Dictionnaire de théologie catholique/PRUDENCE .II. Nature de la prudence

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.1 : PRÉEXISTENCE — PUY (ARCHANGE DU)p. 519-521).

Le discernement moral est œuvre de raison.

Le prudent, dit saint Thomas, est celai qui sait prévoir le bien fondé, les circonstances et les conséquences d’une action future, d’une action qui n’existe pas encore, mais qui sera éventuellement réalisée. Cette action n'étant pas encore posée, le prudent non seulement l’imagine, mais il la fait naître et vivre dans sa pensée telle qu’elle devra exister, selon les exigences de la loi morale et en adaptation exacte avec les circonstances qui la verront se déroule r. Dans la 1 ensée « lu prudent, cette action, entrevue comme devant être accomplie, M présente en comparaison avec des actions contraires Inopportunes et dont l’idée et le < ! <mi sont hj oussés, que le choix raisonnable et volontaire se porte sur l’action la plus valable et la plus conforme à la loi onstances. 1 II ». q. xlvii, a. 1. I ne telle prévision, qui table à la rois sur les normes morales et mit les opportunités des choses et desévénvient qu’à la raison ; car seule la raison pétri établir des comparaisons et lésa] précier. L’animal, qui n’a pas de raison, ne compare et ne 1 révoil

l juxtapose des sensations immédiates ondes

souvenirs, mais sans établir de liaison raisonhée ; ce qui fait la liaison dans son in agination, ce n’est pas n de l’esprit — car il n’a pas d’esprit — mais le déterminisme de l’instinct ou l’automatisme habituel auquel on l’aura plié par dressage. Que ce u instinct, l’animal se répète toujours ; il ne crte rien, n’invente rien, ne 1 eut saisir l’adaptation d’un moyen à un but, le ra] 1 oit d’un effel à une L’homme, au contraire, en face de buts qu’il tine librement, est sans cesse occupé à créer des moyens nouveaux, à combiner des actions originales nves ; il sul stitue aisément une manière d’agir a une autre, et xi raison n’est | as vite à court d’ex] édientv

ri surtout dans le ( onseil intérieur, quand il s’agit

d’une action particulièrement embarrassante, que le

miment prudentiel s’accuse comme une œuvre

de raison. Il arrive que, dans un (as donné, nous ne

s que faire : plusieurs alternatives se présentent

conséquerces avantageuses ou désavantæs ; | fur savoir quel parti prendre, de multiples nnements sont nécessaires, avec affrontement de leurs conclusions ; car il faut tout voir, envisager les mult ects, tenir compte des points de vue

I our aboutir à une solution certaine et unique, il faut travail et souplesse d’esprit. Il est donc clair que le discernement prudentiel est auvre de rai-Saint Thomas, toc cit.. ad 2um.

ri la foine du raisonnement intérieur de la prudence ? En voici un exemple simple : Il ist défendu de faire tort a autrui et de s’en venger injustement. Or, cette médisance qui me vient à l’esprit a

s de cet individu lui ferait toit et serait une Injustice. Donc, cette médisance ( st défendue. » La majeure du syllogisme est une règle morale < : énérale

i.ir Uns ; elle roliie de la loi naturelle et en nu me t< mps de la loi positive di ine : car celle-ci, exi-’la ( t-arité à l’éjraid d’autiui. exipe d’al ord et en même t( mj s la juM u e. La mineure du syllogisme Sent perspicacité de la raison qui comprend que dénoncer telle ou telle faute secrète (liez quelqu’un c’est n ettre une médisance. De tels raisonnements sont nuels dans notre conscience. Nous réfléchissons à ne nous devons faire, a ce que nous devons ne 1 as 1 rendre attitude en face de tel ou tel ( Si le ras est ( n 1 arrassant, 1 ou s deman du t. n 1 - 1 our réfléchir. <’< st à Mue 1 our raisonner, choisir, et I nah n ent a’.ir d’apri s < et te détermination. Manifestement, la prudence est œuvre de ral-Pour dirigi verner moralement toutes les ma ie. il me faut co m pre ndre, délibérer, juger, employer activement mon Intelligence. Mais de quelle intelliꝟ. 1. < s’agil 111

La prudence est œuvre de raison pratique.

