencement ?… S’il n’avait pas créé l’homme, personne ne songerait à l’accuser de faiblesse ; du moment qu’il l’a fait et créé pour être, il serait tout à fait absurde qu’il pût périr, et plus encore sous les yeux de son auteur… C’est chose indécente et indigne de l’excellence de Dieu. » De inc. Verbi, 6, P. G., t. xxv, col. 108. Cf. ibid., 13, col. 117-120.

Devant le même problème saint Anselme invoque l’immutabilité de la providence divine, qui lui interdirait de consentir à l'échec de ses plans. Voir Cur Deus homo, ii, 4-5, P. L., t. clviiii, col. 402-403 : Aul hoc de humana natura perficiel Deus quod incœpit aul in vanum frc.it tarn subliment raturam ad tantum bonum. Al… valde alienum est ab eo ut ullam rationalem naturam penitus prrirr sinat… Non enim illum latuit quid homo faclurus eral cum illum fecil et lamrn bonilalr sua illum creando sponte se ut perficeret incœptum bonum quasi obligavlt….Wccs.se est [ergo ] ut bonitas Dei, propter immutabilitatrm suam, pcrficial de homine quod incœpit, quamvis tolum sil (jralia bonum quod far.it.

2. Critique.

A cette dialectique s’oppose le sentiment chrétien élémentaire, d’après lequel notre rédemption doit être considérée, non pas seulement comme un effet de cette essentielle bonitas qui caractérise ontologiquement l'Être divin, mais encore comme un acte absolument gratuit de miséricorde et d’amour.

Impression établie sur les données les plus certaines de la révélation. Cf. Rom., iii, 24 ; Eph., ii, 8.

Il n’est pas trop malaisé d’apercevoir, en effet, que, dans l’hypothèse d’une ruine définitive de l'édifice surnaturel, aucun attribut de Dieu, à strictement parler, ne serait en cause. Car il avait fait entrer dans ses plans la liberté humaine, avec tout le surcroît de gloire mais aussi avec l’aléa qu’elle comportait. L’homme donc, bien entendu, n’a rien à réclamer, dès là qu’il est seul responsable de son infortune, et Dieu lui-même est à couvert, puisque la catastrophe est imputable à une défaillance prévue, mais qu’il n'était pas tenu d’empêcher. Voir Incarnation, t. vii, col. 1475-1476.

D’autant que les ressources de l’ordre naturel ne laissaient pas de subsister à titre de compensation. État suffisamment normal, en dépit de son infériorité relative, pour constituer un ordre digne encore de Dieu et permettre à l’homme d’atteindre sa fin.

3. Thèse de la convenance.

Si la rédemption de l’humanité n'était pas nécessaire, elle peut et doit être, à tout le moins, regardée comme souverainement convenable. Ni Athanase ni Anselme ne voulaient peut-être dire autre chose : toujours est-il que la théologie catholique s’en tient à cette transaction.

Congruenlissimum fuit, enseigne saint Thomas, In 7/7um Sent., dist. XX, q. i, a. 1, sol. 1, édit. Vives, t. ix, p. 301, humanam naturam, ex quo lapsa fuit, reparari, quia in hoc manifeslatur misericordia Dei, poteniia et sapienlia : misericordia quidem sive bonilas, quia proprii plasma ! is non despexit in/irmilalem : poteniia vero in quantum ipse omnium noslrum defectum sua virtute vieil ; sapienlia autem in quantum nihil frustra fecisse invenitur. Convenicns etiam fuit quantum ad humanam naturam, quia generaliler lapsa erat. Similiter etiam ex perfeclione universi, quod totum quodammodo ad salutem hominis ordinatur.

