Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION II. Genèse de la foi catholique 2. Message chrétien

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 256-259).

II. Message chrétien. —

Tandis que, dans le paganisme, la rédemption n'était, au mieux, qu’une vague tendance ou un obscur pressentiment, la révélation chrétienne allait en faire une réalité. Voir Le dogme de la rédemption. Essai d'étude historique, p. 2999 ; Étude théologique, p. 25-71.

Données préparatoires de l’Ancien Testament.


Entre certaine théologie qui la majorait à plaisir et la critique moderne qui voudrait la réduire presque à rien, la portée religieuse de la Loi judaïque est exactement marquée par la parole de l’Apôtre : Umbram habens Lex fulurorum bonorum. Hebr., x, 1. Vue de croyant que vérifient les observations de l’historien.

1. Le peuple de Dieu.

Avec la connaissance du Dieu unique et de la loi morale qu’il devait au Décalogue, il est incontestable qu’Israël eut en mains tous les éléments pour acquérir une vraie notion du péché. Que ces principes n’aient pas toujours été mis en pratique et se soient trop souvent associés à bien des superstitions, ce n’est guère douteux : ils n’en étaient pas moins posés et ne pouvaient donc pas ne pas exercer une certaine action.

Comme remède au péché, en même temps que la pénitence que ne cessaient de recommander les prophètes, ainsi Is., i, 11-18 ; Jer., iii, 22 ; Joël, i, 12, et les bonnes œuvres, .1er., vii, , ">-7 ; Dan., iv, 24, la Loi offrait à la conscience juive diverses variétés de sacrifices. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 48-81. Les critiques dirigées contre ceux-ci par quelques prophètes, Ain., v, 25 :.1er., vii, 22 ; Mal., i, 7-8, ou psalmistes, Ps., xi.ix, 8-10 et L, 17-18, visaient des abus et non pas l’institution, Non moins qu'à des impuretés purement légales ou à des manquements rituels, ils s’appliquaient aussi à des fautes morales proprement dites. En assurant le pardon divin, ils entretenaient de la sorte un sentiment de culpabilité dans les âmes religieuses et il n’est pas jusqu'à leur multiplicité même qui ne put déjà, comme devait l’observer Hebr., x, 1-4, donner l’intuition d’un déficit.

2. L’avenir messianique.

Cette paix avec Dieu, à laquelle tendait sa vie normale, Israël l’attendait surtout de l’avenir, lui effet, parmi les biens de l'époque messianique entrait la rémission des péchés, ls., iv, 3 et xxxiii, 21 ;.1er., xxxi, 34 et xxxiii, 8. Par où il faut entendre, avec l’exemption île la vindicte divine, un état intérieur de sainteté qui rendrait enfin le peuple élu digne de sa vocation. l'.z., xxxvi, 24-25 ; Os., ii, 16-21.

Au lieu de reporter l’origine de cette grâce à la seule miséricorde, Isaïe, lui, 1-12, l’attribue aux souffrances expiatoires d’un « serviteur » de Jahvé, qu’il représente comme une victime innocente broyée pour les crimes du peuple et lui obtenant le pardon par la vertu de son sacrifice. Haute et mystérieuse figure dont la critique admet de plus en plus que les traits ne peinent convenir qu’au Messie. Voir art. Messianisme, t. x, col. 1474-1476 ; A. Médebielle, art. Expiation, col. 90-101). Dès là qu’il aurait suffi de quelques justes pour préserver Sodome, Gen., xviii, 2233, cf. Ex., xxx, 11-15, rien d'étonnant à ce que le juste par excellence procure aux siens le même bienfait.

Il est vrai que la tradition judaïque ne devait pas s’ouvrir à cette révélation précoce des peines rédemptrices du Messie futur. Voir Judaïsme, t. viii, col. 16281634 ; J. Bonsirven. Les idées juives au temps de Notre-Seigneur, Paris, 1934, p. 160-162 ; Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, Paris, 1935, t. i, p. 380-386. Ce qui s’expl ique par les préjugés nationaux d’Israël.

On y retient du moins le principe général de cette

réversibilité des souffrances et des mérites. C’est ainsi que le sang des jeunes Machabées, martyrs de leur attachement à la Loi, est tenu pour un àvTÎ<JjuX°v, IV Mac, vi, 28-29 ; xvii, 20-23, et qu'à ce titre leur mort devient pour tout le peuple une source de salut et de propitiation. II Mac, vii, 37-38. Un terrain favorable était préparé par là, où le germe chrétien trouverait à s’enraciner.