Notre raison n’est pas toujours occupée à dirigei moral cmenl nos actions. I Ile s’applique encore au savoii spécu latif. I n ii s’agisse de connaissances philosophiques qui jugent du pourquoi des choses, qu’il s’agisse de connaissances scientifiques qui contrôlent des Unis et établissent Us lois qui Us régissent, l’espril cherche uniquement la vérité ; il s’applique à connottre poui ttre, sans que l’objet de son savoir ail aucune relation avec dis Uns Immédiates d’action. Par exemple, celui qui apprend lis mathématiques pour passer un examen a sans doute pour fin éloignée la réussite de cet ex amen, mais, comme fin immédiate, il veut seulement savoii pour savoir, trouver la d< istration des théorèmes, indépendamment de ce qu’il fera tout a fin nie quand il quittera son étude, quand il aura à débrouille 1 la grave diffie ulté dont il a laissé le souci pour se livrer au travail intellectuel. Au contraire, la raison pratique est un discernement, une délibération intérieure ordonnée à poser une action, pour savoir si décidément on la fera ou si l’on ne la fera pas. Ibid., a. 2.

La raison spéculative et la raison pratique ne sont pas en nous deux facultés différent » s ; ci st notre même raison qui a deux façons distinctes de s’appliquer à connaître : connaître le iai (Us choses par curiosité de savoir et connaître ce que l’on va faire en jugeant et en déterminant la raison de le faire. Dans Us deux cas. nous cherchons la vérité, mais pas la nu me ( s| èce de vérité. Pans la spéculation, il s’agit de concevoir exactement ce qui est. de conformer, de mesurer son esprit à une réalité, à une éi ité telle qu’elle est. Pans la raison pratique, il s’aj.it de vérifier, de mesurer une action à faire à une Un préalablement conçue et voulue. Ces deux manières d’appliquer la réflexion de notre esprit s’accusent si différentes qu’une manière nous est souvent plus facile et plus connaturelle que l’autre, (ncore que nous usions fréquemment des deux. Suivant les tempéraments, les dispositions de nos facultés de connaissance sensible et intellectuelle, suivant ;.ussi l’entraîne ment des habituât s contractées au cours de notre formation intellectuelle <t de notre éducation, notre intelligence va plus Facilement soit dans le sens spéculatif, soit dans le sens pratique. Il y a des. 1 us spéculatifs, abstraits, peu pratiques et, à l’opposé, il y a des {.eus pratiques, peu portés à la spéculation et au savoir scientifique, nais habiles, avisés, experts à trouver la meilleure solution dans u s (as ( mbarrassants et Us difficultés de la vie. Tans le discernement prudentiel, ce qui est mis en œuvre ce n’est pas la raison spéculative, irais la raison pratique. Ce savoir-faire est différent de la science morale, qui ( m ploie la raison spéculative. Il j a des moralistes qui dissert ent savamment du fondement du devoir, des lois de la moi aie. mais qui ne sa( ni guère raisonner, pour U ur 1 ropre (enduite, de ce qu’ils onl à faire OU a ne ] as faire.

Je dis que la prudence ne suppose pas la science l biloso] bique de la morale. Toutefois, elle 1 rc’sup] ose obligatoirement une certaine science morale, au n m s Ja connaissance des obligations morales, « le la, loi de I I’D, d< 5 1 m i ( | le s du 1 éraloLiie. des ( ommai ! ( ! < n le ni s de l’Église, de leurs obligations générales. On doil 1 ( rf < ( t ion ner cette connaissance, aussi minutieuse et détaillée que 1 ossible, de son devoir religieux, indi Iduel, social et familial : il j a toujours à apprendre sur ce point. Le discernement prudentiel a son point de dé part, xi base de raisonnement en cette connaissance exacte et claire des prescriptions morales. Mais, toul en étanl lu a cette connaissance, il est lui-même un judicieux et lucide jugement appliqué à voir, dans lis circonstances Immédiates et concrètes, quelle est l’ac lion à poser <>n à Interdire, pour que soi i obéie la loi de Dieu et que soient observées toutes les exigences du devoir. Qu’est-ce que je dois faire en ce moment, en face <le ce devoir, dans cette difficulté, disant cette tentation, pour rire Adèle à l’amour de Dieu ? Voilà l’enjeu, continuellement insistant dans nos vies, du discernement prudent ici.