Ainsi encore saint Bonaventure, In III uln Sent., dist. XX, art. unie, q. i, édit.deQuaracchi, t.m, p.417418, qui, sans négliger les autres, donne plus de place aux considérations anthropologiques : Absquc dubio congruum est et decens reparari genus hunumum, non solum ex parle Dei, sed etiam ex parte hominis…, si consideretur dignilas hominis condili et modus labendi et status lapsi. Dignilas namque hominis lanta eral ut propter ipsum jacta sunt universa… Modus vero labendi fuit quod humana natura lolaliler cecidil, alio peccante et alio suggerenie… Status etiam hominis lapsi reparalioni congruit, quia in Mo slalu simul fuit pœnitentia cum miseria.

D’un point de vue théologique plus général, pour mieux affirmer la sagesse de la Providence et l’harmonie de ses plans, de bons théologiens estiment qu’il est plus opportun aujourd’hui que jamais de remettre l'élévation primitive du genre humain dans les perspectives de la rédemption qui devait en renouer le fil. Sans qu’il y ait un rapport nécessaire entre ces deux étapes de l'économie surnaturelle, il devient moins difficile de comprendre la précarité de la première à mesure que la seconde en apparaît d’une manière plus directe, dans les desseins éternels de Dieu, comme la reprise et le complément. Voir A. Verriele, Le surnaturel en nous et le péché originel, 2e éd., Paris, 1934, p. 102-131.

On s’explique d’ailleurs assez bien que pareille grâce de relèvement n’ait pas été faite aux anges. C’est que la volonté de l’homme est naturellement mobile, tandis que l'être angélique, parce que plus parfait, se fixe pour toujours dans chacune de ses décisions. Il y avait aussi lieu de tenir compte que les anges étaient déchus par suite d’un acte personnel, tandis que le genre humain fut compris par solidarité dans la faute d’Adam.

Modalités du plan divin.

 Aux différents décrets

dans lesquels se décompose logiquement l’exécution de l'économie rédemptrice il faut appliquer la même solution.

1. Problème de la satisfaction.

En admettant que Dieu voulût racheter les pécheurs, devait-il exiger d’eux une satisfaction ou pouvait-il procéder par voie de condonation plus ou moins complète à leur endroit ?

a) Nécessité ? — D’après l’archevêque de Cantorbéry, Cur Deus homo, i, 15, P. L., t. ci.vm, col. 381, on serait ici acculé à la stricte alternative : Salisfaclio aul peena. Et cela du côté de l’homme aussi bien que de Dieu : Sine salis/actione, id est sine debili solutione sponlanea, nec Deus potest peccatum impunilum dimittere, nec peccalor ad beatitudinem vel talem qualem habebal antequam peccaret pervenire. Ibid., i, 19, col. 391. Ce qui s’entend, au surplus, d’une satisfaction adéquate au péché : Hoc quoque non dubilabis… quia secundum mensuram peccati oportet satisfaclionem esse. Ibid., i, 20, col. 392 ; cf. i, 21, col. 394 : Palet quia secundum quanlilatem peccali | exigii Deus salisfactionem.

Vrai du repentir, ce raisonnement ne l’est pas de la satisfaction, qui reste soumise à la souveraine liberté de Dieu. Si voluisset absque omni salisfaclione hominem a peccato liberarc, contra justitiam non fecisset. Ille enim judex non potest salua justitia culpam sine peena dimiltere qui hubet punire culpam in alium commissam… Sed Deus non habet aliquem superiorem, sed ipse est supremum et commune bonum lolius universi. Et ideo, si dimillal peccatum, quod habcl rationem culpie ex co quod contra ipsum commiltitur, nulli facit injuriant. Thomas d’Aquin, Sum. th., III », q. xlvi, a. 2, ad 3um. Voir Incarnation, t. vii, col. 1476-1478.