Enseignement de Jésus.

Dans sa prédication

sotériologique il n’est pas douteux que Jésus n’ait fait entrer, en un rang spécial, le mystère de sa mort.

1. L' Évangile. — Conscient d'être « envoyé vers les brebis perdues de la maison d’Israël », Matth., xv, 24, plus que cela désireux de soulager ceux qu'écrase le poids de leurs peines, ibid., xi, 28, Jésus annonce à tous « les secrets du royaume », ibid., xiii, 11, et les conditions pour y accéder. A mots couverts, il se donne, en particulier, comme le médecin des pécheurs, Marc, ii, 17, et il en fournit la preuve en réhabilitant des courtisanes ou des publicains. Tout son Évangile est, dès lors, un message de salut, dont la répercussion intéresse jusqu'à nos destinées éternelles : suivant qu’on aura confessé ou renié son nom devant les hommes, on le sera par lui devant le Père qui est aux cieux, Matth., x, 32 ; sa parole ne laisse pas d’autre alternative que d'être sauvé ou condamné. Marc, xvi, 16.

Mais bientôt la résistance des pharisiens l’oblige à prévoir, pour sa carrière, le dénouement tragique de celle des anciens justes, Matth., xxiii, 35, et naguère encore de Jean, ibid., xvii, 12. A partir de la confession de Césarée, ibid., xvi, 21, il « commence » à faire envisager sa mort aux disciples étonnés comme une partie intégrante de sa mission, en vertu d’un vouloir divin qui lui en fait un devoir exprimé par la formule impérative 8eï. Tous les synoptiques sont d’accord pour lui prêter une triple série de prédictions où s’affirme cette idée : Matth., xvi, 21-22 ; xvii, 22-23 ; xx, 17-19 et parallèles.

Rien qu'à cette insistance on pourrait deviner que sa mort a un rôle essentiel à jouer dans l'économie de l'œuvre messianique. Jésus s’en explique formellement quand il déclare, en réponse à l’ambition des fils de Zébédée, être venu « pour donner son âme en rançon pour beaucoup », Matth., xx, 28 ; Marc, x, 45 ; puis à la dernière cène, quand il présente son sang comme le sang de l’alliance répandu pour beaucoup, Marc, xiv, 24 et Luc, xxii, 20, cf. I Cor., xi, 25 — ces deux derniers récits le font également parler en termes semblables de son corps — en rémission de leurs péchés, précise Matth., xxvi, 28 : mots d’autant plus suggestifs qu’ils faisaient corps avec une institution.

Volontiers Jésus s’appliquait l’oracle d’Isaïe sur le serviteur de Jahvé. Luc, iv, 17-21 ; xxii, 37. En assumant la mission de victime expiatoire, on voit qu’il entendait la réaliser jusqu’au bout.

A la forme près, le quatrième évangile donne au message du Christ les mêmes traits essentiels. Jésus y résume son ministère de sauveur en se posant comme « la voie, la vérité et la vie ». xiv, 6. L’obligation de se rattacher à lui par la foi en sa parole, vi, 68, s’explicite en celle d’une union organique, analogue à celle qui existe entre la vigne et les sarments, xv, 1-6. Ce qui suppose une véritable renaissance, ni, 3-8, en vue de participer à la vie même de Dieu. vi. 40 et 57. Tout cela grâce au don que le Père nous fait de son Fils, iii, 10-17 ; vi, 32-39. Mais l’ouvre de celui-ci ne s’achève que dans le mystère de sa mort, qui est tout

i la fois pour nous un exemple d’héroïsme, x, 11-18 ;

xii, 24-25, et un sacrifice de sanctification, xvii, 19.

Cette convergence des relations évangéliques est la preuve d’une tradition ferme où se reflète l’enseignement personnel de Jésus.