La prudence présuppose la volonté du bien vertueux. Ce n’esl pas seulement dans nos discernements de prudents que nous mettons en œuvre notre raison pratique. Continuellement, nous utilisons celle ci pour diriger nos besognes matérielles et intellectuelles, nos occupations journalières, nos labeurs de toute sorte qui demandent réflexion, raisonnement, attention de notre esprit. Les besoins humains créent sans cesse toute une activité de savoir-faire professionnel, de métiers, d’arts techniques. Mais, dans toutes ces occupations raisonnables et intelligentes, l’esprit pratique n’est pas nécessairement au service d’une fin morale. Des habiletés techniques sont souvent utilisées en vue de buts immoraux, réprouvés par la loi de Dieu. On peut être un bon artisan, un bon chauffeur d’auto, un sculpteur génial, une dentellière aux doigts ailés et délicats, et ne rien valoir au point de vue religieux ni au point de vue moral. Évidemment, nous devons — si nous avons une conscience surnaturelle — sanctifier nos tâches, ne rien produire au point de vue métier, enseignement, écrit, art, besogne matérielle, occupations courantes, qui offense la loi de Dieu ou l’honnêteté. Mais la réussite technique de l’œuvre que nous faisons et dans laquelle peut se déployer toute l’ingéniosité de notre esprit ne dépend pas du but que nous nous donnons : ce but peut être bon ou mauvais, utilitaire ou désintéressé, visé pour Dieu ou pour l’applaudissement public.

Le discernement prudentiel, au contraire, ne s’exerce qu’en vue d’une fin moralement bonne, il suppose nécessairement la volonté efficace du bien vertueux. Ha-i [æ ; q. xlvii, a. 4. C’est sous l’impulsion de cette volonté, à l’état d’amour, que se déploie la sagacité intellectuelle de la prudence : on veut accomplir son devoir et, à cause de cela, on s’empresse de trouver la meilleure ligne de conduite ; on aime Dieu et, parce qu’on l’aime, on veut lui prouver son amour par des actes vertueux conformes à sa loi. Règle péremptoire : le discernement prudentiel est sous l’intimation du vouloir moral ; dans la conscience surnaturelle, il est sous l’intimation de la charité pour Dieu. Le discernement de raison au service du mil, c’est la prudence de la chair, la fausse prudence, celle du pécheur. Dans le discernement moral, on ne raisonne que pour faire une bonne action, le point de vue n’est pas tant d’agir que de bien agir. Cette finalité morale est caractéristique du discernement prudentiel et qualifie en lui l’activité de l’esprit. Il s’agit d’un raisonnement pour - la vertu, d’une logique déployée pour la bonne conduite. La même raison, qui a établi en nous les convictions morales en donnant à notre volonté de les viser comme des buts décisifs et des intentions préférées se porte, par son discernement, sur les moyens d’y parvenir. Ces moyens, quels peuvent-ils être, sinon nos actions concrètes et nos réalisations vertueuses ? La prudence y pourvoit : son choix réfléchi marque au coin du raisonnable le déploiement de toutes nos aet ions.