A plus forte raison en cst-il ainsi lorsque, avec la théologie protestante, on identifie satisfaction et expiation, jusqu'à vouloir que le péché ne puisse être remis sans que la peine en soit acquittée par le coupable lui-même ou par un substitut. « Personne parmi les catholiques ne soutiendra que la miséricorde soit impuissante ou que Dieu ne puisse pardonner sans avoir calmé les exigences de sa justice. » Éd. Ilugon, Le mystère de la rédemption, 6e éd., p. 267.

b) Convenance. — On s’en tiendra donc, ici encore, à penser qu’une satisfaction était convenable, soit du côté de Dieu pour mieux établir la majesté de ses droits, soit du côté de l’homme pour qu’il pût se sentir pleinement réhabilité.

C’est dans ce sens que saint Thomas transpose les thèmes anselmiens. Voir In IIIum Sent., dist. XX, q. i, a. 1, sol. 2, édit. Vives, t. ix, p. 301-302 : Congruum etiam fuit quod natura humana per satisfaclionem repararetur. Primo ex parle Dei, quia in hoc divina justitia manifeslatur quod culpa per pœnam diluitur. Secundo ex parte hominis, qui satisfaciens perf retins integratur : non enim tantx gloriæ essel posl peccatum quanta : erat in statu innocentiæ si non plenaric salis fecisset… Tertio etiam ex parte universi, ut scilicet culpa per pœnam satisfactionis ordinetur et sic nihil inordinatum in universo rémanent. Ainsi Bonaventure, In /// u ' « Sent., dist. XX, art. unie, q. ii, édition de Quaracchi, t. iii, p. 419-422.

En vertu de l’adage : Accessorium sequitur principale, il va de soi que la question de degré ne comporte pas d’autre réponse. Une satisfaction adéquate à la faute ne saurait être que de meliori bono.

2. Problème de l’incarnation.

Si une satisfaction devait avoir lieu, on peut subsidiaircment rechercher par quel moyen. Ce qui revient à déterminer si la médiation du Fils de Dieu fait homme ne s’imposerait pas en droit, vu la grandeur du péché, comme elle fut adoptée en fait.

a) Nécessité absolue ? — De ses prémisses relatives aux conditions rationnelles de la satisfaction saint Anselme concluait logiquement à la nécessité de l’incarnation pour notre salut.

Nondum considerasti, répliquait-il à Boson, quanti ponderis sit peccatum ; et il l’amenait à concéder que le pécheur est incapable de réparer le mal qu’il a commis, soit parce que déjà il doit à Dieu tout ce qu’il possède, soit parce que son péché participe à l’infinité même de celui qu’il atteint. Cur Deus homo, i, 20-21, P. L., t. CLVlll, col. 392-391. Étant donné pourtant que Dieu ne saurait renoncer ni à racheter les hommes, ni à réclamer de leur part une satisfaction intégrale, il s’ensuit qu’on doit chercher celle-ci en dehors de l’humanité. Voir ibid., Il, 6, col. 404… Non ergo potest hanc salisfaclioncm facere nisi Deus… ; sed nec facere illam de bel nisi homo… Ergo… necesse est ut eurn facial Deus homo.

Qui ne sait pourtant que l’incarnation est présentée dans l'Écriture comme le don de Dieu par excellence ? Cf. Joa., iii, 16 ; Eph., ii, 4-5 ; I Joa., iv, 10. A rencontre de cette donnée fondamentale aucun syllogisme ne saurait prévaloir. Qu’il n’y eût pas de moyen plus propre que l’incarnation à faire éclater la gloire de Dieu et à réaliser notre salut, tout le monde en convient ; mais rien ne permet d’aller plus loin.

La tradition de l'Église en la matière est fixée par la parole classique d’Augustin, De Trin., XIII, x, 13, P. L., t. xlii, col. 1024 : Non alium modum possibilem Dco defuisse… ; sed sanandie nostræ miseriie convenienliorem modum alium non fuisse. A son tour le Docteur angélique de se l’approprier, Sum. th., III a, q. i, a. 2, pour montrer longuement la convenance de l’incarnation par les divers bienfaits qu’elle nous procure, soit quantum ad promolioncm hominis in bonum, soit ad remolionem mali, non sans observer que son énuméralion n’a rien de limitatif : Sunt autem et alise plurimie ulilitates quæ conseculæ sunt supra apprehensioncm sensus humani. Développement à l’art. Incarnation, t. vii, col. 1463-1470.