2. Positions de la critique.

Si les déclarations du Christ relatives à son œuvre morale ou mystique ne souffrent guère de difficultés, il en est autrement de celles qui concernent le rôle de sa mort et le sens de sacrifice expiatoire que la foi chrétienne y a reconnu.

a) Forme ancienne. — Longtemps la critique s’est exercée dans l’ordre exclusivement rationnel, en vue d’arracher leur signification dogmatique aux textes en question. Après Socin, il se trouve encore des modernes pour prétendre que se donner comme rançon n'était pour Jésus qu’une manière de laisser entendre l’influence de son amour sur les cœurs. Quant à l’alliance nouvelle, d’après J. Holtzmann et d’autres, l’effusion de son sang, comme celui des victimes offertes pour inaugurer la première, Ex., xxiv, 8, n’aurait pas d’autre but que de la sceller. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 130-133 et 137-145.

Pareille exégèse fait évidemment violence au sens obvie de ces passages. Bien que peu explicite, la « rançon » ne peut raisonnablement se comprendre que d’une valeur objective offerte en vue de notre délivrance, de manière à sauvegarder, sans sortir du sens littéral par un rapprochement factice avec Matth., xvi, 26, un minimum d’analogie avec l’image initiale d’un rachat de captifs.

Quant à la « nouvelle alliance », toute l'économie de la doctrine evangélique atteste que Jésus en est l’auteur et non pas seulement le héraut. En donnant à l’efîusion de son sang « la rémission des péchés » pour objet, saint Matthieu ne fait que dégager ce que les textes moins complets des autres relations contiennent implicitement.

b) Forme actuelle. — Aussi bien l’interprétation traditionnelle a-t-clle désormais partie gagnée. C’est, en effet, la densité dogmatique de ces paroles qui devient inacceptable à la critique d’aujourd’hui et paraît dénoncer l’influence de saint Paul.

Mais, outre que la dépendance de nos évangiles à l'égard du paulinisme est une hypothèse gratuite, on ne comprend guère, si elle était réelle, pourquoi elle se manifesterait d’une manière aussi rare et aussi peu caractéristique : l’imprécision même des paroles prêtées à Jésus est une garantie de fidélité. Bien au contraire, en ce qui concerne le souvenir de la dernière cène, l’Apôtre lui-même se réfère expressément à la tradition, I Cor., xi, 23. Voir C. van Crombrugghe, De soleriologiæ christianæ primis fontibus, Louvain, 1905, p. 24-67.

En réalité, cette objection tient beaucoup moins à des difficultés positives qu'à certains postulats sur la prétendue forme authentique de l'Évangile. Si le message du Christ eût été, comme on l’a voulu, complètement dominé par la fausse perspective d’une parousie prochaine, il est clair que la notion de mort expiatoire ne pourrait y avoir ni place ni sens. A. Loisy, L'Évangile et l'Église, 1903, p. 115-117. Mais cet eschatologisme exclusif n’est qu’une simplification arbitraire — et, de ce chef, pour une bonne part déjà périmée — des textes et des faits.

Plus fantaisiste encore est la prétention de ramener le Jésus de l’histoire à la taille d’un simple agitateur national, dont toute l’ambition eût été de secouer le joug romain. Lancé par H. Eister (1929-1930), sur la foi d’un « Josèphe slave » tardif et sans autorité, ce système ne mérite pas d'être pris en considération. Voir M.-.T. Lagrange, dans Revue biblique, 1930, p. 29-46 ; R, Draguet, dans Revue d’histoire ceci., t. xxvi, 1930, p. 833-879 ; M. Goguel, dans Revue d’hist. et de phil. Tel., I. x, 1930, p. 177-190. Pas davantage la preuve de la même conception demandée par J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i. p. 305-321, à la dissection interne du Nouveau Testament. Il n’est pas jusqu'à Ch. Guignebert, dans Revue historique, t. clxxi, 1933, p. 567

56 : >, qui ne traite cette méthode géométrique avec une juste sévérité.

Au nom d’une sélection inverse, les protestants libéraux ne veulent connaître de la prédication de Jésus que ses appels à la pénitence et cette révélation inconditionnée du Dieu Père dont la parabole de l’enfant prodigue est éminemment l’expression. De quoi ils s’autorisent pour exclure comme contradictoire l’éventualité d’une satisfaction préalable dont sa mort serait le moyen. Voir A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, p. 21-27. Mais ces deux aspects de l’Évangile ne s’opposent pas. On peut donc et il faut également retenir, pour les compléter l’une par l’autre, la promesse du pardon divin et la médiation du Fils qui en est la condition.