III. Les phases du discernement prudentiel.

Ce que nous venons de dire de la nature de la prudence n’est encore qu’une vue sommaire. Cette sagesse de l’action vertueuse est un tout complexe qu’il nous faut désormais analyser. Et, pour cela, nous devons rappeler les diverses phases et articulations de l’acte humain. Sans doute, cette psychologie de l’action. nous l’envisagerons en dehors de sa qualité morale ; nous regarderons comment notre raison et notre volonté fonctionnent en prescrivant nos actions bonnes ou mauvaises ; mais, dans cette description, il nous sera pourtant loisible de marquer l’endroit des convictions morales et celui du discernement prudentiel. L’action humaine, c’est l’ad ion propre a l’homme et dont l’animal n’est |ias capable. On l’appelle encore l’action volontaire, l’action raisonnable ; notre raison en est maîtresse, parce qu’elle la commande comme adaptée à un but, comme appropriée à une fin. A cause de cela, cette action volontaire est responsable : elle sort dînons, elle ne nous est pas imposée du dehors, par cont rainte. C’est nous et nous seulement qui la posons : nous y consentons, nous la décrétons ; elle est donc libre. Selon la fin bonne ou mauvaise a laquelle notre raison l’adapte, l’action est elle-même bonne ou mauvaise. Mais, quelle que soit sa qualité morale, l’action humaine est la réalisation d’un acte adapté à une lin sous le gouvernement de la raison.

Comment cela se fait-il ? Nous donnons l’aumône à un pauvre, nous nous vengeons d’un ennemi ; voila des actions réalisées par nous extérieurement. Mais, avant leur réalisation, que se passe-t-il en nous ? Nous le savons déjà : notre raison intervient. Mais comment intervient-elle, par quel acte, par quels procédés ? En jugeant ? en raisonnant ? en commandant ? Sans doute. .Mais notre raison n’est pas seule à intervenir. D’une action humaine, nous ne disons pas seulement qu’elle est raisonnable, mais encore qu’elle est volontaire. Autant dire qu’elle est le fruit du jeu combiné de notre raison et de notre volonté. Et c’est un jeu très compliqué, une entrecroisement très serré d’actes d’intelligence et d’actes de volonté. Il s’agit donc de décrire ces composantes d’une action humaine. Dans le langage courant, avant d’agir, nous disons parfois : t Je vais réfléchir. » Toutes les actions que nous posons comme responsables sont soumises à notre réflexion. Or, cette rumination intérieure qui précède nos actions se compose d’une série d’actes d’intelligence et de volonté entrecroisés et dont on doit distinguer trois étapes successives : 1° phase de l’intention ; 2° phase de la consultation et du choix des moyens ; 3° phase de la réalisation.

Phase de l’intention ou de la fin.

Premier acte : l’idée d’un bien aimable, d’une fin désirable.

Avant d’agir, je dois avoir un but. Une fin générale est ainsi posée devant mon esprit. L’idée d’un but désirable, d’un bien à conquérir, d’une satisfaction à obtenir, est le point de départ de toute action. C’est notre intelligence qui met en avant l’idée de la fin, que cette idée nous vienne spontanément ou qu’elle soit le fruit de réflexions antérieures. C’est moins notre raison spéculative qui assigne ainsi des buts à notre activité que notre intelligence pratique, intelligence qui est inspiratrice d’un amour, d’un désir, d’un vouloir. Car c’est un but aimable, un bien désirable, une satisfaction alléchante, vus comme tels, motivés comme tels par notre esprit, qui vont mettre en branle notre volonté. Le premier mouvement de l’action humaine donc un acte d’intelligence. Ia-II 33, q. ix. a. 7, ad 2um.

Deuxième acte : amour de complaisance pour le bien qui finalise.

Dès qu’on a l’idée d’une fin désirable, il est impossible que la volonté n’y soit pas complaisante : elle acquiesce à la fin suggérée ; elle adopt bien proposé par l’intelligence et se sait inclinée vers lui. Le second mouvement de l’action est donc dans la volonté ; c’est la complaisance en ce bien, en cette tin désirable. I a -II®, q. viii, a. 7.

Troisième acte : jugement appréciant la possibilité de conquérir ce bien, de réaliser cette fin.

Jusqu’ici, nous n’avons pour ainsi dire qu’un optatif, un but qui pourrait être, dans lequel nous nous complaisons ; mais