Tant s’en faut, d’ailleurs, que la dialectique anselmienne soit sans réplique sur son propre terrain. On peut, en effet, concevoir que l’homme trouve dans sa vie religieuse et morale, sous la forme soit d’actes surérogatoires soit d’une intention nouvelle imprimée aux actes déjà dus, la matière d’une réparation au moins inadéquate, et il n’est aucunement établi que Dieu ne s’en puisse contenter.

b) Nécessité hypothétique ? — Tout au plus cst-il possible d’admettre, avec saint Thomas, Sum. th., IIl a, q. i, a. 2, ad 2um, que l’incarnation était nécessaire dans l’hypothèse où une réparation intégrale serait exigée du pécheur.

Soit la gravité propre du péché soit l’immensité de ses ravages semblent, en effet, requérir, pour que la satisfaction fût proportionnée au désordre, un acte d’une valeur infinie, tel que seul un Dieu fait homme pouvait le fournir : Aliqua satisfaclio potest dici… condigna per quamdam adœquationem ad recompensalionem culpæ commisse. El sic hominis puri satisfaclio sufficiens esse non potuit pro peccato, lum quia tota humana natura erat per peccatum corrupla…, tum eiiam quia peccatum contra Deum commissum quamdam infinilalem habet ex infinitate divinx majestatis. Solution théologiquement aussi fondée que favorable au sens religieux. Cf. [nomination, col. 1478-1482.

Encore s’agit-il là d’une thèse proprement thomiste, contestée sur toute la ligne par l'école de Scot, roi. 1951, et dont, par conséquent, l’incontestable crédit laisse toujours une porte ouverte à la discussion,

3. Problème de la passion.

On ne doit pas moins sauvegarder la liberté divine en ce qui concerne l'œuvre du Verbe incarné.

a) Nécessité ? — Presque inévitablement le système de l’expiation conduit à réclamer comme nécessaire la souffrance du Sauveur. Dès là qu’une peine était méritée par les pécheurs et que Dieu a voulu les en dispenser, on conclut qu’elle devait être acquittée par le Christ, et cela, pour que la justice fût complète, jusqu'à la mort inclusivement. Les textes scripturaires qui semblent parler d’un précepte de mourir imposé à Jésus ont paru corroborer ces inductions.

Telle est la position systématiquement adoptée par la plupart des protestants. Même chez nous, il n’est pas rare d’entendre invoquer, tout au moins modo oratorio, les exigences d’un ordre aux termes duquel, pour être efficacement conjuré, l’effet de la justice divine a dû être détourné avec toutes ses suites pénales sur la personne du médiateur.

Mais c’est un point de doctrine catholique à tenir que la mort du Christ n'était nullement nécessaire, en soi, pour nous racheter. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. th., III a, q. xlvi, a. 1-2. A cet égard, aucun précepte, quelle que soit l’interprétation qu’on préfère des textes qui paraissent l'énoncer, voir Jésus-Cihust, t. viii, col. 1297-l.ii) 1.>, n'était strictement requis du chef de la rédemption. D’après le dilemme anselmicn : aut satisfaclio aut pœna, l’oeuvre du Sauveur, au lieu d’en comporter l’acquittement, fut, au contraire, une compensation de la peine qui nous attendait.