Parmi les « erreurs des modernistes » figure la suivante : Doctrina de morte piaculari Christi non est evangelica, sed lantum paulina. Décret Lamenlabili, n. 38, Denzinger-Bannwart, n. 2038. En condamnant cette position pour faire du Christ en personne la source de sa foi au mystère de la rédemption, loin d’avoir rien à redouter d’une saine critique, l’Église garde sur les systèmes adverses l’avantage de rester fidèle à l’Évangile dans toute son intégrité.

Témoignage des Apôtres.

« Scandale pour les

juifs et folie pour les païens », I Cor., i, 23, le sacrifice de la croix, dont le Maître leur avait découvert le secret, ne laisse pas d’être, pour les Apôtres, un des objets principaux de leur prédication.

1. Foi de la primitive Église.

Destiné d’abord à des juifs, le message des premiers disciples commence, tout naturellement, par se mouvoir dans les cadres messianiques, mais élargis sous l’action de l’esprit chrétien. Si donc Jésus est annoncé comme le Messie, Act., iii, 13, il est en même temps donné comme Sauveur, iv, 1 1, et le bienfait primordial qu’il garantit aux siens est la rémission des péchés, v, 31 ; cf. ii, 38 ; iii, 19 et 26 ; x, 43 (dans la bouche de saint Pierre) ; xiii, 38-39 (sur les lèvres de saint Paul).

Cette grâce de salut est mise en étroite relation avec la mort du Christ. Si les Apôtres avaient d’abord partagé sur ce point les préjugés de leurs contemporains, cf. Matth., xvi, 22, et s’il avait fallu que Jésus lui-même, après sa résurrection, « leur ouvrît l’esprit pour comprendre les Écritures », Luc, xxiv, 45, cf. ibid., 25-28, ils avaient fini par élever leur intelligence au niveau de cette révélation. Aussi les voit-on associer le drame du Calvaire à l’œuvre messianique du Maître comme répondant à « un dessein arrêté de Dieu ». Act., ii, 23 ; iv, 28.

Au nombre des prophéties dans lesquelles s’exprime ce plan divin, Act., iii, 18 ; xiii, 27 et xxvi, 22-23, le c. lui d’Isaïe tenait un rang spécial, viii, 28-36. En même temps que le fait providentiel de la passion, comment aurait-il pu ne pas en faire apparaître également le sens rédempteur ?

Sous ces diverses influences, la catéchèse primitive dont saint Paul résume la teneur, I Cor., xv, 3, portait « que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures ». Témoignage que les critiques les moins confessionnels s’accordent à tenir pour décisif. Voir J. Holtzmann, Lchrbuch der N. T. Théologie, Fribourg-en-Br. , 1897, t. i, p. 366-367 ; Ad. Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1900, p. 97.

2. Doctrine de saint Paul.

Gardien de cette foi, qu’il transmettait comme il l’avait reçue, l’Apôtre des gentils allait, en outre, la développer sous ses diverses faces, jusqu’à l’encadrer dans une large et riche théologie. Voir Éd. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1908, p. 131-225 ; F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10e éd., Paris, 1925, p. 191-277 ; R. Bandas, The masler-idea of saint Paul’s Epislles or the Rédemption, Bruges, 1925. Doctrine

complexe, au demeurant, qui pose, dans le détail, force problèmes d’exégèse ou de spéculation, et qu’on ne peut exposer ici que per summa capita.

A la base de cette synthèse doctrinale, il va de soi qu’on suppose l’authenticité des lettres communément reconnues à saint Paul. Le morcellement dont A. Loisy, La naissance du christianisme, Paris, 1933 et Remarques sur la littérature épistolaire du Nouveau Testament, Paris, 1935, emprunte le programme à « H. Delafosse » (J. Turmel), Les écrits de saint Paul, Paris, 1926-1928, n’est qu’une de ces créations subjectives qui ont toutes les chances d’appartenir à la catégorie des systèmes mort-nés.

a) La mort du Christ dans l’économie du salut. — Dès la première de ses épîtres, où la perspective du jugement tient encore tant de place, l’Apôtre évoque la parousie du Fils de Dieu, en rappelant qu’il « nous a préservés de la colère à venir ». I Thess., i, 10. Un peu plus tard, il parle des chrétiens comme rachetés au prix de son sang, I Cor., vi, 20 ; vii, 22-23. Priser vation et rachat qui s’entendent, il va de soi, dans l’ordre spirituel ; « car Dieu dans le Christ se réconciliait les hommes, ne leur imputant plus leurs péchés ». II Cor., v, 19.