Il faut en dire autant de la passion tout entière. En effet, selon saint Thomas, ibid., a. 5, ad 3um, secundum sufficientiam una minima passio Christi suffccissel ad redimendum ge.nus humanum ab omnibus peccalis. Principe que ses commentateurs étendent à « la moindre opération » du Fils de Dieu, « même celle qui n’exige aucune peine ». Éd. Ilugon, Le mystère de la rédemption, p. 99. Cf. L. Billot, De Verbo inc, 5e édit., p. 1<S2 : Verissimum est quod, attenta personw dignilate, minimum opus satisfaclorium sufficiebal ad compensanda peccala tolius mundi et ultra. De telle sorte qu’en définitive « Jésus pouvait nous sauver par un seul acte d’amour et de réparation ». J.-V. Bainvel, Nature et surnaturel, Paris, 1903, p. 270. Position classique s’il en fût, qui sunpose le rôle secondaire de l’expiation pénale, col. 1939, en même temps qu’elle sert à le mettre en relief.

b) Convenance. — Ainsi que tout le reste de l'économie rédemptrice, la passion et la mort du Christ ne peuvent se justifier que par des raisons de convenance. Elles sont, d’ailleurs, aussi variées que faciles à découvrir.

Généralement on pense tout d’abord à l’expiation du péché, qui est plus complète et plus saisissante, à n’en pas douter, quand elle comporte la douleur. Bien de plus juste, à condition de ne pas dépasser la mesure dans l’expression et de ne pas vouloir que cette raison soit la seule ou nécessairement la plus capitale. Mystiques et simples croyants ont toujours demandé cette leçon au « chemin de la croix ». Ils peuvent se réclamer de saint Thomas, qui, non content d’analyser en détail les souffrances du Christ, Sum. th.. II l a, q. xlvi, a. 5-8, les explique incidemment, ibid., q. xi.vn, a. 3, ad lum, par l’intention de faire apparaître cette Dei severitas qui peccatum sine pœna dimitkre noluil. Thème assez lonauement développé dans Opusc, i, 231 et ii, 7, Opéra omnia, édit. Vives, t. xxvii, p. 99-100 et 136138.

Il y a pareillement lieu de faire valoir, avec le Docteur angélique, Sum. th., Ill a, q. xi.vi, a. 6, ad (><iin, le surcroît de plénitude objective que cette préférence pour la voie douloureuse confère à l'œuvre rédemptrice jusque dans l’ordre humain : Non solum attendit Christus quantam virtutem dolor ejus haberet ex dtoinilale imita, sed etiam quantum (hlor ejus sufficerel secundum humanam naturam ad lanlam salisfac

iionem. Et ce texte a paru digne de remarque à ses commentateurs les plus récents. Voir Hugon, Le mystère de la rédemption, p. 100. Cf. ibid., p. 94-95. et P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, p. 244-245.

Mais la considération la plus féconde est encore celle des biens dont la passion est visiblement la source pour nous dans l’ordre de notre vie morale et religieuse. Voir, par exemple, les indications fournies par saint Thomas, Sum. th., IIi a, q. xlvi, a. 3 : Per hoc quod homo per Christi passionem est liberatus mulla concurrerunt ad salulem hominis præter liberalionem a peccato. Primo enim per hoc homo cognoscit quantum Deus hominem diliyat et per hoc provotatur ad eum diligendum. .. Secundo quia per hoc dédit nobis exemplum obœdientiæ, hun.iililalis, conslantise, jusliliæ et celerarum viitutum… Quarto quia per hoc esthomini inducla major nécessitas se immunem a peccato conservandi… Cf. S. lïonaventure, In IIlum Sent., dist. XX, q. v et vi : Brev., iv, 10.

Quel qu’en soit l’objet, ces vues spéculatives sur la raison d'être du plan divin partent des données acquises par la révélation, en vue d’y montrer l’application d’une loi rationnelle d’ordre et de sagesse. A ce titre, elles sont légitimes et bienfaisantes, pourvu que, sous prétexte de satisfaire un vain besoin de logique, on ne veuille pas introduire une illusion de nécessité dans une économie dont l’amour de Dieu est le premier et le dernier mot.