Ces traits épars vont prendre, au début de l’épître aux Romains, les proportions d’une synthèse grandiose et destinée a rester classique. Aux deux régimes de l’ancienne économie religieuse, loi naturelle et loi mosaïque, l’une aussi bien que l’autre impuissantes à nous justifier, s’oppose le régime nouveau du salut gratuit qui nous vient par le moyen de la rédemption dans le Christ Jésus », Rom., iii, 23-24, « lequel fut livré pour nos fautes et ressuscita pour notre justification ». Ibid., iv, 25.

< Justifiés dans son sang, à plus forte raison serons-nous sauvés de la colère par lui. » Ibid., v, 9. La mort du Christ devient un principe subjectif de réconfort pour le croyant sur qui pèse l’angoisse de son péché, mais parce qu’elle est, au préalable, le moyen objectif choisi par l’amour de Dieu pour nous en obtenir la rémission.

Tout cet exposé du plan divin aboutit au parallèle des deux Adam. Rom., v, 12-21. Du premier nous n’héritons pas seulement la mort, mais un véritable péché qui entraîne une condamnation. Voir Péché originel, t. xii, col. 306-311. Au second nous sommes redevables de la justice, de la grâce et de la vie. C’est même le retentissement salutaire de l’œuvre de celui-ci qui permet à l’Apôtre de comprendre l’influence néfaste de celui-là. Leur action est de sens inverse, mais de même extension et de même efficacité. Cf. I Cor., xv, 21-22 et 45-49.

Sous une forme plus dense, les épîtres de la captivité dessinent une semblable économie du salut, qui se développe suivant la même trilogie : état préalable de péché comme terminus a quo ; réconciliation avec Dieu, qui comporte l’adranchissement de nos âmes et leur affiliation au royaume céleste, comme terminus ad quem ; mort sanglante du Christ comme facteur immédiat de cette rédemption. Eph., i, 5-10 et ii, 1-18 ; Col. i, 12-22 ; I Tim., ii, 5-6. Restauration spirituelle qui, dans la perspective paulinienne, ne s’entend pas seulement des individus, Gal., ii, 20 et I Tim., i, 15, mais encore et surtout, Act. xx, 28 ; Eph., v, 23-27 ; Tit., ii, 14, de l’Église comme corps.

b) Efficience de la mort du Christ. — Outre la claire attestation du rôle central dévolu à la mort du Christ dans l’économie du surnaturel, on peut tout au moins surprendre chez l’Apôtre quelques suggestions théblogiques sur le mode spécial de son action.

Comme afin de mieux étreindre un mystère qui le déborde, saint Paul, quand il s’agit de l’énoncer, multiplie sans aucun souci d’unification les analogies de 1931 RÉDEMPTION. PROBLÈME DE LA TRADITION PATRISTIQUE

1932

l’ordre humain. Tour à tour, la mort du Christ est donnée comme une rançon, I Tim., ii, 6, un sacrifice, I Cor., v, 7 et Eph., v, 2, spécialement un sacrifice propitiatoire, Rom., iii, 25, mais aussi comme un acte de médiation réconciliatrice, Rom., v, 9-10 ; Eph., ii, 1 1-18 ; I Tim., ii, 5, dont la solidarité qui nous unit à notre chef mystique, Eph., IV, 15 et Col., i, 18, étend jusqu'à nous la vertu. Rom., v, 15 ; I Cor., xv, 21-22.

Pour expliquer la raison interne qui donne au drame du Calvaire sa valeur devant Dieu, l’Apôtre ouvre à l’esprit deux voies différentes, mais complémentaires. Tantôt c’est la souffrance imméritée du Juste qui retient son attention. Rom., iv, 25 et viii, 32. Rien fine, même lorsqu’il le montre devenu « péché », Il Cor., v, 21, ou « malédiction pour nous », Gal., iii, 13, contrairement à l’exégèse excessive de J. Holtzmann, reprise par A. Médebielle, art. Expiation, col. 180-181, il ne soumette jamais le Christ à la colère divine, il n’en invite pas moins à voir dans sa mort l’expiation de la peine due à nos péchés. Tantôt il insiste davantage, et avec non moins d'énergie, sur l’aspect volontaire, Phil., ii, 0-8, voire même spontané, Gal., i, 4 et ii, 20 ; Eph., v, 25 ; I Tim., ii, (i, de cette mort, en soulignant qu’elle doit à ce caractère d'être « un sacrifice d’agréable odeur » devant Dieu, Eph., v, 2, et de constituer un acte d’obéissance propre à compenser la révolte d’Adam. Rom., v, 19.

Qu’on regarde à la puissance de l’affirmation dogmatique ou à la richesse de l’analyse théologique, saint Paul léguait à l’avenir un capital qui ne serait pas perdu. Mais l’histoire doit maintenir qu'à cet égard, loin d'être un créateur, comme on l’a voulu, il ne faisait que développer la foi de tous.

3. Derniers écrits du Nouveau Testament.

Sauf saint Jacques et saint Jude, qui ne quittent guère le terrain pratique, les derniers écrivains du Nouveau Testament rendent à la foi de l'Église naissante, chacun à sa façon, le même témoignage fondamental.

a) Toute paulinienne de fond sinon de forme, l'épitrc aux Hébreux a pour but d'établir la caducité de l’Ancien Testament sur le plan particulier du sacrifice.

En regard des rites lévitiques, incapables, par leur caractère trop matériel, soit de purifier les âmes, ix, 9, 13 et x, 1-1, soit de plaire à Dieu, x, 5-8, l’auteur place l'œuvre du Christ, qui a offert une fois pour toutes le sacrifice de son propre sang, parfaitement et définitivement efficace pour la rémission de nos péchés, ix, 24-28 et x, 9-14. Valeur due tant à la personne du prêtre, vii, 20-28, qu’aux sentiments intimes dont procède son oblation, ii, 9-10, 14-18 ; v, 7-9 ; x, 5-9. La mystique et la théologie postérieures du sacrifice rédempteur, l’une et l’autre extrêmement abondantes, se dérouleront dans le cadre ainsi tracé. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 190-202.

b) Chez saint Pierre, le rituel de l’ablution, I Petr., i, 2, puis le sacrifice de l’agneau pascal, ibid., 18-19, cf. II Petr., ii, 1, servent à décrire l’efficacité rédemptrice de la mort du Christ. Au passage, l’Apôtre cite et commente également l’oracle d’Isaïe sur la souffrance expiatoire du serviteur innocent. I l’etr.. ii, 21-25. Un peu plus loin, ibid., iii, 18, son langage rappelle celui de l'épître aux Hébreux, quand il parle du Christ « mort une seule fois pour nos péchés, lui juste pour nous pécheurs, en vue de nous rapprocher de Dieu ». Cf. A. Médebielle. lor. riL, col. 2 12-253.

c) Dans les écrits johnnniqucs, avec l'œuvre générale de lumière et de vie qui tient à la personne du

Verbe Incarné, s’affirme aussi le rôle de la croix.

Au cours (u quatrième Évangile, la parole mystérieuse de Jean-Baptiste sur « l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde », Joa., i, 29, 30, et la prédiction

involontaire de Caïphe sur la providentielle nécessité de sa mort, xi, 50-53 et xviii, 14, vont de pair avec les déclarations personnelles de Jésus, voir col. 1927. Selon l’Apocalypse, les élus sont rachetés, i, 5 ; v, 9 ; xiv, 34, et purifiés, vii, 1 1, cf. xxii, 14, par l’immolation de l’agneau. Pour détruire le règne du démon et du péché, ce qui était le but principal de l’avènement du Christ, I Joa., iii, 5 et 8, la première des épîtres johannines fait aussi intervenir la vertu de son sang, i, 7. Où l’Apôtre, avec saint Paul, voit une preuve de l’amour de Dieu, qui envoya son Fils « comme victime de propitiation pour nos péchés ». tv, 10 ; cf. ii, 1-2. Voir A. Médebielle, toc. cit., col. 202-242.

Cette œuvre de rachat spirituel et de réconciliation avec Dieu, que l’Ancien Testament attendait du Messie, dont le Christ s’est proclamé l’agent, l'Église apostolique tout entière a eu la conviction d’en jouir, et ces divers témoins de la révélation divine sont d’accord pour la rapporter au sacrifice du Sauveur. Aux formules techniques près, tout le dogme chrétien de la rédemption est là.